Vieillesse du vin, vieillesse de l`homme. L`image du vin dans l
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Vieillesse du vin, vieillesse de l`homme. L`image du vin dans l
CHAPITRE III. IMAGINAIRES DU VIN : LES MONDES Vieillesse du vin, vieillesse de l’homme. L’image du vin dans l’Antiquité classique Alexandra Grigorieva * Université Lomonossov de Moscou Les Anciens décrivent leur vin en utilisant trois critères de base : le goût, la couleur et le corps. Même s’ils n’emploient pas encore ce mot en parlant de vin, leurs adjectifs usuels “mince” et “gras” sont assez pertinents. L’imaginaire du vin à cette époque s’exprime à deux niveaux, le niveau divin et le niveau humain : le vin correspond au dieu du vin, Dionysos (Bacchus). Dionysos est aussi un être humain, qui peut naître d’une femme mortelle ou mourir. C’est pourquoi, à côté des métaphores divines, on trouve tout un répertoire d’analogies humaines. Ainsi l’homme dans l’Antiquité sert de mesure, même pour le vin. Le vin des Anciens évoluait avec leur tradition culturelle et la civilisation méditerranée. Dans les textes de l’époque mycénienne qui nous sont parvenus on le mentionne déjà beaucoup mais surtout en contexte pratique. Ce n’est que dès l’épopée homérique que le vin pour la première fois entre dans le domaine de l’imaginaire. Même si les héros d’Homère en boivent davantage sans le glorifier beaucoup, le vin est déjà inclus dans la description du monde homérique, ainsi la mer chez Homère prends la belle couleur du vin et devient le légendaire « oinos pontos ». Le vin même est appelé « meliedes » (doux comme le miel), « aithos » (brillant comme le feu), « meliphron » (miel pour l’esprit). Par contre, Dionysos est mentionné très peu et ne mérite que l’épithète « mainomenos » (délirant). Cela permet à Luca Della Bianca et Simone Beta d’essayer dans leur Oinos, il vino nella letteratura Greca de nous persuader que Dionysos en ce temps-là était en train de remplacer un autre dieu patron du vin maintenant oublié, tandis que Andrew Dalby dans son Bacchus : A Biography nous présente les arguments contraires beaucoup plus concluants (ainsi le nom de Dionysos était déjà présent dans les tabelles mycéniennes). * [email protected] 109 MEI, nº 23 (« Le corps, le vin et l’image »), 2005 Archiloque (« en ma lance est mon pain pétri, en ma lance mon vin d’Ismaros »), Alcée (« car pour les hommes le vin est un miroir ») et Anacréon (« apporte de l’eau, apporte du vin »), bref, presque tous les poètes lyriques de Grèce chantaient le vin. C’est aussi la période où le symposium et son protagoniste le vin apparaissent beaucoup dans les produits de l’art céramique grecque, ce qui est bien montré par François Lissarrague dans son œuvre de synthèse The aesthetics of the Greek Banquet : Images of Wine and Ritual. À cette époque, naquit le genre dramatique, fortement lié au culte de Dionysos. La tragédie était plus préoccupée par les relations du vin et du divin (Euripide : Les Bacchantes), tandis que la comédie pressentait le vin en rapport étroit avec le corps humain et toutes ses imperfections. Ainsi l’imaginaire du vin à cette époque rationnelle (V-IVe siècle av. J.-C.) s’exprimait à deux niveaux, le niveau divin et le niveau humain. Il s’agissait là du résultat d’une équation logique simple : le vin correspond au dieu du vin, Dionysos. Dionysos est aussi un être humain, qui peut naître d’une femme mortelle ou mourir. Donc le vin correspond à l’être humain. C’est pourquoi à côté des métaphores divines comme « l’enfant indomptable aux yeux bovins, qui est jeune et qui ne l’est pas » du poète Ion, on trouve chez le poète Archestratos l’expression « vin chenu » pour bon vin vieux. Il y avait aussi un tas de discussions comiques sur les différents rapports de l’homme vieux et du vin vieux, par exemple chez Alexis : « la nature de l’homme se rapproche le plus de celle du vin… vin vieux et vieil homme après leur sévérité initiale sont calmes et mous, agréables à tous », même si le même auteur écrivait également : « l’homme n’est pas comme le vin…l’homme vieux nous gronde, le vin vieux nous donne de la joie ». Ainsi selon l’esprit du siècle bien exprimé par le mot du sophiste Protagoras, contemporain de Platon « l’homme est la mesure de toutes choses », l’homme de la Grèce classique servait de mesure même pour le vin. La tradition de boire du vin vieux était vraiment très répandue. L’épopée homérique faisait déjà mention du vin vieux, ainsi que du vin rouge et vin noir – caractéristiques traditionnelles pour le vin quotidien dans le temps de l’Antiquité. D’habitude les Anciens décrivaient leur vin en utilisant trois critères de base : le goût (“âpre”, “aigre” ou “doux”), la couleur (“noire”, “rouge”, “jaune” ou “blanche”) et le corps (même s’ils n’employaient pas encore ce mot en parlant du vin, leurs adjectifs usuels “mince” et “gras” étaient assez pertinents). On avait déjà des crus très diversifiés de réputation différente et on buvait le vin soit jeune soit vieux selon le cru, par exemple Galien énumère trente-deux crus romains dont dix n’étaient buvables qu’à partir de cinq, dix, quinze ou même vingt-cinq ans d’âge, mais qui étaient très appréciés pour l’intensité de leur caractère et pour leurs effets. Cependant les comparaisons entre l’homme et le vin devenaient de plus en plus gnomiques. L’Antiquité tardive perdait le goût pour les métaphores vineuses, des proverbes moralisants étant préférés à la poétique. Tandis que dans la Grèce classique l’imaginaire du vin était d’abord 110 Vieillesse du vin, vieillesse de l’homme… A. Grigorieva étroitement lié à l’imaginaire de l’homme, dans la societé hellénique et à Rome le vin se dissociait du corps humain, en même temps que Dionysos-Bacchus devenait une figure symbolique et familière. Cette banalisation du vin perdura jusqu’au début du Christianisme, où le vin retrouva toute la force de sa sublime image primordiale – le sang divin. Bibliographie della Bianca, Luca ; Beta, Simone. Oinos, il vino nella letteratura Greca. Rome, Carocci, 2002. Dalby. Andrew, Bacchus : A Biography. Los Angeles, Getty Publications, 2004 Lissarrague. François, The aesthetics of the Greek Banquet : Images of Wine and Ritual. Princeton, Princeton University Press, 1991. Schale, Kunst der. Kultur des Trinkens. Munich, Antikensammlungen, 1992 Tchernia, André ; Brun, Jean-Pierre, Le vin romain antique. Grenoble, Glénat, 1999. Weeber, Karl-Wilhelm. Die Weinkultur der Römer. Düsseldorf & Zürich, Artemis & Winkler, 1999. 111