Marie-France Hirigoyen

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Marie-France Hirigoyen
Marie-France Hirigoyen
Psychiatre, victimologue
Paris
Psychiatre, psychanalyste et victimologue, Marie-France Hirigoyen s'est spécialisée dans
l'étude de toutes les formes de violences : familiales, perverses et sexuelles. Dans son
cabinet parisien, elle accompagne les victimes, les aide à s'exprimer, à se reconstruire et
surtout à sortir du sentiment de honte et de culpabilité qu'elles ressentent. Elle est l'auteur
de "Le harcèlement moral" chez pocket.
• Le harcèlement moral
La violence perverse au quotidien
Marie-France Hirigoyen, Pocket, 2000.
Il est possible de détruire quelqu'un juste avec des
mots, des regards, des sous-entendus ; cela se
nomme violence perverse ou harcèlement moral. Un
mot peut tuer. Pour déstabiliser et détruire, les armes
de la malveillance, de la manipulation et de la
persécution sont innombrables. La perversité ordinaire
d'un conjoint, d'un parent, d'un supérieur peut briser un
couple, défaire une vie, ruiner une carrière
professionnelle. La loi du plus fort règne le plus
souvent dans la famille, l'entreprise, la société.
L'agresseur mène patiemment son œuvre paralysante
et meurtrière. Sa victime se laisse peu à peu enfermer
dans le piège prévu
pour son supplice.
Comment
comprendre,
analyser,
vaincre
le
harcèlement psychologique ? Quelles solutions,
quelles parades y opposer ?
Les enfants victimes de pédophilie ont-ils des points communs ?
Quand un enfant a un très bon soutien familial, le pédophile s'en rend compte et ose moins
l'embêter. Il sent qu'il y a un risque, que cet enfant est peut-être moins manipulable qu'un autre.
Mais il ne faut surtout pas faire de généralités et ne pas culpabiliser les parents. Il n'y a pas un
profil type d'enfant victime mais quel que soit l'enfant, l'agresseur trouvera son point faible, sa
faille.
Les enfants ont-ils des pulsions sexuelles ?
Oui et ça n'a rien de choquant, c'est une réalité physiologique. Ce qui pose problème, c'est que
les enfants ne sont pas prêts à ressentir ce type d'excitation. Ils n'ont pas la maturité et ils ne
peuvent pas se protéger de ça. Quand ils sont abusés, ça leur tombe dessus d'un coup, sans
qu'ils aient le temps de comprendre ; ça crée une emprunte indélébile. L'enfant a donc des
envies mais ne doit pas les assouvir. Mais il ne sait pas dire non, il n'est pas capable de dire :
"ça, je ne le veux pas". L'acte lui est imposé, soit par la séduction, soit par la force.
Comment l'enfant ressent-il la séduction du pédophile ?
L'enfant est flatté, valorisé parce qu'un "grand" s'intéresse à lui. On lui demande ce qu'il aime et
on lui apporte de l'amour. On le traite comme un adulte. Etre séduit, ça lui plaît. On remarque
d'ailleurs que souvent, les parents sont aussi victimes de cette séduction : une de mes patientes
voulait le mieux pour son enfant et faisait venir un éducateur qu'elle trouvait parfait.
Elle avait une totale confiance en lui. Cet homme agressait pourtant l'enfant. Les parents comme
les enfants se sentent souvent en confiance avec le futur agresseur. Ce qui est très difficile, c'est
que l'agresseur est introduit dans la famille comme une personne respectable, aimée et à aimer.
Il est donc en premier lieu très agréable d'être aimé de lui.
Il y a un registre de séduction et puis un registre de peur. L'enfant est flatté mais parfois, ils sent
qu'il y a un danger. Il est inquiet mais ne sait pas comment se défaire de cette situation. L'enfant
se sent menacé même si les menaces sont sous-jacentes. Ca peut être un message ambigu
avec un ton que les enfants n'ont pas l'habitude d'entendre. On s'adresse à eux différemment
dans la séduction.
Qu'en est-il du passage à l'acte ?
Il y a une ambivalence difficilement acceptable : l'enfant peut être dégoûté et en même temps
ressentir du plaisir et vouloir que ça recommence. Il ne sait alors plus ce qu'il ressent. Il veut et
ne veut pas. Les personnes qui ont été victimes ont du mal à parler de cette part d'excitation,
c'est certainement la chose la plus difficile à accepter, la plus culpabilisante. Il sait que ce n'est
pas bien et pourtant, il peut aimer ça. Il ne peut pas se l'avouer, il pourra donc mettre des années
pour l'avouer aux autres. Le plaisir est subi en même temps que l'agression, même s'il ne s'agit
que d'une stimulation purement mécanique.
D'où vient la honte que ressentent les enfants ?
Ils ont honte parce que ce qu'ils leur arrive ne peut pas être vrai. Et parfois - et il faut le souligner
- on ne les croit pas ! Le pédophile séducteur est en effet souvent inattaquable. Ils ont honte
parce qu'il s'agit de choses sexuelles et les enfants savent que ce n'est pas bien. Par leur
éducation, ils savent qu'il ne faut pas se tripoter le zizi, qu'il ne faut pas que quelqu'un le touche,
qu'on ne peut pas se mettre tout nu devant quelqu'un qu'on ne connaît pas bien … L'enfant
connaît et ressent les interdits.
Ce qui est incompréhensible pour l'enfant, c'est que pour son agresseur, ces choses là semblent
naturelles, pas graves. Il y a alors une contradiction entre le discours des adultes et celui du
pédophile. L'enfant est perdu : il ne sait plus ce qu'il a le droit de faire ou pas, ce qui est bien ou
pas. Il ne sait pas vraiment ce qu'il se passe, il est déstabilisé. Il se doute que ce n'est pas bien
mais dans le doute, il ne dit rien.
Quel lien unit la victime à son agresseur ?
Il y a une emprunte, un accrochage entre les deux. L'excitation sexuelle et la valorisation
maintiennent l'enfant dans une sorte de dépendance. On peut être dépendant au sexe comme à
une drogue. C'est choquant de dire ça quand on parle d'un enfant mais ce sont les faits.
Je connais une jeune fille qui a été abusée pendant des années par l'homme qui la gardait.
Quand il a cessé, elle s'est retrouvée en quête sexuelle et disait elle-même qu'elle se sentait
pute, qu'elle voulait séduire à tout prix. C'est quelque chose qui est finalement assez fréquent. Il y
a donc cette emprise sexuelle dont on parle très peu puisqu' elle est considérée comme
honteuse. Il y a aussi l'emprise psychologique : l'enfant n'arrive plus à penser par lui-même. Il
peut finir par penser comme son agresseur, lui donner raison, ne plus avoir d'esprit critique.
Les personnes victimes sont dans l'ambivalence, elles veulent s'en sortir mais ne trouvent pas la
force.
Comment rompre le lien qui unit la victime à son agresseur ?
Il y a ceux qui ont réussi à rompre parce qu'ils ont osé en parler à quelqu'un : ils ont été aidés et
motivés ce qui leur a permis de se dégager de cette situation.
Et puis il y a ceux pour qui il y a un sursaut : certaines données ont changé. Généralement, il y a
eu un changement dans leur vie : une opportunité d'échapper enfin à la relation. Une de mes
patientes a été abusée pendant longtemps. Elle a eu le courage de dire non quand elle est
tombée amoureuse ; cette situation lui a donné du courage. Il faut donc un élément déclencheur.
Pourquoi le fait de briser le silence est-il si difficile ?
Des victimes mettent des années pour parler. Certaines victimes font plusieurs thérapies sans
jamais parler de leur agression. Pour se défaire d'une telle relation, il faut des années et il faut
surtout avoir le courage d'affronter sa propre culpabilité. Je suis sure qu'il y a des gens qui n'en
parleront jamais.
Il y a deux façons de vivre dans le silence :
On met l'agression dans une petite bulle au fond de soi et on l'enferme bien. On ne veut pas que
ça ressorte parce que c'est trop douloureux. Du coup, les souvenirs sont très vagues et on n'a
aucune envie de les voir resurgir. Pour se protéger, on occulte un certain nombre de choses et
tout est imprécis. On oublie les détails, ce qui rend la vie vivable. Les choses sont donc enfouies
mais un rien peut le réactiver et ceci n'importe quand. Tout peut ressurgir quand on croise
quelqu'un dans la rue qui ressemble à l'agresseur ou qui évoque une situation d'agression ; ça
peut être une personne qui tendrait une perche et tenterait de savoir la vérité.
D'autres personnes sont conscientes de ce qu'il leur est arrivé. Mais en parler n'est pas
concevable parce qu'elles sont encore dans la culpabilité, dans la honte. Et puis on n'a pas les
mots pour dire ça, ce n'est pas facile de dire : "il m'a fait ceci, il m'a fait cela...". Les victimes
pensent : on va me demander pourquoi je n'ai pas réagi, pourquoi je me suis laissée faire.
Parfois, la personne sait qu'elle n'y est pour rien mais elle garde cette honte, elle n'assume pas
ce qu'elle a subi. C'est tellement difficile à dire qu'on préfère le cacher, le taire. Et là, il y a un
processus de pensée magique : "si je n'en parle pas, c'est comme si ça n'avait pas existé". Et
puis l'agression était tellement choquante que la personne ne sait pas si ça s'est vraiment passé
et de quelle manière. Il peut y avoir une atténuation et même une négation de l'acte pédophile.
Quels sont les séquelles et les traumatismes liés aux agressions pédophiles ?
L'agression est un meurtre psychique. Ca coupe les victimes de toutes défenses. C'est pas
qu'une agression sexuelle, c'est une atteinte à l'identité de la personne, à sa structure, à son
devenir à sa vie.
Avoir des enfants devient une épreuve : j'ai plusieurs patientes qui ne s'autorisaient pas à avoir
des enfants : elle se disait qu'elle n'était pas digne d'être une mère, qu'elle n'était pas apte. Et
puis les gens disent que quand on est victime, on devient agresseur. Du coup, des personnes se
censurent et ça, c'est grave. On se dit : "je risque d'être malsaine puisque j'ai fait ça, puisque j'ai
fait des choses sales avec mon agresseur". La personne pense qu'elle est dangereuse, qu'elle
n'a pas de limites puisqu'elle a laissé faire ça quand elle était petite.
Un de mes patients n'ose pas prendre son enfant sur les genoux, il a peur d'avoir envie de lui, de
réagir bizarrement. Pourtant, il sait au fond de lui qu'il ne désire pas son enfant mais la peur
reste. Les personnes perdent confiance en elles et en l'autre. Elles deviennent méfiantes et sont
dans l'incapacité de construire un couple. L'enfant n'a pas pu faire confiance aux adultes. Il est
traumatisé. Le psychisme est comme bloqué et il y a impossibilité de sortir de ça tant qu'on a pas
travaillé sur soi.
Il y a aussi de nombreux problèmes sexuels. Il y a bien sûr des exceptions mais les
conséquences sont presque inévitables. Il est courant qu'on reproduise la sexualité vécue avec
l'agresseur, qu'on recherche la violence ou qu'on reste bloqué sur une position précise. On peut
être victime d'un blocage complet, avoir l'impression qu'on va se faire violer chaque fois qu'on
nous touche ; la réactivité est très grande.
Quelles sont les étapes nécessaires à la reconstruction ?
La première étape est la parole : il faut briser ce silence. Il faut en parler le plus tôt possible.
Quand on a subi et qu'on est dans la culpabilité, on reste dans la souffrance, on devient une
personne habituée à son propre malheur. Il faut donc parler le plus rapidement possible afin
d'échapper à ce processus destructeur.
Les victimes ont parfois l'impression que la parole ne va pas les libérer puisque ces mots sont
l'expression de la souffrance. Dans un premier temps, c'est très difficile. La tentation, c'est de
l'occulter mais c'est pourtant à partir de la parole qu'on peut dépasser l'évènement traumatisant.
Une thérapie, pas forcément longue, est nécessaire. Il faut pouvoir travailler sur la honte et la
culpabilité, se dire que c'était une agression, comprendre que c'est toujours à l'adulte de se
contrôler, pas à l'enfant. Il faut aussi surmonter un obstacle : apprendre et oser parler de sa
sexualité, de ses fantasmes qui sont souvent liés à l'agression.
Grâce à la thérapie, on apprend à nommer et reconnaître l'agression. Il faut se rendre compte
qu'on n'a pas été complice, qu'on n'a pas été responsable et qu'on ne l'est toujours pas. Il faut se
dire qu'on a subi et qu'on n'a pas pu se défendre, qu'on ne possédait pas les armes pour se
défendre. Il faut se rendre compte qu'il y a eu un abus de pouvoir. Il s'agit de l'agression d'un
adulte, on avait confiance en lui, il était responsable de nous. Il faut donc reconnaître qu'on a été
victime mais il y a aussi le danger de trop le revendiquer. Ce danger, c'est d'exister par et à
travers ce statut de victime. Il ne faut donc pas trop l'officialiser, juste en parler à des proches.
Une étape importante est aussi celle de l'officialisation de l'agression. Porter plainte, c'est être
reconnu comme non responsable, avoir la confirmation que ce qu'on a subi est interdit et
sanctionnable par la loi.
Un procès vous semble-t-il nécessaire ?
Il est important de porter plainte quand c'est encore possible. Ce n'est pas toujours facile parce
qu'il y a une limite dans le temps et que très souvent, les personnes mettent du temps à parler. Si
on ne peut plus porter plainte ou qu'il est trop difficile de raconter les détails, il faut oser affronter
l'agresseur. Il faut pouvoir lui dire et affirmer : je sais que ce que tu as fait est inadmissible. J'ai
raison, tu as eu tort, tu m'as fait du mal, je ne suis pas coupable...
Porter plainte après la prescription ?
C'est un acte symbolique mais ce n'est pas la même chose. On se dit que si l'agresseur
recommence, ça sera marqué. On se dit qu'on a fait ce qu'on pouvait faire, même si ce n'est pas
grand chose. Mais en général, d'après les victimes que je traite, soit elles se décident à faire
payer leur agresseur en le traînant devant les tribunaux, soit elles se débrouillent toutes seules.

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