La petite fille à la robe blanche - Mairie de La Celle Saint

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La petite fille à la robe blanche - Mairie de La Celle Saint
La petite fille à la robe blanche
La petite fille à la robe blanche
2022
Le feu crépitait, inlassablement, brûlant et sauvage. On l’entendait ronronner de
bonheur et son chant se répercutait dans toute la cave. On pouvait s’imaginer ses
langues de feu, avides de bois et de tissus, dévorer tout sur leur passage, telles des
vagues géantes. Les pleurs affolés des enfants et les mots doux des parents
venaient s’ajouter au bruit de fond de l’abri. La fillette s’étendit sur le sol froid de la
pièce pour échapper à la chaleur ambiante. Bien que les pompiers aient calfeutré
toute la cave, le feu chauffait le refuge et la petite fille commençait à voir des points
noirs se former dans son champ de vision. Elle savait que l’abri était spécialement
conçu pour ne pas brûler mais pourtant, son cœur battait à tout rompre sous l’effet
de la peur et se répercutait dans ses tempes pareil à une fanfare. La respiration
saccadée, elle essayait de faire abstraction de la cave dans laquelle elle attendait
que l’incendie cesse, depuis maintenant une nuit entière.
En vain. La peur était trop dominatrice.
La place Jules Edouard Couturier était couverte de cendres. Tout était sombre, du
toit des maisons, aux arbres calcinés qui se dressaient encore timidement sur la
place. Noir comme la peur, gris comme l’angoisse, le lieu respirait l’odeur de la
catastrophe. L’atmosphère était remplie de poussière sombre que l’on respirait à
chaque bouffée d’air. Il n’y avait qu’un seul point lumineux qui brillait dans
l’atmosphère : c’était la petite fille à la robe blanche. Elle contemplait le désastre, sa
petite place tant adorée qui ployait sous l’enfer des flammes. Un vide s’installa dans
son cœur, un terrible vide brûlé par le feu ardent. Les larmes prêtes à éclore aux
coins des yeux, la fillette s’éloigna de la place, semant des petites traces de pas
blanches dans la cendre froide. Elle longea les rues qui avaient reçu le même sort
que sa chère place. La catastrophe avait touché tout le monde de la fillette. Au fil de
sa marche, l’enfant se sentit écraser par l’ampleur de l’incendie : maisons détruites,
arbres brûlés, routes recouvertes de débris… Et le silence, triste, recueilli qui planait
comme un fantôme sur la ville. En effet, dès que l’on avait appris qu’un terrible
incendie se propageait dans tout La Celle Saint Cloud et les alentours, on avait
ordonné une évacuation de la zone concernée. Les abris conçus contre les flammes
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La petite fille à la robe blanche
dans certaines maisons avaient été remplis et l’on avait attendu avec patience et
avec la peur et l’angoisse d’une mort trop proche. Dès l’ouverture de l’abri, la fillette
avait couru en direction de chez elle malgré l’interdiction formelle des pompiers. Il
fallait qu’elle voie sa place, cette place où elle jouait plus petite avec sa mère, le seul
être l’ayant aimé. Et maintenant qu’elle l’avait vu, elle se sentait perdre pied sous la
perte de ce lieu de souvenir, de souvenirs vibrants d’amour maternel.
La fillette continua sa promenade en solitaire, bouleversée de voir sa petite ville
réduite en débris et en cendre. Lorsqu’elle parvint au niveau de la rue Guibert, la
fillette plaqua sa main sur sa bouche de stupeur et de détresse. Son église, sa chère
église, était détruite, brûlée par les flammes du diable. La fillette accourut vers le
bâtiment et s’écroula sur le sol, sanglotant de toutes ses larmes, de longues larmes
translucides et salées. La tristesse lui saisit le cœur de sa main glacée, sans pitié, et
le secoua fortement comme pour le faire recracher le peu de bonheur qu’il y restait.
Ce lieu si précieux, ancré de forts et heureux souvenirs comme sa place, était lui
aussi détruit par la force des flammes maudites. Au bout de quelques minutes, elle
releva la tête, les yeux humides et la respiration encore entrecoupée de sanglots. A
l’horizon, on voyait se profiler de magnifiques nuages blancs, teintés de rose et
d’orange. Un incendie ardent se propageait dans le ciel, on aurait cru que ce dernier
brûlait. On voyait le soleil doré, luire dans toute sa puissance et de tout son amour
dans le ciel. C’était un second feu dans la même journée mais celui-ci était noble et
beau, et apportait à la fillette un peu de réconfort. Elle baissa la tête pour s’arracher à
cette belle vision et son regard fut de nouveau capté par sa belle église consumé par
le feu.
Alors la fillette se recueillit. Les yeux mi-clos, elle se mit à murmurer des prières
qu’emportaient les cendres de l’église. Des mots à peine soufflées, remplis d’espoir
et de vie, de lumière et d’amour. Elle les imaginait cueillis au vol par les habitants de
la ville qui serait alors réconforté. Elle sentit alors qu’une autre voix se mêlait à la
sienne, un gémissement lointain. Elle ouvrit les yeux. Le même paysage de
désolation s’afficha devant elle. La petite fille se frotta les yeux pour éclaircir ses
yeux embués et tourna la tête. Un homme, plutôt jeune, se trainait en direction de la
fillette, la jambe brûlée, le regard perdu dans les abysses de la douleur. Il venait des
ruines fumantes des magasins à côté de l’église. La fillette fut affolée en voyant la
jambe du blessé terriblement touchée et réprima un haut-le-cœur. L’homme arriva à
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quelques mètres de la fillette. Il plongea son regard dans les yeux noirs de la petite
fille. Celle-ci fut parcourut d’un décharge électrique. Ces yeux d’un bleu profonds,
imploraient de l’aide, ils étaient pleins d’humilité et d’humanité. L’enfant se précipita
vers lui.
L’homme grimaçait. Il gémissait. Il pleurait. Il souffrait. La fillette respira une bouffée
d’air pour se remettre les idées au clair. Il n’y avait personne ici. Pas même les
pompiers qui faisait leur devoir là où était le besoin. Il fallait pourtant des secours.
« Un portable, fit-elle, avez-vous un portable ? »
Le jeune homme hocha la tête et serra de ses doigts tremblants sa poche gauche.
La fillette pris le téléphone qui s’y trouvait et composa le 15. Au bout d’une minute
d’appel, elle raccrocha.
« Ils arrivent, souffla-t-elle, ils arrivent. Courage. »
L’homme ne fit aucun geste et la fillette s’aperçut qu’il avait les yeux perdus ailleurs.
De quoi rêvait-il ? L’enfant l’ignorait, mais cela semblait grave car ses yeux se
noircissaient d’encre, pour une raison que la fillette n’expliquait pas. Celle-ci voulut lui
demander à quoi il pensait mais elle ne s’en sentit pas la force, le pressentiment que
ce qui l’habitait était douloureux.
Lorsque les secours arrivèrent, ils ne trouvèrent qu’un homme à la jambe brûlée,
assis sur un banc devant l’église mais pas l’ombre de la petite fille ayant passé
l’appel. Cependant, ils n’entamèrent aucune recherche à ce propos ayant trop de
travail par ailleurs pour s’en préoccuper. L’homme fut soigné pendant quelques jours
à l’hôpital puis ensuite transféré dans un autre service pour sa convalescence. C’est
là qu’après plusieurs jours passés au lit, l’homme vit un petit personnage entrer dans
sa chambre.
Une fillette, vêtue d’une robe immaculée, s’approcha près du lit de l’homme puis
s’assit à son chevet.
« Bonjour, fit-elle.
-
Bonjour, répondit le blessé.
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Il regarda la fillette de ses yeux bleus, d’un regard doux et paternel et qui laissait
entrevoir une grande reconnaissance. L’enfant baissa les yeux, un peu gêné par
l’insistance du regard.
-
Merci. Merci du fond du cœur, finit-il par murmurer.
La fillette hocha la tête, un peu intimidé puis elle demanda :
-
Je voudrais savoir… Qui êtes-vous, juste ?
-
C’est une vaste question, répondit l’homme, un peu amusé.
-
Vous ne pouvez pas y répondre ? fit-elle timidement.
-
Si, bien sûr, dit-il en se redressant rapidement.
Il respira plusieurs fois puis finit par dire :
-
Je ne sais pas qui je suis en réalité. Après tout ce qu’il s’est passé, je ne suis
digne de n’être personne.
-
Pourquoi ? murmura la fillette, étonnée par les mots durs de l’homme.
Le jeune homme se redressa.
-
Il faut que je te dise, souffla-t-il. En fait, je suis soldat, voilà maintenant trois
ans. J’ai une vie plutôt ordinaire même si n’ai pas de père ou, tout du moins, je
ne l’ai pas connu. Ma mère est ce que j’ai de plus précieux et… Elle… elle est
morte, il y a quelques semaines. Quelques jours après, un ami que j’estimais
beaucoup a succombé dans un accident de voiture. J’ai… je crois que j’ai
perdu la tête. On m’a déclaré inapte à rester dans l’armée. Depuis, je ne
faisais plus rien, je me morfondais en silence, je délirais et…
Le soldat se tut. La fillette regarda avec compassion cet homme brisé. La bouche
entrouverte, il semblait vouloir continuer mais aucun son n’en sortait. Finalement, il
se mit à murmurer.
-
Lorsque l’incendie est venu à moi, j’ai voulu le laisser m’emmener ailleurs. Je
suis resté chez moi pendant des heures malgré l’interdiction formelle et…
quand le feu est réellement entré, j’ai reculé. J’avais peur. J’ai réussi à sortir
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par miracle, une jambe brûlée pour en payer le prix mais… ce n’est pas tout. Il
faut que je te dise, je ne veux pas te mentir.
La fillette resta silencieuse sous le choc des révélations. L’homme qui se tenait
devant elle avait été si touché par le désespoir qu’il avait tenté de se tuer. Un étrange
malaise mêlé de stupeur et de tristesse s’empara de l’enfant.
-
Sais-tu où l’incendie s’est déclaré ? continua l’homme.
-
Près d’une caserne de police, il me semble, répondit la fillette.
-
C’était exactement à vingt minutes d’une caserne militaire dans la forêt,
corrigea le soldat.
L’homme regarda l’enfant d’un air désolé.
- Ma caserne, avoua-t-il. J’y étais hier pour voir mes ex-collègues et on a fumé
dans les environs. Je me rappelle avoir lancé ma cigarette dans l’herbe juste
au moment où l’on partait. Je pensais l’avoir éteinte mais je me trompais.
C’est elle qui a mis le feu. C’est moi le responsable, petite.
En voyant le visage de la petite fille se décomposer sous l’effet de la surprise, il
murmura :
-
Je suis tellement désolé, tu ne sais à quel point. Pars, je ne te retiens pas, je
comprends totalement.
La fillette se sentait mal. Mal de savoir que la personne qui l’avait rendu si triste était
cet homme. Mal pour cet homme qui n’avait plus goût à la vie, rongé par une
culpabilité extrême. Mal de ne plus savoir que faire et que dire.
Elle finit par murmurer :
-
Non, non, je ne partirai pas.
-
Pourquoi rester ? s’exclama le soldat. Pourquoi rester avec un homme qui a la
vie détruite et qui en a détruit des centaines? Je ne sais plus quel sens a ma
vie après ce que j’ai fait, après ce que je vous ai fait à tous.
-
Mais non, tu n’es pas entièrement responsable ! s’exclama la fillette.
-
Je suis sûr que tu as perdu des choses chères à ton cœur et que tu m’en
veux. Tu es obligée de m’en vouloir.
La fillette resta silencieuse et laissa son esprit flotter dans ses souvenirs. Des larmes
commencèrent alors à couler le long de ses joues, en témoignage de la douleur qui
l’habitait. Elle se mit à pleurer à pleurer bruyamment, libérant toute la tristesse que
son cœur abritait.
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-
Je suis terriblement désolé ma petite, fit tristement le soldat. Si tu savais
comme ça me déchire le cœur de te voir comme ça.
L’enfant sanglotait toujours, la tête enfouie dans ses mains. Elle murmura :
-
C’est juste, que… Ces lieux me rappellent de si beaux souvenirs avec ma
mère… Cela me redonnait courage de les voir. Mais maintenant, je… je me
sens seule.
L’homme se sentit désemparé. Son regard rencontra alors une feuille de papier blanc
sur la table. Il s’en saisit, pris un crayon, puis chuchota doucement :
-
Raconte-moi ces souvenirs et je te les dessine.
La fillette releva la tête.
-
Tu ferrais ça pour moi ? demanda-t-elle.
-
C’est le moins que je puisse faire.
La petite fille se mit alors à raconter ses souvenirs d’une voix douce mais cassée par
des pleurs qu’elle ne pouvait arrêter.
-
Je me rappelle d’un jour. On était près de l’étang de Beauregard. Il faisait très
chaud ce jour-là et on se promenait dans la forêt pour chercher de la fraicheur.
Nous y sommes restées très longtemps, à regarder l’étang qui brillait. La nuit
est tombée doucement et nous avons pu voir le coucher du soleil. Il était si
beau ! Je crois que je n’ai jamais vu autant de teinte de rouge et rose en un
seul jour. Lorsqu’il a fait nuit, les canards de l’étang sont sortis doucement de
l’eau dans une magnifique petite procession. C’était tellement mignon ! Ils
passaient devant nous, les grands devant, les petits derrière, ils avaient l’air si
heureux ! Je me rappelle encore de ce moment là… Je me rappelle aussi du
jour où nous jouions au chat sur notre place. J’avais réussi à convaincre
Maman de participer et un moment, une dame est arrivée et Maman lui est
rentrée dedans.
La fillette esquissa un sourire.
-
Je ne me rappelle pas avoir autant rit de ma vie. Elle s’est indignée pendant
une bonne dizaine de minutes. Que c’était drôle ! Un autre jour, Maman
m’avait montré une pierre grise qui ressemblait beaucoup à un œuf. Elle me
disait qui si on le mettait au chaud, un poussin naîtrait. J’étais tellement
excitée ! Nous avons beaucoup attendu et …. Et rien ! Elle m’a alors avoué
que c’était sa blague du premier avril. J’étais si triste que Maman est allée
chercher un poussin à la ferme ! Je l’ai gardé jusqu’à ce qu’il soit trop grand.
On l’a ensuite ramenée dans la ferme.
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L’enfant regarda l’homme en souriant. Ses larmes s’était évaporée et son visage
reprenait des couleurs.
-
Je peux voir les dessins ?
-
Bien sûr, fit le soldat en lui présentant ses œuvres.
La fillette les examina et son cœur se chauffa doucement. L’un représentait un défilé
de petits canards, près d’un étang reflétant les couleurs du ciel. Un deuxième
montrait une petite fille en robe blanche toucher une dame dont on ne voyait pas les
traits. La fillette se les représenta très vite. Le souvenir de sa mère réveilla en elle
une bouffée de bonheur. Un troisième dessin montrait un petit poussin jaune d’or,
sortant d’un bel œuf. La fillette murmura :
-
Ils sont parfaits. Merci du fond du cœur.
-
Tu n’as pas à me remercier. Ca me fait plaisir de t’aider.
L’enfant sourit puis murmura :
-
Je vais m’en aller, je reviens demain.
-
Tu n’as donc pas de rancœur contre moi ? demanda l’homme.
La fillette réfléchit un instant.
-
Lorsque tu m’as fait du mal, ce n’était pas voulu. Tu viens de me faire du bien
avec tes dessins, c’était voulu. C’est le plus important, n’est-ce ?
-
Si tu le dis, fit simplement le soldat. »
Sur ces mots, la fillette prit congé de l’homme et sortit de la pièce. Elle revint les jours
suivants et la timidité qui l’habitait partit au fur et à mesure de ses visites.
Elle portait entre ses mains une feuille pliée en deux.
« Bonjour ! s’exclama l’enfant.
-
Bonjour, lui sourit l’homme.
Il fut surpris de la bonne humeur et de l’assurance de la fillette. Elle semblait avoir
oublié qu’il avait détruit sa ville et elle se comportait comme une personne rendant
visite à un malade.
-
Comme je sais que tu t’ennuies ici, je t’ai ramené une devinette, commença la
fillette.
-
Une devinette ? demanda l’homme, un peu intrigué.
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-
Oui, répondit la fillette. Quand Maman partait en voyage, elle m’envoyait des
lettres et elle me décrivait l’endroit où il était. Je devais deviner le lieu. Tu veux
bien le faire ?
Le soldat hocha la tête.
-
Pourquoi pas, fit-il.
-
Alors écoute-moi.
La fillette se mit alors à lire la lettre d’une voix douce.
« Ce qu’on sent d’abord ici, c’est le sel. Un sel doux et fin qui nous emplit les
poumons. L’air est à la fois vivifiant et caressant et il nous rappelle que la vie est ce
qu’il y a de plus vrai. Ce que l’on voit ensuite, ce sont les magnifiques collines de
craies, surmontées d’arbres verdoyants. Lorsque l’on s’avance jusqu’au bout des
rues, on peut la voir, la belle, la merveilleuse, l’insaisissable. Je veux parler de la
mer. Aujourd’hui, elle est sublime avec ses reflets bleus et vert et le soleil qui s’y
reflète. Elle est à la fois sauvage et accueillante, froide mais chaleureuse. Sur la
plage de sable fin, on peut lire des écritures maladroites :
Ligne d’horizon, vertige des profondeurs,
Galets grisés de victoire sable piquant,
Insaisissable je t’aime, en tous lieux et temps.
Je ne pense pas avoir besoin de vers pour te dire mon admiration pour la mer et à
quel point je regrette que tu ne la voies pas mais je te ramasse de beaux et fins
coquillages nacrés en souvenir.
As-tu deviné où je me trouve ?
Ta Maman qui t’aime. »
« Alors ? demanda la fillette. Tu as deviné ?
-
Je crois que oui. La Normandie ?
La fillette sourit.
-
C’est ça.
Elle regarda tristement l’homme.
-
J’y suis allée une fois, quelques mois après cette lettre. J’y étais si heureuse
avec ma mère. Je ne me rappelle pas avoir compris la définition du mot
bonheur un autre jour.
-
Et quelle est-elle cette définition ? demanda le soldat.
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Il y eu un cours silence.
-
Je ne sais rien, répondit la fillette. Je n’y ai jamais vraiment réfléchi.
-
Attends, on va bien voir, dit le blessé.
Sur ces paroles, le soldat appela l’infirmière et lui demanda un dictionnaire. Lorsqu’il
l’eut en sa possession, il en feuilleta les pages et finit par lire :
-
Etat de plénitude et de satisfaction complète.
-
Et ça veux dire quoi ça ? demanda la fillette
L’homme ne répondit pas. Il s’emparant d’une feuille de papier blanc puis marqua
dessus en lettres noir charbon Bonheur, nom masculin.
-
Ca veut dire que l’on va refaire cette définition qui ne signifie rien, déclara le
soldat. Tu m’as dit que c’était lorsque tu étais avec ta mère en Normandie qui
tu te sentais heureuse ? Que ressentais-tu ?
-
Je ne sais pas trop. Je regardais la mer avec ma mère et on mangeait du
chocolat. Il me racontait des blagues et des histoires drôles. Je me sentais
bien et maintenant… j’ai chaud au cœur à chaque fois que j’y repense. Est-ce
que ça te fait ça, à toi aussi ?
-
Oui, quand je me rappelle mon père qui me serrait fort dans ses bras ou
alors… lors de réunions de famille…
Le jeune homme resta silencieux, plongé dans ses pensées. Finalement, il prit son
crayon puis marqua quelques phrases sur le papier.
Père-mère-famille-mer-chocolat-chaud au cœur
Le bonheur, ce sont les mots d’une mère, les câlins d’un père, l’amour d’une famille,
la mer paisible, un gout de chocolat dans la bouche, de la chaleur qui emplit notre
cœur.
Il fit lire ces mots à la fillette.
-
Tu comprends mieux ce que c’est ? demanda-t-il.
-
C’est tout à fait ce que j’imagine, murmura la petite fille.
Ces yeux partirent dans le vague. Oui, c’était cela le bonheur. Mais comment le
retrouver lorsque l’on avait perdu un des éléments principaux ? Des larmes
commencèrent à couler le long de ses joues. La tristesse emplit son cœur de
regrets, de mal-être, de douleur. Elle aimait tant sa mère. Elle l’aimait tant et elle était
partie. Comme son père qu’elle n’avait jamais connu. Le soldat regarda la fillette
pleurer, encore une fois désemparé devant la tristesse de l’enfant.
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-
Que ce passe-t-il ? murmura l’homme doucement.
-
C’est juste que, commença la fillette entre deux sanglots. Mon père… Ma
mère… Ils sont partis pour de bons. Comment… Comment….faire ?
Le soldat prit le bras de la petite fille et chuchota :
-
Viens… Dans mes bras.
L’enfant se blottit entre le bras forts de l’homme.
-
Il y aura toujours quelqu’un pour toi. Pour te faire rire, pour te serrer dans ses
bras, pour t’aimer… Ne t’en fais pas, murmura le soldat. Je suis là maintenant.
-
Je sais, souffla la fillette, les larmes coulant sur ses joues pâles.
Le soldat prit alors la main de l’enfant et la serra très fort. Leurs regards se
croisèrent doucement. Les yeux bleus du soldat et les yeux noirs de la fillette se
fusionnèrent. Ils semblaient se sonder réciproquement, se transmettre des
messages. Ils étaient reliés par une force invisible qui paraissait indestructibles.
L’homme et la petite fille restèrent ainsi très longtemps, n’osant pas bouger de peur
de rompre ce sentiment fort qui les liait. Finalement, l’homme sourit.
-
Je n’ai jamais connu quelqu’un comme toi, fit-il.
La fillette ne sut que répondre à ce compliment qui la toucha au plus profond de son
cœur. Elle se contenta de serrer encore plus fort la main de l’homme.
La petite fille finit par quitter son ami. Elle revint chaque jour à la même heure, ce
rendez-vous devenant indispensable pour elle. Chaque jour, c’était quelque chose de
nouveau qui resserrait leur lien étroit. Chaque jour, le soldat reprenait gout à la vie et
ses sourires en étaient plus radieux. Chaque jour, c’était du bonheur qui les
réunissait et qui se blottissait contre eux.
Cependant, un jour où le temps était maussade, la fillette sentit l’homme soucieux. Il
ne parlait pas beaucoup et semblait préoccupé.
-
Que ce passe-t-il ? questionna la fillette.
L’homme regarda la fillette d’un air désolé :
-
J’ai pris une décision, fit-il.
-
Laquelle ? demanda la fillette qui commençait à s’inquiéter.
-
Je vais me livrer, articula-t-il lentement.
-
Pardon ? s’exclama l’enfant qui ne comprenait plus rien. Te livrer où ?
-
A la police.
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-
Quoi ! Mais pourquoi ? s’écria, la petite fille affolée.
-
Aurais-tu oublié que je suis responsable de cet incendie ?
La fillette écarquilla les yeux de surprise et de douleur.
-
Tu ne vas pas te livrer pour ça ?
-
Si. Comme cela, il y aura un responsable, j’irais en prison et je me sentirais en
paix avec moi-même.
-
Tu ne peux pas faire ça ! Non, non, non… Ne le fais pas, je t’en supplie.
Le soldat ne savait que dire pour rassurer la fillette sans lui mentir.
-
J’irais me livrer. Que tu le veuilles ou non. C’est pour mon bien.
La fillette, les yeux brillants de colère, se tourna vers la porte. Elle l’ouvrit brutalement
et, postée sur le seuil, elle s’exclama :
-
Et mon bien à moi, alors ? Tu as dit que tu serais toujours là, quoiqu’il arrive !
Comment peux-tu me faire ça ? Je te déteste !
Elle sortit en claquant la porte, laissant le soldat seul, et en larmes.
C’était le matin. Un matin brumeux et sans couleur. Un matin morne, aux mauvais
présages. Un matin comme il y en avait déjà eu des milliers.
La fillette était devant la porte de la chambre. Le poing qui la frôlait, elle semblait en
pleine réflexion. Son cœur battait fort dans sa poitrine et ses jambes tremblaient
d’angoisse. Finalement, elle frappa trois fois la porte.
Il n’y eu pas un bruit. Pas un souffle.
La petite fille recommença plus fort.
Toujours rien.
Une main se posa alors sur son épaule. L’enfant se retourna vivement. Une
infirmière se tenait devant elle.
-
Il est partit ce matin très tôt, fit-elle. Il ne te l’a pas dit ?
La question était superflue car la surprise et la douleur qui s’étalaient sur le visage de
la fillette semblaient immenses.
La fillette se mit à courir à travers les couloirs de l’hôpital.
Elle avait mal.
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Elle avait mal dans un endroit que l’on ne pouvait soigner. Elle avait mal dans les
moindres recoins de son esprit. Elle avait mal à son amour, détruit, éclaté, brisé par
le destin.
L’enfant savait où était l’homme. Il était parti au commissariat se livrer et elle ne
pouvait plus rien y faire. Le désespoir s’empara d’elle doucement, comme une main
cueillant une fleur. La fillette se mit à errer le long des rues. Sa vie n’avait plus aucun
sens. Elle avait perdu la raison qui la poussait à vivre le jour suivant. A force de
marcher, elle arriva aux abords de la gare de La Celle Saint Cloud. Là, elle s’assit sur
un banc et fondit en sanglot. Comment pouvait-on souffrir autant ? Comment pouvaiton ressentir cet atroce sentiment de tristesse ? Les larmes de la fillette tombaient en
grosses gouttes sur le sol. Elle avait l’impression que c’était sa vie qui partait avec
ses larmes, que plus ses larmes coulaient, plus sa douleur grossissait. Un couteau
planté dans le cœur n’aurait pas fait plus mal.
Soudain, elle eut une pensée qui surgit de son esprit embrumé. L’homme n’était pas
forcément encore aller au commissariat, il y avait une chance que…
La fillette sut alors où le soldat se trouvait. Elle en était certaine, une intuition
soudaine l’ayant prise. Elle courut. Elle courut de toutes ses forces, sans s’arrêter
une seule fois. Elle reverrait le soldat. Sa vie n’était pas terminée. Elle convaincrait
l’homme de ne pas se livrer. Ils vivraient heureux tous les deux. C’était aussi une
certitude.
Il était bien là, sur la place de l’église de Beauregard. Le soleil braquait ses rayons
dorés sur sa chevelure brune. Le ciel était clair, les nuages disparus. Les arbres
étaient verdoyants, les buissons ornés de boutons de fleurs jaune, rouge ou violet
dansaient au gré du vent. La fillette s’approcha de l’homme. Ce dernier lui sourit.
-
Je savais que tu viendrais, fit-il.
La petite fille, les yeux encore remplis de larmes, se jeta dans les bras de son ami et
pleura longuement, libérant toute la douleur et la tension qui l’habitait.
-
Il ne faut pas que tu partes, sanglota-t-elle. Reste avec moi.
-
Je ne le peux malheureusement pas.
La fillette sortit la tête des bras du soldat.
-
Pardon ? fit-elle d’une voix blanche.
-
J’irai expliquer les faits au commissariat mais je ne veux pas que ça te rendre
triste.
-
Ils… Ils te mettront en prison et ça, ça me rendra triste, murmura la fillette.
-
Viens avec moi, dit l’homme.
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-
Au commissariat ? demanda la petite fille.
-
Oui, répondit le soldat. Je ne sais pas ce qu’il adviendra après mais à deux,
on combattra toutes les épreuves, n’est-ce pas ?
L’enfant regarda son ami au fond des yeux. Elle lui prit doucement la main et souffla :
-
Oui. A deux, on est plus fort.
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