La condition de la femme au Sénégal

Transcription

La condition de la femme au Sénégal
La condition de la femme
au Sénégal
La condition féminine au Sénégal entre 1960
et 1980 dans trois romans sénégalais : Une si
longue lettre, La Grève des bàttu et Juletane
Anne Marijn Oord (s1689576)
Mémoire de fin d’études
Sous la direction de Mme dr. A.M. Guinoune
Département de langues et cultures romanes
Université de Groningen, février 2012
1
Table des matières
Remerciements
3
Introduction
4
I. Le cadre théorique
1. Le cadre historique
1.1 L’histoire de la colonisation et de la décolonisation française en Afrique
et la période des indépendances sur ce continent
1.2 L’histoire du Sénégal
2. Le cadre littéraire
2.1 La littérature francophone des écrivaines africaines
2.2 Trois genres et une approche
2.2.1 Trois genres : le roman historique, le roman épistolaire et
le journal intime
2.2.2 Une approche : la sociocritique
2.3 Les romans et leurs auteures
6
6
6
7
11
11
13
13
17
18
II. La mère et la fille au Sénégal
1. La maternité
2. La fille au sein de la famille
3. La fille à l’école
21
21
25
29
III. La femme sénégalaise
1. Le mariage
2. La polygamie
3. Le divorce
4. Le veuvage
34
34
42
48
52
Conclusion
56
Bibliographie
58
2
Remerciements
Avant tout, je tiens à remercier Anne-Marie Guinoune, ma directrice de mémoire. Elle a
éveillé mon intérêt pour la littérature francophone en Afrique et elle m’a aidée à mener à bien
ce travail. Je voudrais également remercier mon ami, qui a toujours su me motiver et qui m’a
accordée sa confiance en mes capacités.
3
Introduction
La littérature est une affaire sérieuse pour un pays,
elle est, au bout du compte, son visage.
Louis Aragon1
Comme disait si bien L. Aragon, il y a une forte relation entre la littérature et la société, le
visage d’une société est dessiné par la littérature. Elle est très importante, parce que grâce à
elle, l’homme peut faire connaissance avec une société et la regarder avec recul.
Les romans francophones des écrivaines sénégalaises entre 1960 et 1980 décrivent la
condition féminine au Sénégal. L’accession à la souveraineté nationale du Sénégal en 1960, a
provoqué des changements sociaux qui affectent l’univers de la femme dans la vie
quotidienne. Il est intéressant d’examiner son évolution à l’aide des romans, parce que les
romancières sénégalaises, porte-paroles de leurs consœurs, décrivent la vie des femmes en
abordant des sujets qui les touchent tels que la stérilité, la polygamie et le divorce.
Dans ce mémoire de fin d’études, nous nous proposons d’examiner la condition de la femme
au Sénégal entre 1960, l’année pendant laquelle le pays a acquis son indépendance, et 1980,
l’année pendant laquelle vingt ans se sont écoulés pendant lesquels la femme a changé de
position. La question centrale de ce mémoire est : « Comment la littérature sénégalaise
présente-t-elle la condition féminine au Sénégal entre 1960 et 1980 et son évolution ? ». Pour
y répondre, nous analysons trois romans qui traitent la situation de la Sénégalaise après
l’acquisition de l’indépendance du pays : Une si longue lettre (1979) de Mariama Bâ, La
Grève des bàttu (1979) d’Aminata Sow Fall et Juletane (1982) de Myriam Warner-Vieyra.
Avant de commencer l’analyse des romans, nous présenterons un cadre théorique
composé d’un cadre historique et d’un cadre littéraire. Dans le premier, nous aborderons
l’histoire de la colonisation et de la décolonisation française en Afrique et la période des
indépendances sur ce continent ainsi que rapidement l’histoire du Sénégal. En effet, afin de
comprendre la condition féminine, il est important d’avoir un aperçu des événements
1
ARAGON, Louis (1897 – 1982), J’abats mon jeu (1959),
http://books.google.fr/books?id=TpxcAAAAMAAJ&q=J'abats+mon+jeu&dq=J'abats+mon+jeu&hl=fr&sa=X&
ei=zBgxT--uGsbO0QWA4r2wBw&ved=0CDgQ6AEwAA, consulté le 7 février 2012.
4
historiques et politiques les plus importants qui ont eu lieu en Afrique, et en particulier, au
Sénégal. Dans le cadre littéraire, nous traiterons le développement de la littérature
francophone des écrivaines africaines pour comprendre le contexte littéraire dans lequel ont
été écrits ces romans. Puis, nous insisterons sur le choix des genres et de l’approche des
romans avant d’aborder brièvement le contenu des œuvres et leurs auteures. Dans notre
analyse, qui est constituée de deux parties, nous présenterons d’abord la mère et la fille au
Sénégal et le rapport entre elles en insistant sur la maternité, la fille au sein de la famille et la
fille à l’école. Il ne nous était pas possible de traiter la fille en dehors du contexte maternel,
car c’est au sein de la maternité que se dessine la femme adulte à venir. Ensuite, nous
aborderons la condition de la femme adulte en traitant quatre phénomènes importants dans la
vie de la Sénégalaise : le mariage, la polygamie, le divorce et le veuvage.
Le but de ce mémoire est de montrer comment la littérature sénégalaise reflète la
condition de la femme au Sénégal entre 1960 et 1980, et surtout son évolution. Commençons
par un peu d’histoire.
5
I. Le cadre théorique
1. Le cadre historique
1.1 L’histoire de la colonisation et de la décolonisation française en Afrique et la
période des indépendances sur ce continent
Pour mieux aborder l’univers des trois romancières de notre étude, il faut se pencher sur le
pays d’où elles écrivent : le Sénégal. Colonisé par les Français au dix-neuvième siècle, le
Sénégal a acquis son indépendance en 1960. Nous traiterons dans ce premier paragraphe
l’histoire de la colonisation et de la décolonisation française. C’est une histoire complexe à
cause du caractère discontinu de l’expansion coloniale française, mais nous essayerons en
premier de tracer les lignes les plus importantes de l’évolution territoriale française en
Afrique. Ensuite, nous aborderons brièvement la période des indépendances, avant de
présenter la situation particulière du Sénégal.
À partir du milieu du seizième siècle, la France, comme d’autres pays européens, se lançait
dans la conquête de nouveaux territoires. Au dix-septième et dix-huitième siècle, le domaine
colonial français continuait à s’étendre. Ce premier empire colonial français connaissait son
apogée en 1754 avec 30 millions d’habitants. Mais à un certain moment, la colonisation se
heurtait à des multiples obstacles, comme les conflits franco-britanniques, qui menaient à la
perte de colonies.2
Au cours du dix-neuvième siècle, la colonisation a repris fortement, on parle d’une
‘révolution coloniale’. La France formait un second empire colonial et devenait une des
grandes puissances européennes. Dans ce siècle, beaucoup de pays africains ont été colonisés
par la France, entre autres la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Sénégal. La formation
du grand empire français avait lieu notamment entre 1870 et 1920 environ. Cet impérialisme
français reposait sur des intérêts financiers et industriels et était coloré d’un certain
nationalisme. L’invasion était souvent légitimée au nom d’une mission civilisatrice et elle
2
Nous nous inspirons du travail de Xavier Yacono en ce qui concerne l’histoire de la colonisation française :
YACONO, Xavier, Histoire de la colonisation française, Presses Universitaires de France, Paris, 1969.
6
était considérée sous l’angle de la puissance, des affaires, mais aussi du progrès.3 En 1931,
l’empire français a atteint une ampleur énorme avec 65 millions d’habitants.
Les premiers mouvements nationalistes se manifestaient vers 19304, cependant c’est
surtout après la seconde guerre mondiale (1939 – 1945), conflit qui entamait gravement le
prestige de la métropole, que ces mouvements devenaient de plus en plus importants et que
les peuples commençaient à lutter pour leur indépendance.
1960 sert d’année charnière, car elle marque l’indépendance d’un grand nombre d’États
africains. Du 1er janvier au 28 novembre 1960, 18 pays d’Afrique noire, dont 14 anciennes
colonies françaises accédaient à l’indépendance de manière pacifique5. Le processus
d’indépendance était à première vue homogène, mais en réalité il a recouvert des situations
différentes. Le paragraphe suivant présentera l’histoire d’un des pays africains qui a obtenu
son indépendance en 1960, le Sénégal.
1.2 L’histoire du Sénégal
Dans ce mémoire, nous examinerons la condition féminine au Sénégal à partir de la période
des indépendances (1960) jusqu’aux années 1980. Pour mieux la comprendre, nous
présentons les événements historiques et politiques les plus importants qui ont eu lieu au
Sénégal entre 1960 et aujourd’hui. En introduction, nous voudrions tout d’abord présenter
l’histoire du Sénégal précolonial et colonial en revue (quinzième siècle – 1960), pour
expliquer brièvement comment le Sénégal s’est développé en un pays indépendant.
Le Sénégal, officiellement nommé la République du Sénégal, est un pays d’Afrique de
l’Ouest, qui appartient à l’Afrique subsaharienne. La Gambie forme une quasi-enclave au
Sénégal et les îles du Cap-Vert sont situées à 560 kilomètres de la côte sénégalaise. Le pays
doit son nom au fleuve qui le borde à l’est et au nord et qui prend sa source en Guinée.
3
Kathleen Fallon: FALLON, Kathleen M., Democracy and the Rise of Women’s Movements in Sub-Saharan
Africa, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, les États-Unis, 2008, p. 22.
4
Voir Xavier Yacono en ce qui concerne les étapes de la décolonisation française : YACONO, Xavier, Les
étapes de la décolonisation française, Presses Universitaires de France, Paris, sixième édition corrigée : 1994,
première édition : 1971.
5
« Indépendance de l’Afrique noire française », http://www.universalis.fr/encyclopedie/independance-de-lafrique-noire-francaise, consulté le 4 octobre 2011.
7
L’histoire du Sénégal précolonial est surtout caractérisée par l’existence de royaumes
ou d’États qui ont été progressivement morcelés. Les premiers échanges commerciaux avec
l’Europe avaient lieu lorsque les Portugais atteignaient l’embouchure du Sénégal et le CapVert en 1444. Le quinzième siècle se caractérise par la chute des anciens royaumes
sénégalais. C’est à partir de 1600 que les Français et les Hollandais chassaient les Portugais.
En 1677, les Français devenaient définitivement maîtres du Sénégal avec la prise de Gorée
que les Anglais tenteront de prendre jusqu’en 1815. Malgré la rivalité franco-britannique et
de nombreux conflits, de la fin du dix-septième siècle et durant tout le dix-huitième siècle,
l’influence française s’étendait.
À partir de 1850, les Français ont changé leur politique économique au Sénégal.
L’espace sénégambien est devenu un objet de conquête et tout le littoral compris entre les
fleuves Sénégal et Saloum est passé sous la domination française. Après 1876, l’expansion
coloniale est fortement accélérée. Pour les Français, il s’agissait surtout d’atteindre le fleuve
Niger, ce qui impliquait avoir un contrôle total du Sénégal. En 1895, le Sénégal est devenu
officiellement une colonie française et on assiste à la création de l’Afrique occidentale
française (AOF). Jusqu’en 1945, l’organisation politique du Sénégal était une illustration
parfaite de « l’ordre colonial ».
Après la seconde guerre mondiale, une assemblée territoriale a été créée au Sénégal,
qui a reçu le statut de territoire d’outre-mer (TOM). À partir de ce moment, tous les habitants
majeurs de la colonie avaient le droit de vote. En 1958, le Sénégal a obtenu le statut de
république autonome. Étant associés au sein de la Fédération du Mali depuis janvier 1959, le
Soudan et le Sénégal demandaient l’indépendance qu’ils obtenaient ensemble dans un cadre
unitaire en avril 1960. Mais la Fédération du Mali éclatait et le 20 août 1960, l’Assemblée
sénégalaise a proclamé l’indépendance du pays.
C’est à partir de cette date jusqu’à nos jours que nous examinons la condition féminine au
Sénégal. Après l’acquisition de l’indépendance en 1960, les difficultés au Sénégal, au delà de
la liesse populaire, étaient grandes. Ce pays était indépendant sur papier, mais il n’était pas
stable politiquement.
En 1960, Léopold Sédar Senghor a été élu président de la République sénégalaise et
en 1963, une nouvelle constitution a été approuvée par les électeurs. Senghor, poète reconnu
en France, était pour une proche collaboration avec la France. Il dirigeait l’Union Progressiste
Sénégalaise (UPS), qui se transformait plus tard en Parti socialiste (PS, se proclamant
« socialiste et démocratique »). Au cours des années 1970, l’établissement d’institutions
8
démocratiques et du multipartisme a été mis en place. En 1974, le Parti Démocratique
Sénégalais (PDS, se proclamant « libéral et démocratique), un mouvement qui s’oppose au
Parti socialiste, a été créé par Abdoulaye Wade. En 1976, Senghor a instauré le multipartisme
limité à trois composantes. Le premier président du Sénégal a été réélu régulièrement
jusqu’en 1978 et il a démissionné en 1980.
En 1981, Abdou Diouf, ancien premier ministre qui était également membre du parti
socialiste, devenait le nouveau chef de l’État. Il a été réélu en 1983, en 1988 et en 1993. En
1981, le Sénégal a adopté le « multipartisme intégral »6. À partir de ce moment, une
quinzaine de partis politiques a été créée et tout l’enjeu politique était d’arriver à faire
fonctionner les institutions et à jouer la règle de l’alternance démocratique dans la
transparence. Abdou Diouf était pour une libéralisation de l’économie sénégalaise, mais sous
sa présidence il y eut des troubles politiques. Pendant les années 1980, il y avait une crise
économique, qui était entre autres la cause pour le chômage des diplômés et pour une
paupérisation croissante. Un mot d’ordre lancé par son opposant politique, Abdoulaye Wade,
cristallisait tous les mécontentements : « sopi », qui signifie « changement » en wolof.
Malgré que Abdoulaye Wade soit devenu de plus en plus populaire, il a perdu quand-même
les élections en 1988. D’innombrables irrégularités provoquaient une explosion de colère et
des émeutes violentes. Lors des élections présidentielles de 1993, le scénario se renouvelait
pratiquement à l’identique. Après des problèmes liés à la loi électorale, le code électoral a été
modifié en 1998. Diouf a accepté sa défaite en 2000 face à son rival de toujours, Abdoulaye
Wade.
Abdoulaye Wade est devenu le troisième président du Sénégal. Après quarante ans de
domination du Parti socialiste, Wade incarne le désir du changement au sein de la population
sénégalaise. Depuis son arrivée au pouvoir, Wade a modifié plusieurs fois la constitution sans
aucune consultation ni validation des chambres parlementaires. L’opposition du Parti
socialiste était très forte, cependant Wade a été réélu en 2007. Pendant sa gouvernance, Wade
6
« Sénégal : situation institutionnelle, http://www.etat.sciencespobordeaux.fr/institutionnel/senegal.html,
consulté le 2 octobre 2011.
9
parle beaucoup du panafricanisme7, ainsi exprimé en 2010 : Le temps du décollage est arrivé,
il est temps de mettre en place les Etats-Unis d’Afrique.8
Quand on passe en revue aujourd’hui les cinquante-deux ans pendant lesquels le Sénégal est
un pays indépendant, nous pouvons constater tout d’abord que depuis 1960, l’influence de la
France a diminué au Sénégal, surtout à partir des années 1980/1990. Pourtant, la France a
conservé des liens étroits avec ses anciennes colonies, notamment grâce à une politique de
coopération économique. Dans son article, Chem Eddine Chitour parle d’un « colonialisme à
distance »9.
En passant en revue le demi-siècle de l’indépendance, nous pouvons observer
deuxièmement que les Sénégalais pensent différemment à propos du bilan des décennies
passées. Les uns trouvent que le Sénégal a bien réussi comme pays africain indépendant. Les
autres estiment que l’indépendance d’un pays n’est pas que politique, car selon eux si vous
n’avez pas les moyens de votre développement économique, s’il vous faut compter sur l’aide
extérieure pour votre subsistance, votre souveraineté n’est pas totale10. Pour d’autres enfin,
tel Mamadou Diouf11 , le Sénégal a réussi partiellement comme pays indépendant et
démocratique.
La société sénégalaise sera observée plus profondément dans le développement, à
travers la vision des auteures choisies, mais il était important de présenter l’évolution
politique de ce pays pour mieux saisir la réalité sociale.
7
Le panafricanisme se définit comme le mouvement politique et culturel qui vise à unir les Africains et les
descendants d’Africains hors d’Afrique et à régénérer l’Afrique, ainsi qu’à encourager un sentiment de solidarité
entre les populations du monde africain.
8
« L’Afrique inaugure à Dakar le monument de sa ‘Renaissance’ », RFI, le 3 avril 2010,
http://www.rfi.fr/contenu/20100403-afrique-inaugure-dakar-le-monument-renaissance, consulté le 2 octobre
2011.
9
CHITOUR, Chems Eddine, « 50 ans après le changement de dépendance, L’échec de l’Afrique », le 24 mai
2010, http://www.afrique-actu.com/article-50-ans-apres-les-independances-l-echec-de-l-afrique-51019011.html,
consulté le 3 octobre 2011.
10
HUGEUX, Vincent, « Abdoulaye Wade veut tout ramener à lui », le 10 juillet 2010,
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/abdoulaye-wade-veut-tout-ramener-a-lui_904928.html, consulté
le 3 octobre 2011.
11
Mamadou Diouf est professeur d’histoire africaine et directeur de l’Institut d’études africaines à l’université
Columbia de New York depuis juillet 2007. Il analyse l’évolution politique et économique du Sénégal de ces
dernières années.
10
2. Le cadre littéraire
2.1 La littérature francophone des écrivaines africaines
Trois romans francophones d’écrivaines africaines : Une si longue lettre (1979) de Mariama
Bâ, La grève des bàttu (1979) d’Aminata Sow Fall et Juletane (1982) de Myriam WarnerVieyra vont nous permettre d’examiner la condition féminine au Sénégal. Pour mieux
comprendre le contexte littéraire dans lequel ont été écrits ces romans, nous aborderons dans
ce premier paragraphe du cadre littéraire le développement de la littérature francophone des
écrivaines africaines.
De nombreux critiques sont unanimes pour fixer les débuts de la littérature francophone des
écrivaines africaines avec la proclamation de l’année de la femme, soit 1975, mais Pierrette
Herzberger-Fofana, affirme que les premières publications remontent à l’année 1942.12 Selon
cette chercheuse, il y a, à partir de cette date, un nombre impressionnant de jeunes femmes
africaines qui s’adonnent à la littérature sous forme de récits, de contes, d’articles ou de
traductions de mélopées africaines. Cela prouve que le désir de manier la plume est ancré
dans l’esprit de nombreuses Africaines. Cette nouvelle vague de 1942 a été causée par un
débat organisé par l’hebdomadaire Dakar-Jeunesse autour du thème « culture francoafricaine ». Des voix féminines ont émis leur ressentiment, mais surtout elles ont décrit la
lutte qu’il leur a fallu mener sur plusieurs fronts.
Pourtant, les femmes étaient tenues à l’écart des activités littéraires et personne ne sait
vraiment combien de poèmes, de récits et de lettres ont été produits par des femmes à
l’époque coloniale.13 « Les Archives Nationales du Sénégal » et « Le Centre de
Documentation de Saint Louis », où sont conservés les documents relatifs à l’ancienne
Afrique occidentale française, ne mentionnent aucun nom d’écrivaine africaine des années
1940. Ces deux institutions passent sous silence le rôle de toutes celles qui ont essayé de
transcrire leurs pensées sous forme de publication. L’historienne Marie Rodet a dit dans ce
contexte que :
12
HERZBERGER-FOFANA, Pierrette, Littérature féminine francophone d’Afrique noire, suivi d’un
dictionnaire des romancières, L’Harmattan, Paris, 2000, p. 35.
13
VOLET, Jean-Marie, « L’Afrique écrite au féminin, Que sont les écrivaines de jadis devenues ? », le 8 février
2008, http://aflit.arts.uwa.edu.au/colonies_20e_afr.html, consulté le 21 octobre 2011.
11
Les archives coloniales ont essentiellement été produites par des hommes qui, dans leur projet de
domination coloniale, ne sont finalement que peu intéressés aux femmes (…), considérées uniquement
en fonction de la famille et de leur fonction reproductive, et non en tant qu’individus.14
À partir de 1960, l’année de l’accession à la souveraineté nationale de la
plupart des pays africains, la littérature féminine africaine devenait la manifestation d’un acte
de libération fondamental par rapport à des systèmes qui n’ont pas toujours donné à la femme
la possibilité de s’exprimer et de s’éduquer à l’exemple des hommes. 15 On doit attendre 1969
pour voir publier le premier véritable roman rédigé par une femme camerounaise, Thérèse
Kuoh-Moukoury : Rencontres essentielles. À partir de cette date, de plus en plus de poèmes
et de contes ont été publiés.
L’année internationale de la femme en 1975 donne naissance à plusieurs romans de
différentes aires culturelles. On peut parler d’une insurrection culturelle : l’ascension des
femmes dans un domaine jusqu’alors réservé aux hommes. Grâce aux médias, de nombreuses
féministes africaines ont pu élever leurs voix pour revendiquer leurs droits et pour présenter
leurs œuvres littéraires. À partir de 1975, les romans écrits par des écrivaines africaines se
succèdent à une cadence régulière. L’explication pour laquelle les femmes africaines sont
entrées tardivement en littérature est entre autres que les filles allaient jusque là rarement à
l’école, les Africaines ne savaient pas lire et écrire.16
Selon René Audet, les années 1990, la période pendant laquelle les luttes féminines
devenaient de plus en plus nombreuses, peuvent être considérées comme celles du triomphe
de la littérature féminine africaine francophone, car plusieurs œuvres ont éveillé l’attention
du public international.17 Beaucoup de ces romans, écrits par des écrivaines africaines, sont
devenus en un laps de temps court des best-sellers de la littérature, comme ceux d’Aminata
Sow Fall et de Ken Bugul. On peut affirmer que la littérature francophone des écrivaines
africaines est vraiment sortie de l’ombre et ne peut plus être considérée comme une littérature
marginale. Actuellement, on compte une centaine d’écrivaines originaires de l’Afrique
14
RODET, Marie, « Réflexions sur l’utilisation des sources coloniales pour retracer l’histoire du travail des
femmes au Soudan français (1919-1946) », Études africaines/état des lieux et des savoirs en France, 1re
Rencontre du Réseau des études africaines en France, Paris, novembre 2006, http://www.etudesafricaines.cnrs.fr/ficheatliers.php?recordID=46, consulté le 21 octobre 2011.
15
NDINDA, Joseph, « Femmes africaines en littérature, Aperçu panoramique et diachronique », Palabres,
Revue d’Études Africaines, Vol. III, no. 1. 2000, p. 28.
16
NDIAYE, Eugénie Rokhaya Aw, Femmes au Sénégal, Les Cahiers de l’Alternance, no. 10, décembre 2006,
Centre d’études des sciences et techniques de l’information, Partenariat : Fondation Konrad Adenauer.
17
AUDET, René, « Littérature féminine francophone d’Afrique noire », le 19 mars 2002,
http://www.fabula.org/actualites/litterature-feminine-francophone-d-afrique-noire_3626.php, consulté le 19
octobre 2011.
12
subsaharienne francophone à avoir publié un roman. Le nombre s’élève encore plus si l’on
tient compte des recueils de poésie, contes, pièces de théâtre et livres pour enfants.
Le roman africain francophone au féminin des années 1980 et 1990, présente l’état
des sociétés africaines de cette époque et il exprime son désenchantement général face au
tableau inquiétant d’une Afrique postcoloniale, qui est, entre autres, marquée par la
corruption, les guerres civiles, les conflits de pouvoir, l’effondrement du système économique
et les difficultés de l’enseignement. Les œuvres des romancières africaines traitent des
thèmes divers, comme le conflit entre la tradition et le modernisme, la domination de
l’homme, la liberté de la femme, les mariages forcés, la polygamie, l’éducation, la maternité,
la stérilité, la mendicité, les diverses formes de violence, l’émigration, la prostitution, la quête
d’identité et la folie.
Dans la plupart des cas, la littérature des Sénégalaises reflète leur condition féminine
et elle est souvent vue comme une arme pour exprimer le désir de changement des sociétés et
des mentalités. En d’autres mots, les écrivaines africaines s’engagent littérairement.
2.2 Trois genres et une approche
La littérature francophone des écrivaines africaines reflète l’évolution de la condition des
femmes au Sénégal, mais elle sert aussi à informer, à faire réfléchir et à moraliser les lecteurs.
Pour cela l’écrivaine choisit une perspective en utilisant un certain genre. Dans ce
paragraphe, nous présenterons trois genres littéraires, le roman historique, le roman
épistolaire et le journal intime, et une approche globale, la sociocritique.
2.2.1 Trois genres : le roman historique, le roman épistolaire et le journal intime
Une si longue lettre, La grève des bàttu et Juletane ne sont pas des vrais romans historiques,
parce qu’ils ne remplissent pas toutes les conditions liées à ce genre, entre autres ils n’ont pas
un décalage de cinquante années ou de deux générations entre les événements historiques et
la date de publication du roman. Pourtant, les trois romans obéissent à la définition suivante
du roman historique : le roman historique est un roman, donc une fiction, qui a pour toile de
fond un épisode (souvent majeur) de l’Histoire ou d’une période historique et met en scène
13
des grandes figures ou des anonymes (réels ou majeurs) de ce temps.18 Dans ces romans, la
période historique est celle qui s’étend des indépendances (1960) jusqu’aux années 1980.
Mais qu’est-ce que le roman historique ? L’Écossais Walter Scott (1771 – 1832), qui
connaissait un succès énorme au début de l’époque romantique, est le précurseur du roman
historique. Le roman avec des caractéristiques historiques apparaissait pour la première fois à
la fin du dix-septième siècle, mais le genre du roman historique est né vraiment au début du
dix-neuvième siècle, le siècle dans lequel on voyait surgir l’histoire nationale, avec des
historiens connus. Il connaît son apogée à la fin du dix-neuvième siècle et au début du
vingtième siècle, et il existe toujours. Les sujets des romans historiques du vingtième siècle
ont souvent des liens avec les bouleversements historiques, telle que par exemple la
décolonisation. Gerard Gengembre nous a appris que l’Histoire est d’une importance capitale
dans la vie intellectuelle, parce qu’elle permet souvent d’expliquer le présent en se tournant
sur le passé, ou inversement.19
Le roman historique mêle le réel et le fictif : Le roman historique prétend donner une
image fidèle d’un passé précis, par l’intermédiaire d’une fiction mettant en scène des
comportements, des mentalités, éventuellement des personnages réellement historiques.20
Dans les trois romans examinés, les écrivaines puisent leur inspiration dans les faits sociaux
au Sénégal, qui leur servent de points de réflexion pour transmettre leur message sur la
condition féminine. Autour de cette condition des femmes bien réelle, les différentes « petites
histoires » sont principalement fictives.
Le roman historique est tributaire de la relation de l’auteur à son époque et à sa
société. Il rapporte également l’idéologie de l’auteur, car en choisissant une orientation plus
ou moins manifeste, il dit ou il tait ce qui lui correspond personnellement.
Actuellement, la popularité du roman historique s’est beaucoup tournée vers la
littérature pour la jeunesse, un genre devenu très florissant et qui se prête aux adaptions
cinématographiques. Le roman historique s’accommode d’une grande variété de tons ou de
constructions narratives, par exemple on peut le combiner au roman d’aventures, au roman
d’initiation, au roman fantastique et au roman policier. Dans Une si longue lettre, Mariama
Bâ combine le roman historique au roman épistolaire, le genre que nous aborderons dans la
partie suivante.
18
« Les genres littéraires », http://au.fil.de.mes.lectures.over-blog.fr/article-10387698.html, consulté le 2
novembre 2011.
19
GENGEMBRE, G., Le roman historique, Klincksieck, Paris, 2006, p. 52.
20
MADALENAT, D., « Roman historique », dans : Dictionnaire des littératures de langue française, Bordas,
Paris, 1994, p. 2136.
14
J’ai voulu donner à l’œuvre une forme originale au lieu de faire l’éternel roman qui commence par
‘je’ ou qui débute par ‘il y avait’. J’ai voulu une forme originelle et adorable et comme ce sont deux
femmes, je crois que le procédé de la lettre se prête mieux à la voix de la confidence.21
Ainsi Mariama Bâ explique-t-elle son choix pour le roman épistolaire, un genre littéraire qui
semble être le domaine privilégié des femmes qui jouent un rôle primordial dans la diffusion
du roman sentimental.
Le roman épistolaire est un genre littéraire dans lequel le récit se compose d’une
correspondance fictive entre un ou plusieurs personnages.22 Généralement, les chapitres de
ces romans sont organisés à l’aide des lettres écrites par les personnages. La lettre est le
moteur du récit, elle sert de véhicule à la narration en constituant un récit discontinu.
Le roman épistolaire existe depuis la naissance du roman. Au dix-septième et au dixhuitième siècle, ce genre littéraire devenait de plus en plus populaire en France. Mais
contrairement à la France, le roman épistolaire connaît peu d’adeptes dans la littérature
francophone des écrivaines africaines. Mariama Bâ était le premier auteur africain qui
exploitait à fond les ressources du roman épistolaire.
Le roman épistolaire se caractérise par une double énonciation : chaque lettre
s’adresse à un correspondant particulier en même temps qu’au lecteur. Il renforce l’effet de
réel en donnant au lecteur le sentiment de s’introduire dans l’intimité des personnages à leur
insu. Le genre permet une grande variété de tons et d’écriture en accordant à chaque
personnage son propre style. L’usage des lettres autorise l’auteur à rester en retrait, voire à se
placer comme simple intermédiaire.
La lettre communique un message, une nouvelle ou des informations. Selon Abiola
Irele, les lettres de Ramatoulaye offrent : a testimony of the female condition in Africa, while
giving that testimony a true imaginative depth23, elle exprime aussi les sentiments et les
réflexions du narrateur. Cette définition s’applique aux lettres de Ramatoulaye qui
représentent selon elle-même : un point d’appui dans mon désarroi.24 En décrivant les
événements qu’elle a vécus, Ramatoulaye essaie d’ordonner ses pensées et de se fixer une
ligne de conduite, mais surtout elle veut surmonter sa douleur. En plus, la lettre, malgré sa
portée subjective et personnelle, peut se transformer en un texte de critique sociale objective
21
HERZBERGER-FOFANA, Ibid, p. 56.
« Roman épistolaire », http://www.roman-historique.fr/2011/09/roman-epistolaire, consulté le 11 octobre
2011.
23
IRELE, Abiola, « Une si longue lettre : Review » dans : West Africa 14, p. 107.
24
BÂ, Mariama, Une si longue lettre, Groupe Privat/Le Rocher, Paris, 2005, Collection Motifs no. 137,
première publication : 1979, Les Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, p. 7.
22
15
et élargir ainsi le débat. Dans le journal intime, le genre que nous traiterons dans la partie
suivante, l’auteur essaie également d’ordonner ses pensées.
Selon Philippe Lejeune, spécialiste du journal intime et de l’autobiographie, le journal intime
est un vrai genre littéraire, faisant partie de l’autobiographie, parce que selon lui, il est une
sorte de recherche historique, psychologique et anthropologique.25 En outre, Lejeune
considère la rédaction d’un journal intime comme une construction culturelle et littéraire.
Certains critiques littéraires doutent de la valeur du journal intime comme genre littéraire,
parce qu’il utilise d’abord une écriture ordinaire, qui semble être sans arrière-pensée. Son but
principal est d’aider celui qui écrit à trouver son chemin. En d’autres mots, il est une pratique
de vie. Deuxièmement, le journal intime est, comme son nom l’indique, écrit pour rester
secret et non pour être publié. Il n’arrive dans ce monde que si tel est le vœu de l’auteur.
Le journal intime est né au début du dix-neuvième siècle. Avant le vingtième siècle, il
était souvent considéré comme un genre mineur, pratiqué par « des individus
psychologiquement suspects »26. Le journal intime d’Anne Frank, qui témoigne de la vie
d’une enfant juive pendant la deuxième guerre mondiale, a changé ce point de vue.
Actuellement, ce genre littéraire est populaire et il s’est modernisé en prenant la forme des
blogs sur internet et autres réseaux sociaux.
Un journal intime contient des notes journalières sur des événements personnels, des
émotions, des sentiments et des réflexions intimes de son auteur. Ce genre littéraire peut être
une bonne manière pour ordonner des pensées comme Myriam Warner-Vieyra décrit dans
Juletane : C’est tout de même une assez curieuse idée qui m’est venue depuis quelques jours,
d’écrire un journal de ma vie. C’est une façon comme une autre de m’occuper et peut-être
une bonne thérapeutique pour mes angoisses.27 Le journal intime a la particularité d’être
rédigé régulièrement, souvent à un rythme quotidien, et il est souvent daté.
La tendance à l’autobiographie caractérise tous les récits d’écrivaines africaines, parce
que les auteures prennent conscience de leur moi propre et tendent d’exprimer leurs
expériences personnelles par écrit. Pour les écrivaines africaines, comme Myriam Warner-
25
Philippe Lejeune dans : JEANNELLE, Jean-Louis, « Le journal intime, genre littéraire et écriture ordinaire »,
le 29 novembre 2004, http://www.fabula.org/actualites/le-journal-intime-genre-litteraire-et-ecritureordinaire_9860.php, consulté le 28 octobre 2011.
26
JEANNELLE, Ibid.
27
WARNER-VIEYRA, Myriam, Juletane, Collection écrits, Éditions Présence Africaine, Paris, 2008, première
publication, 1982, p. 93.
16
Vieyra, il s’agissait de rétablir la véritable image de la femme africaine, vue de l’intérieur, et
non pas décrite à travers les yeux de l’homme africain ou européen.
2.2.2 Une approche : la sociocritique
L’idée de la sociocritique est « d’expliquer » la littérature et le fait littéraire par les sociétés
qui les produisent, qui les reçoivent et qui les consomment.28 La sociocritique désigne la
lecture de l’historique, du social, de l’idéologique, du culturel dans cette configuration
étrange qu’est le texte.29 La littérature et la sociocritique n’existeraient pas sans le réel,
comme le dit Louis-Gabriel-Ambroise, vicomte de Bonald (1754 – 1840), essayiste politique
français: La littérature est l’expression de la société.30. Cela veut dire que la littérature prend
sa place dans l’ensemble des phénomènes et des pratiques socio-historiques.
Au début du dix-neuvième siècle, à l’époque où se développaient les sciences
sociales, l’étude qui concerne les rapports entre la littérature et la société s’est constituée en
discipline. Ayant en tête la Révolution française, on était persuadé d’avoir trouvé le secret du
fonctionnement et du mouvement des sociétés, mais la Révolution entraînait en même temps
beaucoup de questions à cause des différentes contradictions, sur lesquelles se penchait la
littérature.31 Pour beaucoup d’écrivains du dix-neuvième siècle, la littérature n’était plus un
art mais « une arme pour agir et pour comprendre ».32 De nombreux auteurs comme Madame
de Staël (1766 – 1817) et Châteaubriand (1768 – 1848) se sont penchés sur les rapports entre
la littérature et la société. C’est à partir de l’année 1789 que la question du « quoi écrire ? »
gagne du terrain par rapport à celle du « comment écrire ? »33 Avant cette date, il était plus
difficile de s’engager littérairement à cause de la censure.
Pour analyser Une si longue lettre de Mariama Bâ, La Grève des bàttu d’Aminata
Sow Fall et Juletane de Myriam Warner-Vieyra, nous proposons l’approche sociocritique,
qui nous permet de comprendre un texte littéraire à l’aide de son contexte social.
28
BARBÉRIS, Pierre, « La sociocritique », dans : Méthodes critiques pour l’analyse littéraire, sous la direction
de Daniel Bergez, Lettres SUP, Paris, Nathan/VUEF, 2002, p. 151-153.
29
BARBÉRIS, Ibid, p. 153.
30
BARBÉRIS, Ibid, p. 155.
31
BARBÉRIS, Ibid, p. 151.
32
ESCARPIT, Robert, Sociologie de la littérature, Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, 1978, p. 127.
33
BARBÉRIS, Ibid, p. 159.
17
2.3 Les romans et leurs auteures
Une si longue lettre (1979) de Mariama Bâ réfléchit à la condition des femmes et aux
problèmes de la société sénégalaise, après l’indépendance. Bâ écrit, entre autres, sur la
domination de l’homme, les mariages forcés et la polygamie. Dans Une si longue lettre, la
narratrice, Ramatoulaye Fall, adresse une lettre à sa meilleure amie, Aïssatou Bâ, après la
mort de son mari, Modou Fall. Dans cette correspondance, Ramatoulaye raconte le décès de
son mari, les cérémonies funéraires et la réclusion traditionnelle de 40 jours qui suit le
veuvage. En outre, elle évoque des souvenirs communs du passé, leurs destins croisés, leurs
souffrances, leurs déceptions et leurs espoirs.
Mariama Bâ est née en 1929 au Sénégal et elle est décédée en 1981. Orpheline de
mère, elle recevait l’éducation traditionnelle et pieuse de ses grands-parents dans un milieu
musulman, à l’époque où son père était le ministre de la Santé au Sénégal. Bâ fréquentait une
école française où elle se fait remarquer par d’excellents résultats. C’est ainsi qu’elle a été
intégrée à l’École Normale34 de Rufisque, qu’elle quittait munie d’un diplôme
d’enseignement en 1947. Elle enseignait durant 12 années, puis elle demandait sa mutation au
sein de l’Inspection régionale de l’enseignement. Bâ, mère de neuf enfants, était divorcée,
puis remariée et elle s’engageait dans le militantisme associatif. Elle luttait contre les castes
et la polygamie, elle réclamait des droits véritables pour les femmes, comme le droit à
l’éducation. Bâ a été une des premières romancières à écrire sur la place faite aux femmes
dans la société sénégalaise. En plus, elle prenait position publiquement à travers ses discours
et ses articles et elle s’engageait dans nombre d’associations féminines. L’œuvre de Bâ se
résume à deux romans seulement : Une si longue lettre (1979) et Le chant écarlate (1981).
Ces ouvrages reflètent les conditions sociales de son entourage immédiat et de l’Afrique en
général, ainsi que les problèmes qui en résultent, du fait des castes, de la polygamie, de
l’exploitation des femmes et de l’opposition de la famille.
Dans La Grève des bàttu (ou Les déchets humains) (1979), Aminata Sow Fall dénonce avec
humour, mais avec gravité aussi, les travers des puissants et elle donne un visage aux éternels
humbles du Sénégal. Le récit se passe dans une ville, qui pourrait être Dakar ou n’importe
quelle ville d’Afrique. Dans ce roman, les hommes au pouvoir ont décidé d’éloigner les
mendiants, « les déchets humains », de la ville, parce que, selon eux, ils empuantissent la
34
Une École Normale était, jusqu’en 1990-1991, un établissement chargé de former les instituteurs ou les
institutrices de l’enseignement public.
18
ville, ils dénaturent le panorama idyllique de la cité et ils effraient les touristes. Les
mendiants sont très conscients de la place qu’ils occupent dans la société. Ils refusent d’être
frappés, humiliés et ils décident de se mettre en grève. Ce qu’il y a de remarquable dans ce
contexte c’est que ce sont les femmes qui se révoltent. Les mendiants ne mendient plus et par
voie de conséquence toute la vie sociale est bouleversée. En effet, par un don de quelques
francs aux mendiants, le donateur bénéficie d’une prière et par sa bonne action, conforte sa
foi.
Aminata Sow Fall est née en 1949 au Sénégal. Après ses années au lycée sénégalais,
elle poursuivait ses études en France. Après son mariage en 1963, elle est rentrée au Sénégal.
Professeure de Lettres, détachée à la Commission de réforme de l’enseignement du français,
elle dirige depuis 1987 le Centre Africain d’Animation et d’Échanges Culturels, à Dakar, où
elle vit actuellement. Elle est également la fondatrice et la directrice des éditions Khoudia.
Sow Fall est l’auteure de romans ainsi que d’articles et de conférences35. Elle écrit souvent
sur les contrastes et les conflits sociaux qui résultent de la coexistence des cultures et des
valeurs traditionnelles et occidentales. Le ton de l’écrivaine est souvent moqueur à l’égard
des puissants. L’œuvre de Sow Fall est constituée de huit romans, dont La Grève des bàttu
qui a été adapté au cinéma en 2000.
Dans Juletane (1982), Myriam Warner-Vieyra évoque la société sénégalaise pleine d’espoirs,
mais en proie à d’innombrables difficultés, comme les mariages arrangés, la polygamie, le
racisme et l’intolérance face aux étrangers. Juletane est l’histoire poignante de Juletane, une
jeune femme antillaise, perdant la raison lorsqu’elle arrive au Sénégal quand elle découvre
que Mamadou, l’homme africain qu’elle vient d’épouser, est déjà marié. Elle doit apprendre à
partager sa vie avec Awa, la première femme de Mamadou, mère de ses trois enfants, et la
troisième femme, Ndèye, la préférée. Le désespoir qui gagne Juletane l’entraîne aux confins
de la folie lorsqu’elle se rend compte que tout projet d’avenir est irrémédiablement perdu.
Myriam Warner-Vieyra, qui vit au Sénégal depuis 51 ans, est née en 1939 en
Guadeloupe de parents antillais. Elle a passé son enfance avec sa grand-mère en Guadeloupe,
jusqu’à l’âge de douze ans. Après s’être rendue en France où elle a achevé ses études
secondaires, elle est entrée à l’Université de Dakar en 1961 où elle a obtenu un diplôme de
bibliothécaire. La même année, elle s’est mariée avec le cinéaste sénégalais Paulin Vieyra
(1925 – 1987). Depuis 1961, Warner-Vieyra travaille comme bibliothécaire à l’Université de
35
« Aminata Sow Fall à livre ouvert »,
http://www.tv5.org/TV5Site/dakar/fr/lesgens/portraits/portraits_ami_sow_fall.html, consulté le 15 octobre 2011.
19
Dakar et elle est présidente d’une branche du Zonta.36 Dans son œuvre, qui se compose d’un
recueil de nouvelles et deux romans, dont Juletane, Warner-Vieyra dépeint un monde de
déception et de solitude. Dans ses deux romans, elle révèle à la fois l’injustice envers les
femmes et leurs stratégies de résistance, telles la fuite dans l’imaginaire et la violence.
36
Un club féministe qui aide les femmes qui n’ont pas accès au pouvoir politique ni aux ressources de
production.
20
II. La mère et la fille au Sénégal
1. La maternité
Même dans une société où les femmes sénégalaises s’émancipent de plus en plus, la valeur
d’une femme se mesure toujours d’abord en fonction de sa fertilité. La réussite
professionnelle ne suffit pas pour justifier un mariage sans enfant, une femme sénégalaise ne
peut être reconnue à part entière que lorsqu’elle est mère. C’est ce qu’on lit dans Juletane : Je
ne comprenais pas non plus cette forme de ségrégation où les femmes semblaient n’avoir
aucune importance dans la vie de l’homme, sauf au moment de ses plaisirs, ou encore,
comme mère des enfants.37
Odile Cazenave affirme qu’avoir un enfant n’est pas un désir intrinsèque de la femme,
mais plutôt une obligation sociale. (1996, 160) Selon elle, la naissance d’un enfant est tout
d’abord un moyen pour satisfaire aux traditions pour qui un foyer doit être pourvu de
plusieurs enfants. C’est aussi un moyen pour regagner son mari. Ce point de vue est exprimé
dans un de nos romans. Dans Juletane, Mamadou reste fidèle à Awa, sa première épouse,
parce qu’elle lui a donné des enfants qui font sa fierté. Mamadou n’avait jamais voulu
répudier Awa, parce que Juletane et Ndèye, ses autres épouses, ne pouvaient pas lui donner
des enfants. Bref, ne pas avoir un enfant est une catastrophe pour l’homme et pour la femme.
On le constate à la place insignifiante accordée au planning familial en Afrique.
Quand on compare le respect pour Ramatoulaye (l’épouse de Modou dans Une si
longue lettre), l’estime pour Lolli (l’épouse de Mour Ndiaye dans la Grève des bàttu) et le
respect pour Juletane (l’épouse de Mamadou dans Juletane), nous remarquons que Modou et
Mour Ndiaye témoignent d’une plus grande estime pour leurs femmes que Mamadou. Selon
nous c’est parce que, contrairement à Juletane qui est stérile, Ramatoulaye et Lolli sont des
mères, sources de vie, qui perdurent la lignée.
Pourtant, après 1960, des Sénégalaises, engagées dans la recherche d’une identité
nouvelle, remettent en question la maternité comme obligation sociale, et même dans certains
cas, elles la rejettent comme asservissement. Dans les années 1970 et 1980, une nouvelle
37
WARNER-VIEYRA, Myriam, Juletane, Collection écrits, Éditions Présence Africaine, Paris, 2008, première
publication : 1982, p. 49. Dans ce qui suit, les références seront indiquées par le sigle J suivi du folio.
21
maîtrise du corps entraine une certaine libération de la femme de l’emprise du groupe.38
Jusqu'à nos jours, on a presque toujours assuré, dans la société occidentale, comme dans la
société sénégalaise, que l’amour maternel est un instinct naturel que toute femme porte
obligatoirement en elle. Pourtant, après 1960, les Sénégalaises commencent à pressentir que
cet amour de la mère pour un enfant ne devrait pas être considéré comme allant de soi39. Dans
Une si longue lettre et La Grève des bàttu, l’amour maternel est clairement présent. Nous
examinerons la relation entre la mère et l’enfant plus en détail au deuxième paragraphe de ce
chapitre.
Dans le monde, ce sont les Africaines qui utilisent le moins la contraception moderne, ce qui
explique que le continent africain affiche le plus haut taux de natalité. En moyenne, chaque
Sénégalaise donne naissance à cinq ou six enfants.
Le problème des filles-mères constitue un phénomène très courant au Sénégal. De
nombreuses filles vivent l’expérience d’une grossesse hors du mariage. Cette maternité en
tant que célibataire est depuis quelques décennies déjà un véritable phénomène de société qui
ne cesse de progresser. Elle a diverses causes, comme le manque d’éducation en général et
sexuelle en particulier, la pauvreté et l’exode rural. Les filles venant en ville, car elles n’ont
pas de ressources, sont parfois obligées de se donner aux hommes pour survivre.
Bien qu’Aïssatou, la fille de Ramatoulaye dans Une si longue lettre ait reçu une bonne
éducation en général et sexuelle, elle se retrouve enceinte, alors qu’elle va encore au lycée.
Aïssatou est tombée enceinte de son ami Iba Sall, étudiant en droit. Ils avaient une relation
amoureuse stable : Iba n’avait rien sollicité, ni exigé. Tout était venu naturellement entre
eux.40 Contrairement à beaucoup de Sénégalaises qui restent seules avec leur enfant, la fille
de Ramatoulaye reçoit du soutien de son ami qui ne la quitte pas. Iba promet à Ramatoulaye
qu’il prendra ses responsabilités :
Je ne suis pas un chercheur d’aventures. Votre fille est mon premier amour. Je souhaite qu’elle soit
l’unique. Je regrette ce qui est arrivé. J’épouserai Aïssatou si vous êtes d’accord. Ma mère s’occupera
de son enfant. Nous continuerons nos études. (LL 157)
38
Héloïse Brière, citée par : CAZENAVE, Ibid, p. 158.
Voir à ce sujet: CAZENAVE, Ibid, p. 159.
40
BÂ, Mariama, Une si longue lettre, Groupe Privat/Le Rocher, Paris, 2005, Collection Motifs no. 137,
première publication : 1979, Les Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, p. 152. Dans ce qui suit, les
références seront indiquées par le sigle LL suivi du folio.
39
22
Des complications en cours de grossesse ou au moment de l’accouchement sont les
causes de décès les plus courantes des jeunes femmes sénégalaises. L’Afrique de l’Ouest
connaît toujours le taux mondial le plus élevé de mortalité maternelle : une femme sur treize
succombe des conséquences d’une grossesse ou d’un accouchement.41 « Mourir en donnant la
vie » est parfois le sort réservé à des Sénégalaises que ce soit en milieu rural comme en ville.
Entre 1960 et 1980, beaucoup de Sénégalaises sont toujours si traditionnelles que
leurs vies se bornent à élever leurs enfants. Dans Juletane, Awa (la première épouse de
Mamadou) et dans La Grève des bàttu, Lolli (la première épouse de Mour Ndiaye)
s’occupent surtout de leurs enfants : Pour elle (Awa), tout l’univers s’arrête à une natte sous
un arbre et trois enfants autour. (J 17). Quand Juletane (la deuxième épouse de Mamadou)
découvre qu’elle est enceinte, il n’y a plus que sa grossesse qui compte pour elle : Mon
principal souci fut de préparer l’arrivée de cet enfant. Plus rien d’autre ne comptait pour
moi. (J 65). Ramatoulaye (la première épouse de Modou) d’Une si longue lettre est une mère
plus moderne, parce qu’elle est mère, mais également enseignante. Les belles-sœurs de
Ramatoulaye, plus traditionnelles, désapprouvent le fait que leur belle-sœur travaille. Elles
pensent qu’une femme qui travaille ne peut pas être responsable de son foyer et de
l’éducation de ses enfants.
Awa, Lolli et Ramatoulaye sont toutes conscientes de leurs responsabilités en tant que
mère, par exemple, elles n’abandonnent pas leur époux quand elles découvrent que leur mari
prennent d’autres épouses. C’est sans doute, et entre autres parce qu’elles ne veulent pas
perturber l’équilibre de leurs enfants. En outre, les trois mères se rendent compte que leur
situation de mère de famille nombreuse ne leur permet pas de refaire facilement leur vie
ailleurs : Réfléchis bien ma fille ; (…) que ferais-je de vous (huit enfants) si je vous
emmenais ?42 C’est par contre ce que fera Aïssatou, l’amie de Ramatoulaye, elle abandonne
Mawdo, son mari, en refusant la polygamie et elle part aux Etats-Unis avec ses quatre fils.
Comme les enfants occupent souvent la première place dans la vie d’une mère
sénégalaise, la perte d’un enfant est horrible, comme on peut le lire dans Juletane. Awa, qui
n’existe que par et pour son rôle maternel, se jette dans un puits après la mort tragique de ses
trois enfants. Mais, reconnaissons que dans n’importe quelle société, une mère peut
commettre un geste suicidaire lorsqu’elle est frappée d’un tel deuil.
41
Torild Skard: SKARD, Torild, Afrique des Femmes, Afrique d’Espoirs, L’Harmattan, Paris, 2004, p. 112.
SOW FALL, Aminata, La Grève des bàttu, Le Serpent à Plumes, 2001, Collection Motifs (no. 124), première
publication : Nouvelles Éditions Africaines, 1979, p. 23,24. Dans ce qui suit, les références seront indiquées par
le sigle GB suivi du folio.
42
23
Dans tous les pays du monde, des femmes ayant un désir d’enfant, peuvent se révéler être
stériles. Au Sénégal, la stérilité empêche la femme de l’être à part entière. Dans Juletane, la
protagoniste est renversée par une voiture, elle perd son enfant et devient stérile. Aux yeux de
la société, Juletane est une femme sans enfant, ce qui ne lui permet pas d’être femme à part
entière. La protagoniste se considère elle-même comme « un arbre sans fruits » : Moi qui
n’avais pas vu naître mon enfant, moi qui jamais n’enfanterai, arbre sans fruits. (p. 100).
Chez Juletane, la fausse couche, qui a provoqué sa stérilité, est le signe déclencheur
du processus de la folie. La joie de Mamadou et de Juletane de devenir parents était de bien
courte durée, parce que : l’aveu de stérilité sonnait le glas de toute espérance de bonheur, de
toute joie de vivre. (J 68). Juletane sombre dans la folie : elle perd la raison et elle s’isole
volontairement dans sa chambre, entre autres pendant le baptême du premier fils de
Mamadou et d’Awa. C’est Awa qui fait tout pour que Juletane se sente mieux, elle va jusqu’à
vouloir lui confier son bébé pour que Juletane puisse l’éduquer comme son propre enfant : À
sa sortie de clinique, après la naissance de son fils Alioune, elle vient me voir et me dit :
« Prends-le, c’est ton enfant. » (J 73). Juletane a refusé ce geste, parce qu’elle voulait avoir
un enfant né d’elle-même. Au cours de l’histoire, les enfants de Mamadou et d’Awa meurent.
La mort prématurée de Mamadou laisse en suspens la question de la responsabilité des
épouses dans le décès des enfants, mais tout semble indiquer que Juletane a empoisonné les
enfants de sa rivale, Awa, la seule pourtant à l’aider. L’infanticide que Juletane a
probablement commis pourrait être un cri de détresse à l’endroit de Mamadou. Victime de
son indifférence depuis sa fausse couche, Juletane veut le blesser dans sa propre chair à
travers la mort de ses trois enfants.
En général, le mari de la Sénégalaise stérile épouse une autre femme, car il a toujours
un grand désir d’avoir des enfants. La famille du mari est autorisée à pousser l’homme à
chercher une autre épouse. Dans Juletane, Mamadou épouse une troisième femme, Ndèye,
parce qu’il veut avoir des enfants. Ndèye se rend compte que sa vie heureuse avec Mamadou
ne durera pas longtemps, parce qu’elle est également stérile. Comme Juletane et Ndèye
n’étaient toutes les deux pas capables d’avoir des enfants, Mamadou ne répudie pas Awa,
l’épouse féconde. Après la mort de cette première épouse, Mamadou prend une autre femme
susceptible de le rendre père à nouveau. L’avenir de Ndèye comme épouse préférée est
sérieusement compromis, parce qu’elle risque d’être supplantée par la quatrième épouse qui
fera de Mamadou de nouveau un père.
Après avoir observé la maternité, nous allons nous concentrer sur la fille sénégalaise
en examinant sa place dans la famille. Nous nous fixons sur la fille pour suivre l’avancée de
24
notre observation de l’évolution de la femme sénégalaise dans les romans choisis. C’est ce
qui explique que ici les filles sont privilégiées au détriment des fils, et ce malgré que les
garçons soient plus importants dans cette société.
2. La fille au sein de la famille
En général, la naissance d’une petite fille est une déception pour la famille, parce que, dans la
plupart des cas, la famille sénégalaise a une préférence pour un petit garçon. Cela s’explique
parce qu’à l’avenir, le fils sera le soutien des parents devenus vieux. Dans Juletane, cette
tradition sénégalaise est évoquée à travers Mamadou qui donne de l’argent à son oncle
Alassane, parce que c’est lui qui l’avait élevé et qui l’avait mis l’école. Pour Juletane, l’oncle
n’avait pas vraiment besoin de cette aide financière, parce qu’il touche une confortable
retraite d’ancien fonctionnaire et en outre, ses enfants travaillent. Pourtant, Mamadou donne
de l’argent pour montrer sa reconnaissance. Dans Une si longue lettre, Modou donne aussi
régulièrement de l’argent à ses parents.
Dans Juletane, Mamadou a décidé d’épouser une troisième femme, parce que la
deuxième (la protagoniste Juletane) ne pouvait pas lui donner un fils : Sa virilité confirmée,
sa descendance assurée, il baptisait son premier fils. C’est pour vivre cet instant qu’il
m’avait sacrifiée. (…) Si j’avais eu cet enfant qu’il désirait tant, notre vie aurait été tout
autre. (J 73). Généralement, la grandeur qui marque les festivités d’un baptême indique la
préférence pour un fils. Pour le baptême d’un garçon, les parents, la famille et les amis se
rassemblent dans la maison des parents du nouveau-né. Des louanges à la famille du garçon
sont dites et chantées, ensuite un nom est donné à l’enfant. La fête dure souvent toute la
journée. Les gens chantent, dansent, mangent et ils portent leurs plus beaux vêtements.
Pendant le baptême d’Alioune, le père Mamadou portait un magnifique boubou blanc,
richement brodé des babouches blanches immaculées. (J 73). Les baptêmes des fils sont donc
souvent des grandes célébrations, sans rapport avec ceux des filles : Le baptême d’Oulimata,
deux ans après, fut célébré en toute simplicité. C’était une fille… (J 75).
La fille sénégalaise grandit dans une grande famille, composante importante dans la
société sénégalaise : Ici la solitude à deux n’existe pas, la famille est là, elle vous entoure,
vous distrait, pense à vous, pense pour vous. (J 62). L’importance d’une grande famille est
soulignée par Mariama Bâ et Myriam Warner-Vieyra, qui racontent avec précision les
grandes réunions familiales et les nombreuses visites, par exemple pendant une période de
25
deuil. Bâ écrit qu’après la mort de Modou, les visites de condoléances ne s’arrêtent pas : on
peut manquer un baptême, jamais un deuil. (LL 25). Après la mort des enfants d’Awa, la
maison de Mamadou est également pleine de visiteurs : Les parents du village sont arrivés
hier soir, après la prière de guéwé. J’ai aperçu la mère de Mamadou et reconnu deux des
sœurs d’Awa. La famille de Ndèye était là aussi « au grand complet ». (J 106).
La fille sénégalaise reçoit en grande partie l’éducation de sa mère et pas de son père. Il y a
deux raisons à l’absence du père. La première est que traditionnellement, c’est l’homme qui
travaille, et de ce fait il n’a pas beaucoup de temps pour s’occuper des enfants. Cela
correspond à un schéma traditionnel. Les pères en Occident travaillent aussi, mais ils
s’occupent de leurs enfants, en tout cas les jeunes générations. La seconde raison est que
l’homme se trouve parfois dans la difficulté de se définir comme père, parce qu’une relation
intime entre père et enfant (fils et fille) peut s’interpréter comme preuve de mollesse : celui
qui renonce, de son propre gré, aux privilèges masculins et celui qui abdique le pouvoir.43
Cazenave avance que si l’homme remplace sa femme auprès des enfants dans le rôle de
maternage, il peut s’attirer les moqueries des amis et de sa famille, y compris des femmes. Ce
phénomène explique l’attitude des pères, leur absence et il montre les limites de l’homme
dans son effort de partager des tâches et de réaliser un couple moderne.
Dans Une si longue lettre et La Grève des bàttu, ce sont les femmes qui éduquent
leurs enfants surtout à cause des conséquences de la polygamie. Modou et Mour ont
abandonné leur première femme, Ramatoulaye et Lolli, pour pouvoir vivre avec leur
deuxième épouse, Binetou et Sine. Ramatoulaye et Lolli doivent pourvoir seules aux besoins
des enfants.
Comme c’est donc souvent la mère qui éduque sa fille, la mère et la fille ont une
relation forte. Et pourtant, si on examine globalement la littérature sénégalaise des années
1960 à 1980, on constate un silence littéraire et sociologique sur la relation mère-fille.
Néanmoins, dans Une si longue lettre et La Grève des bàttu, nous pouvons observer cette
relation. Selon nous, c’est parce que ce sont des femmes qui ont produit ces romans. Il nous
semble plus logique que les romancières se concentrent plutôt sur la relation mère-fille que
sur la relation père-fille. On observe la relation mère-fille dans Une si longue lettre, parce que
Mariama Bâ écrit sur la vie du couple, mais aussi sur les relations entre les membres de la
famille. Dans La Grève des bàttu, Aminata Sow Fall, concentre surtout son attention sur la
43
CAZENAVE, Odile, Femmes rebelles, Naissance d’un nouveau roman africain au féminin, Éditions
L’Harmattan, Paris, 1996. p. 171.
26
société sénégalaise, mais elle traite également les rapports familiaux. Par contre, dans
Juletane, Myriam Warner-Vieyra, n’écrit que sur l’intimité du couple et sur l’importance de
la maternité.
Le fait que la mère éduque sa fille peut entrainer des sentiments de tendresse de la
fille pour sa mère : Quand Raabi parvient à l’âge de la puberté, Lolli lui faisait des leçons
sur les devoirs d’une femme, et au fur et mesure que Raabi mûrissait, le dialogue entre elles
devenait direct et franc ; elles se parlaient comme deux amies. (GB 65).
Mais, l’éducation de la mère peut provoquer également des révoltes de la fille vis-àvis d’elle. Dans Une si longue lettre et La grève des bàttu, les filles Daba et Raabi ne sont pas
d’accord avec les mesures qui ont été prises par leurs mères concernant la polygamie.
Appartenant à une autre génération, elles n’acceptent pas la soumission de leurs mères. Elles
leur dictent la ligne de conduite à observer face à leur père :
Raabi a essayé de convaincre sa mère qu’elle doit se battre, qu’elle ne doit pas accepter une situation
ambigüe, qu’elle a le devoir de ne pas laisser une intruse lui disputer sa place, et pour cela « il faut
prendre tes responsabilités et demander à papa de choisir ». (GB 63)
Le vocabulaire que les deux filles utilisent à l’encontre de leur père est teinté de mépris :
Chasse cet homme, je ne te vois pas te disputant un homme avec une fille de mon âge. (Daba,
LL 60).
Daba témoigne également de dédain pour son père quand elle le rencontre dans un
night-club. En se montrant suspendue au bras d’Aba, son fiancé, elle voulait faire comprendre
à son père qu’elle désapprouve le fait qu’il se soit marié avec une fille de son âge : Elle
arrivait très tard, à dessein, pour s’installer bien en vue de son père. C’était un face à face
grotesque : d’un côté un couple disparate (Modou et Binetou), de l’autre deux êtres assortis
(Aba et Daba). (LL 96) Cette rencontre provoquait une grande tension, parce qu’elle opposait
deux anciennes amies (Daba et Binetou), un père à sa fille, un gendre à son beau-père. (LL
96).
Comme le souligne Pierrette Herzberger-Fofana (2000, 91), pour de nombreuses
mères, leurs filles représentent le prolongement de leurs espoirs et de leurs aspirations
déçues. Le couple de Daba et de son mari en est un exemple, il symbolise le rêve de
Ramatoulaye : Je sens mûrir la tendresse de jeune couple qui est l’image du couple telle que
je le rêvais. (LL 107).
27
Entre 1960 et 1980, les mères continuent à donner une éducation « traditionnelle » à leurs
filles. Nous en trouvons un bon exemple dans Une si longue lettre, où tante Nabou, qui est la
mère de Mawdo, l’ex-mari d’Aïssatou, transmet une éducation traditionnelle à sa cousine.
Les fondements de l’éducation que la tante a inculqués à sa cousine sont la soumission, la
pureté et le sens de l’honneur. Tante Nabou pense que la qualité première d’une femme est la
docilité et que l’instruction d’une femme n’est pas à pousser. (LL 61). Imprégnée de toutes
ces idées, Nabou est l’archétype de la jeune fille traditionnelle qui accepte l’union avec son
cousin, car toute son éducation a été axée vers ce but. Tante Nabou voulait avoir une bru
docile, élevée selon la tradition sénégalaise, qui la traiterait comme une reine. La jeune fille
soumise manque de personnalité, car on ne l’a pas autorisé à exprimer ses propres désirs.
Selon Elisabeth Badinter (1992), les Sénégalaises sont souvent artisanes de leur
difficile condition, parce que ce sont souvent des mères qui, par l’éducation donnée à leurs
enfants, perpétuent involontairement un système de pensée qui leur est défavorable. Des
femmes sénégalaises continuent à élever leurs fils comme « des petits coqs », appelés à
régner, alors qu’à leurs filles, sont dévolues les tâches subalternes, comme le ménage.
Dans Une si longue lettre et La grève des bàttu, Ramatoulaye et Lolli, personnages
charnières entre deux périodes historiques, l’une de domination, l’autre d’indépendance, ont
reçu une éducation traditionnelle. Par exemple, en toute occasion, entre autres avant le
mariage, la mère de Lolli a dit à sa fille :
Obéis à ton mari, ne cherche rien d’autre que son bonheur, car de lui dépendent ton destin et surtout
celui de tes enfants. Si tu exécutes ses volontés, tu seras comblée ici-bas et dans l’au-delà et tu auras
des enfants dignes et méritants. Sinon, attends-toi à la malédiction divine et à la honte d’avoir enfanté
des ratés. (GB 54)
Bien que Ramatoulaye et Lolli aient reçu une éducation traditionnelle, elles donnent à
leurs filles une éducation plus moderne. Par exemple, Ramatoulaye n’est pas sévère :
Puisque mes filles voulaient « être dans le vent », j’avais accepté l’entrée du pantalon dans les garderobes. (…) Moi je laissais mes filles sortir de temps en temps. Elles allaient au cinéma, sans ma
compagnie ; elles recevaient copines et copains. (LL 142, 143).
En outre, Ramatoulaye essaie de pousser ses enfants vers la liberté : Les mères modernes
ôtent toutes épines, tous cailloux qui gênent la marche de leurs enfants à la conquête de
toutes les libertés ! (LL 161). Finalement, nous remarquons que Ramatoulaye laisse étudier
28
ses fils, mais aussi ses filles. De cette façon, elle donne à ses filles d’autres perspectives
d’avenir que celle seulement de maintenir la cohérence du foyer.
Après avoir observé les filles au sein de la famille, ce qui en fait se résume à une
relation mère-fille, parce que nous avons vu que les pères sont absents, nous allons traiter leur
place à l’extérieur du monde familial à travers l’école.
3. La fille à l’école
Tout au long du vingtième siècle, le taux de scolarisation des enfants sénégalais, garçons et
filles, est bas, ce qui constitue un grand problème. Beaucoup d’endroits manquaient d’écoles
et d’enseignants. Quand il y avait des écoles, les salles de classe étaient souvent surchargées
et les bâtiments étaient parfois en ruines. En outre, la qualité de l’enseignement laissait
souvent à désirer. Les livres scolaires trop chers faisaient défaut et les enseignants n’étaient
pas qualifiés. Dans Une si longue lettre, on peut lire combien l’accès à une école sénégalaise
était difficile : Le jardin d’enfants reste un luxe que seuls les nantis offrent à leurs enfants et
l’école primaire laisse à la rue un nombre impressionnant d’enfants, faute de places. (LL
42).
Encore jusqu’à nos jours, le nombre de garçons qui fréquentent l’école est plus
important que celui des filles. Avant 1960, le taux de scolarisation de la population féminine
au Sénégal était très faible, parce que le pouvoir colonial n’avait pas ressenti la nécessité
d’éduquer les femmes.44 En accédant à la souveraineté nationale en 1960, le Sénégal a donné
la priorité à l’éducation, et également à celle des filles. Les Sénégalaises, comme
Ramatoulaye dans Une si longue lettre, ont insisté sur l’égalité des droits concernant
l’éducation : Nous avons droit, autant que vous (les hommes), à l’instruction qui peut être
poussée jusqu’à la limite de nos possibilités intellectuelles. (LL 115). Mais les efforts des uns
et des autres n’ont pas donné lieu à des lois susceptibles de faire progresser de façon tangible
l’éducation des femmes et le nombre des femmes analphabètes reste élevé. Dans Juletane et
La Grève des bàttu, Awa, la première épouse de Mamadou, et Lolli, la première épouse de
Mour, sont analphabètes. Cependant, comme nous l’avons déjà signalé, l’année internationale
de l’éducation en 1970 a accéléré la progression des effectifs féminins dans les écoles
sénégalaises. Depuis, les taux de présence féminine à l’école sont en progression, en
44
DJIBO, Hadiza, La participation des femmes africaines à la vie politique, Les exemples du Sénégal et du
Niger, L’Harmattan, Paris, 2001, p. 79.
29
particulier dans les centres urbains.45 Mais, dans les années 1980, quand la crise économique
a pris de l’ampleur, la situation est devenue plus difficile. Le développement du système
d’éducation était paralysé et il n’était pas facile de maintenir à un bon niveau la qualité de
l’enseignement.46 Au 21e siècle, seulement une femme sur quatre sait lire et écrire, entre
autres parce que le Sénégal n’a toujours pas introduit l’obligation scolaire pour tous les
enfants.
Il y a deux raisons à l’absence des filles à l’école sénégalaise. La première est le désir des
parents de maintenir leur fille dans une certaine position, celle d’une assistance précieuse au
foyer. Au vingtième siècle, l’idée que les filles pourraient être dispensées entièrement du
travail domestique, afin de pouvoir se consacrer à leurs études ou au jeu n’est toujours pas
évidente. Entre 1960 et 1980, de plus en plus de filles fréquentent les écoles, mais la charge
de travail à la maison des filles est toujours la même. Les filles sénégalaises, généralement
considérées comme socialement inférieures aux garçons, doivent s’occuper des tâches
ménagères aussitôt qu’elles en sont capables, comme par exemple aider leur mère à cuisiner,
à nettoyer, à quérir de l’eau, à s’occuper des plus jeunes frères et sœurs et à aider aux
champs. La seconde raison est plus morale et se rattache aux traditions : les filles sentent des
pressions familiales devant la décision de fréquenter les écoles, car le mariage est préféré à
l’éducation. Ces pressions expliquent pourquoi les filles ont plus de mal à poursuivre leurs
études jusqu’au bout, contrairement aux garçons qui ont en général une scolarité plus facile.
Le manque d’éducation féminine, entre autres causé par ces deux obstacles, est
l’origine du déséquilibre entre hommes et femmes du point de vue de leur intégration dans la
vie professionnelle. C’est la raison pour laquelle beaucoup de Sénégalaises, comme
Ramatoulaye (Une si longue lettre) et Lolli (La Grève des bàttu,) souhaitent ardemment que
leurs filles reçoivent une bonne formation, en partie sur le modèle occidental. Les deux
protagonistes veulent donner à leurs filles la possibilité de fuir les tâches domestiques. En
d’autres mots, elles veulent offrir à la nouvelle génération de meilleures perspectives d’avenir
que celles qu’elles ont elles-mêmes eu dans leur enfance :
45
HERZBERGER-FOFANA, Ibid, p. 25.
IMAN, Ayesha M. ; MAMA, Amina ; SOW, Fatou ; Sexe genre et société, Engendrer les sciences sociales
africaines, Éditions Karthala, Paris, 2004, p. 269.
46
30
Lolli s’occupe de l’éducation des enfants et même pour leur instruction ; car, si elle ne savait ni lire ni
écrire, elle veillait toujours à ce qu’ils fussent devant leurs livres et cahiers, faisait contrôler les plus
petits par les plus grands, et se rendait régulièrement à leurs écoles respectives pour s’enquérir de leur
comportement. (GB 58)
Dans les années 1980, certaines jeunes femmes sont influencées par le modèle scolaire
occidental. Cette nouvelle génération est incarnée par : Daba (la fille de Ramatoulaye) dans
Une si longue lettre ; Raabi (la fille de Lolli, étudiante ambitieuse en sciences juridiques et
militante dans un groupe politique), Sine (une jeune fille qui est la deuxième épouse de Mour
Ndiaye et secrétaire dans une agence de tourisme) et Sagar Diouf (la secrétaire de Kéba
Dabo, l’adjoint de Mour Ndiaye) dans La Grève des bàttu.
Stimulées par leur niveau de scolarisation, ces jeunes femmes incarnent
l’émancipation de la femme sénégalaise, elles ont une attitude critique envers les générations
précédentes : Des vieux et des vieilles sont d’un autre âge et ne peuvent pas comprendre le
monde d’aujourd’hui. (Raabi, GB 65). Ces filles ne sont absolument pas prêtes à accepter les
servitudes dont les anciennes générations ont été victimes. En outre, elles veulent abolir les
coutumes, parce qu’elles sont ressenties comme un frein à leur épanouissement.
Les filles de cette génération, comme Sine, essaient d’établir de nouveaux rapports
entre les sexes en affirmant qu’elles sont des citoyennes à part entière grâce à leur éducation :
Si tu crois que j’accepterai d’être planquée ici comme un meuble et de ne recevoir que des
interdictions et des ordres, tu te trompes ! Je suis une personne et non un bout de bois ! (…) Que croistu ? Que je suis ici pour subir tes caprices ? Non ! Je suis ton épouse, traite-moi comme ton épouse !
Vraiment Mour, tu dois déchanter si tu crois que j’accepterai que tu me traites comme
un
vulgaire
objet ! (…) Ah non, Mour ! Va faire cela à ta Lolli, moi je ne suis pas un mouton ! (Sine à Mour
Ndiaye, GB 162)
Mour Ndiaye et Sine ont une dispute, causée par leur grande différence d’âge, ce qui
symbolise bien le conflit entre les conceptions traditionnelles et les conceptions plus
modernes. Sine incarne le féminisme militant d’une génération de jeunes femmes qui sont de
moins en moins influencées par la tradition. Pourtant, cette deuxième épouse de Mour Ndiaye
accepte la polygamie. Selon nous, c’est parce que Mour, homme riche, lui offre beaucoup de
sécurité financière : La maison que Mour a affectée à Sine est une somptueuse villa située sur
la Corniche ; on y respire à longueur de journée un air chargé d’effluves marins. (GB
160,161). Elle sait être traditionnelle par opportunisme.
31
Les nouveaux rapports entre les sexes sont établis par les femmes qui ont obtenu un
niveau intellectuel plus élevé, grâce à leur scolarisation. Dans Une si longue lettre, Aïssatou,
l’amie de Ramatoulaye, a été nommée à l’Ambassade du Sénégal aux États-Unis, grâce à des
examens que son intelligence et son travail lui ont permis de passer brillamment. Dans La
Grève des bàttu, Sagar Diouf, une jeune secrétaire, est plus intelligente que son patron Kéba
Dabo. Elle n’hésite pas à lui donner son avis concernant les mendiants et de le ramener ainsi
à la réalité. C’est Sagar qui pose finalement l’une des questions essentielles autour de laquelle
tourne l’intrigue du roman :
Mais dis-moi, Kéba, je ne te demande qu’une chose : comment vivraient-ils s’ils ne mendiaient pas ?
Ah ! dis-moi encore ceci : à qui les gens donneraient-ils la charité, car il faut bien qu’on la donne,
cette charité qui est un précepte de la religion ? (GB 35)
Ces deux femmes intelligentes représentent une menace pour leur entourage, parce qu’en tant
que femmes libres qui gagnent leur vie, elles entrent directement en compétition avec les
hommes.
Dans le Sénégal des années 1980, les filles « modernes » et les filles « traditionnelles » vivent
côte à côte. La scolarisation donne donc la possibilité d’améliorer la condition de la jeune
femme sénégalaise, mais en même temps, il y a toujours beaucoup de Sénégalaises qui ne
recevant pas d’éducation, continuent à vivre dans la tradition. Ces jeunes femmes sont
souvent enfermées dans leur maison, elles ne font pas partie de la société sénégalaise en tant
que citoyennes.
Pour ces filles « traditionnelles », comme Binetou d’Une si longue lettre, le mariage
avec un homme riche, qui lui offre sécurité et amour, peut être un moyen d’améliorer ses
conditions de vie. Dans la plupart des cas, la Sénégalaise reste attachée à son foyer et ne
participe pas à la société. Dans Une si longue lettre, Modou sort Binetou, sa deuxième
épouse, et la famille de cette jeune fille de la pauvreté. « Dame belle-mère », la mère de
Binetou, n’hésite pas à retirer sa fille de l’école et lui ôte ainsi toutes chances de poursuivre
des études et d’embrasser une profession. Elle met sa fille entre les mains de quelqu’un qui
passerait facilement pour son père. Ce mariage oblige Binetou à sacrifier sa jeunesse, ses
amis, peut-être le rêve de contracter un mariage d’amour avec un homme de sa génération et
sa place en tant que citoyenne dans la société sénégalaise : Épuisée, Binetou regardait d’un
32
œil désabusé évoluer ses camarades. L’image de sa vie qu’elle avait assassinée lui crevait le
cœur. (LL 96).
En conclusion, la tradition et la modernité se côtoient dans la société sénégalaise entre
1960 et 1980. Nous ne pouvons pas parler d’un grand choc dans l’évolution de la femme,
mais des poussées significatives qui laissent entrevoir de l’espoir. On a pu observer que ce
sont les mères éduquées elles-mêmes qui stimulent leurs filles à s’émanciper. Le conflit entre
la tradition et la modernité se rencontre chez ces femmes pionnières. Dans la nouvelle
génération ce conflit se transforme en un refus de la tradition ou une acceptation par
opportunisme. Ce premier chapitre est moins substantiel que le suivant, car les auteures
traitées ont choisi de concentrer leur roman sur la femme-épouse.
33
III. La femme sénégalaise
1. Le mariage
Dans la société sénégalaise, le mariage prime sur toute autre forme d’union, car lui seul
permet de fonder une famille légitime. Jusqu’aux années 1970 environ, le mariage est une
affaire de famille, mais le code de la famille de 1972 avance que le mariage doit être aussi
l’affaire des futurs époux, d’où une primauté maintenant de consentement des futurs époux
sur celui des parents.47
Sur le plan législatif, le mariage précoce des femmes (14 – 20 ans) est « une violation
des droits des enfants »48. Bien qu’il ait perdu de l’ampleur, le mariage précoce est un
phénomène fréquent au Sénégal. Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, une partie de
la population sénégalaise voit le mariage comme une sorte de porte de sortie à la pauvreté.
Pour se libérer de certaines charges, il faut donner sa fille dès qu’un prétendant se présente,
même si la fille est encore jeune. Dans ce pays, le mariage précoce est également une
pratique culturelle. Pour beaucoup de Sénégalais, la tradition léguée par les ancêtres aide à
mieux vivre, et le mariage participe à la consolidation et au raffermissement des liens de
parenté et du tissu social, il n’y a donc pas de raison de rejeter cette tradition matrimoniale.
Dans Une si longue lettre et La Grève des bàttu, Binetou et Sine, deux jeunes filles, se
marient avec des hommes plus âgés pour pouvoir améliorer leurs conditions de vie.
Cette pratique a des répercussions néfastes sur la santé physique et mentale de la jeune
Sénégalaise et par ricochet sur la société. Mariées trop tôt, les jeunes filles sont obligées de
faire des tâches ménagères et elles subissent des pressions pour avoir des bébés
immédiatement après leur mariage. Les jeunes Sénégalaises vivent souvent une maternité
difficile à cause de leur immaturité physique. Certaines filles, qui ne peuvent pas supporter
les frustrations liées à ce type de mariage, s’enfuient ou même se suicident.
Comme nous l’avons dit, le code de la famille de 1972 proclame que le mariage doit être une
affaire des futurs époux, mais de la loi à la pratique, il reste un grand écart. Jusqu’à l’heure
actuelle, des femmes sénégalaises sont toujours liées à un homme par des mariages forcés,
47
NDIAYE, Eugénie Rokhaya Aw, Femmes au Sénégal, Les Cahiers de l’Alternance, no. 10, décembre 2006,
Centre d’études des sciences et techniques de l’information, Partenariat : Fondation Konrad Adenauer, p. 28.
48
NDIAYE, Ibid, p. 162.
34
malgré la constitution sénégalaise de 2001, qui, appuyant le code de la famille, affirme que le
mariage forcé est considéré comme une « violation de la liberté individuelle » 49. C’est une
pratique donc interdite et punie dans les conditions fixées par la loi. Cette forme de mariage
n’est pas une pratique limitée au Sénégal seulement, on la trouve dans quasiment toutes les
cultures du continent africain. L’objectif de ces mariages est de transmettre la lignée et de
maintenir les traditions.
De nombreuses jeunes Sénégalaises, en rentrant à la maison, apprennent qu’elles ont
été mariées à un homme du village, souvent à un cousin germain. La coutume wolofe
privilégie les liens consanguins : les cousins peuvent épouser leur cousine de la branche
maternelle. Dans Une si longue lettre, Tante Nabou, qui est la mère de Mawdo, le mari
d’Aïssatou, investit tous ses efforts dans l’éducation de la petite Nabou, sa nièce, en vue de la
donner en mariage à Mawdo. Tante Nabou réussit à convaincre son fils d’épouser sa nièce en
disant : Si tu ne la gardes pas comme épouse, je ne m’en relèverai jamais. La honte tue plus
vite que la maladie. (LL 48). Dans Juletane, la famille de Mamadou a poussé ce dernier à se
marier avec Awa, sa cousine :
De guerre lasse, il (Mamadou) m’avoua qu’avant de partir faire ses études en France, il avait été
marié selon la coutume de son pays avec une cousine, fille aînée d’un de ses oncles maternels et qu’il
était père d’une fillette de cinq ans. Il n’eut pas à jouer vraiment un rôle dans ce mariage qui fut
l’affaire de la famille. (J 33)
Dans La Grève des bàttu, Salla Niang était obligée de se marier : Je (Salla Niang) quittai la
maison, parce que je devais me marier. (GB 52). Parfois les unions forcées sont promises
depuis la naissance : J’ai été contraint d’épouser Awa, parce que la famille l’avait décidé
depuis mon plus jeune âge. (J 47)
Les mariages forcés sont souvent la conséquence du système des castes au Sénégal.
Depuis la période préislamique, le Sénégal connaît une hiérarchisation de sa population. Le
système des castes a connu beaucoup de bouleversements, mais il est toujours très vivace
dans les mentalités et revêt une signification importante lors des alliances. 50 Dans cette
société, on peut distinguer deux castes : les « guers », la caste supérieure, et les « gnégno », la
caste inférieure, qui est subdivisée en trois sous-castes. L’idéologie des castes repose
49
LHOIR, Laura, « Les mariages forcés », le 10 septembre 2004,
http://www.amnestyinternational.be/doc/article4338.html, consulté le 4 janvier 2012.
50
HERZBERGER-FOFANA, Ibid, p. 103.
35
essentiellement sur l’hérédité, l’endogamie, l’exercice d’une profession artisanale et sa
fonction au niveau du groupe social.51
De nos jours, il y a toujours des Sénégalais qui ne tolèrent pas qu’un homme épouse
une femme d’une caste inférieure, ou inversement52. Dans Juletane, Ousmane se rend compte
qu’il ne peut pas envisager d’épouser une fille de n’importe quel milieu sans problème, parce
que : la caste à laquelle il appartenait était considérée comme inférieure. (J 85). Pourtant,
Hélène veut épouser Ousmane, parce qu’elle trouve l’amour plus important que la caste à
laquelle appartient son époux. Dans Une si longue lettre, Ramatoulaye évoque le manque
d’ouverture de la société sénégalaise causé par le système des castes. Comme Hélène de
Juletane, elle trouve le système discriminant et injuste. Quant à Aïssatou, son amie, elle
rejette le système en épousant un homme d’une caste plus haute. Par voie de conséquence,
elle n’a jamais été acceptée par la famille noble de son époux, et plus particulièrement par
tante Nabou, sa belle-mère : La mère de Mawdo… elle réfléchissait le jour, elle réfléchissait
la nuit, au moyen de se venger de toi (Aïssatou), la Bijoutière. (LL 42). Déçue par le premier
mariage de son fils avec Aïssatou, tante Nabou se venge de sa belle-fille en convaincant
Mawdo d’épouser une autre femme, sa nièce. Enfin, dans Juletane, la protagoniste montre de
la répugnance pour le mariage forcé : Je ne pouvais pas comprendre qu’il ait pu épouser une
femme simplement pour faire plaisir à sa famille. (J 47).
En bref, il y a des Sénégalaises qui rejettent le mariage forcé et préfèrent le mariage d’amour.
Entre 1960 et 1980, le nombre de mariages forcés diminue au profit des mariages d’amour,
parce que de nombreuses Sénégalaises ne veulent plus être forcées de se marier avec
n’importe quel homme. Dans un mariage d’amour, l’amour réciproque entre les deux
partenaires est la condition indispensable :
L’amour, si imparfait soit-il dans son contenu et son expression, demeure le joint naturel entre deux
êtres. S’aimer ! Si chaque partenaire pouvait tendre sincèrement vers l’autre ! (…) C’est de l’harmonie
du couple que naît la réussite familiale, comme l’accord de multiples instruments crée la symphonie
agréable. (LL 164)
Charnières entre deux périodes historiques, la première de domination, la seconde
d’indépendance, Ramatoulaye et Aïssatou (Une si longue lettre), et Juletane et Hélène
51
HERZBERGER-FOFANA : Ibid, p. 103.
MBOW, Penda, « Démocratie, droits humains et castes au Sénégal », Journal des africanistes, volume 70,
2000, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_03990346_2000_num_70_1_1220, consulté
le 4 janvier 2012.
52
36
(Juletane), s’élèvent contre les normes traditionnelles qui les empêchent de choisir un époux
librement. Pour elles, le mariage est une chose personnelle (LL 40).
Ramatoulaye illustre parfaitement la Sénégalaise qui préfère le mariage d’amour au
mariage forcé. Ses parents souhaitaient qu’elle se marie avec Daouda Dieng, mais
Ramatoulaye refuse : Libérée donc des tabous qui frustrent, apte à l’analyse, pourquoi
devrais-je suivre l’index de ma mère pointé sur Daouda Dieng ? (LL 28) En ignorant les avis
de sa famille, Ramatoulaye épouse Modou Fall, parce qu’elle est amoureuse de lui. Elle met
l’accent sur son désir de choisir librement son partenaire selon des critères bien à elle, qui ne
coïncident pas avec ceux établis par la famille ou la communauté : Notre mariage se fit sans
dot, sans faste, sous les regards désapprobateurs de mon père, devant l’indignation
douloureuse de ma mère frustrée, sous les sarcasmes de mes sœurs surprises dans notre ville
muette d’étonnement. (LL 39).
Après la mort de Modou, Tamsir, le frère du défunt, veut épouser Ramatoulaye, cette
dernière refuse, parce qu’elle ne l’aime pas. Selon elle, se marier est un acte de foi et
d’amour, un don total de soi à l’être que l’on a choisi et qui vous a choisi. (LL 109) Pour la
même raison, elle refuse pour la deuxième fois de se marier avec Daouda Dieng : Mon cœur
n’aime pas Daouda Dieng. Ma raison apprécie l’homme. Mais le cœur et la raison sont
souvent discordantes. (LL 124). Farmata, l’aide familiale qui est plus âgée que Ramatoulaye,
ne comprend pas du tout pourquoi cette dernière a refusé de se marier avec Daouda : Daouda
Dieng, un homme riche, député, médecin, de ton âge, avec une femme seulement. Il t’offre
sécurité, amour et tu refuses ! Bien des femmes, même de l’âge de Daba souhaiteraient être à
ta place. (LL 129). Les refus successifs font de Ramatoulaye en ville une réputation de
« lionne » ou de demeurée (LL 131), mais elle préfère sa solitude de femme mûre à un
mariage sans amour.
Juletane partage l’opinion de Ramatoulaye. Elle trouve qu’un mari doit être l’homme
le plus intime, l’autre soi-même. Elle s’est mariée avec Mamadou parce que : Moi je l’aimais,
avec tout la fougue et l’absolu d’un premier et unique amour (J 31). Le mariage d’Aïssatou
avec Mawdo Bâ était controversé, parce que Mawdo, médecin, a épousé une femme issue
d’une famille ouvrière. Mawdo, fils de princesse, a hissé Aïssatou enfant des forges à sa
hauteur, parce qu’ils s’aiment. (LL 44) Hélène a également ignoré la différence du niveau
social en épousant Ousmane. Hélène, une femme indépendante qui gagne quatre à cinq fois
de plus qu’Ousmane, l’épouse, parce qu’elle l’aime.
Daba (Une si longue lettre) et Raabi (La Grève des bàttu), la nouvelle génération des
femmes sénégalaises sont des partisanes du mariage d’amour. Daba a décidé de se marier
37
avec Aba, parce qu’elle l’aime. Raabi ne s’est pas encore fiancé à quelqu’un, parce qu’elle
n’est pas amoureuse.
Avant que nous traitions le rapport entre l’homme et la femme dans le mariage, il est
important de dire qu’il n’y a pas un homme sénégalais et une femme sénégalaise, parce que
les milieux dans lesquels ils vivent diffèrent. La diversité de culture, de classe, de religion ou
d’idéologie rend la question du rapport entre le Sénégalais et la Sénégalaise plus difficile.
Tout d’abord, nous analysons le rapport entre l’homme et la femme dans un mariage
traditionnel où les rôles sont souvent clairement délimités. En général, les hommes
s’occupent du commerce, ils contribuent au défrichement des terres, ils se livrent à la chasse
et ils gèrent les affaires politiques.53 Les occupations de la femme sont entre autres les
activités domestiques, agricoles et le petit commerce. Mais son rôle principal est d’éduquer
ses enfants et de maintenir la cohérence du foyer.
La répartition des rôles masculins et féminins était fondée sur le principe de la
complémentarité : Si la femme demeure en dehors des activités masculines, l’homme ne
cherche pas à rivaliser avec elle dans les activités féminines et ne s’immisce pas dans les
problèmes domestiques traditionnels du ressort féminin.54 Ramatoulaye croit aussi en ce
principe : Je reste persuadée de l’inévitable complémentarité de l’homme et de la femme. (LL
129).
Entre 1960 et 1980, la supériorité de l’homme sénégalais a diminué de plus en plus,
mais demeurait. L’homme, qui est considéré comme la tête de la famille, a une grande
puissance. La femme doit obéir à son mari : Sine (la deuxième épouse), je (Mour Ndiaye) t’ai
dit que je n’aime pas de te voir fumer. Je t’ai formellement interdit de fumer et je pensais que
tu l’avais compris ! (GB 162). Certains hommes n’aiment pas les femmes de tête, parce
qu’elles menacent leur hégémonie : Celles qui ne se posent aucune question et n’en posent
pas, voilà ce qu’il faut à ces orgueilleux qui jouent avec leurs femmes comme avec une
poupée... (GB 36). En outre, l’homme contrôle ses enfants et sa famille.
D’abord, cette domination prend ses racines dans les interprétations (parfois fausses)
de l’islam et du christianisme. Les deux religions accentuent la subordination de la femme
par rapport à l’homme. Ensuite, la suprématie de l’homme sénégalais est influencée par le
comportement des maîtres de l’ordre colonial, qui étaient originaires de sociétés occidentales
53
Nous nous inspirons de COQUERY-VIDROVITCH, C., Les Africaines, Histoire des femmes d’Afrique noire
du XIXe au XXe siècle, Éditions Desjonquères, Paris, 1994, p. 20.
54
E.E. Evans Pritchard dans : DJIBO, Hadiza, La participation des femmes africaines à la vie politique, Les
exemples du Sénégal et du Niger, Collection sociétés africaines & diaspora, L’Harmattan, Paris, 2001, p. 33.
38
caractérisées par une forte dominance masculine. Le système patriarcal n’était donc pas
uniquement présent en Afrique, mais en Occident aussi. Enfin, les mythes et les
interprétations anthropologiques expliquent le statut de l’homme. Selon Hadiza Djibo, la
dominance de l’homme trouve l’une de ses sources dans la nécessité de contrôler la fonction
de procréation des femmes, qui ont une place exceptionnelle dans le processus de
reproduction de la vie.55 Elisabeth Badinter dit à ce sujet : Quand les hommes prirent
conscience de ce désavantage naturel (le fait que ce sont exclusivement les femmes qui
enfantent), ils créèrent un palliatif culturel de grande envergure : le système patriarcal.56
La conséquence de la suprématie de l’homme est une limitation de la liberté de la
femme : Je mesurais, aux regards étonnés, la minceur de la liberté accordée à la femme. (LL
99). À partir de l’indépendance du Sénégal, les nouveaux pouvoirs publics nationaux ont
inscrit la question de la condition des femmes au sein de la société parmi les premières
priorités de l’organisation étatique. L’ordonnance de novembre 1960 et le code de la famille
de juin 1972 ont stipulé les droits de la femme et ont essayé de promouvoir la condition
féminine au Sénégal : Et voilà que l’on a promulgué le code de la famille, qui restitue, à la
plus humble des femmes, sa dignité combien de fois bafouée. (LL 89).
Mais le regard des hommes sur les femmes, comme les perceptions que les
Sénégalaises ont d’elles-mêmes restent empreintes d’une idéologie souvent encore
extrêmement conservatrice. Tout ce qui concerne l’essence du féminin, qu’il s’agisse de la
formation de la fille, des conceptions sur le mariage, sur la maternité, sur la mort, bref tout ce
qui fait la condition féminine, demeure marqué par un héritage complexe. Par exemple,
certains Sénégalais continuent à considérer la femme comme un bien de production que
l’homme achète à cet effet, d’où la persistance de la dot de la femme, qui revient à la famille
de la femme pour compenser sa sortie du milieu familial. Les Sénégalaises doivent obéir à
leur père, puis à leur mari. Leurs avis ne sont presque jamais vraiment tenus en compte, la
femme n’est pas consultée avant les prises de décisions, même pour ce qui la concerne. Bref,
contrairement aux Françaises qui se modernisent de plus en plus sur le plan social entre 1960
et 1980, les Sénégalaises sont confrontées à beaucoup de difficultés qui résultent de la
persistance de certains préjugés.
Lolli (la première épouse de Mour Ndiaye) de La Grève des bàttu, femme fidèle et
travailleuse qui sait gérer de façon excellente le foyer conjugal, incarne parfaitement la
Sénégalaise soumise. Élevée selon des principes religieux rigides, elle est passée d’une
55
56
Voir à ce sujet : DJIBO, Ibid, p. 33.
Elisabeth Badinter dans : HERZBERGER-FOFANA, Ibid, p. 172.
39
dépendance à l’autre sans transition : de la maison paternelle au foyer conjugal. Lolli suit
toujours les prescriptions de ses parents et de son mari, mais en même temps, elle souffre
profondément. Beaucoup de femmes sénégalaises, comme Lolli, sont déchirées entre les
valeurs traditionnelles et les valeurs modernes qui exacerbent les ambitions personnelles. Au
cours du roman, Lolli développe un esprit critique en ce qui concerne la situation de la
femme dans la société, car elle se trouve écartelée entre deux voies : l’une conservatrice,
influencée par ses parents et son mari, et l’autre moderne et féministe, influencée par sa fille,
Raabi.
Dans le paragraphe précédent, nous avons vu qu’entre autres le code la famille de 1972 a
essayé d’établir les droits de la femme au Sénégal, mais selon Catherine Coquery-Vidrovitch,
les attitudes envers les Sénégalaises, n’ont commencé à changer qu’avec la décennie de la
femme, qui a été proclamée par les Nations Unies de 1975 à 1985. 57 Au cours des années, les
rôles masculins et féminins s’équilibrent. De plus en plus de femmes se rendent compte
qu’elles possèdent des droits et des devoirs qui ne peuvent pas être contestés par l’homme.
En général, dans un mariage moderne, l’homme et la femme s’appuient l’un sur
l’autre et ils partagent les tâches quotidiennes et l’éducation des enfants. À partir de la fin des
années 1970, de plus en plus d’hommes montrent du respect pour des femmes et ils acceptent
même que leurs épouses s’émancipent : Daba est ma femme. Elle n’est pas mon esclave, ni
ma servante. (Abou, le mari de Daba, LL 137). Dans Juletane, Hélène domine son mari,
Ousmane : Elle le dominait financièrement et intellectuellement. Trop indépendante, elle
n’aurait pas pu supporter un mari qui commande, décide, dirige. (J 12) et Il (Ousmane) était
véritablement subjugué par son épouse qui pensait et décidait pour lui. (J 84). Après avoir
été blessée par son ex-mari, Hélène se rend compte qu’une femme peut bien vivre seule. Elle
s’était jurée de ne plus jamais souffrir à cause d’un homme. Pourtant, elle se marie avec
Ousmane parce qu’elle l’aime, mais la femme indépendante continue à donner à son « moi
d’abord » une place de choix. (J 11).
Salla Niang de La Grève des bàttu s’émancipe sur le plan familial, mais aussi sur le
plan social. Elle ne se laisse pas dominer, ni au foyer, ni dans la rue. Salla entretient un
rapport d’égalité avec son mari et parfois même elle le domine : C’est Salla Niang qui porte
le pantalon. (GB 29). Salla, une femme qui a du cran (GB 14), dirige la grève des mendiants :
Il est temps de se réveiller les gars. Montrons-leur que nous aussi, nous sommes des
57
COQUERY-VIDROVITCH, Ibid, p. 109.
40
hommes ! (GB 48). Salla sait rappeler à l’ordre les récalcitrants et en conséquence, tous les
mendiants ont poursuivi la grève sur son ordre : Ne bougez pas d’ici ; que personne ne bouge
jamais ici. Demain à cause de nous, il mordra la poussière ! (GB 148).
À partir de la fin des années 1970, les femmes sénégalaises commencent à acquérir
une indépendance que nombre de femmes d’autres pays africains peuvent leur envier. Les
Sénégalaises participent à la lutte pour l’amélioration de leur condition sur le plan familial,
mais aussi sur le plan social, économique et politique. Dans la dernière partie du vingtième
siècle, plusieurs associations de femmes sénégalaises ont été créées au service des droits
féminins. Ces associations ont pour but principal de lutter contre toute forme de
discrimination et d’injustice à l’égard des femmes. En outre, elles contribuent à
l’amélioration et au renforcement de leur statut sur le plan social, économique et politique.58
Ramatoulaye et Aïssatou d’Une si longue lettre sont les premières pionnières de la
promotion de la femme africaine. Bien que des hommes les taxent d’écervelées et de
diablesses (LL 36), elles sont des véritables sœurs avec la même mission émancipatrice :
Nous sortir de l’enlisement des traditions, superstitions et mœurs ; nous faire apprécier de multiples
civilisations sans reniement de la nôtre ; élever notre vision du monde, cultiver notre personnalité,
renforcer nos qualités, mater nos défauts, faire fructifier en nous les valeurs de la morale universelle.
(LL 38)
Les irréversibles courants de libération qui animent le monde ne laissent Ramatoulaye pas
indifférente : Cet ébranlement qui viole tous les domaines, révèle et illustre nos capacités.
Mon cœur est en fête chaque fois qu’une femme émerge de l’ombre. (LL 163).
Appartenant à la même génération, Lolli, déchirée entre les valeurs traditionnelles et
les valeurs modernes, est également au courant des débats sur la condition féminine :
Lolli s’était ouvert les yeux en fréquentant le monde. Elle avait vu que les femmes n’acceptent plus
d’être considérées comme de simples objets et engageaient une lutte énergique pour leur
émancipation ; partout à la radio, dans les meetings, dans les cérémonies familiales, elles clamaient
qu’au point de vue juridique, elles avaient les mêmes droits que les hommes, que bien sûr elles ne
disputaient pas à l’homme sa situation de chef de famille, mais qu’il était nécessaire que l’homme fut
conscient que la femme est un être à part entière, ayant des droits et des devoirs. (GB 59)
58
Voir Torild Skard : SKARD, Ibid, p. 261.
41
Les Sénégalaises sont donc au courant de la lutte féminine entre autres grâce aux
médias. En plus, elles sont influencées par les conceptions de leur fille.
2. La polygamie
L’article 133 du code de la famille du Sénégal (1972) stipule que le mariage peut être
conclu : soit sous le régime de la monogamie, soit sous le régime de la polygamie (quatre
épouses au maximum), soit sous le régime de la limitation de la polygamie (deux ou trois
épouses). La polygamie, le phénomène qui autorise un homme à se marier avec plusieurs
femmes en même temps, est donc reconnu comme régime matrimonial au Sénégal, au même
titre que la monogamie. À la fin du vingtième siècle, le Sénégal compte le nombre de
mariages polygames le plus élevé du continent africain, 12 % des mariages sont polygames,
mais ce nombre a tendance à diminuer.
L’islam autorise, sans la privilégier, la polygamie. Les normes religieuses valorisent le
statut d’épouse et le célibat définitif féminin est quasi inexistant. De nombreuses
Sénégalaises se remarient aussi aisément que les hommes après le divorce ou après le
veuvage, car même des hommes mariés peuvent les épouser. Pourtant, le Coran a limité à
quatre le nombre de femmes qu’un homme peut marier et il oblige de traiter de manière
strictement égalitaire toutes les épouses. À côté de la religion, les autres facteurs expliquant
la polygamie sont d’ordre social (le prestige de l’homme) et d’ordre économique (la valeur
productive des femmes et des enfants, surtout à la campagne).59 Cependant, la polygamie est
plus pratiquée par des hommes riches, et même traditionnellement, ce n’est qu’aux chefs de
villages que revient ce privilège.
Si la première épouse n’accepte pas une situation de polygamie, elle a le droit de
demander le divorce. Mais il est évident que quand elle ne possède aucun moyen de
subsistance, son choix reste limité. De plus, la pression sociale est grande et les coutumes
sont si bien ancrées qu’il est difficile de prendre une orientation conforme à ses désirs
personnels. C’est la raison pour laquelle la polygamie est une source d’inégalité entre les
hommes et les femmes au Sénégal. Beaucoup de Sénégalaises, comme Ramatoulaye et
Aïssatou (Une si longue lettre), Juletane (Juletane) et Lolli (La Grève des bàttu) souffrent des
conséquences de la polygamie : J’avais entendu trop de détresses, pour ne pas comprendre la
59
NDIAYE, Ibid, p. 182.
42
mienne. Ton cas, Aïssatou, le cas de bien d’autres femmes, méprisées, reléguées ou
échangées, dont on s’est séparé comme d’un boubou usé ou démodé. (LL 62).
La polygamie accorde donc beaucoup de droits à l’homme sur le plan matrimonial, parce
qu’il peut épouser plusieurs femmes s’il le veut : Et dis-moi, quel est le contrat qui me (Mour
Ndiaye) lie et qui m’empêche de prendre une seconde épouse si je le désire ? (GB 61). La
polygamie n’est que pour les hommes, les femmes n’ayant même pas le droit d’être
simplement bigame. Dans la plupart des cas, les hommes ne tiennent pas compte des
sentiments de leurs épouses : Une ombre de mystère entourait les affaires du mari, qui seul
maître, décidait de tout sans jamais s’inquiéter des goûts et désirs des femmes. (J 49).
Modou Fall et Mawdo Bâ (Une si longue lettre), Mamadou (Juletane) et Mour Ndiaye
(La Grève des bàttu) sont incapables de résister à la tentation d’épouser plusieurs femmes.
Après vingt-cinq ans de mariage avec Ramatoulaye et la naissance de ses douze enfants,
Modou épouse une compagne de classe de sa propre fille. L’abandon de sa première femme
et de ses enfants est conforme à un nouveau choix de vie. Selon Ramatoulaye, en aimant une
autre : il a brulé son passé moralement et matériellement. (LL 32). Modou a envoyé son frère
aîné à Ramatoulaye pour la remercier pour les vingt-cinq ans de mariage, parce qu’il n’a pas
le courage d’annoncer lui-même son deuxième mariage à sa première femme :
Il (Modou) te félicite pour votre quart de siècle de mariage où tu lui as donné tous les bonheurs qu’une
femme doit à son mari. Sa famille, en particulier moi, son frère aîné, te remercions. Tu nous a vénérés.
Tu sais que nous sommes le sang de Modou. (LL 73)
Dans le couple de Mawdo Bâ et d’Aïssatou, c’est la femme qui abandonne son époux.
Aïssatou ne supportait pas que son mari se soit marié avec Nabou, sa nièce. Mamadou
(Juletane), marié à Awa, épouse Juletane parce qu’il l’aime. Quand il découvre que cette
deuxième épouse est stérile, il prend une troisième épouse, Ndèye. Comme elle n’est pas non
plus capable d’avoir des enfants, Mamadou prend une quatrième femme susceptible de le
rendre père. Mour Ndiaye (La Grève des bàttu) épouse Sine, une jeune fille, parce qu’avec
l’âge, les charmes physiques de la jeunesse de Lolli, sa première femme, font place à ceux de
fidélité que Mour ne sait pas apprécier.
De nombreux hommes épousent plusieurs femmes sous le bel alibi que la religion leur
donne le droit, ils se croient en accord avec la loi coranique. Modou justifie son mariage avec
sa deuxième femme en faisant allusion à une force suprême, Dieu, qui a décidé de son destin
43
et de son impuissance à s’y soustraire : Il (Modou) dit que la fatalité décide des êtres et des
choses. Dieu lui a destiné une deuxième femme, il n’y peut rien. (LL 57). Mour Ndiaye
explique son deuxième mariage de la même manière : On me « donne » une femme demain.
(GB 40).
Entre 1960 et 1980, les points de vue des Sénégalaises concernant la polygamie diffèrent.
D’abord, les femmes acceptent la polygamie, quand elles apprennent que leur mari a épousé
une autre femme, elles lui restent fidèles, elles ne l’abandonnent pas. Par la suite, des
Sénégalaises sont déchirées entre les valeurs traditionnelles et les valeurs modernes et de plus
en plus de femmes critiquent le mariage polygame, mais en même temps, beaucoup d’entre
elles n’ont pas le courage d’abandonner leur mari. Enfin, certaines femmes modernes
rejettent la polygamie, quand elles apprennent que leur époux est polygame, elles demandent
le divorce. Ce dernier groupe de femmes est traité dans le troisième paragraphe de ce
chapitre.
Parmi le groupe de Sénégalaises qui accepte la polygamie, on trouve d’abord Awa, la
première épouse de Mamadou dans Juletane. Pour cette Sénégalaise, qui attache de
l’importance à des valeurs traditionnelles, le mariage polygame est le seul univers
envisageable, parce que : la polygamie faisait partie de sa culture ; elle acceptait volontiers
de partager son mari. (J 71). Ensuite, les jeunes filles Binetou (la deuxième épouse de
Modou dans Une si longue lettre), Nabou (la deuxième épouse de Mawdo Bâ dans Une si
longue lettre), Ndèye (la troisième épouse de Mamadou dans Juletane) et Sine (la deuxième
épouse de Mour Ndiaye dans La Grève des bàttu) acceptent la polygamie en se mariant avec
un homme riche déjà marié. Nous l’avons déjà évoqué, ces filles se marient avec un homme
marié, de préférence riche, pour améliorer leurs conditions de vie.
Ramatoulaye (la première épouse de Modou dans Une si longue lettre), Juletane (la deuxième
épouse de Mamadou dans Juletane) et Lolli (la première épouse de Mour Ndiaye dans La
Grève des bàttu) appartiennent au groupe de celles qui critiquent la polygamie, mais qui ne
quittent pas leur mari. Ces femmes souffrent des conséquences de cette pratique
matrimoniale, mais n’ont pas le choix.
Dans Une si longue lettre, la vie de Ramatoulaye change tout à coup d’un mariage
heureux et confortable à la solitude quand elle apprend que son mari la rejette en épousant
une deuxième femme, Binetou. Modou demande la compréhension de sa femme, mais
Ramatoulaye est offusquée. Elle ne peut absolument pas comprendre pourquoi son époux
44
prend une deuxième femme : Modou, aurait-il perdu tout jugement ? Folie ? Veulerie ?
Amour irrésistible ? Quel bouleversement a égaré la conduite de Modou Fall pour épouser
Binetou ? (LL 32).
Contrairement à la loi coranique, qui oblige de traiter de manière strictement égalitaire
toutes les épouses, Modou s’intéresse plus à sa deuxième femme, ce qui déçoit Ramatoulaye :
Il (Modou) nous rejetait. Il orientait son avenir sans tenir compte de notre existence. (LL 27).
Selon E.R.A. Ndiaye, le plus difficile pour un homme polygame est d’être équitable envers
toutes ses femmes en les traitant sur le même pied d’égalité. C’est la raison pour laquelle
cette prescription du Coran est respectée par peu de Sénégalais.60
Comme Ramatoulaye critique la polygamie, elle repousse la demande en mariage de
Daouda Dieng, qui veut l’épouser après la mort de Modou. Fidèle à ses convictions et par
solidarité féminine, Ramatoulaye refuse de devenir « la deuxième » et de détruire ainsi un
ménage : Et puis, l’existence de ta femme et de tes enfants complique encore la situation. (…)
Je ne peux allègrement m’introduire entre toi et ta famille. (LL 128).
Bien que Ramatoulaye critique la polygamie, elle choisit de rester une femme mariée.
Cela est remarquable, parce que Ramatoulaye est une femme intellectuellement et
matériellement émancipée. Pourtant, après maintes hésitations, elle accepte de rester au foyer
conjugal et s’apprête moralement à vivre une union polygame. D’abord la fidélité à l’amour
de sa jeunesse l’incite à rester au foyer, alors qu’il n’existe aucune chance de réconciliation
entre elle et son mari : Ma vérité est que malgré tout, je reste fidèle à l’amour de ma
jeunesse. (LL 83). Deuxièmement, Ramatoulaye n’abandonne pas son époux à cause de
l’islam qui autorise la polygamie : Je m’étais préparée à un partage équitable selon l’islam,
dans le domaine polygamique. (LL 88) et : Mon cœur s’accorde aux exigences religieuses.
Nourrie dès l’enfance, à leurs sources rigides, je crois que je ne faillirai pas. (LL 25).
Quand Mamadou et Juletane (Juletane) se trouvent sur le bateau qui les mène au Sénégal,
Mamadou dit qu’il est marié avec Awa et qu’il a déjà une fille, ce qui étonne Juletane
énormément : Que Mamadou eut connu une autre femme avant moi, c’était chose possible ;
mais qu’il fut déjà mari et père, cela dépassait mon entendement. (J 33). Juletane se rend
compte que si elle était une Sénégalaise élevée dans une famille polygame, elle pourrait
probablement accepter de partager son mari avec d’autres femmes :
60
NDIAYE, Ibid, p. 181.
45
C’est vrai que nous aurions pu être une grande et belle famille. Pour cela, il aurait fallu que je sois
également née dans un petit village de brousse, élevée dans une famille polygame, dans l’esprit du
partage de mon maître avec d’autres femmes. (J 115)
Mais, comme nous l’avons déjà vu, Juletane, élevée en France par sa marraine, rejette la
polygamie, parce que : Pour moi (Juletane), un mari était par-dessus tous l’être le plus
intime, l’autre soi-même, ce n’était pas une chose qui se prêtait, qui se partageait. (J 48).
Quand Juletane apprend qu’elle doit partager son époux avec une autre femme, la terre
semble se dérober sous ses pieds, parce que n’ayant pas de parents, peu d’amis, Mamadou est
devenu tout l’univers de Juletane : En l’épousant, en plus d’un mari, c’était une famille que
j’avais retrouvée. Il était devenu mon père disparu si tôt, cet ami dont j’avais rêvé. (J 50) et :
J’avais porté toute ma confiance, mon amour sur cet homme. (J 34).
Son immersion dans la vie d’une femme sénégalaise, en régime polygame, a un effet
désastreux sur Juletane, qui était autrefois pleine d’espérance : La pluie et l’orage ont bercé
ma longue nuit d’insomnie, peuplée d’images confuses d’un jadis où j’étais pleine
d’espérance. (J 24). Juletane perd le sens du temps et le sens d’elle-même, elle tombe dans
une grave dépression :
Le troisième week-end où Mamadou partit rejoindre Awa, son oncle me transporta à l’hôpital. C’est
une dépression, une folie véritable, ou des bouffées délirantes, selon l’expression du médecin. Je ne
sais pas ce qui m’arriva. Je me souviens vaguement d’avoir été prise d’une rage subite de désespoir
dans la nuit du dimanche au lundi. Je me mis à tout casser dans la chambre, à me cogner la tête contre
les murs. Je ne retrouvai pleinement mes esprits que quatre jours plus tard à l’hôpital. (J 51)
Comme nous l’avons vu dans le cas de Ramatoulaye, il y a la difficulté dans la pratique de
réaliser un bon équilibre entres les différentes épouses. Quand Mamadou épouse une
troisième femme, Ndèye, Juletane ressent encore plus lourdement sa solitude et elle en
souffre davantage : Je souffrais, je pensais au suicide, je n’arrivais pas à me décider. (J 70).
La cohabitation des trois épouses dans la même maison est horrible pour Juletane. C’est ce
qui l’a poussé probablement à empoissonner les enfants de sa rivale Awa. Puis, elle a
ébouillanté Ndèye, avec de l’huile chaude.
Malgré le fait que Juletane rejette la polygamie, elle ne quitte pas son mari. Pour
Juletane, la séparation était la seule solution valable, parce que : Je ne voulais pas d’une
moitié de mari, ni enlever à une petite fille son père. (J 47). Pourtant, elle ne demande pas le
46
divorce, parce que Mamadou ne veut absolument pas accepter son point de vue. La séparation
n’était absolument pas une possibilité pour lui :
Mamadou m’informa que nous n’avions pas le choix, et que si nous refusions, nous serions rejetés
par toute la communauté, qu’il nous serait impossible de rester dans le pays et qu’il n’avait
nullement l’intention d’aller vivre ailleurs. (J 48).
En plus, repartir n’était pas chose simple, parce que les frais du voyage de la France au
Sénégal avaient englouti presque toutes leurs économies. Quand Juletane devient de plus en
plus dépressive, son désir de se séparer et de repartir en France disparaît, elle perd tout espoir
d’un bel avenir.
Après vingt-quatre ans de mariage, Mour Ndiaye annonce son second mariage avec Sine à sa
première épouse, Lolli (La Grève des bàttu). Comme nous l’avons vu au premier paragraphe
de ce chapitre, Lolli incarne parfaitement la Sénégalaise soumise, mais en même temps, qui
développe un esprit critique concernant la condition féminine. Contrairement à ses
conceptions traditionnelles, Lolli se révolte contre la tradition qui dicte que la femme doit se
taire en toute situation. Quand Lolli apprend que son mari épouse une deuxième femme, elle
est choquée et pour la première fois dans sa vie, elle fait prévaloir ses droits en s’élevant
violemment contre son mari :
Eh quoi ! Et tu me dis de me taire par-dessus le marché ! Ingrat, salaud, menteur ! Tiem (expression de
mépris). Tu veux que je me taise ! Vingt-quatre ans de mariage ! Tu n’étais rien ! Rien qu’un pauvre
va-nu-pieds. Et je t’ai supporté, j’ai patienté, j’ai « travaillé, travaillé » et aujourd’hui tout ce que tu as
pu acquérir grâce à mon « travail » et ma patience, tout ce que tu as eu avec moi et avec l’aide que je
t’ai toujours apportée, tout cela tu veux le partager avec une autre maintenant. Voyou, menteur,
ingrat ! Vous êtes tous pareils ! Voyou, créateur sans vergogne. Ah… j’aurais dû m’en douter !
(GB 60)
Pourtant, Lolli n’abandonne finalement pas son époux, elle accepte un mariage
polygame : Après sa réaction houleuse, qui a suivi le second mariage de Mour, elle s’est
résignée à accepter sa nouvelle situation. (GB 101). C’est parce que ses parents
conservateurs sont d’avis que leur beau-fils peut se marier avec d’autres femmes, un homme
est libre et il n’appartient pas seulement à une femme :
47
Lolli, une femme ne doit pas rouspéter. Sache bien que ton mari est libre. Il n’est pas une chose qui
t’appartient. Tu lui dois respect, obéissance et soumission. Le seul lot de la femme est la patience ;
mets-toi cela dans la tête si tu veux être une femme digne. (GB 55)
Si Lolli quittait son mari, son père et sa mère la maudiraient, ainsi que tous les membres de la
famille. (GB 65)
Les Sénégalaises modernes Aïssatou et Daba (Une si longue lettre), Hélène (Juletane)
et Raabi (La Grève des bàttu) rejettent la polygamie, elles ont le courage de demander le
divorce au contraire de Ramatoulaye, Juletane et Lolli.
3. Le divorce
Jusque dans les années 1970, ce n’était pas l’homme ou la femme qui prenait la décision de
se séparer. Dans la plupart des cas, c’étaient les parents des époux qui mettaient un terme au
mariage. Cela signifie que les partenaires n’étaient pas libres, ils étaient soumis à la décision
de leur famille ou de leur belle-famille.61 Le divorce était prononcé par des notables ou des
chefs religieux. En 1972, le droit civil sénégalais a affirmé la légitimité du divorce pour
l’homme et la femme et la possibilité pour elle d’obtenir des réparations.
À partir des années 1970, le nombre de divorces augmente. Bien des couples à la
moindre crise choisissent de se séparer plutôt que d’analyser sereinement la situation et de
l’affronter.62 Actuellement, le divorce est un phénomène important au Sénégal, en particulier
dans la capitale, Dakar. Un couple sur trois se sépare avant même la cinquième année de vie
conjugale, selon l’enquête menée par la sociologue Fatou Binetou Dial.63
Bien que le statut de femme divorcée soit mal accepté au Sénégal, le divorce se fait
dans la plupart des cas à l’initiative de la femme, comme dans le cas d’Aïssatou dans Une si
longue lettre. Il y a deux types de divorces : le divorce coutumier et le divorce légal. Le
dernier, utilisé seulement par la moitié des femmes, leur apporte plus de garanties financières.
La rupture légale du mariage a diverses raisons, cela peut être le défaut de l’homme
d’entretenir sa femme et ses enfants, la grande différence d’âge entre les époux, la stérilité de
la femme, l’immixtion de la famille ou de la belle-famille dans la vie du couple et les
61
COQUERY-VIDROVITCH, Ibid, p. 340.
NDIAYE, Ibid, p. 182
63
ANTOINE, Philippe et DIAL, Fatou Binetou, « Mariage, divorce et remariage à Dakar et Lomé », 2003,
http://www.dial.prd.fr/dial_publications/PDF/Doc_travail/2003-07.pdf, consulté le 15 janvier 2012.
62
48
problèmes de castes. La polygamie est également une raison importante pour laquelle des
Sénégalaises, comme Aïssatou d’Une si longue lettre demandent le divorce.
Pourtant, pour beaucoup de Sénégalaises, la décision de se séparer définitivement du
mari est difficile. Comme nous l’avons vu au paragraphe précédent, Ramatoulaye (Une si
longue lettre), Juletane (Juletane) et Lolli (La Grève des bàttu), critiquent le comportement
de leur mari polygame, mais elles n’ont pas le courage de l’abandonner définitivement. Entre
1960 et 1980, les principaux obstacles au divorce sont les enfants, les pressions familiales et
la religion. D’abord, les Sénégalaises sont conscientes qu’elles ne peuvent pas arracher un
enfant à son père. En plus, ces mères de familles nombreuses, comme Ramatoulaye et Lolli,
n’ont pas assez d’argent pour refaire facilement leur vie.
Puis, les pressions familiales qui font obstacle au divorce sont nombreuses. Des
parents conservateurs considèrent le divorce comme un échec de leur fille. De plus, le divorce
représente généralement une rupture entre les familles des deux conjoints. C’est la raison
pour laquelle des parents, comme ceux de Lolli, essaient de persuader leur fille de rester au
foyer conjugal : Veux-tu achever mes jours, Lolli ? Sache que si Mour te laisse tomber, tu
seras couverte de honte. Quand on a huit enfants, dont quelques-uns sont en âge de se
marier, on ne doit plus se permettre des comportements de petite fille. (GB 46). Lolli se laisse
convaincre par ses parents, elle n’abandonne pas son mari, Mour Ndiaye.
Enfin, l’islam considère le divorce comme le dernier recours, la dernière solution. Il
recommande la concertation et la négociation au lieu de la séparation. Pour Ramatoulaye, le
divorce n’est pas la bonne solution, parce qu’un tel acte ne s’accorde pas à sa foi religieuse.
Musulmane pratiquante, elle respecte les prescriptions imposées par le Coran : De toutes les
choses licites, le divorce est celle qui plaît le moins à Dieu.64 Ramatoulaye se rattache dans
son malheur à sa foi où elle puise la force de supporter tous ses maux sans se séparer.
La plupart des Sénégalaises, qui ont franchi les obstacles du divorce, se remarient.
Libérées de leur mari et obligées de faire face à leurs besoins, les divorcées sénégalaises
exercent pratiquement toutes une activité rémunérée. Cette période leur permet de chercher
un nouvel époux. En général, les divorcées qui étaient déjà salariées pendant leur premier
mariage, sont moins pressées de conclure une nouvelle union, du fait de leur autonomie.
À cause de la polygamie, les hommes ont la possibilité de choisir librement une
nouvelle épouse. Par contre, les femmes doivent demander le divorce pour pouvoir épouser
un autre homme sans problèmes. L’entrée dans un mariage polygame est une tendance forte
64
HERZBERGER-FOFANA, Ibid, p. 84.
49
chez les Sénégalaises divorcées. Cela est remarquable : d’une part, des femmes se séparent à
cause de la polygamie, mais d’autre part, elles participent volontairement au mariage
polygame en se remariant avec un homme déjà pris. On voit là les vestiges de la tradition
d’une part et de l’autre un certain opportunisme des femmes.
Aïssatou, l’amie de Ramatoulaye dans Une si longue lettre, rompt les liens du mariage quand
elle apprend que son mari, Mawdo Bâ, a pris une deuxième femme, parce qu’en tant que
Sénégalaise moderne, elle n’accepte absolument pas la polygamie :
Les princes dominent leurs sentiments pour honorer leurs devoirs. Les « autres » courbent leur nuque
et acceptent en silence un sort qui les brime. Voilà, schématiquement, le règlement intérieur de notre
société avec ses clivages insensés. Je ne m’y soumettrai point. (LL 65)
D’un caractère très volontaire, Aïssatou met une croix sur son passé, elle regarde droit vers
l’avenir. Elle quitte son mari et part aux États-Unis en emmenant ses quatre fils. Un tel acte
placé dans un milieu islamique, est considéré comme un geste révolutionnaire dans un pays
où le code de la famille (1972) confie en général la garde des garçons au père. Cette rupture
définitive frappe aussi par sa force de caractère, parce qu’Aïssatou ne correspond pas à
l’image que de nombreux Sénégalais ont d’une « bijoutière », issue d’une caste méprisée.
Quand Aïssatou part, elle laisse bien en vue sur son lit une lettre destinée à Mawdo,
dans laquelle elle explique pourquoi elle le quitte :
Au bonheur qui fut nôtre, je ne peux substituer celui que tu me proposes aujourd’hui (un mariage
polygame). Tu veux dissocier l’Amour tout court et l’amour physique. Je te rétorque que la communion
charnelle ne peut pas être sans l’acceptation du cœur si minime soit-elle. (LL 65)
Elle conclut sa lettre en écrivant qu’elle part sans espoir de retour : Je me dépouille de ton
amour, de ton nom. Vêtue du seul habit valable de la dignité, je poursuis ma route. Adieu,
Aïssatou. (LL 65).
Ramatoulaye admire beaucoup le courage de son amie de partir aux États-Unis, parce
qu’elle sait qu’elle-même n’agirait jamais de la sorte : Tu eus le surprenant courage de
t’assurer. Tu louais une maison et t’y installas. Et, au lieu de regarder en arrière, tu fixas
l’avenir obstinément. Tu t’assignas un but difficile. (LL 66).
Bien qu’Hélène de Juletane ne s’est pas encore mariée avec Ousmane, elle n’accepte
pas non plus la polygamie : Une chose est certaine, elle (Hélène) n’admettrait aucun écart de
50
la part d’Ousmane. (J 56). À la première alerte, elle demanderait le divorce, parce que pour
elle : cette porte de sortie existait toujours. (J 105). Comme Hélène, femme pratique et
émancipée, gagne quatre à cinq fois plus qu’Ousmane, elle a déjà vu le notaire et fait établir
un contrat de séparation des biens, à l’insu de son futur époux : Ousmane n’était pas encore
informé, c’est le cadeau qu’elle lui offrirait à son retour le lendemain. (J 84).
Daba (Une si longue lettre) et Raabi (La Grève des bàttu) font partie d’une génération
de jeunes femmes qui sont de moins en moins influencées par la tradition. Filles modernes,
elles s’opposent fortement à la polygamie, parce que : c’est une pratique qui ne se justifie
plus de nos jours. (Raabi, GB 60). Ces filles sont d’avis que les femmes doivent divorcer en
cas de polygamie. Cette génération de jeunes Sénégalaises a une vision plus moderne des
divorces :
Le mariage n’est pas une chaîne. C’est une adhésion réciproque à un programme de vie. Et puis, si
l’un des conjoints ne trouve plus son compte dans cette union, pourquoi devrait-il rester ? Ce peut
être Abou (son mari), ce peut être moi. Pourquoi pas ? La femme peut prendre l’initiative de la
rupture. (Daba, LL 137)
Daba et Raabi demandent à leurs mères, Ramatoulaye et Lolli, de se révolter, de ne
pas se laisser maltraiter et humilier par leurs pères. Elles essaient de les persuader de se
séparer de leur père, parce qu’il a épousé une deuxième femme.
Abasourdie par le second mariage de son père, Daba incite sa mère à réfléchir sur son
union conjugale et la pousse au divorce : Romps Maman ! Chasse cet homme ! Il ne nous a
pas respectées, ni toi, ni moi. Fais comme Tata Aïssatou, romps. Dis-moi que tu rompras. Je
ne te vois pas te disputant un homme avec une fille de mon âge. (LL 77). Raabi essaie de
dissuader sa mère de poursuivre l’union avec son père et elle veut l’obliger à mettre son père
en demeure de choisir entre sa première famille et sa deuxième femme :
Raabi a essayé de convaincre sa mère qu’elle doit se battre, qu’elle ne doit pas accepter une situation
ambigüe, qu’elle a le devoir de ne pas laisser une intruse lui disputer sa place, et pour cela, « il faut
prendre tes responsabilités et demander à papa de choisir ». (GB 63)
Pourtant, les conseils de Daba et de Raabi, qui témoignent d’un féminisme militant, n’ont pas
atteint leur but, parce que Ramatoulaye et Lolli ne se séparent pas de leur mari polygame.
C’est donc à travers les jeunes femmes et leur refus des traditions que l’on observe
51
l’évolution de la femme africaine. Si leurs mères, déjà évoluées, font un pas en avant et un en
arrière, la jeune génération de femmes est plus absolue.
4. Le veuvage
Chez les musulmans au Sénégal, le veuvage dure quatre mois et dix jours. Selon Madior
Diouf (né en 1939), c’est le temps de voir si le mari qui est décédé a laissé ou non un germe
dans le ventre de sa femme.65 Cet universitaire et homme politique sénégalais considère le
veuvage comme un temps qui est consacré à la vie intérieure. Diouf est très impressionné par
les rites funéraires toujours présents dans la société sénégalaise.
Pendant la première partie de la période de deuil, la famille et les amis du défunt
visitent régulièrement la maison de l’homme décédé, où la veuve s’est retirée. Dans Une si
longue lettre, Ramatoulaye reçoit beaucoup de visites après la mort de son mari Modou : Le
troisième jour, mêmes allées et venues d’amis, de parents, de pauvres, d’inconnus. (LL 19).
Dans Juletane, des parents et des amis sont dans la maison où Awa, la première épouse de
Mamadou, s’est suicidée : Les parents de la rue Trente-trois, les sœurs de Ndèye, ainsi que la
plupart des amis de Mamadou sont probablement partis aussi. (J 118). Au Sénégal, la
période de deuil est une occasion de rencontre, susceptible de favoriser les contacts : Les
visites de condoléances continuent : on peut manquer un baptême, jamais un deuil. (LL 25).
Pendant les réunions familiales, on peut retrouver différentes coutumes, comme les grands
repas et l’eau miraculeuse: Le « Zem-Zem », eau miraculeuse venue des Lieux Saints de
l’Islam, pieusement conservée dans chaque famille, n’est pas oubliée. (LL 15). La période de
visite et de prière dure quarante jours et finit par une journée de fête : J’ai célébré hier,
comme il se doit, le quarantième jour de la mort de Modou. (Ramatoulaye, LL 108). Après
cette journée, seule la veuve reste en deuil pendant quatre mois et dix jours.
La religion musulmane recommande que, pendant cette période, la veuve ne peut
sortir de la maison du défunt que par nécessité, pour aller travailler par exemple. À
l’expiration de la période de deuil, la veuve peut abandonner le domicile conjugal. Cette
réclusion est une période ennuyeuse pour beaucoup de Sénégalaises, comme le dit
Ramatoulaye : Je vis seule dans une monotonie que ne coupent que les bains purificateurs et
les changements de vêtements de deuil, tous les lundis et vendredis. (LL 25). Pendant le
65
NDIAYE, Ibid, p. 178.
52
temps de veuvage, la coutume sénégalaise veut que la femme ne se lave et ne change de linge
que deux fois par semaine. Ensuite, l’islam recommande que la veuve doit éviter de porter
des vêtements voyants, excentriques ou de couleurs vives. En général, ce sont les sœurs du
défunt mari qui achètent les vêtements de deuil des veuves. (LL 22). La religion détermine
également les vêtements du mort : Les sept mètres de percale blanche, seul vêtement autorisé
à un mort musulman. (LL 15).
En cas de décès de l’homme, les parents et les enfants du défunt sont les premiers
héritiers. L’épouse n’hérite qu’un 1/8 des biens de son mari.66 Dans Une si longue lettre,
Ramatoulaye est une spectatrice impuissante, qui perd une partie de sa personnalité, quand
elle assiste au dépouillement de ses biens :
C’est le moment redouté de toute Sénégalaise, celui en vue duquel elle sacrifie ses biens en cadeau à sa
belle-famille, et où, pis encore, outre les biens, elle s’ampute de sa personnalité, de sa dignité,
devenant une chose au service de l’homme qui l’épouse, du grand-père, de la grand-mère, du père, de
la mère, du frère, de la sœur, de l’oncle, de la tante, des cousins, des cousines, des amis de cet homme.
(Ramatoulaye, LL 17)
En outre, la famille du défunt exige de la veuve d’importantes sommes d’argent à
payer en espèces, entre autres pour pouvoir payer tous les frais pendant la période de deuil.
Mais en général, la veuve, comme Ramatoulaye, reçoit des visiteurs beaucoup d’argent après
la mort de son mari. Bien que la veuve ait besoin de cette aide financière, elle doit donner ces
billets à sa belle famille en doublant la somme :
Chaque veuve doit doubler sa part, comme sera doublée l’offrande des petits-fils de Modou,
représentés par la progéniture de tous ses cousins et cousines. Notre belle-famille emporte ainsi des
liasses laborieusement complétées et nous laisse dans un dénuement total, nous qui aurons besoin de
soutien matériel. (Ramatoulaye, LL 23).
Au Sénégal, la pratique du lévirat (pratique dans laquelle le frère du mari hérite de la veuve)
avait été juridiquement supprimé par le décret Mandel en 1939. Bien qu’abolie par la loi,
cette coutume ancrée dans les mentalités a persisté encore longtemps, surtout en zones
rurales, comme dans la région des Bassari67. En 1930, le lévirat dans ce groupe ethnique
concernait presque toutes les veuves. Depuis, sa fréquence est passée de 91% (de 1930 à
66
67
HERZBERGER-FOFANA, Ibid, p. 78.
La région des Bassari est une région de collines qui se trouve sur la frontière entre le Sénégal et la Guinée.
53
1959) à 65% (de 1960 à 1979) et 17% (de 1980 à 1995). 68 Dans la société sénégalaise entre
1960 et 1980, les points de vue concernant le lévirat différaient. En général, les citadins s’y
opposaient, mais les villageois pensaient souvent que cette pratique est normale et aide pour
la consolidation de la cellule familiale et considéraient le lévirat comme une question de
dignité.69 Aujourd’hui, le lévirat ne se justifie presque plus au Sénégal. Les veuves se marient
souvent avec un autre homme que le frère de leur mari ou elles choisissent de vivre seules en
percevant une pension. Dans ce dernier cas, elles sont en principe économiquement
indépendantes.
Autrefois, quand le lévirat était encore un phénomène fréquent, on demandait souvent
à la veuve si elle accepte le mariage avec un autre homme. Si le défunt a plusieurs frères, la
tradition laisse à la femme le libre choix de se remarier avec qui elle veut parmi les frères de
son mari décédé. Néanmoins, si la famille veut obliger la veuve à se remarier avec son beaufrère, ce qui est aujourd’hui de moins en moins courant, elle peut se tourner vers la justice. Le
rapport sexuel entre les nouveaux partenaires n’est pas obligatoire, mais si la veuve est
suffisamment jeune pour enfanter, elle aura souvent des enfants avec le nouveau mari. Ces
enfants ont le même statut que les enfants du premier mari.
Inspiré de la loi coranique, le lévirat avait pour fonction d’assurer à la veuve et à ses
enfants une vie décente après la mort du mari. Il permet donc aux familles de ne pas sombrer
dans l’indigence. Le nouveau mari doit prendre en charge la femme et les enfants de son frère
comme s’ils étaient les siens. Il faut qu’il se charge entre autres de l’alimentation, de
l’éducation et de la santé pour gommer l’absence paternelle.
Mais, ce but social est de plus en plus perverti par des hommes qui sont uniquement
soucieux de récupérer l’héritage du frère perdu, comme affirme Binta Sarr, présidente de
l’association pour la promotion de la femme sénégalaise :
Avec le temps, de plus en plus d’hommes n’acceptent cette tradition que pour prendre l’héritage de la
veuve, au détriment de ses enfants. (…) Les hommes deviennent de plus en plus matérialistes. Ils
acceptent les parcelles et le bétail, mais le revendent pour avoir de l’argent et laissent la femme se
débrouiller seule.70
68
GESSAIN, Monique et DESGREES DU LOU, Annabel, « L’évolution du lévirat chez les Bassari », Journal
des africanistes, 1998, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_03990346_1998_num_68_1_1170#, consulté le 20 janvier 2012.
69
NDIAYE, Ibid, p. 178.
70
BANGRÉ, Habibou, « Une fois veuves, elles doivent épouser le frère du défunt », le 11 octobre 2004,
http://www.afrik.com/article7702.html, consulté le 20 janvier 2012.
54
Le lévirat favorise donc l’exploitation de la femme et en outre, il renforce le système
polygamique sous le couvert du devoir fraternel.
Dans Une si longue lettre, Tamsir veut épouser la femme de son frère, Ramatoulaye,
après la mort de son frère, Modou. L’empressement avec lequel Tamsir revendique son droit
à épouser sa belle-sœur provoque une grande colère chez Ramatoulaye qui rejette fortement
le lévirat. Pour la première fois de sa vie, elle s’emporte sans tenir compte des bienséances et
de la présence de l’imam :
As-tu jamais eu de l’affection pour ton frère ? Tu veux déjà construire un foyer neuf sur un cadavre
chaud. Alors que l’on prie pour Modou, tu penses à des futures noces. (…) Tu oublies que j’ai un
cœur, une raison, que je ne suis pas un objet que l’on passe de main en main. (LL 109)
et d’ajouter: Je ne serai jamais le complément de ta collection. (…) Tamsir, vomis tes rêves
de conquérant. Ils ont duré quatre jours. Je ne serai jamais ta femme. (LL 110). La fougue
avec laquelle Ramatoulaye s’exprime, surprend tous les convives qui sont plus traditionnels
qu’elle : Quelles paroles profanes et dans des habits de deuil !... (l’imam, LL 111). En
repoussant la demande en mariage de Tamsir, Ramatoulaye prend également sa revanche sur
un autre jour où Tamsir lui avait annoncé, avec désinvolture, le mariage de Modou avec sa
deuxième femme, Binetou.
En conclusion, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, la tradition et la
modernité se côtoient au Sénégal entre 1960 et 1980, mais dans ce chapitre concernant la
femme-épouse, on a pu observer l’évolution de la femme sénégalaise. Tout d’abord, bien que,
jusqu’à l’heure actuelle, de nombreuses Sénégalaises soient liées à des hommes par des
mariages forcés, ce nombre diminue au profit des mariages d’amour. Des mariages
traditionnels, où les rôles sont souvent clairement délimités et où la femme est inférieure à
l’homme, font de plus en plus place à des mariages modernes, où l’homme et la femme
s’appuient l’un sur l’autre. Ensuite, des Sénégalaises acceptent la polygamie, mais de plus en
plus de femmes sénégalaises critiquent ce système matrimonial. Bien qu’il y ait des femmes
qui n’ont pas le courage d’abandonner leur mari, le groupe de femmes qui demande le
divorce augmente. Enfin, pendant le temps de veuvage, les femmes vivent toujours selon les
coutumes sénégalaises, mais de plus en plus d’entre elles rejettent le lévirat et aujourd’hui,
cette pratique ne se justifie presque plus au Sénégal. On peut conclure que c’est surtout à
travers les jeunes femmes que l’on observe l’évolution de la Sénégalaise, parce que bien que
leurs mères s’évoluent, ces dernières restent souvent attachées aux traditions.
55
Conclusion
Dans notre mémoire, nous avons cherché à répondre à la question suivante : « Comment la
littérature sénégalaise présente-t-elle la condition féminine au Sénégal entre 1960 et 1980 et
son évolution ? ». Les trois romans étudiés racontent l’évolution de la femme sénégalaise à
travers la maternité, la place de la fille, l’éducation, le mariage, la polygamie, le divorce et le
veuvage.
Dans le premier chapitre, concernant la mère et la fille au Sénégal, nous ne pouvons
pas parler d’un grand choc dans l’évolution de la femme, parce que la tradition et la
modernité se côtoient dans la société entre 1960 et 1980. Ce conflit se rencontre surtout chez
des femmes qui sont les charnières entre deux périodes historiques, l’une de domination,
l’autre d’indépendance. Bien que des Sénégalaises remettent en question la maternité comme
obligation sociale dans une société où les femmes s’émancipent de plus en plus, la valeur
d’une femme se mesure toujours d’abord en fonction de sa fertilité. De plus en plus de
femmes tout en étant mères, sont également salariées, mais ceci est désapprouvé par de
nombreuses femmes plus traditionnelles pour qui une femme qui travaille ne peut pas être
responsable de son foyer et de l’éducation de ses enfants. Enfin, le taux de scolarisation des
filles est toujours très bas, malgré que de plus en plus de femmes laissent étudier leurs filles.
Certaines femmes pionnières sont écartelées entre la tradition et la modernité, néanmoins
elles stimulent leurs filles à s’émanciper, entre autres à l’aide de la scolarisation. Dans la
génération de jeunes femmes, le conflit entre la tradition et la modernité se transforme en un
refus de la tradition, mêlé parfois à une acceptation par opportunisme.
Dans le deuxième chapitre, qui présente la femme adulte, nous pouvons observer plus
clairement l’évolution de la femme sénégalaise. En premier, il faut noter que le mariage
devient de plus en plus l’affaire des futurs époux, ce qui signifie que le nombre de mariages
forcés diminue et fait place aux mariages d’amour. Le regard des hommes sur les femmes,
comme les perceptions que des femmes ont d’elles-mêmes restent caractérisés d’une
idéologie souvent encore conservatrice, mais en même temps, de nombreuses Sénégalaises
tentent de s’émanciper. Les rôles masculins et féminins dans le mariage semblent vouloir
s’équilibrer. De plus en plus de femmes refusent la polygamie et le nombre de femmes qui
demandent le divorce augmente. Enfin, de nombreuses coutumes sénégalaises sont toujours
56
vivantes, comme pendant le temps de veuvage, mais le lévirat est rejeté par de nombreuses
femmes et ne se rencontre presque plus au Sénégal.
En général, les femmes que nous désignons comme pionnières, ont évolué grâce à la
scolarisation, mais en même temps, elles restent attachées aux traditions sénégalaises, elles
font un pas en avant et un en arrière. La jeune génération de femmes est plus absolue et
souhaite s’émanciper de plus en plus, ces filles constituent l’avenir du Sénégal. Mariama Bâ,
Aminata Sow Fall et Myriam Warner-Vieyra ne portent pas de jugement de valeurs sur la
conduite des Sénégalaises, elles les décrivent telles qu’elles sont. Pourtant, la génération de
jeunes femmes semble avoir la sympathie de Mariama Bâ et d’Aminata Sow Fall, les
auteures nous adressent à travers Daba et Raabi. Ces jeunes femmes constituent l’espoir
d’une société dans laquelle les hommes et les femmes sont considérés comme égaux. La
littérature sénégalaise en reflétant la condition féminine est une arme pour aider au
changement des sociétés et des mentalités.
L’émancipation de la femme ne peut pas se réaliser du jour au lendemain dans une
société où les valeurs traditionnelles sont toujours présentes, elle n’a de chances de réussir
que si les femmes elles-mêmes prennent en main leur destin. Comme la littérature est le
visage d’un pays, elle peut stimuler les Sénégalaises à s’émanciper. L’Occident peut
contribuer à l’indépendance de la femme, par exemple à l’aide du microcrédit, un système
d’aide sociale qui est devenu très populaire en Afrique ces dernières années. On peut
considérer le microcrédit comme un levier de revalorisation de la femme sénégalaise, au
moyen de cette aide financière, des femmes peuvent rétablir l’équilibre entre les sexes. Il est
important que les femmes sénégalaises ne perdent jamais l’espoir d’une société dans laquelle
les hommes et les femmes seront tout à fait égaux, car comme le dit un proverbe africain :
L’espoir est le pilier du monde.71
71
Proverbes, L’internaute encyclopédie, http://www.linternaute.com/proverbe/919/l-espoir-est-le-pilier-dumonde, consulté le 11 février 2012.
57
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- OUSMANE, Sembene, La Noire de…, Sénégal, 1966, 65 min.
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