La Vie Diplomatique (Fr) (pdf 353KB)

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saveurs / vins
En route pour Fuori Mondo, littéralement le bout du monde. C’est là qu’Olivier Paul-Morandini a posé son sac et
sa famille un jour, il y a quelques années. Un coup de passion, un coup de folie. Rien ne prédestinait ce petit-fils
d’Italien, né à Charleroi, à devenir vigneron, et qui plus est, vigneron au talent déjà reconnu dans le monde.
Rencontre avec l’un des
vignerons
les plus doués
Par Eric Boschman
L
“
es hasards de la vie le conduisent un jour en Toscane, là, dans une
oenoteca, il déguste un vin en mangeant. C’est le coup de foudre.
Il veut s’en procurer, visite la propriété, rencontre les producteurs,
et, de refus en frustrations, devient leur ami. Lorsque ceux-ci décident de rentrer
dans leur Suisse natale, ils lui proposent de racheter les quelques arpents de vignes
qu’ils cultivent. Olivier ne prend même pas le temps de penser et accepte. C’est le
début d’une aventure dont nous ne sommes pas prêts de voir la fin. Le plus beau
des paradoxes dans ce que vit notre homme, c’est qu’aujourd’hui, une grosse décennie après avoir craqué pour un vin,
il en produit quatre résolument aux
antipodes de ce qui a provoqué son
émoi originel. Le vin n’est pas qu’une
histoire de savoir ou de technique,
c’est surtout, une histoire de ressenti,
de sentiment, de passion. C’est un des
problèmes du produit aujourd’hui;
l’essentiel de la production est aux mains de techniciens qui oublient d’être
passionnés. Ils «font» du vin, mais ils ne le rêvent pas. Dans le travail d’ Olivier
Paul-Morandini, il y a un tas de choses qui feraient hurler des économistes, ou
même des œnologues, notre homme suit son chemin, il voit où il veut aller et il se
donne les moyens de ses ambitions. Même si ce n’est pas toujours évident, surtout au point de vue économique. Quand sur un total d’à peine cinq hectares, on
produit une moyenne de 20 hectolitres, c’est à dire 100 hectolitres plus ou moins
à l’arrivée, il faut vendre bien pour pouvoir vivre toute une année, d’autant que les
prix ne représentent jamais une marge pure. Une barrique de qualité coûte près de
500€, et ne contient que 225 litres de vin. Et ce n’est qu’un exemple. En dehors
de l’aspect purement financier de la chose, qui a fort peu d’intérêt, c’est dans la
Ses vins sont déjà
au niveau des meilleurs
super-Toscans.
Olivier et Lucas D’Attoma, un des oenologues
les plus réputés d’Italie.
24 - La Vie Diplomatique #1
”
saveurs / vins
Un cep de Sangiovese planté dans les années 1930.
L’aube se lève sur les vignes.
Priscilla et Olivier le soir du repas
de fin de vendanges.
Vendanges du cabernet en octobre.
tête du vigneron qu’il faut rentrer pour comprendre sa démarche. Ses doutes, ses
justifications, ses éclairs de clairvoyance, sa vision tout à fait décalée par rapport
à ce que font ses collègues, la somme de toutes les choses qui font que les vins
du domaine sont en passe d’être reconnus unanimement parmi les meilleurs des
«super-Toscans».
Comment procéder pour être grand?
Il faut avoir, pour commencer, de la volonté, un truc non négociable avec soimême. Et puis, penser hors de ce qui se fait sur place, hors des canevas. Par
exemple, lorsqu’on lui parle de l’utilisation du cabernet-sauvignon et du merlot,
qui ne sont pas vraiment des variétés autochtones, l’homme explique: «Ok, je
travaille le cabernet-sauvignon mais je l’ai fait pour deux raisons: d’une part, la vigne bénéficie
d’une position et de sols exceptionnels qui confèrent au vin une fraîcheur en final de bouche et
grâce au travail de sols effectué entre mars et septembre. J’en suis tombé amoureux de cette vigne,
c’est comme ça! D’autre part, le cabernet est une porte d’entrée sur les marchés internationaux.
Arriver avec de l’Alicante au Canada, en Chine, aux USA serait plus laborieux. Une fois
placé le cabernet, et lorsque les clients comprennent la manière dont on travaille, il leur est plus
facile d’accepter un sangiovese ou alicante qui requiert un palais plus taquin», sourit-il. «Et,
à part dans le Scansano, on sait que des sangiovese 100% ou alicante ne se trouvent que si tu
as fait une licence en archéologie alors qu’il s’agit véritablement de l’identité de la Toscane. Pour
plus de facilité et pour éviter le gaspillage avec trop de sélections, 95% des producteurs produisent aujourd’hui cabernet, syrah, petit verdot, merlot... Le sangiovese à Bolgheri représente 5%
du volume de production avec, à ma connaissance, un seul qui sort un 100%, tout le reste vient
dans l’assemblage de vins de base,» poursuit-il.
Il en va de même lorsque l’on aborde l’épineuse question de l’usage du bois,
des barriques de chêne qui, bien trop souvent, oppressent les vins: «Mon appro-
che sur le vin va à l’encontre de ce qui se fait à Bolgheri et sur la Côte toscane en donnant
une prévalence au fruit grâce à un travail du bois beaucoup plus précis. Ce qui rend les vins
buvables dès leur mise sur le marché et n’empêche pas une longue garde car il y a la matière,
l’acidité et l’alcool nécessaires. On a une trame tanique mais ceux-ci ne sèchent pas la
bouche (la chauffe des barriques est très lente -jusqu’à deux heures sur bois- et les bois sont
choisis chez ses tonneliers). Résultat? Les tanins sont soyeux et soutiennent le vin pour un
potentiel de garde non négligeable et certainement égal à ce que l’on déguste dans les grands
crus de la Côte toscane.» De chez lui, dans l’aube laiteuse des matins d’hiver, on
voit presque jusqu’à l’île d’Elbe. Mais bien plus loin que la vue, on perçoit une
énergie, une fougue, dans son regard, dans ses gestes. Ce qu’il produit est déjà
au niveau des plus grands super-Toscans, parce que la passion fait bouger les
montagnes bien plus que la fortune.
Pourquoi vendre sur internet?
Encore une fois, la réponse fuse, précise et sans langue de bois: «Je ne veux pas
impacter le consommateur d’un budget communication/marketing. Tout est vendu de Shanghai
à NYC ou de Stockholm à Paris en passant par Bruxelles, uniquement via le bouche-à-oreille,
malgré la demande insistante d’un guide bien connu qui souhaite recenser mes vins mais auquel
je me refuse car, selon moi, les seules notes qui officient en tant que repères sont les grandes tables
comme Bon-Bon, L’Air du Temps, la Maison Lemonnier, Le Chalet de la Forêt, Guy Martin,
Alain Passard, L’Eden-Roc, Taillevent, La Villa d’Este (ndlr: qui ont déjà placé ses vins à
leurs cartes)... Malgré les prix pratiqués qui sont déjà haut de gamme, un vin équivalent coûte
30/40% plus cher. Par exemple, le DueMani, Paleo ou Ornellaia... Unique occasion d’être
certain d’obtenir quelques quilles, la vente en ligne ouverte pour une courte période grâce à la vente
primeurs de Pemà, Lino in purezza, Amaë pour 2011 et D’Acco 2013», conclut-il.
www.fuorimondo.com
La Vie Diplomatique #1 - 25