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La folie contagieuseᅡᅠ: ᅢᄅtude de diffᅢᄅrentes entitᅢᄅs et
Annales Médico-Psychologiques 170 (2012) 527–532
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
Mémoire
La folie contagieuse : étude de différentes entités et de leurs conditions
d’apparition
Contagious psychosis: Different entities and conditions
Yann Auxéméry a,*,b,c
a
b
c
Service de psychiatrie et de psychologie clinique, hôpital d’instruction des armées Legouest, 27, avenue de Plantières, BP 90001, 57077 Metz cedex 3, France
École doctorale de recherche en psychanalyse, centre de recherche psychanalyse, médecine et société, université Paris VII, 26, rue de Paradis, 75000 Paris cedex, France
École du Val-de-Grâce, 1, place Alphonse-Laveran, 75005 Paris cedex, France
I N F O A R T I C L E
R É S U M É
Historique de l’article :
Reçu le 9 juin 2011
Accepté le 13 septembre 2011
Certains phénomènes psychiques peuvent se transmettre en prenant un profil épidémiologique
épidémique ou endémique. Si les différentes entités nosographiques qui sont le lieu de contagion
psychique sont très diverses, en fonction de leurs déterminants temporels et du nombre de sujets
impliqués, plusieurs dimensions psychopathologiques leur sont communes et se retrouvent dans les
paniques collectives, la « folie à deux » et les phénomènes psychogéniques collectifs. La dynamique de
transmission psychique intègre les mécanismes d’identification, d’imitation et de suggestion qui
fédèrent des individus différents autour d’un symptôme commun. La solution du symptôme s’établit
selon un modèle d’inconduite référencé à l’époque traversée. Les épidémies d’hystérodémonopathies des
couvents ont laissé place aux pathologies émergentes modernes qui permettent à certains sujets
d’exprimer leur souffrance. Quelques troubles se sont répandus dans la société, comme la fibromyalgie
qui gagne des continents où elle était pratiquement absente. D’après certaines prévisions
épidémiologiques, la dépression sera l’un des principaux problèmes de santé publique en 2030, avec
pour corollaire plus de deux millions de suicides annuels dans le monde. Ces évolutions interrogent non
seulement la santé mentale mais également la sociologie et la politique. Le rôle des médias peut ici être
préventif. Il y a nécessité d’informer la population générale et nos dirigeants sur la possibilité des
réactions psychogènes collectives qui peuvent prendre la forme d’une panique ou d’un syndrome
fonctionnel complexe à diffusion épidémique.
ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés :
Contagion mentale
Épidémie psychogène
Fibromyalgie
Folie à deux
Hystérie collective
Phénomène psychogénique collectif
Psychopathologie
Syndrome de la guerre du Golfe
Syndrome des bâtiments malsains
A B S T R A C T
Keywords:
Epidemic hysteria
Fibromyalgia
Folie à deux
Gulf War syndrome
Mass psychogenic phenomena
Psychic contagion
Psychogenic epidemics
Psychopathology
Sick building syndrome
Introduction. – Certain ‘‘unrealistic’’ human behaviour and thoughts can be transferred from one subject
to another, within the intimacy of the family circle or according to an epidemic including numerous
protagonists. We will re-address the different contagious entities which can be distinguished according
to the duration of the disorder and the number of subjects involved. Thus we can easily oppose the ‘‘folie
à deux’’ (shared psychosis) of the panic reaction, distinct from the delusive belief of the crowd. Mass
psychogenic phenomena take the shape of epidemics limited to the school and working environment. A
dissemination of psychosis can also take an endemic route, as shown by the increase in emerging
syndromes described by the medical profession. Certain psychopathological determinants unite these
different nosographic contexts and enable the psychopathogenic mechanisms of contagion to be
clarified.
Clinical findings. – The mass panic reaction which associates stereotyped behaviour of numerous
individuals in a short space of time eludes the concepts of psychosis and mass hysteria to consider a
single entity for which its phylogenetic origin is primary behaviour, acquired early in the evolution of
species and implying the role of mirror neurons. Very different from panic, in cases of ‘‘folie à deux’’, if we
* Service de psychiatrie et de psychologie clinique, hôpital d’instruction des armées Legouest, 27, avenue de Plantières, BP 90001, 57077 Metz cedex 3, France.
Adresse e-mail : [email protected].
0003-4487/$ – see front matter ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.amp.2011.09.017
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Y. Auxéméry / Annales Médico-Psychologiques 170 (2012) 527–532
consider the index subject as delirious, this delirium can be shared by a neurotic or a psychotic subject.
The transmission mechanisms are thus different: hysterical delirium can be transmitted in the same
way as cases of mass hysteria. In the course of history, epidemics of possession and hysterodemonopathy in convents have been substituted by health fears concerning the environment and
potential pollution as well as infections or nuclear risk. Dispassionate communication with a
dimensional approach to disorders considering mixed organic and mental contagions can be shared
with ‘‘intoxicated’’ subjects. A proband contaminated by a toxic substance can show symptoms that
spread by mimicry in other physically non-intoxicated employees. Sometimes the phenomenon is
totally psychogenic and the proband has suffered no toxic reaction. Thus an authentic somatic illness
can be secondarily epidemic: its propagation is psychogenic while the first organic medical entity
remains. It is thus very difficult to establish a distinction between a somatic illness and the eponymous
psychosomatic disorder of which the cardinal symptoms are the same, although expressed differently
in the discourse.
Discussion. – If the different entities that are the location of psychological contagion are very diverse
according to their temporal determinants and the number of subjects involved, certain
psychopathological dimensions are combined. The dynamics of transmission involve mechanisms
of identification, imitation and suggestion which will federate the individuals around a symptom. The
solution of psychosis sometimes varies according to a socially well-defined mode that can be
described as a model of misconduct. Thus the epidemics of hystero-demonopathy in convents echo
emerging pathologies of the modern era which enable certain subjects to express their suffering.
Conclusions. – Other disorders have spread through society such as toxicophilic behaviour or even
mental anorexia which has spread to continents where it was practically absent. According to certain
forecasts, depression will be a major health problem in 2030 resulting in two million suicides a year
worldwide. These evolutions question not only mental health but also sociology and politics. The role
of the media here can be deleterious or preventive. It is undoubtedly necessary to inform the leaders
and the general population on the possibility of this type of mass reaction which can take the shape of
panic or a highly contagious complex functional syndrome.
ß 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
« Un rassemblement de gens assez sains d’esprit devient, en effet,
assez facilement un seul et unique fou » Tarde, 1892 [35].
1. Introduction
Certains comportements et pensées humaines « déraisonnables »
peuvent se transmettre d’un sujet à un autre, dans l’intimité
du cercle familial ou selon un mode épidémique en incluant
de nombreux protagonistes. La question de la contagion de
la maladie mentale a été régulièrement étudiée au cours du
temps par les membres de la Société Médico-Psychologique
[8,9,12,16,18,19,21,23,28]. Nous réaborderons ces différentes
entités qui se distinguent par des critères de durée et de nombre
de sujets impliqués. Quoique reliée par la contagion psychique,
on peut aisément opposer la « folie à deux » de la réaction
panique, encore distincte de la croyance délirante de la foule.
S’éloignant de l’hystérodémonopathie des couvents, les phénomènes
psychogéniques collectifs prennent de nos jours le masque
d’épidémies circonscrites au milieu scolaire ou au milieu de travail.
Mais à la différence d’une épidémie, la dissémination de la folie peut
également prendre une voie endémique, comme en témoigne
l’inflation de syndromes émergeants telle la fibromyalgie. Nous
étudierons les déterminants psychopathologiques réunissant ces
différents cadres nosographiques pour proposer des orientations
thérapeutiques.
2. Des phénomènes contagieux opposés par le nombre de leurs
protagonistes et leur dynamique temporelle : de la panique
collective à la croyance délirante de la foule, en passant par la
« folie à deux »
2.1. La panique collective
Secondairement à une catastrophe de grande ampleur, des
comportements collectifs inadaptés peuvent se manifester. Crocq
définit la panique collective comme « une peur intense, déclenchée
par la survenue d’un danger réel ou imaginaire, ressentie
simultanément par tous les individus d’un groupe, d’une foule
ou d’une population, caractérisée par la régression des consciences
à un niveau archaı̈que, impulsif et grégaire, et se traduisant par des
comportements collectifs soit de sidération stuporeuse, soit plus
souvent de fuite éperdue, d’agitation désordonnée, de violence et
même de suicide » [7]. La panique s’installe souvent sur des
« germes de paniques » constitués de quelques individus isolés qui
sèment le trouble au sein de leur groupe. La propagation panique
s’établit en plusieurs étapes. Après une phase de préparation
permettant la naissance d’une inquiétude basée sur des rumeurs, la
panique fait suite à un facteur qui déclenche le choc de
« commotion-inhibition-stupeur ». Puis vient la phase de réaction
motrice préludant le retour à une dynamique résolutive. La durée
totale de l’accès peut être de quelques minutes à plusieurs heures ;
l’apaisement apparaı̂t soit spontanément, soit sous l’injonction
autoritaire d’un tiers. Les réactions paniques peuvent être très
diverses en associant fuite incontrôlée, agitation inconsidérée et
suicide collectif. Un cas particulier concerne la « panique de tir »
décrivant des troupes apeurées qui vident leurs munitions en tous
sens sur des cibles hallucinées. Le caractère constant de la panique
est la dangerosité du phénomène pour ses protagonistes comme
pour ceux qui viendraient à en croiser la charge.
D’un point de vue psychopathologique, la panique résulte d’une
déstructuration sociale provisoire qui transforme un groupe en
foule impulsive et suggestible dont le fonctionnement régressif
s’établit sur des moyens de défense archaı̈ques associant imitation,
grégarisme et immaturité [6,7]. Vers une perspective d’échappement anxieux, le phénomène intègre la clinique du passage à l’acte,
ici collectif, et qui se traduit par la libération motrice des pulsions
instinctuelles au détriment du jugement. Face à une émotion de
peur intense, les facultés de raisonnement sont temporairement
inhibées au profit d’un automatisme alignant le fonctionnement
psychique global sur les niveaux individuels les plus simplistes.
D’autres éléments étiopathogéniques ont été évoqués, comme la
carence des cadres ou le trop-plein d’individus vulnérables au sein
du groupe. Le déficit d’expérience communautaire corrélé au
manque de cohésion et au défaut d’entraı̂nement face à l’adversité
fait régulièrement le lit de la panique. Une communication délétère
ID
313904
Title
Lafoliecontagieuse:étudededifférentesentitésetdeleursconditionsd’apparition
http://fulltext.study/article/313904
http://FullText.Study
Pages
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