Jeremiah Johnson - collegeaucinema37.com

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Jeremiah Johnson - collegeaucinema37.com
Jeremiah Johnson de Sydney Pollack
Année scolaire 2000/2001
Mercredi 28 mars 2001, Alain Garel (enseignant à l’Institut International de l'Image et du Son de
Trappes) est intervenu auprès des enseignants au Conseil Général d'Indre et Loire à Tours à propos du
film Jeremiah Johnson de Sydney Pollack. Catherine Félix, enseignante au collège La Béchellerie de
Saint-Cyr-sur-Loire a adressé à l'association ses notes...
Pour analyser ce film, il faut l'inscrire dans un double contexte historique: l'histoire authentique du héros
et l'histoire d'un genre cinématographique : le western.
Qui était Jeremiah Johnson ?
De son vrai nom John Johnson, ce
personnage appartient à l'histoire
authentique de l'Ouest américain.
Un livre est d'ailleurs à l'origine de
la légende, celui de Raymond W.
THORPE "Crow Killer the Saga of
the Liver-Eatin Johnson" (traduit en
français sous le titre "Tueur
d'Indiens").
Johnson, né en 1823 dans le New
Jersey, est d'ascendance écossaise.
On sait peu de choses sur lui
jusqu'en 1843, date à laquelle on
le retrouve dans les Montagnes
Rocheuses, au sud du Missouri.
Johnson était peu loquace. Mais ce
colosse
doué
d'une
force
herculéenne et qui portait deux
paires de mocassins pour mieux
terrasser l'adversaire a confié un
certain nombre d'anecdotes à son
partenaire dans les campagnes de
trappe, le Del Gue du film qui est
lui aussi un personnage authentique
(comme la Femme folle, l'Indien
Crow "Chemise peinte en rouge",
Swan la femme indienne de
Johnson,
Griffe
d'Ours,
le
trappeur). Johnson vivait de
l'argent que lui rapportaient la
trappe des fourrures et les coupes
de bois qu'il laissait au bord des
rivières pour les steamers.
En 1846, entre le printemps et l'automne, il partage pendant un mois ou deux, l'existence d'une
indienne Flathead, "Tête Plate", (nom d'une tribu indienne qui pratiquait la déformation du crâne des
nouveaux-nés). Il part à l'automne pour trapper : c'est en hiver que les peaux sont les plus belles. A son
retour, il découvre le squelette de sa femme et celui d'un foetus de six ou sept mois : Swan avait été
victime d'une war-party, expédition guerrière menée par une vingtaine de guerriers Crows. Johnson,
selon des témoignages, aurait placé les ossements dans une marmite qu'il avait ensuite cachée et
devant laquelle il avait coutume de venir se recueillir.
Il va venger le meurtre de sa femme en tuant pendant deux ans des centaines d'Indiens Crow - 500 à
600 - dont il arrachait le foie pour le dévorer.
Faut-il y voir un rappel d'une coutume des Indiens des plaines qui dévoraient l'hiver le foie cru des
bisons ? Ces meurtres vont pousser les Crows à réagir s'ils ne voulaient pas devenir la risée des autres
tribus. Ils étaient déjà victimes des moqueries des Sioux car ils permettaient aux femmes de participer
au Conseil Tribal. Ils décident donc d'envoyer vingt braves dans plusieurs directions pour retrouver et
tuer Jeremiah Johnson. Ils furent tous tués les uns après les autres entre 1850 et 1864. Pour ces
hommes, il n'était pas question de retourner au campement : condamnés à l'errance et à la solitude, ils
devaient soit mourir ; soit revenir vainqueurs.
Johnson fera la paix avec les Crows après que ceux-ci auront enterré la Femme Folle. Sa folie avait
provoqué la crainte des Indiens qui l'avaient laissée tranquille et Johnson l'avait aidée, lui portant de la
nourriture.
En 1863, Johnson s'engage dans l'armée de l'Union, connaît quelques ennuis avec la Cavalerie. Avec
une bande d'éclaireurs cherokees, il avait scalpé ses adversaires : cela faisait plutôt désordre !
A ce propos, le scalp aurait son origine dans les guerres franco-anglaises.
Au XVIIème siècle, le scalp cheveux et cuir chevelu proprement découpés d'un ennemi tué rapportait 60
dollars, au XVIIIème siècle 134 $ pour un scalp d'homme et 50 $ pour un scalp de femme !
En 1879-80, il retourne dans ses montagnes et devient shérif délégué dans une petite ville minière.
Pendant cette période, il est aussi éclaireur protégeant les pionniers des attaques des Indiens qui se
défendaient contre le non respect des terres sacrées et des traités et le nombre grandissant de colons.
A partir de 1895, Johnson connaît des soucis de santé et au mois de décembre, il se rend à l'asile des
Anciens Combattants où il meurt un mois plus tard en janvier 1890. Le film de Sydney Pollack a
édulcoré la véritable histoire. Le scénario de John Milius était à l'origine beaucoup plus violent.
L'histoire elle-même a été modifiée : la femme de Johnson est tuée en représailles d'un sacrilège
commis par un détachement de cavalerie qu'il avait accompagné. Il ne s'agit pas, comme dans la
réalité, d'un meurtre gratuit. Le film a été tourné non sur les lieux d'origine mais un peu plus au sud
dans l'état de l'Utah, par des températures avoisinant les -25° !
Le Western
Le film de Sydney Pollack doit aussi être mis en relation avec un genre cinématographique particulier,
le western, "rencontre d'un mythe et d'un moyen d'expression" (André Bazin).
Sont à l'origine du western :
- des romans à cent sous dans lesquels on retrouve l'Indien sous les traits du sauvage traditionnel.
- des pièces de théâtre dans lesquelles des héros de l'Ouest jouaient leur propre histoire.
- le folklore (chansons, danses, rodéos, cavalerie...).
Le western est le premier genre cinématographique avec ses codes particuliers. Toute société a besoin
de mythes fondateurs, or, les Etats-Unis n'ont pas de passé. Leur histoire commence vraiment avec la
conquête de l'Ouest qui va devenir un mythe, d'abord dans la littérature (les romans de Louis LAMOUR)
puis de 1910 à 1930 dans le cinéma muet (D. GRIFFITH, R. WALSH, J. FORD).
Pendant la dépression économique de 1929, le western connaît une éclipse pour des raisons
techniques : le son est en prise directe, les tournages se font en studio, ce qui ne correspond pas à
l'image des grands espaces dans lesquels se déroulent les westerns. De plus, le western chantant la
gloire des États-Unis, il est difficile en temps de crise d'évoquer la grandeur passée. Il faudra attendre
les réformes de Roosevelt à partir de 1936 pour que le western retrouve sa place dans le cinéma
américain.
On trouve dans le western deux schémas narratifs de base :
- un voyage initiatique selon un itinéraire géographique et moral.
- la lutte pour l'intégrité d'un territoire.
L'année 1958 avec les lois anti-trusts va marquer la fin du système hollywoodien. La disparition des
grands studios et le développement de la télévision vont conduire à une désaffection des salles de
cinéma, qui vont montrer au public ce que la télévision ne peut donner à voir : les films en Cinémascope
et les super-productions (Ben Hur, ...). Les studios vendent à la télévision leur fonds de films en noir et
blanc. Or des gens de télévision, des intellectuels de gauche résidant à New York ont envie de réaliser
des westerns. Mais leur vision de l'Ouest va se trouver modifiée et apporter un changement de regard
sur le passé. En effet, les États-Unis sont entrés dans une ère de contestation avec la guerre du Vietnam,
le mouvement "beatnik" et hippie, la révolte des Noirs...
A partir de 1961-1962, le western devient révisionniste, "crépusculaire", il évolue vers le réalisme et se
veut vériste : boue, saleté du décor, personnages masculins mal rasés...
"La Poussière, la Sueur, la Poudre" si l'on en croit le titre d'un western.
La vision de l'Ouest repose sur un paradoxe. L'Ouest est un paradis terrestre, une seconde chance que
Dieu a offerte à l'homme. Le thème de la seconde chance est d'ailleurs un thème cher au western,
associé au mythe du mâle en fugue et au mythe de l'amour fou au fond des grands bois. Et
paradoxalement, le western montre comment l'Est a transformé l'Ouest, en le modelant à son image, en
le civilisant ! Ce western qui démythifie le genre va en signer la mort en 1976 : on ne peut inverser le
cours de l'histoire et retrouver le monde d'avant le péché originel.
Quelques pistes pour l'analyse du film (Il est important de faire remarquer aux élèves) :
- la structure du film : alternance de courtes scènes séquentielles, muettes, souvent physiques, limitées à
un plan et de longues scènes dialoguées qui sont autant de rencontres et d'étapes.
- sa construction symétrique : le film raconte l'apprentissage de Jeremiah Johnson dans une nature
hostile. La rencontre avec l'Indien Crow, Peint sa chemise en rouge, avec l'homme gelé et le trappeur
griffe d'Ours en sont les étapes essentielles. Des épisodes intermédiaires vont nourrir cette adaptation :
la rencontre de la Femme Folle, de Del Gue et des Indiens Têtes-Plates dont le chef donne sa fille à
Jeremiah Johnson. L'adaptation du héros trouve son couronnement dans la construction de la cabane et
le combat contre les loups. Vient ensuite le moment pivot du film : l'arrivée de la cavalerie, le départ
de Jeremiah, la traversée du cimetière indien, la vision lointaine des pionniers enfin sauvés. A partir de
là, le mouvement s'inverse avec la retraversée du cimetière indien et la destruction de la cabane. Les
combats contre les Indiens Crows rappellent le combat contre les loups et les rencontres suivent en sens
inverse l'itinéraire précédent : Del Gue, la Femme Folle, Griffe d'Ours et l'Indien "Peint sa chemise en
rouge".
A l'origine, Johnson devait mourir gelé comme le trappeur auquel il prend son fusil au début du film.
Cette symétrie par trop ridicule a été abandonnée au profit de l'image où Johnson, en signe de paix,
salue l'Indien. Et à ce moment, c'est l'image seulement qui se gèle et le personnage peut entrer dans la
légende.
La construction, classique et dramatique, s'articule autour de ce moment pivot qui va de la cabane
construite à la cabane détruite. En même temps la construction est très elliptique, un certain nombre de
scènes n'étant pas montrées à l'écran, le massacre de Swan et de Caleb par exemple.
Il faudrait aussi insister sur la construction de ce moment pivot, comment Jeremiah Johnson paraît au
retour petit dans l'immensité des paysages et comment des images de la montagne brisent sa course, lui
interdisant tout espoir de retrouver les siens vivants. Les fondus enchaînés en surimpression très
nombreux s'inscrivent dans une mode et sont l'oeuvre d'un réalisateur particulier : cela permet de
donner un maximum d'informations en un minimum de temps. Il faut évoquer aussi les références dans le
domaine de la peinture de deux grands peintres Indiens du XIXème siècle : BÔDMER et CATLIN.
RAPPEL:
Alain GAREL a mis à disposition de l'association une documentation très complète sur les différentes
tribus d'Indiens d'Amérique (articles de teneur ethnologique, illustrations, cartes, bibliographie et
filmographie du western).
N'hésitez pas à venir la consulter au bureau (3 rue Camille Flammarion à Tours)