New York Theatre Review Par Olivia Jane Smith « Le théâtre n`est

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New York Theatre Review Par Olivia Jane Smith « Le théâtre n`est
New York Theatre Review
Par Olivia Jane Smith
« Le théâtre n’est plus ce qu’il était » dit Becca Blackwell qui joue Peter (enfin, plus ou moins) dans Seagull (Thinking of
you) de Tina Satter et de sa compagnie Half Straddle. Ce à quoi Nina (Emily Davis) répond
« Jadis il y avait des chênes exceptionnels, maintenant seules de modestes souches subsistent ».
Il est difficile de ne pas interpréter ceci comme une autocritique acerbe de ce spectacle qui s’inspire de façon éloignée
de la pièce de Tchekhov de 1895, et l’utilise uniquement comme point de départ. Pour être honnête, Seagull (Thinking of
you) peut parfois laisser perplexe : des scènes très courtes dont la plupart se réfèrent aux personnages et à l’univers de
la pièce d’origine de manière indirecte mais sans jamais s’approcher de La Mouette ou suivre son prévisible et agréable
fil narratif. Ces petits morceaux de dialogues sont occasionnellement interrompus par des apartés impressionnistes lors
desquels Macha (Eliza Bent), en chapka et longue robe victorienne en dentelles, ressemblant à une poupée de
porcelaine habillée de fripes branchées trouvées à Williamsburg, traverse la scène sur un skateboard ou se saisit d’un
micro pour entonner du rock en russe.
La Mouette de Tina Satter résonne à plusieurs niveaux. C’est clairement un spectacle qui expose et explore la nature
méta-théâtrale de l’oeuvre de Tchekhov : une pièce à propos d’acteurs et d’écrivains, d’aspirants acteurs et écrivains et
des égos fragiles, des tempéraments romantiques et artistiques qui les caractérisent. Dans cette veine, il y a des
instants grandioses, notamment dûs à Susie Sokol qui interprète Arkadina, l’actrice expérimentée. A un moment elle
proclame « Je vais essayer de prétendre que jamais je ne m’étais autant senti en vie… », à partir de quoi elle Joue,
avec un « j » majuscule. « Et … scène », annonce-t-elle un moment plus tard, totalement triomphante, ce sur quoi les
autres applaudissent à tout rompre.
Dans ce sens le spectacle est une lettre d’amour au processus de création, aux jalousies, aux passions romantiques
compliquées, à ce qui se déroule en coulisse pendant les répétitions, au théâtre. Nina :
« Quand j’y vais, pourquoi est-ce que je n’arrive pas à ressentir que nous ne sommes pas obligés d’en rajouter une
couche ? Que simplement, nous… ». « Brillons ? » répond Masha. Cela pourrait être une conversation entre deux
acteurs ou entre une actrice et son metteur en scène. A d’autres moments, les répliques finissent en une parodie du jeu
d’acteur au fur et à mesure que Nina surenchérit en les surjouant à chaque fois plus. C’est également dans cette scène
que Nina rejette les avances d’un Treplev amoureux (Jess Barbagallo).
Mais là aussi la pièce est riche. À moins que vous n’ayez juste lu ou vu l’originale de Tchekhov, le simple fait de le
suggérer crée toute sorte de tensions intéressantes. Je me suis surpris à penser que Nina n’y disait probablement pas la
même chose mais qu’elle aurait pu. A d’autres moments je me suis demandé si une réplique était une nouvelle, et plutôt
excentrique, traduction de l’originale ou si Satter, coupant simplement à travers la banalité des conversations pour
atteindre directement le sous-texte, interprétait ce que Tchekhov avait vraiment voulu dire.
Les personnages de la pièce de Satter changent aussi de rôles de manière surprenante et troublante. Une scène entre
Arkadina et Treplev, joué par Blackwell qui joue aussi Peter/Trigorine, s’entend comme si elle se passait entre Nina et
Trigorine ou Treplev et Nina. Ou Arkadina et Trigorine, ou Macha et Treplev. « Je déchirais vos lettres et vos
photographies, mais à chaque instant je savais que je serais vôtre pour toujours. Je n’ai pas la force de vous oublier et
déteste ce sentiment. » Libérés des trajectoires fixes que Tchekhov avait tracées pour eux, les similarités entre les
personnages – aimer la mauvaise personne mais ne pas être capable d’y renoncer, avoir un manque de confiance
chronique en leur talent – sont mises à nues.
A d’autres moments, comme le texte nous aide à le comprendre, les acteurs jouent tour à tour le riff de Satter sur
Tchekhov et eux-mêmes répétant Seagull. Ce n’est pas aller trop loin que de dire que ceci a pour effet d’établir des
connexions inédites entre le public et les personnages de Tchekhov : nous sommes tous maladroits lorsque nous
sortons le grand jeu, nous tombons tous amoureux de personnes qui ne nous conviennent pas, nous sommes tous
minés par le doute et pourtant nous nous essayons de ne pas le montrer et continuons à jouer le théâtre de notre vie. «
Que je sois ici à travailler sur scène ou que ce soit toi, je comprends maintenant que l’essentiel n’est ni la célébrité ni la
gloire, ni même ce que tu pourrais désirer au plus profond de ton coeur » dit Sokol jouant Arkadina. « C’est notre
capacité à survivre, à aller de l’avant, à boire notre café et à noyer tous nos autres désirs ».
Le spectacle est beau à voir même si, d’un point de vue esthétique, il semble terriblement branché avec
« Half Straddle » bien en vue sur le mur du fond du New Ohio en caractères arrondis et tendances et les acteurs qui
donnent l’impression de sortir d’une séance de photos de mode pour un blog fashion de Brooklyn. Les costumes, qui
sont très beaux, sont de Enver Chakartash. Les lumières de Zack Tinkelman sont essentielles en ce qu’elles créent des
transitions entre les courtes scènes et nous aident à différencier ce qui serait sans elles de très subtils changements de
tons. Le décor de Andreea Minic inclut un raton laveur empaillé et une minuscule reproduction de St Basil, la cathédrale
de Moscou, ainsi que d’autres objets tels que des chaussons de danse et des poupées russes installées sur des
piédestaux qui quittent la scène une fois que les acteurs y entrent.
Le spectacle nous amène au célèbre discours de Nina dans lequel elle se compare à l’oiseau éponyme de la pièce et
que Davis interprète merveilleusement. Bien que la pièce capture notre attention d’une scène à l’autre, j’y ai trouvé
presque plus de plaisir rétrospectivement. Nous quittons le théâtre avec des impressions fragmentaires et il est agréable
d’y trouver du sens alors que celui-ci nous échappait plutôt lors de la représentation. Comme Treplev, l’aspirant
dramaturge, répond au commentaire sur les talents au théâtre :
« Les talents exceptionnels se font peut-être rares aujourd’hui, je vous l’accorde, mais il en est de modestes qui
produisent un travail plein de subtilité ».

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