Malèna... - Ashtarout
Transcription
Malèna... - Ashtarout
ﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋ e-mail : [email protected] ‟Ashtaroût Cahier hors-série n°5 (décembre 2002) Les Cycles de la vie / Le Fantasturbaire, pp. 42-45 Eddy Chouéri Malèna... ou l‟entrée dans la vie de Renato Giuseppe ment plusieurs romans traitant de l‟adolescence, du premier amour et du coup de foudre. Sur ces entrefaites, un nouveau film tint l‟affiche en ville avec un nom de femme Ŕ Malèna Ŕ produit par le célèbre cinéaste Giuseppe Tornatore, dont nous avions goûté Cinéma Paradiso (1989) et The Legend of 1900 (2001). Je n‟ai pas manqué d‟être parmi les premiers spectateurs à admirer Monica Bellucci dans le rôle de « Malèna ». Et à ma surprise, je me suis rendu compte que le sujet du film tournait autour de ce que nous nommons l‟entrée dans la vie d‟un jeune adolescent de 12 ans et demi, et traitait justement du sujet qui nous préoccupait sur le moment : la constitution des fantasmes masturbatoires pubertaires, ou, par contraction les « fantasturbaires ». J‟ai rameuté aussitôt les membres du Séminaire, et me voilà embarqué moi-même à travailler sur une copie du film que j‟ai pu me procurer afin de dégager la façon dont le cinéaste a traité des caractéristiques de l‟adolescence. ● Malèna, 2000 - USA / ITALY - 106 min. • Réalisateur Giuseppe Tornatore • Musique de Ennio Morricone • Basé sur l‟histoire de Luciano Vincenzoni • Cinematic Process Panavision widescreen • Production de Medusa Produzione / Miramax • Release Nov. 22, 2000 (USA - Limited) • Producteurs Harvey Weinstein & Carlo Bernasconi Ŕ – Ŕ – – – Pourquoi ? Comment ? Résumé du synopsis Les traits de l‟adolescence Les rêveries diurnes Les fantasmes masturbatoires Quelques remarques encore Ŕ Pourquoi ? Comment ? Ŕ Résumé du synopsis Depuis un certain temps nous travaillions sur l‟adolescence dans le cadre des cycles de la vie. Le colloque sur l‟adolescence qui s‟est tenu à l‟UNESCO (avril 2000) nous donna une impulsion nouvelle. Au cours de ce colloque, le Pr Philippe Gutton fit allusion à la nouvelle de Vivant Denon (1777) Point de lendemain, et nous développa son point de vue au cours de la réunion que nous eûmes ensuite avec lui. C‟est ainsi que nous avons été confirmés dans notre démarche de nous appuyer le cas échéant sur des œuvres de fictions dans les réunions de séminaire. Dès lors nous avons sélectionné et lu attentive- L‟action se passe durant la deuxième guerre mondiale, dans un petit village Sicilien, sous le régime fasciste. Un jeune adolescent Renato Giuseppe Ŕ vient de recevoir de son père une bicyclette qui lui permet de s‟intégrer à un groupe d‟adolescents. Le groupe attend sur le quai le passage d‟une jeune dame Ŕ Malèna Ŕ après qu‟ils aient brûlé vive une fourmi sous le feu croisé de leurs loupes. Ils se servent de leurs vélos pour suivre Malèna d‟un quartier à l‟autre du village et admirer sa démarche et sa croupe. Malèna est la fille d‟un vieil instituteur dont elle prend soin. Elle est mariée à un soldat qui est parti à 42 la guerre. En attendant son mari, tout le monde la désire, et attend l‟occasion propice. En groupe, l‟un des adolescents raconte sa petite aventure avec Malèna. Elle lui avait demandé de lui acheter un paquet de cigarettes. Une fois chez elle il la voit en sous-vêtements, mais il est trop naïf pour profiter de l‟occasion. À la suite nous avons une scène typique parmi les adolescents. Ils comparent entre eux leur membre, et la bagarre éclate à ce sujet. Petit à petit Renato se retire du groupe pour se dévouer à Malèna. De jour, il l‟attend seul devant sa porte en rêvant qu‟elle va l‟appeler pour un paquet de cigarette. De nuit, il grimpe sur un arbre tout près de sa fenêtre et fait le voyeur. C‟est sa façon de partager son intimité. Il la suit partout, lui écrit des lettres d‟amour sans jamais les lui envoyer. Mais les choses vont mal tourner. Malèna est informée du décès de son mari au front, puis son père meurt au cours d‟un raid aérien. Désormais chaque adulte va tenter sa chance avec elle. De fait, elle n‟a plus d‟argent pour survivre. Tout le monde veut profiter de cette situation, le vieux docteur, les officiers, et même le petit marchand de produits de contre-bande pense à l‟obtenir pour un poignée de sucre. Elle subit des chantages de toute sorte. La persécution et le besoin vont finalement la forcer à devenir une femme entretenue par des officiers nazis. Bref, Renato se donne pour mission de la sauver des manigances des hommes, et de la jalousie et la haine des femmes du village. À la Libération, rien n‟arrête l‟acharnement des femmes contre elle, sous prétexte qu‟elle a collaboré avec l‟ennemi. Elles se vengent sur elle de leur propre laideur et de leur frustration par des humiliations et des sévices que la caméra nous détaille cruellement. Tirée par les cheveux dans la rue, battue, jetée par terre et foulée aux pieds, elle est finalement obligée de quitter le village... La guerre est finie. Renato porte maintenant un pantalon, ce qui signifie son accession à l‟âge adulte. Un jour, on voit arriver au village un homme avec un bras en moins. C‟est le mari de Malèna ! Il revient et voit sa maison occupée par des rescapés et des réfugiés, sans nulle trace de sa femme. Il se met en devoir de la retrouver, et se rend à différents bureaux administratifs. Mais il est lui-même humilié et même molesté par les détenteurs de privilèges. C‟est Renato qui lui indique dans une lettre où se trouve actuellement sa femme, par quelles dures circonstances elle est passée, et il insiste sur sa fidélité. Le mari part à la recherche de sa femme, la retrouve, et revient avec elle au village. Et petit à petit Malèna retrouve l‟estime des gens. Mais Renato demeure à l‟affût d‟une rencontre avec elle. Un jour, en revenant du marché trop chargée, un sac d‟oranges glisse de ses mains. Pour Renato, c‟est l‟occasion rêvée. Il fonce sur elle avec son vélo, et, en l‟aidant à ramasser les oranges, sa main frôle les doigts de sa bien-aimée. Leurs yeux finalement se rencontrèrent... Puis il reprit son vélo et, nous dit-il, il « enterra » son innocence. Il aura par la suite bien d‟autres amours, mais jamais Ŕ ajoute-t-il Ŕ jamais il n‟aura oublié Malèna. En voix-off pendant qu‟il pédale : « J‟ai pédalé autant que je peux comme si je m‟enfuyais du désir ardent, de l‟innocence, d‟elle. Le temps a passé et j‟ai aimé plusieurs femmes. Et pendant qu‟elles me tenaient embrassé, elles m‟ont demandé si je me souviendrai d‟elles. J‟ai dit : “Oui je me souviendrai de vous”. Mais la seule que je n‟ai jamais oubliée... c‟est celle qui ne me l‟a jamais demandé. » Pourrions-nous jamais nous-mêmes l‟oublier ? Je ne le crois pas, car ce genre de production plastique a la faculté d‟accéder à notre « boîte noire » et d‟en remanier les instances. Ŕ Les traits de l‟adolescence C‟est en gros l‟intrigue. Le cinéaste a pris soin de nous décrire en détail l‟intimité de cet adolescent. Dans une atmosphère plaisante, Tornatore nous fait doucement glisser du rôle de spectateurs au rôle de voyeurs. Le film est une confidence faite à la première personne, de sorte que nous regardons vivre Renato l‟adolescent par-dessus son épaule. Et nous sommes gentiment reportés à cette importante période de notre vie. Quels sont les motifs abordés qui caractérisent le vécu adolescent ? En voici une petite liste : 1. La cruauté 2. Le groupe 3. Les rêveries diurnes 43 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. Les fantasmes masturbatoires L‟aboulie Le premier amour Les lettres d‟amour Fumer des cigarettes Les prostituées L‟entrée dans la vie dont on accroche un nouveau wagon à un train. Il s‟agit d‟un « effet d‟entraînement » qui agit de deux manières : par la complicité et par la raillerie. La complicité est obtenue en partageant les mêmes fantasmes érotiques (cf. la scène du paquet de cigarettes). C‟est justement après que le chef de la bande eût raconté la scène-fantasme du paquet de cigarettes que Renato est allé se poster en face de la maison de Malèna, et qu‟il a forgé par imitation sa première rêverie érotique. Quant à la raillerie, elle a pour cible tout ce qui peut être considéré comme « enfantin » dans l‟image du corps et les usages sociaux du corps. La raillerie est une puissante incitation pour l‟accession à l‟âge d‟homme. Renato a honte de son image en culottes courtes alors que ses camarades portent déjà des pantalons. Il est hanté par l‟idée de devenir un homme : troquer ses culottes pour un pantalon, fumer, se raser la barbe assis sur le fauteuil comme les grands, désirer des femmes... Dans ce qui suit, j‟ai cru devoir distinguer les fantasmes masturbatoires des simples rêveries diurnes. Cette distinction (une distinction de fait) est conforme aux intentions du cinéaste. En effet, on passe de la couleur au noir et blanc lorsqu‟il nous présente des rêveries. Au total, j‟ai repéré sept rêveries et quatre fantasmes masturbatoires. La cruauté envers les animaux est propre à l‟enfance, nous l‟avons déjà repéré chez Emily Brontë dans Les Hauts de hurle-vent. Mais là nous sommes en face d‟adolescents. La torture des animaux chez les enfants n‟implique pas de la culpabilité, comme c‟est le cas chez les adolescents. On voit très bien le groupe d‟adolescents comme une meute. L‟intégration au groupe est sujette à condition. Il fallait que Renato possédât un vélo. La première leçon était de convoiter Malèna. Comment ? En la regardant, et en la suivant de rue en rue, et-c‟est-tout. Une autre scène qui caractérise le groupe d‟adolescents garçons est la compétition pour la plus grande bite (ou le plus grand jet d‟urine). Le cinéaste a bien rendu la scène avec ses deux corollaires : dénigrement des uns par les autres, et bagarres subséquentes. Pour Renato la vue de Malèna avec le groupe provoque en lui la première érection. La caméra de Tornatore s‟y attarde, et ce n‟est pas pour rien que l‟office de la censure au Liban Ŕ où ne siègent que des sages Ŕ a pris soin de couper la séquence, pour nous laisser sans doute la deviner par nos propres moyens. Telle n‟est pas l‟intention de Tornatore, qui a voulu sciemment nous montrer son Renato bouleversé à ras du corps par Malèna. Ŕ Ne peut-on pas parler de traumatisme ? C‟est ainsi Ŕ par le trauma Ŕ que Tornatore nous fait entrer dans l‟intimité de Renato. Effet immédiat, le sujet « infecté » se retire du groupe pour aller à la conquête de Malèna pour son propre compte. La description du comportement de Renato pourrait se résumer en quatre points. La poursuite, les rêveries, les fantasmes masturbatoires, et la mission de défendre, protéger, et sauver Malèna. Examinons à tour de rôle chacun de ces points. Tornatore a parfaitement représenté l‟initiation sexuelle opérée par le chef de la bande à la manière Ŕ Les rêveries 1/ Rêverie des cigarettes : Malèna lui demande de l‟acheter un paquet de cigarette. 2/ Dans la salle de cinéma : il prend le rôle du héros du film (Glenn Ford dans Gilda…). 3/ Malèna cuisine pour son père. Renato se l‟imagine toute nue... 4/ Il défend, comme un gladiateur, la réputation de Malèna à l‟école. 5/ Les condoléances à Malèna au domicile de son père. Il s‟imagine en train de lui promettre de demeurer toujours auprès d‟elle... si elle attend qu‟il grandisse. 6/ En classe, la maîtresse devient Malèna 7/ Renato est chez le coiffeur. On voit Malèna sortir dans la rue en compagnie d‟officiers nazis. Renato s‟évanouit en se l‟imaginant en prostituée 44 Les rêveries nos 1, 3 et 6, représentent des rêveries de type érotique. (cf. Freud in L‟Inquiétante étrangeté, Folio-Essais, page 38). Les rêveries nos 2 et 4 représentent des désirs de Renato de type égoïste : devenir un Homme, un Héros. La rêverie n°5 représente la tendresse et l‟amour mêlés au thème classique du sauvetage. La rêverie n° 7 est cauchemardesque pour Renato à cause de la surestimation dont Malèna est l‟objet. maison, et en le traitant de pervers sexuel, n‟a pas un caractère dramatique. Et nous rions à gorge déployée dans nos fauteuils. Ce qui est intéressant dans le quatrième fantasme, c‟est quand la prostituée demande à Renato si c‟est sa première fois Ŕ l‟entrée dans la vie Ŕ et qu‟il répond « Non » ! (Sa première fois c‟était son érection quand il a vu Malèna pour la première fois). Ŕ Quelques remarques encore Ŕ Les fantasmes masturbatoires Tornatore n‟a presque oublié aucun détail important touchant l‟adolescence masculine. Durant le fantasme masturbatoire n°2, les grincements des ressorts du lit de Renato réveillent son père, lequel se lève en criant : « Tu vas devenir aveugle ! ». Cette réaction des parents est typique. Chez nous, par exemple, la formule est la suivante : « Si tu continues à jouer avec, tu attraperas la tuberculose ! ». 1/ Il regarde un carnet d‟images érotiques, et Malèna comparaît dans sa chambre. 2/ Plusieurs fantasmes à la file, comme : Tarzan, cow-boy, et aveugle. 3/ Dans son lit, avec sur la tête une culotte de Malèna dérobée de son linge entendu à sécher. 4/ Chez la prostituée, qu‟il remplace en idée par Malèna. Le premier fantasme masturbatoire décrit une situation classique. On s‟excite en regardant un magazine ou une photo érotique comme support, cadre, ou accessoire du fantasme, tout en créant une atmosphère qui rapproche le sujet le plus possible de l‟objet de son désir. Renato avait acheté le disque préféré de Malèna, il le met sur son tourne-disque, sort son petit carnet érotique où figurent des femmes plus ou moins dénudées en des poses lascives. Et il commence à se branler en remplaçant en idée les femmes qui figurent dans son carnet par Malèna. Et voilà qu‟il hallucine que Malèna apparaît dans sa chambre ! Le deuxième fantasme nous révèle une suite de séquences où Renato est dans le rôle du héros. Dans le troisième fantasme Renato utilise comme accessoire une culotte de Malèna dérobée au linge qu‟elle vient de pendre dans son jardin. Il ne faut pas se hâter de parler ici de perversions sexuelles, comme le fait le père de Renato lorsqu‟il surprend son fils le lendemain avec la culotte de Malèna sur la tête. Renato n‟est ni un fétichiste ni un voyeuriste. Renato est simplement un adolescent timide et aboulique. Son voyeurisme et son fétichisme sont de simples tentatives d‟approche en direction de son choix d‟objet. De toute façon, la scène où le père de Renato bat son fils à tour de bras, en courant après lui dans toute la Ce qui caractérise encore l‟adolescence, c‟est l‟innocence et la timidité. Renato a tenté à plusieurs reprises de rencontrer comme un homme, face à face, sa Malèna, mais sa timidité l‟en a toujours empêché. Pour le cinéaste, les rêveries, les fantasmes, la tendresse, représentent l‟amour innocent ou l‟innocence en soi. Les rêveries de Renato sont en noir et blanc. Ce sont en fait des « citations » de films célèbres. On imagine que Tornatore s‟amuse à nous donner un complément à Cinéma Paradiso avec un autre florilège de ses films préféres. Une scène incompréhensible : Quand Renato est témoin de la vengeance cruelle des femmes sur Malèna, on le voit touché comme s‟il était lui-même maltraité. Pourquoi Tornatore ne nous a-t-il pas montré alors un fantasme de sauvetage de Renato comme d‟habitude ? Pour conclure, je trouve ce film honnête, pas du tout prétentieux, et riche en tant que description de l‟adolescence, et surtout comique. Pour rédiger ce 45