QUEL ACIDE DANS LE CONCENTRÉ POUR HÉMODIALYSE ?

Transcription

QUEL ACIDE DANS LE CONCENTRÉ POUR HÉMODIALYSE ?
Quel acide dans le concentré
pour hémodialyse ?
Frank Le Roy, Mélanie Hanoy
Service de Néphrologie
CHU de Rouen
En hémodialyse conventionnelle, le transfert des toxines urémiques du sang
vers le dialysat est réalisé à travers une membrane filtrante. Le dialysat, de
composition voisine du liquide extracellulaire, assure l’épuration des déchets et
la régulation électrolytique de l’organisme. Il est fabriqué de façon extemporanée
par le générateur de dialyse à partir d’eau ultra-pure permettant la dilution d’un
ou de plusieurs concentrés contenant les électrolytes. Moins bruyantes que
certaines mais non moins significatives, des innovations dans la composition
du dialysat sont survenues ces trente dernières années.
A) L’ère de l’hémodialyse à l’acétate
La correction de l’acidose métabolique est un point clé de la prise en charge du patient
dialysé. Historiquement, l’alcalinisation était réalisée par un seul concentré contenant
les électrolytes et l’ion acétate. L’acétate est transformé en ion bicarbonate par un
métabolisme hépatique. Les néphrologues ont été très vite confrontés à l’intolérance
des patients à l’acétate, se traduisant pendant les séances par des nausées, des
vomissements et une instabilité hémodynamique. L’utilisation de dialysat avec 35 mmol/l d’acétate entraine un transfert considérable de cet ion chez le patient (1).
Le rôle du monoxyde d’azote (NO) fut très vite suspecté. L’acétate, après son transfert
du dialysat vers le sang, est transformé en acétyl-CoA. Cette réaction nécessite
la transformation d’ATP en AMP et AMP cyclique. L’AMP induit une vasodilatation.
L’AMPc stimule la NO synthase permettant la transformation de L-arginine en L-citrulline et NO, ce dernier entraînant une relaxation des cellules musculaires lisses
et un effet dépresseur myocardique avec pour corollaire une baisse de la pression
artérielle. Amore démontre in vitro que l’incubation de cellules endothéliales avec un
dialysat contenant 38 mmol/l d’acétate augmentait l’activité de la NO synthétase (via
la production d’interleukine 1β et de TNFα) de façon significative comparativement à
un dialysat au bicarbonate avec 4 mmol/l d’acétate (2).
La dialyse à 35-40 mmol/l d’acétate fut donc progressivement abandonnée à la fin
des années 80 au profit de la dialyse au bicarbonate.
- 57 -
B) Hémodialyse au bicarbonate avec acide
1) Hémodialyse au bicarbonate avec de l’acide acétique
La dialyse au bicarbonate nécessite deux concentrés : le premier contenant les
électrolytes et le second l’ion bicarbonate. En effet, la présence simultanée de
bicarbonate et d’ion calcium génère la précipitation de carbonate de calcium insoluble.
L’ajout d’un acide dans le premier concentré (dit concentré « acide ») est nécessaire
afin d’acidifier le dialysat et d’éviter ainsi les précipitations. L’acide acétique est le plus couramment utilisé. Dans le dialysat, il se produit alors la réaction suivante, CH3COOH + HCO3- → CH3COO- + CO2 + H2O entraînant la formation de
3 mmol/l d’acétate. L’amélioration du confort du patient pendant les séances fut immédiate. Cependant
malgré une faible concentration d’acétate de 3 mmol/l, les concentrations plasmatiques
d’acétate augmentent après 4 heures de dialyse chez 78% des patients (3). Cette
hyperacétatémie pourrait expliquer chez certains patients la survenue de céphalées,
nausées, douleurs abdominales, chutes tensionelles et asthénie post-dialytique. La
dialyse au bicarbonate avec un concentré à faible concentration d’acide acétique
reste actuellement la plus répandue.
2) L’hémodialyse au bicarbonate avec de l’acide chlorhydrique
Le remplacement de l’acide acétique par de l’acide chlorhydrique a été étudié par
une équipe française (3). En hémodialyse conventionnelle, l’utilisation de ce dialysat
comportant 3 mmol/l d’acide chlorhydrique sans acétate permet de maintenir
les acétatémies dans des valeurs physiologiques chez 88% des patients. Les
acétatémies pré-dialytiques élevées chez certains patients (alcoolisme, pathologie
hépatique) diminuent après une séance de dialyse de 4 heures utilisant un dialysat
à l’acide chlorhydrique.
3) L’hémodialyse au bicarbonate avec de l’acide citrique
Depuis 7 ans, un concentré acidifié par de l’acide citrique est disponible. La sécurité
d’emploi est assurée grâce à une faible concentration (0.8 mmol/l) affectant peu la
concentration de calcium ionisé. Le citrate est rapidement métabolisé en bicarbonate
par le foie et les muscles.
Ce concentré innovant semble avoir trois intérêts :
• Une amélioration de l’épuration
Kossmann compare la dose de dialyse, les concentrations pré-dialytiques de solutés
de faible poids moléculaire et de la béta2microglobuline chez 142 patients traités
pendant 6 mois sur dialysat à l’acétate (4 mmol/l) puis transférés sur dialysat au
- 58 -
citrate (2.4 mmol/l) (4). Le KT/V équilibré augmente de façon significative de 1.51 à 1.57 lors du passage sur dialysat au citrate. Les concentrations pré-dialytiques
d’urée, de créatinine, de phosphore et de béta2microglobuline diminuent de façon
significative. Le passage continu per-dialytique de citrate à travers la membrane
permettrait le maintien de sa perméabilité en réalisant une anticoagulation locale
avec moindre colmatage des pores.
• Une meilleure stabilité hémodynamique en séance
Gabutti montre que la dialyse au citrate permet une meilleure stabilité hémodynamique
des patients lorsqu’ils sont épurés avec un dialysat contenant 0.3 mmol/l de citrate
comparativement avec un bain à 3 mmol/l d’acétate (5). Par ailleurs le phénomène
d’hypertension perdialytique observé chez certains patients disparait sur dialysat
au citrate. Cependant les patients dialysés avec un bain à 1.25 mmol/l de calcium
sont hypocalcémiques en fin de séance.
• La possibilité de dialyse sans héparine
Après 2 mois de dialyse à l’acide citrique, Kossmann peut réduire la posologie
d’héparine de 55% chez 31 patients auparavant dialysés sur concentré à l’acide
acétique à 3 mmol/l (6). L’équipe de néphrologie de Caen observe que 91%
des séances sur dialysat citraté atteignent la durée de 4 heures sans aucune
héparinisation.
C) La dialyse au bicarbonate sans acide
L’acidification du dialysat au bicarbonate, nécessaire pour éviter la précipitation
des carbonates de calcium et de magnésium, entraîne la formation de CO2 à une
concentration supérieure à celle du plasma. Il en résulte que, dans le dialyseur, le
sang tend à s’alcaliniser en raison de la correction de l’acidose métabolique par
l’apport de bicarbonate, mais également à s’acidifier en raison de l’apport de CO2
provoquant une acidose respiratoire. Comme cette dernière l’emporte, il en résulte
que le sang s’acidifie lors de son passage dans le dialyseur (le pH sanguin est plus
acide à la sortie du dialyseur qu’à l’entrée).
Cet apport n’a aucune conséquence, du moins chez le sujet non insuffisant respiratoire,
car l’excès de CO2 est très rapidement éliminé par les poumons, corrigeant ainsi
l’acidose respiratoire. Il ne persiste alors que la correction de l’acidose métabolique
par l’apport de bicarbonate, comme en témoigne le fait que le pH sanguin du patient
(mesuré à l’entrée du dialyseur) soit plus alcalin en fin de séance qu’au début de celleci. Cependant l’acidification du sang dans le dialyseur est susceptible de provoquer
chez certains patients une activation de la phase contact de la coagulation avec
certaines membranes de dialyse en tout début de séance et d’entraîner une réaction
d’ordre allergique qui peut être symptomatique.
Certaines techniques particulières d’hémodialyse au bicarbonate, en évitant la
nécessité d’un acide, ne présentent pas cet inconvénient. On notera cependant
qu’en faisant appel à un dialysat qui ne contient pas tous les électrolytes essentiels
- 59 -
(cf tableau), ces techniques provoquent dans le dialyseur un déséquilibre qui doit
être compensé en sortie du dialyseur par la réinjection en quantité contrôlée d’une
solution spécifique.
1) La biofiltration sans acétate (AFB)
Il s’agit d’une technique d’hémodiafiltration utilisant un dialysat sans bicarbonate ni
aucune substance tampon. L’alcalinisation est réalisée par la réinjection en postdilution d’une solution stérile de bicarbonate à 1.4% à un débit de 1.5 à 2 litres par
heure.
Initialement décrite par Zucchelli, cette technique s’affranchit donc de l’utilisation
d’acétate et de bicarbonate dans le dialysat (7).
Movilli observe une réduction de 22% de l’incidence de l’hypotension intra dialytique
comparativement à la dialyse au bicarbonate et une meilleure correction de l’acidose
(8). Cependant la généralisation de l’AFB fut freinée par le coût des poches de
bicarbonate et des difficultés logistiques de stockage.
2) L’hémodialyse sans acétate
Duranti propose une variante de l’AFB, avec réinjection de 2 litres sur 4 heures d’une
solution de bicarbonate de sodium fortement concentrée. La teneur en sodium du
dialysat doit alors être fortement diminuée (9).
Martens décrit une méthode de dialyse au bicarbonate utilisant un seul concentré
composé de chlorure de sodium et de bicarbonate de sodium (10). Le calcium, le
magnésium et le potassium sont absents du dialysat mais administrés en perfusion
continue intraveineuse sur la ligne veineuse.
Enfin, L. Mercadal propose la Duocart Biofiltration. Le dialysat est préparé à partir
de deux concentrés en poudre, le premier de chlorure de sodium et le second de
bicarbonate de sodium (11). Le complément ionique est réinjecté en post-dilution. Le
débit de réinjection de ces électrolytes est asservi aux mesures séquentielles de la
dialysance ionique.
- 60 -
Duranti propose une variante de l’AFB, avec réinjection de 2 litres sur 4 heures d’une solution
de bicarbonate de sodium fortement concentrée. La teneur en sodium du dialysat doit alors
être fortement diminuée (9).
Martens décrit une méthode de dialyse au bicarbonate utilisant un seul concentré composé de
chlorure de sodium et de bicarbonate de sodium (10). Le calcium, le magnésium et le
potassium sont absents du dialysat mais administrés en perfusion continue intraveineuse sur la
ligne veineuse.
Enfin, L. Mercadal propose la Duocart Biofiltration. Le dialysat est préparé à partir de deux
concentrés en poudre, le premier de chlorure de sodium et le second de bicarbonate de sodium
(11). Le complément ionique est réinjecté en post-dilution. Le débit de réinjection de ces
Tableau récapitulatif de la composition des dialysats
électrolytes est asservi aux mesures séquentielles de la dialysance ionique.
en fonction des techniques
Tableau récapitulatif de la composition des dialysats en fonction des techniques
Acétate
Na
K
Ca
Mg
Cl
Acétate
Bicarbonate
Citrate
CO2
Glucose
Réinjection
140
2
1.5
0.5
111
35
0
0
0
0
non
Dialyse bicarbonate avec acide
acétique citrique chlorhydrique
140
2
1.5
0.5
108
3
35
0
3
5.55
non
140
2
1.5
0.5
108
0.3
35
0.8
3
5.55
non
140
2
1.5
0.5
111
0
35
0
3
5.55
non
Dialyse bicarbonate sans acide
HD
Duocart
sans acétate
biofiltration
140
120
140
2
2
0
1.5
1.75
0
0.5
0.5
0
146
126
105
0
0
0
0
0
35
0
0
0
0
0
0
5.55
5.55
0
Bicarbonate Na Bicarbonate Na
Ca, K, Mg
(167mmol/l)
(595mmol/l)
glucose
1.5 à 2 litres/h
0.5 litre/h
AFB
D) L’hémodiafiltration
D) L’hémodiafiltration
En hémodiafiltration pré et post-dilution, le liquide de substitution est fabriqué en
hémodiafiltration
pré et post-dilution,
le liquide
de substitution
est fabriqué
ligne
ligne àEn
partir
du dialysat. Pizarelli
observe une
élévation
des acétatémies
à 5en
fois
lesà
partir
du
dialysat.
Pizarelli
observe
une
élévation
des
acétatémies
à
5
fois
les
valeurs
normales
valeurs normales en paired hémodiafiltration chez des patients épurés sur dialysat
en paired hémodiafiltration chez des patients épurés sur dialysat standard avec 3 mmol/l
standard avec 3 mmol/l d’acétate (12). Les acétatémies se corrigent 2 heures après
d’acétate (12). Les acétatémies se corrigent 2 heures après la fin de la séance. Au contraire,
la fin de la séance. Au contraire, lors de l’utilisation d’un dialysat contenant 3 mmol/l
lors de l’utilisation d’un dialysat contenant 3 mmol/l d’acide chlorhydrique, les acétatémies
d’acide chlorhydrique, les acétatémies n’augmentent pas et restent comprises dans
n’augmentent pas et restent comprises dans des valeurs physiologiques.
des valeurs physiologiques.
Conclusion
Conclusion
Des progrès
considérables
ont réalisés
été réalisés
rendre
le dialysat
plus
biocompatible
Des progrès
considérables
ont été
pourpour
rendre
le dialysat
plus
biocompatible
permettant
de proposer
patientune
unedialyse
dialyse plus
Beaucoup
d’efforts
ont été
permettant
de proposer
au au
patient
plusphysiologique.
physiologique.
Beaucoup
d’efforts
pour
s’affranchir
de l’utilisation
de l’acétate
dans le dialysat.
L’impact
desL’impact nouvelles
ont étéréalisés
réalisés
pour
s’affranchir
de l’utilisation
de l’acétate
dans le
dialysat.
techniquestechniques
et des nouveaux
concentrés
sur laconcentrés
morbimortalité
être étudié.
des nouvelles
et des
nouveaux
surdoit
la morbimortalité
doit être
étudié.
4
- 61 -
Bibliographie
1. Tolchin N et al. Metabolic consequences of high mass-transfer hemodialysis.
Kidney Int 1977; 11:366-378
2. Amore A et al. Acetate intolerance is mediated by enhanced synthesis of nitric
oxide by endothelial cells. J Am Soc Nephrol 1997; 8: 1431-1436
3. Fournier G et al. Substitution of acetic acid for hydrochloric acid in the bicarbonate
buffered dialysate. Artif Organs 1998; 22:608-6139.
4. Kossmann RJ et al. Increased efficiency of hemodialysis with citrate dialysate: a
prospective study. Clin J Am Nephrol 2009; 4:1459-1464
5. Gabutti L et al. Citrate versus acetate-based dialysate in bicarbonate haemodialysis:
consequences on haemodynamics, coagulation, acid-base status and electrolytes.
BMC Nephrology 2009; 10(7)
6. Kossmann RJ et al. Poster ASN 2006
7. Zucchelli P et al. Acetate-free biofiltration : Hemodiafiltration with base-free
dialysate. Blood Purif 1990;8:14-22
8. Movilli E et al. A prospective comparison of bicarbonate dialysis, hemodiafiltration,
and acetate-free biofiltration in the elderly. Am J Kidney Dis 1996 ;(27):541-547
9. Duranti E Acetate-free hemodialysis : a feasibility study on a technical alternative
to bicarbonate dialysis. Blood Purif 2004; 22:446-452
10. Martens J et al. Bicarbonate dialysis using a single concentrate. Nephron
1985:39;400-401
11. Mercadal L et al. Duocart Biofiltration : a new method of hemodialysis. ASAIO
Journal 1998;44(2):72
12. Pizarelli et al. On-line haemodiafiltration with and without acetate. Nephrol Dial
Transplant 2006; 21:1648-1651
•
- 62 -

Documents pareils

Télécharger

Télécharger Utiliser un profil décroissant de concentration sodée du dialysat : le sodium élevé en début de séance évite le watershift et le sodium bas en fin de séance évite la surcharge hydrosodée et la soif...

Plus en détail