Mana, Parcours du Patrimoine
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Mana, Parcours du Patrimoine
Mana Vue aérienne de Mana en 1998, vers le sud, avec la trame orthogonale du xixe siècle, issue du Plan directeur de 1847 (p. 30), étendu vers l’ouest et appauvri de la place centrale et des allées plantées d’arbres. En arrièreplan, le pont qui a remplacé le bac en 1990, et l’ancien desséchement sud, aujourd’hui l’extrémité des rizières de rive gauche, qui s’étendent entre la route de SaintLaurent-du-Maroni, au sud, et celle d’Awala-Yalimapo, au nord, dans le prolongement du bourg vers l’ouest. Au bord de la Mana, à gauche, au nord-ouest du bourg, l’ancien abattis des sœurs, aujourd’hui encore avec des canaux. L’abattis des nègres était sur la rive opposée. Au nord-ouest de la Guyane, à 230 kilomètres de Cayenne et proche de la frontière avec le Surinam, le bourg de Mana est implanté sur la rive gauche du fleuve du même nom. Le site, au bord du fleuve, favorable à un port d’estuaire, est un important cordon sableux entre l’océan, les savanes noyées des terres basses, exploitées avec succès par les colons hollandais au Surinam et la forêt, les grands bois des terres hautes. La Mana a longtemps été la seule voie d’accès au village : le père Brunetti, conduisant en 1886 une mission d’évangélisation dans l’ouest de la Guyane, navigue à bord d’une goélette qui, en comptant deux échouages sur les bancs de vase de l’estuaire, parvient à Mana trente-deux heures après son départ de Cayenne. Et aujourd’hui, un Mananais se souvient qu’en 1947, c’est en canot que sa famille quitta le hameau côtier d’Aouara (Awala aujourd’hui), gagnant le bourg où elle s’installait définitivement. Rizières à l’ouest de Mana, vues de la route de Saint-Laurent-du-Maroni, vers le nord, en direction de la mer, où les arbres signalent la présence de l’ancien cordon littoral, sableux. Comme cela a souvent été noté, le paysage mananais d’aujourd’hui est très marqué par la culture du riz, qui a investi depuis une trentaine d’années la plupart des savanes noyées environnantes : de vastes étendues planes sont longées par les deux routes départementales, qui conduisent vers Saint-Laurent-du-Maroni au sud-ouest, et vers Iracoubo à l’est ; un territoire marqué par l’horizontalité, d’où se détachent très peu de repères verticaux : le clocher de l’église, au cœur du bourg, le pylône supportant les antennes de télécommunication, et les bâtiments agro-industriels. Mana, comme la plupart des communes de Guyane, est constituée d’un chef-lieu mais aussi d’un vaste terroir, long rectangle de 6 300 km2 qui correspond plus ou moins au bassin de la Mana, touchant au sud le territoire de la commune de Saül. À l’est, il est borné par la branche est de la crique Organabo, qui le sépare de la commune d’Iracoubo ; à l’ouest et au sud-ouest, par les communes d’AwalaYalimapo et de Saint-Laurent-du-Maroni. En constante augmentation depuis une vingtaine d’années, la population de la commune compte aujourd’hui plus de 7 800 habitants (recensement InSEE de 2006) ; ils se répartissent entre deux bourgs (Mana, le chef-lieu, et Javouhey), deux hameaux (Charvein et l’Acarouany) et une multitude de maisons installées au bord de la route nationale et des routes départementales qui desservent le bourg de Mana et le nord de la commune, en venant de Sinnamary (D8), de Saint-Laurent-du-Maroni (D9 et D10, l’embranchement vers l’Acarouany et Javouhey), et en poursuivant vers la commune d’Awala-Yalimapo (D22). Les premières tentatives de colonisation de la Mana L’expédition anglo-portugaise de 1809, en faisant passer la Guyane sous contrôle portugais, semblait sonner le glas d’un domaine colonial français qui n’existait déjà presque plus. Cinq ans plus tard, les traités de Paris rendent à la France les restes de ses colonies, dont 2 Coste de Guayane autrement France Equinoctiale, en la Terre-Ferme d’Amérique, par P. du Val, géographe du roi, gravée par D. Lapointe, Paris, 1677. Carte imprimée et aquarellée. Le tracé ondulé des fleuves, légendés r. (rivière), est conventionnel. L’Amana (nom repris pour la réserve naturelle créée en 1998 sur la rive droite de l’estuaire de la Mana), y est figurée comme une rivière courte se jetant dans l’estuaire du Maroni, soit aujourd’hui la crique Coswine. Un peu à droite du milieu de la largeur de la carte, l’actuelle Mana, plus à l’est et de plus grande importance, semble plutôt correspondre à la rivière notée Iuraque. Les deux peuples amérindiens mentionnés dans le territoire actuel de la commune sont les Sapayes et les Paragotes. Les Galibis apparaissent à l’ouest du Maroni, où leur présence est encore notée sous la Restauration lors de l’exploration du cours inférieur de la Mana et du Maroni. Archives départementales de la Guyane. la Guyane. L’intérieur de ce territoire est couvert d’une vaste forêt dense, habitée par des Amérindiens et quelques centaines de noirs Marrons. Quinze mille personnes se concentrent sur la bande côtière, principalement à Cayenne et sur les terres basses de l’est. Parmi elles, moins d’un millier de Blancs et plus de 12 000 esclaves. Dans le nord-ouest de la colonie, comme partout ailleurs sur la côte, la présence amérindienne est particulièrement réduite. Épidémies et persécutions ont exercé leurs ravages et au milieu du xIxe siècle, la population d’un grand peuple côtier comme les Kali’na – Galibis dans les textes de l’époque – est tombée à 250 individus ; elle était estimée à 5 500 personnes en 1604. Après la fermeture des dernières missions jésuites en 1767, la plupart d’entre eux avaient quitté Kourou et Sinnamary pour rejoindre des groupes semi-indépendants implantés plus à l’ouest. À la fin du xvIIIe siècle, quelques villages kali’na sont installés sur les bords de la Mana, si l’on en croit Daniel Lescallier (Exposé des moyens de mettre en valeur et d’administrer la Guiane, 1791) : « À trois lieues en deçà du Maroni, est la rivière de Mana ou d’Amanabo, dont le cours est étendu. On trouve dans ce local, à de grandes distances les unes des autres, quelques minces peuplades d’Indiens […] ». Remontant le fleuve en 1820, la Commission d’exploration de la Mana installe son poste principal au pre- 3 Tabouï ou Grand Karbet Sura ou Case haute. Gravure tirée de Pierre Barrère, Nouvelle relation de la France équinoxiale, 1743. Archives départementales de la Guyane. mier saut, à proximité du village kali’na du Capitaine valentin qui se trouve « au 3e saut, au-dessus de la nouvelle Angoulême ». Y résident alors « 40 personnes, vieillards, femmes et enfants compris ». Se réclamant de « vingt-sept ans d’habitation et de voyages dans la Guiane » dans son étude sur les Forêts vierges de la Guyane française (Paris, 1827), noyer évoque les relations nouées avec les Amérindiens : « le lit des rivières étant barré par des bancs de roches, la navigation ne peut s’exécuter qu’au moyen de très petits canots, et avec le secours des naturels du pays. Lorsqu’en remontant ces fleuves, on arrive au pied d’un saut, on débarque sur le bord les hommes et le bagage, que les Indiens transportent par terre jusqu’audelà du barrage, tandis que les autres font passer le canot par-dessus les roches : cela s’appelle un portage. Quand le canot a ainsi traversé le saut, on rembarque les voyageurs et le bagage qui a été déposé sur la rive. […] quelquefois il est impossible de faire passer le canot pardessus les sauts, alors on le hale par terre sur des rouleaux jusqu’à l’endroit où le fleuve redevient navigable. » Mais le plus redoutable est la descente des sauts, qui ne peut se faire que grâce à « l’extrême habileté des Indiens, à qui, de mémoire d’homme, il n’est jamais arrivé d’accidens dans ces rapides. » C’est également l’avis du gouverneur de la Guyane, Paul de nourquer du Camper, qui en 1838 rapporte la récente installation, dans la partie aval de la Mana, d’une centaine de Kali’na venus nouer des relations d’échanges avec les Blancs : « Ces Indiens forment trois tribus de 35 à 40 personnes chacune ; ils ont leurs carbets à 4, 6 et 8 lieues de distance [en amont] de l’Établissement [ce terme désignait alors le tout récent village de Mana]. […] Ces Indiens habitaient auparavant sur les rives du Maroni ; mais peu satisfaits des Hollandais, ils sont venus s’établir sur la Mana et ils vivent en très bonne intelligence avec les habitants de la nouvelle colonie ; […] ils n’ont en général pour habitation qu’un grand hangar appelé carbet dans le pays, et ils y suspendent leurs hamacs. […] Quoique ces hommes ne puissent être considérés comme appartenant à la population de Mana, ils y viennent cependant si fréquemment que l’on est entièrement familiarisé avec eux. Ils se rendent même souvent utiles lorsque l’on a besoin de gibier et de poisson, ou que l’on a à employer leurs pirogues pour de longues courses ; leurs embarcations sont bonnes, ils pagayent bien et longtemps. » 4 En 1864, le Plan de la rivière entière de l’Acarouani et d’une partie de celle de Mana (Archives départementales de la Guyane), situera quant à lui les Kali’na du village du Capitaine Joseph sur la rive gauche de la Mana, en aval du plateau du Cormoran, l’Indien Dominique (lieu-dit) sur la rive droite en amont de Terre rouge, et l’Indien Toby sur l’Acarouany, au pied du plateau de la léproserie. À partir de 1817, une fois la Guyane repassée sous le contrôle de la France, est impulsée une nouvelle politique de peuplement retracée dans le Précis sur la colonisation des bords de la Mana à la Guyane française, publié en 1835 par le ministère de la Marine et des Colonies. Les projets fleurissent, avec des débats récurrents. Le climat de la Guyane permet-il ou non une colonisation par des Blancs, ou convient-il seulement à des travailleurs de couleur ? Et ces derniers, d’où les faire désormais venir puisque la prohibition de la traite des noirs, en exécution des résolutions du Congrès de vienne, est confirmée par la loi du 15 avril 1818 ? Faut-il coloniser les terres hautes, réputées plus salubres, mais au sol mince, vite épuisé après l’enlèvement des arbres ? Ou préférer, comme au Surinam, les terres basses, alluvionnaires, plus fertiles mais d’aménagement onéreux ? Développer les cultures coloniales, pour en substituer les fruits aux importations de l’étranger, ou favoriser la pratique des cultures vivrières par et pour des familles venues de France ? Le bois suscite aussi des espérances. En 1827, noyer, ancien ingénieur-géographe, ex-député de la Guyane française, membre de la Société de Géographie de Paris, publie à Paris son étude sur les Forêts vierges de la Guyane française, considérées sous le rapport des produits qu’on peut en retirer pour les chantiers maritimes de la France, les constructions civiles et les arts, en réponse à la raréfaction du bois en métropole : « La dépopulation des forêts de la France occasionnée surtout par les défrichemens a réduit d’une manière déplorable les ressources forestières que présentait son sol ; cette destruction de nos bois est une véritable calamité. » Une loi venait d’être présentée pour prévenir les « dévastations qu’entraîne le développement des cultures. » L’essor de cette « nouvelle branche d’industrie » « favoriserait la colonisation » de la Guyane. « Déjà des essais ont été faits à Brest sur l’emploi des bois de cette colonie dans les constructions navales ; vingt-trois espèces ont été examinées et reconnues éminemment propres au service de la marine ; beaucoup d’autres pourraient être encore utilisées dans la charpente, la menuiserie et les arts. » Ces bois, « provenant de la Mana », ont été étudiés en 1824,1825 et 1826. En effet, « Dans l’aire habitée [en Guyane] par les Européens, les forêts ont été dévastées. » « Dans le principe, les exploitations s’exécuteraient au moyen des noirs, parce que les premiers défrichements offrant beaucoup de difficultés et de grands dangers, la constitution des Africains se prête merveilleusement bien à l’influence du climat de la zone torride. Plus tard, les Européens pourraient peut-être concourir à ces travaux : c’est alors seulement qu’il serait permis d’espérer de voir la population de la Guiane s’accroître graduellement de l’exubérance de la population française. » Le prix du bois était espéré avantageux : « on appliquerait aux exploitations les machines les plus propres à économiser la maind’œuvre ». « Il serait peut-être possible, en prenant les précautions nécessaires, d’installer ces moulins à scie sur le courant libre des fleuves et en aval des sauts. M. Zeni, ingénieur maritime, qui a resté 5