La littératie - un concept à considérer en soins infirmiers Définition

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La littératie - un concept à considérer en soins infirmiers Définition
 La littératie - un concept à considérer en soins infirmiers
Margot Phaneuf, inf., Ph.D.
Avril 2012
« La lecture est une porte ouverte sur un monde enchanté. »
François Mauriac, Extrait du Figaro littéraire.1
Définition
Au début, ce terme peut intriguer, dérouter même. D’ailleurs, que signifie-t-il? Et surtout, que
vient-il faire en soins infirmiers? Pourtant, c’est un concept important qui recouvre l’ensemble
des capacités qui nous permettent d’utiliser au mieux l’information nécessaire à notre vie
quotidienne et professionnelle. Elle suppose, entre autres, la capacité de repérer l’information
utile et de la décoder, c’est-à-dire de tirer du sens de ce que nous lisons. La littératie implique
donc des connaissances suffisantes en lecture et en écriture afin de faciliter notre
fonctionnement en société. À l’heure d’Internet et des médias sociaux, c’est la compétence
informationnelle la plus importante dans notre monde moderne. Cette capacité est à la base de
la compréhension critique et responsable de
La littératie est « l’aptitude à
l’information. Un rôle actif et positif dans la société
comprendre et à utiliser
suppose une culture convenable de l’information
l’information écrite dans la vie
autant pour la lecture que pour l’écriture.
À cette capacité informationnelle est liée la faculté de
rechercher, de reconnaître une information, de saisir
ses points principaux et d’en comprendre le sens
global. Ceci suppose la capacité de comprendre des
textes écrits et de les utiliser à bon escient, de même
que la capacité d’exprimer sa pensée ou de
développer un mode de fonctionnement où l’écriture
doit être utilisée.2
courante, à la maison, au travail
et dans la collectivité en vue
d’atteindre des buts personnels
et d'étendre ses connaissances et
ses capacités. » - Rapport publié
le 14 juin 2000 : La littératie à
l’ère de l’information. OCDE.
Et pour les soins infirmiers?
La profession d’infirmière suppose une solide formation dans les sciences de la santé et dans
les sciences humaines. Elle exige pour réussir dans ces domaines un haut niveau de littératie.
Il en est de même pour l’infirmière en service qui doit déchiffrer des ordonnances médicales,
suivre des plans de soins et traitements et qui plus est, rédiger le PTI pour l’équipe avec
laquelle elle travaille. La maîtrise de la lecture et de l’écriture semble une obligation à
1
. Citation Evene : http://www.evene.fr/citations/mot.php?mot=lecture La littératie à l’ère de l’information. Rapport final de l’enquête internationale sur la littératie des adultes (2000) : http://www.oecd.org/dataoecd/24/62/39438013.pdf 2
1 laquelle on ne peut se dérober. Pourtant, on s’étonne parfois de certains oublis et de certaines
erreurs difficiles à comprendre. Image3
Les manifestations
Chez une étudiante ou même chez une infirmière, les
signes d’une faiblesse sur le plan de la littératie sont
souvent assez frustes. Quelques difficultés de
compréhension de textes, une mésinterprétation de
certaines questions au moment des examens peuvent
se manifester, sans empêcher que son cheminement,
bien que boiteux, se poursuive. Malheureusement, si
les symptômes sont parfois peu manifestes, les
conséquences elles, risquent d’être graves,
dramatiques même. Ce sont les erreurs de
médicaments, de posologie, de compréhension d’une
ordonnance, de rédaction des notes d’observations au
dossier ou du plan de soins et traitements. Quelle que soit la nature de l’erreur, une méprise
auprès des clients est toujours sérieuse! Cependant, peut-on évaluer, parmi les étudiantes qui
éprouvent de la difficulté à réussir au niveau collégial ou aux examens du droit de pratique de
l’OIIQ4, combien ont « simplement » mal compris les textes ou les questions qu’elles ont lus?
Au-delà de la distraction, parmi les erreurs observées dans les services, peut-on repérer celles
qui sont dues à une difficulté de compréhension des documents consultés? Malheureusement
cela demeure impossible!
Une question de taille
La capacité informationnelle
est faite d’un ensemble
d’habiletés et la formation
continue en est l’aliment
essentiel.
La réponse à ces interrogations n’est pas simple. Elle
demande une capacité d’observation de la manière
d’apprendre des étudiantes, une certaine connaissance
des signes de difficultés sur le plan de la littératie, une
prise de conscience de leurs limites pour tirer parti des textes professionnels afin de les
intégrer à leurs comportements et dans leur pratique des soins. Bref, elle suppose un éveil aux
symptômes d’une telle faiblesse. Et, chose importante, il ne faut pas confondre ces
manifestations avec le niveau d’intelligence de la personne et surtout ne pas croire que cela ne
se produit que dans les classes du primaire ou du secondaire. Certains étudiants réussissent à
passer à des niveaux plus élevés sans que ces problèmes soient décelés.5
3
. Source de l’image: http://martinefernandez.unblog.fr/2009/02/09/aimer-quelquun-cest-le-lire/
. Ordre des infirmières et infirmiers du Québec 5
. Jesús Lau. (2006).Guidelines on Information literacy for Lifelong Learning:
http://www.ifla.org/files/information-literacy/publications/ifla-guidelines-en.pdf
4
2 Des difficultés parfois occultées
Souvent, la personne qui éprouve ces difficultés est consciente de ses insuffisances et tente de
fonctionner au mieux afin de trouver une réponse
adaptée à une question posée ou une solution
convenable au problème qui lui est soumis. Et cela, tout
en cachant ce blocage aux autres et, même en se le
dissimulant à elle-même. Il en résulte que bon nombre
d’adultes travaillent dans notre société tout en éprouvant
des difficultés à tirer un sens précis de ce qu’ils lisent ou
à rédiger des textes d’une certaine complexité. Image6
Cet état de choses se manifeste de diverses manières.
L’une d’elles est la dyslexie, un problème sérieux de
nature neurologique qui provoque de profondes
difficultés d’apprentissage. Mais toutes les personnes qui éprouvent des ennuis sur le plan de
la littératie ne sont pas dyslexiques. Plusieurs d’entre elles n’ont tout simplement pas
développé dans leur jeune âge une complète maîtrise des codes de lecture et d’écriture et
traînent plus tard, au cours de leur vie, cette limite pénalisante pour leurs études et même pour
leurs activités professionnelles.
Cette difficulté de littératie n’est pas propre au Québec. Elle est aussi observée en France dans
les Instituts de formation en soins infirmiers. C’est ce qui conduit Jacques Lambert à écrire
« Les formateurs en IFSI le savent bien, eux qui sont de plus en plus confrontés à des
étudiants en grave difficulté pour comprendre ce qu'ils lisent, pour s'exprimer par écrit et pour
effectuer des calculs de dose. Alors qu'il s'agit de bacheliers pour la plupart.»7 De tels constats
montrent qu’il s’agit d’un problème répandu, peut-être même d’un problème de société.
Un phénomène d’influence
Un phénomène moderne vient aussi compliquer la situation. Dans notre société d’efficacité et
d’agitation, nous lisons de moins en moins et outre les livres obligatoires pour les études, les
jeunes n’échappent pas à cette carence où leurs habitudes de lecture risquent de se déliter. Dès
lors, leur rapidité et leur facilité de décodage diminuent. Une autre manifestation sociale
d’influence sur la lecture et l’écriture est la déferlante des messages textes sur les téléphones
cellulaires, de même que les courts billets écrits sur Twitter ou Facebook. Ils sont souvent
rédigés de manière synthétique, par abréviations, parfois en fonction de leur sonorité et le plus
souvent, sans véritable application littéraire.
6
. Source de l’image : http://clap33.over-blog.com/article-montpellier-cinq-adolescents-devant-le-juge-pourdistribution-de-tracts-66135995.html
7
. Lambert, Jacques (2011). Que reste-t-il de la transmission intergénérationnelle. Nouvelle-donnegénérationnelle : http://www.nouvelle-donne-generationnelle.com/article-que-reste-t-il-de-la-transmissionintergenerationnelle-86404269.html
3 « Mais rien ne s'oppose à ce que Twitter devienne un
véritable outil de production littéraire malgré la contrainte
de 140 caractères qui l'enserre. En l'acceptant comme une
nouvelle forme fixe, les twittérateurs déploient de
nouvelles stratégies rhétoriques. Twitter cesse alors d'être
un médium de réseautage social pour devenir un canal de
diffusion de nano textes qui privilégient l'exploration
formelle en interpellant aussi bien l'imaginaire que la
réflexion, le jeu formel, la contrainte stylistique, le sursaut
poétique ou l'émergence d'un mini récit... » Institut de
twittérature comparée
Il faut toutefois mentionner qu’à
l’inverse de cette vague de messages
bâclés sur les médias sociaux, certains
se font les avocats d’une écriture
soignée utilisant pour les gazouillis un
vocabulaire intéressant et une rhétorique
correcte. Il faut à ce sujet saluer
l’approche de la twittérature qui veut
pallier cette écriture expéditive.
L’Institut de twittérature comparée se
fait le gardien de ce fort en proposant
des écrits courts de 140 caractères, tels
qu’il est de règle sur ce médium social,
mais rédigés avec recherche de style.
Cependant on peut se demander si cette
initiative, si louable soit-elle, est
suffisamment répandue pour avoir une
influence marquée?
Une autre condition devient également favorable au délaissement de la recherche
d’information et de la lecture. C’est le fait que nos étudiantes sont plus familières avec l’étude
de données déjà toutes organisées qu’avec des analyses plus complexes. Chez certaines,
toutes les raisons que nous venons d’évoquer
accentuent un problème déjà existant.8.9 À ce
sujet, la tendance à adopter une pédagogie
centrée sur la résolution de problème est certes
une orientation prometteuse qui oblige
l’étudiante à identifier elle-même ses sources
d’information et à réfléchir au sens profond de
ce qui est recherché. Rien ne lui est donné.
Tout dépend de ses efforts.
Un problème plus répandu que l’on ne croit
Il y a déjà quelques années, une enseignante d’un collège anglophone me demandait de l’aide
au sujet des difficultés de ses étudiantes sur le plan de la littératie et plus récemment cette
demande était réitérée du côté francophone. Des enseignantes observent que certaines
8
. Institut de twittérature comparée : http://www.twittexte.com/ScriptorAdmin/scripto.asp?resultat=734326
. La twittérature est l’art d’écrire en 140 caractères. Jean-Yves Fréchette, est le co-président de l’Institut de
twittérature comparée dont le siège se situe à Québec et à Bordeaux, en France.
9
4 étudiantes éprouvent de la difficulté à saisir le sens des questions qui leur sont posées et
répondent hors du sens recherché. Ceci augure mal de leur succès collégial et de leurs chances
de réussir à l’examen de l’OIIQ. C’est très préoccupant et je comprends l’inquiétude de ces
enseignantes. Image10
Des solutions peut-être…
Le problème est malheureusement profond et il n’est pas simple de remédier à des difficultés
qui se sont accumulées au cours des années, parfois sans trop se manifester et qui font
soudainement surface au grand désespoir des intéressées. Quelques stratégies pédagogiques
éprouvées peuvent cependant être utilisées pour les aider, mais leurs résultats dépendent de la
ténacité des enseignantes et de la persévérance des étudiantes à travailler pour vaincre cette
barrière dérangeante.
Une précaution importante
Il faut aussi prendre garde de ne pas pénaliser ces
étudiantes et de ne pas brimer leur image d’ellesmêmes et leur confiance en soi, car pour réussir
aux études comme partout ailleurs, il faut d’abord
être convaincue de pouvoir le faire. Image11 Aussi,
faut-il tenter de les aider en évitant de les
marginaliser, en prenant garde de ne pas les
infantiliser puisque les difficultés de lecture et
d’écriture sont souvent attribuées à des populations
plus jeunes. L’aide doit se faire discrète, être
offerte dans un climat d’ouverture et de
compréhension empathique.
Des suggestions possibles
Sans être des spécialistes de ce problème, nous pouvons suggérer à ces étudiantes quelques
stratégies pédagogiques pour les aider dans leur cheminement vers l’amélioration de leur
capacité de compréhension de la lecture, de l’écriture et pour le développement d’habitude
d’attention au texte lu et de synthèse du sens qui en est tiré. On peut choisir dans la panoplie
qui suit quelques activités qui correspondent bien aux goûts et au temps disponible des
étudiantes.
10
. Source de l’image : http://www.lirecestvivre.org/
. Source de l’image : http://enseignant.hypotheses.org/203
11
5 -
-
Proposer des lectures courtes et simples (sur un texte où elles peuvent écrire : journal,
articles professionnels, etc.). À ce sujet, http://www.Infiressources.ca est bien fourni et
les articles peuvent être imprimés.
Dans ces articles :
o demander aux étudiantes de souligner les mots les plus importants dans chaque
paragraphe;
o leur suggérer d’inscrire dans la marge l’idée principale du paragraphe;
o utiliser la pensée à haute voix pour faire les deux mêmes processus.
Formuler des questions exprimées de manière un peu complexe et leur demander de
les reformuler simplement dans leurs propres termes.
Proposer de reformuler dans leurs propres mots de courts paragraphes de textes
simples au début, puis plus soutenus.
Faire travailler les étudiantes en petites équipes pour faire des résumés de textes.
Proposer des comparaisons de techniques ou autres éléments et demander de faire
ressortir les différences entre les deux.
Selon les capacités de l’étudiante, lui demander de faire une carte conceptuelle ou un
tableau synthèse des composantes d’un texte ou des séquences d’une technique.
À partir d’une situation complexe, demander de faire ressortir en quelques mots les
diverses dimensions impliquées (dimension physique, sociale, familiale, émotionnelle,
spirituelle, déontologique, légale, etc.) en précisant comment elles se manifestent.
Leur présenter un tableau en deux colonnes : la 1re, où sont inscrites des questions, la
2e, où l’étudiante écrit en quelques mots ce qui demandé.
Il importe aussi de vérifier leur méthode de prise de notes. Certains étudiants ne savent
pas noter ce qui est important.
Conclusion
Pour ces étudiantes, ce problème de littératie risque de devenir sérieux. On peut même
penser que leur avenir peut en dépendre. Aussi est-il important de tenter de les aider. Ces
moyens n’ont certes rien d’infaillible, mais la prise de conscience de la difficulté, dont ces
étudiantes font l’expérience, l’effort qui est fourni pour mieux la gérer et le soutien de
l’enseignante, ont des chances de produire des résultats, surtout si cela se fait avec une
certaine persistance. Une chose est certaine, l’inertie elle, n’apporte rien. Et ne dit-on pas
que la persévérance vient à bout de tout!
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