Un berger, des bergères…

Transcription

Un berger, des bergères…
Alpes 2010
Un berger,
des bergères…
Nouveaux enjeux d’un métier en mutation
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Alpes 2010
Un berger, des bergères…
Nouveaux enjeux d’un métier
en mutation
À l’initiative de :
Avec le concours et la participation de :
Un travail soutenu par :
Enquêtes : Guillaume Lebaudy (ethnologue, Ecole des Hautes
Études en Sciences Sociales, Laboratoire d’Anthropologie
Sociale, Paris), Julien Seghers (stagiaire INFOMA du Ministère
de l’Agriculture).
Coordination de l’enquête : Bruno Caraguel (Fédération des
Alpages de l’Isère), Aurélie Fortune (MSA des Alpes du Nord),
Audrey Pégaz-Fiornet (Maison du Berger de Champoléon,
Hautes-Alpes), Alice Chenal et Laurent Four (Association des
Bergers de l’Isère).
Textes : Guillaume Lebaudy et Bruno Caraguel (coordinateur,
Fédération des Alpages de l’Isère), en collaboration avec Alice
Chenal (bergère, Association des bergers de l’Isère), Juliette
Castanieris (bergère, Association des bergers de l’Isère),
Laurent Four (berger, Association des bergers de l’Isère).
Photos : Guillaume Lebaudy (ethnologue), Jean-Marie Davoine
(chargé de formation)
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Merci : aux bergères, bergers et éleveurs qui nous ont
accueillis, à l’Association des Bergers de l’Isère,
à la Maison du berger de Champoléon (Communauté de
Communes du Haut-Champsaur, Hautes-Alpes),
à Audrey Pégaz-Fiornet (ethnologue, responsable de la Maison
du Berger), à Jean-Marie Davoine (ancien berger, chargé de
mission à la Fédération des Alpages de l’Isère),
à Jean-Claude Duclos (directeur du Musée Dauphinois,
Grenoble), à Patrick Fabre (directeur de la Maison de la
Transhumance, Saint-Martin-de-Crau), à Anne-Marie Brisebarre
(ethnologue, C.N.R.S., Laboratoire d’Anthropologie Sociale,
Paris).
UN TITRE UN PEU FACÉTIEUX QUI EXPRIME UNE COMPLEXITÉ
CACHÉE…
Alpes 2010
Un berger, des bergères…
Nouveaux enjeux d’un métier en mutation
« Un berger » fait état du cliché, des idées reçues sur ce
métier que l’on pensait connaître.
Au fil de cette enquête, engagée sur les impulsions de la Région
Rhône-Alpes sous l’intitulé « Égalité des chances Hommes
Femmes en milieu rural », et de la MSA des Alpes du Nord
service « Prévention des Risques Professionnels », nous avons
été amenés à déconstruire, à aller au-delà de ces clichés.
Il va falloir s’y faire, les berger(e)s ne sont plus ce qu’ils
étaient.
On constate qu’il y a de plus en plus de jeunes femmes qui
s’orientent, se forment au métier de berger salarié, et que ce
phénomène est constaté au nord comme au sud des Alpes. On
est donc tenté mettre le mot « berger » au féminin, le pluriel
venant témoigner de la pluralité de la situation « des
bergères… ».
« Nouveaux enjeux d’un métier en mutation »
Sous les effets combinés de la féminisation de ce métier et des
regards nouveaux qui se tournent vers les alpages, bergers et
bergères ont à mobiliser des compétences sans cesse
renouvelées. Ils contribuent à porter de nouveaux espoirs non
seulement en faveur des alpages, mais également au profit des
mondes urbains et ruraux.
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« J’ai été licenciée économique… Berger, je n’y avais jamais
pensé, ça me semblait inaccessible ! C’est un bilan de
compétences qui m’a amené à ce métier. Á 46 ans, j’ai fait la
formation berger « 600 heures » de La Motte Servolex. Sans
formation, je n’aurais pas fait ce métier ! L’hiver, je travaille dans
une petite station de ski, je suis perchman. L’automne et au
printemps, je fais des remplacements d’éleveurs de vaches
laitières ou allaitantes, de chèvres ou de moutons. Des gens qui
partent en vacances. Et l’été, je fais l’alpage… »
G., bergère, en Chartreuse
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Version du 6 octobre 2010
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Un métier que l’on pensait connaître…
La Fédération des Alpages de l’Isère, avec l’Association des
Bergers de l’Isère, la MSA des Alpes du Nord et le CFPPA de la
Côte-Saint-André ont répondu à l’appel à projets « Égalité des
chances Hommes-Femmes en milieu rural et agriculture »
ouvert en janvier 2009 par la Région Rhône-Alpes.
Alors que nous pensions bien connaître ce métier et ceux qui
l’exercent, nous avons été surpris par la proportion
importante de femmes qui s’engagent sur des alpages
aux conduites pastorales complexes. Pourtant nous constatons
aussi un manque d’équipements individuels destinés aux
bergères en estive. Comment accompagner les nécessaires
évolutions qui profiteront tant aux bergers qu’aux
bergères dans leur vie professionnelle ?
Il en a résulté l’envie de conduire une enquête de terrain à
la fois technique et ethnologique, à la rencontre de bergers
et de bergères des Alpes. Ce travail exploratoire a mis en
évidence des enjeux forts concernant les trajectoires
individuelles et professionnelles, les conditions de vie et de
travail, les salaires, la saisonnalité, la féminisation, l’image du
métier, la professionnalisation.
Au terme de cette rencontre avec plus de 25 bergers et
bergères sur leurs estives (en Rhône-Alpes et Provence-AlpesCôte d’Azur) durant l’été 2010, nous tenions à la réalisation de
cette exposition itinérante, présentée pour la première fois en
octobre 2010 au Festival du film « Pastoralismes et Grands
Espaces », à Prapoutel Les 7 Laux. Elle est pour nous une étape
importante de nos actions en faveur de l’accompagnement des
projets en territoire de montagne.
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« L’an dernier, je me suis lancé dans un projet de maraîchage qui
n’a pas marché au dernier moment. Je suis parti marcher en
alpage, et là j’ai décidé de passer une annonce de berger. Mais je
n’ai pas forcément envie de m’installer dans cette vie de berger
salarié. »
T., berger, en Belledonne
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Version du 6 octobre 2010
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Berger, le statut de la précarité
Pour les bergers et bergères, l’égalité des chances HommesFemmes est mise en question lors de plusieurs temps de
vie. Dès l’accès à la formation au métier de berger, les femmes
affichent des projets plus structurés. L’analyse des modes
d’accès à l’emploi traduit le fait qu’elles sont appréciées dans
la mise en œuvre des tâches complexes. En revanche, elles
restent moins longtemps dans le métier.
Les jeunes berger(e)s portent une histoire et une mémoire
professionnelle qui traversent les générations. Elles sont
surtout transmises par l’école, parfois de mère en fille, et bien
moins du père au fils. Cette situation appelle un besoin
d’échanges autour du métier, une exigence de
renouvellement de sa perception par le monde agricole.
Les bergers sont vulnérables. Les risques professionnels liés au
métier résident dans leur situation de travailleur isolé,
exacerbée par le contact avec les animaux et un
environnement montagnard hostile. La saisonnalité peut
conduire à abandonner le métier de berger(e)s par lassitude et
par envie de stabilité. Elle accentue la difficulté de s’inscrire
dans un collectif professionnel dont les ressources peuvent
bénéficier à chacun pour faire face à des situations
professionnelles complexes et difficilement prévisibles. C’est au
sein de ce collectif, et au fil des jours, que se négocieront les
mutations et les adaptations qui feront vivre le métier de
berger.
Cachées derrière l’image d’Epinal de ce métier, ses
contraintes sont trop peu reconnues. N’oublions pas que les
éleveur(e)s, employeurs des berger(e)s, souffrent très
certainement des mêmes maux.
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Version du 6 octobre 2010
Photo : J.-M. Davoine
« Ce métier, moi et Nico, on est né dedans. Moi, c’était les vaches !
Mais, toute seule, je ne me serai jamais installée ; ça a murit avec
Nicolas. On a monté notre EARL du « p’tit chez nous », et pas du
grand chez les autres ! Un truc à nous, avec nos idées. On n’a pas
sauté dans les bottes de papa-maman. On ne doit rien à personne,
à part au Crédit Agricole. »
N., ancienne bergère, éleveuse-agricultrice dans le Beaufortin
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« Vivre à deux ici, c’est l’idéal. Je me libère toutes les années pour
faire l’estive en tant qu’aide-berger. Dans les tâches de la vie
quotidienne, ça nous permet d’être ensemble, payés, et de
partager le travail. C’est notre mode de vie ! Moi je ne voulais pas
être juste la copine du berger. Je voulais être reconnue comme
quelqu’un qui soit capable de garder. »
A. et E., berger et aide-berger dans le haut Verdon
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« Depuis toute petite, je vis au milieu des bêtes. Mes parents sont
fauconniers. Pour moi, être bergère, c’était la suite du lycée
agricole, de mon BTS gestion et protection de la nature, à Neuvic
en Corrèze. Ce côté débrouillard… Je n’ai pas fait d’autre métier.
J’ai une vie simple, qu’on avait déjà à la maison. Je suis juste au
milieu des montagnes. »
S., bergère dans le Champsaur
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Version du 6 octobre 2010
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De plus en plus de bergères…
Les bergers et bergères salariés d’aujourd’hui ne correspondent
pas à l’image que l'on s’en fait, ou même que certains
employeurs s’en font encore.
Très souvent issus du monde urbain, ils arrivent dans le
métier avec un niveau élevé de formation (BTS agricoles ;
Master d’aménagement du territoire,…). Ils ont fréquemment
suivi une formation au métier de berger auprès des centres de
formation agricole du Merle (PACA) et de La Motte Servolex
(Rhône-Alpes).
Le métier de berger se féminise. Depuis une dizaine
d’années, 1/3 des personnes formées dans ces CFPPA sont des
femmes. En Isère, 33% des gardiens de troupeaux sont des
bergères. Dès que la gestion devient complexe (alpages bovins,
laitiers, troupeaux ovins-bovins, démarches qualité) la
proportion est alors de 2/3 de bergères.
Cette tendance à la féminisation se retrouve aussi dans les
autres départements alpins et en Provence. « Les filles sont
plus assidues et plus douces avec les bêtes et se tiennent
mieux que les hommes, en terme de rigueur de vie. Après,
c’est un métier physique et, si on se modernise, ce sera de plus
en plus accessible » (RB, éleveur, Arles, Bouches-du-Rhône).
De plus en plus de couples viennent travailler dans les
alpages, aussi grâce au financement des emplois d’aideberger. « Je me libère toutes les années pour faire l’estive avec
mon compagnon. Ça nous permet de continuer d’être
ensemble, payés, et de partager le travail. C’est notre mode de
vie ! » (EV, aide-berger, haut Verdon, Alpes de HauteProvence).
Nombre de couples montent avec leurs enfants. L’amélioration
des logements permet la continuité de la vie de famille pendant
l’estive.
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« Le métier est devenu accessible aux bergères, grâce à
l’évolution des chalets, à l’accessibilité des alpages, au téléphone
portable pour communiquer, pour la sécurité. On me demande
souvent : « tu n’as pas peur toute seule ? ». Non, ça va, je n’ai pas
peur, mais ce qui m’embête le plus ce sont les touristes qui
prennent mon chalet pour une buvette et qui insistent pour avoir
un café ! »
G., bergère, en Chartreuse
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« Il faut avoir le souci d’être présentable. Pour garder, j’ai un
chapeau qui fait fille, je mets des boucles d’oreille. Si je me sens
fille, je travaille d’autant mieux ! J’ai un chapeau de feutre pour la
pluie, je voudrais lui mettre une touche de féminité dessus, une
grosse fleur jaune, une fantaisie qui dise : « allez, c’est pas grave,
on tient le bon bout ! »
A., bergère dans le Champsaur
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« Ici, il faut gérer au mieux l’herbe et pour ça, il faut s’organiser !
Il y a 50 parcs, 40 abreuvoirs. Les vaches doivent boire
régulièrement. En tout, j’ai 40 kilomètres de fil électrique. Au
printemps, j’habille la montagne de fils. Quand je pars, je la
déshabille, je lui rends sa virginité ! »
M., berger dans le Trièves
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Version du 6 octobre 2010
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« Nous sommes des professionnels ! »
Les bergers et bergères font preuve de créativité,
d’approches alternatives parfois en marge des cadres
institutionnels. « Quand tu es berger, tu refuses pas mal de
choses ; c’est le refus d’un système, une recherche
d’autonomie. L’alpage, ce n’est pas la décroissance, mais pas
loin ! Tu perds beaucoup de choses de la vie d’en bas, mais
avoir les trucs à la mode, ça n’apporte pas forcément du
bonheur. On fait un compromis ; avec moins, on peut se
débrouiller et surtout vivre bien ! » (SL, bergère, Champsaur,
Hautes-Alpes).
Pour autant, cette aspiration à une simplicité volontaire
s’accompagne d’une envie de reconnaissance de la technicité
du métier : « Berger, ce n’est pas un style de vie, c’est une
profession. Faut le dire ! Quand on est en montagne, on n’est
pas en vacances ! » (MR, berger, Champsaur, Hautes-Alpes).
Les compétences des bergers se renouvellent sans cesse,
et cette enquête a révélé de nombreux besoins en matière de
formation, de disparités salariales, de conventions collectives
départementales, de rapports avec les employeurs,
d’amélioration des conditions de travail et d’hébergement,
d’équipement des alpages.
Aujourd’hui, c’est un métier que l’on fait par choix et par
goût. Certains arrivent avec des motivations bien précises :
« Je suis venu au métier, pas pour les brebis ; c’est la gestion
du milieu, de la montagne qui m’intéresse. Sur cet alpage, en 7
ans, il y a eu des résultats sur l’herbe, sur sa qualité. La gestion
de l’herbe, c’est une des manières de présenter le métier qui
nous montre comme professionnels » (MR, berger, Champsaur,
Hautes-Alpes).
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« J’ai passé un an en Mongolie, dans une famille d’éleveurs. J’ai
aussi bossé en Afrique avec un éleveur et je me suis dit que berger
ça pourrait me plaire. J’ai un BTS Production végétale et un DESS
de sociologie appliquée au développement local. Pendant 3 à 4
mois, je travaille comme logisticien pour Médecins Sans Frontière
et je monte en alpage pendant 4 mois et demi…»
L., berger dans le Valbonnais
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Version du 6 octobre 2010
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Berger(e)s, saisonniers, pluriactifs…
Le métier de berger est marqué par la saisonnalité. Selon
les alpages, l’estive dure entre 4 et 6 mois, et rares sont celles
et ceux qui sont berger(e)s toute l’année. Ils exercent plusieurs
métiers et ont trouvé un rythme de vie qui leur convient.
Certains restent proches des animaux en étant vétérinaire,
tondeur, en faisant l’agnelage durant l’automne et au
printemps, en remplaçant des éleveurs qui prennent des
congés. D’autres travaillent dans les stations de sport d’hiver
comme perchman, conducteur d’engin de damage… D’autres
encore reprennent leur casquette d’accompagnateur en
moyenne montagne, font de l’accueil en milieu agricole (gîte),
gèrent une petite entreprise de débroussaillage ou font de la
logistique pour une ONG à l’étranger.
Certains mettent à profit ces mois de disponibilité pour
voyager au long cours, principalement en Asie (Inde, Népal,
Asie du sud-est…). Leurs chalets gardent souvent le souvenir de
ces rencontres avec d’autres cultures : photographies, affiches,
objets, tentures… Ces lieux de vie prennent alors des airs de
port d’attache.
Ces discontinuités dans le cycle annuel permettent de se
réapproprier du temps pour faire un autre métier, voyager,
mais aussi pour restaurer ou construire son logement,
s’occuper de ses proches, voir ses amis, participer à des
concerts, etc.
Bergers et bergères se nourrissent de ces mobilités
thématiques et géographiques, riches d’expériences tirées des
situations de travail et des réseaux de relations.
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« C’est ma quatrième saison d’estive, et je vais renoncer à ce
métier pour m’installer en fruits rouges, faire de la vente directe.
J’ai commencé en cueillette sauvage, je me fais connaître. Je
vends à la boulangerie du GAEC de la famille de mon
compagnon. »
M., bergère dans le Diois
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Version du 6 octobre 2010
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Berger, un métier passerelle
Le métier de berger incite à l’inventivité. Métier passerelle,
il dirige vers d’autres projets en agriculture et en montagne qui
traduisent une envie de s’inscrire dans un territoire choisi, de
rester vivre en montagne.
Si les femmes restent trois fois moins longtemps sur les estives
(en Isère, 2 ans ½) que les hommes, c’est notamment parce
que les bergères engagent des projets originaux et se
lancent dans des initiatives économiques locales en marge des
critères institutionnels.
On retrouve alors les bergères dans la mise en œuvre de
petites productions en vente directe sur les marchés ou sur
l’alpage (fruits rouges, fromages…). Elles s’inscrivent dans des
démarches d’installation agricole progressives ou en
complément d’exploitations établies (souvent celles de leurs
conjoints).
« On [les agriculteurs de montagne] bénéficie d’aides quand on
s’installe, ça permet de maintenir une agriculture en zone de
montagne. Mais ça soulève quelques questions, on en chie dix
fois plus ! On [dans mon exploitation] lutte contre la
broussaille, on maintient un paysage, mais on le fait pour faire
vivre un pays, en maintenant une activité. J’explique tout ça
lorsque je vais vendre mes fromages au marché le dimanche
matin » (AC, bergère, Savoie).
Pour autant, certaines bergères passionnées par leur
métier, ne l’abandonnent pas sans regret : « Je vais
m’installer [en agriculture] avec mon compagnon. Je vais
devoir renoncer à mon métier de bergère. Je le fais par amour
pour lui, mais en même temps, je suis amoureuse de mon
métier aussi ! » (MP, Bergère, Diois, Drôme).
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
Les bergères engagent des projets originaux et se lancent dans
des initiatives économiques locales : petites productions en vente
directe au marché ou à l’alpage (fruits rouges, fromages…). Elles
s’inscrivent en complément d’exploitations établies ou dans des
démarches d’installation agricole progressives.
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Version du 6 octobre 2010
Schéma : B. Caraguel
Le métier de berger bénéficie d’une image positive dans
nos sociétés. On y entre pour se construire ou reconstruire
une identité et un parcours professionnel. Un processus qui
s’avère plus rapide pour les femmes. Toutefois être berger
permet un équilibre qui ne dure qu’un temps. La recherche de
palliatifs aux contraintes de saisonnalité invite à la création
d’activités et à l’innovation.
On sort de ce métier avec des perspectives professionnelles et
personnelles choisies. En revanche, les nombreuses
compétences acquises dans ce métier ne sont pas
reconnues.
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« Je suis passionnée, parfois trop ! Les femmes qui font ce métier
ont un caractère dur et fort, on se surpasse ! Il faut toujours
montrer qu’on est capable de faire ce que je fais là, comme un
gars. Mais si on ne fait pas attention à soi, on ne dure pas très
longtemps. Les jambes en prennent un coup, le dos aussi… »
M., bergère dans le Diois
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Version du 6 octobre 2010
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Se former à la contention douce
L’inégalité au travail se manifeste surtout par le fait que les
femmes en font plus au début de leur carrière de bergère pour
montrer qu’elles sont aussi capables qu’un homme.
L’expérience aidant, elles développent des stratégies de
contournement de ces difficultés.
Contraintes par leurs capacités physiques, le rapport des
femmes aux animaux et à la domestication est très
différent de celui des hommes, en particulier dans les
situations de soins et de contention.
Elles cherchent des solutions qui respectent et intègrent
pleinement le comportement animal.
Grâce aux formations mises en place par la Fédération des
Alpages de l’Isère, la MSA des Alpes du Nord et l’Institut de
l’élevage, elles mettent en œuvre des techniques et des
stratégies adaptées à leurs capacités en ayant des rapports
moins frontaux avec les bêtes.
« Si on veut en découdre avec l’animal, on va à l’accident ! Là,
avec la formation, les filles se disent, c’est à notre portée, on
peut manipuler et soigner les animaux en douceur. » (JMD,
ancien berger, formateur).
L’objectif est d’établir une relation de confiance avec les
bêtes et de réduire les risques d’accident. En termes de
domestication, les résultats sont durables.
« Les filles ont horreur des rapports de force, elles adhérent
tout de suite à ces techniques de contention douce. En tant que
berger, il faut retirer sa carapace et apprendre à se soumettre
aux animaux. » (JMD, ancien berger, formateur).
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
Certaines situations de travail présentent des risques, notamment
lors des soins apportés aux bêtes. Risques pour le dos, pour les
jambes, risques de coups : « En soignant, je me suis pris un coup
de tête de brebis dans le nez, ça a un peu craqué… » Equiper un
alpage d’un couloir de contention et d’une cage de retournement
permet de réduire considérablement la fréquence des accidents.
M., bergère dans le Diois
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Version du 6 octobre 2010
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Les risques du métier
La peur n’est pas exprimée là où on l’attendait. Pour les filles,
celle d’être agressée est faible. C’est surtout la montagne et
ses dangers, la peur de l’accident qui stressent les
bergères et les bergers. Les pierres qui tombent, la chute, la
perte de bêtes, la prédation sont des préoccupations majeures.
Avec le fait de tomber dans un trou et de ne pas être retrouvé,
la foudre, ou « se faire une cheville en mettant le pied dans un
trou de marmotte. Et là, c’est sûr que tu ne peux pas remonter
à l’alpage ! » (AV, bergère, Champsaur, Hautes Alpes).
Les longues journées de marche par tous les temps, planter des
clôtures, les longues séances de soins aux animaux, etc.
génèrent une usure au travail. La peau, les yeux, les jambes,
les genoux, les mains et le dos souffrent. Les filles ont plus
particulièrement des problèmes de portage des charges
lourdes.
Même si des progrès ont été faits, le matériel reste
encore souvent inadapté aux tailles et à la force des
bergères.
Prendre en compte cette différence entre hommes et femmes
est une clef d’innovation : le matériel et les outils pensés pour
les femmes profiteront aussi aux hommes.
Pour les femmes et pour les couples, concilier la
maternité avec leur métier est problématique, sauf à
trouver des arrangements aux limites des droits sociaux et qui
impliquent le couple et son avenir. Ils arrivent à monter des
bébés sur les estives, et dans ce cas, les conditions
d’accessibilité deviennent prégnantes, surtout si les enfants
venaient à être malades ou accidentés.
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« Il y a de plus en plus de bergères. Des nénettes, jeunes,
dynamiques, mignonnes. Cela rafraîchit les représentations ! La
femme a sa place ! Si tu veux garder ton alpage, la maternité, il
faut la gérer. Cette année, je me suis arrangée avec un ami, on fait
deux mi-temps. Mon compagnon monte régulièrement. Et puis, ici,
on a un chalet bien équipé, comme à la maison ! »
L., bergère dans le Trièves
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« Ce qui me manque, ce sont des cages de contention plus
pratiques. Pour nous les filles, c’est plus un problème
d’équipement et d’adaptation du matériel et que le métier en luimême ! Par exemple, ce n’est pas forcément agréable de porter
une pierre à sel de 12 kilos…»
G., bergère en Chartreuse
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
La pluie, le froid, la chaleur, le vent, le rocher, la marche
requièrent du matériel, léger, résistant, permettant l’effort. Les
berger(e)s empruntent souvent des vêtements à d’autres métiers
(pêcheurs, militaires) ou activités (chasse, randonnée, ski,
alpinisme).
T., berger en Belledonne
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Version du 6 octobre 2010
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S’équiper, mais pas à n’importe quel prix...
Les équipements vestimentaires des berger(e)s sont très
disparates et rarement spécifiques à leur métier.
Pourtant la demande de vêtements professionnels plus chauds
et mieux adaptés, est réelle. La pluie, le froid, la chaleur, le
vent, le rocher, la marche requièrent du matériel léger,
résistant, permettant l’effort.
Les berger(e)s empruntent souvent des vêtements à d’autres
métiers (pêcheurs, militaires) ou activités (chasse, randonnée,
ski, alpinisme).
L’esthétique et la polyvalence de la tenue ne sont pas à
négliger, et particulièrement pour les vêtements de protection.
« C’est fini le temps où les filles se déguisaient en hommes
pour faire des métiers d’hommes » (AV, bergère, Champsaur,
Hautes- Alpes). Les vêtements sont voulus les plus discrets
possibles, et par un choix judicieux de gammes de couleur et
de tissus, ils ne devront pas effrayer les animaux.
Les chaussures restent l’un des points faibles. Elles
coûtent cher, sont peu résistantes à la pluie, sèchent trop
lentement, et on ne trouve pas (ou difficilement) de petites
pointures.
Au regard de cette diversité, il semble que l’on soit au début
de la réflexion et de la prise de conscience de la nécessaire
qualité des équipements de protection individuels. Un
accompagnement ciblé est à finir d’organiser, le repérage des
matériels doit être méthodique, les achats groupés peuvent
réduire les coûts et améliorer les rapports qualité-prix.
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Version du 6 octobre 2010
Photo : G. Lebaudy
« Chaque année, j’accueille des stagiaires dans le cadre de leur
formation. Cette année, un ami est aussi venu passer du temps sur
l’alpage. Il m’a aidée, il a gardé un peu et je lui ai montré pour les
soins… Il se débrouille bien et je pense qu’il va faire la formation
« Berger 600 heures ». Je suis heureuse de lui avoir transmis ma
passion pour mon métier ! »
M., bergère dans le Diois
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De la liberté à la fraternité, en passant par
l'égalité...
Les pistes d’intervention et leviers visant à réduire les
inégalités se situent sur les équipements, les conditions de vie
et de travail facilitées, afin d’aider les bergers et bergères à
durer dans ce métier.
Mais ne négligeons pas la complémentarité évidente ou
cachée dans ces approches différentes entre hommes et
femmes, que ce soit en terme de sensibilités ou de méthodes.
« Je suis convaincu que le changement arrivera par les femmes »
(JMD, ancien berger, formateur).
Et si, au-delà de l’égalité entre sexes, il s’agissait aussi d’aller
vers davantage de fraternité et d’apports mutuels entre
hommes et femmes, entre mondes urbains et ruraux ?
Ce travail fait également naître de nouveaux partenariats
en faveur du métier de berger, à l’échelle du bassin de vie
et de travail de ces saisonniers. La Maison du Berger de
Champoléon (Hautes-Alpes), la Maison des Alpages (Isère), la
Maison de la transhumance (Bouches-du-Rhône), l’Ecomusée
du pastoralisme (Pontebernardo, Piémont), le Musée dauphinois
(Isère) y contribueront, à leur manière.
Mais il faudra aller encore plus loin.
Qu’en est-il des relations complexes et ambigües entre
employeurs et salariés ? Comment mieux valoriser les
compétences et les savoirs acquis par les berger(e)s ?
Comment accueillir durablement des couples avec enfant(s)
dans les estives ?
Autant de questions encore sans réponses…
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Version du 6 octobre 2010
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Pour aller plus loin…
-Bachelard D., 2002. Berger transhumant en formation : pour
une tradition d’avenir, L’Harmattan, Paris.
-Baumont I., 2005. Berger : un authentique métier moderne,
Mém. Master 2, Univ. Paris-Descartes.
-Baumont I., 2009. « Qui est berger ? Hiérarchies et relations
professionnelles », in Brisebarre A.-M., Fabre P. et Lebaudy G.
(dir.), 2009. Sciences sociales. Regards sur le pastoralisme
contemporain en France. Pastum hors-série. AFP, Maison de la
Transhumance et Cardère éditeur, Laudun: 59-66.
-Blanc J., 1992. « Le berger, personnalité, comportement et
représentation », in Duclos & Pitte (dir.), L’homme et le mouton
dans l’espace de la transhumance, Glénat, Grenoble:131-136.
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