Kaïna-Marseille - La Garance - Scène nationale de Cavaillon

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Kaïna-Marseille - La Garance - Scène nationale de Cavaillon
Dossier pédagogique
Kaïna-Marseille
Adaptation du texte de Catherine Zambon.
Mise en scène de Bruno Thircuir.
A partir de 14 ans
Durée : 1h15
Le texte Kaïna-Marseille est édité chez Actes-Sud Junior, 2007.
Avec / Malou Vigier-Tegenay, Alphonse Atacolodjou, Isabelle Gourgues,
Moussa Sanou, Slavica Fayard
Assistant à la mise en scène, comédien / Jean-Luc Moisson
Scénographie / François Gourgues
Musique / Philippe Kodeko
Costumes / Béatrice Ribault
Son / Eric Biston
Construction/ Sophie Burgaud
Administration / Céline Rodriguez
Production et communication / Emmanuelle Robert
Assistante administrative / Anne Riéra
Graphisme affiche / Clara Chambon
Crédit photos : Laurence Fragnol
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Sommaire
Kaïna-Marseille de Catherine Zambon ..................................................................3
Résumé du livre dont la pièce est adaptée .........................................................3
Pourquoi l’auteure a-t-elle écrit ce texte pour les adolescents ? ........................3
L’écriture de Catherine Zambon .........................................................................4
Témoignages de lecteurs ...................................................................................4
La pièce Kaina-Marseille mise en scène par Bruno Thircuir ..................................5
Quel est le genre de la pièce ? ...........................................................................5
Quels sont les personnages du texte qui ont influencé la mise en scène ?........5
L’adaptation : ......................................................................................................5
Pourquoi le metteur en scène a-t-il voulu monter ce texte ? ...............................6
Quel est le parti pris de la mise en scène ? ........................................................7
Une approche documentaire du théâtre ? ..........................................................7
Quelle lecture le metteur en scène a-t-il eu du texte de Catherine Zambon ? ....8
La scénographie : pourquoi un tel espace ? .......................................................8
La musique du spectacle ....................................................................................8
Axes d’exploitation pour les professeurs ................................................................9
Piste scénographique .........................................................................................9
Piste théâtre/ littérature .......................................................................................9
Les questionnements qu’ils amènent ?............................................................. 10
Fiches annexes d’information .............................................................................. 11
Fiche d’information 1 : L’équipe de création .....................................................11
Fiche d’information 2 : L’auteure Catherine Zambon, sa bibliographie .............12
Fiche d’information 3 : Bruno Thircuir, metteur en scène .................................13
Fiche d’information 4 : Lettre de la directrice de Place des Arts à Cran-Gevrier
à propos de la pièce ......................................................................................... 14
Fiche d’information 5 : ...................................................................................... 15
La polémique autour de Kaina Marseille ou « L'affaire » Thierry Magnier ........15
Contacts............................................................................................................ 17
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Kaïna-Marseille de Catherine Zambon
Genre : le texte publié est une réécriture d'une pièce issue de la commande. L'éditeur a
voulu gommer les traces "théâtrales". Le résultat est un récit, voire un monologue.
Résumé du livre dont la pièce est adaptée
Texte pour adolescents dès 12 ans, paru en mars 2007 chez Actes Sud Junior.
"Tu partiras, Mamata. Tu as la légèreté du rêve. Tu as la parole en toi. Tu partiras,
Mamata. Tu feras comme mon autre petit-fils, Moussa. Il est en France. Et quand tu
reviendras, car tu reviendras, Mamata, tu seras une femme libre."
Ainsi a parlé Kaïna, la grand-mère de Mamata. Depuis elle vit dans ce secret. Kaïna lui apprend les voyages,
elle met en elle l'idée de partir. Aidée par sa grand-mère, elle sait «qu'il va falloir partir». Elles font en secret
tous les rituels de force et de fécondité pour qu'elle ne quitte pas sa terre sans protection. A treize ans,
Mamata sera mariée. Son père lui a trouvé un mari. Quand commencent les préparatifs, Kaïna entre en
maladie pour retarder le mariage et apprendre les dernières choses à sa petite-fille. Elle lui donne l'argent
qu'elle a mis de côté ainsi que sa boîte d'onguent, et l'adolescente prend le car, à l'aube. Au début, la
chance lui sourit, elle rencontre un homme bon, le conducteur du car qui lui présente sa sœur et lui donne du
travail dans un salon de coiffure. Elle y découvre l’Europe au travers des propos des femmes qui viennent se
faire coiffer et qui apparaissent libres. Elle découvre aussi le prix à payer pour avoir des papiers : en ville,
Mamata doit se prostituer auprès de Monsieur Diah, l'avocat qui lui fournit de faux papiers. "Je suis en train
de découvrir le destin des femmes de mon pays", se console-t-elle.
Elle devient Isabelle Ternier, née à Lyon, et gagne sa majorité : ses papiers lui donnent désormais dix-huit
ans et demi. Mamata arrive enceinte à Marseille, portant l'enfant de Diah et farouchement déterminée à le
garder. Mamata a un but, fixé par sa grand-mère Kaina : rejoindre son cousin qui s’avèrera finalement bien
pire que l’homme qui lui a donné ses papiers. Elle est violée par son cousin Moussa, et échappe de peu au
réseau de prostitution que ce dernier lui destine. Elle trouve enfin la sécurité auprès de Moha, "un vrai
Français avec de vrais papiers". Elle fuit, elle se cache, et connaît alors la vie des clandestins qui se
dissimulent dans les containers du port de Marseille : peur, faim, angoisse d’être découverte et renvoyée au
pays... Là, elle sauve un homme d’une ratonnade, Moha, un Français, qui devient son ami. « Mieux vaut un
frère qu'on se choisit qu'un cousin dont on rêve. » Un récit aux cruels accents de vérité.
Pourquoi l’auteure a-t-elle écrit ce texte pour les adolescents ?
C’est une commande faite à plusieurs auteurs dont Catherine Zambon par l’association « Escale » de
Marseille qui recueille les clandestins. Dans le No Man’s Land que constitue « Escale», en voyant, écoutant,
échangeant, Catherine Zambon a appris les terribles conditions dans lesquelles se passent les voyages,
traversées, fuites des différents pays que les ressortissants ont voulu quitter pour causes de faim, d’espoir
de vie meilleure, de politique ou de guerre. Elle a été très choquée de voir qu’il n’y avait aucune jeune
femme ou femme car elles tombent immédiatement, à peine arrivées à Marseille, sous la coupe des
proxénètes qui se sont répartis le marché pour éviter toute guerre des gangs : telle femme venant de tel
pays est récupérée par tel proxénète qui l’envoie dans telle ville ; une sorte de double découpage de
l’Afrique et de l’Europe, chaque pays africain ayant sa correspondance en Europe. Elle a donc décidé
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d’écrire le destin d’une jeune clandestine Mamata qui va prendre parole tout en honorant les rituels et
coutumes de son pays et raconter son calvaire et peut être aussi son salut.
L’auteure voulait informer, prévenir, dénoncer auprès des adolescents le miroir aux alouettes que constitue
l’Europe pour beaucoup de candidats à l’exil.
L’écriture de Catherine Zambon
La syntaxe adoptée par Catherine Zambon est d'une grande simplicité. L'écrivain évite les phrases
complexes. Elle dit les choses à travers les yeux de Mamata qui a une vision très lucide de ce qui lui arrive :
rien n’est embelli, tout est dit avec ce regard très lucide qu’ont souvent les poètes africains.
Catherine Zambon ne craint pas de se répéter. Les sentiments de ses personnages, si profonds soient-ils,
sont évoqués sans fioriture.
L'écrivain nous fait ainsi entrer dans le monde terrifiant des clandestins dans le port de Marseille aujourd’hui.
L'écriture lente et répétitive de Zambon suggère aussi la monotonie des jours sans espoirs qui se succèdent.
La reprise des mêmes termes ralentit le rythme de la narration, crée un effet d'insistance, renforce
l'impression de simplicité.
Elle donne aussi à l'écriture de Catherine Zambon la force d'une incantation : nous sommes là dans le
déroulement inexorable d’un rituel. Comme dans la langue rythmée des écrivains africains, la répétition
permet de dire l'essentiel, de le redire jusqu’au tournis, jusqu’à la transe.
Témoignages de lecteurs
«Bouleversant ! Un bijou de littérature, un "témoignage" percutant sur les conditions de ces très jeunes
femmes africaines qui croient débarquer au paradis et se retrouvent à faire des "bordelleries" sur les quais
des ports. Marseille ou ailleurs.... À lire absolument ! » Monique SIMOND, Valréas,le 18 juillet 2008
« Kaïna-Marseille est un ouvrage d’une grande force. Ces thèmes – la fin de l’enfance, l’identité de femme,
la liberté et surtout la puissance de la parole – donnent une densité étonnante au récit. La langue et le
rythme, superbes, nous transportent. La voix, juste, sereine et encore dans une forme d’urgence, est
bouleversante. Une lecture intense et un destin qui, sans nul doute, toucheront les lecteurs adolescents.»
Hélène Sagnet
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La pièce Kaina-Marseille mise en scène par Bruno Thircuir
A partir de 14 ans.
Quel est le genre de la pièce ?
Le texte est très réaliste, il est le résultat d'une véritable enquête sur le terrain à la manière
de Zola. C’est une pièce qui peut être qualifiée de "tragique". Mamata suit son destin : les
prédictions de Kaïna sont à l'origine du parcours de Mamata.
Quels sont les personnages du texte qui ont influencé la mise en scène ?
Les deux personnages principaux :
Mamata : la jeune fille
Moha : son ami français
Tous deux sont au centre du livre de Catherine Zambon.
Les personnages inventés pour l’adaptation/ la scène :
Les skinheads : Il est évoqué à un moment le cassage de gueule de Moha par des skinheads.
Bruno Thircuir, s’interrogeant comment faire apparaître sur scène la violence que vit Mamata en
permanence, s’est saisi de l’évocation de ces skins, symboles vivant l’incarnation de haine, pour incarner la
violence sur le plateau. C’est là tout l’art de la mise en scène : « un certain regard posé sur le monde »
Douga : À la fois clochard en demande tel qu’on le voit au début et personnage mythique de l’aveugle
musicien « qui sait », il est le gardien de la tradition et il poussera Mamata à accomplir son devoir exigé par
la tradition tout en étant le maître du rituel.
C’est un personnage créé de toutes pièces par Bruno Thircuir.
On peut parler de ce spectacle comme un parcours initiatique où chaque personnage subit une profonde
transformation et n’est plus le même à la fin qu’au début.
Parcours choisi par certains (Mamata, Douga) imposé pour d’autres (la skinhead, Moha)
L’adaptation :
La pièce s’ouvre sur le présent de Mamata, jeune clandestine qui a fuit son pays pour préserver son
bonheur, son identité, son intégrité physique et morale. Depuis elle vit cachée dans un container du port de
Marseille en présence de Moha son ami français, et de Douga, un clochard céleste, dirait Kérouac ; avec qui
ils s’apportent mutuelle protection. Alors qu’elle allait prendre parole pour exorciser la violence de cette
traversée douloureuse, elle et ses compagnons sont victimes d’une nouvelle ratonnade par des skinheads.
Elle trouvera, grâce à la présence de Moha et de Douga, détenteur de la tradition du rituel du levée de deuil
de sa grand-mère, tout le courage de dire, pour enfin trouver sa délivrance. « Enfant blessée, devenue
femme dans le fer et les coups, elle prend parole en appeler à une aube apaisée » Catherine Zambon.
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Définition de la levée de deuil en Afrique :
La levée de deuil est organisée par les plus proches parents du mort dans une période courant de
trois mois à deux ans. Selon les vœux de tous les membres de la famille endeuillée, cette levée de
deuil donne lieu à une grande journée de réjouissance, où les proches parents prennent part à une
cérémonie où l’on mange et où l’on boit. Les invités lui apportent alors des cadeaux et de l’argent afin
de lui permettre de réorganiser sa vie. La levée de deuil est la seule période concernant le décès qui
fait appel à la musique.
(Définition sur http://www.musiques-traditionnelles.ga)
Pourquoi le metteur en scène a-t-il voulu monter ce texte ?
Les spectateurs étaient tellement satisfaits et heureux à la fin de « Et si l’homme était taillé dans une
branche de baobab » que Bruno Thircuir s’est dit « (…) Ça ne peut pas être la vision que chacun emporte de
l’exil, ce n’est tout simplement pas possible. » Les conditions de l’exil que raconte Le Clézio dans son roman
« Désert » se passent dans les années 70-80 et n’ont rien à voir avec ce qui se passe actuellement.
Bruno Thircuir voulait parler de l’exil aujourd’hui en Europe et du fait que, chaque jour, des cadavres sont
retrouvés sur les côtes espagnoles, italiennes ou marocaines.
Il voulait aussi dire que ceux qui arrivaient n’étaient pas pour autant sortis d’affaire car mis dans des camps
dont nous ne savons rien : combien de prisonniers en attente de régularisation ou d’expulsion ? Combien de
morts ?
C’est un acte politique que ce spectacle.
Nous ne sommes pas des donneurs de leçon, nous ne répondons pas aux questions que posent les
politiques d’immigration des pays occidentaux, nous nous contentons de poser des questions et c’est à
chacun d’essayer de trouver ses réponses.
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Quel est le parti pris de la mise en scène ?
À la fois un parti pris réaliste qui va droit au cœur du sujet et à la fois une distance qui est donnée dès le
début du spectacle avec la mise en place à vue des maquillages, habillages, trucages, lancés de bande
son…il est annoncé clairement que l’on est au théâtre, ce qui rendra plus fort la véracité de l’intrusion des
skinheads : on sait qu’ils sont là, qu’ils vont débarquer mais on ne sait pas quand.
Il y a dans cette démarche d’annonce les choses en amont quelque chose d’Hitchcockien : les spectateurs
savent que le meurtrier est caché dans la maison mais la victime ne le sait pas.
Par ce procédé, Bruno Thircuir nous fait complice de ce qui arrive à Mamata : nous sommes au courant
qu’un drame va arriver mais nous ne pouvons qu’en être que les témoins impuissants. Au même titre qu’au
sortir du spectacle, nous savons ce qui se passe pour les clandestins, resterons-nous témoins impuissants ?
La violence qui se déchaîne sera libératrice pour l’héroïne qui pourra enfin prendre la parole et dire :
« Aujourd’hui, je prends parole »
Une approche documentaire du théâtre ?
« Tout ceci n’est que théâtre. La réalité est
pire. La réalité est impossible à représenter sur
un plateau de théâtre. La violence d’un viol
serait insoutenable à jouer, la faim des
clandestins est tellement irréelle pour bon
nombre d’entre-nous, les rituels traditionnels
n’auraient pas leur place ici. Mais le théâtre est
simplement le lieu de la mimesis. Chez les
Grecs ce jeu d’imitation du réel avait un but
cathartique pour toute la cité. Ici le rituel
d’envoûtement sur la jeune skinhead raciste
par Mamata et Douga rejoint notre projet
d’obliger le spectateur à se questionner sur son
propre rejet, sa propre haine, sa simple indifférence. Cette mise en scène rejoint l’enjeu du théâtre pour
les Grecs : regarder la violence des hommes et du monde. » Bruno Thircuir.
Comment concilier l’approche documentaire et son rendu ?
Propos recueillis par François Cau. Le petit bulletin / Semaine du 15.10 au 21.10.08 / N°679
« L’écriture de Catherine Zambon n’est pas documentaire. Elle décrit un personnage d’une poésie
vraiment forte, dans une belle langue. Après on installe les spectateurs dans un univers (…) il y a l’idée
d’installer le spectateur au cœur de l’état du personnage qu’on met en jeu. J’espère qu’on pourra
éprouver un tout petit peu ce qu’est le fait de passer des nuits caché dans des containers. La crainte,
aussi, l’état de clandestinité. On essaie de travailler sur cette crainte-là, on fait intervenir de la violence,
des paramètres extérieurs pour mettre le spectateur en situation. Mais pour le docu-théâtre… Je ne sais
pas comment nommer ce qu’on fait. Peu de gens ont cette liberté de fabriquer complètement l’endroit
où tu accueilles le spectateur. On se pose toujours la question avec François Gourgues (scénographe
de la Fabrique) de savoir ce que pense le spectateur. On n’est pas dans une boîte à quatrième mur
ouvert et assis confortablement. Dans cette version romanesque de Désert, on était tous inclus dans
ces tentes, et là on essaiera d’installer le spectateur dans un inconfort – si j’avais pu mettre des rats,
j’en aurais mis. Après, on signifie bien sûr qu’on est au théâtre.» Bruno Thircuir
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Quelle lecture le metteur en scène a-t-il eu du texte de Catherine Zambon ?
Le metteur en scène s’est permis des libertés, comme tout metteur en scène avec un texte, car s’il voulait
mettre en avant l’aspect ritualisé, il voulait que la violence soit prégnante tout au long du spectacle. Pour ce
faire, il a utilisé une courte phrase du texte de Catherine Zambon évoquant un tabassage de Moha par des
skinheads pour faire émerger deux personnages qui vont incarner toute la violence du monde occidental.
C’est toutefois en pleine collaboration avec Catherine Zambon que cette adaptation s’est faite. Celle-ci a
accepté de se mettre au service de la vision de Bruno Thircuir et de réécrire une partie d’une première
adaptation existante qu’elle avait faite pour le théâtre.
C’est donc un travail d’aller et retour entre la table et le plateau qui ont permis la naissance de cette
adaptation.
La scénographie : pourquoi un tel
espace ?
Le scénographe a voulu, le temps d’un spectacle,
mettre les spectateurs dans les conditions de vie de survie plutôt- auxquelles les clandestins sont
assujettis.
Trois
containers
constituent
l’espace
dramaturgique : un pour les comédiens au centre,
deux de part et d’autre pour les spectateurs qui
assistent en voyeurs (ils se regardent regarder) au
drame qui se joue devant eux.
Le container central est grillagé, symbole de
l’enfermement que les clandestins vivent, les
lumières sont aléatoires, sourdes, produites par un
raccordement électrique de fortune qui est à vue,
des lueurs inquiétantes qui viennent du sol, et
lorsque la porte centrale s’ouvre, c’est une lumière
froide qui envahit l’espace et révèle le moindre
recoin du container.
Du linge, accroché aux grilles, sèche.
Tout ce qui constitue le « décor » n’est que
récupération, bricolages et « à peu prêt. »
Le metteur en scène nous a confié un jour que, s’ il
avait pu, il aurait laissé des rats en liberté dans les
trois containers.
La musique du spectacle
Pour cette nouvelle création, nous avons confié à Philippe Kodeko, la création d’un univers à la fois
chaotique (on ne sait pas d’où vient le son), naturaliste (bruits du port de Marseille) et ritualisé (chanté ou
scandé à l’aide d’une percussion). Il a été aidé pour tout l ‘aspect rituel par Moussa Sanou, musicien
Burkinabé, qui en plus d’être présent sur scène apporte l’authenticité de la tradition créant ainsi un univers
très particulier et original.
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Axes d’exploitation pour les professeurs
Les niveaux ne sont donnés qu’à titre indicatif, chaque activité pouvant être réalisée pour tous, selon votre
choix. D’autres peuvent être imaginées en fonction de vos attentes.
Piste scénographique
Collège/ Lycée/ Fac : Étude de la scénographie de François Gourgues.
Intervention possible de la compagnie : intervention du scénographe.
Piste théâtre/ littérature
Collège / Lycée: Demander aux élèves de raconter l’histoire ou ce dont ils se souviennent, d’exprimer leurs
réactions et ressentis face à ce texte par exemple : Quel est le passage ou l’image qui vous a le plus marqué
? Pourquoi ? Établir des ponts, des analogies avec d’autres histoires lues à l’école ou ce qu’ils voient ou
entendent aux informations. Les interroger sur différents aspects : l'intérêt de l'histoire, la vraisemblance des
personnages et des actions.
Intervention possible de la compagnie Exercice : Imaginer que pour des raisons indépendantes de votre
volonté, vous soyez obligé de vous exiler, écrivez à vos parents restés au pays et raconter votre nouvelle
vie.
Lycée et fac : Est-ce que le théâtre se doit d’être témoin du monde contemporain ?
Intervention possible de la compagnie : « Vivre un projet artistique de sa conception à sa réalisation » : À
partir d’articles de journaux choisis, en choisir un, le réécrire, le mettre en espace et le jouer .
- stage d’une demi-journée à deux jours
Trois types de rendez-vous possibles :
En classe avant le spectacle : intervention en amont du metteur en scène ou d’un comédien (obligatoire pour
appréhender au mieux la complexité du spectacle et préparer à la violence de certaines scènes)
Sur le lieu de la représentation : rencontre avec toute l’équipe de comédiens, techniciens, et du metteur en
scène.
Thématiques du spectacle :
-Le problème des sans- papiers
-La clandestinité
-Les mariages forcés
-Le destin des femmes exilées
-Les skinheads
- La survivance et le respect de la tradition hors de ses terres d’origine
Exemple de thématiques plus large à interroger :
L’exil dans le monde / Les exilés célèbres et leur rapport à l’écriture
La France : terre de liberté et d’accueil ?
Les quêtes initiatiques…
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Les questionnements qu’ils amènent ?
>On ne peut plus dire qu’on ne savait pas : qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Ci-dessous un mail de Carole Lokossou, comédienne béninoise qui a joué avec la compagnie en 2000, qui
nous demande d’aller jouer là-bas pour que des jeunes filles ne soient pas détruites par ce miroir aux
alouettes :
Jeudi 17 juillet 2008
Salut à toute l'équipe et félicitations pour cette nouvelle création. C'est bien dommage que je ne puisse pas
voir ce spectacle ou même y participer car il traite d'un des problèmes qui me tiennent à cœur. La France
vue comme pays des miracles, surtout par nos jeunes filles africaines. Je vous encourage et demande
surtout à Bruno de se battre pour faire tourner cette création en Afrique. Le message est important il est vrai
en Europe aussi, mais n'oublions pas que, une fois en Europe, le mal est déjà fait pour ces jeunes filles.
Mon humble avis, c'est avant même de prendre la décision de partir qu'elles doivent avoir tous les
paramètres de leur choix, d'où l'importance de voir ce spectacle joué dans beaucoup de capitales africaines.
De toute façon, merci et bon vent! Je fais confiance à la bande pour défendre le spectacle!!!!!!!!!!!!!
Je me rends dispo pour vous aider si vous avez besoin de bras supplémentaires pour ce projet qui, à mon
avis, n'est pas un de plus, tout au moins pour l'Afrique! Excusez-moi d'être égoïste sur ce coup, mais j'ai vu
trop de filles complètement détruites revenir au bercail pour y finir leurs jours, juste, parce qu'un jour, elles
ont vu en leur départ pour l'Europe, le moyen de sortir leur famille de la misère!
Bon vent et fiat lux!
Carole Lokossou, béninoise
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Fiches annexes d’information
Fiche d’information 1 : L’équipe de création
Malou VIGIER TEGENAY : Mamata
Chanteuse, Comédienne, Franco-éthiopienne
Après avoir passé un an au Conservatoire de Clermont Ferrand, elle
suit à Paris différents cours à l’Académie du 7ème Art et au Studio
Alain Debock, avant d’intégrer l’Ecole Studio d’Asnières. En théâtre,
elle passe par de multiples répertoires, du classique au contemporain,
des auteurs français, aux auteurs suédois ou allemands. Elle est artiste
de Cabaret dans Du rire aux armes mis en scène par Jean Louis
Martin Barbaz au Théâtre de l’Ouest Parisien en 2006. Elle affectionne
les comédies musicales et chante dans Coup de foudre et Maux
d'amour, de Jean Baptiste Arnal. Elle joue dans les autres volets de la
trilogie africaine de la Fabrique : Et si l’Homme … et Niama Niama
Alphonse ATACOLODJOU : Moha
Comédien, Bénin
Le metteur en scène Bruno Thircuir a rencontré Alphonse Atacolodjou il
y a plus de quinze ans au Bénin. Alphonse était déjà un grand
comédien. Il a commencé à travailler sur la création théâtrale Monstres
et Saltimbanques d’après Wole Soyinka, et depuis, il semble
improbable pour toute l’équipe d’imaginer un spectacle sans cette
incroyable présence sur scène. Alphonse est quelqu’un qui aime le
théâtre comme un tout, comme si le travail ne s’arrêtait jamais
vraiment. Alphonse a été le compagnon de route depuis Monstres et
saltimbanques, jusqu’à la Trilogie africaine.
Isabelle GOURGUES : la skinhead
Comédienne,France
Isabelle Gourgues travaille avec le metteur en scène depuis une dizaine
d’années. Elle a suivi une formation théâtrale à Aix-en-Provence
(DEUST des Métiers du Théâtre). Elle a ensuite joué dans plusieurs
créations théâtrales (notamment pour Pascale Henri, Isabelle Bartniki)
avant de fonder la compagnie pour la création de Monstres et
Saltimbanques. Elle est Juliette dans Juliette Je Zajebala Romeo, et est
l’interprète principale du diptyque Manque et 4.48 Psychose. Elle
devient assistante à la mise en scène le temps de Et si l’Homme… puis
reprend son rôle de comédienne pour la dernière création Niama Niama.
Moussa SANOU : Douga
Musicien, comédien, Burkina Faso
Moussa vient d’une grande famille de musiciens. Sa grand-mère était une
grande griotte, sa maman chantait des musiques traditionnelles et son père
jouait de la batterie dans un orchestre. Dès l’âge de 7 ans il joue du djembé. Il
intègre par la suite le groupe Feeling Jazz dans lequel il joue les percussions
et à 18 ans il commence à composer des chants, des musiques et à faire les
premiers arrangements musicaux. Moussa compose et joue de la Kora, du
Balafon, du Djembé, du Tambour d’aisselle, le N’Goni, Bara, Doum-doum,
Maracas, Cloche, et chante. Il a joué dans les deux premiers volets de la
trilogie africaine.
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Fiche d’information 2 : L’auteure Catherine Zambon, sa bibliographie
Catherine est née en 1957 à Villefranche-sur-Saône, de
parents Italiens.
Elle passe son enfance dans le Beaujolais. Elle apprend le
métier d'acteur dans les Flandres.
Après des études au conservatoire de région de Lille, elle
poursuit une carrière d'actrice, de metteur en scène et
d'écrivain.
Elle a travaillé en tant que comédienne, sous la direction de
Pierre-Etienne Heyman, Jean-Louis Martin Barbaz, JeanLuc Jeener, Catherine Dasté, François Cervantes ...
Amoureuse des montagnes, elle écrit dans les combes, les
terriers, les plaines humides, au milieu des vignes, au cœur des vieilles pierres.
Elle aime accompagner des équipes de théâtre, de danse, de marionnettes...
Catherine dirige des ateliers d'écriture auprès de populations diverses (Ecole Régionale d'Acteurs de
Cannes, milieu rural, jeunes en difficultés...)
Kaïna-Marseille, 2008 Édité par Actes Sud.
Les Z’habitants, 2006-2008 Treize textes écrits chez l’habitant, en complicité avec la SN de Cavaillon,
L’Adda du Lot et le Festival Textes en l’Air.
Les Inavouables, 2005, mise en scène par la compagnie les Fous à réactions.
Les Terres fortes, 2004
Les Saônes, 2002 Édité par Lansman Editeur
Les Balancelles, 2002 Édité par Lansman Editeur
Catarineto, Éditions Lansman, Mise en scène de l'auteur
Eismitte, le milieu des glaces, Éditions Lansman, Mise en scène de Bruno Abraham-Kremer
Les badauds, Prix RFI, texte et dramaturgie du Monde 1993
Terre des Maures
La héronnière, Éditions Lansman, Mise en scène de Yves Chenevoy
Le jeu de l'oie, Mise en scène de l'auteur
La Mauvaise, écrit en résidence à la Chartreuse, Éditions Lansman
Les BeIIo, Edition Urgence de la jeune Parole
Samain, Livret d'opéra, Mise en scène de Sylvie Baillon, marionnettiste. Version courte !! Samainuscule
Tiramisu et Le Pont des Ouches, Ecrits pour « Embouteillage » de Anne-Laure Liégeois, Édition
Théâtrales
Et pour un public jeunesse :
La Bielleuse, L'École des Loisirs
La Berge haute, L'École des Loisirs
L'oca, L'École des Loisirs
Les Rousses, L'École des Loisirs
Sissi pieds-jaunes, L'École des Loisirs, Mise en scène de Yvon Chaix
Voyage en Pa et Ma, Pour un projet chorégraphique de Michèle Dhallu
Nombre de ces textes ont été l'objet de lectures publiques, de réalisations radiophoniques sur FranceCulture, et notamment dans l'émission le Pince-oreille. Prix de la SACD 1999 : Nouveau Talent Radio.
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Fiche d’information 3 : Bruno Thircuir, metteur en scène
« J’ai réellement découvert le théâtre en Afrique ; cela peut sembler
curieux qu’un jeune français rencontre le théâtre en Afrique, mais c’est
ainsi. C’était dans les années 90, au Bénin, le théâtre était une parole
politique nécessaire ; le théâtre était vital, tant pour ceux qui le faisaient,
que pour les foules qui y assistaient. J’ai compris que je voulais faire
partie de cet engagement là. » B. T. juin 2001
Formation
1991 Technicien du Centre Culturel Français du Bénin
1992 Elève de l'Ecole du Théâtre National de Chaillot, Paris.
Parcours
1995
1996
1998
1999
2000
Les derniers comédiens nomades, réalisation d'un documentaire de 26 min.
Le roi se meurt, création au Bénin, Centre Culturel Chinois.
Les tribulations de Môssieu et de son valet, balade théâtrale, mise en scène à Cotonou et
tournée en France et en Afrique.
La femme de Gilles de Bourdouxhe, comédien, mise en scène Chantal Morel
(TNP Villeurbanne, Cherbourg, Chalon)
Crime et Châtiment de Dostoïevski, création au Maillon à Strasbourg, comédien, mise en scène
Chantal Morel
Nuits guerrières, création de Gilles Zaepffel au Liban, assistant.
Fenêtre Sur…, exposition photographique, Grande Halle de la Villette.
L’ongle noir de Bernard Comment, mise en scène. Production Petit 38.
Une affaire personnelle de Kenzaburo Oé, mise en scène Annie Raymond, comédien.
2001 Création de la compagnie « La Fabrique des Petites Utopies »
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
Monstres et Saltimbanques de Wole Soyinka, mise en scène, création et tournée au Bénin, en
France, Production le Petit 38, AFAA.
Construction de la « Fabrique Errante », théâtre mobile.
Quichott, l’homme qui n’y était pour rien de M’hamed Benguettaf, mise en scène. Création et
tournée en France et en Algérie. Production CDNA, AFAA.
Construction du theatrum stadium, deuxième théâtre mobile.
Juliette je zajebala Romeo de Jean Yves Picq, mise en scène, création et tournée en Europe.
Production CDNA, Hexagone Scène Nationale de Meylan.
Manque de Sarah Kane, mise en scène. Production Arcadi.
4.48 Psychose de Sarah Kane, mise en scène. Production Arcadi.
Bâtisseurs de rêves, documentaire, co-réalisation. Production Fasild.
Et si l’Homme avait été taillé dans une branche de baobab, adaptation et mise en scène.
Niama-Niama : le secret des arbres, écriture et mise en scène.
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Fiche d’information 4 : Lettre de la directrice de Place des Arts à CranGevrier à propos de la pièce
Annecy, 2 août 2008
« Cher amis de la fabrique,
Vous venez de détrôner Romeo Castelluci et son Genesis que j’ai vu en Avignon en 2000 de sa place
de l’expérience la plus marquante que j’ai eu au théâtre au sens physique du mot expérience, son
spectacle m’avait alors rendue muette pendant près d’une heure, le vôtre m’a bouleversé au plus
profond…
J’ai vécu une expérience sensorielle dans ma chair, alors que tout me portait à croire que c’est à ma
raison, ma conscience, ma compassion que le spectacle allait s’adresser… Je ne m’attendais pas à
ce qui se dégage de votre travail quelque chose d’aussi primitif, au sens premier, universel du mot,
tribal, animal presque, très physique et charnel, avec ces corps mutilés, mis à nu, malmenés, ce corps
qui accouche, se délivre…
La parole, incantatoire, ce devoir de dire, participe à cette sensation d’assister à quelque chose de
chamanique, ce récit désespéré, ces mots qu’il faut absolument sortir, résonnent terriblement dans ce
huis clos oppressant et étouffant. Malou a une présence incroyable, une sorte de pureté lumineuse
étrange au milieu de cet univers cauchemardesque, un souffle de vie, léger mais si tenace, fragile et
indestructible à la fois…
J’ai l’impression d’avoir assisté à une sorte de synthèse terrible entre Aristote et Brecht, pour faire vite,
d’un côté l’identification mais sans catharsis possible, de l’autre la non-solution mais sans distance…
Bien que suffisamment prévenue en amont lors de nos différentes discussions, je n’ai pas pu y mettre
la distance, c’est trop universel et je reviens sur ce mot, primitif au sens premier, une sorte de rythme,
de respiration collective, propre à l’humanité, on le ressent dans sa chair sans (ou avant de) le
comprendre avec son entendement.
Je ne peux pas dire que j’ai aimé ce spectacle, on ne peut pas aimer cela je crois, j’ai ressenti une
profonde tristesse, de la rage, de la gêne, du dégoût d’assister à cela en tant que spectateur, et puis
un terrible sentiment d’impuissance…
Mais je crois que le théâtre doit aussi faire cela, faire naître des émotions extrêmes, rarement des
écrits, radio, images provoquent cela, nous y sommes trop habitués, vaccinés… C’est une expérience
extrême, désagréable, choquante pour la société policée, aseptisée, propre et lisse dans laquelle on a
l’illusion de vivre, je dis l’illusion car des cadavres jonchent régulièrement les plages de la
Méditerranée…
Votre spectacle éveille les esprits occidentaux confortablement endormis afin de ressentir dans leur
chair le sens des mots humanité et fraternité, si galvaudés et vidés de leur substance dans les
discours, et en cela il est précieux. »
Eva Konickova
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Fiche d’information 5 :
La polémique autour de Kaina Marseille ou « L'affaire » Thierry Magnier
Littérature jeunesse : l’offensive de la Morale, article du site littéraire BibliObs :
L’affaire a fait bruire les couloirs du Salon de la littérature jeunesse de Montreuil. L’éditeur Thierry
Magnier est au centre d’un maelström offensif qui voit ses collections et certains de ses titres pris à parti par
articles et commission de surveillance interposés.
Qui est Thierry Magnier? Aujourd’hui, c’est l’un des acteurs incontournables de la littérature jeunesse. (…)
Les faits d’abord. Deux des livres de la collection «D’une seule voix» (Actes Sud Junior) sont sous le coup
d’une interdiction aux moins de 15 ans. Une première. Et qui fait mal.
Voyons de quoi il s’agit. Le principe de la collection «D'une seule voix»: des textes courts, destinés à être lus à
haute voix avant toute chose (ils sont d'ailleurs imprimés en caractères assez gros, pour faciliter une lecture
théâtrale). Ils proposent tous des expressions personnelles, avec un narrateur en «je» qui raconte une
expérience douloureuse, dans une sorte de catharsis par la parole - une «gueulante», en quelque sorte.
Le premier s'appelle «Quand les trains passent» du Suédois Malin Lindroth. (...)
Le second (dont j'adore l'écriture, qui joue de la poésie propre à l'utilisation du français par les
Africains francophones) s'appelle: «Kaïna-Marseille», de Catherine Zambon. Ici, la jeune fille qui parle
raconte ses propres souffrances. Elle risquait le mariage forcé au village, elle a fui à la capitale, accepté
de coucher tout un mois avec un avocat véreux (dont elle tombe enceinte) pour obtenir de faux papiers
pour partir en France, et de s'en remettre à un lointain cousin pour payer la moitié de son passage vers
Marseille. Lequel cousin s'avère être un trafiquant de filles, qui la violera à peine débarquée. Elle
s'enfuit, tombe sur un jeune homo drogué à qui elle sauve la vie; il lui donnera en échange des clefs
pour espérer sortir de la spirale infernale et offrir un avenir à son enfant.
Deux textes durs. Sans aucun doute.
Que dit la loi de 1949 sur la protection de la jeunesse? : (L’article 1 définit le type de textes visés) Article 2
Les publications visées à l’article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique,
aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la
paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser
l’enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques. Elles ne doivent comporter aucune
publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse.
Qu’en est-il des deux romans cités? Y a-t-il oui ou non, dans ces romans, une justification au viol?
(…)
Dans Kaïna-Marseille, le doute vient du traitement du personnage de l'avocat, violeur et profiteur, qui
pourtant se laisse aller à quelques larmes lorsque s'achève le mois auquel il a droit et doit laisser partir
la jeune fille, laquelle fait elle-même preuve à son égard d'une certaine indulgence, voire d'un peu de
tendresse, malgré les souffrances du viol répété.
Sauf que: lorsqu'on remet le viol dans son contexte africain, et qu'on met en exergue la phrase d'une
des femmes qui entourent alors la jeune fille (femmes qui vendent leur corps en échange d'argent ou de
faveurs): «Ton mari imposé va te violer tous les jours de ta vie en échange de rien du tout, quand on
vend notre corps, on garde au moins notre liberté» (je cite de mémoire mais le sens y est), c'est tout le
système social africain du rapport à la femme qui est là mis en cause: la dénonciation de l'utilisation
des femmes pour le plaisir des hommes est alors sans concession.
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Personnellement, je conclurai que, de toute évidence, ces textes ne sont pas à mettre entre toutes les
mains. Des jeunes gens sans références, sans recul, sans maturité, ne peuvent les lire sans danger,
avant ou après 15 ans. On peut les travailler en classe, accompagnés par un adulte qui emmène la
réflexion jusqu'au bout. On peut aussi les faire lire à des ados plus jeunes qui ont déjà une solide
notion des rapports humains et de leur complexité, ainsi qu'une capacité à analyser un texte au-delà du
sens premier des mots. Ma fille a onze ans, je lui ferais lire ces deux textes sans souci. Je peux les faire
lire à certaines de ses copines ou de ses copains. Pour d'autres, il est évident que je m'abstiendrai.
Faut-il donc les interdire au moins de 15 ans ? Surtout pas. Parce que :
1) des mômes de plus en plus jeunes sont impliqués dans des viols. Interdire ces livres, c'est louper
l'opportunité de proposer à des profs d'utiliser ces matériaux pour faire réfléchir leurs élèves. Ils sont faits pour
ça. Après 15 ans la majorité de ces gosses auront quitté l'école, ce sera beaucoup trop tard pour eux.
2) parce qu'encore une fois, ce type de littérature est une littérature de «prescripteurs»: dans un contexte
normal, des adultes servent de relais entre le livre et ses lecteurs; et ce sont des professionnels qui savent ce
qu'ils font.
3) parce qu'au contraire, jouer sur une interdiction est le meilleur moyen de laisser ces bouquins exister en
dehors des prescripteurs. L'interdiction jouant sur la fascination, c'est alors que ces bouquins seront dangereux,
parce qu'ils seront lus sans encadrement - ce qui sera pire que tout.
On ne peut pas non plus les considérer comme étant en infraction avec la loi de 1949, à moins d’avoir l’esprit
vraiment tordu.
S’ils ne sont pas en contradiction avec la loi, comment ne pas s’inquiéter d’une dérive qui mènerait une
commission de censure (pardon de «surveillance», jouons avec les mots...) à décider à la place des
adolescents et de leurs prescripteurs ce qui est bon pour eux, et ce qui ne l’est pas? Doit-on tolérer n’importe
quelle décision qui pousserait à tuer un livre (et une interdiction aux moins de 15 ans le tuera certainement)
parce qu’il n’est pas à mettre entre toutes les mains? Faut-il que les ouvrages adultes portent une mention
spécifique qui interdise leur accès aux jeunes lorsqu’ils sont en bonne place dans la bibliothèque de leurs
parents? Jusqu’où va-t-on dans la vision moraliste et infantilisante du livre jeunesse?
(…) Je ne peux que saluer le travail qui est fait sur ce genre de littérature (de société qui explore les aspects les
plus sombres de la vie des jeunes lecteurs) par Thierry Magnier et ses collègues : pour son incroyable qualité,
pour la nécessité qu’il y a à offrir aussi ce genre d’ouvrages aux adolescents, et je ne peux que m’interroger sur
l'avis d'une non-spécialiste qui juge que cette littérature ne leur convient pas, alors même qu’ils ne cessent de
la plébisciter dans leurs jurys lorsqu’ils l’ont entre les mains.
Il y a quelques mois, déjà, une affaire de censure interne avait secoué la maison Mango jeunesse. Un titre de
Nathalie Legendre, «les Orphelins de Naja», destiné à la collection «Autres Mondes» s’était vu provisoirement
suspendu de publication pour des raisons diverses mais dont la moindre n’était pas, justement, le traitement
d’un viol. Celui-ci semblait choquer le directeur du groupe Fleurus auquel appartient Mango. Devant le tollé
suscité par cette décision, et une pétition rassemblant un grand nombre de professionnels, le roman paraîtra
finalement en l’état. Mais Denis Guiot, le directeur de la collection, aura finalement démissionné.
Autocensure, censure publique, lynchage médiatique... La question va désormais hanter tous les acteurs
indépendants de la littérature jeunesse. Et maintenant? À qui le tour?
Hélène Ramdani, dans un article publié sur bibliObs.com.
La compagnie tient à votre disposition la revue de presse intégrale réalisée par Actes Sud Junior sur
cette polémique.
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