Télécharger le volume complet

Transcription

Télécharger le volume complet
LES PARLERS JEUNES
Cahiers de Sociolinguistique
Dirigés par Francis MANZANO et Philippe BLANCHET
Comité de lecture des Cahiers de Sociolinguistique :
Philippe Blanchet (Rennes 2), Francis Favereau (Rennes 2), Monica Heller
(Toronto), Fernande Krier (Rennes 2), Jean-François Le Dû (Brest), Christian
Leray (Rennes 2), Jean-Yves L’Hopital (Rennes 2), Francis Manzano (Rennes 2),
Jean-Baptiste Marcellesi (Rouen), Henriette Walter (Rennes 2).
Émanant d’un groupe de chercheurs en sociolinguistique romane de
l’université de Rennes 2, les Cahiers de Sociolinguistique ont pour premier
objectif de faire connaître les recherches en cours sur les situations de contacts de
langues, notamment dans l’espace francophone, en y incluant le territoire français
(langues régionales ou d’origine). Ceci amène au second objectif : assurer la
rencontre de différents courants constitutifs de la sociolinguistique
contemporaine.
Volumes thématiques
Chaque numéro est conçu et dirigé par un ou plusieurs enseignants-chercheurs du
groupe.
Déjà parus :
N°1 Langues et parlers de l’Ouest, Pratiques langagières en Bretagne et Normandie. Sous la
direction de F. MANZANO, 188 pages, 80 francs., 1996, rééd. 1997.
N°2-3 Vitalité des parlers de l’Ouest et du Canada francophone à la fin du XXème siècle. Sous
la direction de Francis MANZANO, 451 pages. 150 francs, 1997.
N°4 Langues du Maghreb et du Sud Méditerranée. Sous la direction de F. MANZANO, textes
recueillis par F. KRIER et F. MANZANO, 171 pages. 80 francs, 1988-1999.
N°5 Histoires de vie et dynamiques langagières. Sous la direction de Ch. LERAY et C.
BOUCHARD, 218 pages. 95 francs 2000.
N°6 Sociolinguistique urbaine. Sous la direction de T. BULOT, C. BAUVOIS et P.
BLANCHET, 163 pages, 15 euros, 2001.
N°7 Langues en contact, Canada, Bretagne. Sous la direction de Ch. LERAY et F.
MANZANO, 196 pages, 13 euros, 2002.
N°8 Langues, contacts, complexité. Perspectives théoriques en sociolinguistique. Sous la
direction de P. BLANCHET et D. De ROBILLARD, 324 pages, 18 euros, 2003.
Sous la direction
de
Thierry Bulot
L ES PA R L ER S JEUNES
PR A T IQUES UR BA INES ET SOCIA L ES
Cahiers de Sociolinguistique
n°9
PRESSES UNIVERSITAIRES
DE
RENNES
Mis en page sous la responsabilité des Cahiers de Sociolinguistique
Presses Universitaires de Rennes et Cahiers de
Sociolinguistique
ISBN 2-7535-0077-0
Dépôt légal : second semestre 2004
Achevé d’imprimer par le Service de reprographie de l’université de Rennes 2
PRÉSENTATION
LES PARLERS JEUNES, LE PARLER DE / DES JEUNES
Au départ de ce volume fut la volonté de chercheurs de confronter leurs
points de vue sur un objet social suscitant controverses et passions, gloses et
conceptualisation diverses, dictionnaires et glossaires… les parlers jeunes, et cela
dans des contexte et lieu institutionnels particuliers et au demeurant peu habituels
pour des sociolinguistiques et pour une telle thématique : les 16ème Rencontres
Internationales de l’Audiovisuel Scientifique qui se sont tenues au Pavillon de
l’Arsenal (Paris), le 15 octobre 2002. A l’instigation de Bernard Légé (CNRS
Images/Média) puis sous notre responsabilité scientifique, il s’était alors agi
1
d’organiser une Table Ronde à dominante sociolinguistique , et à tout le moins
(car tous n’étaient pas de ce champ disciplinaire) avec des chercheurs ou des
enseignants-chercheurs engagés conjointement sur l’approche langagière de
l’objet même comme, bien entendu, des locuteurs concernés (ceux que l’on dit
« jeunes » ou qui se construisent tels) et sur la problématisation –peu ou prou– du
2
terrain urbain, de la ville .
Cette rencontre a donné lieu à de multiples échanges préalables et continus
qui ont, de notre avis, fortement marqué un fonctionnement propre à faciliter la
réflexion et que nous avons tenté de reproduire pour ce volume ; chacune des
présentes contributions s’est certes voulue individuelle et spécifique mais s’est
construite dans la connaissance des autres textes, des autres propositions. On
remarquera que les participants à la Table Ronde du 15 octobre 2002 ne sont pas
1
La Table Ronde fut ainsi présentée : « Tantôt perçu comme une menace par les tenants d’une
langue française immobile, tantôt présenté comme le creuset des nouveaux usages langagiers, le
« parler des jeunes » rend compte de la mise en spectacle d’une réalité socio-langagière
nécessairement plus compliquée. Il importe d’aborder le parler des jeunes comme il convient,
c’est-à-dire à la fois comme un mouvement générationnel posant la différence par l’affirmation
des identités, et à la fois comme un lieu symbolique où se jouent les minorations sociales. Il n’est
en effet jamais vain de rappeler que le langagier (la langue et son usage) est et crée le lien social
et, qu’à ce titre tout groupe de jeunes qui produit des énoncés étiquetés « jeunes » renvoie à la
société la complexité des tensions en cours ; mais il démontre aussi une réelle compétence à
construire du lien par la connaissance montrée du système linguistique (le cryptage suppose la
connaissance des unités à crypter). »
2
La reconnaissance de la problématique n’est bien sûr pas très récente dans les Sciences Humaines
et Sociales. Pour preuve, le numéro 81(daté de 1994) du Courrier du CNRS consacré à la ville (de
fait au P.I.R.-Villes) comprend l’entrée « La ville et les jeunes » (Blöss, 1994), mais ni figure
aucun article consacré au langage (et / ou aux langues) qui ne soit signé par un (socio)linguistique.
C’est une sociologue qui signe l’article « Espace et langage ».
THIERRY BULOT
tous réunis ici (car il ne s’agissait pas de produire des Actes, mais bien de
continuer la réflexion et le mouvement engagé à ce moment) mais que d’autres
travaux sont venus compléter, étendre, peut-être dynamiser plus encore les
premiers débats.
C’est probablement ce qui caractérise le mieux ce volume :
l’interdiscursivité, tant pour ses auteur(e)s que pour la discussion commencée,
amorcée avec d’autres approches théoriques et explicatives, toutes aussi légitimes
a priori, d’une part et, d’autre part avec des terrains, inédits voire ignorés des
lectures à faire, questionnant particulièrement les conceptualisations en cours et
qui semblent valoir pour toutes les situations « urbaines » et ou « jeunes ».
Le 15 octobre 2002 ont ainsi été soumises à débat des interventions portant
sur respectivement la partielle et/ou pseudo-arabité des « parlers jeunes » (Kheira
Séfiani), les spécificités interactionnelles des parlers dits jeunes, voire plus
simplement de « jeunes » (Cyril Trimaille), la relativisation des approches et
descriptions existant par la confrontation avec les parlers des jeunes Réunionnais
(Gudrun Ledegen) qui pour certains peuvent être dits ruraux et, enfin une
réflexion plus globale sur les rapports entre identité, ville et parlures jeunes
(Bernard Lamizet). La discussion, pour sa part, fut articulée sur deux grands
3
thèmes globaux : renvoyant pour l’un aux réflexions à mener sur la nature même
des « parlers jeunes » –vite reformulés en « parlers de ou des jeunes » pour ce qui
est des pratiques socio-langagières des locuteurs– en tant que concept à la fois
analytique et synthétique, et pour le second à des considérations plus citoyennes
portant sur « le vivre ensemble » ou pour le moins sur des pistes d’interventions
sociolinguistiques qui constituent, au final, un réel programme et de recherche et
d’action :
Parler jeune : les limites et l’étendue du concept ?
La question des identités
Le problème politique de la représentation des identités
Parler jeune et culture jeune
Interaction et dynamique sociale
D’une part, et, d’autre part,
Aménagement de l'
espace urbain et institution d'
espaces publics de
débat et d’activités culturelles.
Politique de la ville et question politique de la solidarité
Parler (de) jeune et projet de ville
Les médias urbains sont-ils ouverts aux jeunes ? Les jeunes
disposent-ils de médias d'
expression et de parole ?
Pour l’heure, le volume comprend six contributions distinctes, consacrées
aux « parlers (de) jeunes » et doublement axées sur d’abord des études de cas,
qui, sans délaisser une nécessaire dimension théorique, font état de terrains
remarquables par le questionnement et la mise à distance que leurs étude et
approche impliquent quant à l’objet de recherche. En France « métropolitaine »,
3
Que l’on retrouve comme un fil rouge dans cette livraison des Cahiers de Sociolinguistique.
6
PRÉSENTATION
les « parlers (de) jeunes » sont souvent abordés sous l’angle de l’immigration, des
contacts de langues qui en résultent, de l’urbanité… les jeunes de L’Île de La
Réunion sont en train de s’approprier pour le moins les représentations
sociolinguistiques des parlures jeunes (Gudrun Ledegen) ; une telle dynamique
impose de changer de regard, de perspective, et d’envisager, sur le terrain
parisien, le modus operandi de l’innovation lexicale (Zsuzsanna Fagyal) : quelle
est l’action des médias sur la production même de ce que l’on nomme le « parler
jeune » ? L’intérêt, entre autres, de la dernière contribution centrée sur les corpus,
est de questionner l’ethnocentrisme latent de toute conceptualisation et modèle
descriptif : certes les jeunes de Ceuta ont un « parler jeune » remarquable du point
de vue linguistique (Ángeles Vicente) mais qui, ne relevant pas d’une situation
sociolinguistique semblable à celle qui est donnée à percevoir en France, ne
génère pas les mêmes faits représentationnels ; certes il s’agit encore d’identité,
mais surtout d’une urbanité langagière spécifique et déterminante. ; et ensuite des
réflexions théoriques menant d’abord à considérer, en posant l’espace comme une
donnée socio-sémiotique, les rapports complexes entre représentations identitaires
et espace public (Bernard Lamizet), puis à interroger la notion, la catégorisation
(voire la conceptualisation) même de « jeunes » en sociolinguistique (Cyril
Trimaille) et finalement à questionner pour la sociolinguistique urbaine - via la
thématique du volume - l’urbanité langagière et la mémoire sociolinguistique
(Thierry Bulot).
Le volume se termine par une bibliographie générale qui reprend la totalité
des items cités dans les articles et qui fait également état (en cela elle se veut
thématique) des publications relatives aux « parlers jeunes ». Puisse-t-elle être,
malgré ses inévitables imperfections, un outil de travail efficace pour les
chercheurs du domaine !
Thierry Bulot
[email protected]
7
Gudrun Ledegen
Laboratoire de recherche sur les langues, les textes et les communications
dans les espaces créolophones et francophones (L.C.F.)
U.M.R. 8143 du C.N.R.S.
Université de La Réunion (France)
« LE PA R L A GE DES JEUNES » À LA RÉUNION
1
BILAN ET PERSPECTIVES
2
INTRODUCTION
Depuis maintenant 5 ans, des recherches sont menées sur les « parlers
jeunes » réunionnais au sein du Laboratoire de recherche sur les langues, les
textes et les communications dans les espaces créolophones et francophones
(L.C.F. – UMR 8143 du C.N.R.S.). Elles révèlent que les « parlers jeunes »,
pratiques identitaires en émergence, se présentent comme un mélange de créole,
de français (plus particulièrement « jeune » et familier) et de quelques termes
anglais, et sont avant tout attestés en milieu lycéen.
Dans cet article, je propose de faire un bilan de ces recherches, portant sur
les représentations des jeunes d’une part et sur leurs pratiques d’autre part. Pour
donner à voir ces pratiques diverses du français et du créole, et de leur mélange, je
présenterai des exemples venant de l’oral non surveillé d’une part et de l’écrit
3
(B.D. réunionnaise ) d’autre part, exemples qui viennent questionner nos
recherches. Ensuite, je m’interrogerai, à la lumière d’anciens corpus de 25 ans
d’âge, sur les particularités des parlers jeunes réunionnais : la syntaxe, le lexique
1
Ce titre a été inspiré par un détail trouvé dans la B.D. Totoss’ your mother : il y figure en titre
d’un livre posé sur le bureau du personnage principal (Shovel Tattoos, 2003 : 11).
2
Lors de la tenue de la table ronde, un court métrage réalisé dans le cadre du festival du film
étudiant a été projeté parce qu'
il mettait en exergue un usage ludique et fort original des langues
créoles et françaises. Je vous invite à le découvrir ainsi qu'
une brève analyse le concernant sur le
site du Laboratoire de recherche sur les langues, textes et communications dans les espaces
créolophones et francophones (LCF - UMR 8143 du CNRS - Université de la Réunion) : http :
//lcf-cnrs.univ-reunion.fr/
3
Je voudrais remercier ici très chaleureusement Serge Huo-Chao-Si et Appollo, auteurs
réunionnais de bandes dessinées, pour m’avoir permis de reproduire intégralement les aventures de
Caca Moustique (expression réunionnaise signifiant ‘taches de rousseur’), une parodie « jeune »
du Petit Chaperon Rouge (cf. Annexe 1).
GUDRUN LEDEGEN
et les emprunts seront passés en revue et ces domaines seront confrontés à des
recherches métropolitaines sur les pratiques linguistiques des jeunes.
HISTORIQUE DE LA RECHERCHE RÉUNIONNAISE SUR LES
JEUNES »
« PARLERS
Des représentations …
Les « parlers jeunes » réunionnais constituent un de nos axes de travail au
sein du Laboratoire de recherche sur les langues, les textes et les communications
dans les espaces créolophones et francophones, depuis 1998. Une pré-enquête,
menée en 1998 par C. Bavoux (2000), examinait les représentations d’un éventuel
« parler jeune » auprès de collégiens, de lycéens et d’étudiants universitaires, et a
mis en lumière que cette pratique identitaire en émergence se présente comme un
mélange de créole, de français (plus particulièrement « jeune » et familier) et de
4
quelques termes anglais , et s’atteste avant tout en milieu lycéen. Ensuite, une
recherche collective au sein de notre laboratoire a mené à un numéro thématique
consacrée aux « parlers jeunes » réunionnais dans la revue TRAVAUX ET
DOCUMENTS (Ledegen, 2001a) : dans ce numéro est mis en lumière que c’est dans
un contexte sociologique (Wolff, 2001) et sociolinguistique (Bavoux, 2001a)
particulier que la catégorie « jeune », avec ses « parlers jeunes », a vu tout
récemment le jour à la Réunion. En effet, l’émergence toute récente de la
catégorie « jeune » à la Réunion se fait dans un contexte sociologique tout
spécifique et doit être saisie à l’aide de repères ayant trait autant à la démographie,
à la massification scolaire, à l’urbanisation qu’au développement de l’espace
médiatique (Wolff, 2001). En termes sociolinguistiques, ces pratiques
linguistiques nouvelles illustrent l’évolution de la diglossie (Bavoux, 2001a) et se
répandent avec l’urbanisation, qui instille par la mobilité une modification de la
sociabilité (Rémy & Voyé, 1992 ; Ledegen, 2001b) ; les « parlers jeunes »
réunionnais, plus particulièrement leur caractère mélangé, attestent – pensonsnous – du dépassement du clivage diglossique ; en effet, le français familier,
absent du paysage sociolinguistique des générations précédentes, commence à être
approprié par les jeunes et employé par eux dans les situations de communication
identitaires, familières et ludiques.
Cette première phase d’analyses, axées principalement sur les
représentations linguistiques, a été ensuite complétée par un travail
d’enregistrement et d’analyse de corpus oraux « ordinaires ».
… aux pratiques effectives
Dans le cadre du projet « Les pratiques langagières des jeunes Réunionnais
(à l’école et entre pairs) », subventionné par la Délégation Générale à la Langue
Française et des Langues de France, l’équipe de la Réunion s’est concentrée sur
l’enregistrement des pratiques effectives, non ou peu surveillées, prises sur le vif.
Ces investigations ont permis de cerner les « parlers jeunes » dans leur diversité
4
Parallèlement Régine Dupuis (2000) a mené une pré-enquête auprès de groupes de musique rock,
rap et maloya du sud de l’île de la Réunion, qui a mis à jour que le mouvement rap réunionnais est
le seul à produire des mélanges linguistiques dans ses textes, à l’instar des groupes métropolitains.
Elle a continué ses recherches en se consacrant à l’analyse de ce mouvement dans l’île (Dupuis,
2002).
10
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
linguistique, mais aussi dans leurs caractéristiques « ordinaires », au-delà des
aspects les plus visibles socialement.
Différents corpus ont été établis : des conversations spontanées entre pairs
chez les 15-30 ans (Bavoux, 2002), des émissions de radio ciblées sur un public
jeune (Ledegen, 2002), des textes de rap plus ou moins improvisés, ainsi que des
joutes verbales (Dupuis, 2002), des corpus spontanés dans 4 lycées professionnels
(Wharton & Tupin, 2002). L’analyse de ces corpus révèle les tendances suivantes
dans les pratiques des jeunes :
•
la langue haute, le français, sert à parler d’amour, la langue basse, le
créole, s’emploie pour la plaisanterie ou la gaudriole : ci-dessous un exemple
de gaudriole, les allusions sexuelles en créole s’opposant au style romantique
en français :
- mon chéri : me manque : : / mon
chéri : me manque
- la ou la anvi d(e) koké ou la : :
- là, t’as envie de baiser
[rire]
- quelle vulgarité : :
(Bavoux, Le sandwich, l. 67-68)
Ou encore, lors d’un jeu de joute verbale par SMS interposés, l’animateur
radio réagit ainsi, à la « vanne » « oté amoin pareil in rakèt tortue » [‘hé je suis
5
comme une ‘raquette tortue’ ’] :
« non mais franchement : / finn vu
(non mais franchement : / tu as vu
out gèl koué // ton gèl pareil in
ta gueule quoi // ta gueule est
korné la glas : / koinsé // ant le dan
comme un cornet de glace : /
in chyen // la di koma : // ou tèt //
coincé // entre les dents d’un
la grandi ant deux galets : / la di
chien // je le dis comme ça : // ta
koma : ou tèt pareil in gros
tête // a grandi entre deux galets :
citrouy » (Ledegen, 2002, Radio
/ je le dis comme ça : ta tête est
Contact, p. 12, l. : 10-15)
comme une grosse citrouille)
• A l’inverse, on atteste des productions où le français et le créole ont la même
fonction dans le même contexte énonciatif ; l’animateur de Radio Contact,
dont il vient d’être question, relance le jeu de « vannes » souvent aussi en
français, passant d’une langue à l’autre dans une même interaction :
« mais par cont(re) je vais lire quand
même ta blague / Gaëlle / alors / ou jou
(tu joues au football avec le
football avec le balon baskèt / sé- / non /
ballon de basket [c’est la
sérieux c’est vrai / (musique) / et tu sais
vanne que Gaëlle lui envoie
avec quoi tu joues au rugby toi / (musique)
par SMS])
non tu veux vraiment savoir avec quoi tu
joues au rugby non mais franchement /
putain avec une balle de golf / voyons /
mais t(u) es conne ou quoi / on joue pas au
rugby avec une balle de golf voyons : /
(musique) / je plaisante Gaëlle / OK ? /
(rires) » (Ledegen, 2002, Radio Contact,
5
Une variété de cactus.
11
GUDRUN LEDEGEN
•
•
•
p. 6, l. : 5-11)
On peut voir dans ces pratiques des indices du dépassement de la diglossie.
On trouve aussi des indices de diffusion d’une norme exogène sur NRJ
quand un auditeur réunionnais dit : « tu peux dire aux pauvres marmailles de
6
plus mettre du linge de marque » et se fait « corriger » par l’animateur de
l’émission, diffuseur d’une norme jeune exogène : « De plus se fringuer avec
des vêtements de marque » (Ledegen, 2002, NRJ 3, p. 2, l. 11-12) (je
souligne).
• Le procédé de verlanisation quant à lui renvoie strictement à une norme
exogène et s’avère non productif : seulement quelques emprunts de formes
verlanisées, comme teuf, pineco, zicmu … circulent, et une seule création
frinca [frinka] (verlan de cafrine, ‘petite amie’) a été signalée.
A l’inverse, on atteste des indices d’émergence d’une norme endogène :
tantine est préféré à meuf. On note le dynamisme de la dérivation sur des
bases endogènes : tantine> tantine la roue (‘fille qui aime les garçons à
voiture’), tantine lycée (‘lycéenne’) et gars > gars la kour (‘jeune du coin’).
Enfin, on atteste une régionalisation de la norme centrale jeune : gars devient
un mot créole emblématisé (oté les gars !, ‘hé, les gars’), et remplace les
anciens boug et bonom (Bavoux, 2002).
Enfin, la confrontation de nos recherches sur les représentations et celles
qui viennent d’être résumées sur les pratiques des jeunes Réunionnais, a mis
en avant deux profils contrastés de « jeunes » : celui du diglotte insécurisé qui
établit un lien d’exclusion entre l’endogène et l’exogène, et celui du bilingue
sécurisé dont la langue inclut tous les parlers exogènes et endogènes dont il
dispose ; beaucoup de jeunes se situent naturellement entre ces deux extrêmes
théoriques (Wharton, 2002).
QUELQUES EXEMPLES
Afin d’illustrer les recherches qui viennent d’être résumés, je présente ici
l’analyse de deux corpus de pratiques « jeunes ». Le premier réunit des
conversations orales entre pairs ; il présente l’intérêt de contenir des pratiques
« ordinaires » des mêmes jeunes, majoritairement des bilingues sécurisés, dans
différentes situations d’interlocution. Le second présente deux versions d’une
même B.D. réunionnaise à 12 ans d’intervalle, versions qui contiennent des
éléments de « parlers jeunes », en français pour la première version et en créole
pour la seconde.
Pratiques orales « ordinaires »
Le corpus Djembé est constitué de paroles prises sur le vif lors de
rencontres avec des artistes de musique participant à la préparation et à
l’enregistrement du programme télévisé « jeune » Djembé, par une enquêtrice de
leur âge (non présentée comme telle) ou lors de discussions entre pairs. Ces
discussions de groupe se sont avérées méthodologiquement très efficaces parce
que « la présence de pairs [a dissuadé] les témoins d’utiliser un autre style que
6
On peut en effet opposer la radio locale Radio Contact à NRJ comme le « melting-pot
linguistique » réunionnais à l’« assimilation à la métropole » (Ledegen, 2002a et b).
12
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
celui qui leur est le plus habituel » (Auger, 1997 : 153). De plus, la diversité des
enregistrements nous permet de cerner le répertoire linguistique de quelques
jeunes : ainsi, certains extraits constituent des moments d’interview avec
l’enquêtrice, d’autres sont des discussions plus libres avec elle (cf. extrait 6 dans
l’Annexe 3) et enfin, d’autres sont enregistrés à l’insu des jeunes ; dans le feu des
discussions et des déplacements de l’enquêtrice, les jeunes musiciens ne se savent
en effet pas toujours enregistrés (cf. extrait 8 dans l’Annexe 3).
Les interactions se passent presque exclusivement en créole. Le corpus
révèle que ces différents artistes de musique, jeunes et branchés, parlent créole
entre eux, lors de leurs discussions informelles, ainsi qu’avec l’enquêtrice qui
s’est très bien fondue dans le décor de la préparation de l’émission télévisée. Le
7
créole est en effet encore beaucoup utilisé à la Réunion , autant par les jeunes que
8
par les anciens .
Le français s’avère de mise lors de discussions avec l’enquêtrice quand
l’enquêté vient de métropole, ou encore quand la discussion prend des allures
d’interview : après une discussion plutôt informelle en créole, l’enquêtrice pose la
question suivante « et / mais zot tout ([tut]) la / zot néna ant quel âge et quel âge /
zot » (‘et / mais vous tous là / vous avez entre quel âge et quel âge / vous ?’), et
elle se fait répondre en français « ben moi j’ai 27 ans / et puis / bon / ils doivent
avoir 25 / 23 / 25 / 25 / 22 ». Ainsi, l’enregistrement révèle des discussions assez
spontanées, même si les conversations avec l’enquêtrice, personne qui leur est
inconnue, ne sont généralement pas des interactions totalement « naturelles ».
L’analyse de ces interactions révèle que ces locuteurs emploient assez peu
de termes d’origine anglaise, ou relevant du français familier ou « jeune » ; pour
la première catégorie, on n’atteste que l’incontournable « yes I » ; pour la
seconde, ce corpus a ceci de particulier que les termes attestés sont, à côté de
l’ordinaire « truc », ou bien très familiers, voire vulgaires, comme « connerie »,
« fait chier », « putain de bordel de merde de chiasse », ou bien sont des procédés
très à la mode, comme la troncation dans « instrus » (‘instruments’), la tournure
9
« trop + adj. » (‘très + adj.’), l’expression hybride « tu wa » et enfin le verlan :
« téci » et « turevoi ».
Ce dernier procédé – que ce corpus est presque le seul à révéler parmi ceux
que nous avons réunis jusqu’alors – est employé lors d’une discussion où il
7
Plus qu’en Martinique en tout cas : « […] c’est l’une des différences entre la Réunion et la
Martinique, je crois que le créole est vraiment une langue maternelle à la Réunion pour autant que
je m’avance sur cette situation-là. Je veux dire la plupart des petits Réunionnais baignent dans un
milieu créolophone fort, la plupart des petits Martiniquais baignent dans un milieu mixte où il y a
plus de français proféré que de créole. Autrement dit un petit Martiniquais qui naît aujourd’hui en
l’an 2000, et ceci depuis 25 ou 30 ans, il entend plus de français que de créole. » (Prudent, 2003 :
133)
8
La publicité est d’ailleurs souvent en créole, autant pour vanter les mérites du terroir que pour
s’adresser aux jeunes : ainsi, l’an dernier le basketteur Jackson Richardson était à l’affiche d’une
publicité pour la téléphonie sans fil ; on lui demandait « Koman i lé, Jackson ? » [‘Comment ça va,
Jackson ?’], et il répondait « Lé mobile ! » [‘Je suis mobile’], jouant ainsi sur les sens ‘téléphone
portable’, ‘mobile sur le terrain de basket’, et ‘dans le coup’. Tandis qu’« un adolescent qui
parlerait cauchois [dialecte du pays de Caux, près de Rouen] pour vanter les mérites de son
portable n’est pas près de se voir dans un spot publicitaire » (Bulot, 2001d : 117).
9
Les locuteurs jouent, à côté des formes « tu vois » ou « ou wa », avec la co-présence d’un
pronom français et d’un verbe créole.
13
GUDRUN LEDEGEN
s’avère que ces artistes ne l’apprécient guère, et ils le tournent en dérision dans
des imitations de parler de banlieue. Pourtant, ils en revendiquent en même temps
l’usage : ainsi frinca est une création locale, et ils se sont appropriés téci pour
10
créer le nom de leur groupe A.R.T., ‘Aérosol Rap Téci’ . Ainsi, le verlan, un des
aspects lexicaux novateurs des « parlers jeunes » métropolitains par rapport aux
époques antérieures (Conein & Gadet, 1998 : 115), se révèle très peu attesté dans
11
les corpus médiatisés ou informels réunionnais que nous avons pu réunir. La
grande majorité des éléments de verlan attestés semble empruntée et intégrée
au(x) « parler(s) jeune(s) » réunionnais plutôt qu’employés de façon productive
(Ledegen, 2001b). C’est qu’ont signalé B. Conein et F. Gadet pour les parlers
jeunes métropolitains : « la chose essentielle à noter sur le verlan est à quel point
il fait clivage, entre locuteurs qui l’utilisent de façon créative […], et d’autres qui
ne font qu’utiliser des termes répandus, ce qui ne les différencie pas des adultes
ayant adopté quelques termes comme ripou » (1998 : 116). Les jeunes
Réunionnais appartiennent donc surtout à cette seconde catégorie.
Enfin, pour ce qui est des termes créoles et/ou français réunionnais
« jeunes », ils en utilisent fréquemment (une expression toutes les deux minutes
(10/17’)). Les termes attestés appartiennent à deux catégories distinctes : ils sont,
pour 4 des 10 attestés des emprunts de français « jeune » en créole : « affol »,
« koué », « ou wa », « li shoot ». Les 6 termes restants sont du créole « jeune » et
branché : « bel », « bèz », « bour », « frinca », « kalité », « kouyon », « totoch »
12
(en tant que verbe) . Cette dernière catégorie est très présente dans le corpus
Djembé 8, le plus informel d’entre tous, où deux amis discutent de basket
(cf. Annexe 3).
Les pratiques « ordinaires » réunies ici se résument donc par les trois traits
suivants : le créole majoritaire, du français très familier et dans ces deux langues
des termes et/ou tournures « branchés », mais très peu de verlan et d’anglais. Il
sera intéressant de continuer à creuser la piste du français très familier, fréquent
dans les pratiques informelles analysées ici. S’agirait-il d’une deuxième phase
dans l’appropriation de ce registre (ces jeunes voulant se démarquer de la
génération précédente qui maîtrise déjà le français familier), d’une influence des
textes rap qui se révèlent parfois « crus », d’un trait idiolectal propre aux groupes
de jeunes musiciens qui étaient en représentation sur ce plateau d’enregistrement,
et se trouvaient pendant certains enregistrements exclusivement entre garçons ?
Pour le savoir, je travaille actuellement à l’analyse d’autres corpus naturels de
jeunes dans des situations diverses, en m’intéressant au répertoire verbal des
locuteurs, aux différents pôles de leur univers linguistique : le pôle « famille », le
pôle « quartier », le pôle « pairs », … (cf. Liogier, 2002 : 52).
10
N : nou sé par rapport A.R.T. / donc sa fé téci / si nou mèt cité sa fé pas A.R.T. / ça fait A.R.C.
([a Ε si]) (‘nous c’est par rapport à A.R.T. / donc ça fait téci / si on met cité ça fait pas A.R.T. /
ça fait A.R.C.’).
11
L’écoute sur My NRJ de dédicaces écrites par les auditeurs et lues à l’antenne par les animateurs,
en révèle quelques rares autres (4 sur 3 heures d’émission) : tepos [t∂po] (‘potes’) (employé 2x),
pinecos [pinko] (‘copines’) de la part d’auditeurs et c’est tipar (‘parti’) de la part de l’animateur.
12
Je signale que les termes bèz (‘tromper’), bour (‘se faire gronder’) et kouyon (‘idiot’) ne sont pas
vulgaires en créole réunionnais : les deux premiers sont des survivances dialectales, le dernier,
d’un usage généralisé, a perdu toute valeur triviale (Chaudenson, 1974 : 703, 712 et 934).
14
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
Regardons maintenant le second exemple, venant du monde de l’écrit.
Les pratiques écrites de B.D.
Une nouvelle source de données qui renseigne beaucoup est constituée des
bandes dessinées réunionnaises qui s’adressent en grande partie aux publics
jeunes et sont donc partiellement un reflet – certes stéréotypé et/ou exagéré – des
pratiques « jeunes ». Les B.D. constituent un des vecteurs de transmission du
13
français familier, en plus des journaux lycéens, des médias en général … (cf.
Ledegen, 2002b : 135-136).
Je présente ici une analyse d’une B.D. dont les textes (i.e. le discours des
personnages et la narration) renferment des éléments de « parlers jeunes »
réunionnais ; dans le cadre de ce travail, il est intéressant d’avoir disposé de deux
versions d’une même histoire, i.e. une première version datant de 1988 et qui est
écrite en français, et une version parue en 2000 écrite en français pour la narration
et en créole pour les discours des personnages. Cette comparaison de deux
versions d’une même B.D. écrites à 12 ans d’intervalle renseigne sur les pratiques
de jeunes en français de 1988 et en créole de 2000, et révèle le travail de réécriture
qui a été effectué pour mettre le texte en adéquation avec le public – entre autres
« jeune » – 12 ans plus tard.
14
La première version date de 1988 ; elle est écrite entièrement en langue
française, et autant la narration que les discours des personnages sont agrémentés
de quelques traits de morpho-syntaxe, de prononciation, et de lexique relevant du
français « ordinaire » ou familier, voire « jeune » de cette époque-là :
- morpho-syntaxe : 3 omissions du ne de la négation autant dans le texte du
15
commentaire (on savait pas – personne savait) que dans le discours du
personnage (t’aurais pas dû) ;
- prononciation : omission du u de tu avant voyelle : t’aurais pas dû ; t’as
bien changé ; et chute du e muet : P’tit [Chaperon Rouge] (2x) ;
- lexique : les termes familiers et/ou ‘jeunes’ balles (100 ~) ; bécane ;
16
17
bouffe ; con (2x) ; crécher ; flip (faire un) ; fric ; meule ; mob ; pousser en
18
meule ; se planter ; se taper ; vieille (la ~) ; et l’expression : (adj.) comme pas
19
20
21
deux . Quelques traces d’anglais aussi : Cagnard of le Barachois ; okay.
22
Cagnard est le seul terme réunionnais appartenant au monde des jeunes.
13
En effet, les deux auteurs n’ont pas participé aux journaux lycéens et n’étaient pas encore partis
en métropole à cette date-là ; le français familier était donc présent dans l’île et employé de façon
productive par ces deux auteurs de B.D.
14
Cf. la reproduction du texte intégral en Annexe 2.
15
Un seul ne est attesté dans la narration : ‘il n’en reste plus que le Jardin de l’Etat’, plus
spécifiquement dans un commentaire pseudo-historique entre parenthèses dans la narration.
16
Jouer une partie de flipper.
17
Mobylette ou moto.
18
Faire la course en cyclomoteur.
19
Qui se dirait aujourd’hui radin de chez radin (Gadet, 2003 : 2).
20
Paresseux, voyou, délinquant (Beniamino, 1996 : 82-83).
21
Le front de mer de Saint Denis, la capitale.
22
Samoussas et carri étant des termes culinaires et le Chaudron, le Barachois et St Gilles des
toponymes réunionnais.
15
GUDRUN LEDEGEN
Ainsi, il est intéressant de noter que le français « ordinaire », familier et
jeune, s’attestaient déjà parmi la jeunesse réunionnaise de 1988, la génération
précédant l’actuelle.
23
La deuxième version date de 2000 ; les dialogues y sont en créole et la
narration en français soutenu (à la différence de la première version où dialogues
et narration étaient en français familier). Plus que d’une traduction de la première
version, il s’agit d’une véritable réécriture pour le public de 2000. Les dialogues
foisonnent d’éléments actuellement attestés dans les « parlers jeunes »
réunionnais :
• les emprunts au français familier et/ou « jeune » :
24
- affole pas : t’affoles pas
- bandé : bandant
25
- boustère : bouster
- gâté : pourri
- goûte à moin : goûte-moi ça
- goûte qqch : prends ça ; goûte-moi ça
- koué ? : quoi ?
- lé booon : c’est boooon ; cause toujours (2x)
26
- ou fais rire mon guèle !!! : je me fends la gueule !!!
- pa comprend un merde : pas comprendre une merde
27
- pousser : pousser , faire la course
- rent’ su moin : me rentrer dedans
- trop + adj. : très + adj.
- valab’ : valable, génial
• les expressions réunionnaises « jeunes » :
- donn un lastik : donner un élastique, i.e. semer qqu. (en course)
- gingn’ un lastik : gagner un élastique, i.e. se faire semer (en course)
- mette l’effet : ressentir l’effet de la drogue
- queeel !! : quoi / merde !!
- quel train ??! : quelle affaire ??!
- tantine : fille, nénette
- té ! : hé !
- whex : expression, signifiant ‘ouais, oui’, lancée par l’humoriste réunionnais Thierry Jardinot.
- zamalé : qui a fumé du zamal, i.e. du chanvre indien.
• les insultes :
- bel loup la peau : gros loup de mes couilles
- gros loche : gros mou
28
23
Cf. l’Annexe 1 pour la reproduction de la B.D., précédée du texte intégral et de sa traduction.
Comme le créole réunionnais ne dispose pas d’une orthographe standardisée, plusieurs systèmes
(étymologisant, phonético-phonologique …) coexistent. Les auteurs utilisent ici une orthographe
plutôt étymologisante. Dans leur dernier album, La grippe coloniale (2003), ils emploient la
graphie Tangol, phonético-phonologique.
25
Mob ou meule dans la version de 1988.
26
Probable jeu avec l’expression créole fé rir la bous : ‘amuser’ (littéralement ‘faire rire la
bouche’), et l’expression française se fendre la gueule.
27
Se disait pousser la meule dans la version de 1988.
28
Signalé comme Moderne dans Beniamino (1996 : 291).
24
16
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
- gros zèf : gros con
- makro : salaud
- moukat : merde
- spèce couillon : espèce de couillon
- spèce makro : espèce de salaud
- ti graine touffé : petite graine étouffée, avorton
- ti moukat-là : la petite merde
- totoche ton moman’d moto : putain de bordel de moto
Comme le montrent ces listes, les auteurs ont utilisé un arsenal
impressionnant d’insultes dans les discours entre le Petit Chaperon Rouge et le
Grand Méchant Loup, donnant à la version moderne et « jeune » de ce conte des
allures de joute verbale. Remarquons toutefois qu’aucune de ces insultes n’est
particulièrement « jeune », R. Chaudenson les répertorie déjà en 1974 dans Le
lexique du parler créole de la Réunion, mais c’est son usage exagéré, dès les
premiers contacts, qui est un des ressorts humoristiques de cette parodie.
Les termes « jeunes », qu’ils soient réunionnais ou visiblement empruntés
au français familier et aux « parlers jeunes » métropolitains, contribuent eux aussi
très fortement à la construction linguistique de cette parodie, à son inscription
29
dans le monde « jeune » réunionnais de l’an 2000 . Notons que les termes de
français familier et « jeune » sont empruntés, sans modifications sémantiques
majeures, et créolisés. Puis, parmi les termes réunionnais répertoriés ici comme
« jeunes », figurent certes d’une part des termes qui désignent des realia plutôt
« jeunes » : mett’ l’effet et zamalé font référence au monde des drogues illicites,
qui sont consommées par des jeunes ; donn et gingn’ un lastik font référence aux
courses en moto ou en voiture qui relèvent plutôt d’occupations de jeunes ;
d’autre part, on atteste des expressions qui sont en partage – avec le même sens et
le même emploi – dans toute la société réunionnaise (quel !, tantine, té, train). Au
vu de cette dernière catégorie, on peut donc s’interroger sur les particularités des
« parlers jeunes » réunionnais, interrogation qui sera le sujet du point suivant.
BILAN
Des recherches menées sur des enregistrements datant d’il y a 25 ans m’ont
permis de cerner que certaines tournures syntaxiques, catégorisées comme
« jeunes » parce qu’interprétées comme des emprunts aux parlers jeunes
métropolitains, étaient en fait attestées de longue date. Ce constat pour la syntaxe
m’a permis de faire un retour sur les listes de lexique pour saisir ce qui
particularise véritablement les « parlers jeunes » réunionnais (cf. aussi la
remarque au dernier point) : en effet, ces listes recèlent beaucoup de mots créoles
qui sont aussi employés par les adultes, et des mots de français familier et
« jeune », ne présentant pas de spécificité réunionnaise. Enfin, par comparaison
avec les recherches menées par F. Gadet (2003) sur les « parlers jeunes »
métropolitains, je tenterai de cerner les particularités des « parlers jeunes »
réunionnais en ce qui concerne tout particulièrement les emprunts.
29
Une étude en cours analyse les pratiques et représentations linguistiques de jeunes en partant des
rituels de salutations ; elle prend, entre autres méthodes, appui sur une réécriture en version
actuelle de la B.D. Caca Moustik (A. Fontaine, mémoire de maîtrise).
17
GUDRUN LEDEGEN
Syntaxe
Un travail de recherche sur d’anciens corpus a mis à jour que certaines
tournures interprétées au premier abord comme des emprunts aux « parlers
jeunes » métropolitains étaient déjà attestées dans les années ’70. Il en est ainsi
pour « ou wa », employé par Mme R, une dame de la cinquantaine de la Plaine
des Grègues : « moin la pa konu koué moin la di / èskuz amoin / ou wa » [‘je ne
31
savais pas ce que je disais / excuse-moi / tu vois’] (Corpus ‘Plaine des Grègues’ ,
Mme R., 1978, p. 15). De plus, il était déjà très productif : 19 des 35 ou employés
par Mme R. le sont dans cette expression en particulier. Il en est de même pour
l’expression « je sais pas », prononcé [ epa], qui semblait particulièrement
« jeune » à mes yeux :
Enquêteur : enfin [ e] pas i i i dépend peut-être des jeunes parce que mi
suppose que suppose que mi fasse azot écoute azot des bandes de ke nou la
enregistré imaginons hein [‘enfin je sais pas ça ça ça dépend peut-être des
jeunes parce que je suppose que suppose que je vous fasse écouter des
bandes de que nous avons enregistrés imaginons hein’] (Corpus ‘Atlas’, M.
& Mme R., 1978, p. 1).
Toutefois, je pense qu’on peut avancer qu’aujourd’hui cette expression se
comporte souvent comme une seule unité, en quelque sorte un emprunt intégré au
créole :
Jeune qui ne se sait pas enregistré : dan deux trois lékip : / dan deux trois
lékip : an […] / défoi : deux trois zèn lékip : […] / an finn d(e) kont : / mi
koné pa moin : : / [ e] pa lé ga lé pa motivé : : / mais [ e] pa moin : / le jour
la : : pff : : / nou la fé trois tour : : [‘dans certaines équipes / dans certaines
équipes en / des fois certaines jeunes équipes / en fin de compte / je sais pas
moi / je sais pas si les gars sont pas motivés / mais je sais pas moi / ce jour là
pff / on a fait trois tours’] (Bavoux, 2002, « Le football », p. 15).
La présence après l’expression [Σepa] du pronom créole moin en dislocation à
droite atteste de cette hybridation.
Lexique
30
Pour ce qui est du lexique, l’analyse des listes de mots et d’expressions
obtenus lors des enquêtes et enregistrements précédents révèle aussi que peu de
termes sont exclusivement « jeunes ». Il s’agit des 9 termes suivants : les
dépréciatifs pièg (‘faible, nul’) et spécifiquement pour les filles errèr (‘moche,
30
Dans les années ’70, dans le cadre de la constitution de l’Atlas Linguistique de la Réunion, de
nombreux enquêtes et entretiens ont été menés par C. Barat, enquêteur réunionnais. Parallèlement,
dans un des lieux d’enquête, une recherche à l’aide d’entretiens semi-dirigés fut menée par N.
Gueunier, métropolitaine. La confrontation de ces deux corpus donne dans un premier temps de
précieuses informations sur les pratiques linguistiques : le fonds commun entre ces deux situations
est révélateur d’informations sur le créole acrolectal d’il y a 25 ans, jusqu’alors peu étudié. Cette
comparaison nous renseigne aussi sur les attitudes et représentations linguistiques des enquêtés
dans ces deux situations.
31
Corpus ‘Atlas’ désigne les entretiens menés en 1978 par C. Barat dans toute l’île et Corpus
‘Plaine des Grègues’ réunit ceux réalisés la même année par N. Gueunier à la Plaine des Grègues.
18
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
mocheté’), séguesse (‘fille’), steack (‘fille’), viande (‘fille’) ; les appréciatifs
botte (‘meilleur’) et concernant le chanvre indien bon (‘la meilleure qualité de
chanvre indien’) et kalité (‘chanvre indien’) ; l’expression pa la ek sa (‘je m’en
33
fiche’) . Ils ne sont pas attestés dans l’ouvrage de R. Chaudenson (1972), ni dans
les dictionnaires de créole d’A. Armand (1987) et de D. Baggioni (1987), ou de
français régional de M. Beniamino (1996) et il est donc fort probable qu’ils soient
34
récents .
En effet, parmi les mots donnés comme « jeunes » par les enquêtés, figurent
beaucoup de mots et expressions qui sont créoles et employés par les parents et
35
grands-parents. Seul le critère de la fréquence ferait ici que ces mots soient
« jeunes » et il nous faut donc procéder à des mesures. Il en va de même pour les
emprunts au français familier et/ou « jeune » : ces mots et expressions sont repris
avec le même sens ; ils constituent donc bel et bien des mots « jeunes » pour la
deuxième catégorie (français « jeune ») mais non spécifiques de la Réunion ; et
pour la première catégorie (français familier), elle n’est pas exclusivement
« jeune » non plus étant donné qu’elle est déjà attestée dans les B.D. de 1988 (cf.
Les pratiques écrites de B.D., plus haut) et sont donc en partage avec les
générations précédentes. Elle atteste surtout que le registre familier est maintenant
occupé par les deux langues créole et française, tandis que pour les anciens et
pour beaucoup de parents, seul le créole remplit cette fonction.
Il y a donc peu de créations lexicales attestées dans nos enquêtes et
enregistrements. Je voudrais avancer ici une hypothèse explicative de ce
phénomène : peut-être ce phénomène est-il dû au fait que par leurs pratiques
mélangées, les jeunes se différencient, voire cachent leurs mots (fonction
cryptique), de deux publics différents : d’une part, face aux métropolitains, adultes
36
et jeunes, ils mettent en avant la spécificité réunionnaise par le créole et d’autre
part, face à leurs parents et aux anciens, ils emploient un français « jeune » et
32
32
S’atteste en – viendrait du ? – créole mauricien et seychellois. Cet exemple attesterait d’une
circulation de termes entre les différents créoles de la zone Océan Indien.
33
Cette expression récemment apparue traduit la sociabilité de l’anonymat, l’indifférence aux
autres découverte au lycée. Une scène musicale pour un public jeune à St Denis porte d’ailleurs
comme nom « Palaxa ».
34
Les dictionnaires n’attestant jamais de toutes les formes rencontrées, on voit ici l’utilité de la
constitution de grands corpus oraux, comme Valirun (Variétés Linguistiques de la Réunion),
sauvant et transcrivant d’anciens enregistrements. Valirun est une banque de données orales
numérique sur la langue créole et française à la Réunion dont j’ai posé les jalons il y a 3 ans, avec
le parrainage de M. Francard (Université Catholique de Louvain-la-Neuve, Belgique) et son
équipe Valibel (Variétés Linguistiques de Belgique). Ce « grand corpus oral » réunit des
documents sonores et les transcriptions, qui illustrent la variété des façons de parler dans la
communauté réunionnaise, et permet d’étudier la langue créole et française dans ses aspects
linguistiques et extra-linguistiques, en mettant en valeur la variété.
35
Dans le même ordre d’idées, il existe des spécificités d’emploi par la fréquence dans le français
de Belgique, par ex. l’adverbe fort est « employé couramment alors qu’il est plutôt rare en France,
surtout dans l’usage parisien qui lui préfère très » (Klein & Lenoble-Pinson, 1997 : 204).
36
Dans le questionnaire de C. Bavoux (2000), on trouve souvent les réponses suivantes, de la part
d’élèves métropolitains récemment arrivés, comme « je ne peux pas vous en [des exemples]
donner, puisque je ne sais pas encore parler créole ». De plus, une formation portant sur la
sociolinguistique et les « parlers jeunes » que j’ai pu donner au Greta devant un public de
policiers, m’a appris que les jeunes jouent beaucoup de la langue créole devant les nouveaux
fonctionnaires récemment arrivés.
19
GUDRUN LEDEGEN
familier, qui est souvent encore choquant pour les premiers et obscur pour les
seconds. En effet, l’analyse de P. Fioux portant sur les « nouveaux écoliers » de
l’école primaire de l’entre-deux-guerres et les « écoliers de la continuité » montre
que les seconds viennent de familles dans lesquels le français avait déjà pénétré et
pratiquaient volontiers le français à l’oral lors des entretiens menés pour établir
l’histoire de l’« école longtemps ». Les premiers ont eu un apprentissage du
français essentiellement centré sur l’écrit et pratiquent fort peu le français à
37
l’oral ; leurs connaissances du français familier sont forcément restreintes ,
permettant ainsi aux jeunes d’en faire « leur langue ».
Ainsi, le phénomène des « parlers jeunes » est encore récent à la Réunion, et
les jeunes activent la fonction cryptique dans leurs deux langues, soit deux
facteurs qui peuvent expliquer le petit nombre de créations lexicales.
Particularismes et emprunts
F. Gadet dresse un bilan des études sur les « parlers jeunes » : elle souligne
que le phénomène « langue des jeunes » est signalé partout dans le monde, mais, à
la différences des autres langues, européennes et autres, où il s’agit d’un argot,
« le français semble touché jusque dans sa structure » (Gadet, 2003 : 2) :
« Il y a quelques particularités phoniques dans l’intonation et le rythme, dans
la prononciation de consonnes, ou la multiplication par le verlan de syllabes
en [œ] ou [ø] (meuf, relou), qui modifie l’apparence phonique. Pour le
grammatical, seules sont vraiment « jeunes » la dissimulation de la
38
morphologie (bédav, tu me fais ièche, je lèrega, secaoit ) ; et les formules
figées comme le modèle riche de chez riche venu de la publicité, qui permet
des X de chez X à valeur superlative. Mais la particularité essentielle réside
dans le lexique, où toutefois les procédés demeurent ceux de la langue
commune : emprunt (à l’arabe, à des langues africaines, à l’anglais) ;
troncation initiale, comme dans leur pour contrôleur, éventuellement
rédupliqué en leurleur ; sinon, les métaphores (galère). Et surtout le verlan,
bien sûr » (Gadet, 2003 : 2), qui se révèle « typique de la région parisienne »
(Gadet, 2003 : 3).
Si on compare avec les données obtenues à la Réunion, on se rend compte
que ces particularités phoniques sont très peu présentes (un minimum auprès des
groupes de rappeurs), qu’il n’y a pas de morphologie dissimulée pour les
emprunts, que le verlan n’est pas productif. Quant aux emprunts, il est à noter
qu’on en atteste très peu dans les « parlers jeunes » à la Réunion, à la différence
de ce qui se constate en métropole : « Les différences par rapport à l’argot
traditionnel et à l’ancien français populaire résident dans l’intensification des
emprunts et la diversification des sources » (Gadet, 2003 : 2). On peut s’étonner
de cette absence d’emprunts dans une société où on atteste une grande diversité
des langues : français et créole, certes, mais aussi les langues de Mayotte,
shimaoré et shibushi, les langues des Comores, shimasiwa et swahili, le malgache,
37
Par exemple, une étudiante de DEUG II de Lettres Modernes, lors d’un exposé sur la variation
diaphasique, raconte que l’expression ça schlingue n’était pas compris par ses grands-parents.
38
Respectivement un « faux verbe tsigane [signifiant ‘fumer’] construit à partir de bédo (‘joint’) »
(Goudaillier,
2001 :
61)
et
le
verlan
de
chier,
galère
et
casse-toi
([kastwa]>[kas twa]>[s kawat]>[sekawat]) Goudaillier, 2001 : 251).
20
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
le gujarâtî, le mandarin … ainsi que des langues ancestrales utilisées dans le cadre
religieux (arabe coranique, mandarin, langues indiennes …). Elles ne se
retrouvent pas mélangées dans les pratiques jeunes (sauf pour le français et le
créole) ; ceci se comprend pour les langues ancestrales qui sont cantonnées aux
pratiques religieuses et ne constituent que peu des langues d’interlocution. Il en
est de même pour le gujarâtî qui se pratique dans des cercles familiaux et
commerciaux restreints, et le mandarin qui est pratiqué uniquement par les
anciens. Enfin, les langues de Madagascar, de Mayotte et des Comores sont
exclusivement employées par leurs locuteurs, qui forment les toutes dernières
vagues d’« immigration » (au sens générique, Mayotte étant française), et
appartiennent souvent aux classes pauvres de la Réunion envers lesquels existe un
certain racisme social (Bédier-Roux, 2000). De plus, les jeunes de ces pays, quand
ils veulent s’intégrer par la pratique de « parlers jeunes » jouent probablement la
carte de l’assimilation par la pratique du créole et du français, et non celle de la
différenciation. Ainsi, les « parles jeunes » réunionnais révèlent que le meltingpot « jeune » réunit surtout les langues française et créole, et qu’il n’y a pas
(encore ?) de « parler véhiculaire interethnique » (Billiez, 1990) réunionnais.
CONCLUSION
Dans cet article, j’ai résumé les analyses précédentes qui partaient à la
recherche des « parlers jeunes » réunionnais, attesté les principales avancées
effectuées, et exemplifié ces recherches avec des exemples oraux et écrits : le
corpus Djembé a illustré les pratiques « ordinaires » créoles relevées avec du
français très familier, et les deux versions de Caca Moustique ont permis
d’attester du français familier en 1988 d’une part, et de s’interroger sur les termes
donnés pour « jeunes » d’autre part. Partant de cette interrogation, l’analyse de la
syntaxe, du lexique et des emprunts m’a permis de mettre le doigt sur les limites
des recherches entreprises : en effet, après une phase plutôt quantitative où nous
avions réuni des « parlers jeunes », l’heure était à la phase qualitative où je me se
suis posé la question de ce qui particularise les « parlers jeunes » réunionnais,
dans la société réunionnaise d’une part et par rapport au modèle métropolitain
d’autre part. Au terme de ce bilan, je voudrais présenter les perspectives de
recherche, qui continueront à explorer les particularités des « parlers jeunes » et
leur créativité.
Actuellement mes recherches portent sur une enquête à grande échelle sur
les représentations et pratiques déclarées : comme les analyses des
enregistrements datant d’il y a 25 ans ont montré que ce que les jeunes présentent
comme des termes ou des tournures « jeunes » s’avère souvent employé de façon
toute aussi productive et avec la même signification par leurs parents et grandsparents, je donnerai la parole aux jeunes ainsi qu’aux anciens pour cerner les
particularités des pratiques « jeunes ». Mesurant le parallèle possible entre
l’évolution des situations linguistiques dans la région de Vannes et à l’île de la
Réunion, j’ai pris modèle sur une enquête de P. Blanchet (2001), qui a cerné
l’évolution d’une langue et de ses pratiques « en temps apparent » puisqu’il a
comparé :
21
GUDRUN LEDEGEN
39
« les pratiques vivantes de personnes nées sur environ un siècle […] à Vannes et dans sa
proche région, lieu dont les habitants autochtones ont connu un changement massif de
pratiques linguistiques entre les générations [enquêtées] (marginalisation diglossique
progressive des langues régionales – breton et gallo – qui sont encore « maternelles » pour les
anciens, et appropriations diverses du français dominant avec création d’un « français
régional » au contact des langues locales) » (2001 : 59-60).
Un pan de cette recherche sera consacré à l’approfondissement des profils
théoriques que sont le diglotte insécurisé et le bilingue sécurisé ; un autre pan
important s’attachera aux communautés linguistiques comorienne, malgache,
mahoraise et créolophones de la zone Océan Indien (cf. note 32) … : ces enquêtes
et enregistrements de corpus oraux combleront en partie les lacunes de nos
investigations antérieures, et permettront de cerner les différentes façons de parler
des jeunes des ethnies nouvellement implantées (dont ils disposent sûrement,
même s’ils ne les montrent guère dans les cours de récréation et avec les autres).
A côté de l’analyse de corpus naturels de jeunes dans des situations
diverses, afin de cerner leur répertoire verbal et d’étudier les différents emplois de
français familier, afin de suivre l’évolution de la diglossie à la trace, je réunis,
dans la base Valirun, des corpus autant écrits qu’oraux pour capter la créativité
linguistique des jeunes ; une certaine liberté morphologique s’atteste en effet à
l’écrit (B.D., littérature) sous la plume d’adultes, et il me semble que les « parlers
jeunes » sont un terreau propice pour des créations néologiques, même éphémères
40
ou sous la forme d’hapax. A la Réunion, on ose , à mon avis, d’autant plus créer
que les frontières entre les deux langues française et créole sont floues (Ledegen,
41
à paraître). En effet, le phénomène de l’interlecte (Prudent, 1981 et 1984) en tant
que jeu entre les deux langues en présence s’atteste aussi à la Réunion (Ledegen,
2003). Par exemple, le morphème –age (‘l’action de’) inspire fortement à la
42
Réunion : dans la B.D. Totoss’ your mother, s’attestent les termes dessinage et
parlage. Puis, dans un premier roman, P.-L. Rivière, auteur dramatique, se livre
aussi à un jeu morphologique créant boudage, câlinage, consolage, essayage
(pour ‘essai’), graffinage (‘égratignure’), pariage, ricanage, et traficage. Seul le
39
Il a interrogé deux classes d’âge 10/15 ans et 60/75 ans et des informateurs à fort enracinement
local pour que d’autres paramètres ne viennent pas interférer avec celui de l’âge.
40
Néerlandophone d’origine, j’ai baigné dans un autre environnement linguistique qu’un
francophone : en néerlandais, ma langue maternelle, le locuteur a beaucoup de liberté
morphologique : un mot n’y a pas forcément besoin d’être dans le dictionnaire pour exister, tandis
qu’en français le carcan morphologique est très fort. H. Walter illustre à merveille cette attitude :
« De nos jours, c’est notre propre attitude devant notre langue, qui étonne les étrangers lorsqu’ils
nous entendent ajouter, après certains mots que nous venons de prononcer : « Je ne sais pas si c’est
français », ou même « Excusez-moi, ce n’est pas français ». Cette phrase est si courante chez nous
qu’elle n’étonne que les étrangers, surpris, par exemple, qu’un Français se demande si taciturnité
ou cohabitateur sont des mots français. En effet, dans les langues voisines, les usagers fabriquent
des mots à volonté sans que personne n’y trouve rien à redire, à condition qu’ils se fassent
comprendre. Le Français au contraire ne considère pas sa langue comme un instrument malléable,
mis à sa disposition pour s’exprimer et pour communiquer. Il la regarde comme une institution
immuable, corsetée dans ses traditions et quasiment intouchable. » (Walter, 1988 : 18).
41
Les productions interlectales ne se rattachent ni véritablement au créole ni véritablement au
français, mais à cet espace créatif qu’est l’interlecte, cet « ensemble de paroles qui ne peuvent être
prédites par une grammaire de l’acrolecte ou du basilecte » (Prudent, 1981 : 31).
42
« Aucun animal n’a été blessé durant le dessinage de cet album … » (Shovel Tattoos, 2003 : 69).
22
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
mot pariage est aussi attesté en créole, où le morphème –age est fréquent. Cette
créativité, audacieuse quand on connaît le poids de la norme de la langue
française, mérite toute notre attention.
Tout comme les « parlers jeunes » réunionnais. Même si le bilan critique
présenté ici mène à une réduction de l’étendue linguistique des « parlers jeunes »,
il a aussi ouvert de nouvelles perspectives sociolinguistiques enthousiasmantes
dans le champ de l’interculturel d’une part, de la créativité à mon avis spécifique
aux zones créolophones grâce à l’interlecte d’autre part, et enfin en ce qui
concerne l’approche quantitative de l’originalité des « parlers jeunes »
réunionnais.
A suivre …
Gudrun Ledegen
[email protected]
23
GUDRUN LEDEGEN
ANNEXES
Annexes 1 : Caca Moustik (texte)
Huo-Chao-Si & Appollo, 2000, « Caca Moustik », Le margouillat, n°2, p.p. 3-8.
La bande dessinée, reproduite intégralement avec l’accord de ses auteurs Serge Huo-Chao-Si &
Appollo, figure après les tableaux de traduction et d’explicitation.
Traductions et commentaires
43
Caca de Moustique
Ci-dessous sont repris les textes (paroles et narration) de la B.D. qui est reproduite en fin de
cette Annexe 1 ; les chiffres en début de chaque cellule indiquent les pages et les cases : 1.3. =
page 1, case 3. Les italiques signalent les répliques relevant du registre familier et/ou de « parler(s)
jeune(s) ».
Texte d’origine
Traductions et commentaires
1.1. Il y a bien longtemps de cela,
vivait au Chaudron une jeune fille
qui s’appelait le Petit Chaperon
Rouge, mais que tout le monde
appelait Caca Moustik. Tous les
premiers samedis du mois, elle
devait amener sa mère-grand
44
quelques samoussas et une bière
45
dodo …
Mère de Caca Moustik : Caca
Moustik ! Caca Moustik !
Caca Moustik (désormais C.M.) :
46
47
Totoche ton moman’d moto !
1.2. Mère de C.M. : Caca Moustik !
Allez emmène ça pou mémé !!!
C.M. : Moin na point l’temps ! Moin
lé occupé !
48
1.3. Bruitage : Zok ! [elle frappe
C.M.]
Mère de C.M. : Et pou ça, ou na
l’temps ??!
1.4. C.M. : Lé booon ! Mi ça va !
Affole pas ! …
[le Chaudron est un quartier ‘chaud’
de la ville de St Denis, la capitale]
Putain de bordel de moto !
Caca Moustik, va amener ça à Mémé.
J’ai pas le temps ! Je suis occupée !
Et pour ça, t’as le temps ??!
C’est boooon ! J’y vais ! T’affoles
pas ! …
43
Expression créole désignant les taches de rousseur.
Petit beignet frit dans l’huile, de forme triangulaire, rempli d’une farce pimentée, consommé à
l’apéritif (Beniamino, 1996 : 256).
45
La bière locale.
46
« totoch », ‘sexe féminin’, est un mot polysémique utilisé autant en interjection ou mot-stop (cf.
‘putain’) qu’en insulte.
47
Comme le créole réunionnais ne dispose pas d’une orthographe standardisée, plusieurs systèmes
(étymologisant, phonético-phonologique …) coexistent. Les auteurs utilisent ici une orthographe
plutôt étymologisante. Dans leur dernier album, La grippe coloniale (2003), ils emploient la
graphie Tangol, phonético-phonologique.
48
Bruitage : zok, de gingn un zok : ‘se prendre un coup’.
44
24
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
2.1. Mère-grand habitait loin du
Chaudron par delà la vaste forêt,
(forêt domaniale dont il ne reste que
le Jardin de l’Etat), dans le fonds de
la rivière St Denis. Et la route était
pleine de dangers …
2.2. … Comme la présence du grand
méchant loup, jeune désoeuvré en
partie zamalé pour qui la
délinquance était le seul remède à
l’oisiveté.
2.3.
Grand
Méchant
Loup
(désormais G.M.L.) : Mi mangerai
bien un bon cari « Ti Chaperon
Rouge » astèr !!
2.4. G.M.L. : Ah-là mon quatre
heures !!
2.5.
G.M.L. :
Té !
Ou
ça
49
oussava ???
2.6. P.C.R. : I r’gard pas ou ! Spèce
makro !
2.7. G.M.L. : Quel train ??! La pas
un ti tantine comme ou issa rent’ su
moin comsa !!!
3.1. P.C.R. : Ou fais pas peur à
moin, bel loup la peau !
G.M.L. : Ma apprend’ à ou lo
respect ti graine touffé !
3.2. G.M.L. : Té ! Kossa ou néna
dan’ out bertel ? Mais … la bière èk
samoussas !!! Trop valab’ !!
3.3. P.C.R. : Rend’ mon dodo
makro !! Ah-là pou ou !
3.4. P.C.R. : Mon mémé i attende à
moin dan’ fonds la rivière dan’ dix
minutes.
G.M.L. : Aïe mon zèf i fait mal !!! Di
minites !! Queeel !! …
3.5. G.M.L. : … Ek ton vilain
boustère gâté ?!! Ou fais rire mon
53
guèle !!!
P.C.R. : Koué ?
3.6. P.C.R. : Viens pousser si ou
[zamalé : qui a fumé du zamal, i.e. du
chanvre indien]
Je mangerai bien un bon cari « Petit
Chaperon Rouge » aujourd’hui !!
Ah voilà mon quatre heures !!
Hé ! Où tu vas ???
Ça te regarde pas ! Espèce de
salaud !
Quelle affaire ??! C’est pas une petite
nénette comme toi qui va me rentrer
dedans comme ça !!!
Tu me fais pas peur, gros loup de
mes c… !
Je vais t’apprendre le respect, petite
graine étouffée !
Hé ? Qu’est-ce que tu as dans ton
50
bertel ? mais … de la bière et des
51
samoussas !!! Trop valable !!
Rend-moi ma dodo, salaud ! Voilà
pour toi !
Ma mémé m’attend dans le fond de la
rivière d’ici dix minutes.
Aïe ! ma c… me fait mal !!! Dix
52
minutes !! Quoi !! …
Avec ton vilain bouster pourri !!! Je
me fends la gueule !!!
Quoi ?
Viens
49
pousser
56
si
tu
veux !!!
Clin d’œil à un groupe de musique réunionnais Oussa nou sava ?
Sac à dos en feuilles de vacoa tressées.
51
Génial.
52
Peut signifier aussi merde.
53
Probable jeu avec l’expression créole fé rir la bous : ‘amuser’ (littéralement ‘faire rire la
bouche’), et l’expression française se fendre la gueule.
50
25
GUDRUN LEDEGEN
veux !! L’intéressant !! Arrête fait le
54
vert don !!! Dernier i arrive la case
mémé (33, rue de la boulangerie) lé
55
un moukat !!
3.7. G.M.L. : Si mi gingn’, mi boire
out’ dodo !
P.C.R. : Lé bon ! … Ou sa gingn’ un
lastik, oui !!
4.1. P.C.R. : [en pensées] Gros zèf!
G.M.L. : 1. Donne à li un lastik 2.
gingn’ la course 3. mange le mémé
4. boire le dodo …
4.2. G.M.L. : 5. mange ti moukat-là
58
6. vole son rétrovisèr bandé 7.
rent’ mon case 8. mette l’effet.
4.3.
P.C.R. :
[en
pensées]
Samoussas moman lé pas mauvais
…
4.4. P.C.R. : [en pensées] Bon … lé
l’heure pou aller … sans presser
4.5. G.M.L. : [en pensées] : Whex !
A moin premier !!
4.6. G.M.L. : Na’ d’moune ?? Na
point personne ??
4.7. Mère-grand : Kissa ça ??!
Kissa i lé ??!
G.M.L. : Caca Moustik !
Mère-grand : Tire la bobinette et la
chevillette cherra.
G.M.L. : Koça ?
G.M.L. :
[en
pensées]
Mi
comprends pas un merde … Mi
rente quand même …
4.8.
G.M.L. :
Goûte
mon
chevillette !
4.9. Mère-grand : Aaaah !
5.1. P.C.R. : Té grand-mère ! A
cause ou néna belles yeux ??!!
G.M.L. : Heu … c’est pour mieux
voir, Caca Kodèn’ …
P.C.R. : Té grand-mère ! A cause ou
L’intéressant !!! Arrête donc de faire
l’intéressant !!! Le dernier arrivé à la
case de Mémé (33, rue de la
boulangerie) est une merde !!!
Si je gagne, je boirai ta dodo !
C’est bon ! … Tu vas gagner un
57
élastique , oui !!
Gros con !
1. Je lui donne un élastique, 2. je
gagne la course, 3. je mange la
mémé, 4. je bois la dodo …
5. je mange la petite merde, 6. je lui
vole son rétroviseur bandant, 7. je
59
rentre chez moi, 8. je mets de l’effet .
Les samoussas de maman sont pas
mauvais …
Bon … c’est l’heure pour y aller …
sans se presser
60
Whex ! Je suis le premier !!!
Y a du monde ?? Y a quelqu’un ??
C’est qui ??! Qui est là ??!
Caca Moustique !
Quoi ?
Je comprends pas une merde… je
rentre quand même.
Goûte ma chevillette !
Hé grand-mère ! Pourquoi tu as de
grands yeux ??!!
Heu … c’est pour mieux voir, Caca
61
Codène …
54
Arèt fé le dos vert : faire son intéressant (‘dos vert’ désignant le poisson ‘macreau’).
Insulte très grave (tandis que le verbe moukaté, moucater en français régional, signifie
‘plaisanter gentiment’).
56
Faire la course en cyclomoteur (se disait pousser en meule dans la version de 1988).
57
Semer quelqu’un. (en course)
58
Lé bandé se dit aussi lé totoche (cf. note 46).
59
Fumer du zamal, du chanvre indien, ressentir son effet.
60
Expression, signifiant ‘oui, ouais’, lancée par l’humoriste réunionnais Thierry Jardinot.
61
Autre terme signifiant ‘taches de rousseur’ ; vient du plumage piqueté du ‘coq d’Inde’.
55
26
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
néna grands pattes ??!
G.M.L. : Hé bien … pour mieux
marcher, Caca Moustik !!
5.2. P.C.R. : … Et à cause ou néna
belles dents, comsa ??!
G.M.L. : Alors … voilà … mon dent
i pousse !! …
P.C.R. : Non, spèce couillon ! Pou
mieux mange à moin !!
5.3. G.M.L. : Lé vrai !! Attende mi
attrape à toué !! Ma voir si ou
continues faire out’ l’intéressante !
P.C.R. : Viens à ou gros loche !!
5.5.P.C.R. : Goûte à moin !
63
Bruitage : Zok !
5.6. P.C.R. : Bon … astèr mi sa
gingn’ le bien mémé !!! (lé meilleure
que gagne loto !) … Et ou la
couillonisse !! Mi crois qu’ou ça
rente la geole direct !!!
6.1. La compagnie de gendarmerie
de la Redoute arriva et prit la
déposition du Petit Chaperon Rouge
… on constata le meurtre de la
grand-mère par le grand méchant
loup
(dont
les
antécédents
judiciaires étaient connus).
FIN
6.2. EPILOGUE
Il fut incarcéré et condamné pour
violation du domicile, conduite sans
casque
homologué,
homicide
involontaire sur personne à charge
de plus de 75 ans. La peine requise
fut de 377 ans et de deux semaines
de prison ferme.
[En bas de l’image montrant le loup
en cellule : Prison de Saint-Denis
(rue Juliette Dodu)]
6.3. Caca Moustik toucha l’héritage
de la grand-mère. Elle acheta une
Ducati 900 Mostro avec laquelle
elle s’écrasa, une nuit de pluie,
contre un tétrapode, route du
62
63
Hé grand-mère ! Pourquoi tu as de
grandes pattes ??!
Et bien … pour mieux marcher, Caca
Moustique !!
Et pourquoi tu as de grandes dents
comme ça ??!
Alors … voilà … mes dents elles
poussent !! …
Non espèce de couillon ! Pour mieux
me manger !!
C’est vrai !! Attends que je
t’attrape !! On va voir si tu continues
à faire ton intéressante !
62
Viens donc, gros mou !!
Goûte-moi ça !
Vlan !
Bon … maintenant je vais gagner les
biens de Mémé !!! (c’est mieux que
de gagner au loto) … Et toi la
bêtise !! Je crois que tu vas rentrer
direct en geôle !!!
PCR
Timoré
Cf. note 48.
27
=
abréviation
de
Petit
GUDRUN LEDEGEN
littoral, après un vol plané de plus
de 200 mètres.
[Sur la tombe : PCR (dit Caca
Moustik) 1988-2000]
[En bas de l’image montrant la
tombe : Cimetière du Chaudron]
Chaperon Rouge ; probable clin
d’oeil aussi au Parti Communiste
Réunionnais
1988-2000 : clin d’œil aux dates des
deux versions ‘Il était une fois’ et
‘Caca Moustik’.
28
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
Annexe 1 : Caca Moustik (document)
29
GUDRUN LEDEGEN
30
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
31
GUDRUN LEDEGEN
32
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
33
GUDRUN LEDEGEN
34
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
Annexe 2 : Première version de Caca Moustik datant de 1988
Huo-Chao-Si & Appollo (mai 1992). « Il était une fois », Le cri du margouillat, n°9, p.p. 11-16.
Cette première version de Caca Moustik se présente entièrement en français. Ci-dessous
figurent les textes (narration et discours) de la B.D., avec entre crochets droits ([ ]) des
commentaires explicatifs qui permettent de palier l’absence d’images, et un signalement en
italiques des termes familiers et/ou jeunes.
Page 11 :
Case 1 :
64
Il était une fois, quelque part du côté du Chaudron , un petit garçon qu’on
nommait le Petit Chaperon Rouge et on savait pas pourquoi, vu que personne
savait ce qu’est un chaperon (mais c’est comme ça pour l’histoire) …
Page 12 :
Case 1 :
Or donc, le Petit Chaperon Rouge avait une vieille grand-mère qui était très très
65
riche mais avare comme pas deux, et chaque matin, il lui amenait 2 samoussas
66
pour le midi et il avait 100 balles pour faire un flip ! …
de bécane !
Petit Chaperon Rouge :
Case 2 :
… Mais l’ennui, c’est que pour aller du Chaudron où il habitait jusqu’au fond de
la rivière de Saint-Denis où créchait la vieille, il devait traverser une ténébreuse
forêt en mob (cette forêt a aujourd’hui disparu, il n’en reste plus que le Jardin de
l’Etat)…
Petit Chaperon Rouge : Aah ! [il a fini de réparer sa mobylette]
Case 3 :
… Et dans cette terrible forêt, se trouvait le grand méchant loup, qui était en fait,
un prisonnier évadé du zoo municipal.
Case 4 :
67
Grand Méchant Loup : Je me taperai bien un carri « P’tit Chaperon Rouge »
aujourd’hui !!
68
69
[Sur son T-shirt : Cagnard of le Barachois ]
Case 5 :
Grand Méchant Loup : Hin ! Hin ! Quand on parle du loup, on voit sa queue !
Page 13 :
Case 1 :
Grand Méchant Loup : Hep !
Petit Chaperon Rouge : ?!
Case 2 :
Grand Méchant Loup : [en pensées] Rusons …
64
Le Chaudron est un quartier ‘chaud’ de la ville de St Denis, la capitale.
Petit beignet frit dans l’huile, de forme triangulaire, rempli d’une farce pimentée, consommé à
l’apéritif (Beniamino, 1996 : 256).
66
Faire une partie de flipper.
67
Plat qui accompagne le riz, composé de viande ou de poisson, de légumes, d’oignons, d’ail, de
tomates (Beniamino, 1996 : 89).
68
Paresseux, voyou, délinquant (Beniamino, 1996 : 82-83).
69
Le front de mer de Saint Denis, la capitale.
65
35
GUDRUN LEDEGEN
70
Grand Méchant Loup : Euh … dis-moi petit, ça te dirait de pousser en meule
jusqu’à chez ta grand-mère à qui tu emmènes 2 samoussas ? … Hein ? Dis.
Case 3 :
Petit Chaperon Rouge : Whaa eeeh, dis lui … tu me prends pour …
Case 4 :
Petit Chaperon Rouge : … un con …
Case 5 :
Petit Chaperon Rouge : Ah, ouais ! Ouais ! Je prends le chemin le plus long,
comme ça tu pourras arriver avant m… euh… comme ça tu iras aussi vite que moi,
vu que j’ai un kit 75 !
Grand Méchant Loup : Ah ouais. Ah ouais.
Grand Méchant Loup : [en pensées] Hin ! Hin ! Ça marche !
Case 6 :
Petit Chaperon Rouge et Grand Méchant Loup : [en pensées] Quel con !!
Page 14 :
Case 1 :
Un peu plus tard … mais pas trop.
Grand Méchant Loup : Hou ! Hou ! Mère-grand ! C’est moi, le P’tit Chaperon
Rouge !!
Mère-grand : Le mot de passe ?!
Grand Méchant Loup : Tire ta mobylette et ta cheville se tordra.
Mère-grand : Entre !
Case 2 :
Mère-grand : Mais ! … T’as bien changé, Chaperon Rouge !! … Je me …
Aaaaaah !!
Grand Méchant Loup : [Bruitage] Crunch !! Miam ! Bouffe !
Case 3 :
Un peu plus tard … mais trop
Petit Chaperon Rouge : Hou ! Hou ! Grand Méchant euh Mère-grand !! C’est
moiii !
Grand Méchant Loup : Entre !
Petit Chaperon Rouge : Le mot de passe ? Tire ta mobylette et ta cheville se
tordra.
Grand Méchant Loup : Entre !!
Page 15 :
Case 1 :
Petit Chaperon Rouge : Oh, dis-moi, grand-mère, pourquoi as-tu de si grands
yeux ?
Grand Méchant Loup : C’est pour mieux voir, mon petit.
Petit Chaperon Rouge : Pourquoi as-tu de si grands pieds ?
Grand Méchant Loup : C’est pour mieux marcher, mon petit.
Case 2 :
Petit Chaperon Rouge : Pourquoi as-tu de si grandes dents ?
Grand Méchant Loup : C’est parce que j’ai les dents qui poussent.
Petit Chaperon Rouge : Non, imbécile, c’est pour mieux me manger !
Case 3 :
Grand Méchant Loup : Eh. Eh. T’aurais pas dû, Petit Chaperon Rouge car j’avais
oublié, je vais te manger !
Petit Chaperon Rouge : J’aimerais bien voir ça.
70
Faire la course en cyclomoteur.
36
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
Case 4 :
Grand Méchant Loup : Pourquoi ?
Case 5 :
Petit Chaperon Rouge : Pour ça !! [Il lui frappe sur la tête avec une clé anglaise]
Case 6 :
Petit Chaperon Rouge : Okay, … maintenant que tu m’as bien servi, je vais
pouvoir toucher le fric de l’héritage, et toi, pauvre pomme, tu vas aller en prison.
Yerk yerk.
Page 16 :
Case 1 :
Et la compagnie de gendarmerie alpine, postée à St Gilles, arriva. On écouta la
déposition du Petit Chaperon Rouge, et on constata le meurtre de la grand-mère
par le grand méchant loup.
FIN
Case 2 :
EPILOGUE
Le grand méchant loup fut incarcéré pour violation de domicile et meurtre
involontaire, il fut condamné à 377,3 ans de prison ferme.
Case 3 :
Le Petit Chaperon Rouge toucha l’héritage, il s’acheta une 900 centimètres cubes
avec laquelle il se planta un soir de pluie. Tout le monde le pleura, mais c’est bien
fait pour lui.
Case 4 :
Et les deux gendarmes furent récompensés, on les envoya à la compagnie de
maître nageur sauveteur de St Pierre et Miquelon.
© Huo-Chao-Si & Appollo 1988
Annexe 3 : préparation de l’émission « Djembé » (RFO), 16/10/01
Légende :
Participants :
Enregistrement effectué par S : JF, 22 ans, Réunionnaise
A : Réunionnais, chanteur, 25 ans
K : Réunionnais, chanteur, 22 ans
L : Réunionnais, chanteur 23 ans
M : Réunionnais, musicien, 22 ans
N : Réunionnais, chanteur, 27 ans
TZ : métropolitain, chanteur, 26 ans
Les traductions figurent en note de fin de document
Conventions de transcription :
en gras : énoncés en créole, graphiés selon le Dictionnaire kréol rénioné/français
d’A. Armand (1987) ;
réunis par accolade : transcriptions « flottantes » (Ledegen 2003) pouvant relever
du créole comme du français ; si la deuxième ligne se présente entre parenthèses
l’interprétation semble peu plausible ;
pas de ponctuation, les pauses étant indiquées par / (courte pause) et // (pause plus
longue) ; seul le point d’interrogation sert à indiquer les interrogatives sans mot
interrogatif (cf. extrait 8, ligne 5) ;
pas de majuscules, si ce n’est pour les noms propres ;
XXX : mot(s) non compréhensible(s) ;
« : » note un allongement de consonne ou de voyelle.
37
GUDRUN LEDEGEN
Extrait 6 : Discussion avec l’enquêtrice
1
TZ
c’est quoi ? (bruit voitures) ça va ?
2
A
ça va
3
TZ
banna lé avec nou zot ?1
4
A
kisa ?2
5
?
tout le monde
6
TZ
tout le monde alors :
7
N
ben / ali3 c’est : // un rappeur / un responsable aussi MLK
8
(bruits)
9
S
zot lé kombyen dans vot(re) association ?4
10
N
MLK / je sais pas
11
S
MLK / zot lé kombyen dans l’association ?5
A
euh : : // néna à peu près 6 employés / 6 gars i travay pour 6
12
// non 3 / 3 /
6 gars i(ls) travaillent pour 6
13
ouais 6 / emploi jeune ou CEC / et puis euh : // voilà sinon sa na de
groupe i vien i fé
14
(i(l)
15
parti d(e) Mouvman la Kour / tout ça (chant)6
fait partie d(e) Mouvman la Kour)
16
S
zot i kwa / zot i aid lé group a démaré / kosa zot i fé ?7
17
A
nou esay8 / c’est difficile
18
sé difisil
19
L
i fo démar nou déjà9 / d’abord
20
A
non mais ici / ouais mais ici / c’est-à-dire ici la / la plupar dé
21
producteurs i sa di aou koma / ouais ou arriv avec un texte là / ou
22
bien ça une p(e)tite musique / un p(e)tit peu underground / ou
23
hardcore / rap koué / banna i : / j(e) sais pas10 koman explik aou sa
24
/ banna i fé en sorte que le tex(te) lé transformé voilà / que la
25
musique lé transformé voilà / fé in zouk love11
26
S
oui / la censure
27
A
fé in zouk love ou in ragga / pour fèr march le nafère / patati
28
patata / et puis12
N
zot i voi ke le koté : / c’est ça hein ? // banna i rod ke le koté :
13
A
le fric
N
banna i rod le koté : 14
A
ben / les gars i arriv avec 300 francs / zot i fé zot morceau et
p(u)is voilà : / kol dé taf / XXX / ma fil aou aprè // kol dé taf té15
Notes de traduction
1
ils sont avec nous ?
2
qui ça ?
3
lui
4
vous êtes combien dans votre association ?
5
vous êtes combien dans l’association ?
6
euh : : // il y a à peu près 6 employés / 6 gars qui travaillent pour 6 // non 3 / 3 /
ouais 6 / emploi jeune ou CEC / et puis euh : // voilà sinon il y a des groupes qui
viennent qui font partie d(e) Mouvman la Kour / tout ça
7
vous quoi / vous aidez les groupes à démarrer / qu’est-ce que vous faites ?
8
on essaye
9
il faut qu’on démarre déjà
38
LE “PARLAGE” DES JEUNES À LA RÉUNION...
[Σepa]
non mais ici / ouais mais ici / c’est-à-dire ici la / la plupart des producteurs ils
vont te dire comme ça / ouais arrives avec un texte là / ou bien une petite musique /
un petit peu underground / ou hardcore / rap quoi / eux ils / j(e) sais pas
t’expliquer ça / eux ils font en sorte que le tex(te) soit transformé voilà / que la
musique soit transformé voilà / ils font un zouk love
12
ils font un zouk love ou un ragga / pour faire marcher les affaires / patati patata
/ et puis
13
eux ils ne voient que le côté : / c’est ça hein ? // eux ne cherchent que le côté :
14
eux ils cherchent le côté
15
ben / les gars ils arrivent avec 300 francs / tu fais ton morceau et puis voilà : /
file-moi une taffe / XXX / je t’en passe après // file-moi deux taffes hé
10
11
Extrait 8 : Discussion sur le basket entre amis
1
le ballon revyen / le gars i fé son ti hein hein / XXX / li
A
shoot / la béz dé ballon su la
2
le ballon revient / le gars i(l) fait son p(e)tit hein hein /
3
tèt le gars / la kalm in ptit peu1
4
K
banna i XXX2
5
A
hein
6
K
na des masses préparation ?3
7
A
hein ?
8
K
non mais en plus / non seulement li lé gardien4 / mais ils ont
9
réussi à avoir le meilleur : / Lucky / je me rappelle plus comment i
10
apèl5 / Brown / XXX Brown / et il est trop dangereux
11
A
ouais / Batir : / ouais / ces gars-là ma besoin attan dans BR là
12
XXX6
13
K
kisa ?7
14
A
XXX Batir / sé pa koué / Batir : / Batir : / Batir : / li joué / li
15
joué Duke8 / li joué avec / euh9
16
K
si si / si mi voi hm10
17
A
li joué avec le ti blond là / aussi là / ou wa / Mickael Nevy11
18
K
hm hm
19
A
té les gars na kalité / pff / fondamentaux / lé impressionnant
20
kouyon : 12
21
K
hein
22
A
hein là / sa même // néna ali / et pi / en fin de cont ces trois-là
23
i XXX / i totoch sérieux // na in fois blanc-là moné // (bruits) li na
24
une main : / kouyon / en fin de kont lavé in blok devan li / ou wa /
25
son kor la bat dedan / ou wa / li la pa soté kom : / kom Carter / desu
26
/ le gars / ou wa / mais li gaign ramèn son bras quand même / si la
pointe / ou wa / sa la fé que son bras té XXX / té devan koma /
vlann / té / son papa la bèz / XXX / son papa lé entreteneur / ou wa
/ (onomatopée) / (rires) XXX les gars té affol : / hein / pff //13
K
té kan mi voi la différence niveau / i pé avoir / ant in ti boug
kom nou là / pff // est-ce qu’in jour / in gars la Réunion i gaingneré
fèr / zafèr NBI XXX14
A
NBI / non //
K
la taille / le physique / na ryen a vwa15
39
GUDRUN LEDEGEN
Notes de traduction
1
le ballon revient / le gars il fait son petit hein hein / XXX / il shoote / il a lancé
deux ballons sur la tête du gars / ça l’a calmé un petit peu
2
ils
3
il y a des masses de préparation ?
4
non seulement il est gardien
5
comment il s’appelle
6
c’est ce gars-là dont j’ai besoin que j’attends dans le BR là XXX
7
qui ça ?
8
[djuk]
9
XXX Batir / je sais pas quoi / Batir : / Batir : / Batir : / il jouait / il jouait Duke / il
jouait avec / euh
10
si si / si je vois hm
11
il jouait avec le petit blond là / aussi là / tu vois / Mickael Nevy
12
hé les gars ils ont la qualité / pff / fondamentaux / c’est impressionnant putain
13
hein là / ça // il y a lui / et puis / en fin de compte ces trois-là ils XXX / ils
assurent sérieux // une fois il y avait les blancs-là qui menaient // (bruits) il avait
une main / putain / en fin de compte il y avait un bloc devant lui / tu vois / son
corps s’est lancé dedans / tu vois / il n’a pas sauté comme / comme Carter / sur / le
gars / tu vois / mais il a pu ramener son bras quand même / sur la pointe / tu vois /
ça a fait que son bras était XXX / était devant comme ça / vlan / hé / son papa les a
baisés / XXX / son papa est entreteneur / tu vois / (onomatopée) / (rires) XXX les
gars étaient affolés / hein / pff //
14
hé quand je vois la différence de niveau / qu’il peut y avoir / entre in petit
bonhomme comme nous là / pff // est-ce qu’un jour / un gars de la Réunion il
arrivera à faire / le truc NBI XXX
15
ç’a rien à voir
40
Zsuzsanna Fagyal
French Department
University of Illinois at Urbana-Champaign (E.U.A.)
ACTION DES MÉDIAS ET INTERACTIONS ENTRE JEUNES
DANS UNE BANLIEUE OUVRIÈRE DE PARIS
REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE
INTRODUCTION
Le lexique constitue sans doute l’aspect linguistique le mieux connu des
1
parlers populaires en France. Le verlan, les formes d’argot et les jeux de langue
constituent désormais des objets d’analyse habituels dans les grammaires, et sont
des moyens d’expression fréquemment exploités à des fins artistiques dans de
nombreux films et romans. Il ne faut donc pas s’étonner que ce sujet continue
d’alimenter les travaux des linguistes et des chercheurs en sciences sociales. Mais
l’abondance relativement récente des dictionnaires (Goudaillier, 1997, 2001), des
traités sur l’argot de l’école (Seguin, Teillard, 1996), des ethnographies (Lepoutre,
1997; Tétrault, 2003), des rapports d’enquêtes linguistiques (Doran, 2002,
Pagnier, 2003, Fagyal, 2003 a, b), et des articles de revues spécialisées (Azra,
Cheneau, 1994; Méla, 1988, 1997; Antoine, 1998) signale aussi qu’un public
assez large partage désormais l’intérêt des spécialistes. Inévitablement, peut-être,
dans cette multitude de publications on trouve aussi des travaux superficiels qui se
contentent de dresser l’inventaire des dernières innovations lexicales hors
contexte, rappelant des ouvrages similaires destinés à la consommation des
masses dans d’autres pays (les traités sur le vocabulaire des Noirs américains
(Smitherman, 1994), le lexique des adolescents (Dalzell, 1996), l’argot des
prisons (Encinas, 2001) aux États-Unis et ailleurs.) Mais, au-delà du
sensationnalisme que l’on reproche à ces ouvrages, leur existence même est un
signe d’intérêt général que l’on ne peut ignorer. On se demande, en revanche,
d’où vient cette fascination pour les mots ?
1
On réfèrera par ce terme à l’ensemble des variétés langagières urbaines (argots, jargons de
métiers, français populaire, français vulgaire) pratiquées par ou attribuées aux groupes marginaux
et aux couches sociales modestes. A propos des variétés dites populaires du français contemporain
voir, entre autres, les travaux de F. Gadet (1998) et A. Valdman (2000).
ZSUZSANNA FAGYAL
On pourrait penser d’abord au caractère saillant des phénomènes lexicaux
par rapport à d’autres phénomènes langagiers, car « Pour la plupart des locuteurs
les changements les plus perceptibles dans la langue concernent les mots et leurs
significations » (Posner, 1997 : 143). Ainsi, les modifications les plus faciles à
percevoir dans sa propre langue seraient les mots nouveaux et les mots « de
l’Autre », c’est-à-dire les mots et les expressions des groupes auxquels on
n’appartient pas, et que l’on observe, pour ainsi dire, « de l’extérieur ». Les
changements qui frappent le vocabulaire de tous les jours sont rapides et plus
faciles à déceler que, par exemple, les changements phonétiques. On ne manque
pas d’exemples d’expressions branchées qui tombent en désuétude en l’espace de
quelques années, et sont régulièrement remplacées par d’autres encore plus à la
mode, alors que les changements de prononciation peuvent prendre plusieurs
générations à se manifester. Les changements lexicaux, bien que saillants et
rapides, sont aussi éphémères et largement imprédictibles. Les historiens de la
2
langue parviennent à y voir certaines régularités , sans pour autant parler de
principes ou de lois, mais la plupart des sociolinguistes considèrent que les
mécanismes du renouvellement du vocabulaire s’apparentent plutôt à des
3
variations aléatoires » (Labov, 2001 : 13). Ainsi, il serait impossible de prédire
« quels mots possèdent une meilleure chance de survie, si certaines abréviations
persisteront, et si, à un moment de l’histoire, le lexique s’élargira ou
4
rétrécira » (idem : 13-14), alors que d’autres changements structurels dans la
langue obéiraient à des principes plus réguliers. L’opinion de Darwin, selon qui le
goût des hommes pour la mode et les nouveautés est à ajouter à la liste des causes
5
de ‘la sélection naturelle des mots’ est souvent citée .
Mais l’attention particulière portée au lexique des parlers populaires dépasse
le cadre des explications purement linguistiques : il s’agit, me semble-t-il, d’un
phénomène de société lié à — si ce n’est créé par — l’action des médias.
Par la suite, je présenterai l’hypothèse que pendant plusieurs décennies, les
médias ont sélectionné, de façon plus ou moins consciente mais systématique,
certains aspects langagiers saillants, surtout lexicaux, pour les présenter comme
les composantes d’une variété langagière indépendante attribuée à la jeunesse
multiethnique des banlieues ouvrières des grandes villes. Ensuite, sur la base de
notes et d’enregistrements issus d’une enquête de terrain dans une banlieue
ouvrière de Paris (Fagyal, 2003 a, b), je tâcherai de montrer que cette action des
médias a eu une influence sur les représentations et les comportements langagiers
des adolescents concernés. Je terminerai par plusieurs cas d’innovation lexicale
2
Les grands changements culturels dans l’histoire des sociétés sont souvent évoqués comme
explications du grand nombre de nouveaux mots et d’expressions empruntés ou créés à ces
moments-là dans la langue (Hock, 1991). La néologie « raconte l’histoire d’une société et de sa
langue » selon J. Pruvost et J-F. Sablayrolles (2003 : 29).
3
« As far as words are concerned, the replacement of vocabulary seems to have many of the
characteristics of random variablity » (Labov, 2001 : 13).
4
« […] which words have a better chance of surviving and which do not, whether abbreviations
will persist, and whether at a given time the vocabulary will expand or contract. » (Labov, 2001 :
13-14)
5
« To these more important causes of the survival of certain words, mere novelty and fashion may
be added ; for there is in the mind of man a strong love for slight changes in all things. » (Charles
Darwin cité dans Labov, 2001 : 14).
42
REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE ...
spontanée dont j’ai été témoin ou qui m’ont été relatés par des jeunes
informatrices. Ces cas me permettront de présenter quelques hypothèses
concernant l’émergence des innovations dans un contexte interactionnel réel. Les
conclusions appelleront à un engagement plus poussé de la part du chercheur : à la
nécessité de s’opposer aux simplifications à outrance des faits de langue dans les
médias, et à l’importance de mener des enquêtes par immersion plus longues où
l’observation participante non directive est privilégiée.
L’ACTION DES MÉDIAS
Dénommer, diffuser et légitimer
Alors qu’il serait impensable qu’un biologiste s’informe dans les journaux
des détails techniques des expériences menées dans son laboratoire, il est fréquent
pour un linguiste d’être confronté, dans les colonnes des magazines et des
6
quotidiens, à des analyses prétendument linguistiques de son sujet de recherches.
C’est, par exemple, à travers une prolifération d’étiquettes collées à un petit
inventaire de mots non standard que la presse informe spécialistes et non initiés de
l’existence d’une variété du français parlé par les jeunes des quartiers ouvriers de
Paris. Selon Le Monde il s’agirait d’un « patois » appelé « la langue des keums »
(le 2 septembre 1995), d’un « parler des cités » (le 18 janvier 1996), d’une
« langue des rues et des cités » (le 13 février 1996), d’un « néofrançais » (le 20
août 1997), de la « tchatche » et du « bagout » (le 22 janvier 1999). Selon certains
linguistes rejoignant ce jeu des dénominations, cette ou ces variétés — les
étiquettes ne permettent pas de trancher — constitueraient une « parole
explosive », un « français dynamite » (Hagège, 1997 : 3), une « déstructuration
linguistique » (Goudaillier, 1997 : 10) en réponse à l’exclusion sociale subie par la
population qui la parle.
L’ennui est qu’on manque de preuves empiriques pour conclure qu’il s’agit
d’un parler « à part » : « toutes ces dénominations supposent qu’il existe une
variété de français sans que des études empiriques ne confirment que les variables
recueillies s’organisent en une « variété », (Pagnier, 2003 : 133). Dans le français
parlé par les jeunes « des banlieues » on trouve à la fois des traits novateurs, dont
la prosodie (Fagyal, 2003 a, b) ou le consonantisme (Armstrong, Jamin, 2002), et
des traits typiques, dont les procédés de formation lexicale, les structures
syntaxiques, et même les mots souvent donnés comme nouveaux, mais qui
existent ou existèrent auparavant en français (cf . infra) :
Sauf pour quelques traits saillants, il n’y a donc pas de « langue populaire des jeunes » : ce qui
est en cause n’est pas massivement une question de langue, mais des modalités d’interaction. Il
est donc indispensable de pratiquer davantage d’enquêtes d’envergure (sans négliger les
différences géographiques) réunissant des corpus saisis dans des situations d’interactions
réelles (Conein, Gadet, 1998 : 116).
Autrement dit, à part certaines innovations phonologiques et lexicales —
dont les médias ont pu, en effet, prendre connaissance auprès des linguistes qu’ils
6
H. Boyer parle de « journalisme linguistique » à ce propos qui, selon lui, « serait un trait culturel
bien français » (1994 : 85).
43
ZSUZSANNA FAGYAL
citent — il est probable que le français parlé par les jeunes « des banlieues » ne
soit pas un parler distinct du français populaire qui n’a vraisemblablement jamais
cessé d’être pratiqué dans les quartiers ouvriers. Aussi remarquable qu’il puisse
paraître aux yeux de la bourgeoisie de la capitale, le présenter comme s’il était
quelque chose de fondamentalement nouveau constitue donc un montage de
certains faits isolés en une fausse image générale.
Les mécanismes de ce processus de ‘montage’ sont bien décrits, entre
autres, par Bourdieu (1996) à propos du traitement de l’information à la
télévision. Tout commence par l’acquisition de « l’information » qui n’est, en fait,
qu’une pâle copie des faits, « de l’information sur l’information » (idem : 27) dès
le départ, car le journaliste prend connaissance indirecte (non pas par enquête ou
expérience personnelle) de certains faits concrets auprès des « experts ». L’usage
de sources indirectes d’information est souligné par Bourdieu : « Si on se
demande, question qui peut paraître un peu naïve, comment sont informés ces
gens qui sont chargés de nous informer, il apparaît que, en gros, ils sont informés
par d’autres experts » (1996 : 26). Ensuite, en raison de nombreuses contraintes, y
compris le règne de l’audimat dont même la presse écrite ne serait plus exempte
(idem : 60), le journaliste opère un choix qu’il applique à chaque sujet qu’il traite :
il met l’accent sur l’aspect du « jamais vu », le côté de « phénomène inouï » des
faits (idem : 49). Une fois formulée de cette façon, « l’information » est publiée,
et elle commence à circuler. Mais comme les journalistes sont, eux aussi, pris
dans une « circulation circulaire », affirme Bourdieu non sans cynisme, les
informations qu’ils nous communiquent ont la tendance à être répétées,
reproduites à l’infini :
[ils] se lisent les uns les autres, se voient les uns les autres, se rencontrent constamment les uns
les autres dans les débats où l’on revoit toujours les mêmes, [ce qui] a des effets de fermeture
et, il ne faut pas hésiter à le dire, de censure aussi efficaces — plus efficaces, même, par ce que
le principe en est plus invisible — que ceux d’une bureaucratie centrale… (p. 26).
Selon mon interprétation, ce mécanisme mène ensuite à la formation des
stéréotypes, « des objets standardisés dans le domaine culturel » (Amossy, 1991 :
21). Le discours des médias sur la « nouvelle variété » du français parlé dans « les
banlieues » me semble avoir subi le même sort. On rejoint ici l’analyse de H.
Boyer (1997) qui présente l’argument selon lequel l’usage conscient, et de plus en
plus répandu, de mots attribués à ce parler amena à leur diffusion plus large, et
contribua par conséquent à légitimer et à codifier la « variété » que ces mots
étaient censés représenter. L’usage stéréotypé, pour ne dire caricatural, du verlan
comme marque identitaire est désormais largement pratiqué même par les
célébrités politiques cherchant à se donner, pour le temps de prononcer un mot en
7
verlan, une certaine aura de liberté et d’anticonformisme associée à ce parler .
Fasciné par la découverte « d’un nouveau français », le public est captivé, et
l’entreprise commerciale motivant les actions des médias est accomplie. On a
7
Selon Eckert (2003) l’usage des mots non standard, slang words, par les personnes extérieures au
groupe ne signale pas l’adoption de ces mots dans le lexique de référence, mais l’aspiration du
locuteur à emprunter une certaine image socioculturelle associée à ces mots.
44
REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE ...
donc l’impression d’un Effet Pygmalion : le français des jeunes des banlieues
existe comme « variété » du français dans la conscience collective des locuteurs
par la diffusion des mots dont on affirme qu’ils proviennent d’un tel parler.
Un travail ‘historique’ sur le discours
Mais contrairement à ce que retiennent les modèles sémiologiques à propos
de la formation des stéréotypes, l’image médiatique du « néofrançais » des jeunes
des banlieues, bien que fabriquée aussi, n’est pas « un modèle collectif figé » que
l’on ferait « monotonement circuler dans les esprits et les têtes » (Amossy, 1991 :
21-22). On s’aperçoit que le discours s’est quelque peu modifié dans le temps. Les
articles de presse et les reportages publiés depuis le début des années quatre-vingt
sur ce sujet ne laissent aucun doute : il y eut, en effet, différentes « périodes de
médiatisation » (voir aussi Boyer, 2001 : 77).
Les changements concernent principalement le ‘casting’, c’est-à-dire
l’attribution du rôle de l’innovateur à un groupe ou un acteur social plutôt qu’à un
autre. Le discours sur les phénomènes langagiers n’a pas beaucoup changé : il y a
plus de vingt ans, depuis l’enquête de terrain de Christian Bachmann (Bachmann
8
et Basier, 1984), la première menée par un linguiste , c’est toujours le lexique, et
plus particulièrement le verlan qui est présenté comme trait emblématique de cette
« variété ».
L’un des premiers articles de presse consacré au verlan Le jeune tel qu’on le
parle, paru en 1982 dans le Nouvel Observateur, adopte le point de vue de l’adulte
curieux mais complaisant vis-à-vis de l’émergence des néologismes chez les
jeunes générations paraissant toujours ‘incompréhensibles’ à la génération de
leurs parents : "Depuis toujours, les jeunes se plaignent d'
être incompris. On peut
leur retourner le reproche de se montrer incompréhensibles." Comme le suggère
la métonymie dans le titre (Le jeune), l’âge est l’unique catégorie sociale retenue
pour identifier les locuteurs qui parlent cette « variété ». Il s’agit donc de
changements banals du lexique d’une génération à l’autre. La même année, le
Magazine Lire adopte la même approche et le même ton plutôt plaisant pour sa
9
couverture : « Soyez branchés ! Les mots à la mode » .
Mais cette vision d’un conflit générationnel s’estompe progressivement par
la suite, cédant la place à des discours plus sombres sur le langage de « certains »
jeunes. D’autres dimensions sociales émergent, en plus de l’âge. D’abord, la
« variété » que l’on venait de découvrir devient le langage des jeunes des couches
sociales « défavorisées », donc les plus touchées par la pauvreté et le chômage. La
10
dimension des conditions sociales apparaît donc dans le discours. Mais très vite,
par la suite, le « néofrançais » se voit attribué à une jeunesse, certes pauvre, mais
surtout multiethnique et multilingue : vers le milieu des années quatre-vingt-dix
une troisième dimension, celle de l’ethnicité, fait son apparition dans les discours
8
J. Boutet (communication personnelle)
On ne sélectionne ici que quelques-uns des articles de journaux et de magazines parus sur ce sujet
(voir aussi L’Express, Le Figaro…et d’autres.)
10
Dans la mesure où de nombreux sociologues avaient signalés le refoulement du concept de
‘classe sociale’ dans les débats publics de ces vingt dernières années, on évite d’utiliser ce terme
ici (voir à ce propos Bosc, 2003).
9
45
ZSUZSANNA FAGYAL
11
médiatiques sur le français des banlieues . Le lexique des jeunes des banlieues
n’est plus l’emblème d’une jeunesse française mal comprise par les générations
précédentes, ou celui des adolescents chômeurs de longue durée, mais un langage
propre aux habitants des cités-ghettos où grandit une génération d’enfants issus de
l’immigration. H. Boyer, aboutissant à des conclusions similaires, les résume
ainsi :
Mais alors que dans les années 1980 le français des jeunes générations se présentait semble-t-il
comme une parlure générationnelle très « convenable » d’un point de vue néologique, dans les
années 1990 il a tendu à développer sa composante (dominante) périphérique,
ethnoculturelle… (Boyer, 2001 : 76).
A la question de savoir qui sont, plus précisément, ces habitants des cités
qui pratiqueraient ce « nouveau » langage, les réponses varient considérablement.
On croit aussi déceler la mise en place de certains stéréotypes. Dans un article
intitulé « Les jeunes des cités ont inventé leur propre langage » (Le Monde, le 29-1995), la journaliste Catherine Genin relate l’existence d’un parler « qui n’est ni
une mode ni un simple argot », mais « un dialecte difficilement compréhensible
par le profane », truffé de verlan et parlé par des adolescents mâles (« langue des
keums ») qui se seraient « bricolé une culture à eux parce qu’ils se sentaient
déconnectés de l’univers culturel des classes moyennes ». Bien que la journaliste
cite des experts tout à fait crédibles en la matière, ‘le montage’ quelque peu
exagéré des faits laisse un sentiment de malaise au lecteur qui se demande s’il
s’agit du français tout court… A noter également l’ébauche d’un futur stéréotype,
encore incomplet et esquissé en finesse ici, mais qui sera amplifié pendant les
années qui viennent : celui de l’adolescent mâle d’origine nord-africaine, le
12
« Beur » , qui se voit attribuer le rôle de l’innovateur principal en matière de
langage (« Les jeunes Maghrébins demeurent […] les pionniers en matière
d’innovation linguistique »).
A peine un an plus tard, la même journaliste, dans le même quotidien (Le
Monde, le 18-1-1996), change son fusil d’épaule. Citant à nouveau des experts
crédibles, elle explique cette fois que « la langue pratiquée dans les banlieues »,
qu’elle attribue maintenant à l’ensemble de la cité (« le parler des cités »), « n’est
pas un dialecte à part », mais le français populaire des jeunes. L’âge et la
dimension d’un conflit social sont toujours présents (« le parler cités épate les
bourgeois »), mais le stéréotype ethnique et sexiste a disparu.
Les hésitations et les contradictions de ce type ne sont pas rares, et reflètent
bien le ‘travail’ sur les représentations véhiculées dans les discours médiatiques.
Leur évolution future reste à découvrir, mais on peut dès maintenant établir un
bilan provisoire : en l’espace d’un peu plus de vingt ans, le discours médiatique
11
Sociologues et ethnologues signalent une tendance générale à l’ethnicisation des rapports
sociaux (Schwartz,1990 ; Beaud, Pialoux, 1999 ; Rinaudo, 1999).
12
Récemment, le stéréotype du « Beur », innovateur principal en matière de langage,
semble inclure aussi des références à la musique rap, souvent attribuée aux jeunes d’origine
maghrébine. Mais contrairement aux États-Unis, ni le rap, ni le hip-hop français « n’ont
commencé dans la rue » (Lapassade, Rousselot, 1991 : 10) : les deux ont été importés par les
médias (Cannon, 1997).
46
REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE ...
sur « le français parlé par les jeunes des banlieues » a intégré quatre dimensions
sociales cruciales dans l’usage de la langue : l’âge, le sexe, l’ethnicité et de ce qui
13
reste du concept de la ‘classe’ sociale . Trois d’entre elles (l’âge, le sexe et
l’ethnicité) sont des caractéristiques peu malléables. Ceci, me semble-t-il impose
la plus grande vigilance face aux stéréotypes dont les locuteurs concernés
pourraient avoir du mal à se défaire.
LA RÉACTION DES JEUNES
Les représentations de qui ?
On sait qu’au collège — et peut-être même avant — les jeunes « des
banlieues » maîtrisent un répertoire riche de pratiques sociales typiques de leur
âge et de leur milieu social, et qu’ils se montrent particulièrement sensibles à ce
qui les distingue des autres, et les unit au reste de la société (Lepoutre, 1997). Les
observations que j’ai effectuées pendant mon enquête de terrain (voir ci-dessous)
m’ont convaincue aussi qu’il s’agit de consommateurs ardents d’images et de
discours diffusés à la télévision, et dans les magazines adressés aux jeunes. Il
n’est donc pas impossible que les représentations de ces enfants sur « le langage
qu’ils parlent », et dans une certaine mesure leurs comportements langagiers
aussi, reflètent l’influence de la médiatisation dont ils sont l’objet.
Les résultats des enquêtes de terrain récentes semblent confirmer cette
hypothèse en s’appuyant sur des propos formulés par les jeunes dans des
entretiens : les jeunes affirment, pour ne pas dire revendiquent, parler « leur
langage à eux ». Ainsi, l’enquête de C. Doran (2002) dans les grands ensembles
de la ville Les Salières (banlieue Sud de Paris) en présente de nombreux
témoignages précieux. Les propos recueillis montrent que c’est surtout le maintien
du stigmate de l’immigré que les adolescents reprochent aux médias :
D : moi j’ai de la chance je suis pas étiquetée marocaine… mais ma sœur mon
frère et tout… et ben ils écopent de la réputation… que la plupart des médias
accordent à notre communauté… ce qui fait que nous on est des sauvages… on est
des dealers… on est des drogués… on est des prostituées… je continue ou je
m’arrête ? (Interview 2, Dalila, p. 3, Doran, 2002 : 201-202, soulignements SF)
En revanche, il me semble qu’il faut être très prudent de ne pas prendre pour
argent comptant tous les propos des adolescents concernant « leur » langage « à
eux ». Dans l’exemple suivant, Nassir, un jeune Beur, s’exprime sur le langage
qu’il parle dans son groupe d’amis :
N : …personnellement des fois on parle anglais euh… on va dire ‘viens vas-y on y
go’ euh… il y a des mots anglais qui reviennent et […] il y a plusieurs mots qui…
qu’on peut introduire dans une phrase […] ça va quoi la phrase elle est quand on
– elle est quand même compréhensible… et ça – ça fait bien quoi (Interview,
Nassir, p. 7, Doran, 2002 : 185, soulignements SF)
13
voir notes 10 et 11
47
ZSUZSANNA FAGYAL
Les propos de Nassir sont interprétés comme une illustration des discours
tenus par « des jeunes qui signalent leur possession du ‘code local’ et expriment
14
leur fierté dans les divergences créatives de celui-ci du standard » (Doran, 2002 :
185). Mais on s’aperçoit que l’expression que Nassir donne comme innovatrice,
l’hybridation on y go, n’est pas du tout « local » proprement dit; elle est courante
dans le français familier de la capitale, donc dans la communauté linguistique plus
large. L’expression n’est effectivement pas du français ‘standard’ des
dictionnaires, mais elle s’entend couramment même chez les moins jeunes des
classes moyennes parisiennes. D’autres hybridations, par exemple les suffixations
du type ‘mot de base + suffixe –man’ (ex. bledman), constituent une surprise dans
la mesure où il s’agit de produits d’hybridation « inattendus » avec l’anglais, mais
15
ces mots font tous appel à des procédés de formation lexicale attestés déjà du
temps où les puristes dénoncèrent pour la première fois la naissance du franglais
(Etiemble, 1973). Les recherches de S. Lafage (1998) sur le langage des
backromans, les jeunes vivant dans les rues et le port d’Abidjan, en Côte d’Ivoire,
témoignent aussi de beaucoup d’hybridations de ce type. Il n’y a donc pas lieu de
considérer de tels mots typiques d’une seule « variété » du français, car ils
peuvent émerger dans différentes situations de contact de l’anglais avec d’autres
langues.
Mais bien que l’on ne puisse pas se servir de tels exemples pour délimiter
une variété du français d’une autre, on doit souligner, et c’est un point important,
que l’existence d’un procédé de formation lexical dans d’autres variétés du
français n’exclut pas la réception des mots qui en résultent comme innovateurs par
les jeunes. Tout comme Nassir qui, visiblement, ignore à quel point l’expression
on y go est courante dans les registres familiers du français, les bacromans du port
16
d’Abidjan, si conscients du statut non standard de leurs expressions, pourront
considérer celles-ci comme innovatrices aussi (voir la définition de ‘innovation
lexicale’ par la suite). Alors la question se pose : qu’est ce qui est du « code
local », et qu’est-ce qui n’est pas ? Qu’est-ce qui est ‘innovateur’ ou ‘nouveau’
dans le français, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Lorsque les jeunes nous parlent du
caractère unique de « leur langage », ne sont-ils pas en train de nous renvoyer leur
propre image médiatique d’innovateurs marginaux soigneusement montée et
désormais largement connue par le public ? Ces fameuses ‘innovations’ lexicales
existent-elles réellement ou elles sont simplement perçues comme telles par les
jeunes ayant peu d’accès à d’autres milieux sociaux ?
Il me semble que les enquêtes sociolinguistiques actuelles auront du mal à
répondre à ces questions. En dépit de leurs composantes ethnographiques plus ou
moins prononcées, ces enquêtes se basent encore essentiellement sur des échanges
dans lesquels le but qu’a le chercheur de s’informer sur les pratiques langagières
est bien connu par les participants. Or, aussi intimes que ces conversations
puissent être, elles nous apprennent peu des comportements langagiers des
interviewés entre eux. Elles comportent, en revanche, le risque de nous
14
« In calling it ‘their’ language, youths signaled their sense of ownership of the local code, and in
fact expressed pride in its creative divergences from the ‘standard’ language » (Doran, 2002 : 185).
15
voir à ce propos la citation ci-dessus de B. Conein et F. Gadet
16
au sens où l’entend Bourdieu parlant de « la langue légitime », du « français imposé comme
langue officielle » (1982 : 30)
48
REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE ...
communiquer des représentations élaborées par les jeunes pour l’occasion d’un
moment d’attention de la part d’un inconnu exotique. En guise d’illustration de ce
17
problème, voici le tout premier échange noté avec Josette I. , une élève de
quatrième, personnage central d’un groupe de jeunes filles que j’ai suivi pendant
mon enquête. L’échange témoigne de la distance sociale qui nous sépare (en âge,
entre autres), mais aussi de l’exotisme que ma présence signifiait pour ces jeunes
au début de l’enquête (J = Josette, E = enquêtrice).
J : Madame, vous êtes américaine?
E : Oui… ?
J : Et ben on va s’entendre !
[rire général dans le groupe]
[note du matin du 8 mai 2001, devant l’école]
Il n’est, bien évidemment, pas question de suggérer que ce dont les jeunes
nous font part dans des conversations et des entretiens dirigés sont sans valeur. Au
contraire, il me semble que la richesse des réflexions recueillies dans les
entretiens est si grande que l’on en oublie parfois certaines précautions ou
limitations méthodologiques.
Les mots de qui ?
Définitions
L’innovation lexicale paraît, au prime abord, un concept intuitif : ‘innover’
au sein du lexique signifie ‘créer’ des nouveaux mots. Mais comment interpréter
‘créer’ et ‘nouveau’ ? ‘Créer’ peut être synonyme de ‘former’ des mots à l’aide de
processus de formation lexicale connus, il peut signifier ‘emprunter’ des mots
entièrement nouveaux d’une langue étrangère ou alors ‘inventer’ un sens à un
signifiant déjà existant dans la langue. Parallèlement, on peut se demander à quel
point, et surtout pour qui ‘nouveau’ représente une nouveauté dans le lexique ?
Nassir avait-il ‘raison’ de considérer l’expression on y go innovatrice simplement
parce qu’il ignorait l’étendu de son usage dans la communauté plus large ?
Il me semble que d’un point de vue interactionnel, et ce sera le seul point de
vue adopté par la suite, la réponse est positive. L’expression est nouvelle, et donc
‘propre au groupe’, si elle est perçue comme telle par le groupe. C’est précisément
cette interprétation de ‘la nouveauté’ qui permet aux innovateurs, par exemple aux
meilleurs utilisateurs du verlan (voir le locuteur Saïd dans Méla 1988)), ou aux
plus brillants des vanneurs (voir Lepoutre, 1997) de se distinguer de leurs pairs.
Que la forme ‘verlanisée’ d’un mot existe dans d’autres cités importe peu si, dans
l’interaction entre les jeunes, son usage frappe par son caractère nouveau et
insolite, et par conséquent garantit à son ‘inventeur’ hic et nunc, ici et maintenant,
un gain de prestige immédiat par rapport aux autres.
Dans cet article, le terme ‘innovation lexicale’ référera donc à l’usage d’une
18
unité lexicale attestée ou non dans la communauté linguistique dans l’acception
17
Chaque élève est cité par un pseudonyme qui lui fut attribué lors de l’analyse du corpus.
L’unité lexicale n’apparaît pas dans les dictionnaires, et/ou elle n’est pas employée par des
locuteurs non membres du groupe des jeunes en question.
18
49
ZSUZSANNA FAGYAL
qu’elle possède dans les extraits présentés, mais dont le signifiant, le signifié ou
les deux sont perçus comme une nouveauté dans le groupe des jeunes qui
l’emploie. L’invention d’un mot tout nouveau ou la remotivation ‘in situ’ du sens
d’un mot existant passera donc pour un acte d’innovation dans la mesure où
l’expression est reçue comme innovatrice dans le groupe (ce qui rentre, du reste,
dans la définition des néologismes par J. Pruvost et J-F. Sablayrolles, 2003 : 3).
‘Innovation’ renvoie donc à l’emploi ‘hic et nunc’, ici et maintenant, d’une
expression, et non pas à l’étymologie ou l’acception générale de celle-ci. On se
limitera parfois à une seule occurrence, mais l’émergence de cette occurrence sera
observée ‘in situ’ : le mot est enregistré, noté par l’enquêtrice, ou encore rapporté
par un autre locuteur dans le contexte où il a émergé. Dans tous les cas, l’effet de
nouveauté est perçu par le groupe.
L’enquête
Lors de mon enquête de terrain dans un collège multiethnique à La
Courneuve (Seine-Saint-Denis), j’ai été confrontée dès le premier jour au biais
que comportait l’approche directe de ce milieu social (voir l’échange ci-dessus
avec Josette). Tout d’abord, il fallait me débarrasser du statut de l’inconnu
exotique pour avoir la moindre chance d’observer des comportements langagiers à
peu près naturels chez les adolescents. Autrement dit, pour recueillir des
« données » linguistiques, ma présence ne devait pas susciter d’intérêt particulier.
Parallèlement, j’ai dû chercher à ne pas diriger les interactions dans lesquelles je
me trouvais pour laisser certains comportements et commentaires émerger
spontanément. La tâche était si dure que j’ai décidé de mener une enquête en
19
partie ‘couverte’ .
Mon approche consista à me présenter en tant qu’étudiante américaine
préparant un mémoire universitaire sur les pratiques et les représentations sociales
des enfants d’origine multiethnique et multilingues en France et aux États-Unis.
J’ai décidé de ne pas révéler aux jeunes que je notais et j’enregistrais non
seulement ce qu’ils disaient sur leurs activités quotidiennes et leurs projets de
l’avenir, mais aussi la façon dont ils le disaient, et surtout ce qu’ils laissaient
entendre sur leur « langage à eux ». En deux ans d’enquête, je n’ai posé des
questions directes sur la façon dont ils voient leur langage que lorsque quelqu’un
20
d’autre avait abordé le sujet . Je n’ai assisté qu’à quelques cours, et seulement
quand j’y étais invitée par les élèves ou, plus rarement, par les professeurs. Grâce
à la distance que j’ai réussi à maintenir vis-à-vis des « profs », la plupart des
collégiens ont fini par m’accepter comme un élément habituel et sans grand intérêt
des temps de leurs récréations. Tuteur d’anglais ‘hors programme’, ils pouvaient
s’adresser librement à moi avec leurs devoirs, leurs difficultés, et parfois même
avec leurs problèmes. L’enquête de terrain fut réalisée en six sessions
d’observation d’une durée variable de deux à huit semaines entre mai 2000 et
décembre 2002. Je n’ai enregistré des entretiens dirigés que vers la fin de
19
Je remercie tous ceux qui m’ont aidée à mettre en place et à mener à terme cette enquête où
aucune décision n’a dû être prise au hasard. Je suis particulièrement redevable à mes collègues
ethnologues et linguistes pour leurs suggestions, au personnel et au corps enseignant de l’école
pour leur aide et leur patience.
20
L’entretien du 29 mai 2001 avec Lola, une surveillante, constitue une exception (cf. ci-dessous).
50
REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE ...
l’enquête, et sur le conseil des ethnologues, j’ai passé le reste du temps à observer
et à prendre des notes.
Le regard des autres
Il était frappant de voir, dès le début de l’enquête, à quel point certains
jeunes, et surtout jeunes filles, étaient conscients de leur image de locuteurs ‘non
standard’. Ayant suivi, et plus tard lié une amitié avec plusieurs membres du
groupe de Josette, j’ai eu l’occasion de noter, entre autres, les réactions qu’elles
m’attribuaient au sujet de leur langage. A la suite d’un échange d’injures avec ‘le
21
chef’ d’un autre groupe de filles quittant l’école en fin de journée je note ceci (A
= la jeune fille de l’autre groupe, J = Josette, E = enquêtrice. Les assimilations et
les chutes de segments sont transcrites pour rester le plus fidèle possible à la
prononciation des locuteurs.) :
A : eh, Josette !
J : ta gueule, toi !
A : ferme ta gueule, toi, pute !
J : ta gueule, conasse !
A : sale pute !
[l’autre groupe s’éloigne]
A : on parle mal, Madame, hein … très mal.
E : [geste d’indifférence]
J : et on n’est pas la caillera… la caillera c’est pire !
E : c’est quoi la caillera ?
J : ça veut dire racaille… vous connaissez… c’est un mot à nous…
[approbation générale par d’autres dans le groupe]
E : connais pas… c’est mauvais ?
J : très mauvais, Madame … les écoutez pas, ceux-là…sont très mauvais
[note de l’après-midi du 4 mai 2001, devant l’école]
Le jugement que Josette m’attribue envers son langage (On parle mal,
Madame, hein ? Très mal) montre bien qu’elle a un sens aigu du regard que les
‘gens de l’extérieur’ peuvent avoir sur la vulgarité du rituel d’insultes qui venait
d’avoir lieu. Tout en s’appropriant le mot caillera comme un mot de sa
communauté (C’est un mot à nous), Josette cherche à se justifier et à se distancer
(Les écoutez pas, ceux-là) des pires éléments de cette même communauté, parlant
un langage qu’elle trouve encore pire que le sien. C. Doran (2002) fait également
état de jeunes filles musulmanes qui gardent leur distance par rapport à un langage
vu comme inapproprié pour une jeune fille, et ne jouissant d’aucun prestige ouvert
22
en dehors de la communauté locale . Beaucoup de jeunes filles dans mon enquête
21
L’ordre exact des injures dans cet échange est reconstruit de mémoire. D’autres échanges ont été
notés aussi rapidement que possible pour ne pas oublier les détails. Cette technique qui m’a été
suggérée par les ethnologues caractérise toute la partie qualitative de l’enquête.
22
Selon les conclusions actuelles concernant le comportement des femmes vis-à-vis des
changements linguistiques, les femmes auraient tendance à adopter, et même à mener, les
changements en cours lorsque ceux-ci jouissent d’un prestige ouvert dans la communauté plus
large. Elles sont, en revanche, moins nombreuses à utiliser des traits langagiers « locaux » non
reconnus ou stigmatisés par ailleurs (voir le chapitre ‘The gender paradox’ dans Labov, 2001).
51
ZSUZSANNA FAGYAL
possèdent le même profil. Mais notons que Josette ne semble pas être de celle-ci.
Elle ne se sent pas visée personnellement par le regard externe qu’elle m’attribue.
Comme le signalent les approbations des autres dans l’extrait, elle représente la
voix du groupe, ce qui expliquerait l’usage du pronom on (on parle mal) au lieu
du pronom personnel je qui serait pourtant plus approprié ici, car personne, à part
elle, n’a adressé la parole aux membres du groupe rival qui venaient de passer.
Josette parle donc ‘en général’. Il m’a souvent paru que son statut de leader du
groupe s’accompagnait de cette contrainte d’assurer ‘les relations publiques’ avec
les gens extérieurs. Elle semble parfaitement savoir ce que ‘l’Autre’ connaît des
comportements langagiers de sa communauté dont elle se charge d’être le porteparole. En niant la connaissance du mot caillera, je cherchais à me distancier de
cet ‘Autre’, ce qui n’était pas difficile pour une étrangère.
Le prétendu « code local »
Un autre personnage central du même groupe Nicole M., une jeune fille
d’origine congolaise, se chargea aussi de m’initier, une ou deux fois, au « code
local » de sa communauté. L’échange suivant eut lieu dans une salle de classe, la
seule fois où, avec l’autorisation du professeur, j’ai été invitée à rejoindre le
groupe à un cours de chant. J’ai eu l’honneur d’assister aux derniers préparatifs
d’un spectacle de fin d’année dont les détails devaient encore être gardés secrets
devant les autres élèves de l’école. Assise au fond de la salle pour ne pas créer de
distraction, je me fais brusquement interpeller par Nicole qui, comme je
l’apprends plus tard, venait d’utiliser « une expression locale » pour exprimer son
23
contentement à sa voisine. Elle a dû se souvenir de mon ignorance en la matière
à ce moment-là, d’où l’échange que j’ai noté sur les lieux (N = Nicole, E =
enquêtrice, P = professeur de chant) :
N : c’est de la balle Madame c’est de la balle !
E : [regard perdu, ne comprenant rien]
24
N : c’est de la balle ça veut dire c’est génial… c’est les Quat’-Mille pour vous
Madame !
E : les Quat’ Mille ?!
N : ouais…
P : elle veut dire que c’est une expression qu’ils ont là-bas aux Quat’-Mille
E : ah bon ?
N : ouais… on en a plein… les Français savent pas c’ que ça veut dire !
[note du matin du 10 mai 2001, en salle de cours]
Ne connaissant pas cette expression, j’ai décidé de mener une mini-enquête
dans mon entourage. J’ai commencé par le professeur de musique qui a confirmé
l’interprétation de Nicole : selon lui il s’agissait d’une expression née et utilisée
dans « les cités ». A la question de savoir dans laquelle (il y a plusieurs cités à La
23
Nicole n’était pas présente lors de la scène d’insulte où ‘ mon ignorance’ à propos du mot
caillera s’est manifestée pour la première fois. Le fait qu’elle était au courant indique qu’à peine
un mois après l’incident, ma réputation ‘d’étrangère totale ’ était solidement ancrée.
24
La cité des Quatre-Mille est la plus connue de La Courneuve depuis les émeutes des années
1980. Elle constitue l’objet de l’ethnographie de D. Lepoutre (1997).
52
REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE ...
Courneuve), le professeur n’avait pas de réponse à me donner. Il ajouta,
néanmoins, que les nouveaux mots « se transmettent vite ici ». Le même jour, j’ai
interrogé environ trente autres locuteurs français à l’école, à une soirée de travail
et dans ma belle-famille. La plupart d’entre eux affirmaient avoir déjà entendu,
mais n’avoir encore jamais utilisé cette expression. En revanche, pratiquement
tous, tout âge confondu, savaient ou devinaient qu’il s’agissait d’une expression
positive.
Est-ce que c’est de la balle appartient donc au ‘code local’ des jeunes des
Quatre-Mille ? La réponse est négative, car si l’expression n’appartenait qu’à la
cité de Nicole, une poignée de Français des classes moyennes choisis au hasard
n’en possèderaient pas une connaissance passive. Est-ce que l’expression peut être
en train de transiter de la cité vers la communauté plus large ? Là encore, toute
réponse reste largement spéculative. Il y a, en effet, des mots et des dénominations
25
propres aux habitants d’une cité, et même d’un endroit dans la cité. Les habitants
de la partie Nord des Quatre-Mille possèdent, par exemple, des toponymies
différentes de ceux des habitants de la partie Sud pour désigner les mêmes lieux
(Lepoutre, 1997 : 50), ce qui permet aussi d’envisager que des « expressions »
figées du type c’est de la balle ne soient utilisées, du moins au départ, que dans
une seule cité. (Un exemple communiqué plus loin semble, du reste, soutenir cette
conclusion.) Mais les précautions s’imposent, car on trouve aussi beaucoup de
représentations mythiques chez les jeunes à propos de leurs cités, comme celle qui
établit, par exemple, un lien général entre l’insécurité et la géographie du
quartier : « Comme aux États-Unis, c’est pareil, les quartiers chauds, ils sont au
nord » (idem). Donc les réalités et les mythes à propos des usages dans la cité ne
sont jamais très loin. Selon les ethnologues, cet investissement mental dont la cité
fait l’objet de la part des adolescents s’explique par leur enracinement profond
dans le quartier qui « constitue un support majeur de l’identité adolescente »
(Lepoutre, 1997 : 43, citant C. Bachmann).
Nicole, en affirmant que l’expression en question vient des Quatre-Mille
(C’est Les Quat’-Mille), peut donc tout autant nous informer d’une innovation
lexicale en processus réel de transmission vers le français familier, qu’attribuer à
sa communauté, ‘par défaut’, une expression unique mais dont les origines sont
incertaines ou devenues obscures. L’essentiel est que les innovateurs — réels ou
fictifs — sont les mêmes dans les deux cas : les jeunes du « quartier ».
La fierté d’être ‘une mine d’idées nouvelles’, pour ne pas dire la
revendication d’un tel statut, s’appuie certes souvent sur le langage, mais aussi sur
tout élément entrant dans la construction de l’identité d’un adolescent : vêtements,
coiffure, etc.. Ainsi, la plupart des jeunes filles avec qui j’ai eu l’occasion
d’interagir croyaient fermement que leur habillement représentait « la mode des
banlieues » copiée dans « d’autres quartiers ». Par exemple, la redingote de jeans
délavé et les pantalons très larges (appelés baggis du mot anglais bag ‘sac’) avec
des inscriptions chinoises brodées sur une jambe étaient si massivement portés par
les jeunes filles au printemps 2001 que le professeur de musique, qui avait une
bonne relation avec le groupe de Josette, m’a raconté qu’un jour il avait initié une
25
La journaliste Catherine Génin (Le Monde, le18-1-1996) cite les propos de A. Bégag qui
compare les différences d’usage du français d’une cité à l’autre à celles « des vallées patoisantes ».
53
ZSUZSANNA FAGYAL
conversation en classe sur ce qu’il appelait « l’uniformisation vestimentaire »
chez les jeunes filles du collège. Quelques jours plus tard, il a pu assister, dit-il, à
une véritable transformation autour de lui : une bonne parties des jeunes filles
26
commençaient à porter des vêtements extravagants . Quant à la prétendue « mode
des banlieues » copiée ailleurs, elle s’est également avérée un mythe, car il a suffi
d’errer dans les quartiers des Halles pendant la même période pour voir exposés
dans les vitrines de Benetton, entre autres, les mêmes tissus et les mêmes
vêtements que les jeunes filles prétendaient être les seules à porter. En revanche,
une visite-éclair avec Lola et une autre surveillante de l’école un après-midi au
marché d’Aubervilliers, l’une des sources d’habillement pour les jeunes filles de
la cité, m’a permis de voir une grande quantité d’imitations de vêtements de
marque !
Il me semble, donc, que « le code local » langagier, vestimentaire ou autre
des jeunes des banlieues est, en grande partie, une fiction. Mais c’est une fiction
qui est entretenue par la perception des usages locaux comme des usages
singuliers, propres au groupe. Les motivations d’une telle perception peuvent être
nombreuses. Le désir de se faire remarquer, ‘the urge to stand out’, est
apparemment si fort à cet âge-là qu’il serait étonnant qu’un adolescent que l’on dit
porteur d’une mode ou d’une variété langagière « toute nouvelle » refuse
d’endosser une telle assignation ! La revendication du statut de l’innovateur pour
des raisons identitaires, telles que la révolte contre une injustice sociale ou la
perception d’un isolement social réel, comme beaucoup d’auteurs le pensent, reste
également probable. Dans les deux cas, l’adolescent chercherait-il à maximiser
son capital symbolique sur un marché trop volatile des biens culturels ? La
question reste ouverte.
L’important, il me semble, est de chercher à comprendre les mécanismes
de l’émergence et de la transmission de ces ‘innovations’. H. Boyer (2001)
suggère, à ce propos, que dès que les dernières innovations lexicales non standard
deviennent d’usage courant, les groupes tenant à signaler leur marginalité par des
moyens linguistiques éprouveraient le besoin d’innover à nouveau. A cela, on doit
ajouter qu’il s’agit vraisemblablement d’une « boucle » : la transmission des
innovations fonctionne aussi dans le sens inverse, car les jeunes ne sont pas
nécessairement toujours les innovateurs. Les médias, comme on l’a vu plus loin,
mais aussi les industries de la musique, de la mode, des textiles… etc. cherchent, à
leur tour, à offrir des ‘montages d’idées innovatrices’, mind candy for a hungry
public (Eckert, 2003 : 116) à leurs principaux consommateurs : les jeunes des
milieux populaires. Et ce processus de transmission continue dans les deux sens
tant que les médias sont vus et lus par les jeunes, et tant que les adolescents
éprouvent le désir de se distinguer… à l’infini.
Innovations spontanées
Le problème actuel avec cette hypothèse est qu’on sait très peu des
mécanismes d’innovation au sein des groupes d’adolescents. On arrive, comme
j’ai tâché de le montrer, à retracer le « montage » d’une certaine image des faits
26
J’ai vu, moi-même, des combinaisons tout à faire hors du commun, comme par exemple un fichu
de gitanes noué autour des hanches et au-dessus des jeans roses ! [note à propos de la tenue de
Farah T., élève de troisième année et amie de Josette I., en juin 2002]
54
REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE ...
dans les médias, mais on ne sait pas si une « contrainte d’innover » existe
réellement, et si oui, quels en sont les mécanismes. Pourtant les questions ne
manquent pas : Comment les mots émergent-ils? Quelles sont les sources des
innovations ? Est-ce que le plurilinguisme urbain est une condition préalable à
l’émergence d’un grand nombre de nouveaux vocables non motivés dans la
langue de la majorité unilingue ? Qui initie et rejette les innovations au sein du
groupe, et pour quelles raisons ?
Les exemples suivants d’innovations spontanées qui m’ont été
communiqués ou que j’ai vu émerger moi-même lors de mon enquête n’apportent,
bien évidemment, aucune réponse définitive à ces questions. Je les communique
ici pour entamer la discussion sur l’émergence des innovations lexicales dans
quelques contextes interactionnels réels, ce qui est bien peu pour pouvoir en tirer
des conclusions générales. Contrairement à certaines idées reçues qui pourraient
faire apparaître les innovations comme les résultats d’un processus créatif
valorisant pour son ‘créateur’, les innovations qui suivent paraîtront probablement
banales, ou au contraire trop bizarres, et donc dignes de disparaître dans
l’oubliette du temps. Mais c’est précisément là, leur intérêt : elles permettront
peut-être de bousculer certaines idées reçues.
Mots « obsolètes »
Les sources possibles des innovations lexicales m’ont paru très variées, mais
parmi les exemples que j’ai pu relever sur le terrain, les plus nombreux
27
impliquaient des mots inventés ou d’origine étrangère , ainsi que des mots
existants mais soit devenus obsolètes, soit inconnus des jeunes qui croyaient donc
les avoir inventés.
L’échange suivant présente un cas où le nom d’une marque de boisson qui
n’est plus commercialisée en France, mais dont les moins jeunes se souviennent
encore bien, est reprise dans un sens tout à fait différent de l’original. L’exemple
suivant m’est rapporté par Lola, une étudiante de 20 ans d’origine multiethnique
qui travaillait deux fois par semaine comme surveillante à l’école, et qui faisait
28
aussi du tutorat pour les élèves d’école élémentaire dans la cité des Quatre-Mille .
Lola est la seule personne que j’ai interviewée directement au sujet du langage des
élèves, car elle n’appartenait plus à la tranche d’âge des jeunes dont les
comportements langagiers m’intéressaient en premier lieu. Sa maturité et son
statut de personnage à la fois intérieur et extérieur au milieu du collège m’ont
beaucoup guidée dans mes observations (E = enquêtrice, L = Lola, # = pause
courte, […] = distractions hors sujet).
E. et c’est vrai qu’il y a des expressions qui sont typiquement des Quat’-Mille ou
d’autres cités comme ça ?
L : ouais chais pas # ouais ouais # je pense que ouais parce que par exemple je
sais que les expressions qu’on emploie dans mon quartier # ben tu sais ici on
emploie pas les mêmes quoi
27
Ne parlant pas de langues africaines ou asiatiques, il ne m’était pas toujours facile de savoir s’il
s’agissait de l’un ou de l’autre.
28
C’est avec elle que j’ai visité une ou deux fois la cité des Quatre-Mille (où je n’ai pas fait
d’observations, ni d’enregistrements.)
55
ZSUZSANNA FAGYAL
E : les quoi par exemple ?
L : pffff ! ça chais pas
E : ça c’est marrant alors # tout le monde dit qu’ ça existe mais quand je demande
un exemple c’est difficile …
L : oui c’est dur franchement chais pas
E : oh ben quand tu pourras y penser…
L : par exemple chais pas par exemple une fois j’ parlais avec une p’tite et tout # et
puis elle m’ dit ouais # il a fait ça brut de pomme # mais j’ dis ça veut dire quoi ça
brut de pomme # elle dit ben ça veut dire vite fait # tu vois
E : brut de pomme c’est pas une boisson ?
L : si c’est une boisson en plus # tu vois j’ dis c’est quoi ça # et elle m’ dit ça veut
dire vite fait
E : ah oui ? et elle était d’où ?
29
L : elle habite aux Quat’-Mille aussi # elle habitait au Mail j’crois parce que j’ai
eu aussi sa p’tite sœur dans mon centre
[…]
L : tu vois il y a des # il y des p’tites expressions comme ça quoi # mais j’ vois
ouais quand j’ suis arrivée ici i’ sortaient des expressions que # oui que nous on
dit pas # pourtant je suis jeune moi aussi…
[enregistrement, entretien avec Lola le 29 mai 2001]
La remotivation du sens de Brut de pomme, une marque de jus de pomme
maintenant largement remplacée par Minute Made, donc un mot potentiellement
obsolète pour les plus jeunes, illustre bien que les innovations lexicales ‘du
moment’ peuvent, littéralement, s’inspirer de tout et de n’importe quoi. La petite
fille d’école élémentaire ne connaissait probablement plus la marque, mais elle a
30
pu encore en lire le nom ou l’entendre mentionner dans certains contextes . Alors
qu’il y a peu de chance que cette ‘innovation’ quitte le groupe de la petite fille et
soit reprise par une communauté plus large, on connaît des exemples qui ont eu un
succès remarquable. Certains mots du vieil argot parisien, dont clope (f.) pour
cigarette (f.) et tune (f.) pour argent (m.) semblent n’avoir jamais quitté le
31
langage jeune depuis le temps où ils ont été repris par le français populaire , alors
32
que d’autres sont rescapés des temps aussi lointains que celui de Villon , perçus et
réutilisés dans les parlers populaires comme dernières innovations lexicales.
Le langage des jeunes en France n’est pas le seul à ‘ recycler ’ les éléments
du passé tombés dans l’oubli. Dans le parler des jeunes lycéens de la région de
Londres, par exemple, A.-B. Strenström et ses collègues (2002 : 158) observent la
réapparition de l’adverbe well devant une variété d’adjectifs (‘well nice’ bien
gentil, ‘well funny’ bien drôle) où l’anglais britannique contemporain ‘standard’
29
Un bâtiment appelé mail de Fontenay dans les Quatre-Mille Sud (voir Lepoutre, 1997 : 54).
Que le nom de la marque « Brut de pomme » ait pu être motivé par « brut de décoffrage et
assimilés », une expression existante dans la langue, n’a aucune incidence sur l’effet de nouveauté
que le sens nouveau de l’expression produit dans la situation d’interaction.
31
Selon A. Valdman (2000), le français populaire a intégré les différentes formes d’argot qui
caractérisait à l’époque les populations marginales de la capitale.
32
D’après F. Gadet (communication personnelle).
30
56
REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE ...
n’autorise pas son usage . Mais l’extension ‘innovatrice’ de la portée syntaxique
de well à tous les adjectifs fut une pratique linguistique courante au XVIIIè siècle,
progressivement tombée en désuétude, et revigorée actuellement dans les parlers
jeunes.
A part les mots anciens, l’élargissement du sens de certaines expressions
courantes, souvent par un malentendu, semble également constituer une source
34
d’innovation. L’échange suivant a été enregistré un mercredi devant le collège,
peu après la sortie des classes, en compagnie de Josette, Farah et un petit cortège
des filles du groupe. Trois garçons de cinquième d’un autre collège de La
Courneuve sont, apparemment, venus rencontrer quelques-unes des filles, mais
sans succès. En compensation, ils cherchaient à attirer l’attention de Josette qui
tolérait mal que ces « petits » cherchent à la provoquer (G = chef du groupe des
garçons, J = Josette) :
33
G. elle est où Cynthia ?
J : chais pas… va là-bas, toi…
[échanges divers pendant quelques secondes]
G : ouais mais elle est où… [chevauchements de voix ] elle a disparu cul sec !
[enregistrement, échanges spontanés le 9 mai 2001]
L’expression cul sec surprend dans ce contexte, car elle subit une extension
sémantique par rapport à son sens original qui est : faire cul sec en buvant, donc
vider le verre d’un trait, boire d’un seul coup. On peut, certes, disparaître d’un
trait ou complètement, si on préfère un autre synonyme, mais on disparaît
rarement cul sec ! La plus petite ‘remotivation sémantique’ peut donc servir de
moyen pour distinguer son usage langagier des autres, et par conséquent donne
une chance à la « nouvelle » expression d’être adoptée par le groupe.
Un autre exemple de ce type a émergé lorsque j’ai assisté à l’emploi du mot
ringard dans un sens différent de son sens attesté dans les dictionnaires. Le
‘ lancement ’ même du mot remonte à un échange court dont je n’ai gardé qu’une
trace dans ma mémoire, mais que j’ai eu avec Farah à propos de nos manières de
s’habiller. Lors d’une récréation, je lui ai fait remarqué que, contrairement à elle,
j’étais toujours habillée de façon peu originale. Pour faire passer cette idée, j’ai
utilisé le mot ringard avec une connotation négative, donc synonyme de démodé,
médiocre, sans valeur (Le Petit Robert 1988 : 1719). Comme Farah n’a fait aucun
commentaire à ce moment-là, je ne me suis pas rendu compte qu’elle ne
connaissait probablement pas le mot. Je l’ai compris, en revanche, le même jour
ou le lendemain quand j’ai noté ses propos adressés à Sabine, B., sa meilleure
amie (F = Farah ; S = Sabine) :
F. et ça tu trouves ringard ça ?
S : ouais, c’est chouette… ça t’ va bien !
33
L’adverbe well peut modifier des constructions adverbiales (‘well in advance’ bien en avance),
des participes passés ou des d’adjectifs participiaux (‘well equipped’ bien équipé, well qualified’
bien qualifié/ formé).
34
Le mercredi, la sortie des classes se faisait à midi. Les élèves n’avaient pas cours dans l’aprèsmidi.
57
ZSUZSANNA FAGYAL
[note du 27 juin 2001]
Selon une interprétation possible , Farah aurait accordé un sens positif à
l’adjectif ringard dont elle ignorait le sens exact. Vraisemblablement grâce à mon
prestige au sein du groupe, elle l’aurait interprété comme valorisant, et donc
l’aurait appliqué à elle-même et à d’autres membres du groupe. Ce qui semble
soutenir cette interprétation est l’observation, malheureusement très courte, que
j’ai pu faire par la suite : le mot a circulé au sein du réseau d’amies de Farah dans
la même connotation positive que j’ai observée pour la première fois (ci-dessus).
Je l’ai entendu une fois de Farah dans un échange avec d’autres membres du
groupe de Josette [28-6-01], et une fois de Sandra, une autre amie de Farah,
discutant avec une jeune fille extérieure au groupe [29-6-01]. L’année scolaire
ayant pris fin peu après, je n’ai pas pu continuer à retracer l’évolution du mot au
sein du réseau.
35
Mots « étrangers »
L’une des caractéristiques principales de la « variété » du français parlé par
les jeunes des banlieues seraient les emprunts des différentes langues étrangères
parlées par les élèves. Il est vrai que certains mots venus de l’arabe, par exemple,
36
étaient d’usage courant dans le collège, et que je les ai vite assimilés moi-même ,
mais il m’était souvent difficile de classifier les mots que je ne connaissais pas.
S’agissait-il d’emprunts ou de mots inventés par les élèves à l’occasion d’une
vanne ou d’un rituel de « drague » ?
Je ne saurai vraisemblablement jamais la vérité à propos du mot central de
l’échange suivant que j’ai enregistré le même jour où trois garçons extérieurs du
collège sont venus rencontrer quelqu’un du groupe de Josette (voir l’échange à
propos de Cynthia ci-dessus). De plus en plus frustrés d’être ignorés par les jeunes
filles, le leader du groupe des garçons a entrepris de capter l’attention de Josette.
L’extrait suivant dure pendant plus de cinq minutes pendant lesquelles le mot
37
doumba est lancé à multiples reprises par le chef des garçons. Le mot est repris et
répété par les autres garçons, ensuite oublié pendant quelques secondes, et à
nouveau relancé par le chef des garçons. Me trouvant juste à côté, en train
d’enregistrer, ce schéma répétitif dans l’interaction finit par m’intriguer. Je pose
donc la question qui ouvre l’échange suivant, ne comprenant que plus tard que
Josette cherchait à éviter de commettre cette erreur depuis plusieurs minutes (E =
l’enquêtrice, G = un garçon, C = le chef du groupe des garçons, J = Josette) :
[…]
E. c’est quoi doumba ?
C : doumba ça veut dire cochonne
G : ça veut dire quoi comment tu dis ça ?
35
Je remercie l’un des lecteurs de cet article qui m’indique une interprétation concurrente : il se
peut que Farah ait utilisé ringard dans un sens positif, parce qu’elle trouvait mon style
vestimentaire rétro, baba cool, donc démodé mais tout de même digne d’appréciation.
36
Il s’agit, entre autres, de ‘cochon’ halouf, répertorié aussi par B. Seguin et F. Teillard (1996).
37
N’ayant jamais réussi à retrouver le sens de ce mot, j’adopte ici l’orthographe qui me paraît la
plus proche de la prononciation du mot.
58
REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE ...
E. oui traduisez-le-moi
[obscénités, divers échanges, chevauchements]
C : doumba yakawa
[échanges à propos du meilleur collège à La Courneuve que chaque affirme être le sien]
C : attention à ton slip !
[pas de réponse des filles]
C : vous prenez votre douche ?
J : ha cochon !
C : combien d’années ?
G : combien de fois, tu veux dire !
C : d’année, moi, j’dis ! Combien d’ fois ?
J : une fois
C : mais tu l’as pris !
J : une fois
C : mais tu l’as pris !
J : ben ouais moi j’ suis pas comme certains esclaves là…. pas tous les jours…
C : mais tu l’as pris… réponds à ma question !
J : ha ça m’énerve !
C : mais combien de fois ?
J : ouais une fois
C : à poil ou en maillot d’ bain ?
J : vas-y toi !
C : mais réponds !
J : va là-bas !
C : à poil ou en maillot d’ bain ?
G : …qu’elle a beaucoup d’ poil…
J : [hurlant] mais vas-y… vas-y va parler là-bas tu m’énerves !
C : doumba yakawa
[échanges de vannes entre d’autres membres des deux groupes]
[…]
[enregistrement, filles et garçons le 9 mai 2001]
On comprend, grâce au contexte où il émerge, que le sens et l’origine du
mot doumba importent peu : c’est plutôt le rôle que le mot joue dans l’interaction
entre les deux groupes qui retient notre attention. Qu’il soit emprunté ou inventé,
qu’il signifie cochonne (au féminin !) ou non, le mot sert d’appât pour accaparer
l’attention des filles. Le déroulement de l’interaction en témoigne fort bien : dès
que le « harcèlement » avec ce mot, inconnu de tous sauf du chef du groupe des
garçons (!), parvient à capter l’attention de quelqu’un dans le groupe des filles (la
mienne, dans ce cas), les barrières de communication entre les deux groupes sont
franchies. Bien que Josette se soit longtemps tenue à l’écart, se gardant bien de
réagir aux vannes des garçons, ma question innocente à propos du sens du mot
inconnu a permis aux garçons d’entrer en interaction avec le groupe. Hésitante de
s’engager dans l’interaction, Josette savait probablement que les garçons
cherchaient à « se payer la tête » de quelqu’un dans le groupe, cherchant à la
couvrir d’un déluge de vannes et d’insinuations sexuelles. La nature
38
essentiellement cryptique des mots étrangers ou inventés peut donc être
mobilisée au profit du locuteur dans les rituels d’injures et de vannes dont se
revendique l’interaction précédente. De tels mots constituent une menace
potentielle contre ‘la face’ de l’interlocuteur (Brown, Levinson, 1987) qui,
38
y compris des mots verlanisés inconnus pour l’interlocuteur.
59
ZSUZSANNA FAGYAL
ignorant leur sens, peut les voir déployés à son insulte ou ridicule. Néanmoins, la
plupart des ‘innovations’ de ce type ne survivent probablement pas aux situations
de joutes oratoires (Lepoutre, 1997) ou de ‘drague’ dans lesquelles elles émergent.
Les insérer dans un simple inventaire de mots ou un dictionnaire « typique » aux
parlers des jeunes des banlieues me semble donc moins révélateur que de chercher
à découvrir leur rôle dans les situations d’interaction réelles.
CONCLUSION
Contrairement à l’image schématisée que les médias et certains travaux des
linguistes nous offrent à propos des néologismes attribués aux ‘jeunes des
banlieues’, les cas réels d’innovation lexicale paraissent hétéroclites et souvent
arbitraires. Ils se nourrissent de mots réels et fictifs, désuets et parfois mal
compris, donc d’un répertoire riche de mots « bien français », et s’inscrivent dans
un ensemble d’activités langagières caractérisant les groupes et les individus.
Comme le suggèrent les cas présentés ci-dessus, les innovations font partie de ce
que J. Billiez et C. Trimaille (2001 : 116) appellent « un processus permanent de
redifférenciation » des individus au sein du groupe et vis-à-vis d’autres groupes.
Pour les locuteurs croyant utiliser des expressions « bien à eux », les ‘innovations’
signifient une solidarité envers le groupe et une distinction par rapport à la
communauté linguistique plus large. Pour d’autres, les mots innovateurs
deviennent un outil de manipulation ou, au contraire, une menace potentielle dans
les interactions comme les rituels d’injures ou de drague. Les ‘innovations’ sont
donc inséparables de leur contexte interactionnel, et la façon dont elles permettent
aux jeunes de « définir et de décliner [leur] identité et de renforcer la cohésion [de
leur] réseau » (Calvet, 1994 : 69) du groupe reste encore à découvrir. Pour y
parvenir, les enquêtes par immersion participante et non directive doivent être
privilégiées, et toute simplification des faits évitée.
Zsuzsanna Fagyal
[email protected]
60
Ángeles Vicente
Instituto de Estudios Islámicos y del Oriente Próximo (IEIOP)
Université de Saragosse
Espagne
LE PARLER ARABE DES JEUNES MUSULMANS DE CEUTA
UN EFFET DU PROCESSUS DE KOINÉISATION MAROCAINE
INTRODUCTION
La ville de Ceuta, située près du Détroit de Gibraltar et possédant une
1
surface de 19 km2, fut conquise par le Portugal en 1415 et passa sous contrôle
e
espagnol au XVI siècle à l’époque de Philipe II, lorsque les couronnes d’Espagne
et du Portugal furent réunies par le même roi. Après la séparation des deux
royaumes, la ville resta sous souveraineté espagnole. Du XVIe au XIXe siècle, le
rôle joué par la ville fut donc celui d’une enclave fortifiée avec différentes
fonctions, principalement défensive jusqu’au dernier quart du XIXe siècle. Dès ce
moment, l’expansion économique et sa situation en tant que port libre
provoquèrent une augmentation de population, et Ceuta devint une ville.
Avec la structuration de l’État espagnol dans un système d’autonomies,
respectant la norme stipulée dans la Constitution espagnole de 1978, la ville de
Ceuta a fait partie de la province de Cadix, Communauté Autonome de
l’Andalousie. Le 13 mars de 1995, un nouveau statut est signé dans lequel Ceuta
devint une ville autonome, de même que Melilla, l’autre enclave espagnole sur la
côte africaine. C’est justement sa situation géographique entre deux continents,
l’extrême nord de l’Afrique et le sud de l’Europe, qui a joué un rôle fondamental
dans le devenir de la ville et l’histoire de son peuplement. Il s’agit donc d’un
endroit très intéressant pour les études scientifiques de plusieurs disciplines,
comme, par exemple, la sociologie, l’anthropologie ou l’ethnographie. La
coexistence aussi de deux langues qui date d’un siècle et demi nous fournit un cas
intéressant d’étude pour la sociolinguistique, car on a une société bilingue dans
1
Avant cette date, l’espace géographique qu’occupe aujourd’hui la ville autonome de Ceuta était
depuis l’antiquité habitée par divers peuples : phéniciens, carthaginois, romains, vandales,
byzantins, et musulmans. Au moment de l’invasion portugaise, elle était sous pouvoir musulman,
soit en faisant partie du territoire d’Alandalús, soit du territoire du Maghreb. En effet, ces deux
espaces géopolitiques ont partagé à divers moments un espace commun dont Ceuta faisait partie.
Ils ont parfois constitué deux entités politiques différentes et Ceuta dépendait politiquement de
l’un ou de l’autre selon le moment
ÁNGELES VICENTE
laquelle on trouve les pratiques langagières caractéristiques de sociétés
multilingues.
Aujourd’hui cette ville est donc un endroit où l’on trouve l’existence de
deux cultures dominantes depuis le dernier quart du XIXe siècle, une chrétienne et
2
une autre musulmane . Cette population musulmane provient principalement du
3
territoire marocain qui l’entoure , caractéristique qui sera décisive pour
l’explication de la situation linguistique de la ville, car cette population est très
souvent d’origine bli, c’est-à-dire de la région de
située juste de l’autre
côté de la frontière. Donc, par rapport à la langue arabe, on va y trouver des traits
dialectaux semblables aux dialectes marocains voisins, c’est-à-dire, les dialectes
montagnards du Nord du Maroc. Mais en plus de cela, il y a aussi à Ceuta une
population qui provient d’autres régions marocaines, surtout du R f, les Rw fa, et
4
de la région du S s, les Sw sa , ce qui aura pour conséquence une influence sur le
dialecte de Ceuta de plusieurs dialectes marocains et d’autres langues, comme
c’est le cas de l’espagnol et du berbère, dont il faudra tenir compte pour ainsi
comprendre les différents phénomènes linguistiques qui y ont eu lieu.
Dans ce travail, nous allons voir comment le dialecte arabe parlé dans cette
ville évolue aujourd’hui, surtout pour les générations plus jeunes. Il faut donc
souligner que le parler arabe des jeunes musulmans de Ceuta est très représentatif
de la situation sociolinguistique dans laquelle ils habitent. Il s’agit d’une
communauté linguistique où les dynamiques sociolinguistiques sont contrôlées
par une relation asymétrique de pouvoir entre le statut de la langue arabe et celui
de l’espagnol.
Il s’agit d’étudier le changement linguistique en se fondant sur des données
recueillies d’une façon empirique avec la réalisation d’un travail de terrain dans la
5
zone en 2002-2003 . J’émets l’hypothèse que le processus de koinéisation que l’on
peut voir aujourd’hui au Maroc apparaît aussi dans ce dialecte qu’on peut
considérer en plus comme un dialecte arabe en situation de migration. Cela est dû,
bien évidemment, à la situation géographique de Ceuta, car elle possède une
frontière politique mais pas géographique entre la ville et le Maroc. Cette situation
amène la population arabophone de Ceuta à être en contact quotidien avec le
dialecte marocain à travers des milliers de personnes qui traversent chaque jour la
frontière pour travailler dans la ville et qui proviennent surtout de la province de
6
Tétouan . De plus, il y a aussi le passage continu des habitants de Ceuta qui, grâce
2
Ceuta compte également une communauté juive et une autre hindouiste mais les deux sont très
minoritaires.
3
Voir Planet Contreras (1998), qui montre l’évolution de la présence de population musulmane à
la ville de Ceuta.
4
Il s’agit de deux groupes berbérophones, cependant ils ne parlent pas le même dialecte de la
langue berbère. Les premiers parlent le tarif t, le berbère du nord, et les autres le taš l t un
dialecte berbère du sud. Néanmoins, ces derniers sont considérés bilingues, car ils parlent aussi la
langue arabe (Moscoso 2002 : 11.).
5
À l’heure d’étudier le changement linguistique, il faut tenir compte que les variations réalisées
aux dialectes arabes sont d’abord influencées par le statut relatif des variétés linguistiques
marquées socialement, et pas par le statut des caractéristiques linguistiques par rapport à l’arabe
classique (Al Wer, 2002 : 46).
6
D’après P. Soddu (2002 : 20-21), il s’agit de 20 000 marocains qui traversent la frontière chaque
jour pour travailler ou faire des achats à Sebta (Sebta est le nom arabe de la ville de Ceuta. NDE).
62
LE PARLER ARABE DES JEUNES MUSULMANS DE CEUTA...
aux autorités espagnoles et marocaines, peuvent aller de l’autre côté de la
frontière, faire des achats, partir en vacances, etc., leur facilitant ainsi la traversée
de la frontière.
Par rapport au parler, d’une part, on peut constater une première évolution
en ce qui concerne l’arabe marocain dans l’imitation des traits des dialectes les
7
plus prestigieux du Maroc , et d’autre part, une deuxième évolution en ce qui
concerne la langue espagnole, avec l’apparition des pratiques langagières qui ont
8
des parallélismes dans des situations similaires . A cause de cela, on va trouver à
Ceuta des cas d’emprunts, d’interférences et de codeswitching, surtout dans les
cas du parler des plus jeunes qui se caractérise par une utilisation du
codeswitching arabe marocain-espagnol avec des fins identitaires (Vicente, 2004).
Ce panorama est le résultat du lieu de passage ou de transition où ils se
trouvent. La génération qui habite précisément dans une culture intermédiaire
entre la culture d’origine et la culture d’accueil, nommée « culture interstitielle »
(Billiez, 1992 : 117-126 repris par Calvet, 1994 : 269), est la même qui suit cette
double tendance dans son évolution linguistique.
Donc, on verra dans ce travail trois parties : la première qui va a décrire ce
processus de koinéisation qui caractérise les dialectes marocains. La deuxième qui
montre comment le dialecte de Ceuta évolue vers cette koinè marocaine, en
perdant beaucoup de ses traits ruraux surtout dans le parler des jeunes qui sont les
pionniers du changements linguistiques. Enfin, on verra comment cette situation
est différente de celle trouvée dans d’autres dialectes arabes en situation de
migration.
LE PROCESSUS DE KOINÉISATION DES DIALECTES MAROCAINS.
Par rapport à la langue arabe, la situation linguistique du Maroc est
normalement décrite à partir du fait que cette langue s’est étendue au Nord de
l’Afrique en deux vagues différentes, tant d'
un point de vue chronologique que
géographique. Par conséquent, on peut distinguer deux groupes des dialectes : les
préhilaliens ou sédentaires qui appartiennent à la première vague d’arabisation (au
VIIIe siècle), où il y a les dialectes urbains (il s’agit des vieilles cités Fès, Tétouan,
Tanger, Rabat, Salé, et des parlers juifs) et les dialectes ruraux (les parlers de
), et le hilaliens qui sont nommés dialectes bédouins parce qu’ils
appartiennent à la deuxième vague d’arabisation réalisée par des tribus arabes
(
) arrivées au Maghreb au XIIe et
XIIIe siècle. En plus, on sait bien que les parlers hilaliens (nommés aussi
)
sont assez homogènes, et que les variétés préhilaliennes montrent une relative
diversité.
Cette classification est admise communément, mais elle a été nuancée grâce
9
à l’avancée des connaissances sur la situation linguistique marocaine , ce qui veut
dire que cette simple dichotomie, parlers préhilaliens versus parlers hilaliens,
7
C’est à dire, les traits qui caractérisent soit la koinè casablancaise, soit le dialecte de Tétouan.
On trouve des situations similaires dans plusieurs pays de l’Europe, comme en France (voir
Boumans, Caubet, 2000) et aux Pays Bas (cf. Boumans, 1998).
9
Le travail plus récent de la situation linguistique du Maroc est celui de Heath (Heath, 2002). On
trouve ici une très bonne description des dialectes arabes musulmans et juifs de ce pays (sauf la
koinè).
8
63
ÁNGELES VICENTE
n’était pas suffisante pour décrire tous les dialectes du Maroc, car il y a aussi des
dialectes mixtes (Vicente, 2002). On connaît aussi la superposition des variétés
dialectales, par exemple, on peut souligner l’existence de dialectes préhilaliens
étant à la base d’un dialecte hilalien ; c’est le cas du Tadla ou Tafilalt (Lévy,
1993), mais aussi celui du dialecte de Marrakech dont l’évolution et la formation
ne se comprend pas sans connaître l’histoire de son peuplement.
Malgré ces inconvénients, cette classification antérieure nous est utile pour
avoir une idée générale et surtout pour nous aider à expliquer l’influence du
processus de koinéisation dans ce pays qui est la conséquence directe de plusieurs
phénomènes qui ont eu lieu au Maroc au XXe siècle, comme l’exode rural,
l’urbanisation et la grande mobilité tant géographique que sociale, ainsi que la
généralisation de l’éducation et la diffusion des média (radio, télévision et
journaux).
Ce processus consiste en une tendance à la généralisation des traits d’un
dialecte plus prestigieux, au détriment de ceux plus stigmatisés soit à cause de leur
origine rurale (par exemple, les dialectes montagnards septentrionaux), soit pour
faire partie d’un groupe social déterminé, par exemple, les dialectes juifs qui ont
presque disparu surtout à cause de l’immigration, mais aussi à cause de ce
processus d’assimilation linguistique.
La conséquence de tout cela est le surgissement d’une koinè, qui dans le
cas du Maroc ne se forme pas (comme on aurait pu le croire) autour des vieux
dialectes citadins, auparavant prestigieux mais est basée principalement sur les
dialectes bédouins connus comme
(« rural, bédouin ») qui se trouvent dans
la zone des plateaux septentrionaux du Moyen Atlas et une partie très significative
dans la côte Atlantique, car ils sont la principale source de traits phonologiques et
morphologiques de cette koinè émergente.
D’ailleurs, on voit que les dialectes urbains et ruraux, c’est-à-dire les plus
anciens, ont presque disparu surtout chez les générations plus jeunes, car les
dialectes des anciennes villes comme ceux de Tétouan, Rabat, etc., et les dialectes
des zones rurales, comme ceux de la région de
, sont stigmatisés, et révèlent
l’origine du locuteur. On a expliqué l’origine de cette koinè moderne comme étant
une variété parlée dans la zone centrale du Maroc partiellement urbanisée, donc
comme une variété issue de l’urbanisation, mais aussi comme étant le résultat des
effets d’une immigration rurale massive contribuant à l’expansion large des
parlers locaux. Elle s’est donc formée dans des villes comme Mekhnès et Fès
(même si elle n’est pas formée par les dialectes anciens des vieilles médinas), ou
comme Rabat et Casablanca qui, après leur croissance économique très forte, ont
eu leur propre immigration rurale. Cette koinè moderne est devenue la langue
véhiculaire de la plupart des habitants du Maroc, tant par les arabophones que par
les berbérophones. On a déjà eu quelques descriptions de cette koinè marocaine,
comme celle de Caubet (1993), qui disait : « on assiste à un phénomène de
koïnisation certain qui laisse cependant place aux particularismes (plus ou moins
accentués) qui caractérisent telle ville, telle communauté ou telle tribu » (Caubet,
1993 : I).
Le dialecte arabe arrivé à Ceuta avec les premiers immigrants marocains, et
parlé plus ou mois encore aujourd’hui par les habitants plus âgés de la ville, est un
dialecte de type préhilalien et rural. Cela est dû à la provenance de cette
64
LE PARLER ARABE DES JEUNES MUSULMANS DE CEUTA...
population, car, comme on a déjà dit, la plupart étaient originaires de la zone
rurale qu’il y a de l’autre côté de la frontière, la zone d’Anjra. Le dialecte de
Anjra (Vicente, 2000), comme celui de Chaouen (Moscoso, 2002), tous deux au
nord de la région de
, se caractérisent par une très forte influence de
l’andalou, par exemple sur leur système verbal, et ils sont des plus anciens et des
plus conservateurs de la région.
Cependant, la langue des jeunes musulmans de Ceuta est en train d’évoluer,
perdant beaucoup de ses traits ruraux et adoptant les traits de la koinè. Cette
évolution est attestée partout au Maroc, mais ce qui arrive à Ceuta est différent
pour deux raisons :
a) la première est que cette évolution est l’effet d’une double influence l’une
provient du dialecte de Tétouan, le plus prestigieux du nord du Maroc, et l’autre
de la koinè marocaine très probablement à travers le dialecte cité ci-dessus ;
b) et la deuxième raison est qu’il s’agit, comme l’on a déjà dit, d’un dialecte
en situation de migration, qui se développe dans une situation de langue
minoritaire, comme ceux qui existent dans les communautés marocaines de la
diaspora.
LE DIALECTE ARABE DE
PARLER DES ANCIENS.
CEUTA :
LE PARLER DES JEUNES FACE AU
On va décrire maintenant quelques aspects du parler des jeunes de Ceuta et
de ses différences avec celui des plus âgés. En réalisant cette comparaison, on va
voir que les conséquences de l’action du processus de koinéisation sur le parler
jeune de Ceuta sont de deux types : le changement de quelques variantes
diastratiques d’après le genre qui sont devenues variantes diastratiques d’après
l’âge, et l’adoption de quelques caractéristiques d’autres dialectes plus
prestigieux. Ces deux phénomènes ont provoqué la disparition de quelques
variables considérées comme archaïques ou très locales que l’on trouve dans le
dialecte rural parlé pour les plus âgés mais qui ont disparu chez les plus jeunes.
La disparition de la palatalisation de /a/.
Cette première variable appartient au domaine de la phonétique et consiste en
la disparition de la palatalisation de /a/ en fin de mot et de phrase.
Ce trait est caractéristique du parler féminin de quelques dialectes ruraux du
10
nord du Maroc (comme c’est le cas d’Anjra ) et des dialectes juifs (par exemple,
11
les parlers judéoarabes de Sefrou et de Mekhnès ), qui aujourd’hui est en voie de
disparition à cause précisément du processus de koinéisation déjà cité. On voit
donc que cette palatalisation est une variante de type diastratique déterminée par
le genre ou le groupe social, et existant dans quelques dialectes sédentaires
anciens et encore peu touchés pas la koinéisation Également, lorsqu’il s’agit de
dialectes musulmans, c’est aussi une variante qui distingue rural versus urbain, car
elle n’existe pas dans les dialectes des villes anciennes, comme par exemple celui
de Tétouan (Singer, 1958). Il faut dire aussi qu’elle n’est pas une variante
diatopique, car elle n’est pas exclusive des dialectes occidentaux mais elle existe
10
11
Pour les dialectes ruraux voir, (Vicente, 2002 : 338).
Pour les juifs, voir (Stillman, 1981 : 236) et (Lévy, 1994 : 273).
65
ÁNGELES VICENTE
aussi dans les dialectes arabes orientaux, c’est le cas de quelques dialectes ruraux
d’Égypte face au dialecte du Caire où cette variable n’existe pas (Woidich, 1994 :
499).
Pour le parler de Ceuta la situation est la suivante : on voit que ce trait existe
encore chez les femmes les plus âgées, mais qu’il a disparu chez les plus jeunes
tant chez les garçons que chez les filles ; ce qui veut dire qu’il n’est plus une
variante diastratique déterminée par le genre (sauf encore chez les plus âgés) du
parler jeune de cette ville, comme c’est le cas au nord du Maroc (Vicente, 2002 :
338), mais une variante déterminée par l’âge, en distinguant les parlers des deux
groupes d’interlocuteurs.
Cette palatalisation est une réalisation de /a/ vers /æ/ ou /i/.
Chez les femmes les plus âgées :
•
au lieu de
« apporte-moi un peu »
•
au lieu de
« une grande maison »
•
au lieu de
« chez nous »
•
au lieu de
« il a vu la ville »
•
au lieu de
« nous avons
préparé le dîner »
•
•
allons »
au lieu de
au lieu de
« nous nous en
« son mari »
Chez les plus jeunes :
•
« chez la grand-mère »
•
« dans l’après-midi »
•
« après demain »
•
«sa maison »
Les diphtongues.
Ce deuxième cas est aussi lié à la phonétique. Dans les dialectes maghrébins,
la situation des diphtongues est complexe (Marçais, 1977 : 17) ; on constate
l’existence de diphtongues diachroniques qui peuvent se maintenir ou disparaître,
et aussi l’apparition de diphtongues de création synchronique à partir de voyelles
qui se scindent ou «d’accidents morphologiques » (Caubet, 1993 : 26). Cependant,
on peut affirmer que les diphtongues ont généralement disparu des dialectes
sédentaires (ayant comme résultat la réduction vers une voyelle longue), mais
qu’elles existent chez les Bédouins (Aguadé, 1998 : 144) ; par contre on constate
quelques exceptions qui donnent une vue d’ensemble plus complexe comme, par
exemple, les dialectes montagnards dans lesquels elles peuvent disparaître ou se
conserver, ou les parlers féminins dans lesquels leur apparition est devenue une
variante caractéristique (Cohen, 1973 : 219).
Dans ce cas, je vais faire référence aux diphtongues qui appartiennent à la
catégorie appelée par Ph. Marçais « diphtongues secondaires », c’est-à-dire, celles
qui n’existent pas du point de vue diachronique et qui sont le résultat de
66
LE PARLER ARABE DES JEUNES MUSULMANS DE CEUTA...
l’évolution synchronique de diphtongaison d’une voyelle . Ce sont les
diphtongues / y/ et / w/ qui formées par une voyelle brève et une semi-consonne,
procèdent de /-i/ et /-u/ finales et en fin de phrase et apparaissent dans n’importe
quel environnement consonantique.
À Ceuta, comme à Anjra (Vicente, 2002 : 339), les informateurs qui
prononcent ces diphtongues sont les mêmes qui réalisent la palatalisation de /a/,
ce sont généralement les femmes âgées. Donc, on trouve la même situation que
celle décrite ci-dessus : la disparition d’un trait chez les jeunes qui, à cause de
l’influence du processus de koinéisation, est devenue une variante en fonction de
l’âge, tandis qu’auparavant il était une variante diastratique déterminé par le genre
chez les plus âgés.
12
Chez les femmes âgées :
•
« ma tête »
•
« tôt »
•
« chevreau »
•
« mon cube »
•
« rien »
•
« nous faisons des achats et prenons notre petit
déjeuner »
Chez les plus jeunes, ces mots sont réalisés de la façon suivante :
•
« ma tête »
•
« tôt »
•
« chevreau »
•
« mon cube »
•
rien »
•
« nous faisons des achats et prenons notre petit
déjeuner »
La voyelle prothétique / / à l’impératif.
Aux dialectes ruraux et septentrionaux marocains, ce temps verbal est
quelquefois formé avec une / / prothétique dont l’origine est considérée yéménite.
Cette caractéristique pénétra au nord du Maroc à travers le dialecte andalou
13
(Vicente, 2000 : 65-66) , où son existence a déjà été montrée par F. Corriente
(Corriente, 1989 : 95). Cette voyelle existe aujourd’hui dans les dialectes d’Anjra
et de Chaouen (Vicente, 2000 : 64-66 et Moscoso, 2002 : 73-74), et plus
concrètement il faut dire qu’elle apparaît dans les schèmes des verbes de type
trilitères, assimilés et défectueux. Par contre, cette caractéristique n’a pas été
recueillie pour l’instant dans d’autres dialectes du Maroc, mais elle existe dans
12
D’après Marçais (1977 : 18) : « C’est l’évolution rigoureusement inverse de la réduction de l’état
de diphtongue à l’état de voyelle longue (…) : une voyelle longue se scinde en deux éléments ».
Dans ce cas, la voyelle qui se scinde n’est pas longue parce qu’elle est située en fin de mot où la
quantité vocalique est neutralisée en dialecte marocain (Caubet, 1993 : 25).
13
On a éliminé une origine berbère car l’impératif dans cette langue est formé avec les suffixes em /-m. (Laoust, 1927 : 183).
67
ÁNGELES VICENTE
d’autres dialectes préhilaliens maghrébins, comme par exemple quelques parlers
14
juifs (ex. : ceux de Tunis et de Argel ).
A Ceuta, cette caractéristique existe encore dans le parler des aînés (surtout
chez les femmes, la même situation trouvée à
), mais pas du tout chez les
plus jeunes. Ce qui veut dire que l’on a ici encore un trait qui différencie le parler
jeune du parler ancien dont résulte la disparition d’un élément très local qui
dénonce la ruralité de l’interlocuteur.
Chez les plus âgés :
•
« fais quelque chose ! »
•
!" « éteins la cassette ! »
•
" « taisez-vous ! »
•
#
« va-t-en d’ici ! »
•
$ % « achète le pain ! »
-Chez les plus jeunes :
•
$ % "&
« donne lui du pain et des dattes ! »
•
& « dors et tais-toi! »
• &
'
« écris la lettre vite ! »
•
( )
(
)
(
* « nettoie,
nettoie la rampe, fait la briller ! ».
•
$
#
% % + «sors et fais comme ça dans la
rue! »
Les désinences à l’accompli.
Dans les dialectes ruraux du nord du Maroc, et par conséquent chez les
personnes plus âgées de Ceuta, la désinence de la première et deuxième personne
du singulier à l’accompli est la même –&, tandis que dans le parler jeune de Ceuta
on trouve une différence entre –& comme désinence pour la première personne et
–&i pour la deuxième toujours au singulier. La forme commune est très habituelle
15
dans quelques dialectes sédentaires maghrébins, tant ruraux que juifs , tandis que
l’utilisation de –&i pour la deuxième personne est un trait très généralisé
aujourd’hui partout au Maroc. Il existait d’abord aux dialectes hilaliens, comme
par exemple celui de Casablanca (Aguadé, sous presse), en passant après á la
koinè et d’ici à quelques dialectes préhilaliens urbains comme celui de Tétouan
(Heath, 2002 : 220 et Caubet, 1993 : 31). On trouve aussi au Maroc quelques
autres dialectes hilaliens qui font une distinction entre les genres à la deuxième
personne du singulier de cette conjugaison suffixale, avec –& au masculin et –&i
,
et les parlers de la
au féminin par exemple on a le cas de Sk ra, le
16
vallée du
.
14
Pour le dialecte juif de Tunis voir Cohen (1975, II : 94) et pour celui d’Argel Cohen (1912 :
247).
15
D’après Corriente (1992 : 35), la confusion de genres caractéristique des dialectes préhilaliens
marocains est une influence de l’andalou sur les dialectes du nord de l’Afrique.
16
Celui est le cas par exemple du dialecte de Sk ra (Aguadé/Elyaacoubi, 1995 : 37 et Caubet
(1998 : 168).
68
LE PARLER ARABE DES JEUNES MUSULMANS DE CEUTA...
Or, on a ici l’exemple de l’influence des dialectes plus prestigieux sur le parler
des jeunes de Ceuta, il faut dire que cette influence peut et a pu se produire soit
par l’intermédiaire du dialecte de Tétouan, soit par celui de la koinè.
Chez les plus âgés :
•
&
« tu as mis le foulard sur ta tête »
•
&
"
"* « tu as pris un taxi pour aller
au centre ville »
•
& "&
&&
« tu as commencé apprendre un peu »
•
&
, « est-que tu es y allée avec ton mari ?
•
&
, « est-que tu es venu tout seul ? »
Chez les plus jeunes :
•
+& #
- *
« tu es resté comme ça chez mes
cousins »
•
&
*
*
« tu as rempli ta poche »
• &
& &
« tu as appris y aller »
•
&
&
« tu es y allé avec ta tante »
•
&
, « est-que tu as préparé ma repas ? »
Le préverbe de l’inaccompli.
Finalement, et aussi à cause de l’influence des dialectes plus prestigieux,
on trouve des différences dans l’utilisation du préverbe de l’inaccompli. On a
beaucoup écrit sur les valeurs de ce préverbe dans les dialectes arabes et ses
différentes formes, par exemple, le travail de Colin sur les diverses formes de ce
17
préverbe aux dialectes préhilaliens (cf. Colin, 1935) . Aujourd’hui, on a
différentes formes en concurrence et dépendant de la zone du pays. Au sud du
Maroc, il y a
et " ) pendant qu’au nord du pays c’est
et
les
préverbes plus habituels. A la koinè on trouve normalement la forme
(voir,
Caubet 1993 : 32).
À Ceuta, on peut voir l’existence des deux préverbes caractéristiques du
nord, c’est-à-dire
et
mais avec un net recul du deuxième, car il n’existe
que dans le parler des plus âgés, où quelquefois il disparaît aussi. On voit donc
une utilisation du préverbe
très généralisée, surtout dans le parler jeune,
comme il arrive par ailleurs au Maroc, dont la cause est l’influence d’un dialecte
18
marocain plus prestigieux .
Chez les plus âgés :
•
&
&
« la fille va à la maison »
•
++ #
« nous la préparons avec les enfants »
•
&
+
« les filles se lèvent tôt »
•
« quelqu’un vient »
17
Voir aussi Ferrando (1995-96) et Aguadé (1996).
Les différences diastratiques d’après le genre et l’âge dans l’utilisation du préverbe à
l’inaccompli sont très habituelles dans les dialectes marocains (Vicente, 2002 : 339-340).
18
69
ÁNGELES VICENTE
•
+
terre et les faisons frire »
+ # « nous épluchons les pommes de
Chez les plus jeunes :
•
"&
.%
!"
« jusqu’à ce que quarante jours soient
passés »
•
+
« lorsque la fête de
s’approche »
•
#
« ils égorgent les agneaux »
•
« il nous donne de l’argent »
•
&
%%
« nous déjeunons
là-bas avec notre grand-mère et nous tous »
LES DIALECTES ARABES EN SITUATION DE MIGRATION.
Cette situation sociolinguistique de la ville de Ceuta ne coïncide pas avec
toutes les autres situations où la langue arabe est rencontrée comme langue
minoritaire, c’est-à-dire, en migration. Les différentes communautés marocaines
en Europe montrent des aspects très différents, cependant on peut citer aussi
quelques caractéristiques communes.
On peut dire donc que, du point de vue sociolinguistique, une communauté
19
marocaine dans la diaspora n’est pas un miroir de la situation du pays d’origine .
Il y a des facteurs qui influent, comme par exemple l’ordre d’arrivée des
immigrants et les zones de provenance du pays d’origine (Boumans et De Ruiter,
2002 : 262). D’après Boumans (Boumans et De Ruiter, 2002 : 267), les
communautés marocaines en Europe sont du point de vue linguistique très
diverses et l’usage du dialecte marocain comme langue véhiculaire entre tous les
marocains, comme c’est le cas au Maroc, n’est pas très évident. Quelquefois c’est
20
la langue majoritaire, une langue européenne généralement, qui joue ce rôle .
Cela est dû, bien évidemment, à des raisons pratiques.
La situation sociolinguistique de la communauté arabophone de Ceuta est
différente, ce qui a des conséquences sur l’évolution du dialecte arabe parlé dans
la ville. La première différence est que cette communauté linguistique est plus
homogène que celles qui sont présentes en Europe. Il y a bien sûr des gens de
diverses provenances, comme l’on a déjà dit, du R f ou du S s, mais le groupe
plus important est originaire de
. De plus, ces personnes, arrivées du Maroc
appartiennent presque toutes à la génération la plus âgée. Cependant, la plupart
des jeunes sont nés en ville, et c’est pourquoi leur profil sociolinguistique est très
similaire : ils apprennent comme langue maternelle un dialecte arabe, ensuite leur
parler évolue dans la rue dépendant plus au moins de leurs allers et retours au
19
Voir, par exemple, Boumans et De Ruiter (2002 : 265) : « The second génération Moroccans in
the Netherlands speak varieties of Arabic, Berber and Dutch that diverge more or less from how
these languages are spoken by monolinguals in Morocco and the Netherlands ».
20
Par exemple, quelquefois la présence et l’importance de berbérophones est plus grande en
proportion à l’étranger qu’au Maroc. Ces gens peuvent parler un dialecte berbère comme langue
maternelle et une langue européenne, mais pas nécessairement le dialecte marocain. Cette situation
au Maroc est pratiquement impossible parce que le dialecte arabe est déterminant pour le
déroulement de la vie quotidienne.
70
LE PARLER ARABE DES JEUNES MUSULMANS DE CEUTA...
Maroc et de leurs relations avec leurs pairs. Ils apprennent également la langue
21
espagnole à l’école , avec laquelle ils font un codeswitching continu dans leur
22
discours .
Par conséquent, la plupart des jeunes de Ceuta sont exposés à plusieurs
degrés de connaissance du dialecte arabe et de l’espagnol, mais en général on peut
dire qu’une grande majorité comprend les deux langues, et que beaucoup d’entre
eux parlent l’espagnol mais pas toujours l’arabe. Ceci est un autre exemple du
bilinguisme passif très fréquent dans les zones bilingues.
La littérature est abondante sur le codeswitching dès lors qu’un dialecte
arabe est une des langues en présence et que divergent des contextes
sociolinguistiques. Ces études portent habituellement sur une variété de l’arabe
comme langue d’origine et sur une langue européenne comme langue superposée.
Mais ici il y a deux situations distinctes : d’un part, il faut distinguer un contexte
avec la présence du français ou de l’anglais comme langue d’éducation ainsi que
dans les média de divers pays arabe, et d’autre part, la situation des immigrants
bilingues, comme par exemple ceux qui font partie des communautés marocaines
en Europe. Dans le premier cas, la langue arabe est la langue majoritaire, c’est-àdire la langue de la vie quotidienne, alors que, dans le deuxième cas, elle est une
langue minoritaire. C’est dans cette dernière catégorie qu’il faut considérer
l’évolution du dialecte arabe parlé à Ceuta.
L’autre spécificité de Ceuta par rapport aux autres communautés marocaines
en migration est l’importance de sa situation géographique. Comme cela a été dit
précédemment, c’est cette position privilégiée qui engendre les caractéristiques
sociolinguistiques si intéressantes de cette ville. En général, on constate la perte
progressive de la langue d’origine si fréquente dans d’autres contextes
d’immigration où le contact avec l’arabe n’est pas très habituel. À Ceuta, ce n’est
pas aussi flagrant, malgré la situation de langue minoritaire impartie à l’arabe,
sans doute grâce au contact habituel avec le dialecte marocain.
En revanche, dans un autre contexte, une langue minoritaire, comme c’est le
cas d’un dialecte arabe en migration, se place dans une position plus précaire à
cause de l’influence des média qui contribue à la diffusion d’autres langues.
Cependant, il faut dire que cette situation de menace pour les dialectes arabes en
situation minoritaire est un produit de la globalisation mais pas de l’immigration ;
car les situations de bilinguisme existent depuis longtemps, comme le rappelle
Procházka : « the examples of Cypriot Arabic or Anatolian Arabic show that, even
for the non-written Arabic dialectes, it was possible to survive in a bilingual
environment for many centuries » (Procházka, 2002 : 139).
CONCLUSION
L’homogénéité qu’on trouve dans la situation sociolinguistique des jeunes
de Ceuta est un facteur de cohésion qui a une influence sur l’évolution du
dialecte : d’abord, dans l’adoption de nouvelles caractéristiques et la disparition
de celles qui sont perçues comme archaïques ou très locales habituellement
21
Les écoles de Ceuta suivent le système scolaire espagnol où il n’y a aucun enseignement officiel
de la langue arabe, ni l’arabe littéraire, ni l’arabe vernaculaire.
22
Sur le profil linguistique des jeunes de Ceuta, voir Vicente (2004).
71
ÁNGELES VICENTE
attribuées à la koinè marocaine. Ensuite dans la grammaticalisation des schèmes
différents dans le mélange ou codeswitching des deux langues en présence
23
l’espagnol et le dialecte arabe .
Cependant, pour mieux comprendre l’évolution d’un dialecte arabe dans
cette situation d’alternance codique avec une autre langue, il faut prendre en
considération, d’une part, le statut différent de la langue arabe majoritaire versus
la langue minoritaire, mais aussi, d’autre part, d’autres aspects, comme
l’homogénéité de la communauté par rapport à sa provenance, son profil
sociolinguistique, et sa situation géographique. Comme on vient de le montrer
avec le cas décrit ici : « clearly, linguistic change in Arabic is governed by a
multitude of social, political, sociopsychological and linguistics factors peculiar to
each Arab society and Arabic dialect » (Al Wer, 2002 : 43).
Dans le parler arabe des jeunes musulmans de Ceuta, on peut percevoir
l’influence croissante des changements linguistiques que l’on trouve dans le pays
voisin, le Maroc. De plus, il faut souligner que cette influence est le fait des
dialectes les plus prestigieux, c’est-à-dire, soit du dialecte de Tétouan, qui est le
plus proche et qui peut être considéré comme une espèce de koinè septentrionale,
soit de la koinè marocaine très probablement à travers le dernier.
Pour lors, on peut dire que le parler des jeunes de Ceuta est un exemple clair
d’un dialecte en évolution et surtout d’un dialecte mixte, et on peut donc affirmer
que la lingua franca des jeunes musulmans de cette ville est le dialecte arabe,
mais bien sûr, très mélangé avec la langue espagnole. C’est précisément ce statut
de langue véhiculaire qui lui donne la possibilité d’évoluer, tout en suivant les
changements du dialecte plus proche (tant au plan géographique que linguistique),
c’est-à-dire le dialecte marocain.
Les cas comme celui des parlers arabes de Ceuta soulèvent la question de
savoir si les parlers arabes en migration sont plus statiques que ceux du pays
d’origine. Ils peuvent nous aider également à étudier quelques caractéristiques des
parlers maternels qui ont déjà disparu au Maroc. On peut citer comme exemple, le
cas exposé par Boumans (Boumans, 2002 : 272), qui trouve que la construction
synthétique de génitif est plus utilisée par les jeunes bilingues du Pays Bas que par
les jeunes monolingues du Maroc. Mais ce n’est pas le cas de Ceuta, dont le
dialecte est intéressant pour d’autres raisons.
Par ailleurs, on a constaté aussi que l’âge est une variante diastratique très
importante dans l’évolution synchronique du parler de Ceuta, pendant que chez
les plus jeunes la variante liée au genre a disparu. Dans le Maroc rural et chez les
musulmans les plus âgés de Ceuta, les variantes relatives au genre sont le résultat
24
de la ségrégation sexuelle si caractéristique des zones rurales du nord de Maroc .
23
D’abord, dans l’adoption de nouvelles caractéristiques, ensuite dans la disparition de celles qui
sont archaïques ou très locales, comme les cas déjà vus ci-dessus, normalement dû à l’influence de
la koinè marocaine. L’influence de la langue maternelle d’autres conséquences sur l’espagnol
qu’ils parlent. Par exemple, on assiste à la grammaticalisation de quelques schèmes dans le
mélange ou codeswitching des deux langues en présence l’espagnol et le dialecte arabe ; ainsi les
jeunes disent « cortar los billetes » pour dire « acheter les billets », qui est un calque sémantique
du marocain nq t u l-w rqa.
24
Sur la situation de la femme dans la société rurale marocaine, voir. El Harras (1996 : 44).
72
LE PARLER ARABE DES JEUNES MUSULMANS DE CEUTA...
Cette situation permet le maintien de certains traits chez les femmes, traits qui ont
disparu chez les hommes, à cause de la mobilité masculine en opposition avec
l’enfermement des femmes.
L’influence de la koinè est donc plus grande sur les parlers masculins que
sur les parlers féminins, comme cela avait déjà été affirmé par D. Cohen (Cohen,
1973 : 237-238). Mais pour l’heure, on observe, à Ceuta une situation inverse :
avec la presque disparition de la ségrégation sexuelle dans la vie sociale de cette
ville, les différences entre les parlers des femmes et des hommes pour les
nouvelles générations ont aussi disparu. Aujourd’hui, les différences sont plus
remarquables entre les jeunes, qui sont plus proches de la koinè du Maroc, et les
générations les plus âgées qui sont les plus conservatrices des caractéristiques
rurales, et les femmes particulièrement.
Finalement, le rapport avec la langue espagnole est analogue, alors que les
jeunes sont bilingues ou presque, ils utilisent principalement un discours
codeswitché pour communiquer avec leurs pairs ; les plus âgés ne parlent presque
pas l’espagnol et, au lieu de faire du codeswitching, ils utilisent des emprunts à
l’espagnol dans un discours en dialecte arabe.
Ángeles Vicente
[email protected]
73
Bernard Lamizet
Institut d’Études Politiques de Lyon (France)
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE
»?
INTRODUCTION : PARLER, PAROLE, LANGUE, LANGAGE
Commençons par le commencement : définissons les mots que nous allons
employer ici, car il ne s’agit pas de mots simples, et, surtout, il s’agit de mots
chargés de connotations et de définitions dans l’histoire des sciences des hommes
et des sociétés. Si ces termes revêtent une telle importance, c’est qu’ils désignent
les pratiques fondatrices, les moments qui nous instituent dans les identités dont
nous sommes porteurs aux yeux des autres et à nos propres yeux.
Le langage est l’ensemble des pratiques symboliques par lesquelles le sujet
représente son identité, pour les autres et pour soi-même. Le langage est bien, en
ce sens, une institution : une médiation symbolique de l’appartenance sociale.
C’est notre langage qui constitue l’ensemble des formes et des pratiques par
lesquelles notre identité acquiert sa consistance et peut, dès lors, faire l’objet
d’une reconnaissance – que l’on appelle, d’ailleurs, identification. Si elle est,
d’abord, singulière, l’identification qui donne naissance au sujet est, ainsi,
d’abord, le moment singulier de l’identification spéculaire à l’autre, par laquelle le
petit de l’homme devient un sujet lors de la découverte du miroir. C’est dans un
second temps que l’identification ne sera plus seulement singulière, mais que,
collective, elle sera la médiation par laquelle nous exprimerons les appartenances
et les sociabilités dont nous serons porteurs tout au long de notre existence. Et,
parmi elles, la jeunesse qui fait l’objet, sans doute comme la vieillesse, d’une
reconnaissance sociale un peu particulière, puisqu’elle est, comme la vieillesse,
structurée par des institutions, des normes, des lois, des médiations, qui lui sont
propres. C’est pourquoi le langage de la jeunesse, le langage des jeunes peut se
comprendre comme l’ensemble des pratiques symboliques mises en œuvre dans
les lieux où se reconnaissent les jeunes.
La langue est une médiation politique qui exprime l’appartenance sociale à
un territoire. On parle la langue d’un pays quand on l’habite ou qu’on y séjourne,
parce que ce pays est politiquement structuré par cette langue. La langue est
instituée dans un pays par le pouvoir qui s’y exerce et qui y définit la citoyenneté.
C’est, justement, pourquoi il ne saurait y avoir de langue des jeunes, car
BERNARD LAMIZET
l’existence d’une langue suppose l’institution d’une identité politique dans un
territoire. C’est en ce sens que, classiquement, la langue se distingue de la parole.
La parole est la mise en œuvre singulière d’une langue par un sujet parlant, au
cours de l’événement particulier que représente son usage au cours d’une situation
de communication. La parole est l’événement singulier de l’appropriation
singulière de la langue.
C’est ici que l’on pourrait définir les deux termes qui sont à la marge : le
parler et lalangue. Lalangue est le néologisme forgé par Lacan pour désigner
l’ensemble des pratiques singulières de la langue par un sujet. En effet, à travers
les événements au cours de laquelle le sujet met en œuvre la parole, que Michel de
Certeau avait, jadis, appelé la prise de parole, on peut reconnaître des cohérences,
des continuités, des permanences qui, comme le temps long de Braudel, font
apparaître l’expression d’une identité de la subjectivité et du désir qu’elle exprime
dans son usage de la langue et du langage. Le parler serait une autre forme
d’appropriation symbolique : il ne s’agirait pas, comme lalangue, d’une
appropriation singulière, mais de l’inscription d’une identité dans le langage. Le
parler pourrait, alors, se définir comme l’ensemble des pratiques symboliques
(parole et autres pratiques symboliques) par lesquelles nous pouvons exprimer
notre identité et la faire reconnaître des autres dans l’espace public de la
sociabilité.
L’IDENTITÉ DES « JEUNES » EXISTE-T-ELLE ?
Il existe des médiations linguistiques de l’identité et de l’appartenance : des
formes et des pratiques qui inscrivent dans la langue les représentations des
appartenances dont nous sommes porteurs. Dans ces conditions, la question est de
savoir si l’on peut parler d’une identité des jeunes, et si l’on peut parler d’une
identité particulière. Sans doute faut-il suggérer un concept particulier d’identité
symbolique et linguistique, qui se structurerait de la façon suivante.
Le concept d’identité renvoie à une dialectique entre notre dimension
subjective et singulière et notre dimension sociale, politique et collective. Sur le
plan des formes que peut revêtir une telle dialectique dans nos usages de langue et
de parole, on peut schématiser la construction linguistique de l’identité de la façon
suivante. L’identité linguistique consiste dans une dialectique entre deux formes
de conscience symbolique. La première est d’ordre singulier, et a à voir avec notre
désir. Elle représente l’ensemble des représentations de notre propre subjectivité
dont nous pouvons être nous-mêmes porteurs dans nos relations avec les autres :
elle se fonde sur l’image de soi, que nous construisons à partir de l’expérience
originaire du miroir, dans nos relations avec les autres, mais aussi dans notre
façon d’éprouver nos désirs et sentiments et d’assumer nos pratiques singulières.
La seconde est d’ordre collectif, et a à voir avec nos appartenances et nos
pratiques sociales, avec notre conscience d’appartenance sociale et politique, telle
qu’elle s’exprime dans notre engagement dans des formes et des pratiques de
communication inscrites dans l’espace public, et dans notre appartenance à un
espace dans lequel se définit et s’affirme notre identité singulière, au sein de la
filiation.
Le concept d’identité peut se définir comme une dialectique entre la vérité
dont est porteur un sujet, et qui définit sa place dans les espaces de
76
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE »
communication dans lesquels il s’inscrit et la dimension politique qui le fonde par
la médiation de ses appartenances et des liens sociaux dont il est porteur. C’est
dans ce cadre qu’il convient de poser la question de la reconnaissance d’un groupe
d’âge comme identité. Cela peut se faire par le constat de leurs choix politiques
(et, en particulier, de la question de l’inscription sur les listes électorales), de leurs
pratiques culturelles, de leurs activités de communication et de représentation.
On peut définir les « jeunes » comme les sujets dont les pratiques et les
investissements symboliques ne sont pas stabilisés entre les deux espaces de
l’identité. Sans doute le « jeune » est-il celui qui est en train de découvrir les
espaces publics, entre les lieux de sa filiation et ceux qui seront ceux de ses
appartenances. Être « jeune » consiste à se reconnaître porteur d’une identité en
transition : il s’agit de ne se reconnaître dans aucune forme stabilisée d’identité
sociale et culturelle et, par conséquent, à se reconnaître une identité en mutation.
C’est en ce sens, et avec cette dimension proprement transitoire, qu’existe
l’identité « jeune ». Sans doute faut-il, en ce sens, distinguer deux concepts de
jeunesse. Le premier renvoie à un âge, ou, plutôt, à plusieurs âges. Il renvoie à un
état de développement de la personnalité, et, en ce sens, il est extrêmement
difficile de le définir et de la stabiliser. Affaire de culture, de psychanalyse, de
développement de nos capacités et de nos désirs. Le second concept est affaire
moins d’âge et de développement de la personnalité que de pratiques et de
représentations, et, en ce sens, il relève de logiques politiques, institutionnelles et
culturelles. C’est à ce second type de définition du concept d’âge qu’appartient le
concept de « jeune » que nous définissons comme une identité en transition. Il
s’agit, finalement, de définir moins une appartenance qu’une absence
d’appartenance, qu’une sociabilité en mutation. C’est dire la difficulté de définir
un langage des jeunes, puisqu’une telle identité ne saurait s’identifier à un type
homogène de pratique linguistique et d’usage culturel.
L’identité « jeune » renvoie, ainsi, à des sujets qui n’assument pas une
appartenance sociale définitive. Ils s’inscrivent, en revanche, dans des pratiques
culturelles et symboliques instables qui assument différents espaces sociaux
d’appartenance et de sociabilité, selon les pratiques, selon les relations, selon les
désirs.
On peut, ici, citer trois exemples de ce concept, que l’on pourrait désigner
par le terme d’identités nomades, ou de nomadisme identitaire.
Le premier exemple est l’articulation, dans l’image sociale de soi, du
costume et de l’habillement et des objets constitutifs de ce que l’on peut appeler
« l’être au monde social » : les ornements et les bijoux, la coiffure, ou encore les
accessoires comme le téléphone portable. Les « jeunes » revendiquent, plus que
d’autres âges de la société, une mode spécifique et souvent complexe. Sans doute,
même, sont-ils les éléments les plus dynamiques et les plus novateurs de la société
dans la découverte et d’adoption de nouveaux vêtements et de nouvelles pratiques
d’habillement. Ce dynamisme particulier de la mode vestimentaire peut
s’interpréter de deux façons. D’une part, on peut le considérer comme le fait, pour
une certaine population, de toujours courir après la nouveauté, et de se poser,
ainsi, en contestation ou en mise en cause de ce que l’on pourrait appeler un
certain immobilisme vestimentaire. Mais, d’autre part, on peut considérer ce
77
BERNARD LAMIZET
dynamisme comme une aptitude particulière à adopter des habillements différents,
c’est-à-dire des formes différentes d’identité, telles que l’identité se donne à voir
dans cette « scène » particulière que constitue l’espace public, la rue.
Il y a une « mode jeune », ou, plus exactement, ce que l’on peut appeler un
usage jeune de la mode, si l’on considère la mode comme une médiation
vestimentaire de la sociabilité. Cette spécificité de la mode des jeunes fait,
d’ailleurs, l’objet d’une appropriation dans les représentations publicitaires de la
mode vestimentaire, et constitue une véritable norme dans l’évolution de la mode
vestimentaire. La « mode jeune », qui fait l’objet, d’ailleurs, d’une codification
assez stricte dans les médias, en particulier dans la presse magazine et dans la
publicité, présente trois caractéristiques, éminemment porteuses de sens. D’une
part, elle affiche une rupture par rapport aux normes et aux usages de ce que l’on
peut appeler « la mode établie », en particulier dans le choix des couleurs, dans
l’usage des formes vestimentaires et dans la mise en valeur du corps par le
vêtement, par la revendication d’une mode dynamique et inscrite dans la
perspective d’une grande mobilité du corps. « À quoi ça sert d’imaginer des
vêtements si on peut rien faire dedans ? », demande une marque de vêtements
pour enfants ? D’autre part, la « mode jeune » s’affiche par des attitudes et une
exhibition du corps qui souligne à la fois son agilité et son intention de s’inscrire
pleinement dans l’espace par le mouvement et par des positions théâtralisées.
C’est le cas, par exemple, de l’attitude des deux personnages mis en scène par une
1
photographie publicitaire destinée à une marque de jeans .
Quant aux ornements et aux accessoires, que l’on peut définir comme la
« mode non vestimentaire », on peut les analyser comme des objets de mise en
scène dans l’espace public. Les ornements et les accessoires représentent, comme,
d’ailleurs, au théâtre ou au cinéma, ce que l’on peut appeler l’amplification
sémiotique du corps. Ils représentent ce qui inscrit le corps dans une présence
dans l’espace, sémiotisée, précisément, par les ornements et les accessoires qui, en
accompagnant le corps, assurent, en quelque sorte, sa mise en scène dans l’espace
public représenté. C’est ainsi que les ornements et les accessoires accompagnent
le corps dans l’espace de la représentation, comme pour porter une partie de la
signification « jeune » dont il peut être porteur. Un lecteur-graveur de DVD, des
représentations de téléphones portables, la référence à une « série culte »,
constituent autant d’exemples de telles représentations censées mettre en scène
une « culture jeune » ou, plutôt, une « sociabilité jeune », telle qu’elle peut
apparaître dans les figures normatives de la publicité. Surtout, ils mettent en scène
la mobilité des personnages qui les utilisent ou qui les mettent en œuvre dans leur
activité sociale (téléphones portables, fenêtre ouverte et référence à un caméscope
mobile, etc.). Les accessoires fonctionnent dans cette sémiotique de la jeunesse
comme des signifiants objectaux, susceptibles d’éveiller, en même temps, et l’un
parce que l’autre, le sens et le désir, par rapport à l’identité jeune qu’ils
contribuent à mettre en scène dans l’espace médiaté de la représentation. Les
objets et les accessoires sont, en l’occurrence, fondamentaux, parce qu’ils
1
Cette publicité par affiche mettait en scène deux enfants en train de se livrer, en portant des jeans,
à des exercices sportifs de nature à considérablement solliciter l’agilité de leur corps.
78
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE »
définissent, en même temps que la figure de la personne qu’ils accompagnent, les
pratiques sociales et culturelles censées constituer son identité.
La seconde illustration de ce nomadisme identitaire est l’importance de la
fonction mimétique dans la culture « jeune ». Identité en transition, la jeunesse se
définit comme une succession de passages d’un âge à l’autre, et, en ce sens, se
fonde en grande partie sur des processus mimétiques d’identification. Le
mimétisme se distingue de l’identification, en ce qu’il ne s’agit pas de s’instituer
une identité symbolique, mais de jouer une identité pour se la construire. L’enfant
commence par imiter les autres, il commence par un moment mimétique, et c’est
seulement quand il assume ce mimétisme dans ses pratiques et son activité de
représentation, quand il lui donne du sens, qu’il passe du moment mimétique au
stade du miroir et à l’institution de son identité et de son statut de sujet, en
articulant son identité à son activité langagière propre. On observe dans la
« culture jeune » une persistance du mimétisme, dans un jeu d’identité, dans une
mise en scène des identités des autres, non assumées, mais seulement montrées.
Cela commence par l’enfant qui « joue au pompier », mais cela continue, dans la
« culture jeune », sous la forme de représentations mimétiques comme la pose de
la voix ou les gestes, les habitudes, les rituels, adultes transposés dans le monde
des jeunes. Le fait de fumer, par exemple, est une bonne illustration de ce
mimétisme culturel. Sans doute importe-t-il de définir sémiotiquement le concept
2
de mimétisme .
Il y a, d’abord, un mimétisme que l’on peut appeler le mimétisme primaire,
qui est celui du stade du miroir, au cours duquel le petit enfant « joue », pour
l’acquérir, l’identité du modèle auquel il se conforme. Ce mimétisme primaire fait
l’objet d’une forme de sémiotisation, au moment où l’enfant lui substitue le jeu et
le langage, pratiques symboliques assumées par l’enfant devenant un sujet, au
lieu, comme tout mimétisme, de n’être pas assumée, mais d’être, au contraire,
tenues à distance par un processus qui n’est pas de jeu, mais d’imitation.
Il y a, ensuite, un mimétisme second, qui s’inscrit dans les pratiques
idéologiques et les activités sociales que les « jeunes » empruntent aux adultes. Le
mimétisme second est celui qui est mis en ouvre dans les activités sociales, dans
le militantisme, dans les appartenances sociales et institutionnelles. On peut
renvoyer le mimétisme second au dispositif sémiotique représentant le fait social
majeur défini par Bourdieu par le concept de reproduction. Au-delà de la mise en
œuvre des dispositifs symboliques, le mimétisme second produit une « idéologie
jeune », sous la forme d’un imaginaire politique, nourrie de l’adoption mimétique
des références et des pratiques culturelles des adultes.
La « culture jeune » s’exprime, enfin, par un mimétisme tiers, qui s’inscrit
dans les formes imposées de la normativité de la publicité ou de la fiction (arts du
spectacle, littérature). Ce mimétisme tiers consiste dans la production d’une
identité dans l’espace public, sous la forme d’un ensemble de normes. Ce ne sont
pas seulement les images et les discours qui produisent une représentation
culturelle de l’identité « jeune » : cette identité se structure comme un ensemble
2
C’est en ce sens qu’il convient de revenir sur les formulations théoriques d’un Alain Girard. Le
mimétisme ne peut, sans doute, pas être pensé comme concept fondateur de la sociabilité. En
revanche, sans doute peut-il définir une forme de sociabilité en mouvement, en transition, en cours
de formation, ce qui définit la « culture jeune ».
79
BERNARD LAMIZET
d’impératifs sociaux et de normes culturelles. La conformité à ces modèles et à
ces normes est une façon de se construire une identité sociale et de l’assumer dans
ses pratiques et dans ses discours. Ces normes structurent les pratiques sociales
considérées comme significatives de l’identité des « jeunes » par la médiation des
logiques d’identification aux artistes, en particulier aux acteurs de cinéma et aux
musiciens, et aux personnages de roman ou aux personnages de fiction, le propre
de ce mimétisme étant, fondamentalement, la méconnaissance de la distinction
entre le réel et l’imaginaire, au moment de la mise en œuvre des processus
d’identification spéculaire.
Enfin, une troisième illustration du nomadisme identitaire est donnée par les
pratiques sociales et les activités constitutives de l’identité et de la médiation
culturelle. Le nomadisme représente une forme de paradigme culturel, sans doute
un des éléments constitutifs de la « culture jeune ». Le nomadisme prend quatre
formes particulièrement courantes dans les pratiques culturelles observées.
D’abord, il s’agit des voyages et des déplacements, y compris des
déplacements et des parcours dans l’espace urbain. Le déplacement représente un
mode d’appropriation de l’espace particulièrement caractéristique des « jeunes »,
qu’il s’agisse de la déambulation urbaine collective (le fait social des « bandes »,
parfois accompagnées de chiens) ou de la déambulation individuelle des jeunes
dans une logique d’appropriation de l’espace social. Il faut ajouter l’importance
que revêt le voyage dans les pratiques culturelles « jeunes », en particulier les
longs voyages à l’étranger qui se pratiquent pendant d’assez longues périodes, en
vacances ou non, qui constituent une forme de mondialisation de l’identité
« jeune », par la confrontation aux jeunes d’autres pays, porteurs d’autres cultures
et d’autres modes de vie et de sociabilité. Sans doute pourrait-on dire que le
nomadisme représente une des médiations constitutives du « parler jeunes », la
médiation de l’espace.
La seconde forme du nomadisme constitutif de la culture des « jeunes » est
ce que l’on peut appeler le nomadisme intellectuel et culturel. Il s’agit de cette
forme de nomadisme qui ne consiste pas dans des parcours et des déplacements
du corps, mais dans des parcours de la réflexion et de l’attention, dans un
nomadisme des parcours de communication. Il s’agit du nomadisme de la lecture,
du nomadisme des films, de cette forme particulière de nomadisme intellectuel
auquel on a donné le nom de « zapping », qui consiste à se frayer un chemin non
linéaire dans le parcours des médias, des images, des informations. Ce nomadisme
intellectuel de la lecture et des pratiques symboliques et culturelles est un
nomadisme du regard et du sens, par lequel la « culture jeune » revendique son
absence d’ancrage privilégié, mais, au contraire, sa pratique culturelle du
métissage et du parcours.
La troisième forme de nomadisme dont est porteuse la « culture jeune » est
le nomadisme politique. Sans doute peut-on constater, aujourd’hui, moins une
désaffection des jeunes pour l’engagement politique – ce serait aller bien vite en
besogne, et ignorer la mobilisation considérable des jeunes dans l’entre-deux tours
de l’élection présidentielle de 2002 pour refuser ce courir le risque de l’élection de
Le Pen – qu’une perte de pertinence des engagements pérennes qui caractérisaient
la politique dans les périodes précédentes. Sans doute le temps n’est-il plus aux
engagements pérennes, inscrits dans le marbre, constitutifs des choix politiques
80
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE »
des générations précédentes, eux-mêmes sans doute liés aux circonstances
historiques formées par la seconde guerre mondiale, puis par la guerre froide et,
pour parler vite, par l’affrontement entre l’Est et l’Ouest. Aujourd’hui,
l’engagement politique se pense par rapport à des critères et à des choix différents,
sans doute plus mobiles, moins durables, davantage liés aux circonstances et aux
événements politiques. Sans doute la chute du mur de Berlin a-t-elle entraîné,
dans ce que l’on peut appeler la « culture politique jeune », la perte des repères
fondateurs des clivages politiques antérieurs et une recomposition des critères de
choix et d’appartenance. Ceux-ci prennent désormais la forme d’engagements
plus temporaires et moins durables – vers une sorte de nomadisme idéologique.
Enfin, la dernière forme que l’on peut relever du « nomadisme culturel » de
la culture des jeunes peut-il se lire dans les pratiques symboliques qui entourent le
désir et sa mise en œuvre dans la relation à l’autre. La sexualité et le rapport à
l’autre sexe, le rapport même à la différence sexuelle, s’inscrivent dans les figures
d’un véritable nomadisme identitaire. Les discours et les images revendiquant,
dans l’espace public, le fait de représenter la « culture jeune » semblent s’investir
dans des formes nomades de désir et de sexualité, la transsexualité représentant
une des figures majeures d’un tel nomadisme. Mais l’usage du corps comme
support de mises en scène et de travail esthétique (piercing, etc.) constitue, lui
aussi, une forme de nomadisme esthétique, puisque c’est le corps même qui peut,
comme à volonté, changer de signification et d’usage.
LES LANGAGES ET LES REPRÉSENTATIONS IDENTITAIRES
Une langue est une médiation linguistique de l’appartenance : c’est par la
langue que l’on représente l’identité dont on est porteur au cours de ses pratiques
de communication et au cours de son activité symbolique. L’existence d’une
langue signifie, par conséquent, l’existence d’une sociabilité d’appartenance et
d’un statut identitaire de cette appartenance. La langue est, en ce sens, une
institution, puisqu’elle structure symboliquement une appartenance et une forme
de sociabilité.
Une des formes linguistiques qui instituent symboliquement une classe
d’âge en lui donnant une identité est l’expression « Génération… ». On se
souvient, à cet égard, de la campagne électorale pour l’élection présidentielle de
1988, qui avait vu le succès de l’affiche « Génération Mitterrand » conçue pour la
campagne du président sortant qui se représentait. Génération construit, ainsi, un
syntagme qui représente une classe d’âge, ou un ensemble de personnes et
d’acteurs sociaux qui se reconnaissent dans une identité définie par l’âge. C’est
ainsi que l’on peut citer le magazine « Génération Piercing », qui paraît depuis
une quinzaine de numéros, et qui propose un certain nombre d’images et de
reportages sur cette pratique identitaire.
On peut citer trois exemples de représentation de l’identité par les pratiques
linguistiques et énonciatives relevées dans ce magazine.
Le premier trait linguistique identitaire fort est le tutoiement des entretiens
et des appels aux lecteurs. Le tutoiement revêt une double signification. D’une
part, il institue une relation de proximité, voire d’intimité, entre les lecteurs et le
journal, et, de cette façon, accentue la dimension identitaire du magazine. D’autre
part, il représente une proximité et une connivence entre le journal et ses supposés
81
BERNARD LAMIZET
destinataires, qui reposent sur la reconnaissance d’un âge commun, qui est, en
même temps, celui de la jeunesse et de la familiarité. Le tutoiement dans la
rédaction des textes définit enfin une politique d’expression écrite qui se
différencie par rapport aux autres médias, et, de cette façon, assume une place
particulière.
Le second trait que l’on peut relever dans la représentation linguistique des
identités est l’usage du prénom, qui marque à la fois la familiarité dans les
échanges linguistiques et la proximité revendiquée entre les lecteurs et les
personnages dont il est question dans le magazine. La désignation des
personnages par leur prénom permet la construction linguistique d’une
communauté distincte de l’espace public, dans laquelle le prénom suffit à désigner
l’identité des acteurs de la communication et de la sociabilité.
Enfin, c’est la thématique de ce magazine qui le renvoie au « parler
jeunes », en ce qu’il s’agit d’un magazine entièrement conçu autour d’une
pratique sociale et culturelle, le « piercing », par laquelle les jeunes se
reconnaissent en assumant une identité inscrite dans leur corps. Cet usage
identitaire du corps est, d’ailleurs, caractéristique des pratiques symboliques des
jeunes, de la même façon que l’ont été des pratiques traditionnelles comme les
tatouages. Le « parler jeunes » s’inscrit, dans un magazine comme celui-là, dans
l’expression symbolique de pratiques sociales identitaires, le piercing
représentant, pour certains jeunes, une façon de « parler » avec leur corps, comme
d’autres le font avec leurs vêtements, ou leurs bijoux – le journal proposant,
d’ailleurs, un bijou comme offre promotionnelle.
Mais le « parler jeune » représente aussi un usage particulier de la langue,
une forme particulière de parole. Parler une langue, c’est revendiquer dans ses
pratiques linguistiques son appartenance à une forme sociale d’identité. On peut
parler d’une dialectique entre l’existence d’une langue et la reconnaissance d’un
fait identitaire - l’une et l’autre constituant les deux aspects indissociables de
l’appartenance à un espace de sociabilité, sans que l’une soit première par rapport
à l’autre. Ensemble de nos activités d’énonciation, la parole représente une
appropriation des systèmes symboliques institués, et, par conséquent, elle engage
une dialectique entre la dimension collective de la langue, médiation
d’appartenance fondée sur un langage commun et sur un code partagé, et la
dimension singulière de l’appropriation de la langue par le sujet qui investit ses
activités de communication des désirs et des représentations qui lui sont propres.
Au-delà de la relation à l’exercice de la parole, grâce, en particulier, à l’usage de
la voix, qui permet l’identification de la personne qui parle, il convient de donner
au concept de parole, et, en particulier, ici, au « parler jeunes », une définition
plus large. Nous désignerons, par ce concept, l’ensemble des pratiques
symboliques par lesquelles s’exprime, dans l’espace public et dans les relations
avec les autres, l’identité dont on est porteur et qui nous fonde comme sujet de
sociabilité. Le « parler jeune » ne saurait se réduire au seul usage de la parole,
mais implique l’ensemble des activités symboliques, y compris l’usage des
médias et des autres pratiques symboliques engagées dans la communication.
On peut alors définir le « parler », de façon plus générale, et construire,
entre « langue » et « parler » une autre relation, comparable à la relation, établie
82
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE »
par Benveniste, entre « langue » et « parole ». Deux différences permettent de
distinguer « parler » de « parole ». La première différence tient au mode
d’expression, à ce que l’on peut appeler la matérialisation de l’expression. Tandis
que « parole » sera réservé à l’usage signifiant de la voix dans l’énonciation,
« parler » désignera l’ensemble des pratiques signifiantes mises en œuvre par le
sujet, quel que soit le matériau employé. Le « parler » désignera, ainsi, l’ensemble
des pratiques de représentation symbolique de l’identité dans les relations de
communication. La seconde différence entre « parler » et « parole » désignera la
situation de communication mise en œuvre, et le rapport à l’autre instauré dans
l’activité symbolique. Tandis que la parole désigne une activité symbolique
appelant une réponse de la part de l’autre, ou, en tous les cas, fondée sur l’attente
ou le désir d’une parole de l’autre, le « parler » désignera une activité symbolique
non nécessairement inscrite dans l’attente de la parole de l’autre. Il pourra s’agir,
alors, de la désignation générale de l’activité symbolique du sujet,
indépendamment des situations d’énonciation effective au cours desquelles il
attend la réponse de l’autre. Mais il pourra aussi s’agir de la désignation d’une
compétence symbolique, indépendamment des modes particuliers d’expression qui
sont mis en œuvre dans la communication.
La question du « parler jeunes » peut, dans ces conditions, s’articuler autour
de l’analyse de trois critères, qui permettent de définir ce concept par rapport au
concept d’âge, par rapport aux formes de l’énonciation et par rapport aux espaces
de la communication et de l’échange symbolique.
Le premier critère est la reconnaissance, par eux-mêmes et par les autres,
d’une identité sociale des « jeunes » allant au-delà du constat d’un âge. La
conversation est, ainsi, plus qu’un échange intersubjectif ; entre jeunes, elle
représente, dans le même temps, l’expression de la reconnaissance d’une
appartenance commune. Autant que l’information ou la représentation symbolique
voulue par l’énonciateur au cours de la parole, l’échange symbolique entre
« jeunes » exprime l’appartenance sociale à un groupe défini, justement, par le
mode d’expression mis en œuvre. L’importance identitaire ainsi reconnue à la
parole par ceux qui mettent en œuvre le « parler jeunes » se fonde, justement, à
l’absence de reconnaissance institutionnelle dont ils font l’objet dans l’espace
public. Le « parler jeunes » constituerait en quelque sorte, une forme d’illusion
d’une identité sociale qu’ils seraient les seuls à reconnaître et à partager.
L’identité sociale revendiquée par les jeunes qui s’expriment dans ce
« parler » (ce que tous ne font pas) relève, finalement, sans doute, d’une identité
imaginaire, d’un imaginaire social et culturel partagé, fondé sur des références
communes et sur des usages symboliques communs. Le « parler jeunes »
représente la matérialisation de ce que l’on peut appeler un imaginaire
institutionnel. Il s’agit, pour ceux qui le mettent en œuvre, de mettre en scène dans
l’espace public de la communication une sociabilité et une appartenance
imaginaires. C’est ce qui explique, d’ailleurs, que le « parler jeunes » puisse être
mis en œuvre par des locuteurs que l’âge ne classe pas dans la catégorie des
jeunes, mais qui, en l’employant, donnent aux autres l’illusion de ce que l’on
pourrait appeler leur jeunesse symbolique, à moins qu’ils ne cherchent à se la
donner à eux-mêmes.
83
BERNARD LAMIZET
Nous sommes au-delà du constat de l’âge réel de la personne qui s’exprime,
et, de cette façon, le « parler jeunes » introduit, dans le champ de l’âge la
tripartition entre réel, imaginaire et symbolique, constitutive de la médiation – en
l’occurrence constitutive de la médiation de l’âge - et de la communication.
On peut, alors, définir le réel de l’âge comme l’ensemble des manifestations
physiologiques du vieillissement. L’âge relève, alors, d’un constat sur le corps de
la personne, et il peut se mesurer en fonction de l’état effectif de l’organisme à un
moment donné. En ce sens, d’ailleurs, le concept d’âge est le même quel que soit
l’organisme vivant (animal ou humain) et quelle que soit la culture dans laquelle
on se trouve.
La dimension symbolique de l’âge est l’ensemble des représentations
langagières par lesquelles le sujet exprime son appartenance à un âge, ou grâce
auxquelles l’autre peut identifier ou reconnaître l’âge de son interlocuteur. L’âge
symbolique s’inscrit, ainsi, dans un ensemble de dispositifs de représentation qui
vont de la parole au costume en passant par les loisirs et les pratiques sociales, les
activités politiques et les activités culturelles constitutives de la sociabilité, et les
modes artistiques ou littéraires de représentations de l’âge par des acteurs ou des
personnages.
Enfin, l’âge imaginaire est l’ensemble des projections du sujet sur un âge
qu’il n’a pas – ou l’ensemble des projections qu’il se fait des autres sur des âges
qui ne sont pas les leurs. Ce que l’on peut appeler l’âge imaginaire est l’âge que je
m’attribue fantasmatiquement ou celui que j’attribue aux autres indépendamment
de toute perception réelle ou de toute connaissance de leur identité.
Le second critère de l’existence d’un « langage jeune » serait l’existence de
pratiques spécifiques d’énonciation. Tant en matière de lexique qu’en matière
d’intonation, de rythme de la parole ou, de façon générale, de ce que l’on peut
appeler la « musicalité » de la langue, on peut relever un certain nombre de
formes spécifiques du « parler jeunes » dans l’énonciation et dans les pratiques
symboliques de ceux qui le mettent en œuvre. Un certain nombre de
caractéristiques permettent de reconnaître la musicalité du « parler jeunes ».
La première est le rythme de l’énonciation qui n’est pas sans rappeler le
rythme de formes musicales comme le rap. Il s’agit d’un rythme syncopé, haché,
séparant les unités d’énonciation, et produisant une mélodie énonciative
discontinue. D’une façon générale, d’ailleurs, le propre du « parler jeunes » est de
s’inscrire dans des formes très proches des formes musicales et d’atténuer la
différence entre expression musicale et expression linguistique, ce qui confère à la
parole le statut d’une expression inscrite dans le temps et le rythme autant que
dans le lieu de l’intersubjectivité et dans l’univers de la référence linguistique.
La seconde caractéristique de l’énonciation du « parler jeunes » est
l’existence d’un certain nombre de formes linguistiques phatiques. « Attends » est
un exemple de ces formes linguistiques qui n’ont pas d’autres significations que
de représenter la communication même pour mieux en assurer la permanence au
cours de l’échange intersubjectif, et, surtout, pour mieux marquer l’importance de
la représentation de l’autre au cours de l’intersubjectivité. Cette exigence de
représentation de la figure de l’autre au cours de la communication caractérise le
« parler jeunes » par rapport à d’autres pratiques d’échange symbolique.
84
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE »
Une autre caractéristique de ce « parler » est, enfin, l’existence, au cours de
l’énonciation, de marques symboliques de l’énonciateur comme les adverbes, les
adjectifs adverbiaux - grave, moyen (« j’ai apprécié moyen ») - ou encore des
locutions comme « j’y crois pas », qui instaurent une appropriation spécifique du
discours de l’autre par l’interlocuteur, ou une certaine distance par rapport à elle.
Ces marques linguistiques de l’énonciation concourent à l’expression de
l’appropriation de l’énonciation par les partenaires de l’échange symbolique.
La parole et le lexique font apparaître une consistance linguistique propre de
la sociabilité des jeunes. Comme à propos du vêtement, on peut remarquer que les
pratiques linguistiques des « jeunes » consistent dans la production symbolique
d’une identité qui leur permet de se distinguer de l’identité des autres, précisément
dans cette phase majeure de leur existence au cours de laquelle ils instituent leur
propre identité. L’identité linguistique des « jeunes » répond à une triple exigence,
ou à une triple signification. D’abord, il s’agit, pour eux, de se donner une langue,
ou un système de communication et d’information qui leur soit commun et qu’ils
puissent reconnaître au cours de leurs activités d’échange symbolique et de
communication. Par ailleurs, il s’agit d’établir, ainsi, un système symbolique, on
pourrait dire une « langue », qui leur soit propre, et qui se distingue, par
conséquent, de la langue instituée comme système symbolique dominant
d’information et de communication. Enfin, ces formes d’expression qui leur sont
propres permettent aux « jeunes » de construire la dimension proprement
linguistique de la culture et de la sociabilité qui leur sont particulières et dans
lesquelles ils peuvent se reconnaître et se faire reconnaître de ceux qu’ils
considèrent comme différents d’eux.
Le vocabulaire des « jeunes » se caractérise par deux éléments majeurs. Le
premier est une intense créativité lexicale, qui correspond, à la fois, à la très
rapide mutation et au très rapide renouvellement des concepts qu’ils mettent en
œuvre, des institutions qui les structurent, des pratiques culturelles qu’ils
engagent. Le second élément du lexique des « jeunes » est sa relative homogénéité
sociale. Le lexique des jeunes ne présente pas une très forte segmentation sociale,
car il est unifié par les médias des »jeunes » et par les normes qu’ils partagent, et,
par ailleurs, parce que la segmentation institutionnelle par l’âge semble, au
moment de la jeunesse, plus forte et plus structurante que la segmentation par les
classes sociales ou les repères idéologiques.
Le verlan représente une permanence dans les formes linguistiques de
segmentation d’une communauté culturelle. On peut interpréter le verlan de trois
façons complémentaires, qui permettent d’en faire une pratique symbolique
identitaire de la langue, plutôt qu’une langue particulière. D’une part, l’inversion
des signifiants construit une autre linéarité de la langue, ce qui reconnaît à l’ordre
des signifiants une fonction majeure de reconnaissance. D’autre part, l’inversion
ne représente pas l’apparition de signifiants nouveaux, mais une autre
organisation des signifiants existants, ce qui représente linguistiquement le même
type de distanciation que la distanciation par rapport à la loi et à l’institution.
Enfin, le « verlan » représente un véritable travail sur la langue, comparable à
l’investissement identitaire par ailleurs engagé sur la forme et l’esthétique.
85
BERNARD LAMIZET
C’est l’intonation et l’accentuation qui sont, sans doute, les éléments les
plus porteurs de marques d’identification culturelle. Cela correspond à
l’importance de la culture orale dans les formes identitaires du « parler jeunes ».
C’est, sans doute, dans l’oralité et la parole que l’identité des jeunes se manifeste
avec le plus de netteté. En effet, les usages de la langue écrite sont plus
unificateurs et moins propres à représenter des spécificités identitaires, et parce
que l’usage de l’écrit est sans doute moins fréquent dans les pratiques de
communication entre jeunes que l’usage de la parole - ce qui est attesté par
l’importance de l’usage du téléphone portable.
FORMES
SOCIALES
RECONNAISSANCE
THÉÂTRALISÉES
D’IDENTIFICATION
ET
DE
Les « jeunes » disposent d’un certain nombre de formes symboliques
particulières qui leur permettent de s’attester réciproquement, dans leurs activités
de communication, de leur appartenance à un groupe social qu’ils instituent en en
reconnaissant l’existence et en y reconnaissant l’existence de liens sociaux de
solidarité et de sociabilité. Sans doute peut-on même définir la jeunesse comme
l’âge de la vie au cours duquel l’identité, en cours de construction symbolique, ou,
mieux encore, en cours d’institution, fait l’objet de mises en scène théâtralisées.
L’identité des jeunes est encore un rôle par rapport auquel ceux qui en sont
porteurs s’inscrivent à la distance d’une situation temporaire, provisoire. Il y a une
distanciation du sujet « jeune » par rapport à son identité, ne serait-ce que parce
qu’il la sait temporaire, en cours d’institution et de formation. On peut citer, en
particulier, quatre formes symboliques particulières d’identification. Cette
théâtralisation de l’identité caractérise les « jeunes », et permet d’expliquer la
signification de leurs pratiques de l’espace public et des modalités de leur
présence au monde.
Le costume met en scène la personne dans l’espace public. C’est pourquoi
les jeunes attachent une importance particulière à la façon dont leur habillement
leur permet de rendre visible dans l’espace public l’identité dont ils se veulent
porteurs. La théâtralisation des jeunes passe par leur costume et par l’adoption
d’une mode spécifique, dont Barthes parle ainsi, dans Système de la Mode
(Barthes, 1983 : 260) :
Structuralement, le junior se présente comme le degré complexe du
féminin/masculin : il tend à l’androgyne ; mais ce qu’il y a de remarquable dans
ce nouveau terme, c’est qu’il efface le sexe au profit de l’âge ; c’est là, semble-til, un processus profond de la Mode : c’est l’âge qui est important, non le sexe.
La mode représente, ainsi, l’un des systèmes symboliques identitaires, l’un
des langages, dans lesquels l’âge « jeune » peut se reconnaître et exprimer le type
de sociabilité et d’appartenance qu’il représente dans l’espace public. C’est par le
costume que nous nous donnons à voir aux autres, c’est par le costume que notre
identité se met en représentation dans l’espace public. En ce sens, la mode des
« jeunes » constitue un système symbolique puissant de reconnaissance mutuelle,
de distinction et de différenciation par rapport aux autres acteurs de l’espace
public, et, enfin, d’investissement symbolique de l’identité.
86
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE »
Mais le costume représente aussi une forme symbolique de représentation
de l’identité car il théâtralise les rôles tenus par les « jeunes » dans l’espace
public. Âge d’identité en transition, la jeunesse s’inscrit, par le costume et, par
conséquent, par la mode, dans des formes symboliques qui, comme les costumes
du théâtre, lui confèrent, le temps d’une représentation, des identités de rôles, de
personnages. Le costume fait partie intégrante du « parler jeunes », car il définit
une sémiotique de l’identité dont se réclament ceux qui le portent. Cette
3
théâtralisation de l’identité par le costume et l’habillement explique, d’ailleurs,
certains traits qui peuvent paraître excentriques, hors normes, parce qu’il s’agit de
distinguer fondamentalement l’identité des « jeunes » de celle des autres, par le
type d’habillement qu’ils portent. Ces traits apparaissent aussi hors normes parce
que cette théâtralisation vestimentaire de l’identité représente une forme de
distanciation critique, de mise en question, voire de subversion ou d’insoumission
par rapport aux formes instituées de la culture et de la sociabilité.
Il convient d’ajouter l’importance du travail du corps, qui constitue un
élément majeur de la médiation symbolique de représentation de l’identité des
« jeunes » dans l’espace public. Tandis que les sujets de la sociabilité dissimulent,
au contraire, leur identité, sous le costume, pour mieux la refouler sous les traits
partagés de l’indistinction, les « jeunes » assument pleinement leur identité et leur
spécificité en la donnant à voir aux autres habitants de l’espace public, sous la
forme d’une véritable mise en scène de leur corps.
On peut citer, à cet égard, l’exemple des marches de l’Opéra de Lyon, où,
tous les jours, le soir, ont lieu de véritables exhibitions des jeunes. De façon plus
générale, on peut considérer que les formes musicales ou dansées comme le hiphop donnent aux « jeunes » des formes, à la fois esthétiques et politiques, de
représentation de leur identité collective dans l’espace public. Il ne s’agit pas, ici,
de pratiques culturelles singulières, donnant à ceux qui les mettent en œuvre des
moyens d’expression de leur désir propre et de leur identité particulière, mais bien
de pratiques collectives rendant possible l’expression d’une identité collective des
« jeunes » grâce aux pratiques esthétiques et culturelles qu’ils mettent en œuvre.
Le travail du corps, qu’il s’agisse de la danse, de la déambulation ou de
l’exhibition de performances dans l’espace public a toujours représenté, pour les
« jeunes » une médiation symbolique majeure de leur identité. Sans doute même
la possibilité de donner son corps à voir est-elle un mode d’expression assumé par
les « jeunes » de façon particulière. Au lieu de constituer un mode d’expression
par la représentation du corps de l’autre (d’un modèle, par exemple), la mise en
scène du corps des « jeunes » dans l’espace public par ceux mêmes qui se donnent
à voir constitue ce que l’on peut appeler un mode d’expression par le corps
propre des « jeunes ».
Il convient de penser cette exhibition du corps dans les mêmes termes que
l’expression sportive de la performance. Les « jeunes » donnent, en effet, leur
corps en représentation à la fois dans des pratiques artistiques et dans des
pratiques sportives, qui, les unes et les autres, constituent de véritables
performances. Le travail sportif du corps a la même signification que le travail
artistique : il s’agit de ce que l’on peut appeler l’exposition du corps,
3
Cf., ici même, l’article de Zsuzsanna Fagyal.
87
BERNARD LAMIZET
caractéristique des « jeunes ». En revanche, il convient de faire apparaître la
différence entre ces deux modes d’exhibition du corps – l’une étant structurée par
la signification de la performance, et l’autre étant structurée par la mesure de
l’exploit que représente cette performance. L’exhibition esthétique du corps des
« jeunes » aboutit à une forme de sublimation artistique de leur corps. De son
côté, l’exhibition sportive du corps aboutit à une forme d’exploit physique et à la
réalisation d’un optimum, d’une performance obtenue par l’effort intensif fourni
par leur corps – qui, en quelque sorte, refoule, ainsi, ses potentialités proprement
symboliques de signification et de représentation, pour s’en tenir à une
performance quantitativement mesurable.
L’usage symbolique du corps représente une forme de « parler jeune », en
ce que c’est par le corps que l’âge acquiert une forme apparente, et peut, par
conséquent, dans l’espace public où les identités sont censées être indistinctes,
exprimer l’identité de celui qui en est porteur. Exprimer son identité par un travail
symbolique sur son corps (des vêtements à l’usage du corps comme matière
d’expression du sens), c’est mettre en œuvre une activité symbolique
indépendante des systèmes signifiants imposés, c’est recourir à une logique de
représentation et à un matériau signifiant que l’on est seul à maîtriser.
UN ESPACE PUBLIC PARTICULIER
Le « langage jeune » se caractérise par l’existence de lieux et de territoires
dans lesquels il s’exerce. La communication entre les jeunes s’inscrit dans une
géographie symbolique particulière, qui correspond à des lieux qui sont à la fois
des lieux de sociabilité et des lieux de communication. Sans doute convient-il de
définir une relation particulière au lieu qui caractériserait les pratiques culturelles
des « jeunes », et qui permettrait de définir une sémiotique particulière de
l’espace, qui leur serait propre. Cet espace de communication des « jeunes » se
caractérise par trois éléments importants.
D’abord, c’est un espace de mobilité, de parcours et de déplacement :
4
comme un espace temporaire, comme un espace de transition . Les jeunes se
déplacent dans l’espace public, faute, sans doute, d’être en mesure d’ancrer leur
identité dans un lieu stable, et, surtout, faute d’articuler leur identité à une
appartenance pérenne. C’est pourquoi les « jeunes « qui manifestent leur jeunesse
de façon ostentatoire le font par des défilés, par des déambulations dans la ville,
par des déplacements dans la rue – qui prennent souvent la forme de mouvements
collectifs, ou, enfin, par des séjours nombreux dans les cafés et dans d’autres lieux
de séjour temporaire. Les défilés, les cortèges, les déplacements bruyants des
« jeunes » dans les rues transforment l’espace dans lequel ils sont présents en
espace de reconnaissance de ce que l’on peut appeler une mobilité sémiotique.
Ensuite, on peut observer que les « jeunes » investissent les lieux par des
objets et par des traces. On observe cela, par exemple, dans le film de Nanni
Moretti, La chambre du fils. La trace est une métonymie de l’identité des jeunes
qui investissent les lieux qu’ils occupent ou qu’ils parcourent. Cette métonymie
peut s’inscrire dans des objets quotidiens, qui manifestent la nécessité d’occuper
4
Cela représente un espace investi par des parcours, par de la mobilité, et non par du séjour mais
un espace investi par des parcours, par de la mobilité, et non par du séjour.
88
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE »
l’espace par des marques identitaires aisément reconnaissables. Cela explique le
désordre qui peut exister dans certaines chambres d’adolescents : il renvoie à ce
que l’on peut appeler un langage de la trace, fondé sur une représentation
métonymique de l’identité par des accumulations d’objets. Le désordre n’est pas
un simple désordre. Il s’agit, en fait, d’une inscription de la présence des
« jeunes » dans des objets censés non les représenter, mais constituer des traces de
leur sociabilité.
Enfin, la sémiotique de l’espace des « jeunes » est une sémiotique de
l’inscription – qui, d’ailleurs, renvoie les signes et les mots inscrits à un statut de
traces. Cette sémiotique de l’inscription prend la forme du graffiti ou celle de
l’inscription de symboles et de figures de représentation sur les murs des villes.
Ces graffitis (qui ont abouti, d’ailleurs, à une expression artistique sous la forme
de l’art des grapheurs) correspondent à l’exigence de lisibilité identitaire de la
mémoire du passage des « jeunes » dans les lieux qu’ils investissent ainsi de la
métonymie de leur présence. Ils rendent lisible la présence des « jeunes » dans
l’espace urbain, ainsi transformé en espace de lisibilité des signes qu’ils y
inscrivent.
Il s’agit d’un espace symbolique dans lequel se formulent et s’échangent des
représentations symboliques et des pratiques culturelles qui, par cette circulation
et ces échanges, instituent pleinement les identités politiques qui structurent les
acteurs de la sociabilité. L’espace public des jeunes est fait de toutes sortes
d’acteurs et de médias de communication et d’information qui produisent à la fois
des représentations du monde et des médiations de sociabilité. Il se définit par
trois éléments qui lui confèrent une géographie particulière.
D’une part, cet espace public est unifié. Il comprend un ensemble d’acteurs
sociaux porteurs du même âge – se reconnaissant, ainsi, de la même identité en
matière d’âge. Le concept d’identité se définit comme une dialectique (Lamizet
(2002 : 45) entre la dimension singulière du sujet (la vérité de son désir et de son
rapport à l’autre) et sa dimension collective (la dimension politique de son
expérience et de ses rapports avec les autres dans l’espace public). S’agissant des
jeunes, la définition de ce concept d’identité a à être précisé. Moins que d’une
dialectique entre vérité et politique, sans doute s’agit-il, plus précisément, d’une
dialectique entre l’expression du désir qui forme la singularité de chacun des
jeunes et l’expression de leur appartenance commune, au sein de la société, cette
appartenance commune au champ des « jeunes » pouvant entrer elle-même en
conflit avec les formes de la sociabilité de l’espace public.
C’est au sein de l’espace public que l’on peut définir un espace public
propre des jeunes, structuré par leurs institutions, par leurs médias, par leurs lieux
de spectacle et de sociabilité. L’identité des « jeunes » exprime, ainsi, dans
l’espace social dans lequel ils vivent, cette dialectique entre le désir qui motive
leurs conduites personnelles singulières et l’appartenance sociale qui structure
leurs relations avec leurs parents, avec leurs familles, avec les institutions
auxquelles ils sont confrontés. L’unification de l’espace public des jeunes relève
donc, en réalité, d’une double logique. Il s’agit à la fois de deux unifications. On
peut qualifier la première de « réelle ». Elle se fonde sur l’âge commun dont sont
89
BERNARD LAMIZET
porteurs tous ces « jeunes » qui forment cette sociabilité et sur les pratiques
sociales et culturelles effectives qu’ils mettent en œuvre dans l’espace public.
L’autre unification dont il est question, que l’on peut qualifier de symbolique, est,
elle, fondée sur des représentations, des savoirs et une culture que partagent les
« jeunes » en y reconnaissant des marques et des formes de leur identité
collective, instituée par leur âge partagé.
D’autre part, l’espace public des jeunes, ainsi institué, se situe en rupture
avec l’espace public – à tout le moins dans une logique de différenciation par
rapport à lui. Tandis qu’une identité singulière s’institue, d’abord, sur la base
d’une spécularité, d’une identification symbolique à un sujet, et, dans un second
temps seulement, s’autonomise par rapport à ce modèle et s’institue en une
subjectivité propre, l’identité collective, celle d’un groupe social, s’institue,
d’abord, en rupture par rapport à d’autres identités existantes. C’est sur la rupture
que se fondent, d’abord, les identités sociales et institutionnelles qui structurent
l’espace public en s’inscrivant dans les lieux et dans les espaces qui l’organisent.
C’est pourquoi les lieux de spectacle et d’animation des « jeunes », leurs cafés,
leurs lieux de jeux et de consommation, sont institués, en rupture avec l’espace
public, sur la base d’une forme de territorialisation – un peu à la manière des
ghettos du Moyen Âge.
Des lieux sociaux particuliers, propres à la jeunesse, organisent ainsi cette
géographie propre au sein de l’espace public. Cette géographie, cet espace public
particulier, fait aussi partie de la théâtralisation de la jeunesse instituée par l’usage
sémiotique du vêtement. Cet espace public des « jeunes » est la scène sur laquelle
ils se donnent en représentation, pour eux-mêmes mais aussi pour les autres.
L’existence de cette géographie particulière fait partie de la théâtralisation des
« jeunes » dans l’espace public, car on sait que la théâtralité se fonde, d’abord, sur
l’existence d’une scène, d’un lieu théâtral, distinct du lieu réel de l’espace public.
La théâtralisation des « jeunes » par leur costume ou par leur expression
linguistique s’inscrit dans la même logique que l’existence de cette géographie
particulière de leurs lieux d’habitation : il s’agit de la formation d’un espace dans
lequel ils puissent représenter leur identité, et, de cette façon, l’instituer, en la
confrontant à l’identité des autres populations de la société dans laquelle ils
vivent.
LANGAGE, MÉDIATIONS, INSTITUTIONS
Le « parler jeunes », comme tout système symbolique de représentation des
identités, s’inscrit et se met en œuvre dans des lieux institutionnels. Il constitue
lui-même une médiation, en donnant une forme aux appartenances sociales qui
définissent les « jeunes », et en constituant une médiation de nature à organiser les
lieux et les activités de communication et d’information mises en œuvre par les
jeunes. Cette fonction de médiation du « parler jeunes » peut se définir en trois
points.
D’une part, il s’agit d’une médiation dont les formes et les modes de
représentation évoluent avec les pratiques sociales engagées dans l’espace public.
Il y a une très forte corrélation entre la spécificité d’un langage identitaire et des
pratiques sociales qui sont, elles-mêmes, considérées comme caractéristiques de
cette identité. La question du « parler jeunes » nous oblige, sans doute, à une
90
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE »
réflexion sur ce que l’on peut appeler la dimension langagière des institutions et
des médiations en usage dans cet espace public propre de la jeunesse. Le fait
institutionnel propre à la jeunesse – associations, mouvements de jeunesse, clubs
de toute nature – se caractérise par une très grande continuité entre les deux
formes majeures de la sociabilité : la quotidienneté et l’organisation des
institutions. La sociabilité propre aux « jeunes » s’inscrit dans des pratiques
institutionnelles qui sont en continuité avec les formes linguistiques et culturelles
de la quotidienneté. Les structures propres à la sociabilité des jeunes articulent
étroitement ce que l’on peut appeler les pratiques quotidiennes de la sociabilité
(repas, voyages) et les pratiques proprement institutionnelles de la sociabilité (vie
associative, responsabilités, élaboration et mise en œuvre de projets collectifs).
C’est pourquoi le thème de la solidarité ou les thèmes environnementaux
sont des thèmes assez caractéristiques du discours politique et de l’engagement
propre aux « jeunes » dans leur vie sociale, car il s’agit de thèmes qui articulent
très étroitement les exigences de l’engagement et celles de la quotidienneté, voire
de la vie pratique. Les mouvements internationaux de solidarité institués par les
jeunes (chantiers d’aide au développement ou de sauvetage de régions sinistrées,
initiatives d’aide aux pays en voie de développement ou de mise en œuvre
d’actions de solidarité avec des malades ou des populations sinistrées)
représentent, ainsi, la construction d’un espace public d’expression et de
communication politique propre aux « jeunes ». Sans doute, d’ailleurs, est-ce une
évolution de cette nature qui peut expliquer l’importance croissante prise dans la
vie politique et institutionnelle par les thèmes liés à la protection de
l’environnement et à des exigences nouvelles de la vie quotidienne. En effet, de
tels thèmes et de telles formulations politiques ont souvent été mis en évidence
dans notre conscience politique, illustrés, énoncés, précisément par l’évolution de
la vie politique et des pratiques institutionnelles liées à l’engagement des
« jeunes » dans l’espace public et dans l’expression de revendications et de
discours politiques d’un type nouveau.
D’autre part, le « parler jeunes » établit un certain rapport à l’institution et à
la médiation, et, en particulier, met en scène, dans les pratiques symboliques, une
distanciation par rapport à elles, voire un rejet des dispositifs institutionnels.
C’est, du moins, souvent par ce rejet que le « parler jeunes » est reconnu comme
tel par ceux qui lui sont étrangers. Il y a une sorte de méfiance, de distance, par
rapport aux faits institutionnels et par rapport aux logiques de pouvoir, qui est,
sans doute, une caractéristique majeure des « jeunes » dans leurs pratiques
sociales et culturelles. C’est que les « jeunes » ne sauraient s’identifier
symboliquement aux acteurs politiques institués, porteurs de pouvoir et de
notabilité. Si, longtemps, cette distance par rapport aux identités politiques
instituées a conduit les jeunes à s’abstenir de participer à la vie politique et à se
tenir à distance du fait institutionnel, elle prend, aujourd’hui, la forme, beaucoup
plus engagée, d’une distanciation critique. L’existence de mouvements
spécifiques de « jeunes » aux côtés des partis politiques (Jeunesse communiste,
Jeunesse communiste révolutionnaire, Mouvement des Jeunes socialistes, Jeunes
de l’U.M.P., etc.) a contribué à ce que s’élabore un langage politique propre aux
jeunes et des formes d’affiliation et d’engagement qui leur sont spécifiques.
91
BERNARD LAMIZET
Sans doute même l’existence de ce mouvement de sociabilité politique des
« jeunes » a-t-il contribué, aussi, à la formulation d’un certain nombre d’exigences
politiques propres, et, même, à l’intégration d’un certain nombre de
revendications politiques des jeunes dans les plates-formes des partis et dans les
engagements des acteurs politiques. Le « parler jeunes » a, ainsi, contribué au
renouvellement du vocabulaire et du discours politiques et à la mutation des
revendications et des projets des partis et des acteurs politiques. Après tout,
l’abaissement de la majorité politique à dix-huit ans est, sans doute, à considérer
comme un succès du « parler jeunes » et de sa formulation des identités et des
revendications politiques propres à la jeunesse. On peut aussi citer, parmi les
évolutions du discours politique et des pratiques institutionnelles liées à
l’engagement spécifique des « jeunes » la reconnaissance de la légitimité de la
contraception, l’apparition de nouvelles pratiques et de nouvelles logiques de
formation et d’éducation, le développement des pratiques et des réseaux
d’information et de communication, les nouvelles législations en matière de
médias et de radios libres. Ainsi, le « parler jeunes », en s’exprimant dans de
nouveaux discours et de nouvelles pratiques institutionnelles, a-t-il, sans doute,
contribué à ce qu’apparaissent de nouvelles formes et de nouveaux enjeux pour le
discours politique, et à ce qu’ils soient pleinement reconnus et légitimés dans
l’espace public.
Enfin, le « parler jeunes » pose le problème de la durée de l’appartenance à
un système institutionnel et de la durée d’exercice d’un dispositif de médiation.
En effet, si l’appartenance à un âge est, par définition, temporaire, on peut se
demander si certaines cultures et certains parlers « jeunes » ne perdurent pas, chez
ceux qui les revendiquent, au-delà de leur appartenance à l’âge constitutif de cette
identité. La question, en d’autres termes, consiste à se demander si l’identité
« jeunes » continue à être associée à la réalité d’un âge particulier, ou s’il ne
convient pas, finalement, de poser la question d’une tripartition de la jeunesse en
5
trois instances . Se distingueraient, dans ces conditions, une jeunesse réelle (celle
de l’âge), une jeunesse symbolique (celle des pratiques et des formes spécifiques
de représentation et de communication) et une jeunesse imaginaire (celle des
utopies dont on peut être porteur, et des rêves que l’on peut faire, pour soi-même
et pour les autres). On peut proposer à cette question trois types de réponse.
D’abord, sans doute, il dépend de l’inconscient de chacun de connaître l’âge
auquel s’identifie le sujet. La psychanalyse nous apprend qu’il convient de
distinguer les identités réelles et les identités symboliques (le père réel de
quelqu’un n’est pas nécessairement son père symbolique). De la même manière,
sans doute convient-il de distinguer l’âge réel de quelqu’un (celui de son
développement physiologique) et son âge symbolique (l’âge que, pourrait-on dire,
il assume, dans ses façons de parler, dans ses pratiques symboliques, dans les
activités et les relations constitutives de sa sociabilité).
Le « parler jeunes » serait, dans ces conditions, une pratique symbolique
particulière à laquelle on adhérerait plus qu’à d’autres – une langue que l’on
5
Bien sûr, et au-delà de la jeunesse, une telle question peut se poser pour l’ensemble des âges. Le
congrès de l’Association française de sémiotique (Lyon, juillet 2004), consacré à « la sémiotique
des âges de la vie » aura, sans doute, à se poser la question au cours de ses débats et de ses
réflexions. S’adresser, pour toute information, à : http : //sites.univ-lyon2.fr/semio2004
92
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE »
choisirait de parler de préférence à d’autres langues ou à d’autres modes
d’expression. On peut, en particulier, se demander si, finalement, on ne conserve
pas toute sa vie, le mode d’expression et de communication de sa jeunesse, et si le
« parler jeunes » ne représente pas, en fin de compte, le parler mis en œuvre par
chacun d’entre nous dans les pratiques de représentation et de mise en évidence de
son identité. Le « parler jeunes » ne serait, au bout du compte, ainsi, que le parler
identitaire, que la médiation culturelle de l’identité, puisque, finalement, la
jeunesse n’est pas autre chose que l’âge de construction de l’identité.
LES MÉDIAS
L’espace public des jeunes est régulé et structuré par des médias
particuliers, qui inscrivent une certaine temporalité et une certaine événementialité
propres aux jeunes. Il y a une mémoire partagée des « jeunes », mémoire
construite et structurée par les médias qu’ils lisent, par les histoires qu’ils
partagent, par les événements dont ils reconnaissent ensemble l’importance et la
signification. Les médias et les sources d’information et de représentation
(journaux, livres, spectacles, musique, jeux), qui institutionnalisent les médiations
symboliques de l’appartenance, organisent un espace public des « jeunes », au
sens même où Habermas définit un espace public. Il a toujours existé des médias
destinés aux jeunes, ce qui montre la nécessité de l’existence d’un système
médiaté d’information et de représentation pour que soi instituée une
appartenance sociale dans l’espace public.
D’une part, il existe toute une presse écrite et audiovisuelle à destination
d’un public, par ailleurs très consommateur. On peut, à chaque époque, relever un
certain nombre de médias destinés, ainsi, à ce que l’on peut appeler la
socialisation symbolique des « jeunes », destinés à faire exister une identité
sociale partagée des « jeunes ». Ces médias, comme ont pu l’être, à différentes
époques, Pilote, Salut les copains, la radio NRJ ou encore des magazines
contemporains comme Piercing (dont il a été question plus haut) racontent des
événements et font apparaître des acteurs particuliers susceptibles de recueillir
l’identification de leurs lecteurs. Ils mettent, ainsi, en mouvement une opinion
publique propre aux jeunes, et, ainsi, contribuent à construire cet espace public
particulier. Les médias des « jeunes » se caractérisent par l’articulation du
discours et de la musique, des recherches esthétiques les plus complexes et des
discours faisant apparaître des formes nouvelles d’engagement politique, et, enfin,
par une articulation très exigeante entre esthétique et information. Les médias des
« jeunes » consacrent une part importante de leur activité éditoriale à la publicité,
pour des raisons financières, comme tous les médias, mais aussi pour donner à
leur lectorat et à leur audience des représentations de leurs propres pratiques
sociales, qui confondent activités de consommation et activités sociales et
culturelles. Nous sommes ici devant une caractéristique du « parler jeunes », qui
est l’absence de distance, d’écart, entre la communication publicitaire et la
communication d’information et de médiation culturelle. L’importance de la
publicité dans les médias et dans l’espace public à l'
époque contemporaine est
sans doute à l'
origine de cette évolution des médias et des activités symboliques et
culturelles des « jeunes », qui n’opposent pas nécessairement, dans leur activité
médiatée, la publicité à l’information. La presse et les médias, écrits et
93
BERNARD LAMIZET
audiovisuels, ont, d’ailleurs, à l’intention de l’espace public « jeune » accentué les
entreprises de renouvellement et de créativité que la publicité a introduites dans
l’activité éditoriale. La créativité en matière de médias s’est, d’ailleurs, elle-même
trouvée renforcée par la multiplication des réseaux et des canaux de diffusion, de
la presse Internet aux formes renouvelées de l’édition écrite et audiovisuelle.
Dans le champ de ce renouvellement de l’activité éditoriale des médias et
des structures de l’information et de la communication, on observe une très forte
articulation entre cette presse et la publicité, qui constitue le second média dans
lequel les jeunes peuvent se reconnaître et qui stabilise, en les institutionnalisant,
leurs pratiques vestimentaires, culturelles et ludiques. Il convient, sans doute, ici,
de ne pas limiter la signification et l’impact de la publicité à la seule promotion
des marques et des activités commerciales. L’importance acquise par la publicité
dans la seconde moitié du vingtième siècle a amené à une légitimation de la
communication publicitaire et à une reconnaissance des formes et des pratiques de
représentation que la publicité met en œuvre dans l’espace public. La publicité a
fini par se faire accepter dans le champ de la communication médiatée, et les
pratiques de communication mises en œuvre par les « jeunes » sont pour
beaucoup dans cette reconnaissance et dans cette légitimation. En effet, la
publicité a cessé d’être considérée seulement comme une entreprise de promotion
de marques et d’incitation à la consommation, pour devenir une activité de
représentation symbolique de culturelles et d’usages sociaux. Dans les
représentations de la publicité, je reconnais les pratiques sociales que je mets moimême en œuvre, et les « jeunes », en particulier, consommateurs et destinataires
privilégiés des publicitaires, sont largement mis en scène dans les représentations
de la publicité qui leur confèrent, ainsi, la légitimité de l’inscription dans les
médias. Les « jeunes » sont pour beaucoup dans cette évolution du statut de la
publicité, ne serait-ce que parce que l’évolution et le renouvellement de leurs
propres pratiques sociales et culturelles a entraîné un renouvellement parallèle des
représentations de la publicité. Peut-être même peut-on considérer que le « parler
jeunes » se caractérise aussi par de nouveaux rapports entre les pratiques sociales
et les représentations publicitaires, fondées désormais sur une étroite dialectique,
au lieu de n’être qu’à sens unique, comme elles l’étaient, le plus souvent,
auparavant, la publicité étant désormais autant créatrice de pratiques sociales pour
les « jeunes » que ceux-ci sont prescripteurs dans les activités de la médiation
publicitaire.
D’autre part, Internet a fait très vite l’objet d’une appropriation par les
pratiques symboliques des jeunes, ce qui a donné lieu à la naissance de nombreux
sites et ce qui a entraîné une évolution certaine des pratiques de communication et
d’information mises en œuvre par les « jeunes » dans les activités constitutives de
leur sociabilité propre. Internet correspond à la sociabilité communicationnelle
« jeune » de trois façons. D’abord, il s’agit d’un réseau de sociabilité, et, par
conséquent, de formes sociales qui confondent appartenance et activité
symbolique. Naviguer sur le réseau Internet, c’est, à la fois, utiliser des sites
d’information et manifester une véritable activité novatrice dans les pratiques de
communication et d’information. Le concept de navigation représente lui-même
une forme spécifique d’activité de communication, fondée sur une découverte en
partie aléatoire (donc ludique) d’acquisition d’information et sur des parcours
94
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE »
symboliques métaphoriquement porteurs des figures du voyage, de l’exploration
et de la découverte, fortement associées à l’identité symbolique des jeunes. C’est
ainsi que le « parler jeunes » a forgé l’expression surfer sur Internet, qui
représente la dimension sportive de l’activité de découverte et de navigation, ainsi
que la référence aux exploits sportifs constitutifs d’une partie de l’identité des
jeunes. La navigation sur Internet donne lieu à une forme de géographie
symbolique des sites, qui manifeste, enfin, une forme particulière de
représentation de l’information.
Par ailleurs, le jeu représente un média très fort chez les jeunes, en raison de
la mutation des identités qu’il met en œuvre auprès de ceux qui jouent ou qui
pratiquent des jeux de société. Le jeu est un véritable « média jeune », car il porte
sur la construction et la négociation des identités. Jouer – et, en ce sens, cela
appartient pleinement à l’activité symbolique des « jeunes » - revient à se donner
une identité et à inscrire les identités dans les activités symboliques. Le jeu est une
pratique symbolique qui consiste à inscrire l’identité dans des échanges, des
négociations et du hasard. Jouer, c’est risquer l’identité que l’on met en
représentation dans ses pratiques symboliques avec les autres partenaires de la
communication et de la sociabilité. C’est pourquoi le jeu fait partie intégrante des
processus de formation des identités, dans l’évolution de la personnalité.
Le jeu, comme forme esthétique et symbolique d’édition et de médiation, a
su s’adapter aux nouvelles technologies, en proposant des jeux électroniques de
toute nature, qui peuvent se pratiquer en déplacement ou dans des lieux prévus à
6
cet effet C’est ainsi que « La tête dans les nuages » présente, à Lyon , des activités
ludiques, de la même façon que les très nombreux établissements de jeux
électroniques. Le jeu articule, ainsi, les découvertes technologiques et les
pratiques d’information et de communication aux activités de négociation et de
confrontation des identités. Il met en scène des activités de transformation
d’identités et de formation d’identités symboliques au cours de pratiques sociales
spécifiques, isolées par rapport à ce que l’on peut appeler la sociabilité ordinaire.
Les jeux vidéo et les jeux Internet, enfin, comme les pratiques
individualisées de médiation singulière, constituent des activités au cours
desquelles les joueurs sont en situation singulière de communication et de
sociabilité. Ils font l’objet d’une évolution comparable à l’évolution qui a conduit
les médias de formes collectives (spectacles, cinéma) à des formes singularisées
(télévision). De la même manière, les jeux vidéo ou les jeux Internet ne sont pas, à
proprement parler, de jeux de société, mais d’activités singularisées,
individualisées, que les joueurs pratiquent seuls, instituant, pour eux-mêmes, des
espaces ludiques symboliques dans lesquels ils jouent, pour eux-mêmes les
identités dont ils sont porteurs.
Le cinéma (qu’il s’agisse de films d’identification narrative comme les films
d’action ou de films plus distanciés comme le récent Tanguy de Chatilliez)
articule la fonction médiatée d’information et de communication, et la fonction de
spectacle d’identification et d’appartenance sociale. L’activité de médiation
d’identité du jeu est mise en œuvre, au cinéma, sur l’écran, à l’intention des
6
Il s’agit d’un magasin où l’on peut pratiquer des jeux électroniques. Il est situé au centre, près de
la place des Terreaux, lieu de rassemblement de beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes.
95
BERNARD LAMIZET
spectateurs qui peuvent y assister, de façon distanciée. Le cinéma représente, en
fait, une mise en scène esthétique du « parler jeunes » qui suscite, auprès du
public des spectateurs, à la fois une identification narrative et une identification
symbolique. L’identification narrative consiste, en particulier pour le public de
jeunes qui assiste à la présentation des films, à se reconnaître dans les identités
des personnages qui jouent des rôles de « jeunes » dans les films. On peut se
reconnaître, grâce au récit dans lequel il intervient, dans un personnage comme
celui de Tanguy, ou, dans le cas de films destinés de façon encore plus claire à un
public jeunes, comme les films musicaux, dans les personnages mis en scène au
cours de la narrativité représentée par le récit filmique. Le « parler jeunes »
consiste, ainsi, pour le cinéma, d’abord, à mettre en scène des récits dont les
acteurs sont des jeunes et dont les enjeux peuvent être compris par le public
« jeune » auquel sont destinés ces films.
Mais il y a aussi, au cinéma, un autre type d’identification, l’identification
symbolique, qui consiste à mettre en scène le « parler jeunes » comme une
modalité d’expression du film, et non comme une simple modalité du récit
filmique. C’est le discours du film, les propos des personnages, voire la
configuration des décors, de la mise en scène et des personnages, qui, dans ces
conditions, deviennent des formes de mise en œuvre de la médiation symbolique
du « parler jeunes ». Bien sûr, un exemple historiquement très fort de ce type de
médiation symbolique assurée par les films demeure La Guerre des Boutons,
d’Yves Robert, d’après le roman de Louis Pergaud. En effet, au-delà du récit, le
« parler jeunes » mis en scène dans ce film (en particulier l’immortel Si j’aurais
su, j’aurais pas v’nu, de P’tit Gibus) institue une véritable sociabilité, non
seulement dans les mots, mais aussi dans les rituels institués et dans les relations
mises en scène dans le film entre les personnages.
Enfin, il convient de noter que l’individualisation des médias et des
pratiques de communication est une caractéristique des usages, propres aux
« jeunes », de la communication médiatée. Des « baladeurs » aux téléphones
portables et aux écrans « Texto », les médias des « jeunes » se signalent par le
double aspect de leur mobilité et de leur singularité – dans la définition de ce que
l’on pourrait appeler un espace singulier de communication. Le « parler jeunes »
pourrait alors se définir - toujours dans la perspective de la définition d’une
sociabilité globale comme on vient de le voir à propos du cinéma – comme la
mise en œuvre de pratiques de communication de nature à instaurer un nouvel
espace public des jeunes en rupture avec l’espace public institué.
La première rupture d’un tel espace de sociabilité symbolique par rapport à
l’espace institué consiste dans la délimitation d’un espace singulier de
communication, dans une véritable fragmentation de l’espace public, morcelé, en
quelque sorte, en autant d’espaces de communication qu’il existe de relations
singulières ou intersubjectives de communication. C’est cela, l’espace du
téléphone portable ou du «Texto » : un espace séparé de l’espace public par la
mise en œuvre d’un code de communication propre aux interlocuteurs. Le « parler
jeunes » consiste, alors, avant tout, dans la délimitation d’un espace de
communication propre et dans la rupture de cet espace par rapport aux autres lieux
de communication ensemble constitutifs de l’espace public. La multiplication des
dispositifs techniques de communication individuelle revient, ainsi, pour les
96
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE »
jeunes, à instaurer un espace public morcelé, fragmenté, dans lequel ce sont les
partenaires de l’échange qui, en quelque sorte deux à deux, réinventent un espace
public qui leur est propre.
L’autre grande rupture qui caractérise ces formes et ces pratiques de
communication individualisée est la clôture sur elles-mêmes de ces activités de
communication. Le « parler jeunes » se clôt sur lui-même dans l’écoute d’un
baladeur ou dans la lecture d’un message sur un « Texto ». Le « parler jeunes »
consiste, dès lors, non seulement à s’abstraire et à s’isoler de l’espace public dans
la formation d’un espace intersubjectif, mais, en allant plus loin, à configurer un
espace symbolique propre qui, dès lors, ne consiste pas dans un espace d’échange
mais dans un espace de représentation de la communication. Le « parler jeunes »
consisterait, alors, à retrouver la logique du jeu, mais à l’appliquer, cette fois, à la
communication même. Le jeu est renvoyé, dans l’imaginaire des jeunes et dans
leurs pratiques symboliques, à la formation d’un espace identitaire second dans
lequel s’institue et se met en scène une identité propre. De la même façon, la
communication, ainsi mise en œuvre au cours d’activités esthétiques et
symboliques singulières, est renvoyée à un jeu singulier, de nature, peut-être, à
refonder le « je » singulier de « jeunes » qui tentent de s’y retrouver.
CONCLUSION. EXISTE-T-IL UN « PARLER JEUNES » ?
Pour finir, tentons donc de répondre à notre question du commencement. La
question est intéressante aussi parce qu’elle nous permet de répondre à une autre :
qu’est-ce, au fond, qu’un parler, peut-on imaginer une différence entre langue,
parole et parler ? La question du parler jeunes nous permet, en conclusion, de
rebondir, en quelque sorte, sur deux autres thèmes : celui du parler et celui que
l’on pourrait désigner comme une approche du concept d’identité en termes de
communication. En provoquant la mise en question du concept de langue et de
celui de langage, le mot, parler, ne serait-il, finalement, pas utile à l’intelligibilité
linguistique des faits de communication ? On peut répondre en trois points.
Sans doute n’existe-t-il pas, à proprement parler de parler jeunes, ne seraitce, d’ailleurs, que, parce que, comme on l’aura vu tout au long de ce texte, le
concept même de jeunesse est mouvant. Ce qui existe, c’est un certain nombre de
pratiques symboliques mises en œuvre, dans l’espace public, par des personnes
qui, justement, construisent leur appartenance et leur identité par l’usage de ces
pratiques symboliques dont la répétition, au-delà de l’effet de « mode » qu’elle
représente, produit une stabilisation qui a quelque chose à voir avec
l’institutionnalisation d’une langue. Il n’existe ni de langue des jeunes, ni de
parler jeunes : sans doute n’existe-t-il qu’un ensemble ritualisé de pratiques
symboliques dont le retour et la répétition permettent à la fois la reconnaissance et
l’identification de ceux mêmes qui les mettent en œuvre. S’il y a des usages
symboliques de la langue et des pratiques sociales qui sont propres à une certaine
catégorie de population qu’ils parviennent justement à constituer, sans doute
s’agit-il, d’abord, essentiellement, de modes particuliers d’appropriation de
l’espace public et de formes particulières de pratiques sociales d’usage de la
langue.
Le second point qui permet de définir ce qu’il en est d’un « parler jeunes »
est lié à l’espace public. L’observation permet de se rendre compte de
97
BERNARD LAMIZET
l’importance de l’espace dans la reconnaissance des identités et des pratiques
symboliques qui les mettent en scène. S’il y a un « parler jeunes », sans doute estil, d’abord, fondamentalement défini par les lieux où il est mis en œuvre. Avant
même de parler de langue, voire d’usage particulier de la langue, il nous faut
revenir à cette catégorie fondamentale élaborée par Habermas. En effet, dans
l’espace privé, dans le lieu familial, ce n’est pas par le langage que « les jeunes »
se définissent et se reconnaissent, mais bien par leur situation par rapport aux
autres générations. C’est la filiation qui constitue les identités dans l’espace
familial et dans l’espace privé. En revanche, il faut bien le langage, qu’il s’agisse
des mots du « parler jeunes » ou des formes symboliques de leur langage, pour
que les jeunes s’instituent une identité qui fasse l’objet d’une reconnaissance, à la
fois par eux-mêmes, entre eux, et par les autres. C’est dire l’importance des lieux
de la sociabilité qu’ils mettent en œuvre pour comprendre l’institution d’un parler
jeunes.
Enfin, cet espace public ne saurait être situé hors de l’histoire et du
politique. Il ne saurait y avoir de parler jeunes sans reconnaissance de l’existence
d’une médiation culturelle de la jeunesse dans l’espace de la sociabilité. Sans
doute la véritable question n’est-elle pas celle d’un parler jeunes, mais celle de
l’existence d’une culture jeunes, de lieux propres à la mise en œuvre de pratiques
de médiation culturelle de nature à exprimer leur identité – voire à la leur
constituer. Les formes du langage ne sauraient faire l’objet d’une analyse et d’une
rationalité qui les séparent des autres formes constitutives de la culture et des
médiations qui l’expriment dans l’espace public. Plus encore que des lieux
constitutifs d’un espace public propre, ce qui peut constituer un parler jeunes, un
ensemble de pratiques symboliques exprimant leur identité, ce sont de véritables
pratiques culturelles au cours desquelles ceux que nous avons l’habitude d’appeler
les jeunes puissent exprimer et sublimer les désirs propres dont ils sont porteurs.
Même s’il s’agit d’une identité en transition, de telles médiations esthétiques et
culturelles de la sociabilité leur confèrent, dans la société civile, une identité dont
ils puissent se soutenir, dont ils se fassent reconnaître : dans laquelle ils puissent
se faire entendre des autres, et, surtout, s’entendre eux-mêmes.
Bernard Lamizet
[email protected]
98
Cyril Trimaille
Lidilem
1
Université Grenoble III (France)
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES URBAINS EN
FRANCE
ÉLÉMENTS POUR UN ÉTAT DES LIEUX
2
–
– Pardon monsieur vous n’avez rien contre les jeunes ?
Si. J’ai. Et ce n’est pas nouveau. Je n’ai jamais aimé
les jeunes […].
La jeunesse, toutes les jeunesses, sont le temps kafkaïen
où la larve humiliée, couchée sur le dos, n’a pas plus
de raison de ramener sa fraise que de chances de se
remettre toute seule sur ses pattes.
P. Desproges, Chroniques de la haine ordinaire, 1986
OBJECTIFS
Depuis que la France est entrée, dans les années soixante, dans une phase
d’urbanisation périphérique massive, de nombreux travaux sociologiques ont
étudié les cités, quand d’autres ont décrit l’émergence et la transformation de
représentations sociales « de la banlieue » (Dubet, 1987; Bachmann & Basier,
1989; Lepoutre, 1996; Rinaudo, 1999…). À mesure que « la banlieue » s’imposait
comme un « thème de société », la visibilité des pratiques langagières souvent
attribuées aux habitants de ces espaces s’est développée, provoquant une
multiplication des publications portant sur ce que j’appellerai, faute de mieux et
en ayant conscience que cette désignation nécessite une problématisation, des
« parlers de jeunes urbains ». Après une vingtaine d’années et une accumulation
considérable d’enquêtes journalistiques, d’essais ou de travaux scientifiques, il
1
Ce travail est la version remaniée du premier chapitre d’un rapport de recherche collectif réalisé
en réponse à un appel d’offre de la DGLGLF (Billiez et al., 2003b). Il a donc bénéficié des
relectures attentives, des remarques et des conseils de J. Billiez, P. Lambert et A. Millet que je
remercie, les imperfections restant bien sûr de mon fait.
2
J’applique dans ce texte, de façon variable, les rectifications orthographiques publiées au JO du
6-12-1990.
CYRIL TRIMAILLE
apparait utile de faire le point sur un champ caractérisé par une grande
hétérogénéité.
L’objectif de cet article est donc de fournir un aperçu des représentations
(ordinaires et savantes) qui contribuent à construire socialement un référent –
l’objet social « parlers de jeunes urbains » (désormais PJU) – aux contours flous
et instables, et de mettre en lumière quelques uns des aspects qui paraissent
pertinents dans la construction, encore éclatée et fragmentaire, de cet objet.
Il s’agira donc de recenser quelques uns des travaux représentatifs de la
constitution et des évolutions du champ d’étude des pratiques langagières de
jeunes citadins et de la diversité des orientations théoriques et méthodologiques
qui le structurent actuellement.
Ce recensement m’amènera à faire deux détours préalables. D’abord en
interrogeant les notions de jeunesse et d’adolescence, rarement problématisées
dans les études sociolinguistiques, pourtant nombreuses sur le sujet, et ce en
faisant appel aux regards historique et sociologique. Ensuite, en abordant le rôle
qu’ont pu jouer les études de la variation diastratique (sans doute au détriment
d’une approche diaphasique) en domaine français, longtemps polarisées sur les
3
« argots » et autres « langages populaires » avant de se focaliser sur les « parlers
de jeunes ».
CADRAGE THÉORIQUE
Toute connaissance étant située, il n’est pas inutile, avant de se lancer dans
un état des lieux des savoirs construits, d’en examiner les fondations et les
4
éléments constituants. Les supports de cristallisation des représentations sociales
que constituent les désignations ne doivent pas échapper à ces interrogations.
C’est particulièrement le cas des catégories extralinguistiques « jeune(s) » et
« adolescents » auxquelles leur caractère d’évidence confère une essence quasi
naturelle.
Qui sont donc « les jeunes »?
Pour F. Dubet (1996 : 24), « les sociétés n’ont pas attendu les temps
modernes pour inventer la jeunesse », qui, dans les sociétés traditionnelles, était
déjà bornée et contrôlée par des rites, des rôles, des droits et des interdits. Comme
toute représentation sociale, celle de la jeunesse s’est, en France, construite au fil
des siècles par sédimentation idéologique et praxéologique. Pour comprendre le
regard de la société contemporaine sur l’adolescence, il est instructif de mettre à
jour quelques strates.
Bref aperçu d’une longue histoire de la jeunesse
Sans remonter jusqu’à l’antiquité grecque , à la fin du XVIIIème siècle, les
moins de 20 ans représentent 42 % de la population française quand les plus de 60
5
Pour une discussion critique de cette notion, voir notamment Gadet (1992, 2003). Pour un point
de vue plus global sur le « populaire », Bourdieu (1983) et Passeron (2003).
4
Les représentations sociales sont des formes de connaissances communes socialement élaborées
et partagées, qui jouent un rôle dans l’appréhension des informations nouvelles et orientent
l’action des sujets.
5
« Platon déplorait déjà l’irrespect de la jeunesse, comme les anciens du village critiquaient cette
jeunesse qui ne sait plus [pas ?] s’amuser. » (Dubet, 1996 : 24).
3
100
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
ans n’en représentent que 7 % . De l’avis de M. Perrot (1986), cette omniprésence
des jeunes dans la société a pu participer au développement d’une peur sociétale
des « jeunes ». Les termes employés par Rousseau dans l’Émile (ou De
l’éducation, 1762) pour décrire l’énergie qui gronde en chaque adolescent
donnent un aperçu de la façon dont les savants de l’époque considèrent la période
du passage de l’enfance à l’âge adulte :
6
Nous naissons, pour ainsi dire, en deux fois : l’une pour exister l’autre pour vivre ; l’une pour
l’espèce et l’autre pour le sexe […]. Comme le mugissement de la mer précède de loin la
tempête, cette orageuse évolution s’annonce par le murmure des passions naissantes : une
fermentation source avertit de l’approche du danger. (Cité dans Perrot, 1986 : 20,
soulignements CT).
La vision s’impose d’un adolescent excessif et dangereux, pour lui-même et pour
la société, du fait de son bouillonnement sexuel et de ses velléités d’émancipation.
L’amalgame est fait entre puberté (phénomène biologique et psychologique) et
adolescence (phénomène socialement construit). La criminologie naissante et les
médecins martèlent la dangerosité des jeunes de 20 à 25 ans, tandis que les faits
divers érigent la figure du « jeune délinquant », agissant seul ou en bande, en un
sociotype repoussoir. Ainsi, peu à peu, se dessine la « classe dangereuse ».
De telles conceptions légitiment une prise en charge des « jeunes » et un
aménagement juridique de leur statut, notamment par la définition du seuil de la
majorité au-delà duquel le sujet est capable de « discernement », et à ce titre
pénalement responsable. Elles justifient la prohibition de toute forme
d’organisation de jeunes, que le droit commun interdit aux citoyens depuis la loi
Le Chapellier de 1791 sur les corporations. Qu’elle s’exerce sur un fils ou sur une
fille, l’autorité toute puissante du père, au besoin assise par la force, est transférée
au patron ou au maitre, puis à l’armée pour les jeunes hommes.
Pourtant, il faut que jeunesse se passe, et le rôle d’organisateur des fêtes
traditionnelles (notamment celles liées aux rites de passage) dévolu aux jeunes
s’entend semble-t-il comme une fonction sociale par défaut qui vise notamment à
canaliser d’éventuels débordements, sociaux et sexuels, comme le rappelle F.
7
Dubet :
Les bals de village et les « rallyes » bourgeois apparaissent comme des modes de régulation
des choix du conjoint […]. Chahut des conscrits pour les uns, bizutage d’étudiants pour les
autres, les rites de passage se sont toujours réalisés dans un espace de « déviance tolérée »
offrant à la jeunesse le droit aux débordements. (Dubet, 1996).
Toutefois, il faut distinguer la place sociale réservée aux filles de celle assignée
aux garçons, ainsi que les modalités de leur prise en charge selon les milieux
sociaux.
Selon Fize (1998), au XIXème la bourgeoisie met en place un contrôle
social de sa jeunesse en enfermant ses filles et en envoyant ses garçons au lycée.
Alors qu’une certaine part d’autonomie et de déviance est tolérée pour ces
derniers, notamment en matière d’émancipation sexuelle et d’affirmation de la
virilité, la bonne éducation et la virginité des jeunes filles, capitaux symboliques
Ces chiffres de 1775 sont fournis par Perrot (1986 : 21).
Au Moyen-âge les jeunes ont un rôle social : dans les villages, ils font le charivari (chahut
bruyant des personnes commettant des écarts à la morale sexuelle) qui contribue au contrôle social
de l’exercice la sexualité (Fize, 1998 : 47).
6
7
101
CYRIL TRIMAILLE
précieux, doivent être protégées. C’est la scolarisation qui assure l’encadrement
moral et social des adolescents bourgeois. Mais, même pour les enfants de bonne
famille, et particulièrement dans le cadre des internats, l’adolescence est perçue
comme la période de tous les dangers au plan sexuel.
Dans les classes populaires, les filles, encore plus soumises aux valeurs
religieuses, sont tout aussi tenues que dans la bourgeoisie et elles sont souvent
« placées », par exemple comme domestiques. Les fils d’ouvrier, dont le travail
précoce favorise l’autonomisation, ne connaissent pas vraiment d’adolescence
sociale (Bourdieu, 1984).
Ainsi, au début du XXème, l’adolescent dépeint par Duprat, dans son ouvrage
de 1909, La criminalité dans l’adolescence. Causes et remèdes d’un mal social
actuel, est un « vagabond-né »; il fait des « fugues analogues à celles des
hystériques et des épileptiques » et il est « incapable de résister à l’impulsion des
voyages ». L’adolescence est ainsi vue comme une pathologie (que Duprat
nomme « hébéphrénie ») caractérisée par « un besoin d’agir qui entraine le dédain
pour tout obstacle, tout danger » et « pousse au meurtre ». Par-delà ces études
empreintes de jugements conservateurs et alarmistes, il semble que l’on peut, déjà
à cette époque, déceler une dynamique représentationnelle et attitudinale, qu’après
1968 Chamboredon et Lemaire (1970) analysent en ces termes :
C’est dans les conflits qui naissent à propos des jeunes que l’on peut le mieux ressaisir tous les
griefs portés contre les mœurs populaires. [...] C’est dans l’aptitude à transmettre la culture que
l’on voit le signe le plus indiscutable de culture et c’est une accusation de barbarie que de
dénoncer l’incapacité de donner une éducation correcte. (Chamboredon & Lemaire, 1970 : 2324).
Le regard de la société sur les jeunes prend une forme de sollicitude
paternaliste et puritaine, et concourt, dialectiquement, à construire la catégorie de
la jeunesse. Non seulement l’attention portée à la jeunesse donne de la consistance
à une catégorie jusque-là socialement inexistante, mais de plus les normes
secrètent leurs propres déviances. À la façon des entrepreneurs de morale décrits
par H. Becker (1985), la société bourgeoise du XIXème crée, en organisant un fort
degré de contrôle social, une large sphère de déviance potentielle. L’insoumission
juvénile émerge et revêt des formes diverses, elles aussi déterminées par le sexe et
l’appartenance sociale.
Quand, comme dans les classes laborieuses, le niveau d’alphabétisation ne
permet pas de critiquer –en sourdine– les carcans (dans un journal intime ou grâce
à des lectures sous le manteau), la recherche d’un ailleurs apparait comme une
solution. Le départ, pour ne pas dire la fuite, qu’il prenne la forme du mariage, du
tour de France des compagnons, de l’enrôlement dans l’armée, de la fugue, du
vagabondage ou encore du voyage, apparait comme le « salut » des jeunes. La
mobilité est vécue à la fois comme un exutoire et comme une possibilité de
formation et d’ascension sociale. Outre ces stratégies individuelles, de
nombreuses rébellions et révoltes dans les collèges et les ateliers marquent la fin
du XIXème siècle.
Mais ce sont plus particulièrement les réponses grégaires de jeunes vivant
en milieu urbain qui, depuis le début du XXème siècle, défraient la chronique et
effraient le citoyen « bien pensant ».
102
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
Quand la jeunesse fait peur : les « bandes de jeunes »
Alors que, dans les classes bourgeoises, le groupe d’amis et de camarades,
8
le rire et la dérision , « à la fois défense et point de vue sur le monde » (Perrot,
1986 : 26), assurent aux jeunes garçons un espace de sociabilité et de liberté, dans
les milieux populaires privés « d’intérieur où se réunir, la rue, espace de loisir et
de liberté, cristallise les ‘bandes’, identifiées par les sociologues contemporains
comme une structure élémentaire de la société jeune » (Perrot, 1986 : 26).
L’historienne fait toutefois remonter au Moyen-âge l’origine de cette sociabilité
grégaire des jeunes, en précisant que « l’horizon de la bande est en tous cas urbain
[et que celle-ci] se greffe sur le quartier, lieu de voisinage, de rencontre, de
creuset d’identité qui se cherche » (ibid.).
Parmi ces bandes qui font peur, l’imaginaire collectif et le vocabulaire ont
notamment retenu celles identifiées et regroupées par l’ethnonyme « Apache »,
lexicalisé au début du XXème siècle comme synonyme de « voyou ». L’origine
9
vraisemblablement journalistique du terme n’est pas anodine. En effet, il est
intéressant de noter que, dans les années 1980, un phénomène dénominatif
comparable s’est produit avec l’émergence des bandes de « Zulus » notamment
dans le nord parisien. Dans ce cas, il s’est agi, comme dans celui des « Apaches »
du début du XXème, d’associer des jeunes d’origine modeste (issus ou non de
l’immigration), qui s’approprient symboliquement ou physiquement des portions
d’espace public, ainsi que leurs pratiques, à un peuple, par le biais de son nom,
dont l’image stéréotypée évoque, dans les représentations sociales majoritaires, la
sauvagerie ou la barbarie. Notons que les ethnonymes retenus pour qualifier ces
bandes l’ont été parmi des noms de peuples qui ont été colonisés mais qui ont
opposé une résistance aux Européens : en somme, des obstacles à l’avancée de la
10
dite civilisation …
Pour les Apaches comme pour les Zulus, il est manifeste qu’au-delà de la
« réalité sociologique – le mal de vivre de la jeunesse des zones suburbaines »
(Perrot, 1986 : 26) – les phénomènes de bandes ont été mythifiés, notamment par
les médias, d’autant plus avides de faits divers que ceux-ci contribuent à faire
vendre, à tracer et à renforcer les limites du socialement admis et du socialement
11
inadmissible . Le fait qu’au début du XXème siècle, le grand journal parisien Le
Matin ait consacré quotidiennement aux faits divers liés à la délinquance juvénile,
sur sa « une », une rubrique intitulée « Paris-Apache » est révélateur du
Selon M. Perrot (1986 : 26), « le ‘fou rire’ des jeunes filles, souvent qualifié de conduite
hystérique par les médecins des maladies nerveuses, dit la complicité d’un échange qu’étouffent
les codes des bonnes manières et leur sévère contention du corps ».
9
Voir http : //perso.wanadoo.fr/musette.info/FRHM-Apaches.htm
10
Si ce n’est pas nouveau, il inquiétant de constater que l’humanité des « élèves à problèmes » est
aujourd’hui parfois niée par certains enseignants au moyen de termes renvoyant aux champs
sémantiques de la sauvagerie ou de l’animalité (cf. Moïse, à par.).
11
Quand, avec la fin des « Trente glorieuses » et après « la préhistoire imaginaire des banlieues »
nourrie de modernité et de convivialité, l’image des banlieues a viré au « sordide » (Bachmann et
Basier, 1989 : 38), les « jeunes » ne pouvaient logiquement que se trouver en première ligne.
D’autant plus facilement qu’une bonne partie d’entre eux étaient des immigrés ou des étrangers,
pour beaucoup Maghrébins.
8
103
CYRIL TRIMAILLE
positionnement des médias à l’égard des groupes de jeunes . Or, les travaux de
Taboada-Leonetti l’ont bien montré :
12
toute identité minoritaire, qu’elle soit fondée sur un critère de territoire, de langue, de religion,
de race ou de lignage, ou comme il apparaît dans un grand nombre d’exemples rapportés par la
pratique sociale du champ de l’immigration en France, sur un critère de la « sale gueule »,
c’est-à-dire l’appartenance telle qu’elle est perçue ou fantasmée par l’autre, est en grande partie
assignée par le groupe majoritaire dont le regard est, d’une certaine manière, constituant du
groupe minoritaire (Taboada-Leonetti, 1990 : 59).
Développant ainsi une réponse stratégique identitaire connue sous le nom de
« surenchère » (Taboada-Leonetti, 1990 : 66 ; cf. note 60), les « Apaches »,
comme les « Zulus » ont, semble-t-il, non seulement intériorisé en partie
l’assignation et le stigmate émanant du groupe majoritaire, mais les ont de surcroit
mis en avant en en érigeant les éléments stigmatisés (activités illicites,
marginalité, provocations, ruses, violences...) en valeurs et normes de groupe.
Malgré des pratiques sociales très différentes, ce type de dynamique
identificatoire semble encore aujourd’hui à l’œuvre au sein de certains groupes ou
réseaux d’adolescents. En proie à une forme d’injonction paradoxale, certains
d’entre eux n’hésitent pas à affirmer leur admiration pour les figures du « caïd »,
du « dealer », ou de la « racaille ». La fascination pour le héros de Scarface de
Martin Scorsese en est un exemple banal dans nombre de cités, attestée
notamment par la fréquence des références qui y sont faites dans des chansons de
rap.
Comme le décrivent bien Bachmann et Basier (1989), les « jeunes », et plus
précisément certains jeunes, sont depuis longtemps spectacularisés sur la scène
médiatique. Le plus souvent issus des milieux populaires, on ne compte plus les
groupes qui, des « Apaches » aux « Blousons noirs », des « loubards » aux
« racailles », en passant par les « Zulus », ont incarné la classe dangereuse. « La
jeunesse séduit et intrigue autant qu’elle fait peur. Tout concourt à la surveillance
d’un péril si précieux » (Perrot, 1986 : 22). Chaque époque et chaque société
(comme chaque groupe social) semblent donc se construire ses « bataillons
d’épouvantails », repoussoirs que l’on peut exhiber à ses enfants en leur disant
« travaille bien à l’école sinon tu finiras comme eux ». Ainsi pourrait se
transmettre comme un atavisme la crainte « du jeune » socialement disqualifié,
que le « jeune » portera en germe jusqu’à ce qu’il ne le soit plus.
Au-delà des conceptions sociétales qui donnent à voir une jeunesse
dangereuse, présupposant l’existence d’une réalité assez homogène, le siècle
dernier a vu se développer une remise en question du caractère essentialiste de la
jeunesse, que résume bien G. Mauger quand il écrit que :
tout porte à croire que l’âge, comme le sexe ou l’ethnie, constitue un principe de
regroupements instables, éphémères, bâtis sur des quiproquos ou des malentendus, menacés
par les scissions et les oppositions liées aux distances « objectives » entre les agents […]
Mauger (1986 : 43-44).
12
La récente surmédiatisation du thème de l’insécurité en est d’ailleurs une nouvelle attestation.
104
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
La jeunesse, une catégorie sociologique discutée
Poursuivant ce questionnement sur la notion de « jeunesse », j’évoquerai ici,
sans bien sûr l’épuiser, le débat sur les enjeux scientifiques et sociaux liés à
l’utilisation de cette catégorie.
La jeunesse, une catégorie relative et incertaine
Proust (1986), affirme que « la jeunesse n’existe que sous la forme des
relations que les différentes générations entretiennent avec elle. Autrement dit la
jeunesse c’est l’affaire des autres ».
Mais c’est plus particulièrement l’affaire des grands « utilisateurs » (à des
titres différents) de la notion, que sont sociologues et médias. Citant M. Bloch,
Mauger évoque ironiquement « l’utilité » des catégories que l’on pourrait qualifier
de « fourre-tout à géométrie variable » :
Leibniz, disait Fontenelle, « pose des définitions exactes qui le privent de l’agréable liberté
d’abuser des termes dans les occasions ». S’agissant des discours sur la jeunesse, cette liberté
n’est que trop familière : le flou est la règle et la définition l’exception. (Mauger, 1986 : 44).
Pour Bourdieu (1984) non seulement la notion de « jeunesse n’est qu’un
mot » mais, de surcroit, « l’âge est une donnée biologique socialement manipulée
et manipulable ». Selon lui, l’un des changements importants de la fin du XIXème
siècle réside dans le fait qu’une bonne partie de la « jeunesse », les adolescents
des classes qui traditionnellement ne poursuivaient pas d’études au-delà du
certificat, a eu accès à une « adolescence sociale » :
Un des facteurs de ce brouillage des oppositions entre les différentes jeunesses de classe, est le
fait que les différentes classes sociales ont accédé de façon proportionnellement plus
importante à l’enseignement secondaire et que, du même coup, une partie des jeunes
(biologiquement) qui jusque-là n’avaient pas accès à l’adolescence, a découvert ce statut
temporaire, "mi-enfant mi-adulte", "ni enfant ni adulte". [...] Il semble qu’un des effets les plus
puissants de la situation d’adolescent découle de cette sorte d’existence séparée qui met hors
jeu socialement (Bourdieu, 1984).
Ce point de vue est aussi celui de Fize (1998), pour qui, au-delà des
conditions juvéniles contrastées, c’est l’état de latence et d’irresponsabilité sociale
dans lequel a été cantonnée la jeunesse qui la caractérise en tant que groupe
social.
Renvoyant dos-à-dos la position de Bourdieu et celle des tenants de
l’existence d’une ou de plusieurs jeunesse(s), Dubet résume l’opposition théorique
sur la construction de la catégorie en la qualifiant de révélateur du passage d’une
société industrielle de classes à une société de culture de masse :
Pour les uns, l’unité supposée de la jeunesse, telle qu’elle se manifeste à travers la culture
juvénile de masse, apparait comme le visage même de la modernité. Pour les autres, cette
jeunesse est une illusion, voire une ruse idéologique pour masquer la réalité des rapports de
classes (Dubet, 1996 : 23).
Il appelle à dépasser ce débat pour se demander si la ou les jeunesse(s)
constitue(nt) un « acteur social », au regard notamment des mobilisations
collectives qui ont marqué les dernières décennies, qu’elles aient pris la forme de
manifestations d’étudiants et de lycéens ou de « révoltes de l’autre jeunesse, celle
des banlieues » (Dubet, 1996 : 24). Pour sa part, Mauger (1986), tout en émettant
des réserves sur l’existence de la jeunesse en tant que « classe d’âge mobilisée,
105
CYRIL TRIMAILLE
[…] sujet capable d’agir et de vouloir [dont on] peut chercher à définir le nombre,
les limites, [et] les membres », invite à
s’interroger sur la mystérieuse alchimie qui, dans certaines conjonctures historiques, parvient,
si ce n’est à mobiliser ces groupes improbables, du moins à produire assez de croyance en leur
existence potentielle ou naturelle pour fonder l’autorité de leurs porte paroles (Mauger, 1986).
Quelle que soit la posture théorique à laquelle on se réfère, il convient de
bien définir la population étudiée, ce qui limitera les risques de généralisation
abusive ou de mésinterprétation.
Que faut-il alors entendre par « jeunes » ?
Ainsi que le rappellent Blanchet et al. dans un ouvrage à portée
méthodologique :
Étudier les personnes âgées, expliquer leurs comportements, exige non seulement que l’on
définisse explicitement, et opérationnellement le groupe auquel on va s’intéresser (…) mais
encore qu’on précise ce qui fait sa spécificité, c’est-à-dire les caractéristiques qui, sans
intervenir nécessairement dans la définition opérationnelle de la population visée, pourrait
peut-être rendre compte des particularités qu’on aura observées (Blanchet et al., 1987).
Ces recommandations méthodologiques, qui portent sur la définition des
« personnes âgées », s’appliquent en tous points à nos interrogations sur la
définition de la catégorie « jeune ». En effet, dans la plupart des sociétés, l’âge est
une donnée socialement pertinente, puisqu’entre autres choses, il « est associé
avec la structure des rôles dans la famille et les groupes sociaux, avec
l’assignation d’autorité et de statut, et avec l’attribution de divers niveaux de
13
compétence » (Helfrich, 1979 : 63) . L’utilisation de cette catégorie biologique et
psychosociale à des fins sociolinguistiques pâtit souvent d’une absence de
déconstruction/reconstruction que pourrait permettre d’envisager une série de
questions telles que :
- Quels évènements et facteurs déterminent l’entrée et la sortie de
l’adolescence ?
- L’âge ne pouvant être le seul critère de classement, quels sont, pour les sujets
étudiés, les facteurs pertinents à intégrer : sexe, niveau de scolarisation,
degré de socialisation institutionnelle, représentation de l’avenir
professionnel, niveau d’intégration dans une communauté ethnoculturelle ou
dans des réseaux de parole ? Cette question est particulièrement pertinente
lorsqu’on sait que beaucoup des études sociolinguistiques s’étant intéressées
au facteur âge l’ont fait sous un angle variationniste, c’est-à-dire en
14
s’appuyant sur des catégories sociologiques définies a priori , non dénuées
d’un certain essentialisme.
- Quels enjeux sociaux/sociétaux se dissimulent derrière l’usage des
catégories ?
Pour comprendre, dans une perspective sociolinguistique, les ressorts de la
socialisation langagière de jeunes sujets, en étudier les phases et les implications
13
Traduction CT.
Pour un point de vue critique sur la constitution des échantillons et des groupes sociaux dans les
recherches variationnistes, voir entre autres, Laks (1980).
14
106
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
sur les pratiques, pour suivre la construction et l’évolution des représentations et
des attitudes des locuteurs, il apparait nécessaire de couvrir la période allant de la
fin de l’enfance à l’entrée dans le monde adulte, au cours de laquelle s’opèrent
15
d’importantes transformations . On peut donc étudier les « parlers de jeunes »
chez des sujets dès la fin de l’enfance, (marquée par les prémisses de
transformations physiologiques et corporelles, l’entrée au collège, l’élargissement
des réseaux sociaux et le renforcement de l’importance du groupe de pairs)
jusqu’au début de l’âge adulte, dont l’un des jalons est l’insertion professionnelle,
qui marque symboliquement et économiquement l’entrée dans le monde des
adultes. Cette limite supérieure est d’autant plus sujette à variation que les
évènements qui la caractérisent sont déterminés socialement et non
biologiquement : ainsi, le critère de scolarisation peut être pertinent, dans la
mesure où la poursuite d’études implique un contact plus ou moins étroit avec des
formes de sociabilité et de cultures juvéniles, mais aussi la perception différée de
contraintes liées à la recherche d’un emploi. De façon très concrète il est crucial
d’apporter des informations précises sur l’âge et la situation des locuteurs étudiés.
Après avoir questionné la catégorie « jeunes », je poursuivrai à présent le
cadrage théorique, en examinant les relations des membres de cette population au
langage et aux normes langagières.
Des « jeunes », des langues et des variations
De nombreuses études sociolinguistiques ont intégré la variable âge à leur
16
analyse de la variation linguistique . Mais Chevrot et al. (2000 : 295) constatent
que « malgré ces avancées indéniables fondées sur l’observation d’adultes ou
d’adolescents, les approches développementales de la variation restent rares. »
Souscrivant à un constat de Gadet, les auteurs jugent que « cet état de fait est
d’ailleurs davantage marqué en France, du fait de la quasi inexistence de la
sociolinguistique variationniste dans ce pays » (ibid.). C’est en partie pourquoi,
pour introduire mon propos, je rappellerai très schématiquement le modèle
graduel d’acquisition de l’anglais standard proposé par Labov (1970) :
1. Acquisition des règles principales de la grammaire de base de l’anglais parlé, sous
l’influence des parents (2-4 ans).
2. Acquisition du vernaculaire, d’une variété locale qui est celle de son groupe de
pairs immédiat, au prix parfois de l’abandon des certains traits acquis auprès des
parents (5-12 ans).
3. Prise de conscience par l’enfant de la signification sociale des variantes à mesure
que ses relations sociales se diversifient. Premier mouvement vers le standard
prestigieux, au moins au niveau des évaluations.
4. Mise en place de la variation stylistique (acquisition des « règles de cooccurrence » (Ervin-Tripp, 1972) entre des formes linguistiques et des contextes);
développement d’une capacité à converger vers le standard prestigieux en
situations formelles.
Selon Alain Braconnier (1998 : 96-98), entre ces deux « bornes » de début et de fin, l’humain en
construction doit successivement : « réunir l’état amoureux, la tendresse et le désir sexuel, [...]
former son caractère [...] assumer son corps sexué [...] se séparer de ses parents et s’individualiser
[...] se projeter dans l’avenir [...] faire face aux bouleversements émotionnels ».
16
Pour une revue de ce champ, voir Bauvois (1998).
15
107
CYRIL TRIMAILLE
5. Usage d’un standard cohérent. Pour Labov, cette étape n’est pas franchie par tous
les locuteurs, mais principalement par ceux de la classe moyenne.
6. Acquisition d’une large gamme de styles appropriés à une large gamme de
situations de communication. Selon Labov, la majeure partie de ceux qui atteignent
ce niveau sont des locuteurs ayant fréquenté l’éducation supérieure.
Ce modèle révèle une progression linéaire vers les normes adultes, dont
l’aboutissement est notamment fonction de la carrière scolaire – et donc en partie
de l’origine sociale du locuteur. Comme on va le voir, plusieurs études viennent le
nuancer, en montrant notamment que certains patrons de variation stylistique
pourraient être acquis bien avant l’adolescence.
L’enfance sociolinguistique
Des trois périodes formatives dans le développement de la compétence
sociolinguistique que distingue Chambers (1995) (cité par Thibault, 1997 : 20-24),
l’enfance est l’époque de l’acquisition du vernaculaire principalement sous
l’influence « de la famille et des copains ». S. Romaine introduit son ouvrage
consacré à l’acquisition de la compétence de communication en énonçant une
sorte d’universel de l’acquisition. Pour elle, « tout enfant normal apprend à utiliser
au moins une variété d’une langue rendue disponible par ses parents, les
personnes qui s’en occupent ou les pairs » (Romaine, 1984 : 1).
C’est la phase durant laquelle « la maîtrise de la phonologie et de la syntaxe
se développe en intégrant les caractéristiques régionales et les marqueurs de classe
sociale » (Chambers, 1995). On le voit, ces points ne sont pas en désaccord avec
le modèle présenté supra et plutôt conformes à d’autres études, notamment à celle
de W. Wolfram (1969) qui a mis en évidence la présence des traits du
vernaculaire noir américain dans le langage d’enfants noirs de 18 mois (Bauvois,
1998), ou encore à celle, plus récente, de Labov (1989) qui montre que 4 à 9 ans
est la période d’acquisition des variables spécifiques de Philadelphie, et plus
largement des vernaculaires régionaux. Selon S. Romaine (1984) les enfants
épousent les caractéristiques langagières de leur sexe vers 6 ans et de leur ville
vers 10 ans. Mais qu’en est-il de leur capacité à produire de la variation stylistique
convergente ?
Alors que la conception piagétienne d’un stade égocentrique enfantin avait
17
conduit à postuler l’incapacité de l’enfant à adapter son comportement verbal
(Auger, 1997 : 16), des recherches ont montré qu’il en allait autrement. Tout
enseignant ou parent a remarqué qu’un enfant ne lit pas comme il parle. Bauvois
fait état d’études montrant en effet qu’un jeune enfant est capable de convergence
stylistique, lorsqu’il lit. Faisant même remonter cette compétence à la prime
enfance, Bernicot (1992) affirme que non seulement « les enfants adaptent leurs
interactions non verbales avant même d’apprendre à parler » mais qu’en outre
« entre deux et quatre ans, les enfants maîtrisent déjà les différentes formes de la
demande et choisissent celle qui est la plus adaptée à la situation d’interaction
dans laquelle ils se trouvent » (Bernicot, 1992 : 154). La sensibilité aux facteurs
sociaux et situationnels (en particulier l’âge de l’interlocuteur (Helfrich, 1979 :
17
Point de vue contesté par Vygotsky, pour qui la parole est sociale dès ses débuts (Helfrich,
1979 : 89).
108
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
90) ) est donc précoce. Bauvois rapporte encore qu’une étude de Fischer (1958) a
montré que des enfants de 3 à 10 ans passaient d’une réalisation standard du
suffixe –ing à une réalisation en –in, à mesure qu’une situation d’interview se
19
détendait .
Au-delà d’écarts de niveau de maitrise des « registres sociaux » par rapport
aux adultes, les enfants intègrent donc dès leur plus jeune âge le fait que le
langage ne sert pas qu’à communiquer de l’information (Auger, 1997 : 16), qu’on
n’utilise pas toujours les « mêmes mots » avec tout le monde. Cette disposition
précoce à l’adaptation situationnelle semble en outre confirmée par l’adoption de
comportements verbaux conformes à certaines caractéristiques sociales (sexe,
ville, milieu socio-économique). Ces comportements peuvent concerner aussi bien
des variables phonétiques (élision de t/d dans des groupes consonantiques en
anglais), que les sujets de conversation ou les modes d’interaction – coopératif
pour les filles vs agressif pour les garçons (Auger, 1997). De plus, pour ce qui
concerne la France, N. Amstrong et M. Jamin (2002) rappellent, en citant
Dannequin (1977), que les tous petits francophones de l’Hexagone subissent très
jeunes la pression du « normativisme linguistique institutionnel ».
Concernant l’acquisition des « règles variables », Romaine (1984), conclut
que « la variation stylistique en fonction du degré de formalité est présente dans le
parler de tous les enfants dès la première année de primaire ». Toutefois, comme
le montre Lafontaine (1986) à propos d’élèves francophones de Belgique, il
semble que cette capacité à la variation stylistique ne soit pas associée à une
20
conscience épilinguistique , laquelle ne serait développée par ses informateurs
que vers l’âge de douze ans, lorsqu’ils reconnaissent explicitement la différence
de prestige entre formes standard et régiolectales. Bauvois rappelle que les
conclusions de Giles (1970) vont dans la même direction puisque, selon lui, « à
douze ans l’accent c’est l’affaire des autres, l’évaluation de son propre accent
étant très peu réaliste et extrêmement positive, celle de la langue de prestige
négative ».
Les observations des parlers des jeunes étant généralement focalisées sur les
adolescents et jeunes adultes, intéressons-nous à présent aux modes de
construction et de gestion de leurs répertoires verbaux.
18
Adolescence, identité(s) et langage
L’adolescence est considérée comme une période de transformation et de
transition qui doit conduire l’enfant sur la voie de l’autonomisation, par une
évolution, parfois un peu chaotique, des appartenances et des références : elle est
18
Helfrich (1979 : 92) rapporte que même un très jeune enfant essaie de prendre en compte les
exigences du récepteur, avec succès sur les niveaux paralinguistique et syntaxique, la pleine
capacité d’adaptation sémantique n’étant atteinte que vers 14 ans.
19
Chevrot et al. (2000 : 296) font état d’une absence de consensus sur l’âge d’apparition des
patterns sociolinguistiques. Par exemple, Roberts (1997) affirme que les contraintes
phonologiques et grammaticales de la suppression de (-t, -d) (en anglais) sont acquises dès 3-4 ans,
alors que Patterson (1992) constate que ces mêmes contraintes n’influencent pas la variable (-ing)
avant 6-7 ans.
20
La conscience épilinguistique étant définie comme un ensemble de connaissances déclaratives,
sur les langues et les variétés, leurs formes et leurs valeurs différentielles, dont la constitution est
individuelle mais aussi sociale.
109
CYRIL TRIMAILLE
définie dans le Grand Dictionnaire de la Psychologie (Larousse, 1991)
(désormais GDP), comme « la période du développement au cours de laquelle
s’opère le passage de l’enfance à l’âge adulte » marquée par une « vive
accélération de la croissance », « l’importance des changements qui se produisent
21
et qui intéressent l’ensemble de l’organisme et de la personne « et une « grande
variabilité individuelle » (p.17). Mais de même qu’on ne saurait réduire
l’adolescence aux phénomènes pubertaires et à leurs effets psychologiques tels
que la sexualisation du corps, la sexuation sociale et la construction d’une identité
pré-adulte, cette période ne saurait être limitée à la divergence linguistique par
rapport aux normes adultes. En effet, durant l’adolescence l’acquisition de la
compétence de communication se poursuit.
De nouvelles compétences linguistiques
D’après Andersen (2000), l’enfant ayant acquis la grammaire et les traits
phonologiques de la variété locale, l’adolescent poursuit le développement de sa
compétence de communication. Ainsi, entre 11 et 14 ans, le stock lexical dont il
dispose s’accroit massivement (Aitchison, 1994). Au niveau syntaxique, les
phrases augmentent en longueur et en densité informationnelle, et des
constructions rares dans les usages enfantins apparaissent (passif, relative, phrase
clivée…). Les appropriations ne se limitent pas à la langue mais concernent aussi
ses usages.
Compétences sociolinguistiques
L’adolescence est la période pendant laquelle s’acquiert théoriquement la
maitrise des règles d’alternance et de co-occurrence (Ervin-Tripp, 1972). Elle est
structurée selon un double mouvement : d’une part une divergence par rapport aux
valeurs et aux normes adultes, et d’autre part un investissement important dans un
réseau de sociabilité horizontale. On a donc d’un côté un processus de
différenciation-identisation, voire d’opposition avec les adultes (dont certains
servent de repoussoir quand d’autres font office de modèle identificatoire) et de
l’autre, une identification avec les pairs (copains, éventuellement « constitués » en
groupe de pairs). Bien souvent, les adolescents manifestent donc d’un côté un
refus de normes vécues comme exogènes et imposées, parfois sans que leurs
promoteurs (parents, enseignants, éducateurs) aient à leurs yeux une légitimité
suffisante (notamment en regard d’une légitimité parentale exclusive). Mais les
adolescents ne se trouvent généralement pas en situation d’anomie, puisqu’ils se
soumettent aux normes (représentationnelles, attitudinales, comportementales)
vécues comme endogènes et consenties, parfois après une phase de transition.
Pour Lepoutre, « la discontinuité générationnelle constitue aujourd’hui une
discontinuité majeure de notre société » (2001 [1997] : 428). Si l’écart culturel
21
Les changements physiologiques pubertaires, affectent par exemple la voix. L’adolescence est
ainsi marquée par des perturbations de fréquence fondamentale qui prennent la forme de brusques
variations de F0 (Helfrich, 1979 : 85). Les mélismes (variations brusques de F0) repérés dans la
pratique de Grenoblois(es) par Romano (in Billiez et al. 2003b) pourraient être liés à ces variations
de l’âge, mais ne sont pas a priori séparables de facteurs sociaux (situation) ou psychologiques
(état émotionnel). Pour plus de précision à propos des mélismes, voir par exemple CaelenHaumont, 2002.
110
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
entre adultes et adolescents est tel, cela tient, selon M. Fize (1998), au fait que
l’adolescent est comme socialement mis entre parenthèses, du point de vue de la
reconnaissance que lui accorde la société. Cette configuration de paramètres est
bien sûr de nature à alimenter la variation.
L’adolescence, période d’écart maximum au standard
Si ces deux pôles sont toujours mentionnés dans les études
sociolinguistiques, il me semble que l’importance d’un troisième pôle de
différenciation, en terme « d’individuation par rapport à » est souvent sousestimée. Cet autre « pôle repoussoir » pour le candidat-adolescent est la figure de
l’enfant, celui pour qui, face à la pression de conformité, il ne veut plus être pris.
On
pourrait
représenter
ainsi
ce
réseau
de
relations
d’identification/différenciation, symbolisé (très schématiquement) par des flèches
22
représentant l’influence sociale consentie et celle refusée niée, malgré une
influence sans doute réelle.
Figure 1 : le réseau de relations
adulte
Influence sociale
Manifeste
Latente
adolescent
Influence sociale niée,
contestée ou refusée
pairs
enfant
Selon Pierrette Thibault (1997), conformément à ces tendances
sociologiques, « deux règles d’or » prévalent, d’un point de vue langagier, chez
les adolescents : « s’affranchir du modèle des parents et être solidaires de ceux qui
ont leur âge ». A ces constantes, on pourrait ajouter que la
construction/affirmation identitaire adolescente passe aussi fondamentalement par
une distinction d’avec les pratiques enfantines.
En effet, l’adolescence est marquée principalement par l’accélération « de
l’identification aux normes vernaculaires sous l’influence du réseau de pairs » qui
conduit les adolescents à ce que Bauvois (1998) appelle un « pic informel ».
Période d’écart maximum au standard semble peut-être plus pertinent d’abord
pour ne pas amalgamer informalité des situations de communication et caractère
contre-normé des pratiques langagières. En outre, si l’image du « pic » a
l’avantage d’illustrer à la fois la croissance de la distance à la norme légitimée et
sa décroissance, elle donne cependant à entendre que l’inversion de tendance et la
convergence vers les formes d’un groupe socioprofessionnel cible se font
brusquement et de façon linéaire et irréversible. Or, la prise de conscience par les
22
« Ensemble des empreintes et des changements que la vie sociale ou les relations avec autrui
produisent sur les individus ou les groupes, qu’ils en soient ou non conscients » (Grand
Dictionnaire de Psychologie, p. 380).
111
CYRIL TRIMAILLE
locuteurs « que le comportement linguistique obéit à une adéquation par rapport
au contexte », et la capacité d’identification des formes légitimes à produire
(Bauvois, 1998 résumant Lafontaine, 1986) ne sont pas déterminées que par l’âge.
Le sexe, l’appartenance sociale et ethnique, et, surtout, le projet d’insertion
conditionnent aussi cette maturation sociolinguistique.
En fonction de la classe sociale d’origine, de la conscience et de la nature
d’un projet d’insertion et de mobilité sociale, la période adolescente est aussi,
dans sa phase terminale, généralement marquée par l’entrée dans le « giron » de la
norme standard. Mais il est un phénomène contemporain qui questionne cette
constante : il s’agit, en lien avec le prolongement de la scolarité, de l’accès à une
23
« adolescence sociale » et de l’allongement concomitant de la jeunesse (cf.
Bourdieu, 1984). A l’inverse, si le sujet s’insère sur le marché du travail en
suivant une trajectoire ascendante, la fin de l’adolescence sociolinguistique (et le
début de l’âge adulte) sont balisés par une soumission plus grande à la pression
normative de ce marché linguistique. Il semble que les filles sont sensibles plus tôt
que les garçons à l’influence de la norme standard.
Thibault (1997) rapporte ainsi qu’un consensus, restant en grande partie à
étayer empiriquement, se dégage parmi les sociolinguistes « autour du fait que la
pleine compétence sociostylistique est acquise vers seize ans dans les sociétés
occidentales » après une exposition suffisante aux normes du standard par le biais
de l’école. D’autres travaux convergent (Bauvois, 1998) pour considérer
l’adolescence comme une période de transition au cours de laquelle les locuteurs
produisent le moins de variantes standard. Il semble toutefois utile de préciser que
le fait qu’ils ne produisent pas certaines variantes standard (par exemple au niveau
lexical) n’implique pas que celles-ci soient absentes de leurs répertoires.
Du point de vue des relations intergroupes, et en l’occurrence des rapports
intergénérationnels, les pratiques adolescentes que Mencken (1919) qualifiait déjà
« d’exubérantes », alimentent parfois un rejet de la part des adultes et des
personnes âgées. C’est ce que note Julie Auger (citant Labov, 1976 : 205) : « la
tendance des jeunes à employer moins de variantes standard que leur aînés, même
dans les styles formels, contribue à créer l’impression que le parler de ces jeunes
marque une rupture importante avec le leur » (Auger, 1997 : 279).
De nombreuses études de psychologie sociale, notamment dans le champ
24
théorique des attributions causales , ont montré que les erreurs d’attributions
intergroupes sont fonction du milieu culturel et de la relation entre groupes
sociaux. A propos de cette perception catégorielle et des biais pro-endogroupes
qu’elle génère, Nicole Gueunier émet d’ailleurs l’hypothèse que « la frontière
23
On peut faire l’hypothèse que l’allongement de l’adolescence sociale maintient le jeune adulte en
contact avec des éléments culturels juvéniles (au premier rang desquels figure le langage, avec les
modes de vie, habitudes de consommation, fête…). Ce contact est sans doute favorable à un
ancrage plus stable de certaines formes dans le répertoire verbal. Par ailleurs, même si toutes ces
formes ne perdurent pas après l’insertion professionnelle, l’installation en couple, ou la naissance
du premier enfant, des représentations et des attitudes à l’égard du langage et de ses usages
peuvent être pérennisées, influençant par exemple le rapport aux normes, et les facteurs
prépondérant dans la définition des situations de communication.
24
Selon Deschamps et Bauvois (1994 : 253), l’attribution causale est un processus qui consiste à
émettre un « jugement sur un individu à partir de ses comportements directement perceptibles, à
inférer sur l’état d’une personne à partir de la perception qu’on en a ».
112
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
d’incommunicabilité, ressentie par l’adulte devant les sociolectes des enfants des
cités relève […] autant du relationnel et des représentations que du linguistique »
(Gueunier, 2000). On peut d’ailleurs se demander si, dans certains travaux qui
jalonnent l’histoire de l’argotologie, ce type de biais, que l’on pourrait – au moins
métaphoriquement – rapprocher de ce que la psychologie sociale nomme une
25
« erreur fondamentale d’attribution » , n’a pas contribué à alimenter des effets de
focalisation exagérée sur d’apparentes spécificités langagières, parfois associées
un peu hâtivement à certains groupes, ou à certains profils sociaux repoussoirs.
Mais malgré ces opinions souvent négatives à leur égard, les pratiques des
adolescents semblent jouer un rôle important dans le changement linguistique.
Les adolescents vecteurs de changements
Les éléments langagiers acquis précocement, ceux qui sont intégrés avec le
vernaculaire, les représentations des langues, des lectes et de leurs usages ainsi
que la trajectoire sociale et l’évolution de ses réseaux sont les principaux facteurs
qui conditionnent l’évolution du répertoire verbal d’un locuteur. Quand, à un
moment donné de l’histoire d’une communauté sociale, plusieurs de ces facteurs
convergent et se traduisent par l’association (statistiquement mesurable) de traits
langagiers à certains groupes de locuteurs dont l’influence est manifeste ou
latente, majoritaire ou minoritaire, ou/puis à de très nombreux locuteurs, la
contribution de ce complexe au changement linguistique est probable.
Plusieurs études rapportées par Romaine (1984), Bauvois (1998) et
Andersen (2000) montrent que les adolescents initient des changements
phonologiques, qu’ils peuvent jouer le rôle d’accélérateur de changements en
cours dans une communauté et contribuer au nivellement dialectal.
DES ARGOTS AUX PARLERS DE JEUNES URBAINS, ET RETOUR?
Bien que certains défenseurs de l’argot traditionnel se refusent à l’accepter,
il semble que l’argot contemporain vive aujourd’hui à travers les PJU. Ainsi,
Boyer évoque « une parlure à forte teneur argotique identifiée comme français des
jeunes et depuis la fin des années 80 des jeunes de banlieue » (Boyer 1997a) et
Liogier pointe aussi que « de nombreuses similitudes rapprochent les parlers de
cité et l’argot traditionnel » (Liogier, 2002 : 42). Longtemps réservé aux parlers
de groupes restreints et bien circonscrits sociologiquement, tels que les truands ou
les bouchers, la portée définitoire de l’argot, « langue spéciale » (Van Gennep,
1908), s’est ensuite étendue aux pratiques langagières « des jeunes des cités ». Un
grand nombre d’éléments argotiques se seraient ainsi dévernacularisés.
Argots et sociolectes urbains : pratiques à la marge, pratiques
marginalisées
S’il semble donc établi que les PJU, au moins dans leurs dimensions
26
cryptiques, ressortissent des variétés langagières « argotiques » , on peut alors se
demander comment cet objet a été construit, ou, quelles places scientifique et
25
Qui consiste à surestimer les facteurs dispositionnels et à sous-estimer les facteurs situationnels.
Il y a plus de trente ans, Gadet (1971) notait « un emploi plus systématique de termes argotiques
dans la jeunesse » pour illustrer la variation sociologique liée à l’âge.
26
113
CYRIL TRIMAILLE
idéologique ont pu tenir les études sur les argots dans la construction de l’objet
PJU, et quelles conceptions ont prévalu à leur égard ?
Focalisation sur le déviant
Pour Sourdot (2002), exception faite de travaux de Dauzat, ce n’est qu’au
XXème siècle que l’étude de l’argot a adopté un point de vue descriptiviste : en
effet, auparavant, elle était l’apanage « d’amateurs éclairés, de philologues érudits
et de chroniqueurs mondains » (Sourdot, 2002 : 25). A ce propos, une première
remarque s’impose : les pratiques langagières de jeunes attirent aujourd’hui autant
les journalistes et essayistes que « l’argot de grand-papa » inspirait les
chroniqueurs ; j’y reviendrai.
Dans un article où il fait état de plusieurs relevés lexicographiques datant du
XIXème siècle, Delaplace (2000) critique ces premiers « travaux » portant sur les
argots. Il établit en premier lieu que les argotographes ont le plus souvent, depuis
cette époque, étudié des pratiques langagières jugées déviantes par rapport à la
27
« langue circulante » , en rattachant presque systématiquement ces usages à
l’appartenance à des groupes « marginaux ou délinquants ». Mais, ajoute-t-il, « la
reconnaissance de la déviance des expressions qu’ils recensent mêle différents
critères dont certains sont assez peu linguistiques » (2000 : 9).
Les travaux sur lesquels il se fonde attestent de l’ancienneté de
l’engouement pour la déviance linguistique, regroupée notamment sous
28
l’expression de « langage canaille » . Allant dans le même sens, Calvet (1994a :
30) cite Esnault (1965 : VII) qui, dans l’introduction de son Dictionnaire
historique des argots français, énonce le fondement de l’un de ses classement en
« populaire » ou en « voyou » : « Nous classons ‘populaires’ les mots des groupes
non dangereux, ‘voyous’ ceux des groupes qui tendent aux méfaits (...) mais la
frontière est amovible » (soulignements CT).
Si l’on peut considérer cette démarche érudite des premiers argotologues
comme l’un des balbutiements d’une étude du langage qui prendrait en compte sa
dimension sociale, elle apparait aussi comme l’une des « péripéties du cycle
linguistique pluriséculaire » lié à l’idéologie sociolinguistique française
mentionnée par Boyer (Boyer, 1996 : 57).
Un des points communs entre les « vieilles études » des « langues
spéciales » et les descriptions actuelles de parlers de jeunes est une tendance à la
focalisation sur le « déviant ». Or, du parti pris de ne décrire que ce qui n’est pas
« normal » ou normé, découle le plus souvent une absence d’études exhaustives,
ou pour le moins approfondies, des parlers des supposés groupes. La tentation est
grande, en effet, de collecter – au sens de recueillir pour en faire une collection –
des termes ou des expressions qui constituent des variantes lexicales par rapport
au français standard, sans par ailleurs recenser ce qui est conforme au français
27
Il est permis de se demander de quelle « langue circulante » il s’agit, lorsqu’on lit ces propos de
Meillet au sujet de l’étude de lettres de soldats par Frei : « des lettres d’illettrés à des illettrés ne
fournissent au linguiste que des données médiocres » (1930), cité par Reichler-Béguelin (1993).
28
Le Petit Robert (1985) donne de « canaille » la définition suivante : « 1° vieilli : Ramassis de
gens méprisables ou considérés comme tels. V. pègre, populace, racaille. 2° : personne digne de
mépris, malhonnête, nuisible ». Notons l’effet d’insistance sur le mépris puisque « ramassis »,
utilisé pour désigner le regroupement, porte déjà le sème « de peu de valeur, méprisable ».
114
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
légitime. Bien souvent, cette forme de « chasse au papillon langagier » exclut
donc bon nombre de dimensions linguistiques, pour ne s’attacher qu’aux aspects
lexicaux, facilement repérables et souvent « colorés » ou « exotiques » comme le
29
sont certains emprunts . Cet effet de focalisation sur des traits perçus comme
saillants et éventuellement récupérables a pour conséquence de creuser les écarts,
quand elle ne les crée pas purement et simplement (cf. Billiez et al, 2003a ; voir
également Trimaille, 2003).
D. Delaplace (2000) évoque d’ailleurs cet aspect des recueils, par lequel
l’argotographe a tendance à forcer un peu le trait de la déviance, même lorsque le
mot « non standard » ne l’est qu’en surface, et que la dynamique néologique qu’il
actualise est d’ordre systémique. Il en va ainsi des variantes expressives créées par
troncation (dossier > dosse), par réduction d’expression longues (pommes de terre
frites > frites), qui sont souvent classées comme déviantes et propres à un groupe
– et à ce titre argotiques – bien que les procédés qui président à leur formation
soient des modes de création existant en langue. Pour Delaplace (2000 : 11), ce
qui est considéré comme déviance l’est plus par rapport à une unité lexicale
préexistante (qui « n’est pas en soi plus française que son substitut ») que par
rapport au système de la langue.
Dès avant la naissance de la linguistique moderne, il existe donc bien une
activité de recensement et de signalisation de la variation qui conduit souvent à
classer ce qui s’écarte de La norme comme des pratiques déviantes attribuées
spécifiquement à des groupes donnés. Le caractère souvent trop systématique de
ces associations pratiques/groupes ne va pas sans poser des problèmes.
Problème de délimitation des groupes
Une des caractéristiques des travaux d’argotographie que l’on pourrait
qualifier de présociolinguistiques est, selon Delaplace qui parle de « distorsion »,
de « recenser dans l’argot d’un groupe une expression employée par des membres
de celui-ci alors qu’elle est (ou a été) utilisée dans d’autres groupes ou d’autres
milieux » (Delaplace, 2000 : 9). Pour lui :
les argotographes attribuent des expressions à un groupe précis en s’appuyant trop vite, quand
ils ne se dispensent pas tout simplement de procéder aux vérifications nécessaires, sur le fait
que celles-ci sont absentes des dictionnaires officiels à l’époque de la collecte (Delaplace,
2000 : 9).
Ainsi, il cite l’exemple du mot « frite », qu’Albert-Levy et Pinet (1894)
attribuent aux élèves polytechniciens amateurs de pommes de terre frites ; or,
remarque l’auteur, ils « omettent de préciser que Larchey (1862) attribue déjà ce
mot à un gamin de la rue et que Delvau (1866) l’a repris » (Delaplace, 2000 : 10).
Delaplace précise en outre que la plupart des auteurs de recueils d’argot,
« du début du XIXème siècle à nos jours », utilisent « la notion de groupe […] de
façon particulièrement floue et extensible » (2000 : 8). Ce constat critique pourrait
tout à fait s’appliquer à certaines descriptions médiatiques, et, c’est moins anodin,
sociolinguistiques, auxquelles on peut reprocher de ne pas problématiser
29
Sans aller jusqu’à parler d’exotisme, Henri Boyer (1997c) émet une hypothèse concernant la
productivité de la suffixation en –os dans les années 1980 par une attraction pour l’Espagne et la
« movida » qui la caractérisait quelques années après la fin de l’ère franquiste.
115
CYRIL TRIMAILLE
suffisamment la notion de groupe, de la réifier et de s’appuyer sur certaines
catégories de « sociologie naïve », telle que celle de « jeunes des banlieues ».
Toujours selon Delaplace (2000 : 14), deux des critères sur lesquels
s’appuient les argotologues pour inclure une expression à l’argot d’un groupe
sont d’une part son usage par les membres dudit groupe et d’autre part, son
rattachement à un domaine référentiel en rapport avec la vie du groupe. Or,
quand l’argotologue ne se double pas d’un sociologue ou mieux, d’un
ethnographe et d’un anthropologue consciencieux, le second type d’attribution
présente un double risque : d’abord celui de stéréotyper les activités et centres
d’intérêt d’un groupe (jeunes de cités = drogue, vol, violence physique ou
verbale), et ensuite celui de favoriser une association systématique entre un champ
référentiel lié à un type d’activité, souvent socialement stigmatisé, et
l’appartenance à un groupe. Ce type de simplification comporte le risque de
cristallisation par le lexique d’une représentation partagée à une époque donnée à
l’égard d’un sous-groupe (à ce sujet, voir Harré, 1989).
Concernant le premier critère, celui de l’utilisation par les membres d’un
groupe, Delaplace souligne à juste titre qu’un mot peut être attribué à un groupe
alors que seuls quelques membres de celui-ci l’utilisent, et/ou que ce mot peut
provenir d’un autre groupe par le jeu d’appartenances multiples. Ici encore, le
risque évident est celui qui consiste à raisonner à partir d’une sociologie faite de
catégories étanches, négligeant la pluralité et la labilité des appartenances ou des
affiliations de tout acteur social. Toutefois, Delaplace observe que les « recueils
30
modernes » de pratiques argotiques se sont partiellement émancipés de ces biais,
notamment en raison de la diffusion de plus en plus large des argots des classes
dites « dangereuses », qui s’est accentuée à partir de la deuxième moitié du
XIXème siècle.
Les argotologues s’étant de plus en plus intéressés aux aspects
« linguistiques des expressions et des procédés dont elles résultent » (Delaplace,
2000 : 8) ainsi qu’à la place de « ces procédés dans la langue de la communauté
tout entière » (ibid.), on aurait en quelque sorte assisté, à la fin du XIXème, à un
déplacement de la problématique qui se serait approchée d’un questionnement du
lien entre social et langagier. Commençait donc à se poser la question de la
diffusion de traits linguistiques de groupes minoritaires, voire stigmatisés, vers
une communauté linguistique plus large, et, en filigrane, la question du
31
changement linguistique .
L’émergence de la problématique de la diffusion/propagation de traits
sociolinguistiques (pouvant aller de variantes phonologiques ou phonétiques, à
l’insertion discursive de syntagmes plus ou moins longs ou à l’adoption de mots
ou d’expressions) (re)pose la question de la délimitation des groupes (« subcommunautés ») et, corollairement, de la mise en évidence de la supposée
30
Delaplace classe dans cette catégorie les dictionnaires de Colin et al. (2001), et de Cellard et Rey
(1991).
31
Il existe en psychologie sociale un paradigme étudiant l’influence intergroupe et notamment les
phénomènes d’influence minoritaire, qui pourrait fournir des éléments de compréhension de la
diffusion de certains traits pourtant emblématiques de groupes stigmatisés. Ce courant de
recherche montre expérimentalement que la consistance de ce qui est perçu comme un groupe
minoritaire peut favoriser son influence sur un groupe majoritaire.
116
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
covariation. Cette interrogation32 était déjà clairement énoncée dans l’un des textes
précurseurs de la sociolinguistique française, puisque dans « Linguistique et
groupes sociaux », Marcellesi (1971)33 adressait une sorte de mise en garde aux
sociolinguistes : « la multiplicité des communautés socio-culturelles dont chaque
locuteur peut faire partie, la maîtrise des divers registres de la parole doivent
mettre en garde contre toute conception mécaniste des rapports discours-groupe
social. » (Marcellesi, 1971 : 119). Pour Calvet également les frontières entre
groupes et entre usages sont perméables, et l’argot moderne se caractérise par
l’apparition constante « de nouveaux mots et de procédés de création (...) mais
surtout [par le fait que] ces néologismes passent très vite dans la langue générale »
(Calvet, 1994a : 31). Cette problématique est plus que jamais d’actualité,
notamment en ce qui concerne la diffusion (par le rap, et plus largement par des
pratiques culturelles visibles, ou encore les médias) de traits plus ou moins
34
emblématiques de PJU et leur recyclage dans les « parlers branchés » , voire dans
la langue commune (Boyer, 1994, 1997b, 1998).
Et si la propagation (réelle ou perçue) de plus en plus large de mots
« déviants » a amené la sociolinguistique à se poser la question de la place de la
variation dans la systémique et le changement linguistiques pour tenter d’en
réévaluer le rôle, le « hors norme » fait toujours recette en France, où il donne lieu
35
à de nombreuses publications plus ou moins documentées .
C’est ce corps de représentations que l’on pourrait qualifier d’intermédiaire
(ni scientifique, ni tout à fait du sens commun) que je me propose de présenter
brièvement avant de voir comment il a pu jouer sur l’activité scientifique.
Les « parlers jeunes » : « un objet linguistique médiatiquement
36
identifié »
En relation avec l’idéologie monolingue qui y règne, la France pourrait se
définir comme la patrie des points de vue sur la langue. N’échappant pas à cette
sollicitude épilinguistique (Boyer, 1997a) depuis une vingtaine d’années, les PJU
sont l’objet d’une production éditoriale et journalistique conséquente. Krief
(1999), à la suite de Boyer (1994 et 1997b), recense une liste de désignations – et
un continuum référentiel – qui ont émergé et évolué au cours des deux dernières
décennies.
L’intérêt éditorial, qui se fait jour dans les grands périodiques nationaux,
généralistes (Le Nouvel Observateur, L’Express, …) ou plus ciblés (20 ans…),
semble dans un premier temps se focaliser sur la dimension générationnelle, et
37
plus particulièrement sur les « ados » et sur les supposées difficultés parentales à
32
...et ses pendants méthodologiques de construction/délimitation/catégorisation/désignations des
groupes et d’observation des pratiques (choix des niveaux linguistiques d’observation, de
l’échantillon, des situations de recueil) et des représentations…
33
Voir aussi Gadet (1971).
34
Cf. l’utilisation très large du syntagme « c’est de la balle » (pour « c’est génial »), ou le nom de
la rubrique d’une émission de France 2 « l’interview j’me la pète » (pour « je m’y crois
vraiment »).
35
Voir à ce sujet l’article de Zsuzsanna Fagyal, dans ce numéro.
36
La formule est empruntée à Henri Boyer (1997b).
37
Voir Schiffres A., 1982, « Le jeune tel qu’on le parle », Le Nouvel Observateur, 943 4-10 déc. ;
Grassin, 1984, « Réservé aux moins de 20 ans, L’Express n° 1728.
117
CYRIL TRIMAILLE
communiquer avec eux . Au cours de la période considérée (1982-2002), cet
aspect générationnel est stable puisqu’on le retrouve, sous divers désignants, qui
39
40
vont de « le jeune » au « djeun’s » .
Cette focalisation première est peu à peu complétée par un intérêt pour le
caractère « branché » des ces pratiques. Cette nouvelle approche prend en
considération l’investissement – voire l’appropriation – par des « faux-jeunes » de
41
certains traits langagiers distinctifs . A. Rey, déclare en 1998 au Nouvel
Observateur » : « la société compte de plus en plus de ‘vieux jeunes’ qui courent
derrière les ‘jeunes jeunes’ ».
Comme le décrivent Boyer et Krief, la modification progressive de la
focalisation opérée par les titres dévoile plusieurs autres évolutions. En gros, la
première décennie (de 1984 à 1994) est marquée par la récurrence de la mention
explicite des parents comme destinataires ciblés. Cette forme d’adresse
présuppose en quelque sorte que les manifestations communicatives du fossé
intergénérationnel sont d’ordre familial. Pour les parents, l’utilité de ces
« guides » et autres « manuels » est claire : ils doivent faciliter la communication
42
avec leurs enfants, et peut-être aussi servir à déjouer le cryptage des
conversations de ceux-ci avec leurs camarades. Rey va même plus loin dans
l’interprétation du phénomène, puisqu’il déclare que « s’intéresser au langage des
jeunes est un fantasme d’adulte » (1998, interview Nouvel Observateur).
A partir de 1994, le recul de cette tendance constitue un premier tournant
concomitant à un élargissement de la perspective : du cercle familial, P. Vandel
porte le débat à l’échelle de la communauté francophone avec le Le Dico français/
français (1993). S’il ne disparait pas, le caractère générationnel est de plus en plus
fréquemment associé à des mentions de territoires (cité ou banlieue) ou de codes
(« une langue », « un langage », « du verlan » au « nouveau français », en passant
par l’antonomase : « l’ophélie winter »). Mais si la désignation « parents » a
disparu, on peut noter dans les titres le maintien de la présence du déictique
« vous » référant aux lecteurs (ou aux acheteurs potentiels) dans les titres de ces
essais et autres articles. Dans une première période, les désignations actualisent
donc essentiellement les traits suivants : le caractère jeune, la nouveauté des
parlers et le cryptage, que l’on propose aux parents de surmonter grâce à divers
manuels. Krief (1999 : 19) note qu’au début des années 1990 « la désignation
entre dans une période hésitante : des mots comme « banlieue » et « cité »
apparaissent dans des travaux consacrés principalement au langage des jeunes ».
38
38
Voir par exemple : Rodrigue, V., 1987, « Le jargon interdit aux parents », 20 ans, 15 novembre ;
Epstein, J., 1987, Petit guide de la conversation usuelle pour changer le monde sans fatigue...,
Paris, Éditions universitaires ; Demougeot, et al. 1994, Nouveau français : la compil. Petit dico
des mots interdits aux parents, Paris, J-C Lattès. Obalk, H.et al., 1984, Les mouvements de mode
expliqués au parents, (avec un lexique établi sous la direction de H. Walter) ; Girard, E. Kernel,
B., 1994, Ado / parents. Le manuel guide de conversation, Paris Hors collection / Les Presses de la
Cité.
39
Schiffres A., 1982, « Le jeune tel qu’on le parle » Le Nouvel Observateur, 943, 4-10 déc.
40
Girard B., 2002, « Savez-vous parler le ‘djeun’s’ ? », Phosphore, mars 2002.
41
Merle, P., 1986, Dictionnaire du français branché suivi du guide du français tic et toc, Paris,
Seuil.
42
Au besoin avec un « décodeur », comme le suggère C. Bézard, 1993, « Le langage des jeunes : à
décrypter avec décodeur », L’événement du jeudi, 457, 5-11 août.
118
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
En compulsant les titres des essais, articles et autres dossiers thématiques de
presse, on constate que c’est au milieu des années 90 que le caractère
« banlieusard » des parlers est systématiquement mis en avant. D’une vision
essentiellement générationnelle, on a donc assisté à un glissement par une
territorialisation, puis, corollairement, par une ethnicisation (cf. Sourdot, 1997).
C’est donc, globalement, la « périphérisation » (aussi bien en termes
géographique que social et ethnique) de l’objet qu’a consacré la « littérature »
médiatique. À l’instar de l’argot, considéré comme propre aux malfaiteurs, l’objet
PJU a eu tendance à devenir, dans la presse et les essais, l’attribut de classe d’un
groupe social considéré comme périphérique, voire marginal, d’une nouvelle
classe dangereuse.
Il convient encore de remarquer que les médias (et le monde du spectacle)
offrent de nombreux exemples de spectacularisation ou de récupération de
certains traits des PJU. Bien que n’ayant pas mené d’étude systématique, un
simple relevé régulier d’énoncés actualisant certaines caractéristiques (lexicales,
phonétiques, interactionnelles) de ces parlers permet de constater leur visibilité
43
grandissante et confirme les analyses de Boyer (1997b) : les jeunes, surtout
lorsqu’ils se révoltent sont « objets de gourmandise » car parler de « ces » jeunes
« c’est être jeune soi-même et c’est attester de sa participation à l’avenir du
monde » (Ellul, 1993 : 122, cité par Boyer, 1997b : 7). On se souvient qu’Arthur,
animateur spécialiste de la récupération (cf. Les enfants de la télé), a publié quatre
livres dont le principe était assez simple : recycler – ou inventer – des vannes sur
« la mère », sur le mode canonique « ta mère est tellement… que » (voir Lepoutre,
1997).
Outre ce cas extrême de récupération commerciale, folklorisante et
dépossédante, la représentation médiatique des variétés jeunes et urbaines est
aussi assurée par certains humoristes, variétés dont certains sont eux-mêmes
locuteurs. L’exemple le plus connu est celui de Jamel Debbouze, dont le succès
s’est en partie construit sur les jeux de mots et autres stéréotypages de traits du
français populaire et/ou des PJU. Mais il n’est pas le seul, puisque beaucoup
d’humoristes (Elie Semoun, Dieudonné…) ont intégré dans leurs sketches la
figure emblématique du « jeune de banlieue » (bien souvent maghrébin et
délinquant). Dans ce genre d’humour, en partie fondé sur des caractéristiques
ethniques ou sociales, les attributs vestimentaires et culturels sont associés à des
traits langagiers stéréotypés, prosodiques lexicaux ou discursifs (jurements, mot
« mère », ou régulateurs de discours, « vas-y » « tu vois », « quoi »).
Dans ce processus de diffusion, le cinéma n’est pas en reste, et ce de deux
manières distinctes. D’une part parce que plusieurs films ont traité avec plus ou
moins de justesse et de succès de divers aspects ressortissant du thème « de la
banlieue », et ont à ce titre mis en scène des personnages dont les pratiques sont
celles de jeunes citadins (Voir entre autres « La Haine », « Ma 6T va cracker »).
D’autre part, parce que certains films (et téléfilms) pratiquent le recyclage ou la
récupération – avec des fins diverses – d’éléments des PJU. Je ne prendrai que
l’exemple du récent Mission Cléopâtre d’A. Chabat, un des films français qui a
43
Visibilité grandissante que l’on pourrait considérer comme un signe de banalisation et
d’intégration de certains usages jusque-là plutôt stigmatisés, à des pratiques légitimes.
119
CYRIL TRIMAILLE
attiré le plus de spectateurs dans les salles ces dernières années. Dans ce film,
l’usage de traits (mots, prononciations, et même peut-être patrons interactionnels)
participe à l’humour fondé sur les décalages culturels et les anachronismes. On y a
en effet relevé la présence de mots tels que bouillave, mais aussi celle de certaines
réalisations affriquées d’occlusives de /t/, ou morphosyntaxiques comme la chute
44
de « que » .
On a encore pu observer de très nombreuses occurrences d’éléments
devenus emblématiques de PJU sur certaines radios, qu’elles soient commerciales
et nationales (telles que Skyrock, NRJ ou Fun radio), locales (comme la radio
universitaire de Grenoble) ou encore francophones étrangères (Couleur 3, radio de
service public de Suisse Romande). On peut entendre des éléments de PJU sur des
plages d’expression offertes aux auditeurs adolescents et jeunes adultes. On peut
citer en exemple l’émission du soir de Skyrock, animée par Difool et une jeune
équipe, dont le programme s’organise partiellement autour d’échanges avec les
auditeurs qui évoquent souvent des problèmes d’ordres sentimental et sexuel. Si
ces émissions permettent de se rendre compte de la diffusion de certaines
pratiques langagières, elles offrent aussi une vitrine des éléments linguistiques que
les publicitaires et autres créatifs reprennent à des fins argumentatives et
commerciales, en vue de toucher un certain « segment de marché ».
Enfin, parmi les instances qui contribuent à la diffusion, on pourrait encore
pointer certains sites internet : je n’en mentionnerai qu’un, particulièrement
révélateur de ce phénomène de récupération. Il s’agit d’un moteur de recherche
45
baptisé ziva.free, dont le nom reprend une des expressions ayant fait l’objet d’un
stéréotypage intense ces dernières années, au point de servir parfois de désignant
de groupes de locuteurs : les Ziva.
Objets de médiatisation, de curiosité, d’inquiétudes et d’attentes sociales, les
PJU sont également objets de recherches de linguistes et, en premier lieu, on l’a
dit, de certains argotologues.
46
Apports et limites de la démarche argotologique
La substitution progressive, dans l’activité éditoriale, de l’objet « parler de
banlieues » aux objets « parler jeune » ou « branché », semble avoir rencontré une
traduction différée dans les recherches linguistiques. En 1991, dans un numéro de
Langue française consacré aux « parlures argotiques », il semble que les
coordinateurs n’appréhendaient pas encore clairement le phénomène de
périphérisation et d’ethnicisation de l’activité de création argotique. C’est à partir
de 1996, en lien avec la visibilité accrue et une certaine demande sociale, que la
conversion d’une partie de l’argotologie à l’étude des parlers des « jeunes de
cités » semble s’amorcer. Elle trouve, avec la publication de Comment tu
tchatches ! de J.-P. Goudaillier (1997), un aboutissement et une sorte de second
44
On peut se demander quel peut être l’impact d’un tel film et donc d’une telle diffusion – qui
touche une population très large, particulièrement d’enfants – sur la légitimation d’éléments de
PJU.
45
Au plan formel, « ziva » est le verlan de « vas-y » ; au niveau pragmatique on peut considérer
que, placé en début d’énoncé, il équivaut à une modalité d’insistance ou à une modalité injonctive,
que peuvent également porter « allez ! » et « allez, vas-y ! ».
46
Cette partie doit beaucoup à la lecture et aux remarques de P. Lambert que je remercie.
120
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
souffle, du moins sur le plan éditorial . Cette publication est en effet postérieure à
celle du numéro 114 de Langue française sur « les mots des jeunes », et elle
intervient bien après l’émergence de la désignation « langue de banlieue » dans
une série d’ouvrages non spécialisés (voir supra).
Le fait que ce dictionnaire tienne lieu de référence (quasi incontournable)
pour nombre de sociolinguistes en justifiait une lecture particulièrement attentive
amenant quelques remarques et critiques. Malgré l’utilité indéniable du
recensement, de l’analyse formelle et de la recherche étymologique des unités
48
lexicales collectées , l’argotographie ne semble pas s’être émancipée de certains
des défauts mentionnés par Delaplace (2000) et exposés plus haut. En effet,
comme le précise Gasquet-Cyrus (2002), l’ouvrage de Goudaillier est exemplaire
d’une propension à spectaculariser le « déviant », à laquelle contribuent les
médias qui relayent volontiers ce type de recherche.
Le titre de l’introduction (« le dire des maux, les maux du dire ») laisse
entendre qu’il ne s’agit pas de décrire une variété linguistique déconnectée de son
ancrage social, mais qu’il est au contraire question de l’appréhender sous un angle
49
sociolinguistique . Aussi les intitulés de certains chapitres montrent-ils une
volonté d’envisager non seulement l’aspect formel de la variété décrite, mais
également ses fonctions (« fracture linguistique et fonction identitaire », « culture
interstitielle et parler interethnique », p. 6) et son statut sociolinguistique (« maux
du dire et institution scolaire », p.11). De même, la reprise des expressions
« parler véhiculaire interethnique » (Billiez, 1992) et « culture interstitielle »
(Calvet, 1994), laisserait attendre une orientation sociolinguistique du travail. Or,
les notions sous-jacentes à l’utilisation de ces termes ne sont pas clairement
intégrées à l’analyse des faits langagiers et cette étude se fonde essentiellement
sur l’application de procédures de description formelle limitées au lexique :
47
la raison d’être de ce dictionnaire est d’offrir un relevé de mots, quelle qu’en soit l’origine, qui
sont tous présents dans la variété langagière que l’on peut actuellement entendre dans les
50
cités (p.35) .
Ainsi, en dépit de la proclamation de certains principes très proches de
préoccupations sociolinguistiques, énoncés en 1991 (François-Geiger &
51
Goudaillier, 1991b : 3) et réaffirmés en 2002 (Goudaillier, 2002 : 3) , les « jeunes
de cités » et leurs pratiques langagières sont finalement traités comme des
47
Cet ouvrage en est aujourd’hui à sa deuxième édition, phénomène assez rare pour des
dictionnaires spécialisés.
48
Et assurément une volonté de contribuer à la déminorisation.
49
Même si, à aucun moment, l’auteur ne se positionne de manière explicite dans le champ de la
sociolinguistique.
50
Un grand nombre des procédés sémantiques et formels décrits sont ceux des argots : « utilisation
de mots issus du vieil argot français », « métaphore », « métonymie », « déformation de type
verlanesque », « troncation », « redoublement hypocoristique après aphérèse », « resuffixation
après troncation » ; chacun de ces procédés faisant l’objet d’un chapitre, dont les nombreux
exemples figurent pour la plupart également dans la partie « dictionnaire ».
51
« Tout ce qui peut être repéré comme argotique dans une langue, au même titre que tout fait
linguistique, doit être examiné compte tenu au moins des cinq critères suivants : quelles sont les
personnes concernées, les situations constatées, les fonctions exercées, les thématiques abordées,
les procédés utilisés ». Si les trois derniers « critères » sont effectivement bien couverts, les deux
premiers sont en revanche largement éludés.
121
CYRIL TRIMAILLE
catégories sociolinguistiques apparemment homogènes : « grand nombre de cités
dans lesquelles vivent les jeunes […] doivent être considérées comme autant de
ghettos non seulement économiques, culturels mais aussi linguistiques »
(Goudaillier, 1997a : 8).
De même, bien que l’auteur insiste sur l’importance de ne pas circonscrire
ces parlers aux banlieues, il désigne lui-même ce qu’il a choisi de décrire comme
le « français contemporain des cités ». Le relevé des autres termes et expressions
utilisés par l’auteur pour désigner son objet de recherche montre qu’un certain
flou caractérise sa définition. Dans ces désignations, l’usage d’un singulier
globalisant alterne avec celui d’un pluriel qui, lui, rend compte des variations que
présentent les PJU. On trouve ainsi tour à tour : « interlangue », « langue
(commune) des cités », « sorte de koïnè », « langue en miroir », « parler
véhiculaire interethnique », « argot commun des cités », « diverses variétés de
français », « structure hétérogène aux facettes multiples » et enfin « parlers des
cités ». La question du flottement des désignations de ces variétés est soulevée
dans de nombreux travaux et elle illustre assez bien les difficultés que peuvent
poser la diversité, l’instabilité et les variations de ces parlers, en particulier
lorsqu’on les étudie dans une perspective de description formelle.
Mais la diversité des désignations utilisées risque également dans ce cas –
parce qu’elles ne sont pas problématisées – de rendre approximative leur
réception par des lecteurs non spécialistes (parmi lesquels des enseignants et des
décideurs) et de leur donner l’impression que les pratiques décrites forment « une
ou des langues » à part. D’ailleurs, dès l’introduction la pertinence de l’ouvrage
est légitimée par une menace – dramatisée par l’apposition référant, grâce au nous
déictique – planant potentiellement sur le français : « la langue française, notre
langue, est-elle véritablement menacée par de tels parlers ? ». Et d’ajouter qu’il
« importe donc au linguiste de tenter de faire un état des lieux et d’exprimer son
point de vue au sujet de la situation linguistique que l’on constate aujourd’hui en
France » (Goudaillier, 1997a : 6).
On l’a vu, pour Boyer la diffusion éditoriale de ces parlers participe du
processus d’intégration, dans les représentations et/ou dans les pratiques
linguistiques du groupe majoritaire, de « toute déviance récupérable » (Boyer,
1997b). On peut de ce fait se demander quel type d’impact l’utilisation, – par un
linguiste connu comme spécialiste de l’objet – de termes tels que « malaxer »,
« tordre dans tous les sens », « couper les mots », « déstructurer », « introduire des
formes parasitaires », « dégurgiter [leur langue] », comportements « inversés »,
etc. peut avoir sur le « large public » auquel le dictionnaire est en partie destiné.
« Dans un domaine où les enjeux politiques, sociaux et idéologiques sont
tellement importants, il convient de peser plus qu’ailleurs ses mots » (Billiez,
1997 : 66).
On peut encore émettre certaines réserves concernant la méthode utilisée
pour recueillir les données qui constituent ce corpus. Parmi les 700 entrées de la
première édition de Comment tu tchatches ! (1997) la provenance et le statut des
mots ou des expressions sont très divers : en effet, outre une enquête par
122
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
questionnaire écrit , les relevés que J.-P. Goudaillier appelle lui-même
« sauvages » ont le grave inconvénient de projeter des catégories du chercheur sur
le réel. Par exemple, l’enquêteur peut relever un élément langagier dans un RER
ou dans un train de banlieue, pour en attester l’existence en un lieu. Mais attribuer
cette unité « aux jeunes de cité » sans connaitre son utilisateur, implique une
attribution causale qui manque d’étayage empirique. Ainsi, le recours au filtre de
l’intuition du linguiste incite à relativiser la fiabilité de certaines données
présentées. Et ce d’autant plus que malgré la diversité des sources, toutes les
attestations sont placées sur un pied d’égalité, qu’elles proviennent des
questionnaires complétés par des jeunes, de films, de romans ou encore d’autres
dossiers de presse ou d’essais. On est donc fondé à critiquer cette méthodologie de
recherche qui s’appuie sur un corpus hétéroclite : quel crédit peut-on accorder par
exemple à des propos de « jeunes de cités » repris du Figaro, voire d’extraits du
journal de 20 heures de TF1 ? Ainsi, pour M. Gasquet-Cyrus, le travail de relevé
pour utile qu’il soit, n’en comporte pas moins :
52
un certain nombre d’erreurs […] [qui] finissent par agacer lorsque l’on s’aperçoit qu’elles sont
la conséquence d’un manque d’enquêtes de terrain ou d’une façon bien particulière de
53
concevoir le terrain [...] alliée[s] à une confiance quasi-aveugle en la littérature et la chanson .
(Gasquet-Cyrus, 2002 : 64).
On trouve par exemple le mot « engatse », attesté dans les pratiques de
jeunes des « quartiers nord » de Marseille, et à ce titre inclus dans le dictionnaire
du français contemporain des cités. Or, ni le fait que ce terme soit utilisé à
Marseille dans une frange de la population beaucoup plus large que celle des seuls
locuteurs visés, ni la spécificité régionale de cet item, ne sont mentionnés dans
l’article correspondant.
Le nombre de communications scientifiques et de publications récentes sur
le thème des « parlers de jeunes » témoigne de la sollicitude épilinguistique
(Boyer, 1997a) dont les PJU sont l’objet. Le fait que cet hyper-investissement
scientifique soit, chronologiquement, à la fois la conséquence et la cause de la
visibilité des PJU, montre que la frontière entre description et intervention
sociolinguistiques peut être perméable. C’est ce que confirme L.-J. Calvet :
Les journalistes ou les linguistes qui décrivent ces faits les modifient du même coup : lorsque
l’on met un phénomène sous les projecteurs, on le transforme, lorsque l’on consacre de
savantes études à un argot jusque-là peu connu on le banalise. Et l’argot moderne, dans ces
avatars, nous montre donc que le couple éternel de l’observateur et de la chose observée est
aussi traversé par l’histoire. (1994 : 32).
Ces remarques sur Comment tu tchatches ! rejoignent le sentiment d’autres
sociolinguistes à l’égard des démarches qui visent « seulement » à décrire des
variétés linguistiques délimitées de manière plus ou moins arbitraire, au risque de
52
En soi, la méthodologie de recueil pose plusieurs problèmes : le premier, sociologique, concerne
le questionnaire écrit, qui constitue potentiellement une confrontation symboliquement violente.
En effet, il ne serait pas étonnant que les locuteurs les plus impliqués dans la culture vernaculaire,
et donc les meilleurs informateurs, soient aussi ceux qui présentent le plus de résistance dans leur
acculturation scripturale (cf. Labov, 1978).
53
À propos des sources littéraires, l’inclusion systématique des lexies émises, sans se soucier de
leur utilisation hors littérature a l’inconvénient de mettre sur le même plan des « mots d’auteurs »
et des unités lexicales très utilisées dans des situations « ordinaires ».
123
CYRIL TRIMAILLE
les « figer dans une sorte de chambre froide (le dictionnaire), [...] [et] d’y
enfermer [leurs] locuteurs » (Billiez, 1997 : 66). Toutefois, l’existence sociale des
PJU et de leurs locuteurs justifie qu’ils soient étudiés, et sans doute avec des
objectifs d’intervention – notamment en matière de formation d’enseignants et de
politique linguistique éducative. Mais ces formes d’engagement doivent alors être
clairement identifiées, assumées et objectivées par les chercheurs, afin d’interférer
le moins possible sur leurs analyses. C’est l’une des options adoptées par certains
travaux au cours des deux décennies de recherche sur les PJU dont je propose à
présent de donner un aperçu.
Vingt ans de recherche sur les parlers de jeunes en France
Bien que Labov (1978) et ses collaborateurs n’aient pas été les premiers à
s‘intéresser aux « jeunes », leur enquête au sein de groupes constitués du ghetto
noir de New York a fait largement école aux États-Unis et en Grande Bretagne,
mais aussi en France, où après une période de relative rareté le nombre des
recherches françaises sur les « pratiques langagières de jeunes » s’est multiplié,
les « jeunes » ciblés étant généralement issus de quartiers « défavorisés » ou « dits
sensibles ». C’est en quelque sorte Laks qui a inauguré le champ dans le domaine
de la sociolinguistique française.
Les pratiques d’adolescents de Villejuif
Pendant 9 mois, Laks partage le quotidien et étudie les pratiques d’un petit
groupe de 6 adolescents qui fréquentent la Maison pour tous, d’une ville ouvrière
54
de banlieue parisienne . À l’instar de ce qu’avait fait Labov (1978), il cherche à
montrer les relations entre pratiques langagières, appartenance au groupe et
position par rapport à ce groupe. Il parvient à établir des corrélations très fines
entre la distribution des usages de variantes phonologiques (chute des liquides /l/
et /R/) et morphosyntaxiques (coordinations : et ; pi ; et pi) et l’habitus des agents
sociaux tel que le défini Bourdieu, qui fournit à Laks une théorie sociologique de
référence explicite. Pour saisir l’habitus des agents sociaux, il procède par
recoupements
de
paramètres
macrosociologiques
et
d’observations
ethnographiques.
D’orientation résolument sociolinguistique, son objectif n’est « pas
seulement d’enregistrer des faits linguistiques attestés mais de tenter de référer les
formes relevées à la sociologie de leur énonciateur » (Laks, 1983 : 74). D’un point
de vue méthodologique, le rejet de la méthode statistique, le petit nombre des
sujets, la durée d’observation et la minutie ethnographique confèrent à la
recherche de Laks une indéniable dimension qualitative. Mais pour autant, les
aspects quantitatifs ne sont pas évacués puisqu’ils interviennent pour établir des
corrélations fines entre productions langagières et profils sociologiques des sujets.
Derrière ces options méthodologiques, l’influence de Labov (du Parler ordinaire
plutôt que de Martha’s Vineyard) d’Encrevé (1976, 1977) ainsi que de Bourdieu
est sensible.
54
Les sujets vivent dans le bas-Villejuif, n’habitent pas dans une cité, et leur habitus les oppose
même aux jeunes des cités, qui fréquentent la rue et non la Maison pour tous.
124
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
Un des caractères novateurs de ce travail tient aussi à la tentative
55
d’intégration de paramètres urbains. La description que l’auteur fait de l’habitat ,
de l’imaginaire des habitants, mais aussi des représentations du quartier, concourt
à brosser une sorte de toile de fond structurante, de matrice urbaine passive des
pratiques décrites et analysées. La fonction de territoire socio-symbolique
fortement marqué dévolu à la rue et la ségrégation spatiale (Bulot, 2001a) qui
semble en résulter sont également des paramètres qui font de cette étude une
préfiguration de travaux de sociolinguistique urbaine. On peut donc entrevoir une
concomitance entre l’irruption du fait urbain en sociolinguistique française et le
développement des premières recherches sur les parlers de jeunes de milieux
populaires et vivant en banlieue.
Néanmoins, on peut remarquer que si Laks est l’un des premiers
sociolinguistes français (le premier ?) à s’être intéressé aux pratiques
d’adolescents, il n’a pas retenu pour son analyse le seul adolescent issu de
l’immigration présent à la Maison pour tous. Comme dans l’étude de New York
de Labov (1976) l’appartenance à une communauté issue de l’immigration ne
constitue pas pour lui une variable pertinente. A l’égard de cet élément
sociologique, on peut noter que 1980, l’année de la thèse de B. Laks, suit de deux
56
ans la création par le CNRS du « GRECO 13 Migrations Internationales » et
qu’elle correspond peu ou prou au début de la période durant laquelle les zones
périurbaines se sont ethnicisées, du moins dans les représentations véhiculées par
les médias (Bachmann & Basier, 1989 ; Rinaudo, 1999). Cette date précède
également l’émergence des travaux sur les pratiques bilingues et les usages sociodifférentiels des répertoires par des enfants de migrants, menées notamment à
Grenoble (Dabène & Billiez, 1984 ; Dabène, et al. 1988 ; Merabti, 1991), qui a
nourri le champ des recherches sur les pratiques langagières mixtes : les « parlers
bilingues ».
Les années 80 : études du bilinguisme des jeunes issus de
l’immigration
Bien qu’elle ne s’inscrive pas directement dans le cadre du développement
des études du bilinguisme mais en lien avec elles, il me semble utile de
mentionner une des premières sources attestant déjà bon nombre de phénomènes
décrits aujourd’hui dans les PJU, et notamment une certaine diffusion de traits des
variétés d’arabe maghrébin.
Une étude novatrice
Il s’agit du dossier d’un groupe d’étudiants grenoblois (Chevrot et al., 1983)
sur les pratiques langagières d’adolescents, dans lequel les auteurs notent en
premier lieu la présence des langues en contact avec le français, et plus
55
Le haut-Villejuif, d’urbanisation plus récente que le bas-Villejuif, est constitué de cités « de
transit », « de relogement d’urgence », « d’accueil, qui ajoutent à la coloration populaire du
quartier une nuance de pauvreté et même de misère » (Laks, 1983 : 75). Ce quartier réputé
dangereux, porte déjà à l’époque les stigmates d’une forte ségrégation socio-spatiale
(L’observation a été menée en 1974-75).
56
A propos duquel Catherine Withol de Wenden (1995) précise qu’il a marqué le début d’une
phase de « conquête de légitimité » pour les recherches sur les migrations.
125
CYRIL TRIMAILLE
particulièrement de l’arabe maghrébin, dont l’usage n’est selon eux pas exclusif
des jeunes issus de l'
immigration maghrébine et dépasse même le niveau lexical.
Ils font ainsi état de la « prononciation fricative du /R/ français » (p.8), émettant
l’hypothèse qu’elle peut être due à l’influence de l’arabe. Ils mentionnent aussi la
présence de « lexique gitan » et l’utilisation du morphème verbal –av qui sert à
créer des faux emprunts tels que graillav. (graill av < graill er), tous ces traits
étant plus utilisés par des adolescents non lycéens issus de milieux modestes. Les
auteurs décrivent encore des « jeux sur le code » qui recoupent des procédés
formels de création lexicale aujourd’hui largement attestés, tels que la suffixation
57
(notamment en – os), le verlan , le javanais (infixation entre chaque syllabe d’une
ou deux syllabes : – av,– ag, [gede] ou encore du phonème /f/).
Les éléments allogènes, et à travers eux la diversité linguistique française,
sont très présents dans cette enquête. Cette attention portée aux effets des contacts
de langues n’est en rien fortuite. En effet, le cadre institutionnel et intellectuel
dans lequel elle a été menée est un de ceux où se sont développées, en France, des
études centrées sur les contacts de langues générés par la présence de populations
migrantes.
Recherches sur les pratiques langagières des jeunes issus de
l'
immigration
Jusqu’à son arrêt, au milieu des années 70, l’immigration d’hommes seuls
n’avait semble-t-il pas engendré en France de réflexion sociolinguistique ou
58
didactique spécifique sur la nécessité et les modalités de leur acculturation
linguistique : l’» importation » de main d'
œuvre fonctionnait à plein, et point
n'
était apparemment besoin pour les travailleurs de parler et de se faire
comprendre, pourvu qu'
ils fussent capables de comprendre et d'
exécuter les tâches
généralement manuelles et souvent répétitives qui leur incombaient. C’est en tout
cas ce que suggérait, jusqu’au milieu des années 70, l’absence d’une réflexion ad
hoc sur leurs pratiques et sur l’enseignement du français en direction de
travailleurs immigrés. Mais un tournant est opéré avec la politique de
regroupement familial qui génère une forte demande sociale de connaissance et
d’intervention.
Après s'
être penchés sur les besoins de formations de professionnels en
contact avec des immigrés, c'
est au début de la décennie 80 que des chercheurs du
Centre de Didactique de Langues de Grenoble ont commencé à s'
intéresser plus
particulièrement aux pratiques langagières d'
enfants issus de l'
immigration. En
effet, avec l’entrée à l’école de ces enfants, des questions nouvelles sont apparues,
notamment celles de leur intégration linguistique et de l’introduction d’un
enseignement/apprentissage des langues de migration. Les membres du Centre de
Didactique de Langues ont donc été conduits à étudier la situation
57
A cette époque plusieurs types de travaux s’intéressent spécifiquement au verlan sous différents
angles : Bachmann et Basier (1984) l’abordent sous un angle sociolinguistique et ethnographique.
Les travaux suivants sont plus focalisés sur l’étude des aspects formels du procédé de cryptage :
Méla (1988 ; 1991) et Plénat (1992 ; 1995).
58
L’idée que la sociolinguistique devait s’intéresser aux parlers des populations immigrées ou
aurait à le faire est présente dans Marcellesi et Gardin (1974) ainsi que Gardin, B. (coord) (1976) :
L’apprentissage du français par les travailleurs immigrés, Langue Française, n° 29.
126
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
sociolinguistique de jeunes issus de l'
immigration, les modalités de transmission
des langues familiales, la gestion des répertoires bi/multilingues et les pratiques
mixtes dans les réseaux de communication (Merabti, 1991).
Une des questions qui se posait alors était de déterminer comment les
langues familiales minorisées, dont la pression à l’assimilation ne favorisait pas le
maintien, étaient en quelque sorte réinvesties dans les interactions entre pairs,
qu’ils appartiennent à la même communauté d’origine ou non. C'
est ce
cheminement qui a amené le Centre de Didactique de Langues, et plus
particulièrement J. Billiez, à étudier les échanges entre pairs, notamment sous
l'
angle des dynamiques identitaires en jeu dans ces échanges.
Ce courant de recherche a aussi montré qu’en fonction de l’orientation des
représentations et des attitudes (et donc des nombreux facteurs qui les
configurent), des décalages pouvaient exister entre les pratiques langagières
effectives de jeunes issus de l'
immigration (observées directement), et la teneur de
leurs discours sur ces pratiques. Bien mis en évidence par des énoncés
apparemment paradoxaux du type « l’arabe, c’est ma langue, mais je la parle
pas », les distorsions des comportements communicatifs par rapport aux attitudes
et aux représentations (ou vice versa), ont conduit à considérer certains usages
comme emblématiques : « la langue d’origine [étant alors] moins perçue dans sa
fonction d’outil de communication que comme composante primordiale de
l’héritage et comme marqueur d’identité » (Billiez, 1985b). De ces recherches, il
faut retenir cette dimension emblématique ainsi que la mise en commun et la
circulation de ressources allogènes qui alimentent les répertoires verbaux au-delà
de ceux des jeunes issus de l’immigration.
1997-2003 : Multiplication et diversification des recherches
La parution en 1997 de quatre ouvrages explicitement consacrés aux PJU
(et, pour certains aux « langues de banlieue » (Skholê) ou au « français
contemporain des cités » (Comment tu tchatches!)) atteste d’un mouvement
collectif de focalisation sur cet aspect de la réalité sociolinguistique française.
Dans ces ouvrages, on retrouve en quelque sorte un condensé des différentes
approches empiriques et théoriques qui traversent et structurent la
sociolinguistique française. Par ailleurs, à l’occasion de l’exposition sur la langue
française (qui s’est tenue en 2000-2001 à Bruxelles, Dakar, Lyon, et Québec)
intitulée Tu parles!? Le français dans tous ses états, une galerie entière, « Le mur
des graffitis », était dédiée aux parlers de jeunes, à la transgression, à l’argot et au
verlan, consacrant ainsi, s’il en était encore besoin, l’existence scientifique de
l’objet aux yeux du grand public.
Quelles sont donc les grandes tendances qui se dégagent de la production
scientifique de cette période?
59
59
Comment tu tchatches ! (Goudaillier, 1997a), Touche pas à ma langue (numéro hors-série de
Skholê), Les mots des jeunes, (Boyer, (dir.) 1997, Langue française n° 114) et Questions de langue
(Migrants Formations n° 108).
127
CYRIL TRIMAILLE
Au-delà des générations de chercheurs, des approches plutôt
60
qualitatives
En partie pour une raison de proximité sociologique de jeunes chercheurs
avec le terrain, plusieurs thèses, soutenues ou en cours, abordent le thème sous
divers angles, et on ne compte plus les communications de jeunes chercheurs, qui,
dans les colloques, prennent les pratiques langagières de jeunes urbains pour
objet. Parmi ces nombreuses études, celle de Jamin, la seule quantitative, montre
que les variantes phonologiques qu’il étudie à La Courneuve (palatalisation des
occlusives vélaires ou dentales, glottalisation de /R/) sont produites plus
fréquemment par les jeunes garçons issus de l’immigration maghrébine, et
d’autant plus qu’ils sont fortement intégrés à la culture de rue (Lepoutre, 1997).
Jamin constate aussi que si elles sont plus fréquentes dans les productions de ces
locuteurs, ces variantes ne sont pas absentes des pratiques de locuteurs de profils
sociaux très différents, et s’interroge sur la dynamique sociale de cette distribution
et sur les chances que ces formes ont d’alimenter le changement linguistique.
Mais, en domaine français, l’intérêt pour les we code générationnels dépasse
la « jeune génération » et beaucoup de sociolinguistes de la « première et de la
deuxième générations » se sont penchés de façon directe ou indirecte, sur les
pratiques de jeunes. Ainsi, dans le cadre de sa réflexion sur les variations en
français contemporain, dans la lignée de ses études des variétés de français
« ordinaire » et « populaire », Gadet (1989, 1992, 2002, 2003 ; Conein & Gadet
1998, etc.) a consacré plusieurs articles aux PJU. C’est également le cas de Billiez
(1992, 2003) et de Calvet (1994, 1997, 1999) ou encore de Bavoux (2000, 2001),
qui abordent le sujet à plusieurs reprises.
Par-delà un indéniable effet d’entrainement, cet investissement scientifique
me semble pouvoir être interprété autant comme le signe d’une prise de
conscience sociétale d’un phénomène, que comme la manifestation d’une
nécessité d’affirmer un positionnement (scientifique ou/et plus ou moins
explicitement citoyen ou politique), autour d’un champ où s’enchevêtrent des
questions linguistiques (contacts de langues, émergence et diffusion de formes
vernaculaires, changement linguistique, etc.), socio-politiques (aménagement
linguistique, identité nationale, sort de minorités culturelles et linguistiques, etc.)
mais également éducatives et didactiques (attitude face à la variation linguistique,
nécessité d’accueillir – et de s’appuyer sur – les pratiques orales des élèves,
phénomènes dits de « violence verbale », etc.).
Des parlers à l’œuvre dans le rap
Parallèlement à son investissement par des sociologues (Lapassade &
Rousselot, 1996 ; Bazin, 1995), le domaine des études de la culture hip hop a fait
son entrée dans le champ de la sociolinguistique, avec une étude de C. Bachmann
et L. Basier (1985) qui avaient déjà décelé dans certaines configurations
interactionnelles ritualisées des formes de « mobilisation symbolique ». Puis,
60
Je ne reviendrai pas sur l’approche argotologique dont on a vu (malgré quelques travers) qu’elle
fournissait de nombreuses informations lexicologiques, ni sur les nombreuses études qui adoptent
l’angle du bilinguisme, du métissage, en lien avec la problématique des contacts de langues
(Melliani, 1999 et 2000 ; Bouziri, 2000, 2002).
128
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
quelques années plus tard, les études sur ce thème ont été réactivées, approfondies
et recadrées dans le champ de la sociolinguistique d’abord par L.-J. Calvet
(1994b) et J. Billiez (1996, 1997, 1998), qui ont plus particulièrement appréhendé
les textes de rap comme une instance de parole dans et par laquelle étaient
spectacularisés la diversité et les contacts linguistiques. Multipliant les études et
61
les approches, des chercheurs ont montré que des « stratégies identitaires »
étaient à l’œuvre dans ces textes, et qu’elles se manifestaient particulièrement par
des choix, des alternances et des mélanges de langues (Billiez, 1996 et 1998 ;
62
Gasquet-Cyrus et al., 1999 ; Trimaille, 1999a et b) .
Parlers des jeunes, apprentissages et enseignements
Les travaux de Bautier et de l’équipe de recherche qu’elle anime (Bautier &
Branca-Rosoff, 2002; Bonnery, 2002) analysent les compétences d’élèves en
échec scolaire. Dans les pratiques de ces derniers, Bautier et Branca-Rosoff
(2002 : 196-7) distinguent des variantes relevant de l’oral ordinaire, des formes
résultant de l’appropriation incomplète du français par des élèves primo-arrivants
et des lacunes ayant des incidences sur la compréhension du français grammatisé.
Ces études soulignent les graves problèmes pour leurs apprentissages et les
risques d’exclusion sociale de ces élèves en « grand échec scolaire » qui résultent
des pratiques langagières (notamment au plan énonciatif ou syntaxique). Elles
font apparaitre le besoin d’une socio-didactique qui, si elle ne résout pas les
problèmes sociaux qui/que génèrent ces situations, tente de ménager un étroit
passage vers les compétences scolaires.
Considérant le rap comme un support privilégié d’identification et de
motivation pour de nombreux élèves, des enseignants (Seguin et Teillard, 1996 ;
63
Gaudin, 1996) et des chercheurs (Zongo, à par. ; Lambert & Trimaille, à par. a)
défendent l’idée que cette forme d’expression culturelle contemporaine peut servir
de base à un processus de médiation linguistique. Pour ce faire, ils proposent de
s’appuyer à la fois sur la légitimité sociale dont disposent les rappeurs aux yeux
de bon nombre d’élèves urbains, ainsi que sur les éléments culturels ou formels
qu’ils utilisent : des connaissances partagées et le travail des langues qui
61
Parmi les stratégies identitaires généralement développées par des minorités, recensées par
Leonetti-Taboada (1991), on observe dans le rap, comme dans les groupes d’adolescents : la
surenchère, qui consiste non seulement à assumer l’identité assignée mais à en mettre en avant les
aspects stigmatisés ; le déni (refus d’assumer une identité assignée par la majorité) ; le
retournement sémantique par lequel la minorité accepte l’identité prescrite, mais en donnant un
sens positif à des caractéristiques stigmatisées par la majorité; la recomposition identitaire, qui
correspond à la création de nouvelles catégories d’appartenance; l’action collective, par laquelle
les acteurs entendent modifier les rapports intergroupes.
62
D’autres enquêtes ont porté plus spécifiquement sur la transposition écrite des « parlers urbains
de jeunes » dans des romans contemporains (cf. Lambert, 2000 ; Sudres, 2001). D’autres encore
ont amorcé une réflexion sur d’éventuelles différences entre pratiques langagières de filles et de
garçons (Moïse, 2002 ; Billiez et al., 2003).
63
Aux États-Unis W. Labov a dirigé le programme Urban Minorities Reading Project, dont
l’objectif était de fournir des outils de diagnostic et de remédiation des difficultés en lecture des
enfants afro-américains des ghettos, puis des Latinos children. Ce programme s’appuie entre
autres sur l’intérêt des enfants pour les paroles de textes de rap qui constituent une forte motivation
à entrer dans la lecture, avant de passer à d’autres types de textes. Pour plus de détails, voir en
ligne : www.ling.upenn.edu/~labov/UMRP/UMRP.html
129
CYRIL TRIMAILLE
caractérise le genre. La position de ces chercheurs est qu’il ne faut pas renoncer
aux exigences de l’accès à un français scolaire et commun pour tous, gage de
possibles apprentissages et de mobilité sociale. Mais cette finalité posée, ils
prennent acte de l’existence de variations, parfois importantes et potentiellement
gênantes pour les apprentissages, et tentent de s’appuyer sur des compétences
existantes pour amener les élèves en difficulté vers la norme scolaire. Bien que
parfois décrié, le travail pédagogique et la « théorisation » didactique que
présentent Seguin & Teillard (1996) est exemplaire de cette volonté de ne pas
refuser la parole et nier l’identité des élèves dont l’expression est éloignée des
canons du français scolaire, fortement dominé par l’écrit (Boutet, 2002).
Approches interactionnelles ou interactionnistes
Il faut encore mentionner le développement d’analyses de type
interactionniste qui, pour certaines d’entre elles (Moïse, à par.), ont été
développées en réponse à une demande institutionnelle émanant notamment de la
64
Délégation Interministérielle à la Ville (DIV) . Ces études, qui cherchent à mettre
en évidence des configurations discursives (Casolari & Giacomi, 1997) ou
interactionnelles (Assef, 2002 ; Trimaille, 2003 et 2004) fournissent des
informations qui permettent de compléter avec profit les données déjà recueillies
sur différents niveaux linguistiques. Elles explorent la construction et le
déroulement des relations sociales dans des interactions socialement significatives
(Gumperz, 1989) observées en contexte. Une meilleure connaissance des
modalités d’échange entre jeunes et entre jeunes et adultes est potentiellement de
nature à éviter certains malentendus communicationnels et/ou intergénérationnels,
pour peu que les résultats soient diffusés et intégrés à des contenus de formation,
par exemple à destination d’enseignants ou de travailleurs sociaux.
Parlers de jeunes, sociolinguistique urbaine et géographie des
recherches
M. Gasquet-Cyrus considère que « les phénomènes regroupés sous
l'
étiquette réductrice ‘banlieue’ » constituent l'
un des quatre champs de la
sociolinguistique urbaine (Gasquet-Cyrus 2002 : 55). En effet, les rapports entre
langues, variétés urbaines, et inscription des locuteurs dans les espaces urbains
sont parmi les approches qui se développent depuis quelques années. On les doit
particulièrement à l’impulsion des travaux de Thierry Bulot, qui tente par exemple
d’explorer les relations entre la territorialisation et la stigmatisation des variétés
langagières et les phénomènes de « ségrégation spatiale ».
Si, au plan géographique, la recherche présente une certaine variété des
points d’enquête, on peut remarquer les travaux mentionnés sont souvent focalisés
sur des zones urbaines périphériques, souvent envisagées comme le lieu d’un
« enfermement donné comme tel » sans que soient questionnés les mobilités
(Moïse, 2002 : 84). On commence donc à disposer d’un nombre importants de
données, encore assez éparses, sur les français parlés dans les cités par des jeunes
de milieux sociaux modestes et/ou issus de l’immigration. Mais pour exploiter,
64
La question de l’identité et des motivations des chercheurs, des financements et des méthodes de
leurs recherches sur les PJU constituerait sans doute un sujet de recherche sociologique en soi.
130
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES EN FRANCE...
dans une perspective sociolinguistique, ces données obtenues dans des conditions
différentes, on ne dispose malheureusement que de peu d’informations sur les
pratiques langagières d’adolescents ou de jeunes adultes présentant d’autres
caractéristiques sociales, géographiques et identitaires.
Parlers de jeunes et leurs représentations sociales
On a déjà évoqué les travaux portant sur l’attention particulière que
suscitent les PJU (Boyer, 1997a). Ils sont aujourd’hui prolongés et complétés par
plusieurs études qui ont en commun de chercher à saisir les représentations que
des agents sociaux ont des PJU. Bien que ce sous-champ reste encore largement à
explorer, il a permis de donner un premier aperçu des représentations des PJU qui
circulent. On peut citer entre autres Kasbarian (1997), Lambert (2000), Trimaille
& Billiez (2000), Binisti et Gasquet-Cyrus (2001), de Robillard (2003), Billiez et
al. (2003a et b), Billiez et Lambert (à par.) qui ont montré, chacun à leur manière,
que le poids de l’image sociale (Moliner, 1996) stéréotypée des locuteurs pèse
souvent sur leur évaluation et sur celles de leurs façons de parler, au point parfois
de provoquer des distorsions perceptives.
D’autres chercheurs tentent de cerner les représentations dont les PJU et
leurs locuteurs sont l’objet chez des agents sociaux qui travaillent au contact de
leurs locuteurs (Bulot & Van Hooland, 1997; Léglise, 2004; Caracci et al., 2004).
La connexion du champ d’étude des représentations et des attitudes aux
recherches sur l’évolution et la diffusion des formes linguistiques urbaines porte
des perspectives de compréhension du changement linguistique. En effet, il
pourrait par exemple être possible de modéliser le parcours et les transformations
formelles de certaines unités linguistiques dont le moment et le lieu de mise en
circulation sont connus. Mais ce type de travaux se doit de ne pas perdre de vue la
spirale de réflexivité qui les caractérise. En effet, faire émerger des représentations
chez des sujets, au besoin en les co-construisant au moyen de questionnaires ou
d’entretiens, confronter ces connaissances communes à d’autres points de vue,
c’est nécessairement participer à les objectiver, et parfois à les modifier, ne seraitce qu’infinitésimalement. Se pose alors, une fois de plus en sciences humaines et
sociales, la question de la frontière mouvante et parfois imperceptible entre
description et intervention et il ne semble pas superflu de rappeler la nécessaire
prudence à mettre en œuvre dans l’abord des « terrains sensibles » (Billiez, 1997).
On aura constaté dans cette revue de travaux, l’absence d’études
quantitatives, à l’exception de celle, récente, de Jamin, qui, et ce n’est sans doute
pas un hasard, est publiée en anglais. Cette quasi absence d’études variationnistes
en domaine français (pas seulement sur les PJU) est, me semble-t-il, une des
différences majeures entre la jeune tradition sociolinguistique française, tout juste
trentenaire, et ses homologues anglo-saxonnes.
La raison en est peut-être que la décennie de décalage entre l’émergence de
la discipline aux États-Unis et en France a vu les études corrélationnistes mettre
un peu « d’eau dans leur vin statistique », peut-être en raison d’un glissement
épistémologique d’une théorie sociologique de référence structuro-fonctionnaliste
à tendance atomistique (Laks, 1980) vers une sociologie intégrant une approche
interactionniste des faits sociaux avec des chercheurs comme H. Becker ou E.
Goffman. Il semble en tous cas, que les sociolinguistes français, qui forment et
131
CYRIL TRIMAILLE
dirigent les jeunes chercheurs dans leurs recherches, privilégient nettement les
démarches qualitatives.
CONCLUSION (PROVISOIRE) : LES PARLERS DE JEUNES, OBJET(S), À
DÉCHIFFRER, CHAMP(S) ENCORE À DÉFRICHER ?
S’il est aujourd’hui bien établi qu’une des fonctions des parlers des jeunes
est de construire et d’affirmer une identité générationnelle, sociale, spatiale ou
66
ethnique (et parfois tout cela à la fois), le temps de dépasser ce constat semble
néanmoins venu.
Dépasser l’approche en termes de fonctions identitaires et cryptiques pour
orienter la recherche dans deux directions. Vers le plus « micro » d’abord, pour
étudier les dynamiques de la socialisation langagière (enfantines et adolescentes)
dans les interactions réelles et en situations écologiques. Vers un niveau plus
« macro » ensuite, en mettant en œuvre des études quantitatives (assises sur des
méthodologies de recueil fiables et standardisées, s’appuyant sur les réseaux
sociaux) autorisant des comparaisons multilatérales, en vue notamment de statuer
sur la généralisabilité de résultats qualitatifs. C’est peut-être une condition pour
rendre plus légitimes (au moins aux yeux du public et des décideurs) des
interventions de sociolinguistes dans la société, en matière de formation initiale ou
continue.
Reste donc à construire ces savoirs en organisant une collaboration
multilatérale et interdisciplinaire entre chercheurs, favorisant ainsi la mise en
commun, l’articulation et la modélisation de savoirs encore éclatés. La première
étape consisterait à dresser un bilan des connaissances établies en
sociolinguistique (en recensant la diversité des lieux, des méthodologies et des
résultats d’enquêtes) ainsi que dans différentes disciplines puis à formuler les
questions de ces champs. C’est ce qu’a tenté d’ébaucher cet article en essayant de
montrer que sociologie, psychologie et histoire ont beaucoup à apporter aux
recherches sur les rapports entre dynamiques identitaires et dynamiques
langagières, qui doivent à leur tour constituer une base et fournir des orientations
à l’aménagement linguistique, notamment en matière éducative.
65
Cyril Trimaille
[email protected]
65
Ce en quoi ces parlers ne diffèrent guère des éléments marqués des répertoires verbaux de très
nombreux locuteurs, adolescents ou adultes, monolingues ou plurilingues, dès lors qu’il sont
utilisés dans une interaction.
66
Dépasser ne signifiant pas ici abandonner, mais plutôt s’appuyer sur pour avancer.
132
Thierry Bulot
Université de Rennes 2 (France)
Credilif (EA Erellif 3207)
LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE
SOCIOLINGUISTIQUE
QUESTIONNEMENTS SUR L’URBANITÉ LANGAGIÈRE
PRÉAMBULE
Parce que l’objet social parlers jeunes est d’emblée très marqué par
l’idéologie et donc objet d’appréciations non seulement très diverses mais aussi
souvent passionnelles et polémiques, nous soutenons l’idée d’une nécessaire
distanciation critique des travaux existants pour tenter une modélisation théorique
des traces discursives imparties aux faits dits urbains, ou posés comme spécifiques
à la ville, autour de la confusion (donc des concepts et partiellement des réalités
socio-langagières en relevant) en partie opérante et en partie opératoire des
termes « parlers urbains » et « parlers jeunes ».
Ainsi, au-delà des propositions théoriques qu’il soumet et relevant du projet
scientifique de contribuer à élaborer le front conceptuel d’une sociolinguistique de
l’urbanisation, le présent texte se veut être d’abord une incitation à la réflexion sur
1
l'
urbanité langagière , et revendique, dans cette mesure et parce que l’économie
du volume rend compte des réalités in praesentia des pratiques socio-langagières
imparties aux parlers dits jeunes, l’absence de corpus propres et la référence à des
corpus pré-existants.
INTRODUCTION : PROBLÉMATISER LES PARLERS JEUNES
Si les sociolinguistes semblent s’accorder sur le terme « parlers » (et cela
quelles que soient ses acceptions le posant ou non comme une variété de français),
1
L’urbanité langagière est fonctionnellement empreinte du rapport aux langues représentées ou
effectivement présentes dans l’espace perçu comme propre à la ville et signifie l’intégration dans
le rapport à l’organisation socio-cognitive de l’espace de ville non seulement des pratiques
linguistiques mais aussi des pratiques discursives et notamment des attitudes linguistiques et
langagières. Ce terme est à distinguer d’une urbanité spécifiquement linguistique (voir Bulot
(2003b : 101, note 7).
THIERRY BULOT
le consensus est certainement moins large pour le terme « jeunes », parce qu’il est,
entre autres, mis en paradigme voire en équivalence discursive avec « banlieue » parlers des banlieues-, avec « cité » -parlers/français des ou de la cité(s)- avec
2
« quartier » -français/parlers des quartiers-, etc.. Qui sont ces jeunes ?
Catégorisés succinctement, ils sont ceux qui n’ont rien (ils ne savent pas et plus
3
parler le français) ou, inversement, ceux qui ont tout (ils sont à la source du
dynamisme et de la créativité de la langue) avec dans l’intervalle quelques
nuances : ils n’ont rien mais ce qu’ils ont leur est inaliénable (ils ne parlent
pas/plus français mais leur identification au groupe de pairs est exemplaire de
sociabilité) voire ils ont tout mais n’ont pas un accès légitime aux espaces
publico-symboliques (leurs parlers sont d’une richesse et d’une diversité édifiante
mais ne se conçoivent pas comme adaptés hors du quartier ou de la cité).
Peuvent-ils être ceux, qui au-delà des métaphores économiques, ne pourraient
avoir comme choix que d’être les victimes d’une fracture « linguistique » et
« sociale » (Goudaillier, 2001 : 9) radicale ou d’être parmi les prescripteurs très
actifs mais pourtant éphémères de la langue ?
Notre propos est délibérément polémique, mais il pointe sur une
interrogation fondamentale déjà signalée par Pierre Bourdieu (1987 : 183) : la
4
réaction au processus de domination –nous disons ici dominance sociolangagière- oscille entre résistance et soumission sans pour autant qu’une attitude
construite comme « résistante » par les locuteurs devienne effective et ne renvoie
réellement qu’à une attitude de soumission. Dans notre esprit ce type de
dominance est à concevoir, dans un contexte urbanisé, comme la mise en mots de
la domination symbolique par une apparente hégémonie des faits langagiers
rapportés aux jeunes, par eux-mêmes ou non ; le concept permet aussi
d’approcher le confinement linguistique (Bulot, 2003 : 107) pour ce qu’il laisse
accroire que le multilinguisme est surtout affaire et du ressort des locuteurs tantôt
populaires, tantôt issus des migrations récentes, multilinguisme dont
l’aboutissement serait les « parlers jeunes ».
En effet, la créativité verbale qui semble si caractéristique (est-ce à dire que
ce sont les seuls lieux d’innovation possibles ?) des « parlers jeunes » libère-t-elle
ses locuteurs de la minoration sociale quand bien même elle semblerait être un
acte d’autogestion langagière ; voire de résistance ?
Rapporté à l’étude du français des cités, du parler dit banlieue, et de facto du
parler (des) jeune(s) qui est l’un et l’autre etc., le risque est dit majeur –et cela est
vraisemblable- d’ « associer à un groupe un usage sociologiquement marqué de
la langue » (Liogier, 2002 : 52), autrement dit de renforcer voire de produire la
2
Cyril Trimaille rappelle ici même les limites et les contingences de la catégorisation « jeunes »
dans la démarche sociologique et, partant, sociolinguistique.
3
Pour reprendre des propos de Pierre Bourdieu (1987 : 200) : « Or les jeunes, (…), ce sont aussi
ceux qui n’ont rien ; ce sont les nouveaux entrants, ceux qui arrivent dans le champ sans
capital. ».
4
Jean-Baptiste Marcellesi (2004a : 163) distingue très nettement la domination de l’hégémonie :
« Contrairement à la domination, l’hégémonie s’accompagne d’une certaine forme de conviction
et de consentement. ».
134
LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE...
minoration sociale et linguistique que l’on dénonce . Le risque n’est-il pas plus
grand (théoriquement, au moins) de continuer à laisser croire et donner sens à la
richesse de ces parlures, finalement, à la chance qu’auraient leurs locuteurs de
maîtriser une variété, des registres… qui sont le creuset, le trésor des
modifications, des changements linguistiques à venir, d’autant plus que l’on
trouve de semblables prédictions sur le français dit « branché » dès 1990
(Verdelhan, 1990 : 44) ? Et c’est, pour le cas, l’hypothèse que fait Jean-Pierre
Goudaillier parlant du français des cités : « les éléments linguistiques qui
constituent ce type de français, (…), sont le réservoir principal des formes
linguistiques du français du XXIe siècle qui se construit à partir de formes
argotiques, identitaires. » (2002 : 23). Est-ce raisonnable et pertinent d’opposer
6
les variétés populaires d’antan , qui auraient relevé du français, à de nouvelles
formes (seraient-elles « non populaires » ?) remarquables parce que « les
locuteurs des cités, banlieues et quartiers d’aujourd’hui ne peuvent trouver refuge
linguistique identitaire que dans leur propre production linguistique, coupée de
toute référence à la langue française « nationale » qui vaudrait pour l’ensemble
du territoire. » en ne problématisant pas ou peu les tenants et les aboutissants de
7
la communication de masse ?
En tant qu’objet de recherche, les « parlers dits jeunes » se sont-ils
substitués au champ des approches socialisantes et linguistiques des parlers dits
populaires en occupant à leur tour l’espace symbolique de la dominance ? Comme
8
ceux qu’ils remplacent tant dans les imaginaires linguistiques savants que dans
les imaginaires « non-savants », ils fascinent tout autant qu’ils effraient. Ce seul
questionnement est nécessaire mais insuffisant, parce qu’il ne problématise pas la
tension opératoire entre l’identification sociolinguistique des lieux et des repères
susceptibles de caractériser un espace géographique et la mise en mots de ces
mêmes lieux comme faits d’individuation sociolinguistique. Sans doute faut-il
admettre que travailler sur les corrélations entre langue et espace, langue et
identité ne se réduit pas seulement à travailler sur les pratiques linguistiques et les
représentations d’autrui qu’il s’agit de rendre intelligibles pour les médias, les
organismes divers, les autres chercheurs mais que c’est aussi rendre compte d’une
catégorisation a priori déjà éclairée des corrélats ?
Reste une dernière interrogation : est-il encore nécessaire de citer Pierre
Bourdieu pour donner sens sociologique à une réflexion sur le langage, sur les
pratiques socio-langagières des jeunes ? Il semble en effet bien peu concevable
d’aborder l’objet « parlers jeunes » sans considérer une théorie sociale qui ne
prenne en compte la minoration des pratiques socio-langagières et de fait des
5
5
En ce sens, les écrits scientifiques –mais bien sûr aussi journalistiques- sur les pratiques sociolangagières des « jeunes » contribuent à un processus de grammatisation, de légitimation.
6
Il est intéressant de rappeler que le dictionnaire de linguistique de Georges Mounin (1974 : 165)
contient une entrée « hyperurbanisme » énonçant une « adaptation au parler de la ville, par
application abusive d’une règle de correspondance ».
7
Voir les pages que consacre Henriette Walter à ce sujet (Walter, 1988 : 331 et suivantes).
8
Ce terme a été employé par Didier de Robillard pour donner titre à sa conférence au séminaire du
CREDILIF (EA3207, Université de Rennes 2, le 26 mars 2004) et ainsi référer à l’imaginaire
linguistique des linguistes eux-mêmes.
135
THIERRY BULOT
locuteurs . Mais avec prudence y compris sur la nature même de la demande
sociale prévalant à de pareilles études, car une telle référence (voir le texte en note
3), tronquée et nécessairement décontextualisée et, pour le cas, sans rapport aucun
avec l’urbanité langagière, laisse d’abord à modéliser une société polarisée sans
peu de nuance : le jeune demeurerait une richesse presque menaçante, obscure
mais récurrente.
9
LES PARLERS JEUNES
: DISCOURS ET MARQUAGE
Le texte relève, pour sa part et sur l’objet en question, d’une réflexion
d’étape sur l’opérativité théorique et méthodologique de considérer, pour
approcher la question identitaire en sociolinguistique urbaine, les corrélations
réciproques entre l’organisation socio-spatiale des espaces dits de ville et la
hiérarchisation sociale des langues et des variétés dans le même espace ; pour ce
faire, il s’agit de considérer à la fois les discours tenus sur les langues et les
espaces et à la fois les pratiques effectives quant aux même langues et espaces des
locuteurs déclarés (par eux-mêmes ou par autrui). Cette réflexion prend appui sur
une double conceptualisation hiérarchisée : premièrement, s’il est connu que le
terme discours a de nombreuses acceptions, il est (dans la théorisation sociolangagière des espaces de ville) à comprendre selon les termes de Louis Guespin
comme « …l’énoncé considéré du point de vue du mécanisme discursif qui le
conditionne. Un regard jeté sur un texte du point de vue de sa structuration "en
langue" en fait un énoncé; une étude linguistique des conditions de production de
ce texte en fera un discours » (Guespin, 1971 : 10), sachant que « …la relation
d’appartenance d’un discours à une formation discursive est facteur constitutif du
discours, et cette relation est "repérable par l’analyse linguistique" » (Guespin,
1976 : 5). Deuxièmement, il s’agit fondamentalement de concevoir la
sociolinguistique urbaine comme une sociolinguistique de l’urbanisation
sociolinguistique (et non pas seulement comme de la sociolinguistique faite en
ville), c’est-à-dire de « …la prise en compte du dynamisme de l’espace urbain
(investi par les divers discours sur les appropriations identitaires via la langue et
sa variation perçue) pour ce qu’il désigne et singularise : une mobilité spatiale
mise en mots, évaluée socialement en discours, et caractérisée en langue. »
(Bulot, 2001c : 7).
Une semblable option a priori implique d’abord que nous posions une
approche affirmant la prégnance, sur les pratiques langagières, d’un ou du facteur
diatopique conçu alors non pas comme un donné préalable à toute investigation
mais comme un produit de la culture urbaine et, partant, des formes discursives
qui le constituent. Une telle option implique aussi, pour les « parlers jeunes », une
formalisation de la réflexion incluant le concept de marquage parce qu’il définit,
pour notre part, en langue et en discours, la « forme de la matérialisation de
l’identité, à la fois individuelle et collective » (Veschambre, 2004 : 2). Il semble
en effet utile de questionner les « parlers jeunes » non pas comme formes
linguistiques qui seraient le résultat de l’organisation urbaine, d’une urbanisation
9
Nous empruntons à une discipline qui revendique cet ancrage théorique initial -la géographie
sociale- les concepts de territoire, de structures socio-spatiales, d’espace vécu versus espace perçu,
d’urbanisation.
136
LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE...
dite linguistique, des structures socio-spatiales vécues et perçues, mais (en
complétant l’acception stricte du terme emprunté ici à la géographie sociale)
comme le marquage en langue et en discours des lieux, des formes de spatialité.
LES PARLERS JEUNES : QUESTIONS DE LANGUE
Au-delà de ses diverses acceptions issus de la vulgate et diffusée entre
autres par les médias et le discours anonyme (Brune, 1996), discours visant à
globaliser des pratiques langagières discriminées et à confirmer voire conformer
un prototype de locuteur dit jeune, l’objet de recherche « parlers jeunes »
questionne une sociolinguistique de l’urbanisation (Bulot & Tsekos, 1999 ; Bulot,
2001a et b, 2003b, 2004) par le simple fait du recours systématique voire
emblématique au lieu et à l’espace pour en définir les diverses modalités.
Autrement dit, il y aurait comme une sorte d’épicentre (au strict sens
géographique dans un premier temps) des données observables : les banlieues, les
cités et pour le cas des zones nécessairement urbaines qui fonctionneraient comme
des espaces glossogènes exclusifs de toute autre dimension spatiale ; zones qui
10
agiraient ou ferait agir ses divers acteurs comme des matrices discursives
spécifiques et exclusives, pour leur part, de toute autre dimension sociale ; là se
jouerait le second temps de l’épicentre : la production des normes relatives aux
parlers jeunes relèverait de la seule endogénie, d’une sorte de génie linguistique
propre à un âge de la vie et dynamisant peu ou prou les pratiques linguistiques de
tous ordres et dans tous les groupes sociaux. C’est en partie ce qu’affirme parmi
d’autres Louis Boumans (2004) lorsqu’il définit les parlers jeunes essentiellement
comme des variétés d’une langue dominante posée comme celle des adultes et en
partie renouvelée par les apports de langues(s) dominées dites ethniques ou
communautaires pour la situation française, élicitées comme étant celles de
locuteurs dits (tant par eux-mêmes que par d’autres) jeunes ou pour le moins
subissant la minoration sociale.
Les parlers jeunes sont d’évidence un objet social fort complexe non pas
tant parce qu’ils recouvrent des réalités diversement envisagées autant par la
11
sociolinguistique que par le corps social en général (ça n’a, de fait, rien voire peu
12
de singulier) mais parce que son émergence récente dans le champ disciplinaire
semble indissociable d’une prise de conscience collective (Walter, 1984, entre
autres) non seulement de l’urbanisation mais encore d’une culture urbaine en
œuvre, d’une modification radicale des modes de vie et de penser le monde qui
implique, de façon quasi spectaculaire, du linguistique et, partant, du
langagier. Il est de fait sans doute très réducteur de retrancher des « parlers
jeunes » (qu’il s’agisse de représentations ou de pratiques) les interactions
ordinaires sur le mode « jeune », de penser qu’ils ne sont qu’un phénomène
générationnel, qu’une tension provisoire entre groupes sociaux (même si on doit
concevoir, qu’ils sont également cela) dans la mesure où leur permanence ne
saurait dépendre que de la seule individuation sociolinguistique, qu’ils ne relèvent
10
Pour une définition de la matrice discursive, voir Bulot (2003b). Pour une approche de « parlures
jeunes » corrélées aux espaces, voir Séfiani (2003).
11
Voir la bibliographie générale en fin de volume.
12
Il faut penser aux premiers travaux de Bernard Laks (1983) en France sur ce sujet.
137
THIERRY BULOT
que du retranchement communautaire. Mais ils signalent, par hypothèse au moins,
un mouvement social, disons un changement possible, un autre paradigme
discursif, en tous les cas, proposent d’autres modèles interactionnels et langagiers
et certainement une identité culturelle et linguistique en émergence, en conflit
avec celle(s) imposées et diffusée(s) par les couches culturellement
13
hégémoniques . Sans hiérarchiser les formes langagières, force est de constater
que s'
opposent (ou se complètent) des types d'
interaction caractéristiques non plus
14
de l'
origine sociale ou ethnique des locuteurs mais de leur rapport à la réalité
intra et extra discursive (urbaine, sociale,...).
Cette première réflexion, à rapporter à la dimension spatiale de l’objet
15
social, souligne ce que la marchandisation et la médiatisation des parlers jeunes
masquent en partie : ils sont ce que nous nommons les traces urbaines des
16
nouvelles formes d’exclusion où la connaissance de la langue dominante pour
réussir son intégration sociale reste en discours la condition indispensable et quasi
rédhibitoire mais où, en pratique, elle renvoie conjointement à une connaissance
imparfaite et surtout frustrante de la langue exogène, et à une « desidentification » radicale des lieux de ville valorisant par défaut. Le terme traces
urbaines renvoie, pour notre part, à la volonté de signifier ce que les pratiques
langagières des jeunes doivent :
1) à la culture urbaine par l’imposition de matrices représentationnelles et
discursives spécifiques,
2) aux tensions socio-spatiales héritées et mise en mots dans le rapport à
l’espace urbain et
3) au rapport de dominance distinct intégré par les locuteurs de telle ou telle
variété ou variante (pour ce dernier point, Bulot, 2001a)
La territorialisation (Bulot, 1999) linguistique des jeunes et l’individuation
sociolinguistique sont vraisemblablement ce qui permet de caractériser le
dynamisme des « parlures jeunes » mais sans pour autant les expliquer en totalité ;
c’est ce que Fabienne Melliani (2001 : 72) souligne très justement à propos des
jeunes issus de l’immigration lorsqu’elle affirme que « c’est la concentration
géographique de l’exclusion sociale qui favorise un processus d’individuation
sociolinguistique, et non pas les différences langagières qui maintiennent ces
13
Pour une définition du terme, voir Marcellesi (2004b : 99-120).
Un remarquable travail de maîtrise (Knitell, 1999) sur les représentations sociolinguistiques des
policiers rouennais, montre, en tout état de cause, que le terme « jeunes » renvoie non seulement à
des types d’interactions, mais encore relève d’une figure d’atténuation discursive pour une autre
dénomination : « délinquant ».
15
Henri Boyer (1994 : 88) remarque très pertinemment (voir aussi Boyer et Prieur, 1996) les
rapports étroits entre l’usage des formes linguistiques ou des rituels interactionnels dits jeunes
dans la publicité (française, pour le cas, il faudrait comparer avec d’autres situations), usage qui est
une forme évidente de marchandisation et de médiatisation. C’est en partie aussi l’objet de la
contribution de Bernard Lamizet, ici-même.
16
Le terme « exclusion » relève certes du paradigme de la stigmatisation dont il procède
(Camilleri, 1990). Mais il réfère également à une dynamique spécifique (Donzelot, 1999 : 104) où
« À l’intégration à la société par le quartier s’est ainsi substitué une intégration au quartier par
défaut d’intégration à la société. ».
14
138
LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE...
jeunes dans une exclusion sociale ». C’est ce double rapport effectif entre
structures socio-spatiales (terme que n’emploie pas Fabienne Melliani mais qui
s’applique à son propos) et la concentration d’une part, et, d’autre part entre
l’exclusion sociale et l’individuation sociolinguistique qu’il convient, à notre avis,
de questionner théoriquement.
Posons au moins que si le parler jeune n’existe pas en langue comme une
unique variété homogène (les travaux récents en sociolinguistique l’attestent si
cela était besoin et le terme lui-même se note de plus en plus au pluriel), il est en
discours (médiatique, scientifique, urbanistique…) construit et perçu comme tel
17
parce que sa valeur sociale est celle d’une langue : il constitue un
(auto)glossonyme, englobe un ensemble de sous-systèmes, couvre une aire (certes
discontinue d’un point de vue géographique mais tout à fait cohérente quant aux
espaces d’usage : la ville mais bien davantage tous les espaces urbanisés) et ses
locuteurs ont conscience non seulement de leur acte de dénomination mais encore
18
en construisent voire en suractivent les spécificités linguistiques et langagières .
La question est alors celle-ci : « à qui profite le prisme idéologique ? ». En
d’autres mots, comment comprendre, analyser, intervenir sur une tension entre
une variété/langue valorisée pour sa vitalité, son ingéniosité, sa capacité à
produire, à innover, valeur manifestée par les multiples emprunts que ses
19
locuteurs « non-natifs » lui font, et une variété/langue stigmatisante sans être
20
nécessairement stigmatisée d’ailleurs par/pour ses locuteurs « natifs » qu’elle
exclut ou qui s’excluent emblématiquement par la seule revendication d’un usage
réel ou non, sachant que dans tous les cas elle demeure identitaire et
catégorisante ? Si l’on peut aisément comprendre qu’il ne s’agit pas des mêmes
locuteurs (qui ne sont pas tous des « quartiers »), s’agit-il de la même variété,
s’agit-il de la même langue ? Ou plus certainement –ce qui semble raisonnablesont-elles des représentations sociolinguistiques différenciées de pratiques
langagières situées ? « Situées », certes… mais où ?
LES PARLERS JEUNES : DES TYPES D’ESPACE REPRÉSENTÉS
Nous avons précédemment (Bulot, 2004) posé une typologie des espaces de
ville, que nous glosons à nouveau ci-après, permettant de comprendre les hiatus et
recouvrements partiels ou contradictoires entre les représentations socio17
Au sens sociolinguistique, s’entend.
Elle est pour le moins ce que Jean-Marie Marconot (1990 : 76) remarquait il y a près de 15 ans
dans un corpus recueilli à Nîmes : la langue du quartier y était dite un « deuxième français ».
19
Cette expression ne peut se comprendre que si l’on admet que les « parlers jeunes » ont un statut
et une légitimité (qui reste à définir plus précisément) de langue. Elle est à rapporter à la
distinction déjà opérée par Jean-Michel Kasbarian (1997 : 27 et note 6 page 39) entre
« compétence » quant à la forme linguistique et le « lieu d’habitation » ; et expressément à la
tension entre des pratiques langagières identifiées et leur folklorisation relative.
20
Il convient de rappeler la pertinence de la typologie des stratégies identitaires faite par Carmel
Camilleri (1990). Les analyses des discours de locuteurs auto ou hétéro désignés comme
« jeunes », la nature même du questionnement social qui suscite ces mêmes discours doivent ellesmêmes s’interroger sur l’intelligibilité effective (c’est-à-dire au moins pour qui et pourquoi ?) des
données recueillies ; non pas pour dire (et surtout redire) les difficultés liées au paradoxe dit de
l’observateur mais pour tenter de mieux cerner la demande et les représentations sociales qui les
commandent.
18
139
THIERRY BULOT
langagières et les divers acteurs de la spatialité ; autrement précisé, nous avons
montré que non seulement il y avait co-variance entre les structures sociospatiales et –disons- la stratification sociolinguistique mais encore, avec la
diversité temporelle, locative des espaces de ville, que les actions sur les discours
notamment épilinguistiques revenaient à engager des actions sur la structuration
des espaces. En d’autres mots, les espaces sont produits et non pas donnés,
produisent de l’intelligibilité tout autant qu’ils constituent les traces et repères
21
remarquables des rapports sociaux au sein de la communauté urbaine.
Nous avions dès lors distingué trois types d’espace relatifs au référent
« ville » sachant a) que cet espace est nécessairement un espace discursif c’est-àdire comme relevant « de la conviction épistémique d’une altérité discursive
perçue comme à la fois résultante et dimension de l’espace social décliné ; [le
terme] pose qu’il existe un niveau de la matérialité sociale qui n’est que discursif
et qu’il n’est de sens que par l’espace d’échange ainsi produit par les
interactions inter et intra-discursives. » (Bulot, 2003b : 124. Note 2) et surtout b)
qu’il n’est pas question d’affirmer sans distanciation une opposition définitive
entre des pratiques langagières dites urbaines et des pratiques langagières dites
22
23
rurales mais bien de peser, pour l’approche des « parlers des jeunes urbains » la
pertinence de cette modélisation :
1. Le premier type d’espace est l’espace citadin. Il exprime pareillement la
part descriptive et circonscriptible d’un espace que tous les locuteurs doivent et
peuvent s’accorder à reconnaître comme tel. Objectivé, il semble ne pas donner
prise à d’autres dénominations que celles puisées dans le paradigme descriptif
ordinaire de la ville. Le quartier, par exemple, au-delà des stratégies identitaires
visant à le produire comme un espace de référence, comme lieu de la centralité
24
linguistique des « parlers jeunes », demeure une dénomination chorotaxique
qui semble faire a minima toujours sens d’un espace géographique et
administratif limité pour toute la communauté urbaine ; le quartier ou la cité ou
21
La sociologie urbaine (notamment Rémy et Leclerq, 1998 : 242-243) questionne
l’(im)pertinence probable de la conception de la ville comme une communauté pour ce qu’elle ne
possède plus (ou moins nettement) un espace central mobilisateur et chargé de mémoire justifiant
une identification autre qu’à celle du quartier. Pour l’heure la sociolinguistique urbaine reprend le
terme et le concept en avançant qu’il s’agit d’aborder la communauté sociale d’un point de vue
linguistique (Calvet, 1994).
22
Nos travaux (Bulot et Courard, 2001 ; Bulot, 2003a entre autres) sur le cauchois montrent que
les langues régionales en zone d’oïl sont de fait présentes et sans doute déterminées par la culture
urbaine. Que le terme rural, s’il peut encore, en France, singulariser certains types d’habitat, ne
peut pas, voire plus, aussi nettement opposer les parlures. Que les espaces ruraux sont urbanisés
(Rémy et Voyé, 1992) au même titre que des espaces dits urbains peuvent ne pas être urbanisés.
La distinction est d’ordre culturel et renvoie à l’appropriation subie ou acceptée de la mobilité
spatiale comme valeur valorisante et structurant (par défaut ou par dépit) la vie quotidienne, les
aspirations sociales, bref tous les comportements sociaux, dont les choix de langues, de variétés,
les dynamiques langagières…
23
Terme que propose très justement Cyril Trimaille, ici même en lieu et place de « parlers
jeunes ». Gudrun Ledegen (2001) montre par ailleurs (à partir du cas réunionnais) que l’urbanité
des « parlers jeunes » a à voir avec le monde lycéen et la diffusion des normes métropolitaines.
24
Ce terme fait référence à l’attitude langagière qui consiste à placer en un lieu de ville
discursivement construit et décrit comme central (par opposition à une périphérie) la forme de
prestige sans pour autant qu’elle y soit attestée. Pour plus de détails, voir Bulot (2001b).
140
LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE...
la rue ou la banlieue semblent effectivement être les entités strictement spatiourbaines où les « parlers jeunes » sont produits, perçus, vécus...
2. Le deuxième type d’espace est l’espace urbain. Il signifie la confusion
entre les catégories citadines et les pratiques discursives tendues au sein de la
communauté sociale ; non seulement les populations jeunes dites des quartiers
sont visibles (ou perçues telles par la vêture, les comportements verbaux
apparentés, la spectacularisation d’un socio-type…) ailleurs que dans leurs
espaces dédiés et/ou revendiqués mais encore leurs parlures (le parler jeune de
l’espace en question) sont reprises en ces lieux par d’autres jeunes qui
territorialisent ainsi leur propre espace. Le parler des jeunes des banlieues (sous
sa forme urbaine mais non citadine) est aussi pratiqué en centre ville… Cela
signifie que l’identification à un parler jeune se fera distinctement selon que le
locuteur distingue une identité requise (c’est-à-dire prescrite par une matrice
discursive permettant des énoncés du type « les jeunes parlent tous ou savent
tous le(s) parler(s) jeune(s) ») d’une identité réelle (c’est-à-dire effective dans
la mesure où le parler jeune d’un quartier permet l’identification à ce seul
quartier ou à tel groupe social occupant une zone urbaine ségrégée par
exemple).
3. Le troisième type d’espace est l’espace urbanisé. Celui-ci est lié d’une part
à la perception sociale de l’espace communautaire, qui toujours posé comme
espace commun n’en est pas moins toujours fractionné en éléments plus ou
moins hiérarchisés, et d’autre part aux discours stéréotypés exacerbant, sur une
aire géographique réduite aux limites indifféremment représentées, une mesure
stéréotypée de la distance sociale par la mise en mots de la distance
linguistique. Reste que cette mesure ne peut pas s’engager théoriquement de la
25
même façon pour tous les jeunes parce que les stratégies identitaires ne
procèdent pas pour tous des mêmes enjeux : le fait d’être perçu et/ou de se
savoir perçu comme un locuteur d’un quartier stigmatisé renvoie à la
différenciation des espaces fonctionnels (Cauvin, 1999) et, partant, à l’espace où
s’exerce la mobilité et donc à l’espace vécu. En tant que catégorie discursive
dominante (à laquelle n’échappent pas nécessairement les chercheurs), les
« parlers (des) jeunes » sont dans un processus de quasi folklorisation (GasquetCyrus, 2004 : 53) surdimensionnant la mesure de la distance linguistique pour
laisser la part congrue à la mesure de la distance sociale voire socio-spatiale ; et,
de ce point de vue, ils sont essentiellement et effectivement urbains. Mais en
tant que pratiques socio-langagières, ils oscillent sur les polarités de la distance
socio-spatiale perçue et vécue par tous ses locuteurs comme une individuation
sociolinguistique d’une part, et, d’autre part celles relatives à la même distance
mais qui est alors auto-valorisante pour les locuteurs des habitats valorisés
(pour les locuteurs qui se perçoivent tels) et hétéro-dévalorisante pour les
locuteurs des habitats dits populaires et en tous cas dévalorisés et stigmatisés. Ils
découlent de l’espace urbanisé parce qu’ils inscrivent en discours une urbanité
langagière qui semble récurrente des situations de minoration sociale : la
minimisation symbolique de la ségrégation socio-spatiale par
Certes, par le partage de la culture dite urbaine, ils ont la mobilité spatiale comme valeur sociale
optimale commune mais ils n’ont pas pour autant en commun son étalonnage.
25
141
THIERRY BULOT
l’appropriation emblématique de la diversité langagière (et des variétés
imparties aux jeunes). Le terme fonctionne ainsi en discours comme un lieu de
26
ville choronymique puisqu’il réfère à des portions apparemment géographiques
de l’espace représenté (la banlieue, la cité, la rue, le quartier) alors qu’il semble
référer principalement à un sociotype voire à un ethno-sociotype.
LES PARLERS JEUNES : UNE MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE ?
Les « parler jeunes » sont donc un objet social pour ce qu’ils laissent à voir,
à comprendre des processus de discrimination voire de ségrégation. Si l’on admet
27
cette lecture de l’objet social, qu’il s’agisse de pratiques ou de représentations , ils
fonctionnent comme un repère dans l’espace d’échange, comme des traces à
percevoir d’une épaisseur identitaire sans cesse en production, liée tant à
l’individu et à son historicité, qu’au collectif et à son histoire. Une épaisseur qui
ne peut pas s’inscrire autrement que dans le rapport à la transmission des
pratiques socio-spatiales et langagières d’une part, et d’autre part dans un
questionnement plus radical de l’identité sociale. Claude Dubar (2000 : 113)
rappelle à ce sujet, et à juste titre selon nous, l’articulation entre le processus
relationnel et le processus biographique menant à l’identité qu’il définit comme
un espace-temps générationnel au sens où « l’identité sociale n’est pas
« transmise » par une génération à la suivante, elle est construite par chaque
génération sur la base des catégories et des positions héritées de la génération
précédente, mais aussi à travers des stratégies identitaires déployées dans les
institutions que traversent les individus et qu’ils contribuent à changer
réellement ». (Dubar, 2000 : 122). On peut ainsi considérer (au moins par
principe) que les « parlers jeunes », tant pour leurs locuteurs attestés que pour
leurs locuteurs présumés, sont et laissent des traces quasi « mémorielles »
inscrites dans l’espace citadin à comprendre alors comme un espace de
reconnaissance identitaire hérité, et contraignent par là-même l’espace urbain à
décrire comme un espace de légitimation des pratiques linguistiques et des
compétences langagières produit de stratégies identitaires spécifiques.
28
Ce début de réflexion reste, pour la sociolinguistique urbaine, à affiner et
surtout à confronter à des enquêtes de terrain qui problématisent explicitement
29
une telle distinction ; il engage cependant à travailler l’histoire et l’historicité
26
Selon la terminologie reprise dans Bulot (2004 : 134-140).
Voir sur ce point l’introduction à l’ouvrage dirigé par Dominique Caubet (2004) intitulée :
« Introduction. Parlers jeunes et jeunes urbains : le nécessaire inventaire ».
28
Il fait l’objet d’une recherche pluridisciplinaire entre géographes, historiens et sociolinguistes
dans le cadre de l’Action Concerté Incitative « Espaces et Territoire ». La déclaration d’intention a
titré ainsi le projet de recherche : Identités, mises en mots et mémoire de l’habitat populaire
urbain. Une enquête est en cours (mars 2004) sur le site de la ville de Rennes problématisant la
mémoire sociolinguistique des espaces plurilingues ; les enquêtés sont des jeunes de quartiers dits
sensibles et des jeunes habitants du centre ville.
29
Le terme « historicité » fait partie de la théorisation tourainienne pour faire cas de l’implication
de l’individu dans la construction de sa propre histoire. Dans une perspective liant analyse du
discours et sociolinguistique, il permet de rendre compte de la singularité des parcours « sociolinguistico-biographiques » mis en mots. Michelle Van Hooland (2000) est à notre connaissance la
première (sur un autre terrain) à avoir inclus ce concept dans une théorisation et une analyse sociolangagière des discours.
27
142
LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE...
dans les rapports complexes entre mises en mots des langues et mises en mots de
l’espace. Le recours au concept de mémoire, emprunté aux travaux de Patrick
Sériot (1994) et surtout de Denis Paillard (1994), corrélé à la langue et à l’identité
permet d’inscrire une « mémoire sociolinguistique » au titre des catégories
descriptives et analytiques des « parlers jeunes » dans la mesure de la dynamique
identitaire qui les sous-tend. À l’instar de Patrick Sériot (1994 : 85), nous pensons
la mémoire comme du discours sur la mémoire ; sachant que terme discours
renvoie ici à une conceptualisation de l’énoncé où la recherche de
l’interdiscursivité, de la mise en regard avec d’autres productions langagières
comparables, où l’explicitation de la valeur sociale de la prise de parole, la mise
en relief des contraintes institutionnelles de l’interaction verbale engagée, sont
déterminantes. Ce discours sur la mémoire est théoriquement la totalité (mais pas
nécessairement la somme) des manifestations discursives qui :
a)
b)
implicitement –i.e. sans que le locuteur soit dans un acte langagier
d’attribution/d’appartenance conscient mais perceptible parce qu’il peut
être masqué- ou
explicitement –au moins le cas contraire au précédent-
rendent compte, sans doute conjointement, des brassages de langues et du
confinement linguistique ; les « parlers jeunes » constituent de ce point de vue les
traces actuellement (sur)médiatisés non seulement de l’urbanisation linguistique,
mais encore de la minoration sociale urbanisée perçue et de la relégation vécue.
Denis Paillard (1994 : 100) propose (Figure 1) une glose de la mémoire (en tant
qu’elle est discours) qui permet de rendre compte de son articulation essentielle,
endogène : le rapport au présent et le rapport non seulement non exclusif mais
aussi tendu au passé.
Les manifestations discursives (Figure 1) sont effectivement les faits
langagiers renvoyant, pour l’axe « prépondérance du présent », aux aspects
mémoriels, à une mémoire du discours, où l’interdiscursivité ainsi temporalisée
permet de s’appuyer sur des catégorisations, des pratiques langagières qui
masquent le rapport au passé tout en en découlant, tout le réinvestissant sur le
présent ; et pour l’axe « prépondérance du passé », aux aspects « mémorés », à un
discours sur la mémoire, où ce qui est dit n’a de sens social que dans le rapport à
la conformité d’un temps révolu, indépendamment (au moins en apparence) des
interactions sociales qui n’en sont que le prétexte.
Avec cette grille de lecture, le « parler jeune » en tant que manifestations
discursive sur la mémoire relève d’un discours stéréotypé à vocation
prototypique (quelle que soit la légitimité du prescripteur pourvu qu’il se déclare
locuteur ou qu’il soit du lieu attribué à cette forme) pour référer à une
représentation sociolinguistique de l’espace : le « parler jeune », le « parler des
jeunes urbains » renvoient à une nouvelle dénomination / catégorisation du
populaire, de l’habitat dit populaire. De ce point de vue, le stéréotype engage le
rapport au passé (le bled par exemple pour les jeunes dit de l’immigration
maghrébine) dans la mesure de sa conformité nécessaire avec le perçu
linguistique, autrement dit le discours sur la pratique, d’une part. Et d’autre part,
le prototype engage le rapport au présent (les interactions entre pairs, la fonction
143
THIERRY BULOT
cryptique…) dans la mesure de son indispensable extrapolation sur le vécu
langagier, autrement dit la pratique du discours.
Figure 2 : mémoire et discours
Rapport présent passé
MÉMOIRE
(MANIFESTATIONS DISCURSIVES)
Prépondérance du présent
Prépondérance du passé
Travail de réappropriation
du passé dans le présent.
Transcender les instants et les
individus.
Extériorité radicale au présent
Ce qui est construit est un
pôle de référence. Chaque
période se trouve ainsi
évaluée en termes de
conformité
Perçu comme une garantie
pour que l’avenir soit
différent.
À ce stade, nous parlons encore de mémoire au sens presque commun du
terme : elle est discours. Nous pensons devoir réserver le terme « mémoire
sociolinguistique » aux discours sur les corrélations entre mémoire urbaine (le
30
discours sur l’entité urbaine ) et sociolinguistique (le discours sur à la fois la
stratification sociolinguistique et à la fois la territorialisation, voire la mobilité
linguistique). En tant que discours, les « parlers jeunes » sont pleinement de ce
type de corrélations. On peut pousser l’hypothèse (pour rappel que la mémoire
sociolinguistique est l’élicitation d’un discours stéréotypé à vocation prototypique
relatif aux représentations sociolinguistiques de l’espace) plus encore en posant
que la mémoire sociolinguistique (Figure 2) spécifique à une entité urbaine,
31
spectacularisée par elle et pour elle, rend compte de l’ancrage socio-spatial –la
signalétique dite urbaine- du multilinguisme urbain (les langues et les variétés de
langue perçues et vécues par les locuteurs) et des rapports entre les communautés
sociolinguistiques effectives ou représentées.
Par le terme signalétique, nous entendons initialement (à l’instar de ce que
souligne justement Françoise Mandelbaum-Reiner (1991) à propos de la valeur de
certaines dérivations dites et perçues comme argotiques autant par leurs
30
Pour la définition du terme, voir Bulot et Messaoudi (2003 : 8).
Voir Bulot (2001d : 117) pour le rapport entre médias (et donc médiatisation) et
spectacularisation de la langue.
31
144
LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE...
prescripteurs que par leurs usagers) la fonction de signalisation (de « signum
social », Mandelbaum-Reiner, 1991 : 112; voir aussi Bulot, 1998) des
manifestations discursives de tous ordres. Mais elle signifie aussi (si l’on admet
notre hypothèse bien sûr) les effets des discours sur la perception située (entre
autres localisée) de la spatialité et comment ces effets (par les marques, les traces,
qu’ils laissent à entendre, voir, lire,…), via la praxis linguistique, finissent par être
confondu avec cette même spatialité.
Figure 3 : mémoire sociolinguistique et discours
MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE
(MANIFESTATIONS DISCURSIVES)
Prépondérance du présent
Prépondérance du passé
Signalétique langagière
Choix de variété / de
langue perçu
Rites d’interaction perçus
Odonyme,
graffitis,
enseignes perçus
Mobilité
linguistique
perçue
Espace urbanisé
Marquage explicite
…
Signalétique linguistique
Odonyme, graffitis, enseignes
vécus
Choix de variété / de langue
vécu
Rites d’interaction vécu
Mobilité linguistique vécue
Espaces citadin et urbain
Marquage implicite
…
Patrimonialisation
des territoires et des langues
Une mémoire sociolinguistique comprend ainsi deux types de signalétique
32
33
(odonymes, tags, graffitis , enseignes …) sachant que ce dernier terme impose
dès lors le recours au paradigme sociolinguistique de l’analyse socio-spatiale :
a)
la signalétique langagière qui sont les traces mémorielles autorisant
un locuteur/acteur de l’espace urbain à choisir/utiliser telle ou telle variété
de langue, de registre en interaction en tel lieu ou tel espace de ville ; elle
est de l’ordre du perçu au sens où se sont les représentations de tous ordres
(ici socio-langagières) vecteur et facteur de l’espace urbanisé qui vont
marquer les pratiques langagières. Et
32
Le travail de Fabienne Lopez (Lopez, 1999) fait un point fort bien documenté sur les pratiques
liées aux tags et graffitis.
33
Myriam Dumont (1998) propose une typologie de l’enseigne commerciale pour l’approche de la
situation sociolinguistique de Dakar qui est transposable sur d’autres configurations urbaines.
145
THIERRY BULOT
la signalétique linguistique qui sont les traces inscrites, mémorées
posant le locuteur et son groupe social de référence dans un cadre
interactionnel tendanciellement hérité ; elle est de l’ordre du vécu dans la
mesure où elle où transcende les individus-locuteurs qui vont interagir en
fonction des traces linguistiques qui les environnent.
C’est ici que l’on retrouve la problématique du marquage qui, s’il
fonctionne certes « comme violence symbolique lorsqu’il inscrit dans la durée
l’affirmation de formes d’appropriation de l’espace, dont le caractère
socialement arbitraire finit par ne plus être perçu, en évitant donc le recours
permanent à la force pour imposer un pouvoir sur un espace donné »
(Veschambre, 2004 : 3), est aussi à concevoir, pour ce qui se rapporte aux
pratiques et représentations dites « parlers jeunes », comme une tentative de
patrimonialisation en discours des territoires et des langues.
b)
CONCLUSION : ET SI LES
DISCOURS POLITIQUE ?
« PARLERS
JEUNES
»
ÉTAIENT SURTOUT UN
Un peu comme l’historien qui est sans cesse dans deux mondes distincts et
entre deux discours (le discours présent sur le passé et le discours passé interprété
au présent), le sociolinguiste, parce qu’il approche invariablement l’histoire
sociale des langues et des variétés, est à cheval sur deux espaces énonciatifs : le
premier, à partir duquel il restreint son regard sur un objet social effectif mais
complexe, relève d’une confusion discursive inhérente entre son historicité propre
et une mémoire sociale dont il hérite ; le second, qui se constitue comme
résultante des pratiques d’observations objectivées, renvoie de fait à une autre
confusion entre genres discursifs, celle existant entre l’historicité des locuteurs
observés ou enquêtés et une mémoire sociale qui permet à ces derniers de
produire les élicitations observées.
Bien sûr, de telles remarques ne revendiquent pas l’originalité de leur
contenu, elles souhaitent seulement faire valoir que l’approche de l’urbanité
langagière, fût-elle au travers des « parlers jeunes », impose une réflexion plus
large que celle impartie généralement aux faits linguistiques ; travailler, enquêter,
décrire les « parlers jeunes », c’est aussi construire cette urbanité, et, de fait, une
part de la matrice discursive qui va conditionner la pertinence sociale de telles
approches.
Autrement dit, faire de la sociolinguistique urbaine signifie devoir prendre
la mesure des aspects programmatiques des pratiques linguistiques et langagières,
non pas seulement sur le seul plan de la structure des langues et des variétés, des
interactions sociales, des traces mémorielles des migrations urbaines, mais aussi
sur celui des traces mémorées autrement dit des effets des discours sur les
espaces : il est ainsi flagrant de constater combien sont généralement peu
problématisées dans notre discipline les distinctions entre espace et scène
publiques, entre ségrégation et sécession urbaine…
Ainsi, les « parlers jeunes » sont un discours politique, politique au sens
strict (de la cité) et au sens commun. Ils sont discours politique pour trois raisons :
d’abord parce que leurs locuteurs mobilisent sur les ressources linguistiques une
créativité individuelle que le « modèle urbain de compétition pour l’égalité »
(Rémy et Leclercq, 1998 : 242) leur oppose comme un échec au plan social et une
146
LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE...
relégation au plan spatial ; ensuite parce qu’ils produisent cependant une centralité
symbolique fondée sur une sociabilité distincte et langagière qui tend à remplacer
une centralité urbaine en crise ; enfin parce qu’ils rendent compte de manière
exemplaire, pour l’entité urbaine, de la disjonction de ses deux dimensions
fondamentales alors corrélées aux représentations sociolinguistiques : son
efficacité structuro-fonctionnelle et ses aspects socio-affectifs.
Thierry Bulot
[email protected]
147
Cyril Trimaille et Thierry Bulot ,
Lidilem Université de Grenoble III et Credilif (EA Erellif 3207) Université
de Rennes 2
1
LES PARLERS JEUNES
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE ET THÉMATIQUE
2
ABDULAZIZ, M. et OSINDE, K. (1996) : « Sheng and Engsh : development of
mixed codes among urban youth in Kenya », dans INTERNATIONAL JOURNAL
OF THE SOCIOLOGY OF LANGUAGE n°125 , Amsterdam, Mouton de Gruyter,
p.p. 43-63.
AGUADÉ, J. (1996) : « Notas acerca de los preverbios del imperfectivo en árabe
dialectal magrebí », dans ESTUDIOS DE DIALECTOLOGÍA NORTEAFRICANA Y
ANDALUSÍ n°1, p.p. 197-213.
AGUADÉ, J. (1998) : « Un dialecte ma qilien : le parler des Z r au Maroc »,
dans Peuplement et arabisation au Maghreb Occidental. Dialectologie et
histoire, Madrid-Zaragoza, Casa de Velázquez-Universidad de Zaragoza,
p.p. 141-150.
AGUADÉ, J. (sous presse) : « Sur le dialecte arabe de Casablanca », Proceedings
of the 5th Conference of the International Association of Arabic
Dialectology, Cádiz, Universidad de Cádiz.
AGUADÉ, J., ELYAACOUBI, M. (1995) : El dialecto árabe de Sk ra
(Marruecos). Madrid, CSIC.
1
Avec la participation de : Gudrun Ledegen, Zsuszanna Fagyal, Ángeles Vicente, Bernard
Lamizet.
2
Cette bibliographie reprend non seulement les références citées par les auteurs dans les
contributions au présent volume (en cela elle est « générale ») mais aussi les publications relevant
peu ou prou des « parlers jeunes » (en cela, elle est « thématique »). Elle a été préparée par Cyril
Trimaille (pour la plupart des entrées bibliographiques d’ordre thématique) et par Thierry Bulot
(pour ce qui le concerne à partir des données issues de la Bibliographie Sociolinguistique
Francophone – http : //www.bibliographie-sociolinguistique.com –). Globalement harmonisée à
partir de sources diverses, elle garde des traces sensibles de celles et ceux qui ont rédigé chacune
des entrées mais fonctionne sur le principe onomachronologique. Les dates entre crochets
renvoient à des éditions antérieures ou à des référenciations distinctes dans les textes du présent
volume.
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
AITCHISON, J. (1994) : Language joyriding : an inaugural lectuire delivered
before University of Oxford on 16 November 1993, Oxford, Clarendon
Press.
AL WER, E. (2002) : « Education as a speaker variable », dans Language contact
and language conflict in Arabic, London-New York, Routledge Curzon,
p.p. 41-53.
AMOSSY, R. (1991) : Les idées reçues : Sémiologie du stéréotype, Paris, Nathan.
AMSTRONG, N. & JAMIN, M. (2002) : « Le français des banlieues : uniformity
and discontinuity in the French of the Hexagon, dans French In and Out
France, Language policies, intercultural antagonisms and dialogues, Bern,
Peter Lang, p.p. 107-136.
ANDERSEN, G. (2000) : Pragmatic Markers and sociolinguistic Variation. A
relevance-Theoric approach to the language of adolescents, Amsterdam,
Philadelphia, John Benjamins Publisher.
ANTOINE, F. (1998) : « Des mots et des oms : verlan, troncation et recyclage
formel dans l'
argot contemporain », dans CAHIERS DE LEXICOLOGIE n°72
(1), Lille, Presses Univesitaires de Lille, p.p. 41-70.
ARMAND, A. (1987) : Dictionnaire kréol rénioné – français, Saint André de la
Réunion, Océan Éditions.
ARMSTRONG N., JAMIN, M., (2002) : « Le français des banlieues : uniformity
and discontinuity in the French of the Hexagon », dans French in and out of
France : language policies, intercultural antagonisms and dialogues, Bern,
Peter Lang, p.p. 107–136.
ASSEF, C. (2002) : Analyse interactionnelle des échanges de vannes : une
application aux quartiers dits sensibles de Marseille, Thèse de doctorat
nouveau régime, Université Aix-Marseille 1 - Université de Provence.
AUGER, (1997) : « Acquisition par l’enfant des normes sociolinguistiques », dans
Sociolinguistique. Concepts de base, Sprimont, Mardaga, p.p. 15-19.
AUGER, J. (1997) : « Formel vs. informel », dans Sociolinguistique. Concepts de
base, Bruxelles, Mardaga, p.p. 152-153.
AUGER, N., FILLOL, V., LOPEZ, J. & MOÏSE C. (2002) : « L’étude de la
violence verbale : enjeux méthodes, éthique », dans CILL n°28. 3-4, Vol. 2,
p.p.131-149.
AUZANNEAU M. (2002) : « Identités africaines : le rap comme lieu
d'
expression, dans CAHIERS D’ÉTUDES AFRICAINES n°163-164, Paris,
Éditions de l'
EHESS, p.p. 711-734.
AUZANNEAU, M. et JUILLARD, C. (2002b) : « Parlers de jeunes en parcours
de formation continue et d'
insertion. Démarche d'
une recherche en
sociolinguistique.», dans VEI-ENJEUX n°130, Paris, CNDP, 238-249.
AUZANNEAU, M., BENTO, M. et FAYOLLE, V., (2002c) : « De la diversité
des parlers jeunes en milieu urbain africain : le rap comme révélateur »,
dans LA LINGUISTIQUE n°38, 1, Paris, Presses Universitaires de France, p.p.
69-98.
150
LES PARLERS JEUNES: BIBLIOGRAPHIE...
AZRA, J.-L., CHENEAU V. (1994) : « Language Games and Phonological
Theory : Verlan and the Syllabic Structure of French », dans JOURNAL OF
FRENCH LANGUAGE STUDIES n°4 (2), p.p. 147-170.
BABASSI, O. (2004) : « Peut-on parler d’une communauté ‘virtuelle’ bilingue
franco-arabe ‘algéroise’ sur l’internet Relay Chat ? », dans Parlers jeunes
Ici et Là-bas (Pratiques et représentations), Paris, L’Harmattan, p.p. 271286.
BACHMANN C. & BASIER, L., (1984) : « Le verlan : argot d’école ou langue
des Keums ? », dans MOTS n°8, Paris, Presses de la Fondation Nationale des
Sciences Politiques, p.p. 169-187.
BACHMANN C. & BASIER, L., (1985) : « Junior s’entraîne très fort, ou le smurf
comme mobilisation symbolique », dans LANGAGE ET SOCIÉTÉ n°34, Paris,
Maison des Sciences de l’Homme, p.p. 57-68.
BACHMANN, C. & BASIER, L. (1989) : Mise en images d’une banlieue
ordinaire, Paris, Syros/Alternative.
BAGGIONI, D. (1987) : Petit dictionnaire créole réunionnais / français, SaintDenis de la Réunion, Publications de l’Université de la Réunion (URA 1041
du CNRS).
BARTHES, R. (1983 [1967]) : Système de la Mode, Paris, Seuil (Coll. « Points »),
321 pages.
BAUTIER, E & BRANCA-ROSOFF, S. (2002) : « Pratiques linguistiques des
élèves en échec scolaire et enseignement », dans VEI-ENJEUX n°130, Paris,
CNDP, p.p. 196-213.
BAUVOIS, C. (1998) : « L’âge de la parole : la variable âge en
sociolinguistique », dans DIVERSCITÉ LANGUES, vol. III, Québec, Télé
université du Québec, www.uquebec.ca/diverscite.
BAVOUX, C. (2000) : « Existe-t-il un parler jeune à la Réunion ? Compte-rendu
d’une enquête auprès de six groupes d’élèves et d’étudiants », dans ÉTUDES
CRÉOLES n°XXIII-1, Aix en Provence/ Paris, CIEC/L'
Harmattan, p.p. 9-27.
BAVOUX, C. (2001 et 2001a) : « Pratiques langagières de lycéens réunionnais,
pratiques diglossiques ? », dans TRAVAUX ET DOCUMENTS n°15, La
Réunion, Université de La Réunion, p.p. 31-46.
BAVOUX, C. (2002) : « Conversations entre pairs », Rapport de recherche
DGLFLF, Les pratiques langagières des jeunes Réunionnais entre pairs, 52
pages
BAVOUX, C. (2002) : « Les situations sociolinguistiques des pays de la zone
sud-ouest de l’Océan Indien », dans École et plurilinguisme dans le Sudouest de l’Océan Indien, p.p. 25-41.
BEAUD, S., PIALOUX M. (1999) : Retour sur la condition ouvrière, Paris,
Fayard.
BEDIER-ROUX, M.-L. (2000) : La scolarité des élèves originaires de l’archipel
des Comores à la Réunion : entre paradoxes et stigmatisation, Mémoire de
Maîtrise en Sciences de l’Éducation, Université de la Réunion.
151
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
BENIAMINO, M. (1996) Le français de la Réunion. Inventaire des particularités
lexicales, Vanves, EDICEF / AUPELF.
BENSALAH, A., JOSEPH, V., (2004) : « La fonction humoristique du
‘mixlangue’ dans le parler des jeunes Algérois. Détournement et innovation
linguistique », dans Parlers jeunes Ici et Là-bas (Pratiques et
représentations), Paris, L’Harmattan, p.p. 149-172.
BENSIMON-CHOUKROUN, G. (1991): « Les mots de connivence des jeunes en
institution scolaire : entre argot ubuesque et argot commun », dans LANGUE
FRANÇAISE n°90, Paris, Larousse, p.p. 95-105.
BERNICOT, J. (1992) : Les actes de langage chez l’enfant, Paris, Presses
Universitaires de France.
BERTUCCI, M.-M. (2003) : « Les parlers jeunes en classe de français », dans LE
FRANÇAIS AUJOURD’HUI n°143, Paris, AFEF, p.p. 25-34.
BILLIEZ, J. & MILLET, A. (2001) : « Représentations sociales : trajets
théoriques et méthodologiques », dans Les représentations des langues et de
leur apprentissage. Références, modèles, données et méthodes, Essais
Didier, ENS-LSH, p.p. 31-49.
BILLIEZ, J. & TRIMAILLE, C. (2001) : « Plurilinguisme, variations, insertion
scolaire et sociale », dans LANGAGE ET SOCIÉTÉ n°98, Paris, Maison des
Sciences de l’Homme, p.p. 105-127.
BILLIEZ, J. (1985a) : « Les jeunes issus de l’immigration algérienne et espagnole
à Grenoble : quelques aspects sociolinguistiques », dans INTERNATIONAL
JOURNAL OF SOCIOLOGY OF LANGUAGE n°54, Amsterdam, Mouton
Publishers.
BILLIEZ, J. (1985b) : « La langue comme marqueur d’identité », dans REVUE
EUROPÉENNE DES MIGRATIONS INTERNATIONALES vol 1, 2, Poitiers,
Université de Poitiers, p.p. 95-105.
BILLIEZ, J. (1992) : « Le ‘parler véhiculaire interethnique’ de groupes
d’adolescents en milieu urbain », dans Des langues et des villes, Paris,
Didier Érudition, p.p. 117-126.
BILLIEZ, J. (1996) : « Poésie musicale urbaine : langues et identités
entrelacées », dans Les politiques linguistiques, mythes et réalités,
L’actualité scientifique, Paris, Aupelf-Uref, p.p. 61-66.
BILLIEZ, J. (1997) : Bilinguisme, variations, immigration : regards
sociolinguistiques, Dossier présenté en vue de l’Habilitation à Diriger des
Recherches, 2 volumes, Université Stendhal Grenoble 3.
BILLIEZ, J. (1998) : « L’alternance des langues en chantant », dans LIDIL n°18,
Grenoble, Lidilem, p.p. 125-139.
BILLIEZ, J., KRIEF, K., LAMBERT, P., ROMANO, A. & TRIMAILLE, C.
(2003) : Pratiques et représentations langagières de groupes de pairs en
milieu urbain, Rapport de recherche réalisé en réponse à l’appel d’offre de
l’Observatoire des pratiques, DGLFLF, Ministère de la culture, non publié.
152
LES PARLERS JEUNES: BIBLIOGRAPHIE...
BILLIEZ, J., LAMBERT, P. (2004) : « La différenciation langagière
filles/garçons : vue par des filles et des garçons », dans Parlers jeunes Ici et
Là-bas (Pratiques et représentations), Paris, L’Harmattan, p.p. 173-184.
BILLIEZ, J., TRIMAILLE C. (2001) : « Langues, variations et insertion sociale :
réflexions autour d'
actions de médiation en contextes scolaire et extrascolaire », dans LANGAGE ET SOCIÉTÉ n°98, Paris, Maison des Sciences de
l’Homme, p.p. 105-127.
BINISTI N. & GASQUET-CYRUS, M. (2003) : « Les accents de Marseille »,
dans LES CAHIERS DU FRANÇAIS CONTEMPORAIN n°8, Lyon, ENS Éditions,
p.p. 107-129.
BINISTI, N. (1999) : « La construction de l’identité à travers les pratiques
discursives de jeunes des quartiers nord de Marseille », dans SKHOLÊ,
CAHIERS DE LA RECHERCHE ET DU DÉVELOPPEMENT n°10, Marseille, IUFM
de l’académie d’Aix-Marseille, p.p. 85-118.
BINISTI, N. (2000) : « Les marques identitaires du ‘parler interethnique’ de
jeunes marseillais », dans Le plurilinguisme urbain, Paris, Didier Érudition,
p.p. 281-299.
BINISTI, N. (2003) : « Quatre jeunes Marseillais en mobilité sociale : entre
‘contacts d’accents’ et ‘contacts de représentations’ », dans Contacts de
langues (Modèles, Typologies, Interventions), Paris, L'
Harmattan
(Collection Espaces Discursifs), p.p. 191-212.
BLANCHET, A., GHIGLIONE, R., MASSONAT, J. & TROGNON, A., 1987,
Les techniques d’enquête en sciences sociales, Paris, Dunod.
BLANCHET, P. (2001) : « Enquêtes sur les évolutions générationnelles du
français dans le pays vannetais (Bretagne) », dans LE FRANÇAIS MODERNE
n°1, Paris, C.I.L.F., p.p. 58-76.
BLÖSS, T., GODARD F., (1988): « La décohabitation des jeunes », dans les
CAHIERS DE L’INED n°120, Paris, P.U.F., p.p. 31-56.
BLÖSS, T. (1994) : « La ville et les jeunes », dans LE COURRIER DU CNRS n°81,
Paris, CNRS, 65-66.
BONNÉRY, S. (2002) : « Malentendus et usages langagiers des élèves en grande
difficulté scolaire », dans VEI-ENJEUX n°130, Paris, CNDP, p.p. 152-162.
BOSC, S. (2003) : « Groupes sociaux ou classes sociales », dans CAHIERS
FRANÇAIS n°314, p.p. 40-46.
BOULOGNE-ROUSSEAU, N. (2001) : Vous avez dit jeune ?, Paris,
L’Harmattan, 300 pages
BOUMANS, L. (1998) : The syntax of codeswitching. Analysing Moroccan
Arabic/Dutch conversations, Tilburg, Tilburg University Press.
BOUMANS, L. (2002). « Possessive constructions in Morocco and in the
Netherlands », dans Aspects of the dialects of Arabic today, Rabat,
Amapatril, p.p. 265-275.
BOUMANS, L. (2004) : « L’arabe marocain de la génération ayant grandi aux
Pays-Bas », dans Parlers jeunes Ici et Là-bas (Pratiques et représentations),
Paris, L’Harmattan, p.p. 49-68.
153
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
BOUMANS, L., CAUBET, D. (2000) : « Modelling intrasentential
codeswitching : a comparative study of Algerian/French in Algeria and
Moroccan/Dutch in the Netherlands », dans Arabic as a minority language,
Berlin-New York, Mouton de Gruyter, p.p. 113-180.
BOUMANS, L., DE RUITER, J.J. (2002) : « Moroccan Arabic in the European
Diaspora », dans Language contact and language conflict in Arabic,
London-New York, Routledge Curzon, p.p. 259-285.
BOURDIEU, P. (1982) : Ce que parler veut dire : l'
économie des échanges
linguistiques. Paris, Fayard.
BOURDIEU, P. (1984) : Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, (éd.
1992).
BOURDIEU, P. (1987) Choses dites, Paris, Les Éditions de Minuit, 229 pages.
BOURDIEU, P. (1996) : Sur la télévision suivi de L'
emprise du journalisme,
Paris, Raisons d'
Agir.
BOUTET, J. & GADET, F. (2003) : « Pour une approche de la variation
linguistique », dans LE FRANÇAIS AUJOURD’HUI n°143, Paris, AFEF, p.p. 1724.
BOUTET, J. (2002) : « ’I parlent pas comme nous’ Pratiques langagières des
élèves et pratiques langagières scolaires », dans VEI-ENJEUX n°130, Paris,
CNDP, p.p. 163-177.
BOUZIRI, R. (2000) : La variation dans les pratiques langagières des jeunes
d’origine maghrébine à la Goutte d’Or, Paris, 18ème, Thèse de doctorat,
EHESS.
BOUZIRI, R. (2002) : « Les deux langues maternelles des jeunes français
d’origine maghrébine », dans VEI-ENJEUX n°130, Paris, CNDP, p.p. 104116.
BOYER, H. (1994) : « Le jeune tel qu’on en parle », dans LANGAGE ET SOCIÉTÉ
n°70, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, p.p. 85-92.
BOYER, H. (1997) : « "Nouveau français", "parler jeune" ou "langue des cités"?
Remarques sur un objet linguistique médiatiquement identifié », dans
LANGUE FRANÇAISE n°114, Paris, Larousse, p.p. 6-15.
BOYER, H. (1997a) : « Présentation », dans LANGUE FRANÇAISE n°114, Paris,
Larousse, p.p. 3-5.
BOYER, H. (1997b) : « ’Nouveau français’, ‘parler jeune’ ou ‘langue des cités’ »,
dans LANGUE FRANÇAISE n°114, Paris, Larousse, p.p. 7-15.
BOYER, H. (1997c) : « Le statut de la suffixation en –os », dans LANGUE
FRANÇAISE n°114, Paris, Larousse, p.p. 35-40.
BOYER, H. (2001) : « Le français des jeunes vécu/vu par les étudiants. Enquêtes
à Montpellier, Paris, Lille », dans LANGAGE ET SOCIÉTÉ n°95, Paris, Maison
des Sciences de l’Homme, p.p. 75-87.
BOYER, H. (1996) (dir.) : Sociolinguistique : territoire et objets, Lausanne,
Delachaux et Niestlé.
154
LES PARLERS JEUNES: BIBLIOGRAPHIE...
BOYER, H. (1997) (dir.) : Les mots des jeunes : observations et hypothèses, dans
LANGUE FRANÇAISE n°114, Paris, Larousse.
BOYER, H., GOUDAILLIER, J.-P., SEGUIN, B. et TEILLARD, F., (1998), « Et
le langage des jeunes ? », dans LE FRANÇAIS AUJOURD’HUI n°124, Paris,
AFEF, p.p. 34-42.
BOYER, H., PRIEUR, J.M. (1996) : « La variation (socio)linguistique », dans
Sociolinguistique, Territoire et objets, Lausanne, Delachaux et niestlé,
p.p. 35-77.
BRACONNIER, A. (1998) : « Les adieux à l’enfance », dans L’identité, Paris,
Sciences humaines Éditions, p.p. 95-101.
BROWN, P., LEVINSON, C. S. (1987) : Politeness : Some universals in
language use, Cambridge : Cambridge University Press.
BRUNE, F. (1996) : ‘Les médias pensent comme moi !’. Fragments du discours
anonyme, Paris, L’Harmattan, 217 pages.
BUFFET, L. (2003) : « Les différences sexuelles de l’accès à l’espace urbain chez
les adolescents de banlieues défavorisées », dans Concentration et
ségrégation, Dynamiques et inscriptions territoriales, XXXIVème colloque
de
l’ASRDLF
(Lyon,
1,2
et
3
septembre
2003),
http://asrdlf2003.entpe.fr/pdfpapiers/B5/31.pdf, 14 pages.
BULOT, T. & TSEKOS, N. (1999) : « L’urbanisation linguistique et la mise en
mots des identités urbaines », dans Langue urbaine et identité. Langue et
urbanisation à Rouen, Venise Berlin, Athènes et Mons, Paris, L’Harmattan,
p.p. 19-34.
BULOT, T. & VAN HOOLAND, M. (1997) : « Représentations du "parler
banlieue" à Rouen », dans SKHOLÊ, CAHIERS DE LA RECHERCHE ET DU
DÉVELOPPEMENT n°10, Marseille, IUFM de l’académie d’Aix-Marseille,
p.p. 123-136.
BULOT, T. (1998) : « Langues en ville : signalisation sociale des territoires »,
dans ÉTUDES NORMANDES n°1, Mont Saint Aignan, Association Études
Normandes, p.p. 41-46.
BULOT, T. (1999) : « La production de l’espace urbain à Rouen : mise en mots
de la ville urbanisée », dans Langue urbaine et identité, Paris, L’Harmattan,
p.p. 39-70.
BULOT, T. (2001a) : « Ségrégation et urbanisation linguistique : l'
altérité urbaine
définie ou ‘l'
étranger est une personne’ », dans DIVERSCITÉ LANGUES VI
(http : //www.teluq.uquebec.ca/diverscite ), Québec, Télé Université du
Québec, 21 pages.
BULOT, T. (2001b) : « La construction de la référence communautaire : le
français de référence au centre ville », dans CAHIERS DE L’INSTITUT DE
LINGUISTIQUE DE LOUVAIN n°27 (1-2),. Louvain La Neuve, Peeters Verlag,
p.p. 35-42.
BULOT, T. (2001c) : « L’essence sociolinguistique des territoires urbains : un
aménagement linguistique de la ville ? », dans CAHIERS DE
155
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
SOCIOLINGUISTIQUE n°6, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p.p. 511.
BULOT, T. (2001d) : « Réactions sur l’article de Gudrun Ledegen », dans Les
« parlers jeunes » à La Réunion, dans TRAVAUX ET DOCUMENTS n°15, La
Réunion, Université de La Réunion, p.p. 113-118.
BULOT, T. (2003a) : « Le discours sur l’identité ethnolinguistique : identifier
pour se définir en contexte diglossique », dans Textes et Contextes
Culturels, Mont Saint Aignan, Publications de l’Université de Rouen, 11
pages (A paraître en 2004).
BULOT, T. (2003b) : « Matrice discursive et confinement des langues : pour un
modèle de l’urbanité », dans CAHIERS DE SOCIOLINGUISTIQUE n°8, Rennes,
Presses Universitaires de Rennes, p.p. 99-110.
BULOT, T. (2004) : « La double articulation de la spatialité urbaine : « espaces
urbanisés » et « lieux de ville » en sociolinguistique », dans Lieux de ville et
identité, Paris, L’Harmattan, p.p. 113-146.
BULOT, T., CAUBET, D., MILLER, C. (2004) : « Introduction. Parlers jeunes et
jeunes urbains : le nécessaire inventaire », dans Parlers jeunes, Ici et Là-bas
(Pratiques et représentations), Paris, L’Harmattan, p.p. 7-16.
BULOT, T., COURARD, S. (2001) : « Patrimoine et langue : modernité dialectale
et identité linguistique (Pays de Caux) », dans EUROPA ETHNICA n°58/1-2,
Vienne, W. Braumüller Verlag, p.p. 58-63.
BULOT, T., MESSAOUDI, L. (2003) : « Introduction : la ville représentée ou
l’entité urbaine », dans Sociolinguistique urbaine (Frontières et territoires),
Cortil-Wodon, Éditions Modulaires Européennes & Intercommunications,
p.p. 5-11.
CAELEN-HAUMONT, G. (2002), « Perlocutory Values and Functions of
Melisms in Spontaneous Dialogue », dans Proceedings of the 1st
International Conference on Speech Prosody, Aix-en-Provence, p.p. 195198.
CAITUCOLI, C., ZONGO, B. (1993) : « Éléments pour une description de l’argot
des jeunes au Burkina Faso, dans Le français au Burkina Faso, Collection
Bilans et perspectives, Mont-Saint-Aignan, URA CNRS SUDLA/
Université de Rouen, p.p. 129-144.
CALVET L.-J. (1994a) : L’argot, Que sais-je, Paris, Presses Universitaires de
France.
CALVET, L.-J. (1999) : Pour une écologie des langues du monde, Paris, Plon.
CALVET, L.-J. (2000) : « La ville et la gestion in vivo des questions
linguistiques », dans Le plurilinguisme urbain, Paris, Institut de la
Francophonie/ Didier Érudition, p.p. 11-30.
CALVET, L-J. (1994 et b) : Les voix de la ville. Introduction à la
sociolinguistique urbaine, Paris, Éditions Payot & Rivages.
CAMILLERI, C. (1990) : « Identité et gestion de la disparité culturelle : essai
d’une typologie », dans Stratégies identitaires, Paris, Presses Universitaires
de France, 85-110.
156
LES PARLERS JEUNES: BIBLIOGRAPHIE...
CANNON, S. (1997) : « Paname city rapping : B-Boys in the banlieues and
beyond », dans Post-colonial cultures in France, London, New York,
Routledge, p.p. 150-166.
CARACCI-SIMON, C., LECLERC-MESSEBEL, M., MASSON-FLOCH A.
(2004) : « Émergence d’un discours sur les pratiques langagières des
jeunes », dans Parlers jeunes Ici et Là-bas (Pratiques et représentations),
Paris, L’Harmattan, p.p. 199-220.
CASOLARI, F. & GIACOMI, A. (1997) : « Activités narratives chez des jeunes
de banlieue », dans SKHOLÊ, CAHIERS DE LA RECHERCHE ET DU
DÉVELOPPEMENT n°10, Marseille, IUFM de l’académie d’Aix-Marseille,
p.p. 59-73.
CASTELLOTTI, V. et DE ROBILLARD, D. (2001) : « Langues et insertion
sociale : matériaux pour une réflexion sociolinguistique », dans LANGAGE
ET SOCIÉTÉ n°98, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, p.p. 43-75.
CAUBET, D. (1993) : L'
arabe marocain. I : Phonologie et Morphosyntaxe. II :
Syntaxe et Catégories Grammaticales, Textes, Paris-Louvain, Éditions
Peeters.
CAUBET, D. (1998) : « Étude sociolinguistique des traits préhilaliens dans un
dialecte en voie d'
urbanisation à Fès », dans Peuplement et arabisation au
Maghreb Occidental. Dialectologie et histoire, Madrid-Zaragoza, Casa de
Velázquez-Universidad de Zaragoza, p.p. 165-175.
CAUBET, D. (2001) : « Du baba (papa) à la mère, des emplois parallèles en arabe
marocain et dans les parlures jeunes en France », dans CAHIERS D’ÉTUDES
AFRICAINES n°163-164, XLI-3-4, Paris, Éditions de l'
EHESS, p.p. 735-748.
CAUBET, D. (2004) : « L’intrusion des téléphones portables et des ‘SMS’ dans
l’arabe marocain en 2002-2003 », dans Parlers jeunes Ici et Là-bas
(Pratiques et représentations), Paris, L’Harmattan, p.p. 247-270.
CAUBET, D., BILLIEZ, J., BULOT, T., LÉGLISE, I. et MILLER, C. (Eds.)
(2004) : Parlers jeunes, ici et là-bas. Pratiques et représentations, Paris,
L’Harmattan, 290 pages.
CAUVIN, C. (1999) : « Propositions pour une approche de la cognition spatiale
intra-urbaine »,
dans
CYBERGÉO
n°72,
(http :
//www.cybergeo.presse.fr/geocult/texte/cognima.htm.).
CELLARD, J. & REY, A. (1991 ; [1980]) : Dictionnaire du français non
conventionnel, Paris, Hachette.
CHAMBERS, J. K. (1995) : Sociolinguistics theory, Oxford, Blackwell.
CHAMBOREDON, J.-C. & LEMAIRE, M. (1970) : « Proximité spatiale et
distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », dans REVUE
FRANÇAISE DE SOCIOLOGIE n°11 (1), Gap, Ophrys, p.p. 3-33.
CHAUDENSON, R. (1974) : Le lexique du parler créole de la Réunion, Paris,
Champion, 2 tomes.
CHAUVIN M., (1985) : « Transformation d’une forme régionale de français en
une variété sociale urbaine ? », dans INTERNATIONAL JOURNAL OF
157
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
SOCIOLOGY OF LANGUAGE n°54, Amsterdam, Mouton Publishers, p.p. 5777.
CHESIRE (1982) : Variation in an English Dialect, Cambridge, Cambridge
University Press.
CHEVROT, J.-P., BEAUD, L. & VARGA, R. (2000) : « Developmental data on a
french sociolinguistic variable : Post-consonantal word-final /R/ », dans
LANGUAGE VARIATION AND CHANGE n°12, Cambridge University Press,
p.p. 295-319.
CHEVROT, J.-P., GERMANOU, L., MERABTI, N. & PILLAKOURI O. (1983) :
Les parlers des adolescents, dossier manuscrit, UV de sociolinguistique,
Université Grenoble III.
COHEN, D. (1973) : « Variantes, variétés dialectales et contacts linguistiques en
domaine arabe », dans BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE LINGUISTIQUE DE PARIS
n°68, p.p. 215-248.
COHEN, D. (1975) : Le parler arabe des Juifs de Tunis. Étude linguistique, La
Haye-Paris, Mouton.
COHEN, M. (1912) : Le parler arabe des juifs d'
Alger, Paris, Librairie Ancienne
Honoré Champion.
COLIN, G.S. (1935) : « L'
opposition du réel et de l'
éventuel en arabe marocain »,
dans BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE LINGUISTIQUE DE PARIS n°36, BSLP,
Paris, p.p. 133-140.
COLIN, J.-P., MÉVEL, J.P. & LECLÈRE, C. (2001 ; [1990]) : Dictionnaire de
l’argot français et de ses origines, Paris, Larousse.
CONEIN, B. (1992) « Hétérogénéité sociale et hétérogénéité linguistique », dans
LANGAGES n°108, Paris, Larousse, p.p. 101-113.
CONEIN, B., GADET F. (1998) : « Le ‘français populaire’ des jeunes de la
banlieue parisienne entre permanence et innovation », dans Jugendsprache /
Langue des jeunes / Youth language, Frankfurt, Peter Lang, p.p. 105-123.
COUTRAS, J. (2003) : « Hommes et femmes face à face en public : les divisions
spatiales en jeu », dans Concentration et ségrégation, Dynamiques et
inscriptions territoriales, XXXIVème colloque de l’ASRDLF (Lyon, 1,2 et
3 septembre 2003), http://asrdlf2003.entpe.fr/pdfpapiers/B5/31.pdf, 9 pages.
CORRIENTE, F. (1989) : « South Arabian features in Andalusi Arabic », dans
Studia linguistica et orientalia memoriae Haim Blanc dedicata, Wiesbaden,
Otto Harrassowitz, p.p. 94-103.
CORRIENTE, F. (1992) : Árabe andalusí y lenguas romances. Madrid, Mapfre.
COURTINE, J.-J. (1994) : « Le tissu de la mémoire : quelques perspectives de
travail historique dans les sciences du langage », dans LANGAGES n°114,
Paris, Larousse, p.p. 5-12.
COURTINE, J.-J. (Dir.) (1994) : Mémoire, histoire, langage, LANGAGES n°114,
Paris, Larousse, 127 pages.
DABÈNE, L. & BILLIEZ, J. (1984) : Recherche sur la situation sociolinguistique
des jeunes issus de l’immigration, rapport de recherche pour la Mission
158
LES PARLERS JEUNES: BIBLIOGRAPHIE...
Recherche Expérimentation, Centre de Didactique des Langues, Grenoble,
Université Grenoble III.
DABÈNE, L. & BILLIEZ, J. (1986) : « Code switching in the Speech of
Adolescents Born of Immigrant Parents », dans STUDIES IN SECOND
LANGUAGE ACQUISITION n°8, Cambridge University Press, p.p. 309-325.
DABÈNE, L. & BILLIEZ, J. (1987) : Le parler des jeunes issus de
l’immigration », dans France pays multilingue, Tome 2, Pratique des
langues en France, Paris, L’Harmattan, p.p. 62-77.
DABÈNE, L. (dir.) (1981) : Langues et Migrations, Grenoble, Université
Grenoble III.
DABÈNE, L., BILLIEZ, J., MERABTI, N., DESLANDES, B., OUAMARA, A.
& DABÈNE, O. (1988) : L’insertion des jeunes issus de l’immigration
algérienne, aspects sociolinguistiques, discursifs, et socio-politiques.
Rapport de recherche dans le cadre du P.P.S.H., Université Grenoble III.
DALZELL, T. (1996) : Flappers to Rappers : American Youth Slang, Springfield
(MA), Merriam Webster.
DANNEQUIN, C., (1977) : Les enfants bâillonnés, Paris, CEDIL.
DANNEQUIN, C., (1997) : « Outrances verbales ou mal de vivre chez les jeunes
des cités », dans MIGRANTS-FORMATION n°108, Paris, CNDP, p.p. 21-29.
De ROBILLARD, D., (2003) : » Français, variation, représentations : quelques
éléments de réflexion », dans CAHIERS DU FRANÇAIS CONTEMPORAIN n°8,
Lyon, E.N.S. Éditions p.p. 35-61.
DELAPLACE, D. (2000) : « Les mots des groupes dans les recueils d’argot »,
dans LANGAGE ET SOCIÉTÉ n°92, Paris, Maison des Sciences de l’Homme,
p.p. 5-24.
DEPREZ, C. (1994) : Les enfants bilingues : langues et familles, Paris, Collection
CREDIF, Hatier.
DEPREZ, C. (2003) : « Évolution du bilinguisme familial en France », dans LE
FRANÇAIS AUJOURD’HUI n°143, Paris, AFEF, p.p. 35-46.
DEPREZ, C. (2003b) : « Langues, langages et lien social », dans Les langues dans
la ville, Saint-Denis, Profession Banlieue, p.p. 33-95.
DESCHAMPS, J.-C. & BAUVOIS, J.-L. (1994) : « Attributions intergroupes »,
dans Stéréotypes, discriminations et relations intergroupes, Liège, Mardaga.
DIA A. (2004) : « Politiques et réalités linguistiques en Mauritanie. Parlers jeunes
en milieu négro-africain de Nouakchott », dans Parlers jeunes Ici et Là-bas
(Pratiques et représentations), Paris, L’Harmattan, p.p. 17-32.
DONZELOT, J. (1999) : « La nouvelle question urbaine », dans ESPRIT n°11,
Paris, Revue Esprit, p.p. 87-114.
DORAN, M. (2002) : A sociolinguistic study of youth language in the Parisian
suburbs : Verlan and minority identity in contemporary France,
Unpublished Ph.D. dissertation, Ithaca, Cornell University.
DUBAR, C. (2000) : La socialisation, Paris, Armand Colin, 255 pages.
DUBET, F. (1987) : La galère. Jeunes en survie, Paris, Fayard.
159
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
DUBET, F. (1987) « Conduites marginales des jeunes et classes sociales », dans
REVUE FRANÇAISE DE SOCIOLOGIE n°27-2, Gap, Ophrys, p.p. 265-286.
DUBET, F. (1996) : « Des jeunesses et des sociologies. Le cas français », dans
SOCIOLOGIE ET SOCIÉTÉS n°XXVIII, Montréal, Presses Universitaires de
Montréal, p.p. 23-35.
DUEZ, D. & CASANOVA, M.H. (1997) : « Organisation temporelle du parler
des banlieues : une étude pilote », dans SKHOLÊ, CAHIERS DE LA RECHERCHE
ET DU DÉVELOPPEMENT n°10, Marseille, IUFM de l’académie d’AixMarseille, p.p. 43-57.
DUMONT, M. (1998) : Les enseignes de Dakar. Un essai de sociolinguistique
africaine, Paris, L’Harmattan, 154 pages.
DUPUIS, R. (2000) : « Les parlers jeunes de la Réunion. L’exemple de groupes
de jeunes musiciens du sud de l’île », dans ÉTUDES CRÉOLES n°XXIII-1,
Aix en Provence/ Paris, CIEC/L'
Harmattan, p.p. 28-46.
DUPUIS, R. (2001) : « Parlers jeunes et rap à la Réunion : étude de cas », dans
TRAVAUX ET DOCUMENTS n°15, La Réunion, Université de La Réunion,
p.p. 145-170.
DUPUIS, R. (2002) : « Parlers jeunes et musique à la Réunion », Rapport de
recherche DGLFLF, Les pratiques langagières des jeunes Réunionnais
entre pairs, Paris, 62 pages
DURET, P., (1999) : Les jeunes et l’identité masculine, Paris, Presses
Universitaires de France.
ECKERT, P. (2000) : Linguistic variation as social practice : the linguistic
construction of identity in Belten High, Oxford ; Malden (Mass.)] :
Blackwell Publishers.
ECKERT, P. (2003) : « Language and adolescent peer groups », dans JOURNAL OF
LANGUAGE AND SOCIAL PSYCHOLOGY Vol. 22, n°1, Sage Publications,
p.p. 112-118.
EL HARRAS, M. (1996) : « Féminité et masculinité dans la société rurale
marocaine : le cas d’Anjra », dans Femmes, culture et société au Maghreb
vol. I (Femmes, pouvoir politique et développement), Casablanca, AfriqueOrient, p.p. 37-56.
ELOY, J., BLOT, D., CARCASSONNE, M., LANDRECIES, J., (2003) :
Français picard, immigrations (une enquête épilinguistique), Paris,
L'
Harmattan (Collection Espaces Discursifs), 283 pages.
ENCINAS, G., L. (2001) : Prison argot : a Sociolinguistic and Lexicographic
Study, Lanham, New York, Oxford, University Press of America.
ERVIN-TRIPP, S. (1972) « On sociolinguistic rules : alternation and cooccurrence », dans Directions in sociolinguistics, New York, Holt, Rinehart
& Winston, p.p. 213-250.
ESNAULT, G. (1965) : Dictionnaire historique des argots français, Paris,
Larousse.
ÉTIEMBLE, R. (1973) : Parlez-vous franglais? Paris, Gallimard.
160
LES PARLERS JEUNES: BIBLIOGRAPHIE...
FAGYAL, Z. (2003a) : « The Matter with the Penultimate : Prosodic Change in
the Vernacular of Lower-Class Immigrant Youth in Paris », dans
Proceedings of the XVth International Congress of Phonetic Sciences,
Barcelona, vol. 1, p.p. 671-674.
FAGYAL, Z. (2003b) : « La prosodie du français populaire des jeunes à Paris :
traits héréditaires et novateurs », dans LE FRANÇAIS AUJOURD’HUI n°143,
Paris, AFEF, p.p. 47-55.
FALIP, M. & DESLANDES, B. (1989) « Une langue un peu plus étrangère que
les autres : l’enseignement de l’arabe en France, continuités et ruptures »,
dans LIDIL n°2, Grenoble, Lidilem, p.p. 51-89.
FERRANDO, I. (1995-96) : « Quelques observations sur l'
origine, les valeurs et
les emplois du préverbe ka- dans les dialectes arabes occidentaux
(maghrébins et andalous) », dans MAS-GELLAS n°7 (Nouvelle Série),
p.p. 115-144.
FERRARI, A. (2004) : « Quelques caractéristiques du sheng : parler vernaculaire
des jeunes de Nairobi », dans Parlers jeunes Ici et Là-bas (Pratiques et
représentations), Paris, L’Harmattan, p.p. 91-110.
FIOUX, P. (2001) : « Que nous apprend l’école primaire de l’entre-deux-guerres
sur le plurilinguisme à La Réunion ? », dans Des langues de la maison aux
langues de l’école en milieu plurilingue, Paris, Karthala/Université de la
Réunion, p.p. 179-198.
FISCHER, J.-L., (1958) : « Social influence in the choice of a linguistic variant »,
dans WORD n°14, New York, International Linguistic Association, p.p. 4756.
FIZE, M. (1998) : Adolescence en crise ? vers le droit à la reconnaissance
sociale, Paris, Hachette.
FRANÇOIS-GEIGER, D. & GOUDAILLIER J.-P. (dirs.) (1991) : Parlures
argotiques, LANGUE FRANÇAISE n°90, Paris, Larousse.
FRANÇOIS-GEIGER, D. & GOUDAILLIER J.-P. (1991b) : « Présentation »,
dans LANGUE FRANÇAISE n°90, Paris, Larousse, p.p. 3-4.
FRANÇOIS-GEIGER, D. (1991) : « Panorama des argots contemporains », dans
LANGUE FRANÇAISE n°90, Paris, Larousse, p.p. 5-9.
GADET, F. (1971) : « Recherches récentes sur les variations sociales de la
langue », dans LANGUE FRANÇAISE n°9, Paris, Larousse, p.p. 74-81.
GADET, F. (1989) : Le français ordinaire, Paris, Armand Colin.
GADET, F. (1992) : Le français populaire, Paris, Coll. Que sais-je ?, Presses
Universitaires de France.
GADET, F. (1998) : « Des fortifs aux técis : persistance et discontinuités dans la
langue populaire », dans Linguistic Identities and Policies in France and the
French-Speaking World, London, Centre for Information and Language
Teaching Research, p.p. 11-26.
GADET, F. (2000) : « Vers une sociolinguistique des locuteurs », dans
SOCIOLINGUISTICA n 14, Tübingen, Niemeyer Verlag, p.p. 99-103.
161
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
GADET, F. (2003) : « ‘Français populaire’ : un classificateur déclassant ? », dans
MARGES LINGUISTIQUES n°6, http://www.marges-linguistiques.com, SaintChamas, p.p. 103-115.
GADET, F. (2003) : « Youth language in France : forms and practices », dans
Jugendsprachen Spiegel der Zeit, Peter Lang, p.p. 77-89.
GADET, F. (2003) : « La langue des jeunes, un continuum de ‘parler mixte’ »,
dans Langues et Cité, Bulletin de l’Observatoire des Pratiques Linguistiques
de la D.G.L.F.L.F., Paris, p.p. 2-3.
GADET, F. (2003) : La variation sociale en français, Paris, Orphys.
GASQUET-CYRUS, M. (2002) : « Sociolinguistique urbaine ou urbanisation de
la sociolinguistique. Regards critiques et historiques sur la
sociolinguistique », dans MARGES LINGUISTIQUES n°3, Saint-Chamas,
MLMS Éditeur, p.p. 54-71.
GASQUET-CYRUS, M. (2004) : « Sociolinguistique urbaine ou urbanisation de
la sociolinguistique ? Regards critiques et historiques sur la
sociolinguistique », dans Lieux de ville et identité. Perspective en
sociolinguistique urbaine, Paris, L’Harmattan, p.p. 31-70.
GASQUET-CYRUS, M., KOSMICKI, G. &, VAN DEN AVENNE, C. (éds)
(1999) : Paroles et musique de Marseille. Les voix d’une ville, Paris,
L’Harmattan.
GAUDIN, J. (1996) : « Le rap c’est poétique ? », dans LE FRANÇAIS AUJOURD’HUI
n°114, AFEF, Paris, p.p. 18-23.
GILES, H. (1970) : « Evaluative reactions to accents », dans EDUCATIONAL
REVUE n°22, p.p. 211-227.
GILES, H., BOURHIS, R. & TAYLOR, D. (1977) : « Toward a theory of
language in ethnic group relations », dans Language, Ethnicity and
Intergroup relations, London Academic Press.
GOUDAILLIER, J.P. ([1997] 2001) : « Le dire des maux, les maux du dire. En
guise d’introduction », dans Comment tu tchatches ! Dictionnaire
contemporain du français des cités, Maisonneuve et Larose, Paris, p.p. 6-33.
GOUDAILLIER, J.-P. (1997 et 1997a [2001]) : Comment tu tchatches !
Dictionnaire du français contemporain des cités, Paris, Maisonneuve et
Larose.
GOUDAILLIER, J.-P. (1997b) : « Quelques procédés de formation lexicale de la
langue des banlieues », dans SKHOLÊ, CAHIERS DE LA RECHERCHE ET DU
DÉVELOPPEMENT n°10, Marseille, IUFM de l’académie d’Aix-Marseille,
p.p. 75-88.
GOUDAILLIER, J.P. (2002) : « De l’argot traditionnel au français contemporain
des cités », dans LA LINGUISTIQUE n°38, Presses Universitaires de France,
Paris, p.p. 5-23.
GROSJEAN, F. (1982) : Life with two languages, Harvard University Press.
GUESPIN, L. (1976) : « Introduction », dans LANGAGES n°41, Paris, Didier
Larousse, p.p. 47-78.
162
LES PARLERS JEUNES: BIBLIOGRAPHIE...
GUESPIN, L. (Dir.) (1971) : Le discours politique, LANGAGES n°23, Paris,
Didier-Larousse, 124 pages.
GUEUNIER, N. (2000) : « Le français de référence : approche
sociolinguistique », http : //valibel.fltr.ucl.ac.be/gueunier.htm
GUMPERZ, J. J. (1989) : Engager la conversation. Introduction à la
sociolinguistique interactionnelle, Paris, Éditions de Minuit.
HAGEGE, C. (1997) : « Préface », dans Comment tu tchatches! Dictionnaire du
français contemporain des cités, Paris, Maisonneuve et Larose, p.p. 1-3.
HARRÉ, R. (1989) : « Grammaire et lexiques vecteurs des représentations
sociales », dans Les représentations sociales, Paris, Presses Universitaires
de France.
HEATH, J. (2002) : Jewish and Muslim dialects of Moroccan Arabic, New York,
Routledge Curzon.
HELFRICH, H. (1979) : « Age markers in speech », dans K. R. Scherer & H.
Giles (éds), Social markers in speech, Cambridge, Cambridge University
Press et Paris, Maison des Sciences de l’Homme, p.p. 63-107.
HOCK, H. H. (1991) : Principles of Historical Linguistics, Berlin, Mouton de
Gruyter.
HUO-CHAO-SI, S. & APPOLLO (1988) : « Il était une fois », publié en mai 1992
dans LE CRI DU MARGOUILLAT n°9, p.p. 11-16.
HUO-CHAO-SI, S. & APPOLLO (2000) : « Caca Moustik », LE MARGOUILLAT
n°2, p.p. 3-8.
HUO-CHAO-SI, S. & APPOLLO (2003) : La grippe coloniale, Issy-lesMoulineaux Vents d’Ouest.
HYMES, D. (1984) : Vers la compétence de communication, Paris, Hatier – LAL.
JABLONKA, F. (2001) : « Contacts de langues et fonction poétique du
changement linguistique », dans TRAVAUX NEUCHÂTELOIS DE LINGUISTIQUE
n°34/35, Neufchâtel, Université de Neufchâtel, p.p. 131-139.
JAMIN, M. (2003) : « Beurs and accent des cités : a cas-sudy of linguistic
diffusion in La Courneuve » Sites, the journal of the 20th century /
Contemporary French Studies, University of Connecticut, Vol. 7, 2.
KASBARIAN, J.M. (1997) : « Quelques repères pour décrire les « langages des
banlieues », dans SHLOLÉ hors série, IUFM Aix-Marseille, Marseille, 23-42.
KLEIN, J.-R. & LENOBLE-PINSON, M. (1997) : « Lexique », dans Le français
en Belgique, Louvain-la-Neuve, Duculot/Communauté française de
Belgique, p.p. 187-206.
KNITTEL, G. (1999) : Une production d’identité contrôlée : l’adaptation
langagière du policier, Mémoire de Maîtrise, Université de Rouen.
KRIEF, K. (1999) : ’Ta mère’! Pratiques langagières de jeunes Grenoblois(e)s
issu(e)s d’un milieu social défavorisé, Mémoire de DEA, Grenoble,
Université Stendhal.
163
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
KRIEF, K. (2000) : « "Les meufs c’est des bonshommes" : étude de quelques
marqueurs lexicaux dans les pratiques langagières d’adolescent(e)s issu(e)s
d’un milieu social ‘défavorisé’ », article non publié.
LABOV, W. (1970) : « Stages in the acquisition of Standard English », dans
English Linguistics, Glenview, Illinois, Scott Foresman, p.p. 275-302,
LABOV, W. (1972) : Sociolinguistic Patterns, Philadelphia, University of
Pennsylvania Press.
LABOV, W. (1976 [1972]) : Sociolinguistique, Paris, Éditions de Minuit. (trad.
française).
LABOV, W. (1989) : « The child as a linguistic historian », dans LANGUAGE
VARIATION AND CHANGE n°2, p.p. 205-254.
LABOV, W. (1993) [1972] : Le parler ordinaire, Paris, Éditions de Minuit. (trad.
française, 2ème éd.)
LABOV, W. (2001) : Principles of Linguistic Change : Social Factors, Oxford,
Blackwell.
LAFAGE, S. (1991) : « L’argot des jeunes Ivoiriens, marque d’appropriation du
français ? », dans LANGUE FRANÇAISE n°90, Paris, Larousse, 95-106.
LAFAGE, S. (1998) : « ‘Le français des rues’ une variété avancée du français
Abidjanais », dans FAITS DE LANGUE n°11-12, Paris, Ophrys, p.p. 135-145.
LAFONTAINE (1986) : Le parti pris des mots, Sprimont, Mardaga.
LAKS, B. (1980) : Différenciation linguistique et différenciation sociale :
quelques problèmes de sociolinguistique française, Thèse de 3ème cycle,
Université Paris VIII-Vincennes, non publiée.
LAKS, B. (1983) : « Langage et pratiques sociales », dans ACTES DE LA
RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES n°46, Paris, Le Seuil, p.p. 73-97.
LAMBERT, P. & TRIMAILLE, C. (à par., a) : « A travers le rap français : un
exemple de médiation linguistique et sociale », dans Actes du colloque de
Rouen La médiation : marquages en langue et en discours, Mont Saint
Aignan, Publications de l’Université de Rouen.
LAMBERT, P. & TRIMAILLE, C. (à par., b) « Plurilinguisme, diversité,
variations et enseignement des langues : vers une didactique
variationniste », dans Appropriations des langues étrangères en contextes
différents, Besançon, Novembre 2001.
LAMBERT, P. (2000) : « Mises en textes » de parlers urbains de jeunes : Étude
sociolinguistique de romans contemporains : Chourmo et Original remix,
Mémoire de DEA sous la direction de J. Billiez, Grenoble, Université
Stendhal.
LAMIZET, B. (2002) : Politique et identité, Lyon, Presses Universitaires de
Lyon, 350 pages.
LAOUST, E. (1927) : « Le dialecte berbère du Rif », dans HESPÉRIS n°7, p.p. 173208.
LAPARRA, M. (2003) : « Variations et usages linguistiques dans et hors
l’école », dans Le Français aujourd’hui n°143, Paris, AFEF, p.p. 9-16.
164
LES PARLERS JEUNES: BIBLIOGRAPHIE...
LAPASSADE, G. & ROUSSELOT, P. (1991, 1996) : Le rap ou la fureur de dire,
Paris, Loris Talmart (1ère édition 1990).
LEDEGEN, G. (2001a) (Dir.) : Les parlers jeunes à La Réunion, TRAVAUX ET
DOCUMENTS n°15, La Réunion, Université de La Réunion, 190 pages.
LEDEGEN, G. (2001b) : « Les « parlers jeunes » en zone rurale à La Réunion :
une enquête sur le rapport à la ville de la part de jeunes en insertion
professionnelle », dans TRAVAUX ET DOCUMENTS n°15, La Réunion,
Université de La Réunion, p.p. 89-111.
LEDEGEN, G. (2001c) : « Les « parlers jeunes » salaziens dans l’évolution de la
diglossie réunionnaise, à la lumière de l’urbanisation », CAHIERS DE
SOCIOLINGUISTIQUE n°6, Rennes, Presses Universitaires de Rennes,
p.p. 111-128.
LEDEGEN, G. (2002a) : Analyse de programmes médiatiques « jeunes », Rapport
de recherche DGLFLF, Les pratiques langagières des jeunes Réunionnais
entre pairs, 243 pages.
LEDEGEN, G. (2002b) : « Les « parlers jeunes » à la Réunion : i totoch sérieux »,
dans VEI ENJEUX n°130, Paris, CNDP, p.p. 133-149.
LEDEGEN, G. (2003) : « Regards sur l’évolution des mélanges codiques à la
Réunion : l’avènement de l’interlecte ? », dans Anciens et nouveaux
plurilinguismes. Actes de la 6° Table Ronde du Moufia, Cortil-Wodon,
Éditions E.M.E., p.p. 175-186.
LEDEGEN, G. (à paraître) : « Corpus oraux contrastés et transcriptions
« flottantes » en créole acrolectal de la Réunion », Communication aux 7èmes
Journées d’Analyse Statistique de Données Textuelles, Louvain-la-Neuve
(Belgique), mars 2004.
LÉGLISE, I. (2004) : « Les médiateurs de rue face aux ‘parlers jeunes’. Des
exemples de parlers jeunes », dans Parlers jeunes Ici et Là-bas (Pratiques et
représentations), Paris, L’Harmattan, p.p. 221-246.
LEHKA I., LE GAK D. (2004) : « Étude d'
un marqueur prosodique de l'
accent de
banlieue », dans Actes des XXVèmes Journées d'
Études sur la Parole,
AFCP,
Fès,
p.p. 309-312.
http :
//www.lpl.univ-aix.fr/jeptaln04/proceed/actes/jep2004/Lehka-LeGac.pdf
LEONETTI–TAOBADA, I. (1991) : « Stratégies identitaires et minorités », dans
MIGRANTS-FORMATION n°86, Paris, CNDP, p.p. 54-73.
LEPOUTRE, D. (1997) : Cœur de banlieue, Paris, Odile Jacob.
LÉVY, S. (1993) : « A propos du parler des paysans du Tadla. Dialectologie et
archéologie linguistique », Tadla, Histoire, Espace, Culture, Beni Mellal,
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, p.p. 11-15.
LÉVY, S. (1994) : « Vocalisme comparé des parlers judéo-marocains », dans
Actes des premières journées de dialectologie arabe de Paris, D. Caubet et
M. Vanhove (éds.), Paris, INALCO, p.p. 267-277.
LIOGIER, E. (2002) : « Quelles approches théoriques pour la description du
français parlé par les jeunes des cités ? », dans LA LINGUISTIQUE n°38,
Presses Universitaires de France, Paris, p.p. 41-52.
165
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
LOPEZ, F. (1999) : « À la périphérie des villes : des traces écrites d’une
communication intra-communautaire. », dans LIDIL n°19, Grenoble,
Lidilem, p.p. 99-127.
LOPEZ, J. A., 1998, Grillades, enfade et baratin. Formes ritualisées de
communication chez les jeunes pailladins, mémoire de DEA, Montpellier
III, 107 pages.
LÜDI G. & PY, B. (1986) : Être bilingue, Bern, Peter Lang.
MANDELBAUM-REINER, F. (1991) : « Suffixation gratuite et signalétique
textuelle d’argot », dans LANGUE FRANÇAISE n°90, Paris, Larousse, p.p.
106-112.
MARÇAIS, Ph. (1952) : Le parler arabe de Djidjelli. (Nord constantinois,
Algérie). Paris, Maisonneuve.
MARÇAIS, Ph. (1977) : Esquisse grammaticale de l'
arabe maghrébin, Paris,
Maisonneuve.
MARCELLESI, J.-B. (1971) : « Linguistique et groupes sociaux », dans LANGUE
FRANÇAISE n°9, Paris, Larousse, p.p. 119-122.
MARCELLESI, J.B. (2004a) : « Actualité du processus de naissance de langues
en domaine roman ; », dans Sociolinguistique (épistémologie, Langues
régionales, polynomie), Paris, L’Harmattan, p.p. 165-174.
MARCELLESI, J.B. (2004b) : « Bilinguisme, diglossie, hégémonie : problèmes et
tâches», dans Sociolinguistique (épistémologie, Langues régionales,
polynomie), Paris, L’Harmattan, p.p. 125-134.
MARCONOT, J.M. (1990) : « Le français parlé dans un quartier H.L.M. », dans
LANGUE FRANÇAISE n°85, Paris, Larousse, p.p. 68-81.
MAUGER, G. (1986) « La catégorie de jeunesse. Essai d’inventaire, de
classement et de critique de quelques usages courants ou savants », dans Les
jeunes et les autres, Vaucresson, Centre de recherche interdisciplinaire de
Vaucresson., p.p. 43-63.
MAURER, B. (1998) : « Qui sont les jeunes ? L’utilisation du dialogisme dans
présent », dans L’autre en discours, Rouen, Dyalang-Praxiling, p.p. 127141.
MÉLA, V. (1988) : « Parler verlan : règles et usages », dans LANGAGES ET
SOCIÉTÉ n°45, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, p.p. 1-72.
MÉLA, V. (1991) : « Verlan ou le langage miroir », dans LANGAGES n°101, Paris,
Larousse, p.p. 73-94.
MELA, V. (1997) : « Verlan : 2000 », dans LANGUE FRANÇAISE n°114, Paris,
Larousse, p.p. 16-34.
MELLIANI, F. (1996) : « Épilinguisme et mixité identitaire : le cas des jeunes
issus de l'
immigration maghrébine », dans Linguistique et Anthropologie
Université de Rouen / Ired, Mont Saint Aignan, p.p. 131-144.
MELLIANI, F. (1999a) : Immigrés ici, immigrés là-bas. Comportements
langagiers et processus identitaires : le cas de jeunes issus de l’immigration
maghrébine en banlieue rouennaise, Thèse de Doctorat Nouveau Régime,
Rouen, Université de Rouen.
166
LES PARLERS JEUNES: BIBLIOGRAPHIE...
MELLIANI, F. (1999b) : « Le métissage langagier comme lieu d’affirmation
identitaire », dans LIDIL n°19, Grenoble, Lidilem, p.p. 59-78.
MELLIANI, F. (2000) : La langue du quartier (Appropriation de l'
espace et
identités urbaines chez des jeunes issus de l'
immigration maghrébine en
banlieue rouennaise), Paris, L’Harmattan, 220 pages.
MELLIANI, F. (2001) : « Subculture et territorialité urbaines en banlieue
rouennaise », dans CAHIERS DE SOCIOLINGUISTIQUE n°6, Rennes, Presses
Universitaires de Rennes, p.p. 62-72.
MENCKEN, H. L. (1919). The American language, New York, Knopf.
MERABTI, N. (1991) : Pratiques bilingues et réseaux personnels de
communication. Enquête auprès d’un groupe d’adolescents issus de
l’immigration algérienne dans la région grenobloise, Thèse de doctorat,
Université Stendhal Grenoble III.
MERLE, P. (2000) : Argot, verlan, tchatches, Paris, Éditions de Milan.
MILLER, C. (2004) : « Un parler argotique à Juba, Sud Soudan », dans Parlers
jeunes Ici et Là-bas (Pratiques et représentations), Paris, L’Harmattan,
p.p. 69-90.
MOHAMED, A. (2003) : Langues et identités (les jeunes Maghrébins de
l’immigration). Paris, SIDES, 212 pages.
MOÏSE, C. (2002) : « Pratiques langagières des banlieues : où sont les
femmes ? », dans VEI-ENJEUX n°128, Paris, CNDP, 46-61.
MOÏSE, C. (à par.) : « La violence verbale : marques linguistiques d’une
impossible médiation », dans Actes du colloque La médiation, marquage en
langue et en discours, Rouen, décembre 2000, Presses Universitaires de
Rouen.
MOLINER, P. (1996) : Images et représentations sociales, Grenoble, PUG.
MØLLER, J. et QUIST, P., 2003, « Research on youth and language in
Denmark », dans INTERNATIONAL JOURNAL OF THE SOCIOLOGY OF
LANGUAGE n°159 , Amsterdam, Mouton de Gruyter, p.p. 45-55.
MONDADA, L. (2000) : « La compétence de catégorisation : procédés situés de
catégorisation des ressources linguistiques », dans NOTION EN QUESTIONS
n°4, École Normale Supérieure Fontenay / St-Cloud, Université de Bâle,
ENS Éditions, p.p. 81-101.
MOSCOSO, F. (2002) : El dialecto árabe de Chaouen (Norte de Marruecos).
Estudio lingüístico y textos. Thèse doctorale de l’Université de Cadix,
Cádix.
MOSCOSO, F. (2002). Estudio lingüístico de un dialecto árabe del Sus. Cádiz,
Universidad de Cádiz. (publication électronique).
MOULARD-KOUKA, S. (2004) : « Le rap à Dakar. Approche sociolinguistique
du langage hip hop au Sénégal », dans Parlers jeunes Ici et Là-bas
(Pratiques et représentations), Paris, L’Harmattan, p.p. 111-126.
MUCCHIELLI, L. (1999) : « Violences urbaines, réactions collectives et
représentations de classe dans la jeunesse des quartiers relégués de la fin des
167
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
années 1990 », dans ACTUEL MARX n°26, Paris, Presses Universitaires de
France, p.p. 85-108.
NAPON, A. (2002) : « Les comportements langagiers dans les groupes de jeunes
en milieu urbain : le cas de la ville de Ouagadougou », dans CAHIERS
D’ÉTUDES AFRICAINES n°163-164, Paris, Éditions de l'
EHESS, p.p. 697-710.
PAGNIER, T. (2003) : « D'
une théorisation de l'
espace linguistique des "cités" à
l'
analyse lexicologique des dénominations de la femme », dans MARGES
LINGUISTIQUES n°6, Saint Chamas, http : //www.marges-linguistiques.com,
p.p. 133-144.
PAGNIER, T. (2004) : « Étude microstructural du parler d’un groupe de jeunes
lycéens : outils et analyses », dans Parlers jeunes Ici et Là-bas (Pratiques et
représentations), Paris, L’Harmattan, p.p. 185-198.
PAILLARD, D. (1994) : « Russie/URSS : le discours national russe comme
mémoire du refus », dans LANGAGES n°114, Paris, Larousse, p.p. 98-108.
PASSERON, J.-C. (2003) : « Quel regard sur le populaire ? », dans VEI-ENJEUX
n°133, Paris, CNDP.
PERROT, M. (1986) : « Quand la société prend peur de sa jeunesse en France au
19ème siècle », dans Les jeunes et les autres, Tome 1, p.p. 19-42.
PHILIPP, M.G.& PROUX, M. (1985) : « Stratégies d'
insertion sociale des jeunes
dans un quartier pluri-ethnique et pluri-culturel », dans LES CAHIERS DU
CRELEF n°21, Besançon, Université de Besançon, p.p. 39-52.
PLANET CONTRERAS, A.I. (1998) : Melilla y Ceuta, espacios-frontera
hispano-marroquíes, Melilla-Ceuta, Consejería de Cultura.
PLÉNAT, M. (1992) : Note sur la morphologie du verlan, Toulouse Université
Toulouse Le Mirail,.
PLÉNAT, M. (1995) : « Approche prosodique de la morphologie du verlan »,
dans LINGUA n°95, Amsterdam, Elsevier France.
POSNER, R. (1997) : « Lexical Change », dans Linguistic Change in French,
Oxford, Clarendon Press, p.p. 143-184.
PROCHAZKA, St. (2002) : « Contact phenomena, code-copying, and codeswitching in the Arabic dialects of Adana and Mersin (Southern Turkey) »,
dans Aspects of the dialects of Arabic today, Rabat, Amapatril.
PROUST, F. (Coord) (1986), Les jeunes et les autres, 2 tomes, Centre de
recherche interdisciplinaire de Vaucresson.
PRUDENT, L. F. (2003) : « Prises de parole dans débat de table ronde
transcrite », dans Anciens et nouveaux plurilinguismes. Actes de la 6° Table
Ronde du Moufia, Cortil-Wodon, Éditions E.M.E., p. 133.
PRUDENT, L. F. et MERIDA, G. J. (1984) : « … An langaj kréyòl dimipanaché… : interlecte et dynamique conversationnelle », dans LANGAGES
N°74, Paris, Larousse, , p.p. 31-45.
PRUDENT, L.-F. (1981) : « Diglossie et interlecte », dans LANGAGES n°61, Paris,
Larousse, p.p. 13-38.
168
LES PARLERS JEUNES: BIBLIOGRAPHIE...
PRUVOST, J., & SABLAYROLLES, J.-F. (2003) : Les néologismes. Collection
Que sais-je?, Paris, Presses Universitaires de France.
RAMPTON, B. (1995) : Crossing. Language and ethnicity among adolescents,
London & New York, Longman.
REICHLER-BÉGUELIN, M.-J. (1993) : « Faits et tri des observables », dans
BULAG/TRANEL n°20, Besançon, Université de Franche-Comté, p.p. 89-109.
RÉMY, J., LECLERQ E. (1998) : Sociologie urbaine et rurale. L’espace et l’agir,
Paris, L’Harmattan, 398 pages.
RÉMY, J., VOYÉ, L. (1992) : La ville : vers une nouvelle définition ?, Paris,
L’Harmattan, 173 pages.
RINAUDOT, C. (1999) : L’ethnicité dans la cité : Jeux et enjeux de la
catégorisation ethnique, Paris, L’Harmattan.
RIVIERE, P.-L. (2002) : Notes des derniers jours, Éditions Orphie/Département
de la Réunion.
ROMAINE, S. (1984) : The language of children and adolescents : the
acquisition of communicative competence, Oxford, Basil Blackwell.
SÉFIANI, K. (2003) : « Un cas d’ancrage spatio-identitaire : le quartier de la
Planoise à Besançon », dans Sociolinguistique urbaine. Frontières et
territoires, Cortil-Wodon, E.M.E. & Intercommunications, p.p. 231-263.
SÉGUIN, B. & TEILLARD, F., (1996) : Les Céfrans parlent aux Français :
chronique de la langue des cités, Paris, Calman-Lévy.
SÉGUIN, B. & TEILLARD, F., (1997) : « Faut-il couper la langue aux enfants
des cités? », dans SKHOLÊ, CAHIERS DE LA RECHERCHE ET DU
DÉVELOPPEMENT n°10, Marseille, IUFM de l’académie d’Aix-Marseille,
p.p. 186-197.
SEGUIN, B., TEILLARD, F. (1996) : Les Céfrans parlent aux Français, Paris,
Calmann-Levy.
SÉRIOT, P. (1994) : « Le cas russe : Anamnèse de la langue et quête identitaire
(la langue-mémoire du peuple) », dans LANGAGES n°114, Paris, Larousse,
p.p. 84-97.
SEUX, B. (1997) : « Une parlure argotique de collégiens », dans LANGUE
FRANÇAISE n°114, Paris, Larousse, p.p. 83-103.
SHOVEL TATTOOS (2003) : Invincibles, Tome 1. Totoss’ your mother, Xio
Editions, Saint André de la Réunion.
SINGER, H.R. (1958) : « Grundzüge der Morphologie des arabischen Dialekts
von Tetuan », Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft,
108, p.p. 229-265.
SMITHERMAN, G. (1994) : Black Talk : Words and Phrases from the Hood to
the Amen Corner, Boston, New York, Houghton Mifflin Company.
SODDU, P. (2002) : Inmigración extra-comunitaria en Europa : el caso de Ceuta
y Melilla, Ceuta, Archivo Central.
169
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
SOURDOT, M. (1997) : « La dynamique du français des jeunes : sept ans de
mouvement à travers deux enquêtes 1987-1994 », dans LANGUE FRANÇAISE
n°114, Paris, Larousse, p.p. 56-81.
SOURDOT, M. (2002) : « L’argotologie : entre forme et fonction », dans LA
LINGUISTIQUE n°38, Paris, Presses Universitaires de France, p.p. 25-39.
STENSTRÖM, A.-B., ANDERSEN, G., HASUND, K. I. (2002) : Trends in
Teenage Talk : Corpus compilation, analysis and findings, Amsterdam,
Philadelphia, John Benjamins.
STILLMAN, N.A. (1981) : « Some notes on the Judaeo-Arabic of Sefrou »,
Studies in Judaism and Islam presented to Shelomo Dov Goitein, S. Morag,
I. Ben-Ami, N.A. Stillman, (éds.), p.p. 231-251.
SUDRES, C. (2001) : Quand les jeunes ne jeûnent plus pour vieillir ou : Mises en
texte, fonctions et enjeux des variations linguistiques et littéraires dans les
autobiographies "Le gone du Chaâba" de A. Begag et "Vivre me tue" de P.
Smaïl, mémoire de DEA sous la direction de J. Billiez, Grenoble, Université
Stendhal.
TABOADA-LEONETTI, (1990) : « Stratégies identitaires et minorités : le point
de vue du sociologue », dans Les stratégies identitaires, Paris, Presses
Universitaires de France, p.p. 43-83.
TAP, P. (1988) : La société pygmalion ? Intégration sociale et réalisation de la
personne, Paris, Dunod.
TÉMIME, E. (1989) : « Quelques réflexions sur l’enseignement d’une histoire des
cultures et des civilisations », dans MIGRANTS-FORMATION n°77, Paris,
CNDP, p.p. 65-70.
TETRAULT, C. (2003) : « Adolescent Subculture and Language Practices in a
French cité », présentation à la conférence '
Language and (Im)migration in
France, Mexico and the United States'
, France-UT Institute : University of
Texas, Austin, le 25-26 septembre.
THIBAULT, P. (1997) : « Age », Sociolinguistique. Concepts de base, Sprimont,
Mardaga, p.p. 20-26.
TRIMAILLE, C. & BILLIEZ, J. (2000) : « Enjeux des désignations des
sociolectes urbains générationnels », dans Le plurilinguisme urbain, Paris,
Didier Érudition, p.p. 209-228.
TRIMAILLE, C. (1999a) : De la planète Mars... Codes, langages, identités :
étude sociolinguistique de textes de rap marseillais, Mémoire de DEA sous
la direction de J. Billiez, Grenoble, Université Stendhal.
TRIMAILLE, C. (1999b) : « Le rap français ou la différence mise en langues »,
dans LIDIL n°19, Grenoble, Lidilem, p.p. 80-98.
TRIMAILLE, C. (2001) : « Rap français, humour et identités », dans Immigration
mon humour, ÉCARTS D’IDENTITÉ n° 97, p. 52-54.
TRIMAILLE, C. (2003) : « Variations dans les pratiques langagières d’enfants et
d’adolescents dans le cadre d’activités promues par un centre socioculturel,
et ailleurs… », dans CAHIERS DU FRANÇAIS CONTEMPORAIN n°8, Paris,
Éditions de l'
EHESS, p.p. 131-161.
170
LES PARLERS JEUNES: BIBLIOGRAPHIE...
TRIMAILLE, C. (2003) : Approche sociolinguistique de la socialisation
langagière d'
adolescents. Thèse de doctorat en Sciences du Langage, sous la
direction de Jacqueline Billiez, Université Grenoble III
TRIMAILLE, C. (2004) : « Pratiques langagières et socialisation adolescentes : le
tricard, un autre parmi les mêmes », dans Parlers jeunes Ici et Là-bas
(Pratiques et représentations), Paris, L’Harmattan, p.p. 127-148.
TRUDGILL, P. (1986) : Dialects in contact, Oxford, Blackwell.
VALDMAN, A. (2000) : « La Langue des faubourgs et des banlieues : de l'
argot
au français populaire », dans THE FRENCH REVIEW n°73(6), p.p. 1179-1192.
VAN GENNEP, A. (1908) : « Linguistique et Sociologie : Essai d’une théorie des
langues spéciales », dans REVUE DES ÉTUDES ETHNOLOGIQUES ET
SOCIOLOGIQUES n°1, p.p. 327-337.
VAN HOOLAND, M. (1996) : « Langage et Travail Social », dans LIEN SOCIAL,
n°341, Toulouse, Lien Social, page 14.
VAN HOOLAND, M. (2000) : Analyse critique du travail langagier, Paris,
L’Harmattan, 251 pages.
VERDELHAN, M. (1990) : « Parlez vous branché ? », dans EUROPE n°738, Paris,
Europe/Messidor, p.p. 37-44.
VERDELHAN-BOURGADE, M. (1991): « Procédés sémantiques et lexicaux en
français branché », dans LANGUE FRANÇAISE n°90, Paris, Larousse, p.p. 6579.
VESCHAMBRE, V. (2004) : « Appropriation et marquage symbolique de
l’espace », quelques éléments de réflexion », dans ESPACE ET SOCIÉTÉ n°21,
Rennes, Presses Universitaires de Rennes/ ESO-UMR, 6 pages (à paraître).
VICENTE, Á. (2000) : El dialecto árabe de Anjra (norte de Marruecos). Estudio
lingüístico y textos. Zaragoza, Universidad de Zaragoza.
VICENTE, Á. (2002) : « El dialecto árabe de los
(norte de
marruecos) », dans ESTUDIOS DE DIALECTOLOGÍA NORTEAFRICANA Y
ANDALUSÍ n°6, p.p. 221-231.
VICENTE, Á. (2002) : « Une interprétation sociolinguistique d’un dialecte de
Jbala : les parlers féminin et masculin dans le dialecte d’Anjra », dans
Aspects of the dialects of Arabic today, Rabat, Amapatril, p.p. 336-344.
VICENTE, Á. (2004) : « La négociation de langues chez les jeunes de Sebta »,
dans Parlers jeunes Ici et Là-bas (Pratiques et représentations), Paris,
L’Harmattan, p.p. 33-48.
WALTER, H. (1984) : « L’innovation lexicale chez les jeunes parisiens », dans
LA LINGUISTIQUE n°20, Paris, Presses Universitaires de France, p.p. 69-77.
WALTER, H. (1988) : Le français dans tous les sens, Paris, Le Livre de Poche,
416 pages.
WHARTON, S. & TUPIN, F. (2002a) : « Pratiques et représentations de jeunes en
lycées professionnels, à La Réunion », Rapport de recherche DGLFLF, Les
pratiques langagières des jeunes Réunionnais entre pairs, 17 pages.
171
CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT et alii
WHARTON, S. (2002b) : « Usages langagiers de jeunes en lycées professionnels
à la Réunion. Portraits multiples », dans VEI-ENJEUX n°130, Paris, CNDP,
p.p. 178-195.
WITHOL de WENDEN, C. (1995) « Le thème de l’immigration entre à
l’université », dans HOMMES ET MIGRATIONS n°1190, p.p. 67-73.
WOIDICH, M. (1994) : « Cairo Arabic and the Egyptian Dialects », dans Actes
des premières journées internationales de dialectologie arabe de Paris, D.
Caubet et M. Vanhove (éds.), Paris, INALCO, p.p. 493-507.
WOLFAM, W. (1969) : A sociolinguistic description of Detroit Negro speech,
Washington DC. Centre for applied linguistics.
WOLFF, E. (1998) : Lycéens à la une. La presse lycéenne à la Réunion : 19701995, St André de la Réunion, Océans Éditions.
WOLFF, E. (2001) : « Jeunesse(s) koméla. Éléments de compréhension des
cultures juvéniles en émergence à la Réunion », dans TRAVAUX ET
DOCUMENTS n°15, La Réunion, Université de La Réunion, p.p. 21-30.
ZIROTTI, J.-P. (1984) : La scolarisation des enfants de travailleurs immigrés.
Les mécanismes institutionnalisés de la domination. : processus objectifs et
mécanismes subjectifs, 2 tomes, Université de Nice, IREDIC.
ZIROTTI, J.-P. (1987) : « L’école face aux jeunes issus de l’immigration », dans
France pays multilingue, Tome 2, Pratiques des langues en France, Paris,
L’Harmattan, p.p. 189-204.
ZONGO, B. (1996) : « Alternance des langues et stratégies langagières en milieu
d’hétérogénéité culturelle : vers un modèle d’analyse », dans Les politiques
linguistiques, mythes et réalités, L’actualité scientifique, Paris Aupelf-Uref,.
ZONGO, B. (2001) : « Individuation sociolinguistique et parlures argotiques : un
exemple de ségrégation socio-spatiales à Ouagadougou », dans CAHIERS DE
SOCIOLINGUISTIQUE n°6, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 13-24.
ZONGO, B. (à par.) : « Parlers des jeunes et apprentissages scolaires : les
compétences interstitielles comme dénominateur commun de médiation »,
dans Actes du colloque de Rouen La médiation : marquages en langue et en
discours, Publications de l’Université de Rouen.
172
Cyril Trimaille
Lidilem
Université Grenoble III (France)
APERÇU CHRONOLOGIQUE NON EXHAUSTIF DES ESSAIS, ARTICLES ET DOSSIERS
SUR LES « PARLERS DE JEUNES » PARUS DANS LA PRESSE ET L’ÉDITION
« GÉNÉRALISTES »
SCHIFFRES A., (1982), « Le jeune tel qu’on le parle » dans Le Nouvel
Observateur, 943, 4-10 déc.
GRASSIN, (1984), « Réservé aux moins de 20 ans », dans L’Express n°1728.
OBALK, H., SORAL, A., PASCHE, A., (1984), Les mouvements de mode
expliqués aux parents, (avec un lexique établi sous la direction d’H.
Walter), Paris Robert Laffont.
MERLE, P., (1986), Dictionnaire de français branché, Paris Seuil.
EPSTEIN, J., (1987), Petit guide de la conversation usuelle pour changer le
monde sans fatigue..., Paris, Éditions universitaires.
RODRIGUE, V., (1987), « Le jargon interdit aux parents », dans 20 ans, 15
novembre.
VANDEL P., (1993), Le Dico français/ français, Paris, J.-C. Lattès.
BEZARD, C. (1993), « Le langage des jeunes : à décrypter avec décodeur », dans
L’événement du jeudi, 457, 5-11 août.
VANDEL, P., (1994), « Le jeune tel qu’ils le parlent » dans Le nouvel
Observateur, 17-13 mars.
GIRARD, E. KERNEL, B., (1994), Ado / parents. Le manuel guide de
conversation, Paris Hors collection / Les Presses de la Cité.
MAZURE, D., 1994, « Savez-vous parler le jeune? » dans L’écho des savanes
n°128.
DEMOUGEOT, M. DUVILLARD, J., LAURIOZ, H., MARCOZ, L. (1994),
Nouveau français : la compil. Petit dico des mots interdits aux parents,
Paris, J-C Lattès.
PIERRE-ADOLPHE, P., MAMOUD, et M., TZANOS, G.O., (1995), Le dico de
la banlieue, Paris, La Sirène.
AGUILLOU, P. et SAIKII, N. (1996), La téci à Panam, Paris Michel Lafon.
HERNANDEZ, F., 1996, Panique ta langue, Monaco, Éditions du Rocher.
SEGUIN, B. & TEILLARD, F., (1996), Les Céfrans parlent aux Français.
Chronique de la langue des cités, Paris, Calmann-Lévy.
CYRIL TRIMAILLE
MERLE, P., (1997), Argot, verlan et tchatches, Milan.
PIERRE-ADOLPHE, P., MAMOUD, & M., TZANOS, G.-O., (1998), Tchatche
de banlieue, Mille et une nuits.
ARNAUD, Didier, (1999) « L’envers du verlan », dans Libération (interview de
J.-P. Goudaillier).
GARCIA, D., (1998), « Faut-il vraiment un interprète ? » dans Le nouvel
Observateur, 5-21 oct. p.p. 24-26.
GARCIA D. & MALAURIE, G., (1998), « Verlan cherche second souffle », dans
Le nouvel Observateur, 5-21 oct, p.p. 30-32.
MALAURIE, G., (1998), « Tchatchez vous céfran ? (Parlez-vous français ?) »,
dans Le nouvel Observateur, 5-21 oct., p.p. 12-14.
PRIGENT, L., (1998), « Elles parlent l’ophélie-winter », dans Le nouvel
Observateur, 15-21 oct., p.p. 18-19.
FESTIN, J.-P., (1999, Le Petit Dico illustré des rappeurs, Genève, La Sirène.
ALMEIDA, (de) M., (1999), « Un nouveau français : le langage des jeunes »,
www.rfi.fr/.txt/Kiosque/ langueFrançaise (fiche du 19/07/1999).
GIRARD, B., (2002), « Savez-vous parler le ‘djeun’s’ ? », dans Phosphore, mars
2002, p.p. 48-49.
MONTEIL, F., (2002), « Dix expressions et leurs secrets de fabrication », dans
Phosphore, mars 2002, p.p. 50-52.
174
TABLE DES MATIÈRES
PRÉSENTATION. LES PARLERS JEUNES, LE PARLER DE / DES JEUNES
5
(THIERRY BULOT)
« LE PARLAGE DES JEUNES » À LA RÉUNION BILAN ET PERSPECTIVES
(GUDRUN LEDEGEN)
INTRODUCTION
HISTORIQUE DE LA RECHERCHE RÉUNIONNAISE SUR LES « PARLERS JEUNES »
QUELQUES EXEMPLES
BILAN
CONCLUSION
ANNEXES
9
10
12
17
21
24
ACTION DES MÉDIAS ET INTERACTIONS ENTRE JEUNES DANS UNE BANLIEUE
OUVRIÈRE DE PARIS. REMARQUES SUR L’INNOVATION LEXICALE
(ZSUZSANNA FAGYAL)
INTRODUCTION
L’ACTION DES MÉDIAS
LA RÉACTION DES JEUNES
CONCLUSION
41
43
47
60
LE PARLER ARABE DES JEUNES MUSULMANS DE CEUTA UN EFFET DU
PROCESSUS DE KOINÈISATION MAROCAINE
(ÁNGELES VICENTE)
INTRODUCTION
LE PROCESSUS DE KOINÈISATION DES DIALECTES MAROCAINS.
LE DIALECTE ARABE DE CEUTA : LE PARLER DES JEUNES
FACE AU PARLER DES ANCIENS.
LES DIALECTES ARABES EN SITUATION DE MIGRATION.
CONCLUSION
61
63
65
70
71
Y A-T-IL UN « PARLER JEUNE » ?
(BERNARD LAMIZET)
INTRODUCTION : PARLER, PAROLE, LANGUE, LANGAGE
75
L’IDENTITÉ DES « JEUNES » EXISTE-T-ELLE ?
76
LES LANGAGES ET LES REPRÉSENTATIONS IDENTITAIRES
81
FORMES SOCIALES THÉÂTRALISÉES D’IDENTIFICATION ET DE RECONNAISSANCE86
UN ESPACE PUBLIC PARTICULIER
88
LANGAGE, MÉDIATIONS, INSTITUTIONS
90
LES MÉDIAS
93
CONCLUSION. EXISTE-T-IL UN « PARLER JEUNES » ?
97
TABLE DES MATIÈRES
ÉTUDES DE PARLERS DE JEUNES URBAINS EN FRANCE ÉLÉMENTS POUR UN
ÉTAT DES LIEUX
(CYRIL TRIMAILLE)
OBJECTIFS
CADRAGE THÉORIQUE
DES ARGOTS AUX PARLERS DE JEUNES URBAINS, ET RETOUR?
CONCLUSION (PROVISOIRE) : LES PARLERS DE JEUNES, OBJET(S),
À DÉCHIFFRER, CHAMP(S) ENCORE À DÉFRICHER ?
99
100
113
132
LES PARLERS JEUNES ET LA MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE
QUESTIONNEMENTS SUR L’URBANITÉ LANGAGIÈRE
(THIERRY BULOT)
PRÉAMBULE
INTRODUCTION : PROBLÉMATISER LES PARLERS JEUNES
LES PARLERS JEUNES : DISCOURS ET MARQUAGE
LES PARLERS JEUNES : QUESTIONS DE LANGUE
LES PARLERS JEUNES : DES TYPES D’ESPACE REPRÉSENTÉS
LES PARLERS JEUNES : UNE MÉMOIRE SOCIOLINGUISTIQUE ?
CONCLUSION : ET SI LES « PARLERS JEUNES » ÉTAIENT SURTOUT
UN DISCOURS POLITIQUE ?
133
133
136
137
139
142
146
LES PARLERS JEUNES BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE ET THÉMATIQUE
(CYRIL TRIMAILLE, THIERRY BULOT ET ALII)
149
APERÇU CHRONOLOGIQUE NON EXHAUSTIF DES ESSAIS, ARTICLES ET
DOSSIERS SUR LES « PARLERS DE JEUNES » PARUS DANS LA PRESSE ET
L’ÉDITION « GÉNÉRALISTES »
(CYRIL TRIMAILLE)
173
176
LES PARLERS JEUNES
Pratiques urbaines et sociales
Tantôt perçu comme une menace par les tenants d’une langue française
immobile, tantôt présenté comme le creuset des nouveaux usages
langagiers, le terme « parlers jeunes » rend compte de la mise en
spectacle d’une réalité socio-langagière nécessairement plus complexe.
Il importe d’aborder le parler des jeunes comme il convient, c’est-àdire à la fois comme un mouvement générationnel posant la différence
par l’affirmation des identités, et à la fois comme un lieu symbolique où
se jouent les minorations sociales. Il n’est en effet jamais vain de
rappeler que le langagier (la langue et son usage) est et crée le lien
social et, qu’à ce titre tout groupe de jeunes qui produit des énoncés
étiquetés « jeunes » renvoie à la société la complexité des tensions en
cours ; mais il démontre aussi une réelle compétence à construire du
lien par la connaissance montrée du système linguistique.
La sociolinguistique urbaine a montré que non seulement, en tant que
structure sociale, milieu spécifique marqué par des interactions, par
une culture, la ville produit un certain nombre d’effets sur les langues
et le langage mais surtout que les discours tenus par les habitants sur
leur(s) ou les langues dites urbaines sont un élément important, voire
déterminant pour la production de l’espace énonciatif singulier que
constitue chaque ville. Qu’en est-il alors du discours tenus sur les
jeunes, par les jeunes ou par ceux qui ne le sont plus ? Des discours
tenus sur les parlers jeunes… ?
Autour de ces questionnements, le volume envisage d’une part le terme
« parlers jeunes » en tant que concept à la fois analytique et
synthétique pour aborder l’urbanité langagière et, d’autre part, rend
compte, à partir de terrains très divers, de la part à faire à des
considérations plus citoyennes portant sur « le vivre ensemble » ou,
pour le moins, sur des pistes d’interventions sociolinguistiques qui
constituent, au final, un réel programme et de recherche et d’action.