Dans l`appartement de Katherine Pancol à Neuilly
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Dans l`appartement de Katherine Pancol à Neuilly
Dans l’appartement de Katherine Pancol à Neuilly, des tortues et des crocodiles de toutes sortes, envoyées par ses fans du monde entier, rappellent ses succès en librairie. LE PETIT MONDE DE… KATHERINE PANCOL «Quand je commence un livre, je perds un homme…» « Les Yeux jaunes des crocodiles » et « La Valse lente des tortues », les deux premiers volumes de sa saga, se sont vendus à plus d’un million et demi d’exemplaires. Le troisième tome, « Les Écureuils de Central Park sont tristes le lundi », qui sort demain, a d’ores et déjà été tiré à 250 000 exemplaires. Propos recueillis par Adélaïde de Clermont-Tonnerre Photos Luc Castel L’ANNÉE DERNIÈRE, elle était en troisième position des meilleures ventes de romans, derrière Marc Levy et Guillaume Musso… sans avoir publié de nouveau livre ! Pourtant Katherine Pancol est la même qu’il y a dix ans. Même appartement de Neuilly rempli de livres et de bibelots, même femme solaire, généreuse et ouverte aux rencontres. Le seul détail qui diffère ? Les peluches de crocodiles et de tortues envoyées par ses fans. Sinon, Katherine trace son chemin, obstinément libre. Ce troisième volet de la saga, est-ce le dernier ? Le dernier ! Je sais le travail que cela représente et vraiment un quatrième, c’est trop. Je ne veux pas me laisser enfermer. C’était difficile de quitter ces personnages pour de bon ? J’ai été très déprimée. Je vais mieux parce que je vous en parle et les gens qui m’écrivent sur Internet les font vivre encore, mais sinon… Pour Un homme à distance, je ne voulais tellement pas me séparer des personnages que j’ai fait une vraie dépression. De quoi avez-vous envie pour la suite ? Je n’en ai aucune idée. Ce sont les livres et les sujets qui vous choisissent, pas l’inverse. Le personnage de Joséphine est né un matin où je me baignais sur la plage en Normandie. J’ai fait la rencontre d’une dame avec qui j’ai nagé. Elle était chercheuse au CNRS, comme mon héroïne… Là-dessus j’ai entendu l’histoire à la radio de deux sœurs, l’une très belle, l’autre moins. La première avait commis un crime et l’avait refilé à sa sœur, qui s’était laissé faire. L’embryon des Crocodiles… P●INT DE VUE 41 peux vous décrire où j’étais, comment je l’ai ouvert, le temps qu’il faisait, où tombait la lumière, le froid de la dalle sous mes fesses : tout. Quand j’ai commencé à le lire, je me suis dit : « Je ne serai plus jamais seule, et je ne serai plus jamais triste. » Ensuite j’ai fait tout mon tour de France avec Hector Malot sous le bras. À partir de ce moment-là, j’ai lu tout ce qui me tombait sous la main. J’arrivais dans une maison et j’écumais de gauche à droite les rayons de livres. Quand nous nous sommes sédentarisés, j’ai été m’inscrire à la bibliothèque et pareil, j’avançais chronologiquement. J’ai lu de très mauvais auteurs qui savaient bien raconter les histoires, et les bons auteurs qui m’ont appris la musique des mots. Je me souviens que la bibliothécaire riait aux larmes en me voyant empocher Dostoïevski à 10 ans. Elle me disait que j’étais trop jeune. Je le prenais quand même. Je n’y comprenais rien, mais j’attrapais des bribes. Et l’écriture ? Petite, je me racontais des contes pour m’endormir. Et pendant les vacances, chez ma grand-mère, j’improvisais des histoires pour mes cousins. D’une certaine façon, j’écrivais déjà. Comme ma mère était institutrice, j’ai passé mon bac à 16 ans et demi. C’est bien d’être en avance, on peut perdre du temps ensuite. J’ai fait des études de lettres, enseigné un an. Mes parents ont disparu très vite. J’ai été livrée à moi-même. J’ai appris les rencontres, les gens… Vous n’arrêtez pas de faire des rencontres par hasard… C’est vrai, je suis très curieuse, mes enfants me grondent parce qu’ils s’inquiètent. C’est plus fort que moi. Celle avec Romain Gary a beaucoup compté ? Oui, j’étais chez Lipp, j’avais un chien, d’une laideur inimaginable. Personne ne l’avait jamais regardé. Et un homme s’est accroupi pour lui parler. C’était Romain. Il a été vraiment généreux avec moi. J’étais très jeune, très seule et très perdue. Il s’est occupé de moi, m’a fait lire plein de livres. Il a été très élégant. Même lorsqu’il m’a dit être amoureux de moi et que je lui ai répondu que ce n’était pas réciproque, cela n’a rien changé à notre relation. Son avis m’importait beaucoup. Il a lu mon premier roman, Moi d’abord, et il m’a dit… « C’est très valable ». À l’époque, je me suis vexée, alors que c’était un beau compliment. «À LA FIN D’UN LIVRE, JE SUIS TENDUE COMME UNE CORDE DE VIOLON, JE NE PEUX PARLER À PERSONNE.» Comment est née votre vocation ? Si petite, on m’avait dit que j’écrirais, je ne l’aurais pas cru. J’ai lu d’abord. Je suis née au Maroc. Quand je suis rentrée en France, j’avais quatre ans et demi. Maman n’avait pas d’appartement. Nous habitions chez les gens que nous rencontrions. Nous allions vivre à Marseille, en Alsace, au gré des opportunités. Je n’ai pas été à l’école. Maman m’a appris à lire et à écrire très tôt. Comme nous déménagions tout le temps, les livres étaient la seule chose que j’emportais. Quel livre par exemple ? Je me souviens du jour où on m’a offert Sans famille, d’Hector Malot. J’avais 5 ans. Je 42 P●INT DE VUE L’écriture et les hommes font-ils bon ménage ? À chaque fois que je commence un livre, je perds un homme. Ils ont raison. Je ne suis pas disponible quand j’écris. Ou alors entre deux livres, ce qui complique les choses… Même un homme à distance, c’est difficile. Lorsque j’écris, j’ai la tête complètement ailleurs. Est-ce facilement compatible avec les enfants ? Quand Charlotte et Clément étaient petits, je travaillais la nuit. Des récits plus autobiographiques parce que c’est moins prenant. Je n’aurais pas pu m’attaquer à une saga comme les Crocodiles avec quatorze personnages qu’il faut nourrir à la petite cuiller. Maintenant, ils sont mes premiers lecteurs et de grands littéraires. L’écrivain doit-il être égoïste ? Il est absorbé, ce n’est pas la même chose. On peut me dire quelque chose de grave si je suis branchée sur mon histoire, l’information ne parvient pas à mon cerveau. Les gens disent après que l’on est égoïste ou indifférent, ce n’est pas vrai. Mes amis se plaignent, parce qu’ils ne me voient plus, mais comment faire autrement ? À la fin d’un livre, je suis tendue comme une corde de violon, je ne peux parler à personne. Quand j’étais enfermée en Normandie pour écrire Les Écureuils, je pensais à Patricia Highsmith et je me suis dit que j’allais finir comme elle, seule avec mon vieux chien dans ma maison de campagne. Cela vous fait peur ? Pas vraiment. Avant, j’avais peur de tout, maintenant je me sens d’attaque pour tout. On apprend tellement ! La seule chose qui m’effraie, c’est la vieillesse décrépite. La mort ne m’inquiète pas une seconde, mais la déchéance, la dépendance, quand il n’y a plus de vie dans le corps, oui, c’est terrifiant. Qu’avez-vous ressenti en apprenant que vous étiez en troisième pour les meilleures les ventes de romans ? C’était vraiment bizarre. Je n’y croyais pas. Je n’avais pas sorti de livre cette année… C’est formidable, bien sûr. En même temps je suis tellement enfermée ici et dans mon monde imaginaire que je ne me rends pas bien compte. Mais cela donne des situations drôles. Je reçois par exemple des mails d’un Chinois me disant: Joséphine, c’est moi! Qu’a changé ce succès ? Je ne travaille plus pour Paris Match, j’ai une liberté totale de mes journées, de mes lectures. En même temps, j’ai un côté un peu mystique. Je crois que nous sommes sur terre pour faire quelque chose de bien. J’essaie de donner de moi dans mes livres, à travers mon site Internet. Je réponds à tous les mails personnellement. Si on donne à la vie, elle vous le rend au centuple. ● © LUC CASTEL, THE KOBAL COLLECTION, ERICH LESSING/AKG, CHRISTIE’S IMAGES/CORBIS, COLLECTION CHRISTOPHEL, ELECTA/LEEMAGE, DR Vous faites beaucoup de recherches… Énormément. Je fais des fiches, je remplis des dizaines de cahiers. Je lis tout sur tout concernant mon sujet. Les journaux m’aident beaucoup aussi. Pour le personnage d’Hortense, j’ai lu Vogue, Grazzia, Elle. Pour Marcel, qui est à la tête d’une grande entreprise, j’ai utilisé des journaux économiques et interviewé des industriels français implantés à l’étranger. Pour le personnage de Junior, le surdoué de 2 ans, j’ai collectionné les citations d’Einstein. Pour Joséphine, je me suis plongée dans le XIIe siècle, j’ai passé des heures en bibliothèque et travaillé avec une historienne, à Annecy. Je suis allée une semaine à Édimbourg pour bien décrire la ville en prenant plein de photos. Pour le personnage de Gary, je suis allée à New York et j’ai prétendu inscrire mon fils à la Juilliard School afin de visiter l’école… LE PETIT MONDE DE KATHERINE PANCOL 1 2 3 4 Une personne qu’elle admire… « LOUISE BROOKS (3), que j’ai eu la chance de rencontrer. J’avais 30 ans. Durant plusieurs mois, je suis allée la voir le week-end à Rochester dans le Kent. Elle vivait dans une HLM de banlieue. Même à 75 ans, au fond de son lit et décharnée, elle dégageait une vie et une intelligence débordantes. C’est cela, la vraie séduction. » Les auteurs qu’elle aime… « Je place BALZAC au-dessus de tout. « Le Père Goriot » (1), « La Cousine Bette », « Splendeurs et Misères des courtisanes », je les ai en double exemplaire, ici et à la campagne, pour être sûre de ne pas en manquer. Il est tellement fort : il balaie toutes les catégories sociales, brosse des destins et parle des femmes comme aucun homme ne sait le faire. Il est mort à 51 ans, foudroyé de fatigue d’ailleurs… Ensuite, Colette, je connais des pages entières par cœur. Sa vision du monde est plus petite, mais je suis par terre : c’est si bien écrit. Ses romans, ses critiques de théâtre…, tout est bien. Un jour, je me suis amusée à mettre des phrases d’elle dans un de mes livres. Un critique littéraire dans un article très méchant en a pris une comme exemple de mon mauvais style : j’ai bien ri. Et Tchékhov : comment fait-il ? Il écrit très simplement, mais capte l’âme avec ses mots. Tolstoï, bien sûr, pour « Anna Karénine » ou « Guerre et Paix »… Flannery O’Connor est inouïe : elle me parle d’un géranium et je suis en larmes. J’adore les journaux d’écrivains. Je les ai tous lus. Les écrits intimes : les lettres de George Sand et de Flaubert, qui sont presque mieux que ses romans. Quand je me couche avec un bon livre, je suis la plus heureuse du monde. 5 Shakespeare est un génie universel tout en restant extrêmement simple dans son écriture. Il ne se prend pas la tête. Cet hiver, j’ai relu Diderot : « Le Neveu de Rameau », « Les Salons », que je ne connaissais pas, et ses lettres à Sophie Volland, à tomber. En ce moment, je lis Milena Angus, que je trouve vraiment bien, ainsi que « Une saison avec Bernard Frank » de Martine de Rabaudy et « Les Rougon-Macquart » pour voir comment Zola tient sur la longueur. » Ses artistes « J’ai découvert la peinture contemporaine lorsque je vivais à New York. J’ai un dieu : CARAVAGE (6). Dès qu’il y a une exposition sur lui en Europe, je me déplace pour la voir. BARCELÓ (5) aussi… À Londres, je vais à la Tate Modern. » Sa musique « J’écoute énormément Radio Classique et TSF Jazz, parce que je n’aime pas me lever tous les trois quarts d’heure pour changer de CD. Je travaille en musique, sans l’écouter d’ailleurs, juste en fond. Pour ne pas retomber directement dans le vide quand je m’abstrais de ma pensée. J’aime avoir une présence. Un lecteur formidable m’a tout appris de Bach et GLENN GOULD (4). Il m’a fait découvrir les sonates pour piano de Haendel. Ma vie consiste à me trouver des professeurs qui m’apprennent des choses, alors je suis la plus heureuse du monde. » Elle déteste… « Être coincée à un dîner où je m’ennuie. Dans ce cas, je hais les convives, je voudrais tous les tuer. En plus, je m’en veux le lendemain, parce que je ne suis plus bonne à rien. Je préfère tant rester dans mon petit village de Normandie 6 avec un copain menuisier qui me parle du bois, des escaliers et des charpentes, comme un poète. J’aime les gens qui ont des passions, pas ceux qui pensent tout savoir. » Ses films fétiches « ELLE ET LUI» (2), de Leo McCarey, « Madame de », de Max Ophüls, tous les films de Billy Wilder et Frank Capra. Les films français à pathos, je n’en peux plus. C’est tellement plus difficile de faire passer le tragique en légèreté… Idem pour l’écriture. Cette année au cinéma, j’ai vu « Fish Tank », « Happy-Go-Lucky », vraiment bien, et « Un prophète », trois fois. J’ai très envie de voir « Gainsbourg » de Joann Sfarr. « Le Bal des actrices » de Maïwenn m’a scotchée. Elle a une énergie, cette fille ! J’aime les gens qui ont du style. » À la télévision « Je regarde toutes les séries que me conseille mon amie Christine Haas, qui est critique de cinéma : « Mad Men », « The Wire », « Desperate Housewives », « Weeds », « Dexter », « Damages ». En série française, j’ai bien aimé « Braco », « Pigalle », « Scalp » et « Mafiosa » sur Canal +. Ils font de bonnes choses. » P●INT DE VUE 43