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Image médiatique de la Serbie - une vie sous
la répression
Equipe de recherches du Centre médiatique de Belgrade
Introduction
La liberté d'expression et de l'information est garantie par la Constitution, de même que
par toutes les autres lois systématiques de la République et de la Fédération. Ce droit s'est vu
pourtant pratiquement aboli, en raison de la disparité entre ces lois et certaines de leurs
clauses restrictives. Ceux des médias qui se sont efforcés de résister au cours de ces longues
années de répression ont dû finalement lutter pour pouvoir subsister et, dans les cas les plus
drastiques, les membres de leurs rédactions doivent se battre pour leur existence. Au cours de
l'an 2000 et jusqu'en septembre dernier, date à laquelle l'Opposition démocratique de Serbie
(DOS) a remporté les élections et battu les partis de gauche, jusqu'alors invincibles, ils ont été
soumis, presque quotidiennement, à de graves sanctions, à la répression policière, la
confiscation de leur équipement, la fermeture par la force des rédactions et leur appropriation,
à des procès et arrestations, série de mesures prises par l'Etat pour "discipliner les médias".
Dans cette situation, les médias non-gouvernementaux se sont vus contraints de mettre au
second plan toutes les questions liées aux différents aspects de leur superstructure qualitative.
L'image médiatique de la Serbie est caractérisée par une distinction globale entre les
médias pro ou anti-régime, c'est-à-dire non-gouvernementaux, et il fallait, dans cet extrait,
tenir compte de cette distinction. Le but de cette analyse est de mettre en évidence tant les
fondements du développement et du renforcement des médias contrôlés par le régime, réduits
au rôle de propagateurs des partis dirigeants cherchant à se maintenir au pouvoir, que les
tentatives des médias non-gouvernementaux et de l'opinion publique professionnelle et libre
pour jeter les bases d'un espace médiatique démocratique.
Cet extrait est divisé en sept parties reliées entre elles. La première partie - Statut et
situation des médias - offre un aperçu détaillé de toutes les entreprises médiatiques les plus
importantes, accompagné d'une analyse quantitative-qualitative de leur importance, influence,
options politiques et programmatiques; la deuxième partie étant consacrée à l'examen
comparatif des lois les plus importantes gouvernant l'espace médiatique en Serbie, par ailleurs
en contradiction directe avec les actes internationaux garantissant les libertés civiques
fondamentales.
1
Outre sur la littérature susmentionnée, cet extrait a été élaboré sur la base de la
documentation journalistique des dix dernières années, ainsi que sur d'autres documents
originaux provenant des réunions organisées par l'Union indépendante des journalistes de
Serbie, le Syndicat indépendant, B92, la Fondation pour la paix et le dénouement des crises, le
Conseil universitaire pour la défense de la démocratie, ainsi que sur les analyses et études du
Centre médiatique-Belgrade et du Centre des droits de l'homme de Belgrade.
Aperçu des notions fondamentales devant permettre une juste compréhension du texte:
•
•
•
médias non-gouvernementaux - ce terme désigne les médias, à propriété
publique ou privée, dont la politique rédactionnelle n'est pas directement
influencée par le gouvernement et les partis au pouvoir.
médias du régime - on entend par là l'ensemble des médias gérés par le
gouvernement ou l'un des partis au pouvoir, qu'il s'agisse d'une propriété
publique ou de la propriété privée de différents membres des structures
dirigeantes.
propriété publique - les entreprises dirigées par le pouvoir local, républicain ou
fédéral.
1. Première partie - Statut et position des médias
1.1 Caractéristiques politico-économiques et médiatiques générales
La stratégie fondamentale du régime en Serbie pour s'emparer du pouvoir, personnifiée
par Slobodan Milosevic en tant que son principal créateur, a été de mettre la main sur les
médias, c'est-à-dire s'assurer un monopole exclusif sur les entreprises médiatiques les plus
importantes, et les plus influentes. Le publiciste Milenko Markovic, soutenu dans cette
opinion par l'éminent journaliste de Politika, Dragos Ivanovic (1998:13), estime que
Milosevic, au moment où il est parti à la conquête du pouvoir, s'est très vite rendu compte
que: "s'il ne pouvait empêcher l'émergence du pluripartisme, il pouvait néanmoins s'emparer
du pouvoir et le conserver, sous condition de préserver son monopole sur les médias".
Cette stratégie n'a pas évolué avec le temps, mis à part le fait qu'elle a été consolidée, et
ce au fur et à mesure, qu'inversement, le soutien à la politique de Milosevic allait diminuant.
Le cercle des personnalités, qui non seulement appuyaient cette politique mais étaient prêtes à
y participer activement allant se rétrécissant, le contrôle sur les médias, déjà présent, a été
encore renforcé. Le régime réduit leur rôle à celui de simples propagateurs de la politique
préconisée par ces partis, faisant preuve par ailleurs d'une véritable intransigeance et
2
intolérance envers tout ce qui est différent, et redoublant ses efforts pour maintenir sous
contrôle toute éventuelle alternative, même la plus insignifiante.
Le régime anéantit tout ce qu'il ne peut pas contrôler ou usurper, c'est ainsi qu'il réussit à
faire interdire ""Nasa borba" (1998), journal à faible tirage mais à grande influence, et
plusieurs radios locales; le règlement de comptes le plus drastique et le plus dramatique avec
les médias récalcitrants est l'interdiction de "Dnevni telegraf", de la revue 'Evropljanin" et,
finalement, la liquidation physique de son propriétaire et rédacteur-en-chef, Slavko Curuvija
(1999), dont l'assassinat n'a jamais été élucidé. Il semble pourtant évident pour l'opinion
publique démocratique, au vu des affrontements entre Curuvija et le régime, qu'il s'agit là d'un
assassinat politique.
Bien que du point de vue formel et juridique un système "semi-présidentiel" soit en
vigueur (Constitution de la RF 1990), le pouvoir repose entièrement entre les mains de
Slobodan Milosevic, quel que soit le poste qu'il occupe et les compétences constitutionnelles
qui en découlent. A titre d'exemple, aux termes de la Constitution de 1992, mais aussi des
amendements apportés à cette Constitution en 2000, la fonction de président de la République
fédérale de Yougoslavie a un caractère purement protocolaire, la RFY étant associée au
système des chanceliers. Pourtant après l'arrivée de Milosevic à la tête de la RFY, cette
fonction s'est trouvée au centre du pouvoir, bien que la procédure formelle soit toujours
observée au cours de l'adoption de toutes les décisions de l'Etat.
En Serbie, le pouvoir est fondé sur la coalition réunissant le parti socialiste de Serbie
(présidé par S. Milosevic), la Gauche yougoslave (présidée par Mirjana Markovic) et le parti
radical serbe (présidé par Vojislav Seselj). Cette coalition, dont les orientations idéologiques
des partis qui la composent sont diamétralement opposées (communistes ou nazis) est appelée
familièrement la coalition rouge-noire. Elle fut créée après les élections de 1988 - au niveau
de la République - les socialistes n'ayant pas obtenu la majorité nécessaire pour pouvoir
former un Gouvernement et faire adopter leurs décisions par le Parlement. (Elle a été ébranlée
après les élections de septembre 2000 et, au moment où cet extrait est sous presse, - octobre
2000 - son avenir semble incertain). Ce n'est qu'au cours des premières élections multipartites
tenues en Serbie, en 1990, que S. Milosevic et son parti avaient réussi à se rallier la majorité
des suffrages.
Le règne de Milosevic a été marqué par une paupérisation drastique de l'Etat et de la
population. A titre d'exemple, le produit social brut par tête d'habitant est tombé de presque
trois mille dollars en 1991 à 1.500 dollars au début de l'an 2000, ce qui a rangé la Serbie
3
parmi les trois pays les plus pauvres d'Europe. Au cours de la même période, en Slovénie par
exemple, le PNB per capita était passé de deux mille à trois mille cinq cent dollars (Bulletin
G-17, juillet 2000). Le secteur économique a été organisé de manière à pouvoir être
entièrement contrôlé. Le budget étant dans l'ensemble financé par les recettes douanières et les
taxes sur l'importation illégale de pétrole. Un système compliqué de cours des devises a été
mis en place, permettant de redistribuer gains et pertes au sein de l'économie. Les prix sont
contrôlés par le pouvoir, ce qui explique le taux d'inflation, relativement faible, et l'adaptation
du cours du dinar. Au cours des quatre premiers mois de l'an 2000, la valeur de l'exportation
s'élevait à 111,8 millions de dollars par mois, l'importation à 275,4 millions de dollars, ce qui
semble indiquer que le déficit commercial devrait être de l'ordre d'environ deux milliards de
dollars. On évalue la dette extérieure de l'Etat à plus de 16 milliards de dollars.
La Serbie vit, depuis 1993, dans une isolation économique totale et, comme l'ont fait
remarquer les statisticiens du G-17: "La RFY, en grande partie de par sa propre faute, est
devenue le polygone ayant permis à la communauté internationale de tester un large spectre de
sanctions, intervention militaire y comprise. Rien qu'au cours de 1999, l'UE a publié dans son
Journal officiel 19 conclusions, décisions et arrêts à caractère punitif liés à la RFY, et au cours
des six premiers mois de l'an 2000, 13 autres documents similaires, modifiant, élargissant ou
introduisant de nouvelles sanctions contre la RFY" (Bulletin G17, juillet 2000).
La dégradation générale du niveau de vie des citoyens a été accompagnée de l'énorme
enrichissement d'un petit nombre d'individus proches du pouvoir (selon certains sondages de
l'Institut des sciences sociales de Belgrade, il y a en Serbie environ 200.000 personnes aisées
pour cinq millions de personnes plus ou moins pauvres (NIN, 16 septembre 1999). Diverses
lois ont été successivement adoptées, accordant à la police des pouvoirs de plus en plus larges,
réduisant l'autonomie de la magistrature et des universités (sur la base de la Loi sur
l'Université de 1998, plus de 200 éminents professeurs et collaborateurs ont été limogés),
abolissant la liberté de la presse (Loi sur l'information publique de 1998), transformant
l'ensemble de l'économie de la Serbie en un unique secteur dirigé par le Gouvernement de la
république (Loi sur la privatisation, juillet 2000). La paupérisation et l'intensification de la
répression ont incité un grand nombre de jeunes et d'universitaires à quitter le pays (en
l'absence de véritables données, on estime qu'entre 600.000 mille et un million de personnes
ont quitté la Serbie au cours des dix dernières années), ce qui a eu de graves répercussions sur
la structure sociale et culturelle de la population, en tant que corps électoral surtout.
4
Au cours de l'année 1999, le régime de Slobodan Milosevic s'est encore renforcé, le
commandement militaire s'étant rangé aux côtés du pouvoir, à l'exemple de la police et des
médias gouvernementaux: "L'intervention permanente des chefs militaires - sous différentes
formes - est l'expression de leur volonté de défendre le pouvoir. L'élite militaire a contribué à
délégitimer l'opposition, manifestant ainsi son intention d'utiliser la force...(...) On prépare le
terrain pour créer une base juridique devant permettre aux forces de l'Etat d'intervenir en cas
de résistance et d'inclure l'armée aux conflits", a déclaré Miroslav Hadzic, président du Centre
pour les relations civiles et militaires, organisation non-gouvernementale de Belgrade (Centre
médiatique de Belgrade, Service analytique, 13.06.2000)
L'appui sur la police et les médias, les deux principaux leviers du pouvoir de Milosevic,
et leur utilisation dans la répression des médias échappant au contrôle de l'Etat, ont atteint leur
apogée en l'an 2000 (année des élections), lorsque la police s'est mise à arrêter
quotidiennement et à passer à tabac ceux qui avaient d'autres opinions politiques, dans
l'ensemble des membres de l'organisation estudiantine "Otpor" (Résistance). Répression
policière qui devait atteindre sa triste apogée le 9 mai, date à laquelle, pour empêcher tout
éventuel reportage sur un meeting de l'opposition à Pozarevac, ville natale des époux
Milosevic, la police a arrêté 25 journalistes. Au cours d'un seul mois, 40 journalistes ont été
interpellés ou arrêtés, dont Miroslav Filipovic, correspondant de la revue belgradoise "Danas"
et de l'agence AFP à Kraljevo, qui devait être plus tard condamné à sept ans de prison par la
cour militaire de Nis, pour "espionnage".
La répression exercée contre les médias et adversaires politiques, s'inspirant d'une
manière générale de la Loi sur l'information, et accompagnée de sévères qualificatifs
("traîtres" "cinquième colonne", "mercenaires"), ainsi que l'occupation agressive de certains
médias à l'aide de la police, avec son cortège d'arrestations, passages à tabac et attentats, ont
incité Zarko Korac, président de l'Union sociale-démocrate, à émettre le commentaire suivant:
" "Il est évident que la violence est devenue le mode de fonctionnement de la politique et que
la vie d'un grand nombre de personnalités politiques est actuellement menacée. C'est là le
chemin du non-retour, car par la logique même des choses, la répression totale et définitive
n'existe pas. Elle a tendance à se reproduire elle-même." (Centre médiatique de Belgrade,
Service analytique, 19.06.2000).
1.2 Structure des médias - stricte séparation en deux camps
En Serbie, tous les segments de la scène politique sont poussés à l'extrême, il existe
donc une stricte division entre le régime et l'opposition, une ligne des deux côtés de laquelle
5
sont rangés des adversaire irréconciliables, incapables de communiquer entre eux. Les médias
partagent ce même destin. L'on trouve, d'une part, les médias du régime - ou favorables au
régime - qui bénéficient de tous les avantages qu'une telle orientation politique ou
appartenance sous-entend, d'autre part ceux qui échappent au contrôle de l'Etat, plus
nombreux, mais financièrement et techniquement plus vulnérables. Ces deux groupes offrent
"une image contradictoire de la réalité", comme l'a fait remarquer Jovanka Matic au cours
d'une rencontre sur "Les médias et la réalité sociale" (Belgrade, 26 mai 2000).
Les différences dans la présentation des événements par les médias nationaux ou
indépendants se retrouvent tant dans la définition du problème crucial auquel est
confrontée la société, que dans le traitement des thèmes faisant l'objet des reportages.
Ces deux groupes de médias offrent quotidiennement une vision contradictoire des
événements et de la réalité - une vision totalement opposée. Alors que pour les médias
gouvernementaux l'alpha et l'oméga des événements actuels est le conflit extérieur - le
conflit militaire et politique entre l'Occident et l'Etat serbe, pour les médias
indépendants le conflit social est basé avant tout sur le conflit intérieur, entre le pouvoir
et l'opposition.
Radio et TV
120 stations de radio et de télévision, ou programmes, sont inscrits dans le registre tenu
par le Ministère de l'information de la République de Serbie, mais leur nombre est bien
supérieur, car seules ont été enregistrées les stations ayant obtenu du Ministère des
communications toutes les autorisations et autres documents nécessaires. Il existe en Serbie
plus de 500 stations de radio et environ 150 stations de télévision1, cependant, dans le
domaine de l'information, leur nombre peut être réduit : d'une part, aux huit2 principales
1Il s'agit d'une simple estimation, car l'on ne dispose pas de données précises. Ce qui n'est guère possible, la
majorité des stations radiophoniques et télévisuelles n'étant pas enregistrées et travaillant "au noir". Le pouvoir
fait preuve d'une certaine tolérance à leur égard, étant donné qu'elles n'ont pas une grande portée, sont apolitiques
et s'acquittent de l'impôt et autres taxes symboliques pour l'utilisation des fréquences, ce qui est particulièrement
cynique de la part du régime qui ne leur accordent pas de permis de travail, tout en taxant ce travail. La plupart
émettent uniquement de la musique ou des films (sans s'acquitter ni des frais de licence ni des droits d'auteur), et
aucun programme à caractère politique ou informatif. Elles ont aussi très souvent un caractère éphémère. On
estime également qu'il y a environ 350 stations de RTV privées, pourtant, officiellement, le pouvoir n'en
reconnaît que 200 environ. En raison du système de répression, dont il sera question plus tard dans ce texte, 10%
seulement des stations de RTV privées émettent un programme d'information; toutes risquent à tout moment de
se voir interdire ou de voir leur équipement confisqué, car telles sont les pratiques utilisées par le régime; il existe
donc certaines stations légalement enregistrées, mais qui sont dans l'impossibilité d'émettre leurs programmes.
2La Radiotélévision de Serbie (Première et Deuxième chaînes, et le Troisième canal), YU INFO, TV Novi Sad,
TV Politika, RTV Studio B, BK Telecom, TV Palma et TV Palma - plus (Jagodina), cette dernière n'a pas un
aussi grand nombre d'abonnés que les sept autres, mais une large influence (elle est souvent citée par les autres
médias électroniques et par la presse).
6
stations de télévision contrôlées par l'Etat, aux deux3 stations de télévision techniquement les
plus puissantes, qui bien qu'à caractère récréatif, sont utilisées pour la propagande des partis
au pouvoir et se trouvent à tout moment à leur entière disposition. Mentionnons également les
deux stations radiophoniques publiques - Radio Belgrade et Radio Yougoslavie, qui couvrent
l'ensemble du territoire de la Serbie et Studio B, la radio de Belgrade. On compte par ailleurs:
30 stations radiophoniques et 13 stations de télévision réunies au sein de l'Association des
médias non-gouvernementaux (ANEM), une dizaine de radiotélévisions locales et
municipales contrôlées par les partis de l'opposition, ainsi que 21 stations de TV et 52 stations
de radio privées, indépendantes et assemblées dans l'association "Spektar". Ces stations ne
sont pas contrôlées par l'Etat et, bien qu'ayant un caractère local et étant souvent en conflit
avec le régime, elles touchent environ deux millions de spectateurs et quatre millions
d'auditeurs en Serbie, sans compter Belgrade.4 La capitale de la Serbie occupe la première
première place, guère flatteuse, pour ce qui est des possibilités d'accès au moindre média
alternatif, quel qu'il puisse être. Les 16 télévisions de Belgrade, avec leurs 18 programmes, et
plus de 30 stations de radio sont ou contrôlées par les partis au pouvoir - SPS et JUL - ou leur
appartiennent.
3 TV Pink, dont le propriétaire est un haut fonctionnaire du JUL (le parti de Mirjana Markovic), et TV Kosava,
qui appartient à la fille de S. Milosevic et M. Markovic.
4Belgrade, qui comptait environ deux millions d'habitants en mai 2.000, est restée sans aucune station de TV ou
de radio n'appartenant pas au régime - si l'on fait exception de Radio Index, la radio des jeunes, de faible portée,
souvent brouillée, et dont le programme informatif et politique était régulièrement censuré par des contrôleurs
parfois installés dans le studio même où cette station émet ses programmes. - ceci après que le Gouvernement de
Serbie ait mis la main sur la TV de la ville et la station de radio Studio B qu'elle abritait et qui émettait sur la
même fréquence.. L'activité de B2 92 s'est vu réduite, entre mai et août, exclusivement à son émission sur internet
et, vu le nombre insignifiant des utilisateurs d'internet, cette radio n'a pas été en mesure de contribuer à élargir le
champ des sources d'information de la population. Depuis août dernier, cette station a d'abord émis ses
programmes sur les ondes de radio Drina et via l 'émetteur de Majevica (situé en Republika srpska), puis à partir
de la Roumanie, mais ces deux tentatives se sont révélées infructueuses suite aux interventions de la police.
Depuis la crise post-électorale, ce programme émet sur 5 fréquences (trois sur ondes courtes et deux sur ondes
moyennes), il peut être capté à Belgrade, mais est souvent brouillé. Ce programme est accessible non seulement
par internet, mais aussi par satellite, ce dont dispose que 3,2 % des habitants de la Serbie.
7
s1
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s2
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a
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100
90
80
70
60
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40
30
20
10
0
Graphique 1.1; Couverture technique du territoire de la Serbie par les principales stations de
télévision, en pourcentage - mai 2000. (SMMRI, recherches sur le " Srpska medijska scena ",
juin 2000.)
Nedeljna Gledanost glavnih TV stanica
TV STANICA
Gledanost
RTS 1
53,8
RTS 2
42,3
RTS 3K
25
TV PINK
76,1
BK TELEKOM
45,9
STUDIO B
27
TV PALMA
25,3
TV KOŠAVA
17,6
SATELIT
10,4
LOKALNE TV – CENTRALNA SRBIJA
34,8
LOKALNE TV – VOJVODINA
8,1
8
80
RTS 1
70
RTS 2
60
RTS 3K
50
40
30
20
10
0
TV PINK
BK TELEKOM
STUDIO B
TV PALMA
TV KOŠAVA
SATELIT
LOKALNE TV –
CENTRALNA SRBIJA
LOKALNE TV – VOJVODINA
Graphique et tableau 1.2: Taux d'audience, par semaine, des principales stations TV, en
pourcentage, tranche d'âge - 10 - 70 ans - mai 2000. (SMMRI - recherches sur le "Paysage
médiatique serbe", juin 2000.)
La RTV de Belgrade, Studio B, et la radio B92 ont été les principaux instigateurs et
promoteurs du développement des médias électroniques non-gouvernementaux en Serbie.
B92, ancienne radio alternative de la jeunesse, s'est très rapidement transformée, de même que
Studio B, et ceci dès le début de l'introduction du multipartisme en Serbie, en un porte-parole
de la "révolte des étudiants", devenant ainsi le plus puissant des médias électroniques opposés
au régime; ceci en grande partie grâce aux donations de fondations non-gouvernementales
(Soros). Le régime a réagi et, au cours des dix dernières années, ces deux stations ont été
interdites ou leur programmes interrompus, la dernière fois le 16 mai dernier suite à une
décision du Gouvernement de Serbie tendant "à protéger le patrimoine de l'Etat".
Malgré leurs nombreuses différences - Radio B92 a en effet réussi, contrairement à RTV
Studio B, à garder ses distances, professionnellement, vis-à-vis de l'ensemble des partis - ces
deux stations ont partagé le même sort - elles ont été confisquées - l'Etat étant propriétaire, il
pouvait intervenir de manière plus ou moins légale. Le fondateur et propriétaire de Studio B
est l'Assemblée de Belgrade, celui de B92, le Conseil de la jeunesse de Belgrade, récupéré et
utilisé par le régime, de même que par toutes les autres organisations et associations
gouvernementales. Ce qui se révéla surtout fatal pour Radio B92, car l'ensemble de son
9
équipement radiophonique et télévisuel, d'une valeur d'environ 400.000 DM, acheté grâce à
des donations, ainsi que son capital intellectuel, furent réquisitionnés par le régime le 2 avril
1999 (quelques jours après le début de l'intervention de l'OTAN). Ce qui n'a pas touché
uniquement cette station, mais aussi l'ensemble du réseau des stations RTV nongouvernementales en Serbie, toutes reliées à B92 dans le domaine de la technique et des
programmes. C'est en effet cette même radio belgradoise, la plus populaire et la plus suivie,
qui a fondé l'Association des médias électroniques indépendants. Bien que privés de leurs
moyens techniques, les journalistes de cette radio ont poursuivi leur action, tout d'abord en
tant qu'hôte de Studio B, puis en lançant une campagne "Free B92", exigeant que cette radio
soit rendue à ses véritables propriétaires - c'est-à-dire à ceux qui l'ont créée, affirmée et en ont
fait le principal porte-parole d'une Serbie libre et démocratique. "Free 92" a repris toutes les
activités menées par B92 jusqu'à sa fermeture - promotion de la liberté d'expression, d'une
information objective, de la tolérance et de la solidarité sociales, du respect des minorités, des
valeurs de la citoyenneté, d'une culture alternative...Malgré le fait que leurs émissions soient
difficiles à capter à Belgrade même, les journalistes de B92 réussissent, dans une presque
clandestinité, à diffuser un programme 24 heures sur 24 sur internet et via satellite, et aussi,
par l'intermédiaire du réseau ANEM, à travers 30 stations de radio en Serbie, et à l'étranger.
Dans le cadre de leur campagne "Free B92", ils ont poursuivi normalement certaines autres
activités de l'ancienne Radio B92; c'est ainsi que la rédaction de la télévision - en relançant le
réseau ANEM - a poursuivi la production d'émissions politiques et informatives à l'intention
des stations TV locales d'ANEM. Début septembre, ANEM a commencé à émettre un
programme télévisuel via satellite, avec ses propres programmes d'information ou ceux des
autres médias indépendants. Chaque mois, le site web de "Free B92" est visité en moyenne par
500.000 personnes et est devenu le nucléus d'une communauté spécifique "on-line", qui lutte
pour la démocratisation de la Serbie.
Trois autres maisons de production, bien qu'il ne s'agisse pas ici de stations
radiophoniques ou télévisuelles, ont joué également un rôle important dans le développement
d'une radiodiffusion démocratique et l'information de l'opinion publique: il s'agit des réseaux
PG et VIN, dont les programmes sont diffusés par les membres d'ANEM et de "Spektar" et
qui sont disponibles sur internet; et du Centre médiatique de Belgrade, qui possède sa propre
radio et production TV. Son rôle est d'ailleurs particulièrement important et l'on peut affirmer
que là se trouve la véritable logistique des médias indépendants en Serbie.
10
La presse
Il faut tenir compte du fait, lorsqu'on évoque la presse écrite, qu'un tiers environ des
citoyens serbes ne lisent pas le journal chaque jour, qu'à peine deux tiers d'entre eux lisent des
hebdomadaires5. Ceci est dû au niveau d'éducation particulièrement bas de cette population. Il
suffit de rappeler qu'un tiers est analphabète ou semi-analphabète. L'on trouve en Serbie
quatre quotidiens républicains et un quotidien régional contrôlés par le pouvoir6, ainsi que
trois quotidiens républicains et un quotidien local indépendants.7Le régime ne contrôle aucun
des principaux hebdomadaires à caractère politique et informatif, la plus grande maison
d'édition progouvernementale "Politika" s'étant spécialisée dans l'édition de revues à caractère
récréatif, des gazettes destinées aux femmes et aux teen-agers. Les hebdomadaires politiques
les plus influents8, et qui ont le plus grand tirage9, appartiennent au secteur privé et font
partie de ceux des médias qui s'efforcent de présenter la situation politique et économique en
Serbie de manière critique. Parmi la multitude des publications périodiques et hebdomadaires
paraissant à l'échelle locale, municipale, communale ou publiées par les partis - et selon leur
influence sur l'opinion publique - seules trois organes diffusés par des partis10, et 21 éditions
locales (six hebdomadaires, deux-semi hebdomadaires et quatre revues mensuelles) ne sont
pas contrôlées par les partis dirigeants. Il s'agit dans l'ensemble de publications privées, dont
les propriétaires sont réunis au sein de l'association Local Press.11
5 Selon un sondage de l'Agence belgradoise Mark-plan (Blic, 21 juillet 2000), 23,1% de la population serbe ne
lit aucun quotidien, 72,7% aucun hebdomadaire. Les données de l'Agence SMMRI - pour les mois de mars, mai
et juillet 2000 - diffèrent légèrement: 36,1% ne lirait aucun quotidien, 59,9% aucun hebdomadaire.
6 Politika, Politika Ekspres, Vecernje novosti, Borba et Dnevnik, quotidien publié à Novi Sad. Leur tirage n'est
pas révélé, pourtant selon l'agence SMMRI, en juillet 2000 le nombre de lecteurs était: Politika 1.205.020,
Politika Ekspres 178.167, Vecernje novosti 1.434.912, Borba 5.747 et Dnevnik 70.245.
7Blic, Glas javnosti, Danas et Narodne novine, à Nis. Selon l'agence SMMRI, en mars 2000, avant que le régime
ne commence à faire pression sur les imprimeries et avant que ne se pose le problème du papier, le nombre de
lecteurs était: Blic 3.011.592, Glas 684.569, Danas 146.876. Au mois de juillet, après l'intervention des pouvoirs,
le nombre des lecteurs de Blic était tombé à 2.172.484. Ces données concernent uniquement la Serbie.
8NIN et Vreme. Selon des données publiées par l'agence SMMRI et datant du mois de mars 2000 NIN aurait
162.065 lecteurs et Vreme 11.032, ceci dans l'ensemble de la RFY.
9Nedeljni Telegraf et Svedok. On y trouve, outre des informations et commentaires politiques, des thèmes
touchant à la criminalité, la récréation et aux événements à caractère exceptionnel. Selon les données de la
SMMRI, au mois de mars 2000, le nombre des lecteurs de Telegraf était de 304.131, de Svedok 171.031, ceci
pour l'ensemble de la RFY. Blic news, revue politique ayant dû fermer au mois d'août suite à une pénurie de
papier, comptait 184.134 lecteurs dans l'ensemble de la RFY.
10 Zemunske novine et Velika Srbija, édités par le parti radical serbe, et Srpska rec, publié par le parti du
renouveau serbe (SPO). Selon les données de la SMMRI, le nombre des lecteurs de Velika Srbija est de 14 484,
de Srpska rec 21.379, ceci pour la seule Serbie.
11 Seules deux maisons d'édition publiques (Kikindske novine et Narodne novine de Nis) ont le statut
d'observateurs, ceci afin d'éviter qu'elles ne participent à l'acquisition commune des l'équipement; il s'est en effet
11
La plus importante des imprimeries ayant échappé au contrôle de l'Etat, celle du
quotidien "Glas javnosti", est en faillite depuis janvier 2000, s'étant vu imposé jusqu'à présent
diverses sanctions par la police financière, sous différents prétextes - dont le montant a atteint
environ 500.000 DM. L'avenir financier de l'imprimerie ABV graphique, en fait ABC Produkt
(fondateur de Glas javnosti) est lui aussi très incertain. C'est là l'un des moyens utilisés par le
régime pour récupérer, dans le domaine de la presse écrite, l'avantage qui était le sien avant le
"boom" de la presse privée en 1996, et qu'il détient actuellement par rapport aux médias
électroniques. Grâce aux mesures restrictives dont il sera question un peu plus loin, en deux
ans, le régime a réussi à réduire de moitié le nombre de journaux qu'il n'arrivait plus à
contrôler. Il y avait en 1997 à Belgrade 14 quotidiens; aujourd'hui, à la fin de l'an 2000, il n'en
reste que sept, dont quatre sont aux mains du régime.
Les agences de presse
Les agences de presse, de même que les médias électroniques et la presse, sont réparties
en deux camps, celles qui dépendent du régime, celle qui n'en dépendent pas. On trouve dans
le premier groupe "Tanjug", entreprise publique dirigée par le gouvernement fédéral, financée
par l'ensemble des citoyens de la Serbie. Dotée d'un équipement moderne, elle manque
pourtant de véritables cadres, suite aux nombreuses épurations de journalistes "politiquement
indésirables". Cette agence dispose de correspondants dans tous les centres mondiaux les plus
importants et constitue la principale source d'information, non seulement pour ce qui est des
nouvelles mais aussi des commentaires politiques, de tous les médias contrôlés par l'Etat. A
titre d'exemple, le journal Politika remplit toutes ses colonnes sur la politique intérieure grâce
aux reportages et commentaires de Tanjug. Le service le plus important utilisé par Tanjug est
le Service général (Generalni servis), qui diffuse environ 80.000 nouvelles par an.
Le pendant de cette agence, mais très différent, est l'agence Beta, créée précisément par
ceux des anciens journalistes de Tanjug qui n'ont pas supporté d'assister à la dégradation
professionnelle de cette agence, désignée autrefois comme l'une des dix meilleures agences de
presse du monde12. Beta, qui compte 145 journalistes, possède elle aussi un large réseau de
correspondants à l'étranger mais, à la différence de Tanjug, son attitude vis-à-vis de tous les
révélé dans la pratique (après la main mise de l'Assemblée de Belgrade sur Studio B) que les entreprises
publiques restaient soumises aux décisions du gouvernement de la république, et que la garantie de leurs biens
n'était pas assurée.
12"Selon les critères internationaux, Tanjug a été classée parmi les dix plus importantes agences mondiales",
Dusan Djuric "Novinarska enciklopedija" (Encyclopédie du journalisme), BMG, Belgrade 1997 (p. 922).
12
partis politiques, groupes et principaux événements se déroulant en Serbie, en RFY et dans le
monde est strictement professionnelle; ceci malgré le fait qu'elle ait du mal à obtenir des
informations concernant les partis au pouvoir et l'élite dirigeante. Elle est abonnée aux
agences Reuters, AFP et AP. Ce sont les médias qui ne sont pas contrôlés par l'Etat qui
transmettent ses nouvelles. Outre Beta, on trouve aussi en Serbie l'agence Fonet, de moindre
importance quant aux cadres et à la technique, elle n'emploie que six journalistes et 40
collaborateurs extérieurs. Conçue au premier abord surtout comme une agence-photo, elle se
trouve en permanence au bord de la faillite et a renoncé à envoyer des correspondants à
l'étranger. Ces deux agences appartiennent aux journalistes qui les ont créées. Les médias
indépendants de Serbie utilisent aussi les services de deux petites agences, gérées par des
journalistes de l'ex-Yu: AIM et Sense.
Division des médias en fonction des partis
Il est intéressant de noter de quelle façon les partis au pouvoir se sont partagé les biens
de l'Etat. Au début, évidemment, tout était concentré entre les mains du SPS13, mais après la
création de la "Gauche yougoslave" (YUL), présidée par l'épouse du président Milosevic, ce
sont des fonctionnaires membres de ce parti de "managers", dans l'ensemble des directeurs ou
propriétaires de riches entreprises, des gens appartenant à la classe des nouveaux riches, qui
ont été placés à la tête de la plupart des maisons d'édition appartenant à l'Etat. Le SPS n'a
conservé que la RTS, alors que Tanjug, Borba, Radio-Yougoslavie et TV YU-info, créée en
2000, étaient dirigés par des fonctionnaires du JUL ou autres personnalités jouissant de la
confiance de la présidente de ce parti, Mirjana Markovic. JUL, SPS et le parti radical serbe se
sont partagé la RTV Studio B. Quant à "Politika" qui, selon la loi, est une entreprise privée,
elle reste s Zajedno (Ensemble), qui avait remporté ces élections dans une quarantaine de
villes, s'est mise à nommer les membres de ses partis à la tête des organes de presse dont elle
avait héritée. L'exemple le plus drastique est celui de TV Studio B, repris en main par le SPO
en août 1997 après l'effondrement de la Coalition Zajedno à Belgrade. Non seulement fut-il
procédé à l'épuration de ses cadres, à l'image de ce qui s'était passé à la RTS en 1992 et 1993,
13 L'on pense ici avant tout à la maison d'édition Politika et à son quotidien le plus important, qui porte le même
nom et dont les dirigeants sont restés fidèles à Milosevic (les rédacteurs et journalistes insubordonnés ayant été
limogés); de même qu'à la Radiotélévision de Serbie, tombée entièrement sous l'administration du
Gouvernement, aux termes de la Loi sur la RTS du 31 juillet 1991. Le Gouvernement de la république nomme:
les membres du Conseil d'administration, son président, les membres de la Commission de contrôle, ainsi que le
directeur général, tenu de rendre compte de ses activités devant le Gouvernement. Par ailleurs, la transformation
13
mais cette station fut brutalement utilisée pour promouvoir la politique des partis, et surtout,
pour régler leur compte à ceux de l'opposition.
Le comportement des partis de l'opposition vis-à-vis des médias télévisuels privés était
un peu différent. Voici la description qu'en a faite Slobodan Zoric, membre de l'Association
des RTV privées "Spektar", au cours d'une rencontre consacrée au thème "Les relations entre
les partis politiques et les médias", organisée le 3 juillet à Belgrade par l'Union des syndicats
professionnels "Nezavisnost", la Fondation pour la paix et la solution des crises, et NUNS:
"L'opposition démocratique ne s'est pas vraiment intéressée à la situation des RTV
privées, ni ne leur a accordé suffisamment d'importance. Lorsque la Coalition "Zajedno" s'est
emparé du pouvoir et des médias dans 40 villes de Serbie, l'intérêt qu'elle manifestait pour le
déblocage de la RTS et son opposition aux pratiques des dirigeants dans le domaine de la
radiodiffusion sont subitement tombés. Bien qu'ANEM et "Spektar" aient à plusieurs reprises
attiré l'attention, à travers la presse, sur les problèmes de la répartition des fréquences, la prise
de mesures répressives à l'égard des stations indépendantes, la multiplication et
l'élargissement des stations RTV contrôlées par le régime, les pressions et chantages exercés et voilés, l'opposition démocratique n'a pratiquement pas bougé. On comprend que
l'opposition démocratique ne dispose pas des moyens lui permettant d'enrayer le processus de
répartition des fréquences de manière à servir les intérêts du pouvoir. Mais on ne comprend
pas pourquoi, aujourd'hui encore, l'opposition unifiée n'a aucune vision d'ensemble en vue
d'introduire des changements dans ce domaine, qu'elle ne s'intéresse aucunement à la situation
des stations privées, qu'elle ne leur accorde pas ouvertement son soutien, et ne laisse entrevoir
aucune perspective de changement."
Profession et éthique
Il est évident, vu la stratégie d'usurpation et de préservation du pouvoir, telle qu'elle a
été décrite dans l'introduction de cet extrait, qu'il ne pouvait y avoir, dans les médias contrôlés
par le gouvernement, ni véritable professionnalisme ni éthique professionnelle, tout ce que
sous-entend une information publique fondée sur des principes démocratiques. L'autre camp,
pourtant, n'a pas non plus réellement tenu compte du professionnalisme et de l'éthique, et
surtout pas de façon systématique. Les lois se rapportant au journalisme, et surtout les
problèmes de l'éthique, ont été abandonnées au hasard, ainsi qu'à la conscience individuelle
d'une partie des droits de propriété de la RTS, autorisée par la loi jusqu'à 49%, nécessite elle aussi l'accord du
Gouvernement.
14
des rédactions et journalistes des médias indépendants. Mis à part certaines rares publications
à caractère strictement professionnel, livres, avertissements et appels publiés par un cercle
d'experts médiatiques et qui n'ont eu pratiquement aucune répercussion réelle, aucune
tentative systématique n'a été faite pour régulariser ce domaine de manière sinon satisfaisante,
du moins efficace. Les médias indépendants ont parfois dépassé eux aussi les "limites
professionnelles", surtout en publiant des rumeurs ou informations non confirmées. Le
problème du professionnalisme, se heurte aussi, à l'intérieur, au manque de préparation des
cadres.
D'ailleurs, la formation et l'éducation des cadres journalistiques n'est pas uniquement un
problème intérieur, il s'agit là d'un problème beaucoup plus profond lié à la crise que traverse
l'Université de Belgrade depuis quelques années, alors que la Faculté des sciences politiques,
chargée de former les jeunes et futurs journalistes, partage le même destin. Cette Faculté, où
sont recrutés la plupart des journalistes, n'a guère paru particulièrement préoccupée, jusqu'à
présent, par l'éthique journalistique et ses programmes et méthodes de travail n'ont pas changé
au cours des 15 dernières années. L'organisation sporadique par les médias indépendants et
ANEM d'ateliers à l'intention des journalistes n'a pu contribuer à améliorer la structure des
cadres médiatiques.
Malgré le fait que tant l'Association des journalistes de Serbie que l'Union indépendante
des journaliste de Serbie (NUNS), toutes deux fidèles au régime disposent d'un code
définissant les normes fondamentales du comportement éthique et professionnel es
journalistes, ces documents sont restés lettre morte. Il est vrai qu'en créant une Cour d'honneur
(1997) NUNS a fait un pas en avant vers l'introduction systématique d'un code des journalistes
dans la pratique, mais cela n'a pas été plus loin. Après une pause de quatre années, une
publication est parue en 2000 sous le titre "Dossier sur la répression", mais NUNS n'y parlait
plus du comportement des médias indépendants, mais seulement de la rigidité imposée par le
pouvoir. Voici le jugement émis par la Cour d'honneur sur les médias gouvernementaux , et
plus particulièrement sur la RTS (1998:7):
"Ces médias sont au service de la propagande et des cercles gravitant autour du pouvoir,
ils utilisent les mêmes moyens - déformant ou passant sous silence les informations les
plus importantes, les manipulant, les transformant souvent en nouvelles proches du
mensonge, propageant la haine nationale et religieuse, l'intolérance, rejetant toute
opinion différente et la moindre critique des actions mises en oeuvre par le pouvoir."
15
Slobodanka Nedovic et Snezana Milivojevic, dans une publication éditée par "Cesid" et
intitulée "'Des partis absents", ont parfaitement décrit le langage utilisé par la RTS. Nedovic
(1998:8) déclare à ce propos : "La nouvelle stratégie adoptée récemment par les médias
gouvernementaux dans la présentation de l'activité des partis est de moins en moins basée sur
l'opposition et la contestation, de plus en plus sur le mépris et le rejet de des opinions
politiques des autres au cours des débats publics"; Milivojevic remarque pour sa part
(1999:11): "Les organes de l'Etat se sont toujours trouvés au centre des émissions de la
télévision, mais au terme d'un accord entre la coalition des trois partis, SPS-JUL-SRS, ils se
sont vus relégués au second plan. La répartition de leur temps d'audience est définie à
l'intérieur même de cette coalition. Cet arrangement arbitraire ne correspond ni à la réalité
politique ni à l'attrait médiatique des acteurs, néanmoins 3:2:1, telle est la proportion que la
télévision respecte scrupuleusement. Alors que les autres partis politiques sont totalement
marginalisés, quelle que soit leur importance au sein du parlement, du corps électoral ou de la
vie publique. (...) La première tâche assignée aux médias est la recherche d'un consensus
national et "supranational" sur la reconstruction du pays et l'opposition au reste du monde,
c'est-à-dire à tous les pays ayant participé au bombardement de la Yougoslavie (...) Une vision
autre de la solution de la crise, de ses différents aspects ou de ses causes n'a jamais été
présentée dans les médias de l'Etat".
Comme il se doit, à la RTS, Politika, Tanjug, Borba, la "propagation de la haine",
unique contexte où les partis de l'opposition se voient mentionnés, ainsi que les médias nongouvernementaux, a gagné en intensité au cours de la campagne pour les élections de l'an
2000. Les journalistes se sont vus quotidiennement traités de traîtres, cinquième colonne,
terroristes, une "documentation sur l'alliance entre les médias locaux indépendants et les
centres occidentaux antiserbes" a été publiée, et il y a même eu des cas de menace de
liquidation physique.
D'une manière générale, dans cette atmosphère de lynchage, la plupart des médias
indépendants ont réussi a conservé un maximum de professionnalisme tout en gardant leurs
distances vis-à-vis des partis. Il faut noter qu'en Serbie jusqu'à présent le journalisme
scientifique a été "sacrifié", seules les revues NIN et "Vreme" exploitent sérieusement ce
domaine. Les conférences de presse sont devenues les principales sources d'information,
particulièrement à l'occasion des nouvelles télévisées, et comme le fait remarquer Dragos
Ivanovic d'une manière peut-être un peu trop sévère (1999:83) "Le journalisme est basé sur les
conférences de presse et les interviews, se voyant ainsi réduit à la simple retransmission d'une
16
autre propagande (...) La conférence de presse, en tant qu'imitation de la vie, devient
l'interprète incontournable du sens même de cette vie. Les manipulateurs organisent la vie (à
leur propre gré), les journalistes la retransmettent de manière non critique, et le public, blotti
dans son coin, absorbe tout cela avec de plus en plus de dégoût."
La structure de la propriété
La stricte répartition entre médias de l'Etat et médias indépendants n'a pas son
équivalent sur le plan de la propriété. Les entreprises les plus importantes et plus influentes,
avant tout la RTS14 et Tanjug, ainsi que Radio Belgrade et le quotidien Borba, sont gérés soit
par la République, soit par le Gouvernement fédéral. La maison d'édition "Politika",
particulièrement influente, est dirigée par une société d'actionnaires et est donc propriété
privée; néanmoins, la plupart des actionnaires sont des entreprises d'Etat telles que
"Jugopetrol", et aussi des banques privées proches du régime, comme la Banque commerciale
de Belgrade. Le quotidien "Vecernje novosti" a été récupéré par le Gouvernement fédéral en
mars 2000 et intégré à "Borba", son statut d'entreprise privée se voyant aboli.
La privatisation des médias a été entamée en 1991, conformément à la Loi sur la
privatisation adoptée par le Gouvernement d'Ante Markovic, mais elle a été en grande partie
modifiée à deux reprises et, dans les entreprises médiatiques, le processus de privatisation, de
comptabilisation et de distribution des parts entre les employés, a été repris au début. Les
principaux amendements apportés à cette Loi avaient été proposés par le parti démocratique,
en 1992, et ont servi au régime pour enrayer le processus de privatisation de "Borba", le
transformant de nouveau en une propriété de l'Etat fédéral.
Pratiquement, parmi les médias non contrôlés par le régime, seule la privatisation de la
revue NIN n'a pas été contestée.
Parmi les médias qui ne sont pas sous le contrôle du régime, il y a aussi des entreprises
publiques, telles des radiotélévisions et journaux dont les fondateurs et propriétaires sont les
assemblées municipales où, depuis les élections de 1996, la Coalition a la majorité.15 Après
la victoire du DOS aux élections locales, au mois de septembre 2000, leur nombre ira
14La RTS est financée par l'ensemble des citoyens, à travers le versement de taxes obligatoires prélevées sur les
notes d'électricité, Tanjug et Borba par le budget de l'Etat.
15Il est intéressant de noter qu'à la veille même des élections de 2000, le régime avait créé une dizaine de
stations de télévision, propriétés du SPS et de la JUL, et ce dans les endroits précisément où les membres de
l'ancienne opposition, la Coalition "Zajedno", occupaient le pouvoir ( ils avaient remporté les élections locales en
17
augmentant, car cette coalition l'a emporté dans plus de 90 villes et communes, soit 40% de
plus qu'aux dernières élections. C'est en Voïvodine que l'on trouve le plus grand nombre de
médias appartenant à l'Etat. C'est là un héritage du socialisme autogestionnaire, mais cela est
dû aussi à la composition multiethnique de la population de cette province, le pouvoir
socialiste ayant autrefois largement encouragé et subventionné la création de publications
ethniques, sous condition qu'elles ne traitent que de leur propre culture nationale. C'est par
ailleurs en Voïvodine que l'on trouve le moins de stations de télévision privées, car le régime
s'est montré ici beaucoup plus rigoureux concernant l'installation d'émetteurs que dans les
autres régions de l'Etat. La raison en est la configuration du sol - une plaine qui permet à la
RTS de couvrir l'ensemble de la Voïvodine avec un unique émetteur situé à Fruska Gora et
l'Etat n'est pas prêt à renoncer à ce monopole.
Dans l'ensemble, en Serbie, les médias non-gouvernementaux peuvent être répartis en
deux groupes - ceux qui appartiennent à la municipalité, dans les villes administrées par des
partis à inspiration démocratique, et ceux qui ne sont soutenus par aucune organisation
politique ou pouvoir local et appartiennent soit à des particuliers, soit à un groupe. Les médias
"municipaux" sont protégés par les autorités locales, ce qui n'est pas vraiment le cas pour les
médias privés.
Les stations de radiotélévision les plus puissantes, les plus écoutées et plus suivies sont
des stations appartenant à des personnalités au pouvoir, ce qui est compréhensible étant donné
qu'au cours des dernières années l'Etat s'est montré particulièrement bienveillant à l'égard des
propriétaires, alors que les stations appartenant au "camp opposé" se voyaient étouffées de
toutes les manières possibles, surtout à travers des mesures financières.
La situation est tout à fait différente dans le domaine de la presse. On trouve les
journaux les plus influents et au plus grand tirage dans le secteur privé. Le tirage du quotidien
"Blic", journal privé et non-gouvernemental, était de 230.000 exemplaires (plus que tous les
autres quotidiens de Serbie réunis), jusqu'à ce que, l'hiver dernier, l'imprimerie de "Borba",
qui appartient à l'Etat, ait cessé de lui assurer ses services, sans même respecter le délai
d'avertissement d'un mois. Le tirage de Blic a diminué de moitié, pourtant ce journal est resté
l'un des plus populaires en Serbie, aux côtés de deux autres publications indépendantes "Glas
javnosti" et "Danas", et le nombre de ses lecteurs est supérieur à celui des quotidiens du
régime.
1997): à Pirot, Nis, Kragujevac, Uzica, Cacak, Sombor, Kikinda, Becej, Vrnjacka Banja, Vrsac, Varvarin, Backa
Palenta et dans la commune de Cukarica, à Belgrade.
18
1.3 L'association des réseaux - moyen de protection des médias non-gouvernementaux
Le régime s'étant approprié ce qui "appartenait à tous les citoyens" et ayant mis la main
sur l'ensemble de l'infrastructure sociale héritée de la période socialiste, ceux qui s'y sont
opposés, de quelque manière que ce soit, ont dû, dès le début, se procurer eux-mêmes toute
l'infrastructure nécessaire. A la différence, disons, de la Croatie, l'Union des journalistes de
Serbie - et ses biens - sont restés entre les mains des partisans du régime, alors que les
journalistes désireux de conserver leur propre autonomie professionnelle - 1.000 environ étaient jetés à la rue. La même chose s'est passé avec le syndicat. C'est pourquoi une nouvelle
association corporative a été formée entre le Syndicat indépendant des journalistes,
l'association des journalistes indépendants, un réseau professionnel de programmation et une
association proche de l'ANEM, de "Spektar" et de Local presse.
Etant parties de rien et devant faire face à l'opposition d'un régime fort, ces associations
n'ont pas véritablement réussi à protéger les médias et journalistes indépendants. Leur
résistance au régime n'a jamais cessé, mais ne s'est pas renforcée au même rythme que la
répression, et n'a pas atteint un niveau d'organisation professionnelle et politique satisfaisant.
Exception faite de l'ANEM, dont il a été question dans le chapitre précédent, ces associations
ont échoué dans leurs efforts pour créer un système médiatique parallèle et cohérent de
réseaux et associations, à l'image du régime. Certains membres des médias estiment que l'un
des plus grands obstacles est l'opinion largement répandue dans les rédactions des médias
non-gouvernementaux, selon laquelle la théorie de l'adoption d'une "équidistance"16 envers
tous les acteurs politiques est un préalable à tout journalisme indépendant.
NUNS a été fondée le 26 mars 1994, en tant qu'organisation professionnelle n'étant
rattachée à aucun parti et poursuivant les objectifs suivants: un journalisme libre et des médias
pluralistes, la promotion des normes professionnelles et éthiques, la protection des droits et
intérêts des journalistes (et professionnels des médias) - protection syndicale et juridique y
comprise - la coopération entre les journalistes et unions de journalistes, tant à l'intérieur du
pays qu'à l'étranger. Depuis 1994, NUNS est membre de la Fédération internationale des
journalistes (IFJ) dont le siège se trouve à Bruxelles. La majorité de ses 1.100 membres sont
des journalistes indépendants, dont 70% sont diplômés des universités et jouissent d'une
longue expérience dans cette branche, si bien que l'on y trouve aussi un important marché des
16Un débat sur le problème de l'équidistance vis-à-vis, par exemple, des protagonistes et adversaires de la guerre
ou sur la question de savoir si ce genre de "professionnalisme" ne servait pas à cacher la vérité, s'est tenu dans les
colonnes de la revue gouvernementale "Republika" (n° 118. 1995).
19
meilleurs journalistes ayant perdu leur emploi. Cette association, en coopération avec l'IFJ,
offre une aide juridique gratuite aux journalistes exposés à la répression du régime et s'efforce
de leur permettre de faire valoir leurs droits professionnels, ou autres droits liés à leur travail.
Un Fonds de solidarité a été fondé dans le but d'offrir une aide matérielle aux membres les
plus menacés. Cette aide est financée par des donations et, en partie, par les souscriptions.
"Spektar" et Local-press avaient été créés tout d'abord en fonction des besoins
spécifiques de la presse et des médias électroniques privés dans de petits milieux urbains, à
l'intérieur de la Serbie. L'association "Spektar" rassemble 56 propriétaires de stations
radiophoniques et télévisuelles locales dans presque toutes les grandes ville de Serbie (22 TV
et 52 stations de radio). Elle a été créée en 1997, sur l'initiative de 14 propriétaires, en tant que
service consultatif, administratif et technique à la disposition de l'ensemble de ses membres.
Elle coopère également avec une dizaine de propriétaires de RTV privées, qui n'en sont
pourtant pas membres. Ses buts sont les suivants : légalisation des stations de radiotélévision
privées et la garantie, à long terme, de leur sécurité juridique; création d'un libre marché des
médias et respect du droit des rédactions à suivre leur propre politique; articulation des
intérêts collectifs et information de l'opinion publique; protection contre les diverses formes
de répression mises en oeuvre par l'Etat (aide juridique, consultative et technique);
introduction et développement des normes professionnelles, ce qui sous-entend la fourniture
de l'équipement nécessaire; instruction et formation professionnelle des rédacteurs, ainsi que
du personnel des services de production; formation d'un service publicitaire économique
commun et réalisation de différents projets dans le domaine du marketing.
Local-press poursuit des objectifs similaires au niveau de la presse et a été créé au cours
de l'année 1995 grâce à l'association de 22 journaux locaux et régionaux, au niveau des
rédactions. La condition d'admission à cette association est l'indépendance vis-à-vis des partis
politiques, qui ne peuvent être membres-fondateurs de Local-press. Le tirage global des 22
journaux s'élève à 260.000, mais l'on estime que chaque exemplaire est repris par quatre à
cinq lecteurs. S'il faut en juger par les nombreuses accusations visant la Loi sur l'information,
leur influence politique n'est pas négligeable et l'on souligne souvent le fait que la Coalition
"Zajedno" l'a emporté dans les villes où il y avait des journaux locaux indépendants. Mis à
part le bi-hebdomadaire régional en langue hongroise "Porodicni krug (Le cercle familial), qui
a un caractère récréatif et a le plus grand tirage (23.000 exemplaires), tous les autres journaux
ont un caractère politique (70% d'articles politiques). Leur commune caractéristique est une
20
existence précaire, le manque d'équipement technique et de cadres, des problèmes de papier,
d'imprimerie et de distribution.
1.4 Blocus financier des médias
Outre les condamnations drastiques découlant de la Loi sur l'information et dont ont été
victimes les médias non-gouvernementaux - au cours de l'an 2000 surtout - et grâce
auxquelles, par exemple, l'Etat a encaissé environ 30 millions de dinars entre octobre 1998,
date de la promulgation de cette Loi, et avril 2000 - le principal problème financier auquel
s'est vue confrontée la presse a été le prix de vente dérisoire des journaux. Pour respecter la
norme européenne, selon laquelle le prix d'un exemplaire doit correspondre à celui d'un kilo
de papier, les journaux devraient coûter quatre fois plus, les revues au moins deux fois plus
qu'à présent. Alors que les prix des journaux sont extrêmement bas, les plus bas en Europe, les
frais atteignent le niveau européen - un mark pour un kilo de papier. Etant donné ces prix, les
journaux sont généralement déficitaires, le papier représentant à lui seul entre 55 et 60% des
frais. La livraison du papier pose elle aussi de gros problèmes, car l'unique fabrique de papier
en RFY - Matroz - obéissant la plupart du temps aux directives de l'Etat, ou en raison de
réelles difficultés, en interrompt souvent la fourniture. C'est confrontée à ce genre de
problèmes que la revue politique "Blic News" a décidé de ne plus paraître, après 40 éditions.
Son propriétaire a préféré sacrifier cette revue, qui commençait tout juste à se faire une place
sur le marché, pour pouvoir sauver son journal quotidien.
Dans l'ensemble, la presse proche du régime ne souffre pas de la pénurie de papier, car
la fabrique Matroz lui fournit régulièrement les quantités nécessaires, ce qui dans la situation
ayant précédé les élections de 2000, représentait encore l'un des avantages du système. Début
2000, le ministère du commerce a introduit une nouvelle réglementation sur l'importation du
papier, et seules les entreprises ayant reçu l'autorisation de ce ministère pouvaient commander
ce produit déficitaire à l'étranger. Le fait que seules les entreprises proches du régime aient
obtenu cette autorisation n'est un secret pour personne. Le papier que les médias nongouvernementaux achetaient directement à des sociétés d'importation proches du régime
coûtait deux fois plus cher que celui de la fabrique Matroz. Laquelle vendait d'ailleurs son
papier à moitié prix aux journaux proches du régime.
Dans la presse, la plupart des médias non-gouvernementaux réalisent jusqu'à 90% de
leur revenu grâce à la vente des journaux et seulement 10% grâce à la publicité. L'une des
raisons de cette situation peu enviable est l'interdiction "informelle" imposée aux firmes de
21
l'Etat de placer leur publicité dans les journaux non contrôlés par le régime, auxquelles il est
d'ailleurs "recommandé" de les placer uniquement dans les médias gouvernementaux, ceci
étant, naturellement, à l'avantage de l'Etat. L'absence de marketing dans la presse est aussi le
résultat de la paupérisation générale de la population, et du fait que les réclames ne donnent
aucun résultat. Ce qu'illustre l'exemple de la compagnie Bosch qui avait acheté, en 1998, une
page de publicité pour ses machines à laver. Au cours de sa première campagne, Bosch avait
vendu 500 machines, après la seconde - aucune. Cette firme a donc renoncé à faire de la
publicité en Serbie, estimant que dans le meilleur des cas, elle ne pourrait y vendre que 500
machines. Bref, face à cette situation politique et aux conditions du marché, les médias, dans
l'ensemble, ne peuvent subsister que grâce aux donations.
La situation financière des médias électroniques non-gouvernementaux est encore pire,
car en-dehors des amendes généralement imposées à la presse, ils doivent répondre aux
exigences du Gouvernement fédéral et lui verser des taxes importantes pour l'utilisation de
leurs propres fréquences, mais pour celles aussi qu'ils n'utilisent pas légalement (voir à ce
sujet la rubrique "manipulation des fréquences"). Et alors que la RTS encaisse tous les mois,
au nom des taxes prélevées sur les notes d'électricité, environ 18,5 millions de DM et jouit du
droit informel de répondre aux demandes publicitaires de toutes les firmes proches du régime,
alors que les sociétés étrangères émettent leurs réclames sur les stations de TV les plus
populaires qui sont aux mains du régime ou lui sont proches17, les RTV nongouvernementales, et les stations privées surtout, ne subsistent dans l'ensemble que grâce à
des donations. En, Serbie, c'est la Fondation Soros - ou plus exactement le Fonds pour une
société ouverte - le plus grand donateur soutenant les médias non-gouvernementaux, c'est
aussi le seul à avoir été continuellement présent au cours des dix dernières années. Les
donations se présentent la plupart du temps sous forme d'ordinateurs et autres équipements,
fournitures en papier-journal, mais aussi sous forme de l'organisation d'ateliers, écoles et
autres centres de formation destinés aux journalistes.
Les régimes proches du régime doivent en grande partie leur popularité à l'émissionpirate des films et spots musicaux les plus récents. Leur cynisme et leur mépris de toutes les
normes légales et du code des journalistes, particulièrement évidents dans le domaine de la
17Selon un rapport de l'agence SMMRI de Belgrade, telle a été l'origine des recettes encaissées grâce à la
publicité au cours de l'année 1998 par les 11 principales stations de télévision: RTS1, RTS2, RTS 3K, Pink, BK,
Studio B, Palma, Politika, SOS, ART, NS-plus: Procters&Gamble est en première place avec 4429760$, suivi
de: Stimorol - 4117188$, Wrigley - 391779941 $, SI&SI Subotica (produit national) - 3917841 $, les Brasseries
d'Apatin - 1528774$, British American Tobacco - 1450485 et Coca-Cola - 14407405$...
22
politique et de l'information, sont aussi manifestes non seulement vis-à-vis du droit de
propriété des sociétés étrangères, mais également dans leur comportement arrogant vis-à-vis
de la propriété culturelle et intellectuelle locale. La RTS et les autres télévisions du régime ne
versent pas non plus les droits d'auteur revenant aux cinéastes et musiciens locaux, bien qu'ils
y soient tenus aux termes de la loi sur la protection des droits d'auteur. Les nombreuses
plaintes déposées jusqu'à présent n'ont donné aucun résultat.
Dans cette atmosphère financière particulièrement incertaine, les agences de presse nongouvernementales, et plus particulièrement la plus importante d'entre elles - Beta - ont de
grandes difficultés à se faire payer leurs services, la majorité de leurs clients n'étant pas en
position de le faire. En raison des énormes amendes infligées aux médias nongouvernementaux, l'acquittement des sommes dues aux agences est très souvent reporté. Par
exemple, fin avril, l'agence Beta possédait un actif non encaissé de 100.000 DM, somme
correspondant à six mois de salaires. Les prix des services offerts par les agences représentent
eux aussi un facteur freinant leur développement. La majorité des usagers ne peuvent pas
payer le prix réel du produit de base, et les prix sont dans l'ensemble dépréciés. Selon des
informations en provenance de Beta, le prix réel d'un service quotidien devrait être d'environ
1.000 DM, mais tenu compte de la réalité sur le marché, elle a dû le réduire de moitié - soit
500 DM environ.
Les deux réseaux de distribution les plus répandus en Serbie ("Politika" et "Stampa")
dépendent eux aussi de l'Etat et représentent un moyen de plus pour étouffer les médias qui ne
sont pas sous son contrôle. Non seulement ces organisations refusent de temps à autre de
transporter la presse non-gouvernementale, mais elles reversent aux journaux le montant des
ventes, au mieux, avec un mois de retard. Ce qui, vu l'inflation, représente une difficulté de
plus. Ce problème a été récemment résolu en partie, l'Association des médias privés ayant créé
une entreprise de transport - APM. Néanmoins celle-ci, dans les périodes de pénurie
d'essence, se voit contrainte à s'en procurer au marché noir, ce qui augmente le prix du
transport. En Serbie centrale et méridionale, où les journaux locaux sont très recherchés, il
arrive aux journalistes de transporter eux-mêmes ces journaux dans leur voiture. Dans quels
cas la police, presqu'automatiquement, les arrête, les maltraite, ordonne souvent la révision
technique de leur voiture, saisit et détruit leurs journaux.
23
2. Deuxième partie - la législation des médias
L'expérience de toutes les sociétés d'Europe de l'Est ont montré qu'au cours du processus
de la transition du communisme vers le post-communisme, les efforts des régimes politiques
pour conserver le modèle absolutiste du contrôle de l'opinion publique ont été constants, mais
qu'ils se sont heurtés à la résistance de l'opinion publique et de l'ensemble du sous-système
culturel. Si la RFY a été le seul pays de l'Europe du Sud-Est où ce modèle a réussi à se
maintenir au point que le droit à l'information s'est vu pratiquement aboli, cela n'est
certainement pas dû à l'absence d'opposition. La raison doit en être recherchée dans les guerres
où la Serbie a été impliquée, directement ou indirectement, au cours de la dernière décennie et
dont l'apothéose a été l'intervention de l'OTAN en 1999 et, sur le plan intérieur, l'utilisation
par le régime de ces tragiques événements pour renforcer son contrôle sur les médias. Ce sont
les lois adoptées dans ce domaine dès la prise du pouvoir par Slobodan Milosevic, partant de
la Loi sur la RTS jusqu'à la Loi sur l'information, qui ont été utilisées, de manière permanente,
pour soumettre les médias aux intérêts du régime.
2.1 Manipulation des fréquences
" Il faut, pour pouvoir ouvrir une station de radio ou de TV, disposer d'un émetteur et de
"links" dont l'acquisition, selon nos lois, ne peut se faire sans autorisation. Mais il est difficile
de savoir qui accorde ces autorisations, les rapports et compétences de la fédération n'ayant
pas été régularisés de manière précise. Dans notre pays, pour créer une société, il faut tout
d'abord disposer d'une fréquence et d'une autorisation et, pour obtenir une fréquence et une
autorisation, posséder d'abord une société. Ou, pour être inscrit au registre du Ministère de
l'information , il faut d'abord une autorisation, mais l'on ne peut obtenir cette autorisation que
si l'on n'est inscrit sur le registre". C'est ainsi que Milos Zivkovic, conseiller juridique auprès
de l'ANEM, décrit dans son ouvrage "Dossier sur la répression" (1999), le chaos régnant dans
le domaine de la réglementation juridique dont dépendent les médias électroniques,
constamment utilisé par le régime en tant que menace permanente et possibilité de clore les
stations et de s'emparer de leur équipement, ce qui s'est d'ailleurs passé à plusieurs reprises."
Grâce aux lois imprécises et contradictoires régissant ce domaine, aucun des médias
électroniques non-gouvernementaux en Serbie n'a pu résoudre de manière satisfaisante le
problème des permis de travail et d'utilisation des fréquences. Le fait que plusieurs stations
RTV municipales aient pu émettre sans autorisation lorsque leurs municipalités se trouvaient
aux mains du SPS, illustre le double comportement du régime vis-à-vis des médias
24
gouvernementaux ou non-gouvernementaux. Les changements de pouvoir au lendemain des
élections locales de 1996, furent à l'origine d'une série de menaces, retrait des permis de
travail et confiscation des émetteurs et autres équipements, sous prétexte que les autorisations
n'étaient pas valables. Elles ont même été retirées à ceux qui, techniquement parlant,
remplissaient toutes les conditions; le fait est que si certaines stations privées décidaient
d'inclure à leur programme à caractère purement récréatif un service d'information politique,
et si ces informations étaient objectives et les commentaires critiques vis-à-vis du régime,
elles faisaient aussitôt l'objet de mesures répressives.
a) Manque d'harmonisation et contradictions des lois
Bien que l'oppression des médias non-gouvernementaux s'exerce le plus souvent, et de
la manière de la plus drastique, sur la base de la Loi sur l'information, son abrogation ne
suffirait pourtant pas à résoudre le statut peu enviable des médias électroniques en Serbie, ce
domaine étant réglementé par certaines lois républicaines et fédérales rigides, en retard sur les
normes européennes.
LES LOIS FEDERALES
•
Loi sur les systèmes de liaisons en RSFY (Journal off.n° 41/88)
•
Loi sur les bases du système de l'information publique RSFY (Journal ff. n°
84/90).
LOIS DE LA REPUBLIQUE DE SERBIE
•
Loi sur les systèmes de liaisons (Journal off. RS 38/91).
•
Loi sur l'information publique (Journal off. RS 19/91)
•
Loi sur la radiotélévision (Journal off. RS n° 48/91).
Bien que ne paraissant pas, au premier abord, directement lié au domaine de
l'information, car il s'agit ici de secteurs économiques dont les systèmes de radiotélévision ne
font généralement pas partie, le domaine des médias tombe sous le coup de la Loi sur les
entreprises publiques, adoptée par l'Assemblée de la Serbie le 23 octobre 1990, avant la tenue
des premières élections multipartites. En effet, malgré l'existence de solutions plus modernes
dans les pays européens développés, où il existe divers modes d'organisation des biens
(entreprises publiques, publiques et juridiques, organisations des radiotélévisions, institutions
publiques sous monopole de l'Etat, sociétés juridiques privées et diverses autres formes
25
d'institutions) les autorités étaient décidées à garder la main mise sur tous les principaux
leviers de l'Etat. Aussi une loi a-t-elle été adoptée, stipulant que l'industrie électrique, les
chemins de fer, les Postes, transports aériens, aménagement des routes, économie forestière et
radiotélévision devaient être organisés en entreprises publiques dirigées par l'Etat, soit en fin
de compte - par le principal parti dirigeant.
Après la décision des pays européens et des Etats-unis d'éliminer tout monopole sur le
marché des télécommunications, au cours des dernières années de nouvelles lois18 ont été
adoptées dans ce domaine par un grand nombre des pays développés. Tendance qui n'a pas été
suivie en Serbie - et c'est le moins que l'on puisse dire - si bien que la réglementation, avant
tout celle qui est basée sur la Loi fédérale sur les systèmes de liaisons datant de1988 se trouve,
selon les nouveaux critères, tout à fait dépassée. Une autre caractéristique des règlements sur
la répartition des fréquences et leur utilisation est leur manque d'harmonisation évidente, ce
qui entraîne; dans la pratique, diverses incertitudes, au point que l'on ne sait même pas qui est
vraiment en charge de la distribution des fréquences - les organes fédéraux ou ceux de la
république. Faisons donc, en gros, le point de la situation.
La loi fédérale sur les systèmes de liaisons et la répartition des fréquences évoque ce
domaine d'une manière générale dans ses articles 64 à 67, sans préciser quel est l'organe
compétent en la matière, ni sous quelles conditions les fréquences sont attribuées. L'article
6619 de cette loi stipule: "Les utilisateurs des fréquences radio peuvent se voir attribuer une
ou plusieurs fréquences exclusives, communes ou générales, en fonction du plan de répartition
des radiofréquences". Cette clause ne se rapporte pas uniquement aux fréquences servant à
l'émission de programmes radiophoniques et télévisuels par les médias électroniques, mais
aussi aux fréquences utilisées par la police, l'armée, les contrôleurs aériens, etc.. La loi de la
république sur les systèmes de liaisons aborde le problème de la répartition des fréquences
d'une manière un peu plus précise, spécifiant du moins quel est l'organe compétent chargé de
parachever la loi sur l'allocation des fréquences. L'article 26 de cette loi stipule: " Les
fréquences radio dont dispose la République de Serbie sont accordées aux utilisateurs sous des
conditions définies dans un décret spécial, promulgué par le Gouvernement de la République
de Serbie".
18Des lois ont été adoptées par l'Allemagne, la Suisse et l'Amérique au milieu des années 90.
19Le gouvernement s'est référé à cet article au moment de la parution d'une communication publique sur la
répartition et utilisation, à titre temporaire, des fréquences par les radios et chaînes de télévision, en février 1998.
Dans le préambule, les articles 64,67 et 72 de cette loi sont également cités.
26
La loi sur la radiotélévision est un peu plus précise concernant l'attribution des
fréquences, particulièrement la première partie, intitulée '"règlements sur la radiodiffusion". Il
est stipulé, dans les article 4 à 11, que la demande d'utilisation des fréquences mises à la
disposition de la République de Serbie doit être déposée auprès du Gouvernement de cette
République20, définit les termes dans lesquels elle doit être formulée21, quelles sont les
règles dans les cas concurrentiels, soulignant que l'avantage accordé à un concurrent
déterminé dépend de l'orientation de ses futurs programmes. La clause de l'article 5, alinéa 2,
est également importante, déclarant que toute utilisation d'une fréquence est sujette à une
contribution, dont le montant est fixé par décret du Gouvernement de Serbie, ainsi que de
l'article 6 selon lequel toutes les fréquences, exception faite de celles assignées à la RTS
doivent être attribuées uniquement et exclusivement à la suite d'un concours public. Toute
aussi importante est la clause de l'article 7, où il est déclaré: "Le Gouvernement de la
République de Serbie, se basant sur les plans et possibilités du système de radiodiffusion,
détermine quelles sont les fréquences à allouer et organise chaque année un concours à cet
effet, où doivent être définies les fréquences radio, leur location et conditions d'utilisation." La
loi prévoit que les fréquences seront attribuées pour une période limite de dix années et
qu'elles peuvent être retirées dans la mesure où les exigences de la coordination internationale
du plan de fréquences l'exige, ou si son utilisation trouble l'émission de programmes
particulièrement importants pour la Serbie.
Les principales critiques émises par les médias indépendants portent sur les exigences
posées pour l'attribution des fréquences - qui sont trop sévères - sur le fait aussi que ces
autorisations peuvent être retirées à tout moment. La plus grande difficulté réside dans le fait
que les autorisations exigées pour les émetteurs et les "links" (stations-radio de radiodiffusion)
sont basées sur la loi de répartition des fréquences, et que s'il n'y a pas d'harmonisation entre
cette loi et les règles régissant l'autorisation exigée pour les émetteurs, il ne pourra y avoir de
système cohérent de réglementation du volet "télécommunication" des droits des médias, soit
du droit de télécommunication lié aux médias électroniques.
20Article 4, alinéa 1 cette loi.
21L'article 4, alinéa 2 de la loi. Il convient de souligner ici qu'il faut présenter, au moment de la demande
d'attribution d'une fréquence, un "petit million" de renseignements: orientation des programmes, rapport
technique, justification de l'existence des moyens nécessaires à l'exploitation de la fréquence, mode de
financement, et aussi un avis de l'organe de la république compétent concernant les possibilités techniques
d'utilisation.
27
b) Attribution et retrait des permis pour des motifs politiques
Les lois fédérales ont été oubliées pendant un certain temps en Serbie. La Serbie, par
exemple, prévalait sur la fédération dans le domaine de la radiodiffusion. Certaines clauses
générales de la loi sur la radiotélévision octroient au gouvernement de la République le droit
de régler les problèmes des fréquences et de veiller à rétablir l'ordre parmi les médias
électroniques. C'est cette loi qui décrit les conditions sous lesquelles les permis sont délivrés
aux stations RTV, pourtant, lorsque le but est de semer la confusion et de compliquer la vie
des nombreux centres RTV locaux, privés ou publics, le régime soumet l'octroi des permis
aux règles dictées par la loi fédérale.
La réglementation fédérale relative à l'allocation des permis et aux taxes imposées pour
l'utilisation temporaire des fréquences, adoptée sur décision du Gouvernement fédéral en
1998, a été réactualisée au mois de mars 2000, après que le ministre fédéral des
télécommunications ait annoncé la fermeture de plus de 250 stations RTV en Serbie, par ce
qu'elles ne possédaient pas de permis. Les permis permanents alloués aux entreprises
publiques (RTV Cacak, Kragujevac, Pancevo...) se sont vus transformés fin 1988 en permis
temporaires, soumis au versement de nouvelles taxes. Auparavant, les stations disposant de
permis "permanents", c'est-à-dire valables sur10 ans, étaient exemptés de taxes. Seule la
Radio B92, station indépendante autrefois très populaire,qui a ensuite été reprise par le
régime, en fait par le Conseil de la jeunesse de Belgrade, a été admise au concours. Il y a déjà
deux ans que les autres stations n'obtiennent plus aucune réponse concernant les concours, à
par le fait qu'on leur réclame de temps à autres de nouveaux documents, etc.. Les taxes sont
fixées selon des critères tels que le "nombre d'auditeurs" ou le "degré de développement de la
commune" et, en règle générale, dépassent les possibilités financières tant des médias que des
communes (on exige en moyenne plus de 120 millions de dinars).
c) L'absence de toute planification des radio-fréquences entraîne la désorganisation
dans ce domaine
L'anarchie et l'arbitraire règnent en permanence dans le domaine de l'attribution des
fréquences dans l'ensemble de la RFY, mais plus particulièrement en Serbie; ce que prouve la
pratique observée dans ce domaine au cours des dernières années depuis l'adoption de la loi, et
depuis que sont apparues différentes stations de radio et de télévision privées, à l'échelle
locale et régionale. Le gouvernement de Serbie, malgré la clause déjà mentionnée de l'article 7
de la Loi sur la radio et la télévision, du 6 février 1994, n'a jusqu'à présent organisé aucun
28
concours pour l'attribution de fréquences radiophoniques ou télévisuelles, bien qu'il soit tenu
par la loi d'organiser un concours chaque année. C'est pourquoi, depuis lors, aucune station de
radio ou de télévision n'a pu être créée légalement et mise en circulation (ceci étant également
vrai pour les stations n'ayant pas obtenu de fréquences au dernier concours22).
L'allocation de fréquences aux médias est par ailleurs toujours entourée de mystère et de
secret. Les plans ne sont jamais présentés à l'opinion publique (plan de répartition et plan
d'utilisation), ce qui lui aurait permis de savoir quelles sont les fréquences destinées aux
médias électroniques, lesquelles sont attribuées à la Serbie, au Monténégro, ou à l'Etat fédéral.
Les raisons à l'origine des décisions ne sont jamais expliquées au public - elles n'ont jamais
été argumentées, sont tout simplement publiées sur la liste désignant les "heureux élus". Dans
la pratique, grâce à l'inertie - tout à fait illégale - du Gouvernement de Serbie, l'attribution des
fréquences s'est vue "transférée", au cours des quatre dernières années, à la RTS23, car selon
l'article 6 de la Loi sur la radiotélévision, la RTS est la seule à pouvoir obtenir ses fréquences
sans se présenter au concours (ce dont elle a tiré le meilleur parti), et l'article 15 de cette
même loi lui permet de disposer, sous contrat, de ses propres fréquences et émetteurs. Ainsi,
pour les médias qui n'ont pas réussi à obtenir à temps du Gouvernement de Serbie le droit
d'utiliser des fréquences, la seule solution est de passer un accord avec la RTS, celle-ci ayant
le droit, sous rétribution, d'émettre les programmes d'un autre média électronique sur ses
propres fréquences et à travers ses propres émetteurs. En ce qui concerne ces rétributions, il
est intéressant de noter que la Loi sur la radiotélévision en a prévu l'introduction. Ceci par
décret24, promulgué par le Gouvernement de Serbie conformément à la loi, mais en fait elles
n'ont pas été encaissées. Donc, bien qu'il y ait, en Serbie, une base juridique permettant le
prélevement de taxes pour l'utilisation des fréquences, ceci n'a jamais été le cas.
Pour terminer ce chapitre sur les manipulations dans l'utilisation des fréquences,
mentionnons le fait que d'après les contrats en cours, les permis d'utilisation détenus par les
22 Les résultats de ce concours avaient été publiés dans le Journal officiel de Serbie n° 23/1994, p. 532 ff. Il est
intéressant de noter que les stations ayant déposé leur dossier à ce concours n'ont jamais été informées des
raisons pour lesquelles leur demande avait été rejetée. C'est à l'occasion de ce concours, que BK TELEKOM ,
une TV privée, propriété de l'un des hommes les plus riches de Serbie dont l'ascension vertigineuse est associée à
l'arrivée de Milosevic au pouvoir, a obtenu son permis.
23 C'est ainsi que TV "Pink", TV "Palma" et certaines autres stations de télévision locales de l'intérieur ont
commencé à émettre, comme avaient pu le faire auparavant Radio B et Radio Index, à Belgrade.
24 Décret sur le montant des rétribution pour l'utilisation des radiofréquences. (Journal officiel de Serbie, n°
35/92).
29
stations de radio sont arrivés à terme l'année dernière et ceux des stations de télévision cette
année.
2.2 Loi sur l'information publique - suppression de la liberté d'information
"Les périodes de conflit et de climat de guerre encouragent en elles-mêmes les
tendances à l'uniformisation et l'unification des médias, c'est-à-dire qu'elles entravent les
efforts tendant à la pluralisation, l'autonomie et au sentiment de responsabilité des médias par
rapport à l'opinion publique et à la société", constate Stjepan Gredelj, collaborateur à l'Agence
"Argument", spécialisée dans les recherches politicologiques et sociologiques appliquées
("Pour une radiodiffusion démocratique", (1993:9), Fondation Soros, Yougoslavie, Belgrade,
1993). Cette thèse se voit étayée par le fait que, bien qu'adoptée avant l'intervention de
l'OTAN, la Loi sur l'information publique en Serbie a été appliquée de manière
particulièrement drastique après cet événement et que la "répétition générale", à la veille de
son adoption, avait été en fait le Décret sur l'adoption de mesures spéciales dans les conditions
d'une menace d'attaque des forces armées de l'OTAN sur notre pays, le 8 octobre 1998. Dans
ce décret, les journaux ont été ouvertement accusés de "défaitisme" , ce qui a entraîné leur
interdiction.
Bien que, même avant l'adoption de cette loi en Serbie la réglementation dans ce
domaine ait été contradictoire, dépassée et non adaptée aux normes démocratiques de l'Europe
et du monde, et que la répression contre les médias ait augmenté d'année en année, avec
quelques périodes de répit, ce sont avant tout la Loi sur l'information publique et son
application les "principaux responsables" du fait que, dans le rapport annuel de la fondation
américaine "Fridom haus", la RFY ait été classée, aux côtés du Pérou, de la Russie et de
l'Afrique du Sud, parmi les quatre pays du monde où la liberté de la presse est la plus
menacée.
"L'information publique est libre". Ainsi stipule le premier alinéa de l'article 1 de la Loi.
Bien que l'introduction et les autres clauses de cette Loi proclament le principe du respect de
la liberté de l'information, certaines autres sont en contradiction totale avec ce même principe.
Loi systématique se rapportant au droit fondamental de l'homme à la liberté de l'information,
cette Loi a pourtant été adoptée au cours d'une procédure d'urgence, sans avoir fait l'objet du
moindre débat parlementaire. Elle est inconstitutionnelle et illégale pour les raisons suivantes:
censure et interdiction de retransmission des programmes étrangers et sanctions prévues à cet
effet: "Le tribunal juge les violations à la liberté de la libre information en procédure
30
d'urgence", néanmoins il s'agit là d'un tribunal correctionnel dont le juge est nommé par la
Gouvernement. Parallèlement à l'adoption de la Loi sur l'information, la Loi sur les infractions
a été amendée en vue d'y introduire la disposition suivante : "Toute infraction dans le domaine
de l'information publique peut entraîner des peines importantes". C'est ainsi que les sanctions
infligées aux médias, à leurs propriétaires et rédacteurs, sont actuellement 80 fois plus sévères
que les anciennes sanctions prescrites par cette loi. Il faut souligner par ailleurs que ses
diverses clauses représentent une violation : du Pacte sur les droits civils et politiques ratifié
par la Yougoslavie en 1966; de la Constitution de la RFY (1992); de la Constitution de la
République de Serbie (1990); de la Loi fédérale sur les fondements du système de
l'information publique (1990); des normes internationales générales dans le domaine de la
libre expression et de l'information publique, ainsi que des principaux contenus de la
Convention européenne sur les droits de l'homme. Il est constaté, dans l'analyse critique de la
Loi sur l'information, publiée dans le rapport annuel des experts juridiques du Comité
d'Helsinki pour les droits de l'homme de Serbie:
Les dispositions selon lesquelles les moyens d'information sont tenus d'offrir à l'opinion
publique une information véridique, rapide et complète sont en contradiction directe
avec la Constitution serbe, laquelle proclame cette obligation uniquement lorsqu'il s'agit
de moyens d'information financés par des fonds publics, en contradiction aussi avec
l'interdiction de toute censure. La censure reste possible, étant donné le droit de
discrétion accordé aux organes administratifs, qui peuvent statuer sur ce qui constitue ou
non une information véridique, rapide et complète; en raison aussi de la réglementation
prescrivant les sanctions, et de l'aspect inquisitorial de la procédure lorsqu'il s'agit de
prouver l'inexactitude d'une information ayant été publiée.
Les plus grandes restrictions imposées par cette Loi sont liées à l'interdiction de
retransmettre certains programmes étrangers. Le premier alinéa de l'article 27 de la Loi interdit
toute retransmission ou émission en différé, en partie ou en totalité, de programmes RTV à
caractère politique ou propagandiste d'organisations radiophoniques et télévisuelles
étrangères, fondées par des gouvernements étrangers ou institutions à type non commercial,
exception faite des programmes diffusés en direct ou en différé sur la base de la réciprocité, et
aux termes d'un accord intergouvernemental. Ceci est en contradiction directe avec l'article 46
de la Constitution de la Serbie, qui garantit la liberté des médias, bannit la censure et prévoit
que toute interdiction de distribution de la presse ou de retransmission des nouvelles diffusées
par d'autres moyens d'information ne peut être prise qu'après décision du tribunal compétent,
et ce au cas où cette information menacerait certains principes d'organisation fondamentaux l'ordre constitutionnel, l'intégrité territoriale ou l'indépendance de la Serbie.
31
Il est difficile d'imaginer, dans un état de droit, que les médias puissent ne pas respecter
la Constitution et les lois, car c'est sur cette base précisément qu'ils ont été constitués;
pourtant, en Yougoslavie, au cours des 50 dernières années, pour étouffer la voix des médias,
les pouvoirs se sont précisément servi de formules du type "anticonstitutionnel", "attaque à
l'état de droit", et ainsi de suite. Comme l'ont fait remarquer Plavsic, Radojkovic et
Veljanovski (1993:32) " pour les pouvoirs politiques unipartites, l'idée de la protection de
l'ordre constitutionnel a toujours été le prélude à l'introduction d'un contrôle encore plus strict
de l'activité des médias et des journalistes, leur permettant aussi de sanctionner certains
dissidents sans jugement, pour leurs opinions politiques. D'une manière générale, les
démocraties modernes interdisent uniquement les activités tendant à renverser l'ordre
constitutionnel par la force, ce à quoi les médias eux-mêmes ne peuvent guère participer,
seulement, et éventuellement, leurs propriétaires".
Pourtant, l'interdiction de retransmettre certains programmes étrangers, directement ou
en différé, constitue, même en cas de non réciprocité sur le plan diplomatique, une
"interdiction de retransmettre l'information par d'autres voies", ce qui, selon la Constitution,
n'est possible qu'après décision judiciaire et dans des cas tout à fait précis. Cela est contraire
aux normes européennes et mondiales (on pense ici à l'article 19 du Pacte international sur les
droits civiques et politiques qui stipule très clairement que la liberté d'information sous-entend
"la recherche, la réception et la diffusion d'opinions diverses, sans égard aux frontières", et à
l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme). Surtout si l'on tient compte
du fait que selon l'article 71 de la Loi, c'est l'organe administratif qui devrait décider si un
programme étranger a un "caractère politique ou propagandiste", et non la justice.
Dans la pratique, au cours des deux dernières années, on a surtout fait appel, pour
imposer des sanctions aux médias indépendants, à la Loi sur l'information, plus
particulièrement l'article 11, alinéa 2, qui interdit toute publication ou reproduction
d'informations, articles ou données susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la
réputation d'autrui, ou contenant des expressions blessantes ou indécentes. Etant donné
l'absence d'un code général de l'éthique du journalisme, les critères permettant de déterminer
s'il y ou non atteinte sont des plus imprécis, surtout lorsqu'il s'agit de commentaires ou textes
émettant certains jugements. Bien que le législateur se soit ici référé au principe généralement
reconnu de la protection des libertés et droits des individus, la pratique a montré qu'il pouvait
être aisément manipulé et utilisé pour empêcher les médias d'exposer librement leurs propres
opinions et critiques, et celles d'autres personnalités publiques
32
Particulièrement insidieuse pour les médias indépendants en Serbie a été, et est
demeurée, la procédure pour déterminer les responsabilités et le montant des sanctions
imposées. De par la loi, les accusés (fondateur, éditeur, rédacteur-en-chef, délégué du
fondateur ou imprimeur) sont tenus de prouver, (dans un délai de 24 heures) la véracité de
l'information publiée. Ce qui est non seulement contraire aux principes fondamentaux des
procédures correctionnelles ou pénales, où l'accusé n'est pas tenu de prouver son innocence
mais l'autre partie sa culpabilité, mais a aussi été souvent utilisé lorsque les médias se
voyaient accusés d'avoir publier une déclaration faite à l'occasion de conférences de presse,
dans l'ensemble celles organisées par le parti de l'opposition démocratique. La logique aurait
voulu que l'on accuse celui qui avait fait la déclaration et non le média qui l'avait reproduite,
et dont on attendait qu'il prouve lui-même la véracité. Ce qui lui était impossible,
particulièrement dans les cas où il s'agissait de jugements de valeur.
Situation qui a trouvé sa culmination dans la prescription de sanctions drastiques
(prévoyant la saisie des biens des médias et ceux des propriétaires, rédacteurs et
responsables), ceci dans le but de se venger des médias et de pouvoir les interdire, les délais
de procédure et d'exécution des sanctions ayant été réduit à 72 heures. Il suffit, pour expliquer
comment cela fonctionnait dans la pratique, de citer l'exemple de la revue "Evropljanin, du
quotidien "Dnevni telegraf" et de leur propriétaire et fondateur, Slavko Turuvija.
"Evropljanin" a été le premier média à tomber sous le coup de la Loi sur l'information. Son
crime ayant été de publier une lettre ouverte au président de la RFY, accusant Milosevic d'être
responsable de la situation catastrophique où se trouvait le pays. Une amende de 2.400.000
dinars lui a été imposée (l'équivalent à l'époque, de 150.000 $US) suivie, le 26 octobre, de la
confiscation des biens de l'entreprise et de ceux du directeur Ivan Tadic, dont toutes les
affaires personnelles ont même été retirées de son appartement. Par ailleurs, tous les
exemplaires de '"Dnevni telegraf" ont été saisis, le passeport du rédacteur-en-chef confisqué,
et son propriétaire malmené des mois durant.
La loi sur l'information n'a pas seulement été utilisée à l'encontre de la presse paraissant
en Serbie, mais aussi à tous les médias se trouvant sur son sol. La police a confisqué et détruit
à plusieurs reprises l'ensemble des exemplaires de "Monitor" (Monténégro), "Reporter et
"Nezavisne" de Banja Luka- en Republika srpska. Cette loi n'a pas seulement laissé ses traces
sur les entreprises médiatiques, en tant que personnes juridiques, elle a aussi servi à intimider,
limoger et maltraiter de différentes manières les journalistes. Selon des données de la NUNS,
70% de ses 1100 membres inscrits ont perdu leur travail depuis l'introduction de cette loi.
33
3. Troisième partie - que faire?
Si l'on se base sur le fait, généralement reconnu, que la condition à toute transition d'un
régime autoritaire vers une société démocratique est avant tout l'introduction du droit de
propriété et du libre marché, on parvient alors à la conclusion qu'en Serbie, dans les médias, la
situation est bien supérieure à ce qu'elle est dans les autres secteurs de la société. Dans les
médias serbes, le processus de transition a débuté il y a dix ans et il s'agit là d'un processus
irréversible, quelles que puissent être les mesures répressives utilisées par le régime pour
l'enrayer. La situation des médias est aussi supérieure du point de vue technologique, car bien
qu'appauvris, les médias privés et indépendants investissent chaque dinar, ainsi que l'aide
financière qu'ils reçoivent dans leur développement, conscients que leur indépendance
politique en dépend. De même, en Serbie, le marché médiatique est le seul qui soit réellement
développé, exception faite du marché des logements. Donc toutes les conditions existent pour
permettre son acheminement vers une structure démocratique et, par là même, vers un
journalisme libre et engagé. Naturellement, la principale condition est avant tout le
changement du régime en Serbie, ce qui devra être suivi de la conclusion d'un véritable accord
entre professionnels, organisations médiatiques et partis politiques sur le changement de la
législation dans le domaine de l'information publique.
Une tâche primordiale, et la première, sera la réglementation de la gestion et de
l'orientation des programmes des grands systèmes médiatiques tels que la RTS, qui sont
propriété de l'Etat. Néanmoins, comme le souligne Timothy Garton Ash (1995:11): "Nous
savons aujourd'hui que les menaces viennent non seulement de l'Etat, mais aussi des
monopolistes privés de l'étranger. Une société civique ne peut survivre dans un monde de
cartels et de monopoles". La situation évoquée par Ash existe aussi en Serbie, car les
nouveaux riches, proches du régime, se sont profondément incrustés dans le monde des
médias, s'appropriant de larges avantages sur les médias indépendants à propriété privée. Nous
estimons que lorsque de nouvelles lois systématiques seront adoptées sur le droit fondamental
à la liberté de l'information, il faudra leur accorder une attention particulière, tenant compte
des expériences non seulement des sociétés en transition, mais aussi des sociétés développées
de l'Europe occidentale et du monde.
En ce qui concerne l'élaboration des nouvelles lois systématiques, de nombreuses
propositions ont déjà été faites: en effet, dès le début des années 90 un grand nombre d'experts
médiatiques, journalistes et juristes avaient réfléchi à la nécessité d'adapter la législation aux
solutions démocratiques modernes dans ce domaine. Il est intéressant, à cet égard, de
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consulter les ouvrages suivants: "Vers une radiodiffusion démocratique" (Soros, 1993).
"Thèses pour un accord sur le système médiatique" (1994) et "Bases des discussions sur la
promotion de la législation dans le domaine de l'information publique et de la radiodiffusion"
(1995) préparés par la NUNS; ainsi que "Les médias, la démocratie, la transition et le choix de
la documentation (Radio B 92, 1997), brochure élaborée par le Comité universitaire pour la
défense de la démocratie à laquelle ont coopéré un grand nombre d'experts médiatiques, et
"Un modèle des lois sur l'information publique" (1998) préparé par un groupe d'experts
juridiques du Centre pour les droits de l'homme de Belgrade.
NUNS avait procédé, au mois de juillet 2000, à l'élaboration d'une Convention,
proposition faite aux partis politiques et par laquelle ils s'engageraient à respecter les principes
suivants: 1. abolition d'urgence de la Loi sur l'information et adoption d'une nouvelle loi basée
sur les plus hauts standards et principes fixés dans ladite Convention, 2. transparence des
sources d'information, 3. pluralisme médiatique et égalité des possibilités de formation
professionnelle, en absence de tout monopole, 4. exclusion de toute forme de pression
politique ou autre sur les médias, 5. transformation des médias gouvernementaux en un
service public dont les rédactions et leurs politiques ne seront rattachées à aucun parti et
seront contrôlées par les citoyens, 6.autonomie des journalistes et médias financés par les
fonds publics et libre initiative dans la création et mise en activité des médias privés, 7.
soutien aux associations professionnelles des journalistes au cas où elles invoqueraient la
responsabilité de collègues accusés de violer les normes professionnelles et le code de
l'éthique en propageant la haine, l'intolérance, la guerre, et la persécution de ceux qui ne
partagent pas leurs opinions, 8. restitution des biens créés par des générations de journalistes
et leurs associations et leur exploitation selon les termes dictés par la loi, 9. restitution des
équipements (technologie, émetteurs, argent) confisqués par l'Etat aux différents médias, et
10. interdiction aux partis politiques de posséder des médias et agences électroniques,
exception faite des imprimeries.
Cette Convention a été signée par tous les partis d'opposition démocratiques en Serbie,
ce qui prouve que, formellement du moins, ils sont prêts à promouvoir sa mise en oeuvre dans
la pratique. Pourtant cette opposition, une fois au pouvoir, n'avait pas hésité elle non plus à
mettre la main mise sur les médias, et forts de cette expérience négative, peu nombreux sont
les professionnels, dans ce domaine, prêts à les croire sur parole. Mais il est peu probable que
ce genre de comportement, contraire aux principes proclamés liés à la liberté des médias, et la
situation ayant prévalu aux cours des dix dernières années puissent se représenter au cas où les
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forces démocratiques prendraient le pouvoir. Non pas parce que l'on s'imagine que ces forces
ne tenteront plus de se servir des médias à des fins de propagande pour leur propre parti et
pour essayer de se maintenir au pouvoir, et qu'elles seront moins agressives qu'aujourd'hui,
mais parce que les médias indépendants disposent désormais d'une infrastructure beaucoup
plus importante et qu'ils sont devenus plus autonomes du point de vue de la propriété et de la
structure de leurs programmes, beaucoup plus qu'aucune autre organisation à tendance
démocratique en Serbie. Il ne faut pas perdre de vue le fait que les infrastructures des médias
et partis de l'alternative se sont développées dans des conditions identiques, c'est-à-dire
défavorables, et que ce sont leurs employés qui les ont eux-mêmes créées et protégées. Les
médias indépendants ont prouvé, en l'an 2000 surtout, que seule la répression la plus dure
pouvait désormais empêcher leur indépendance politique.
La Serbie 2000 d'après les élections est en pleine ébullition et il est difficile de prévoir
quel cours prendront les événements politiques dont dépendra le futur paysage médiatique de
ce pays. La déclaration du parti radical serbe, selon laquelle une procédure sera prochainement
engagée au sein de l'Assemblée de Serbie en vue d'abroger la présente Loi sur l'information,
est encourageante. L'adoption d'une nouvelle loi sur les médias, conforme aux règles
européennes, permettrait d'accélérer le développement des médias libres en Serbie. On peut
espérer qu'une leçon, au moins, aura été tirée de l'expérience des dix dernières années. Le soin
d'élaborer la législation sur le fonctionnement des médias et l'information publique ne doit
plus être abandonné à un seul parti ou un seul groupe politique, comme fut le cas jusqu'à
présent, et ces lois ne doivent pas être adoptées sans la participation déterminante de l'opinion
publique professionnelle.
ANNEXE : Libération révolutionnaire des médias
Le paysage médiatique de la Serbie a changé de manière drastique suite aux
événements révolutionnaires du 5 octobre et à l'effondrement du régime de Slobodan
Milosevic. Les médias du régime ont échappé à la tutelle des partis et la stratégie politique de
leurs rédactions, autrefois créée dans des centres politiques, a été reprise en mains par les
rédactions des "forces intérieures ". Ces changements se sont déroulés en toute légalité, les
forces démocratiques, représentées par la coalition DOS, ayant remporté les élections
fédérales présidentielles du mois de septembre. Pour que la légalité soit pleinement respectée,
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aucun véritable changement n'interviendra dans la plupart des anciens médias du régime avant
la tenue, en Serbie, des élections anticipées prévues pour le 23 décembre. Car, au moment
même où nous préparons cette annexe (octobre 2000), la plupart des "médias libérés"
travaillent librement, ils ont échappé aux contraintes, aux pressions et à la peur, et sont
désormais uniquement guidés par des critères professionnels et non politiques; pourtant, du
point de vue juridique, il s'agit en fait d'un inter regnum.
L'effondrement du régime de Slobodan Milosevic, qui a entraîné la libération des
médias - principaux véhicules de sa propagande - a été l'aboutissement d'une " révolution
démocratique ", appelée familièrement " révolution bulldozer", après qu'un million de
personnes venues de toute la Serbie se soient réunies à Belgrade, révoltées par le refus de
Milosevic de reconnaître sa défaite aux élections du 24 septembre. Conçue initialement
comme une pression pacifique des citoyens sur le pouvoir, la manifestation a soudain pris un
caractère révolutionnaire devant l'Assemblée fédérale, lorsque les citoyens sont partis à
l'assaut du bâtiment. L'Assemblée a été incendiée, puis les citoyens révoltés, précédés d'un
bulldozer, se sont dirigés vers les locaux de la RTS, y ont mis le feu, ce qui a entraîné
l'interruption immédiate des programmes de la TV publique. Les dirigeants de cette odieuse
télévision ont bien failli être lynchés. Formellement, en tant que cadres nommés à la tête de la
radiotélévision d'Etat par le Gouvernement de Serbie, ils auraient dû demeurer à leurs postes
même après avoir été brutalement éjectés du bâtiment de la télévision. En fait, ils n'ont plus
réapparu, l'accès à ce bâtiment leur a été interdit, et la préparation des programmes a été
confiée à une cellule de crise ad hoc, composée de ceux qui avaient été limogés de la RTS il y
a pluiseurs années, comme étant "politiquement" indésirables.
La RTS Tanjug , Radio Belgrade , le journal " Politika ", " Politika Ekspres ", " TV
Politika ", " Borba ", " Vecernje novosti ", et RTV Studio B ...ont été " libérés " le même jour,
quoique de manière moins dramatique et moins brutale, par des membres de leurs rédactions,
des journalistes qui étaient restés pendant toute une décennie à leurs côtés, marginalisés, mais
ayant toujours refusé de se plier aux directives. Les partisans du SPS et du JUL, qui avaient
usurpé cette radio en 1999, l'ont quittée précipitamment et ses propriétaires légitimes l'ont
récupérée. En un seule nuit, la politique de tous les médias serbes a été radicalement changée,
et après le 5 octobre et la "révolution bulldozer", des choses similaires se sont déroulées dans
toute la Serbie. C'est ainsi, par exemple, que le rédacteur du journal de Novi Sad " Dnevnik "
a présenté sa démission, déclarant " avoir pris conscience de la gravité de la situation et de ses
responsabilités face à l'avenir de la rédaction et du journal ". Après une journée d'interruption,
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ce journal a refait son apparition dans les kiosques, déclarant " être ouvert à tous les
événements dans le pays et dans le monde ". Les jours suivants, ce processus révolutionnaire a
gagné également les médias locaux, les entreprises publiques; dans les villes de Serbie où la
coalition SPS-JUL l'avait remporté, les membres du NUNS ont pris possession des locaux de
l'Union des journalistes contrôlée par le régime, des journalistes emprisonnés ont été libérés,
la fabrique de papier " Matroz " a annoncé qu'elle disposait de suffisament de matériel pour
pouvoir couvrir les besoins de la presse pendant plusieurs mois, un débat public a été engagé
pour discuter de tous les événements liés à cette dernière décennie, marquée par l'oppression
des médias, tout en soulignant les responsabilités individuelles. Bien que les changements
radicaux intervenus au sein des médias autrefois contrôlés par le régime n'aient pas entraîné
automatiquement leur professionnalisation, avant tout en raison du manque de cadres, on note
pourtant une orientation positive et sensible dans cette direction. Les médias devront passer
par un profond et sérieux processus de transformation, particulièrement dans le cas de la RTS
publique. Il faut pourtant assurer avant tout une base légale aux changements réalisés de
manière révolutionnaire et qui ne sont pas fondés sur les résultats des élections fédérales, et
institutionnaliser les changements démocratiques en Serbie elle-même.
Belgrade, 22 octobre 2000
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