Les Balkans, carrefour stratégique

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Les Balkans, carrefour stratégique
la
énergétique
Lesrussie
Balkans
, carrefour stratégique
André
PERTUZIO
André Pertuzio
Consultant
pétrolier international
international et
et ancien
ancien conseiller
conseiller juridique
juridique
Consultant pétrolier
pour
l’énergie àà la
la Banque
Banque mondiale.
Mondiale.
pour l’énergie
péninsule
sud-ouest
de «l’Europe
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SiegfriedaudiSAit
en 1900
L’ Angleterre
est un bloc
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justifiée
d’instabilité,
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relations conflictuelles
on
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que la Russieetestdeunmorcellements
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« balkanisé »,
traduit assez
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qui recèle qui
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énergétiques
trèsde
grandes
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déjà exploitées ou exploitables dans l’avenir. Elle est aussi la seule grande
puissance industrielle à être totalement autosuffisante en énergie et, comme elle est
un
Ungrand
rappelexportateur,
historiqueelle joue un rôle majeur dans l’approvisionnement pétrolier
et gazier de nombreux pays industrialisés, principalement en Europe et présente, en
Dans son dernier ouvrage, 1917. L’Année des occasions perdues, François-Georges
conséquence, une évidente dimension géostratégique.
Dreyfus brosse un tableau, hélas véridique, des conséquences de l’échec des négociations de paix cette année-là. Il en fut ainsi notamment de la tentative de médiaLe
énergétique
tionPanorama
du pape Benoît XV
à laquelle s’opposa le président des États-Unis Woodrow
Wilson, notamment ennemi du « papisme » et qui devait, après l’intervention améL’énergie n’est peut-être pas la vie mais elle est indispensable à l’homme et lui
ricaine, influencer le calamiteux traité de Versailles dont Jacques Bainville, dans
est, en quelque sorte, consubstantielle. Un pays ne se développe qu’en consommant
Les conséquences politiques de la paix, devait démontrer le fatal enchaînement qui
de l’énergie et c’est cette consommation même qui indique son niveau de dévelopconduira à la Seconde Guerre mondiale. L’une des dispositions essentielles dudit
pement.
traité fut la disparition de l’Empire austro-hongrois, laissant une Allemagne, désormais
république
unifiée, consomme
dominer deannuellement
son poids humain
économique
toute
Aujourd’hui,
le monde
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tels la Tchécoslovaquie
et latonne
Yougoslavie.
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de pétrole, ainsi une
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de gaz
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se décomposant
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de
pétrole,
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de
charbon
et
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de
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naturel,
soit
88%
d’énergies
fosnière puisqu’elle rassemblait les « Slaves du Sud », mais c’était oublier la trajecsiles
12% d’électricité
primaireetdedesource
hydraulique
toirecomplétées
historique par
et culturelle
de la Slovénie
la Croatie,
partie ou
de nucléaire.
l’Empire
des Habsbourg et catholiques d’une part, de la Serbie et de la Bosnie-Herzégovine
De cette consommation mondiale, la Russie compte pour environ 8% ce qui
sous domination ottomane pendant quatre siècles et orthodoxes (ou musulmanes)
lui assure la troisième place mondiale derrière les Etats-Unis 24% et la Chine 15%.
d’autre part. N’oublions pas aussi des traditions très différentes entre des siècles
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sous le sceptre des Habsbourg d’une part et, pour la Serbie, des siècles sous l’occupation ottomane. De plus, le royaume de Yougoslavie fut donné à la dynastie serbe
des Karageorgevitch haïe des Croates, dont un commando devait assassiner le roi
Alexandre Ier en visite d’État à Marseille en 1934.
La guerre fut une autre révélation, lorsque les armées allemandes envahirent la
Yougoslavie et que se constitua un État croate, allié de l’Allemagne, et dont le chef
Ante Pavelitch et ses « oustachis » se livrèrent à l’endroit des Serbes à un véritable
ethnocide, qui fit 700 000 victimes. Ajoutons que Bosniaques et Albanais rejoignirent aussi les armées allemandes. Après la guerre, la Yougoslavie reconstituée fut
gouvernée d’une main de fer par Josip Broz, communiste croate, sous le nom de
maréchal Tito. Il élimina l’âme de la résistance serbe, le général Mihailovitch, qu’il
fit fusiller. Il limita également l’importance de la Serbie au sein de la République
fédérale de Yougoslavie en créant à partir de son territoire deux nouvelles régions,
la Voïvodine et le Kosovo, ce qui ne fut pas sans conséquences sur la suite des événements.
Après la mort du maréchal Tito et plus tard après la disparition de l’Union
soviétique, les luttes intestines dans le pays s’exacerbèrent et les puissances « occidentales » entrèrent en jeu. Notre propos n’est pas de refaire l’histoire d’une tragédie
de dix ans mais de relever les intérêts géopolitiques et géostratégiques des intervenants. Relevons cependant, outre les antagonismes déjà évoqués, l’imbrication
en de nombreuses parties du pays des différentes nationalités. Les mouvements
sécessionnistes se manifestèrent d’abord en Slovénie puis en Croatie par l’adoption de Constitutions en opposition avec la Constitution fédérale de Yougoslavie.
La reconnaissance prématurée de ces nouveaux États par l’Allemagne attisa le feu
de l’éviction des Serbes de la Krajina et la guerre de Bosnie, qui vit la création du
premier État musulman en Europe depuis l’occupation ottomane. Passons sur les
indicibles cruautés de cette guerre où la « communauté internationale » fit de la
Serbie de Slobodan Milosevic un bouc émissaire, avec création d’un tribunal pénal international ad hoc pour punir les crimes de guerre – à peu près uniquement
serbes, ainsi que ne manqua pas de le relever le général Pierre-Marie Gallois dans
un remarquable ouvrage, Le sang du pétrole, dont le tome I est consacré à la première guerre d’Irak et le tome II à la Bosnie. On s’y reportera avec intérêt. Quant à
l’académicien Jean Dutourd qui prononça un Scandale de la vertu en 1997 devant
ses pairs, il relevait notamment : « Le tribunal international décerne des prix Nobel
de crimes de guerre, des prix Nobel de crimes contre l’humanité, des prix Nobel
de génocides à des individus ou à des collectivités dont le tort principal est d’avoir
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déplu aux puissances qui régentent le monde et que celles-ci veulent écraser mais
avec des prétextes honorables. » On ne saurait mieux dire...
Comme on le sait, les opérations contre la Serbie ne s’arrêtèrent pas là et se
poursuivirent avec l’agression de l’OTAN, en violation du droit international
contre ce pays, y compris le bombardement de Belgrade. Cette agression en vue
d’arracher à la Serbie sa province du Kosovo, berceau de la nation mais peuplée
de 80 % d’Albanais, est emblématique de la transformation de l’OTAN en une
organisation internationale, avec droit d’autosaisine, en fait un outil militaire de la
politique de Washington.
Le 17 février 2008 fut proclamée l’indépendance du Kosovo, reconnue par une
minorité de pays mais par tous ceux de la « mouvance » atlantiste, soit les États-Unis
et la majorité des pays européens, sauf, bien entendu, l’Espagne, pour laquelle le
précédent du Kosovo serait très dangereux compte tenu des particularismes revendicateurs de la Catalogne par exemple. Ledit précédent ne tarda d’ailleurs pas à être
invoqué par la Russie, devenue cette même année le parrain de l’indépendance de
l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud en Géorgie, après la malencontreuse attaque du
président Saakhachvili contre ce dernier pays !
Après ces guerres balkaniques antiserbes, l’état des lieux est le suivant : la
Yougoslavie a éclaté en six pays indépendants : Croatie, Slovénie, Serbie, BosnieHerzégovine, Monténégro et Macédoine. Ainsi a disparu la dernière des survivances
du traité de Versailles.
La situation actuelle
Les accidents de l’histoire, l’intérêt et les calculs des puissances amènent des situations conflictuelles dont les fils sont parfois difficiles à démêler. En l’occurrence
et sans négliger le poids de l’histoire, il convient, comme toujours, de se remémorer
le vieil adage is fecit cui prodest. Aujourd’hui, le grand perdant de ces commotions
balkaniques est incontestablement la Serbie, avec sa diminution de puissance et ses
centaines de milliers de réfugiés chassés de leurs demeures ancestrales. Mais quels
sont les bénéficiaires ? D’abord certainement l’Allemagne, laquelle, depuis sa réunification et compte tenu de sa réussite économique, est devenue ainsi le pays européen
politiquement dominant, ayant refait avec la Croatie et la Slovénie l’ensemble ou
presque de l’ancien Empire austro-hongrois et désormais dans sa zone d’influence.
Si l’on se reporte sur ce point à l’étude du général Gallois, l’on y voit une confirmation que, débarrassée des souvenirs de la Seconde Guerre mondiale qui avait fait
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d’elle un partenaire docile, elle est aujourd’hui, singulièrement depuis sa réunification, la première en Europe. Elle « élargit ses horizons » et reprend, dans le droit-fil
de l’ancien pangermanisme adapté à la politique d’aujourd’hui, les objectifs d’une
Grande Allemagne, pour laquelle l’effacement du diktat de Versailles a toujours été
un objectif, et l’éclatement des États composites de Tchécoslovaquie et Yougoslavie
est une victoire géopolitique.
D’un point de vue général cependant, le nouveau paysage des Balkans consacre
le poids des États-Unis. Leurs interventions dans ces guerres civiles leur ont permis
de mettre à profit l’éclipse momentanée de la Russie de Boris Eltsine, empêchée
d’agir en raison de ses propres difficultés intérieures et qui n’a pu intervenir comme
elle l’aurait fait en d’autres temps, ne serait-ce qu’en vertu du « protectorat » autoproclamé de la Russie depuis le tsar Ivan III sur les orthodoxes des Balkans. En fait,
l’action des États-Unis pendant ces années de conflits n’est pas séparable de leur politique mondiale, exposée notamment par Aymeric Chauprade dans Géostratégiques,
n° 24, « La Russie, obstacle majeur sur la route de l’Amérique-Monde ». L’enjeu
est en effet la domination de l’Eurasie ou tout au moins sa neutralisation, d’où une
politique qui considère la Russie comme un adversaire potentiel. Si l’on regarde
la carte, en effet, on voit que de l’Europe à l’Asie centrale un chapelet de bases
militaires entourent la Russie et le Moyen-Orient, essentiellement toutes les zones
pétrolifères et voies d’acheminement des hydrocarbures, l’objectif étant à la fois
stratégique et énergétique. Aujourd’hui, la formidable montée en puissance économique et politique de la Chine ne se traduit pas encore par une puissance militaire
approchant celle des États-Unis mais elle croît au rythme de 15 % par an. La Russie
est donc aussi un élément essentiel dans ce grand jeu mondial.
Pour en revenir aux Balkans, l’implantation dans cette région de deux États
musulmans, Bosnie et Kosovo, répond aussi à la politique islamique des États-Unis,
non seulement du temps de la guerre froide en instrumentalisant l’islam contre
l’Union soviétique et, après, dans l’affaire de Tchétchénie, pour affaiblir la Russie.
Il convient de relever à cet égard que le président Clinton vantait les « mérites de la
civilisation musulmane aux prises avec la barbarie slave » !
Dans le cadre de cette politique de puissance, le Kosovo constitue une base dont
on ne doit pas négliger l’importance. Toutefois, avant le sujet de la base militaire du
camp Bondsteel, il est utile de donner un aperçu de ce qu’est le Kosovo aujourd’hui.
Mis au pouvoir par l’Onu et Washington, l’UCK sécessionniste et mafieuse a institué un régime qui se caractérise par un nettoyage ethnique aux dépens des Serbes
qui ont fui le pays et dont il ne reste plus qu’un faible pourcentage concentré dans la
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région de Mitrovica. De plus, si l’on en croit le rapport accablant du sénateur suisse
Dick Marty au Conseil de l’Europe, le Kosovo est devenu une plaque tournante
du trafic de la drogue qui vient pour l’essentiel de l’Afghanistan. Il est également
devenu un centre européen de prostitution et, pire encore, une plaque tournante du
trafic d’organes humains, notamment ceux prélevés sur des Serbes par l’UCK lors
de la guerre en 1999. Ce territoire semble bien aujourd’hui mériter le nom qui lui
a été ainsi attribué, l’« abcès du Kosovo ».
Une importance stratégique et énergétique
En fait, quel que soit l’état du pays qui est une sorte de protectorat « onusien », le trait qui en est le plus important aujourd’hui est qu’il abrite une base
militaire de l’OTAN, en réalité américaine, d’une importance majeure. Il s’agit
du camp Bondsteel, du nom d’un vétéran de la guerre du Vietnam, James Leroy
Bondsteel. Cette base est située dans l’Est du Kosovo non loin de la frontière avec la
Macédoine. Elle couvre près de 800 hectares et comporte 52 pistes aériennes à quoi
s’en ajoutent 55 pour hélicoptères. La base abrite environ 7 000 militaires répartis
sur 300 bâtiments. Elle est entourée d’une enceinte fortifiée de 14 kilomètres de
longueur comprenant 84 kilomètres de barbelés et 11 tours de guet. En définitive,
une véritable ville-forteresse avec des possibilités d’actions aériennes ou héliportées
immédiates. Ainsi le Kosovo trouve là sa véritable portée internationale. En effet,
de par sa position stratégique au cœur de cette péninsule Balkanique remaniée, le
camp Bondsteel surveille une immense zone qui s’étend jusqu’à la Caspienne et
toutes les voies d’acheminement pétrolier et gazier qui en viennent ou pourraient y
être construites, c’est-à-dire une grande partie de l’approvisionnement européen en
hydrocarbures mais également du Proche-Orient et de la Méditerranée orientale.
C’est dans ce cadre général qu’il convient de replacer les projets énergétiques
de la région et, notamment, ceux d’oléoducs et de gazoducs destinés à alimenter
l’Europe centrale et l’Europe occidentale en transportant le gaz et le pétrole en
provenance de la Russie et de la région de la Caspienne, voire du Moyen-Orient.
En ce qui concerne le pétrole, on notera le projet d’oléoduc trans-Balkans, dit
AMBO (Albanian, Macedonian and Bulgarian Oil Corporation), société dont le
siège est aux États-Unis, mais le vrai problème est celui des gazoducs à travers les
Balkans pour amener le gaz naturel vers l’Ouest. Ce sujet a déjà fait l’objet de plusieurs études dans Géostratégiques, mais il convient d’y revenir car il est fondamental
pour expliquer un affrontement plus politique que purement commercial. Il s’agit,
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comme nous le verrons plus loin, du projet Southstream qui est celui de Gazprom,
la société gazière de Russie, et du projet Nabucco, soutenu par l’Union européenne.
On se rappellera que Gazprom fournit à l’Europe occidentale environ 25 %
de ses importations de gaz naturel, l’Allemagne en important 50 % de sa consommation. C’est environ 100 milliards de mètres cubes que la Russie exporte ainsi
vers l’Europe à travers deux gazoducs principaux, dont une branche passe par la
Biélorussie et l’Ukraine, et l’autre par la Biélorussie et la Pologne.
Cependant, un nouveau projet de Gazprom Nordstream consiste en la construction d’un gazoduc reliant directement la Russie à l’Allemagne en passant par le
fond de la mer Baltique. D’une capacité de 55 milliards de mètres cubes, ce gazoduc est long de 1 200 kilomètres et d’un coût d’environ 7,5 milliards de dollars.
Gazprom en est le promoteur, avec 51 % des actions, les autres actionnaires étant
les Allemandes Ruhrgaz et EUN, le Néerlandais Gasunie et la Française GDF-Suez.
Ce projet, en voie de réalisation, a été critiqué par l’Union européenne qui a également réagi à un autre projet de Gazprom, Southstream, intéressant précisément
la région balkanique puisqu’il consiste à transporter du gaz russe de la mer Noire
à la Bulgarie (Blue Stream) et de là à travers ce dernier pays et la Serbie qui aura la
moitié du parcours terrestre, soit 450 kilomètres, et ensuite avec une branche vers
la Hongrie et l’Autriche, et l’autre vers la Grèce et l’Italie. Il est aussi à noter que
deux nouvelles branches sont prévues vers la Macédoine et la Bosnie. Cette partie
du projet a fait l’objet d’un accord entre Gazprom et la Serbie en 2009, la société
commune pour cette partie du projet associant Srbijagas pour 49 % à Gazprom
(51 %), et constitue une des manifestations d’un accord plus large entre la Russie
et la Serbie.
Un projet industriel de cette importance a toujours des conséquences économiques sur les pays qu’il traverse ou qu’il dessert, il constitue donc un vecteur
d’influence, lequel, en territoire « otanesque », ne peut qu’être mal vu à Bruxelles
et à Washington, d’autant plus que le projet est déjà très avancé. Ajoutons que
cet important ouvrage aura une longueur de 900 kilomètres à terre depuis la côte
bulgare, aura une capacité de 43 milliards de mètres cubes pour un coût prévu de
8,5 milliards de dollars. Gazprom est, dans cette entreprise, associée à la société nationale italienne ENI, dont la filiale SAIPEM est chargée de l’engineering du projet.
Il convient d’ajouter que, dès avril 2010, le Premier ministre de la Fédération de
Russie, Vladimir Poutine, annonçait que Gazprom et ENI céderaient chacun 10 %
à EDF, la France étant ainsi représentée dans Nordstream et dans Southstream.
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Complexités balkaniques
Pour faire pièce à ce dernier, Bruxelles devait susciter un projet rival dit Nabucco,
qui permettrait aux pays occidentaux de se soustraire à la « dépendance » du gaz
russe. L’argument, on le sait, est spécieux car, dans une entreprise industrielle de cet
ordre, le producteur qui a construit le tuyau, souvent en association avec les sociétés
acheteuses, est plus dépendant de ses clients que l’inverse, mais, en l’occurrence, il
s’agit avant tout de politique et de géostratégie. Le projet groupe les sociétés OMV
d’Autriche, MOL de Hongrie, Bulgargaz, Transgaz et Botas de Turquie. Il prévoit
de relier Bakou à l’Autriche avec une capacité de 31 milliards de mètres cubes et
d’un coût d’environ 10 milliards de dollars. Étrangement, il est le fait de sociétés de
distribution sans accès à une production quelconque et donc à la recherche de fournisseurs. Or, la production d’Azerbaïdjan, qui était la solution envisagée, est très
insuffisante malgré la découverte du champ géant de Shah Deniz. Il faudrait donc
utiliser le gaz du Turkménistan, dont les possibilités de production sont suffisantes
mais, d’une part, il faudrait construire un gazoduc sous-marin en mer Caspienne,
mais l’unanimité des riverains serait nécessaire alors que la Russie et l’Iran s’y opposent, d’autre part, la production du Turkménistan est largement orientée vers la
Russie et la Chine. À noter aussi que Gazprom achète une partie de la production
d’Azerbaïdjan et du Turkménistan. Il semble donc que le projet Nabucco éprouvera
des difficultés à se réaliser.
Conclusion
On le voit, les Balkans sont une zone historiquement conflictuelle, où se heurtent non seulement les religions et les nationalités, mais aussi, et peut-être surtout,
les grandes puissances et leurs intérêts internationaux. Les événements que nous
avons relatés de la décennie commençant en 1991 sont une preuve récente de ce
que l’on appelait la « poudrière des Balkans ». Avec l’éclatement de la Yougoslavie,
un nouvel ordre international s’est instauré mais semble aussi précaire que la création du pseudo-État du Kosovo. Or, les Balkans sont, nous l’avons vu, un carrefour
stratégique par nature instable et dont l’évolution dépendra du grand jeu des puissances, notamment en matière énergétique. Le général Gallois n’avait donc pas tort
d’intituler son ouvrage Le sang du pétrole.
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Bibliographie Géostratégiques n°s 24 et 30.
Gilles Troude, « Le Kosovo et les couloirs européens », Géostratégiques, n° 20.
Aymeric Chauprade, « La Russie, obstacle majeur sur la route de l’Amérique-Monde »,
Géostratégiques, n° 24.
Pierre-Marie Gallois, Le sang du pétrole, tome II, Bosnie, L’Âge d’Homme, 1996.
François-Georges Dreyfus, 1917, l’année des occasions perdues, De Fallois, 2010.
François-Georges Dreyfus, « Le Kosovo, les Balkans et l’Europe », Géostratégiques, n° 20.
Jean Dutourd, Scandale de la vertu, De Fallois, 1997.
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