Le logiciel obsolète de la lutte antichômage

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Le logiciel obsolète de la lutte antichômage
L'OPINION
Date : 28 JANV 15
Journaliste : Olivier Auguste/
Fanny Guinochet
Pays : France
Périodicité : Quotidien Paris
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Jamais la France ria compté autant de chômeurs sans aucune activité : 3,5 millions, hormis
l'outremer. Soit Gco DOO de plus depuis le début du mandat de François Hollande
Le logiciel
obsolète
de la lutte
antichômage
Record
Le nombre de chômeurs de catégorie
A a progressé de 8100 en décembre,
pour atteindre un nouveau record :
3496400 personnes sans aucun
travail, rien qu'en métropole. Sur
l'ensemble de l'année 2014, la hausse
est ainsi de 189100 demandeurs d'emploi, pire qu'en 2013. En ajoutant les
catégories B et G, qui ont travaillé partiellement, le total atteint 5,2 millions
de personnes, soit un bond de 41900
en décembre et de 311 900 en un
an. DOM inclus, c'est la barre des
5 millions et demi de chômeurs
qui vient d'être franchie.
Olivier Auguste
et Fanny Guinochet
C'EST UN JEUNE SORTI du système scolaire sans diplôme. C'est une jeune
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femme licenciée pour inaptitude après
un cancer du sein, guérie, de retour sur
le marché du travail après plusieurs
années d'éloignement. C'est un cadre
sup qui, licencié économique, se rend
compte du jour au lendemain combien
il s'est fait distancer par les nouvelles
technologies, faute de formation dans
son ancienne entreprise. C'est un fils
d'immigrés qui sait que son CV prendra la direction de la poubelle juste
parce que son adresse est celle d'une
banlieue de mauvaise réputation. C'est
une ancienne ouvrière d'une zone rurale, qui ne peut pas accéder aux offres
d'emploi en ligne faute de connexion
Internet correcte. Leur point commun : la faible probabilité de retrouver
un emploi. Le doute, le découragement, l'épuisement parfois. « Le sentiment d'être très seul », pour Gilles
de Labarre, président de l'association
Solidarités nouvelles face au chômage
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BESOIN P'uNÏ FORMATION TOUR \
SAVOIR UTILISER UN ORPfNATËUR.
J
(SNC). « La perte de confiance dans le
système public », ajoute Tomas Fellbom, fondateur de l'académie Yump,
qui forme des jeunes de banlieue à la
création d'entreprise.
Statistiquement, le constat est
indéniable. Certaines catégories de
population peinent, plus que d'autres,
à trouver un travail stable : jeunes,
non diplômés, habitants de banlieues
ou d'anciennes régions industrielles.
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c'estTOSSJBL6,iuSUFFIT
S'INSCRIRA SUR
A l'heure où la France se pose tant de
questions sur sa cohésion nationale,
peut-on considérer pour autant que
les pouvoirs publics les ont abandonnés sur le marché du travail ? Non. Des
contrats aidés ciblent les non diplômés ; des exonérations de charges
concernent les salariés seniors. Des
aides s'empilent pour ceux dont les
revenus sont les plus bas (RSA, CMU,
AS...). Pôle emploi est présent dans
les banlieues. Les missions locales
prennent en charge les jeunes.
Mais justement, ces politiques de
l'emploi menées catégorie par catégorie présentent bien des inconvénients.
« Accorder des allégements de charge
ou monter des contrats aidés pour
telle ou telle catégorie de salariés,
c'est entrer dans une bureaucratie invraisemblable, déplore Julie Coudry,
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emplois d'avenir favorisent celui qui n'a aucun diplôme sur celui qui s'est accroché pour
décrocher le bac. Les contrats de génération
s'adressent aux plus de 55 ans et laissent à la
porte ceux qui en ont 54. » Pendant ce temps,
l'apprentissage est négligé...
Quelle que soit la bonne volonté de leurs
agents, les structures publiques s'y prennent
de travers et interviennent trop tard. « Leur
logiciel est périmé, poursuit Julie Coudry. Que
demande-t-on aux missions locales? Trop souvent, de remplir leur quota d'emplois aidés,
et de faire vite remonter les chiffres pour que
le préfet obtienne les félicitations du ministre
du Travail ! Résultat, on tombe dans des automatismes : tu es une jeune fille, tu n'as pas de
diplôme, tu iras dans une association de services à la personne, et tant pis si ton bagout
peut faire de toi une très bonne vendeuse dans
un magasin.»
« Ce n'est pas dans le monde du travail
qu'il faudrait aider les jeunes des banlieues,
c'est bien avant, estime Tomas Fellbom. Comment faire avec des parents qui parlent mal le
français - on ne les a pas obligés à l'apprendre,
comme c'est le cas par exemple pour les immigrés au Canada -, un système scolaire élitiste,
un urbanisme et des transports en commun
qui vous mettent à une heure de la ville principale ? » Les banlieues ne sont pas les seules
touchées. La carte de France du chômage colle
largement avec celle des anciennes régions
industrielles où le textile, les mines, la sidérurgie n'ont jamais été remplacés. « Ces usines
formaient elles-mêmes des jeunes sortis du
système scolaire à 16 ans. Avec leur fermeture,
on a perdu des compétences. Pour ceux qui ne
sont pas mobiles, qui restent prisonniers de
leur territoire, on en est parfois à la troisième
génération de chômage », constate le secrétaire national de l'UMP à l'emploi Gérard Cherpion, député de Saint-Dié-des-Vosges, dont la
circonscription correspond parfaitement à ce
profil.
Pour avoir de l'emploi, il faut des entreprises. On a peut-être un peu oublié cette évidence, en trente ans passés à tenter de boucher les trous, de parer au plus urgent, d'éviter
les explosions. Avec une inefficacité plus flagrante de mois en mois.
@01ivier_Auguste ^
@fannyguinochet $ft
Ancienneté moyenne
d'inscription à Pôle emploi
Demandeurs d'emploi inscrits
en fin de mois à Pôle emploi
Catégories A, B et G (en jours)
En milliers (catégorie A)
600 -,
3500
l'ancienne syndicaliste étudiante qui vient
de lancer Jobmakers, un site d'auto-coaching
qui aide à mieux vendre ses compétences aux
entreprises. Plus on est dans la "dispositifisation", moins on se demande quelle est la valeur
d'un candidat pour l'entreprise, ce qu'il peut
lui apporter par ses compétences, sa personnalité, son expérience... Par ailleurs, certains
profitent d'effets d'aubaine et d'autres, au
contraire, sont "victimes collatérales" de ces
dispositifs. Les contrats aidés créent parfois
des emplois, mais surtout ils en réservent des
postes - temporaires - à un public donné. Les
La carte de France du
chômage colle largement
avec celle des anciennes
régions industrielles où
le textile, les mines, la
sidérurgie n'ont jamais
été remplacés
3496,4
575 -
539
3000
2500
2000 -
01/2013
07/13
01/14
07/14
12/14
SOURCE MINISTERE DU TRAVAIL
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1500
1996
2000
08
12
14
SOURCE MINISTETEDUTRAVAIL
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Les bassins dè l'emploi dont le taux de chômage est supérieur à 12 %
Calais
Dunkerque
Roubaix-Tourcoing
Valenciennes
Charleville-Mezieres
Forbach
Samt-Diedes-Vosges
MontbehardBelfortHencourt
Orange
FrejusSamt Raphael
Samt-GironsFoix-Pamiers
MarseilleAubagne
AgdePezenas-Sete
Perpignan
Porto-Vecchio
200 Km
SOURCE GARES INSEE QATAR
Une agence Pôle emploi à Montreuil. Quelle que soit la bonne volonté de leurs
agents, les structures publiques s'y prennent de travers et interviennent trop tard.
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Qui sont les oubliés des politiques d'emploi ?
Les chômeurs
de longue durée
I
Rien qu'en Métropole, 2,25 millions
de personnes pointent à Pôle emploi depuis au moins un an (+10%
par rapport à fin 2013), soit 43% des
chômeurs de catégorie A, B ou G. Parmi
elles, 705 DOO cherchent un travail depuis plus de trois ans (+19%) ! Encore ces
chiffres n'incluent-ils pas les chômeurs
qui ne se sont pas inscrits, par exemple
les jeunes qui n'en voient pas l'intérêt
car ils ne peuvent pas prétendre à une
indemnisation, faute d'avoir cotisé.
Ces chômeurs de longue durée sont
les derniers à qui les recruteurs proposent un travail, car ils privilégient les
salariés déjà en poste puis les personnes
ayant récemment perdu leur emploi ou
venant d'obtenir leur diplôme. Autant
dire qu'avec un chômage de masse,
c'est toute une frange de la population
qui se trouve mise à l'écart. Et qui, peu
à peu, cumule les difficultés : logement,
transports, santé, etc. « Elles ne sont
pas abandonnées », assurent en chœur
Gilles de Labarre (Solidarités nouvelles
face au chômage) et Véronique Descacq
(CFDT). Assistantes sociales, associations d'insertion, dispositifs type «garantie jeune » qui associent petite allocation et formation, CAP : de multiples
intervenants les soutiennent. Mais justement, ils peinent à se coordonner. « Le
plan de 100 000 formations d'urgence,
pour pourvoir des plans existants, a très
bien fonctionné l'an dernier. Mais nous
avons eu du mal à y intégrer les acteurs
de l'insertion. Du coup, ces personnes
très éloignées de l'emploi en ont peu
bénéficié, reconnaît la responsable syndicale. Même si la conjoncture s'améliore, ce sont les dernières qui sortiront
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du chômage ». Gilles de Labarre plaide
pour « un dispositif qui intègre les
agents publics, et les bénévoles, sur le
modèle du Défenseur des droits, plutôt
que chacun intervienne dans son coin ».
Le gouvernement doit annoncer un
plan contre le chômage de longue durée
le 9 février.
Les « récurrents »
2
Le terme est affreux mais il désigne ces personnes qui passent
d'intérim en temps partiel, de
petits boulots en chômage, de travail
indépendant en minima sociaux, de
jobs sous-qualifiés en formations aléatoires... Des années sans trouver un emploi stable. Leurs effectifs ont explosé à
cause de la durée de la crise, « ils s'enferment dans un processus de dévalorisation » et, là encore, « les réponses des
pouvoirs publics ne sont pas toujours
adaptées », note Gille de Labarre, citant la faille dans le récent dispositif de
« droits rechargeables » à l'assurancechômage, qui pénalise certaines personnes dont les revenus ont fortement
varié d'un poste à l'autre. Ce défaut, qui
pourrait concerner potentiellement
30000 personnes par an, doit être corrigé rapidement.
Les naufragés de l'école
3
Dans une étude du Conseil d'analyse économique en début d'année, l'économiste Marc Ferracci
dénonce : « Les ressources ne sont pas
orientées vers les publics prioritaires
[...]. Alors que ceux qui sont en décrochage scolaire n'en profitent pas, plus du
quart des apprentis sont des étudiants
du supérieur. » On estime à 150 DOO le
nombre déjeunes qui quittent, chaque
année, l'école sans aucun bagage. Or
les jeunes sans qualification ont cinq
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Chômeurs de longue durée, licenciés
économiques, privés de diplômes...
Ils peinent plus que les autres à
retrouver un poste et les pouvoirs
publics ont du mal à les aider
fois plus de chances de connaître le
chômage. Car les recruteurs ont leur
part de responsabilité : les entreprises
françaises, surtout grandes, attachent
une importance démesurée diplôme.
« C'est la première case à cocher et c'est
parfois absurde quand on sait que les
programmes de formation initiale se périment vite. Il faut par exemple sept ans
pour revoir le contenu du cycle complet
de formation, du CAP au BTS, dans un
secteur comme l'industrie automobile,
observe Julie Coudry, la fondatrice de
Jobmakers. Le niveau d'anglais, les compétences informatiques ou les aptitudes
commerciales peuvent s'apprendre ailleurs qu'à l'école. »
Les exclus de
la formation continue
Un salarié diplôme de l'enseignement supérieur à 34% de chances
de suivre une formation dans
l'année, contre moins de 10% pour un
salarié sans diplôme. La récente instauration du compte personnel de formation doit remédier partiellement à
ce paradoxe. Le CFP permet à chaque
actif d'accumuler des heures de formation pendant ses périodes d'emploi et
de les utiliser tout au long de sa carrière.
Surtout, le salarié devient acteur de sa
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formation, puisqu'il peut la déclencher
sans l'aval de son employeur à condition
de la réaliser en dehors de son temps de
travail. Reste que ce nouveau système
ne fera pas des miracles. Car une fois
encore, pour créer le fameux compte,
et se repérer dans le maquis des organismes proposant des formations, il faut
être en possession des codes. Ceux à qui
ils manquent le plus sont ceux qui en auraient le plus besoin, à commencer par
les licenciés économiques des petites
entreprises, dont les compétences ne
sont souvent plus à jour... faute d'avoir
été formés quand ils étaient en poste - là
aussi, la responsabilité des entreprises
est donc réelle. Ce sont eux qui alimentent la cohorte des seniors sans emploi : le taux de chômage des plus de 55
ans reste inférieur à la moyenne mais les
effectifs flambent (+11% en un an) et il est
beaucoup plus difficile pour un « quinqua » ayant perdu son poste d'en retrouver un que pour tout autre salarié.
Les immobiles
5
Au chômage, les Français sont peu
enclins à changer de région. Arcelor Mittal en a par exemple fait l'expérience : lorsque le groupe a fermé le
haut-fourneau dè Florange, il a proposé
des reclassements sur ses autres sites.
Malgré des incitations conséquences,
seule une vingtaine de salariés a préféré
le changement de région - y compris
pour aller dans le Sud de la France, à
Fos-sur-Mer - au licenciement. Plusieurs raisons expliquent ces réticences.
Volonté de rester près du conjoint, attachement à son clocher, mais pas seulement. La rigidité du marché immobilier
joue aussi, tout comme, la difficulté
d'accès aux transports dans certaines
zones rurales, ou périurbaines.
Les territoires
perdus de vue
6
Les banlieues à forte population
immigrée font partie des zones
où le chômage est bien supérieur
à la moyenne. Mais leur exposition fait
souvent oublier celle des vieilles régions
industrielles qui ont raté leur reconversion. Quant aux Dom, leur nombre de
chômeurs est le plus souvent oublié des
communiqués officiels et des discours
politiques. Pourtant, le manque d'activité économique robuste et une démographie particulièrement dynamique y
font exploser les taux de demandeurs
d'emploi, notamment chez les jeunes.
Les « déconnectés »
7
Privés de haut débit ou peu à l'aise
avec l'outil informatique, ils sont
handicapés dans leur recherche
d'emploi. Non seulement Pôle emploi
incite ses inscrits à échanger avec les
conseillers via le Web, mais trouver un
travail passe de plus en plus par des sites
spécialisés (Jobijoba, Qapa...), des généralistes des petites annonces (Le Bon
Coin) ou les réseaux sociaux (Linkedin,
Viadeo...).
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