PSA: les documents qui liquident l`usine d`Aulnay

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PSA: les documents qui liquident l`usine d`Aulnay
PSA: les documents qui liquident l'usine
d'Aulnay
14 juin 2011 | Par Martine Orange et Mathieu Magnaudeix et Christophe Gueugneau
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«Un brouillon.» «Une étude datant de plus d'un an.» «Une simple hypothèse d'école au plus fort de
la crise.» «Un projet qui n'est pas à l'ordre du jour.» Au lendemain de la publication, par la CGT,
d'une note interne annonçant la fermeture de l'usine d'Aulnay, la direction de PSA s'est efforcée de
déminer le terrain: la fermeture du site de production en Seine-Saint-Denis n'est pas décidée, a
répété le groupe sur tous les tons.
Respectant le protocole désormais bien établi entre les grands groupes et le gouvernement, Philippe
Varin s'est rendu à la convocation d'Eric Besson, ministre de l'industrie, pour s'expliquer sur ses
intentions. Officiellement, PSA n'a pas décidé de la fermeture d'Aulnay. La note interne publiée par
la CGT de PSA, en date du 23 août 2010? Un document de travail comme il en existe des milliers
dans les groupes.
Donnant le change, le premier ministre, François Fillon, a fait une déclaration définitive: «Compte
tenu des aides très importantes apportées à l'industrie automobile française par le gouvernement, je
n'accepterai pas et ne comprendrai pas que ces entreprises ne soient pas redevables à la nation qui
les a aidées.» Voilà qui ne peut que rassurer : le gouvernement veille sur les intérêts de l'industrie et
de l'Etat. Pour clore le débat, un comité d'entreprise extraordinaire est prévu cette semaine afin que
la direction de Peugeot explique ses intentions aux syndicats.
L'usine d'Aulnay, en Seine-Saint-Denis.© (dr)
Les syndicats de PSA et d'Aulnay ont pourtant raison de nourrir des craintes sur l'emploi chez PSA
en France. Selon des documents dont Mediapart a eu connaissance, toute la stratégie du
constructeur automobile est en train d'être révisée depuis l'arrivée de Philippe Varin, en juin 2009, à
la tête du constructeur automobile. Ces documents sont l'illustration parfaite des contraintes et des
façons de penser d'un groupe soumis à une concurrence mondiale sans entraves ni barrière, où le
salarié français et européen est opposé frontalement au travailleur indien, slovaque ou turc.
Dès sa nomination, Philippe Varin s'est fixé un objectif: faire de PSA un constructeur global, à la
fois présent sur tous les grands marchés (à l'exception des Etats-Unis) et doté d'une production la
moins coûteuse possible afin de résister à la concurrence. Dans un document interne que Mediapart
a consulté, la stratégie du constructeur est énoncée très clairement: «Poursuivre l'ajustement des
capacités à la demande commerciale, grâce au compactage des usines et à l'adaptation des
effectifs.»
En clair, supprimer des productions en Europe de l'Ouest, surcapacitaire, pour aller vers les pays
émergents prometteurs (Amérique latine, Inde, Chine) ou les pays à bas coûts de main-d'œuvre
(Slovaquie, Russie). Quitte à réimporter ensuite la production vers l'Europe. Dans ce cadre, la
fermeture d'Aulnay et une vaste réorganisation de la production du constructeur automobile en
France et en Europe sont bien des sujets à l'étude.
Le 13 juillet 2010, un comité de direction générale de PSA s'est réuni pour étudier cette
réorganisation – en dehors du cas de l'usine d'Hordain (Nord), Sevelord, qui fait l'objet d'une autre
réflexion de la part du groupe sur ses relations avec Fiat. L'objectif de cette réunion est de discuter
l'ajustement des capacités de production de PSA en Europe sur le segment des petites voitures, le
segment B, celui des C3, C4, 206, 207, 308. C'est le segment le plus porteur en Europe, la crise
ayant encore accentué, y compris en Allemagne, le déplacement des achats vers ces véhicules au
détriment des plus grosses berlines, comme le souligne une note interne.
Mais c'est aussi le marché le plus disputé, le plus sensible aux prix. PSA, qui a une forte part de
marché dans ce type de véhicules, redoute d'avoir à faire face à des offres commerciales très
agressives: ses concurrents, à commencer par Renault, produisent davantage dans des pays «low
cost» que lui.
Site d'ajustement privilégié: Aulnay
Un document de travail de 94 pages, intitulé « Efficacité industrielle, périmètre Europe - Segment B
», paraît avoir servi de base à la discussion. La première page se présente comme un récapitulatif
des décisions arrêtées en janvier 2010. Qu'y lit-on ? «Site d'ajustement privilégié : Aulnay». Cela
fait plus qu'écho à la note rendue publique par la CGT.
Interrogé sur cette présentation, un porte-parole de PSA oppose la même réponse qu'après la
publication de la note interne par la CGT. « Il ne s'agit que d'un document de travail rédigé au
moment de la crise. C'était une époque où il y avait de grosses incertitudes sur la sortie de la prime
à la casse. Il s'agit d'une preuve de la réactivité du groupe. La vie des entreprises est de se poser les
bonnes questions», explique-t-il. Le terme décision – qui figure sur le document – n'indique-t-il pas
cependant que les choix ont été arrêtés ? La réponse de PSA se veut sans appel : «Il n'y a pas de
décision puisque l'on n'a pas annoncé la fermeture d'Aulnay.»
La précision apportée dans cette présentation du 13 juillet soulève cependant quelques
interrogations. Le coût de la fermeture de l'usine de Seine-Saint-Denis, qui emploie aujourd'hui
3.500 personnes, est très précisément chiffré. Tout y est inclus, y compris la vente du terrain
dépollué, censée rapporter 306 millions d'euros. La spéculation foncière en Ile-de-France vient ainsi
largement compenser le coût du plan social, estimé à 184 millions d'euros. Les conséquences y sont
chiffrées jusqu'en 2018.
La direction de PSA a tenu un tout autre discours au maire d'Aulnay, Gérard Ségura : « Ils m'ont
indiqué que la production de la C3 (sur le site - ndlr) serait poursuivie jusqu'en 2016, date normale
de la fin du cycle pour la production», dit ce dernier. La direction a cependant ajouté que la «
conjoncture économique actuelle ne permet pas d'avoir une visibilité au-delà de 2016».
Le document liste toutes les étapes prévues pour la fermeture progressive d'Aulnay. Dès septembre
2010, il est prévu de diminuer les équipes de trois à deux par jour. Cette décision a été
effectivement mise en œuvre en octobre 2010, comme le confirme Jean-Pierre Mercier, syndicaliste
CGT d'Aulnay, à Mediapart : «En octobre 2010, l'équipe de nuit a été arrêtée alors qu'on nous
avait affirmé en 2008 qu'elle serait pérenne. 400 intérimaires sont partis.» A cette date, une partie
de la production a été transférée à Poissy, qui produit désormais 55 véhicules par heure contre 45
auparavant.
Le compte à rebours devant mener à la fermeture est très précis. Selon les documents obtenus par
Mediapart, à partir d'août 2012, il est prévu d'accélérer la fin d'Aulnay. Les premières actions
porteront d'abord sur les sous-traitants, notamment Magneto, qui a un site de production à Aulnay et
que PSA ne veut pas déstabiliser. Une action de communication sera lancée en septembre 2012 afin
d'annoncer «la constitution d'un pôle industriel majeur en région parisienne» sur le site de Poissy.
L'intention de concevoir un nouveau site industriel, plus adapté aux besoins d'une production
modernisée et flexible, est réelle chez PSA. Mais cela permet aussi de prévenir le contrecoup de
l'annonce de la fermeture d'Aulnay. La note interne rendue publique par la CGT confirme ce
calendrier. Il y est fait mention d'une «fenêtre d'annonce possible, dans le calendrier électoral
français, au 2e semestre 2012».
Dès le début de 2013, il est prévu, toujours selon cette présentation du 13 juillet 2010, de passer de
deux à une seule équipe sur le site, des salariés d'Aulnay pouvant être repris sur le site de Poissy.
Enfin, fin 2013-début 2014, la fermeture d'Aulnay serait définitive. De nouvelles équipes travaillant
le week-end à Poissy viendraient compenser la production perdue à Aulnay. Même si la direction de
PSA soutient que la fermeture d'Aulnay n'est pas «à l'ordre du jour», ce plan détaillé laisse à penser
que le sujet est plus qu'une hypothèse d'école.
Saturer certaines usines, en fermer d'autres
D'autres documents viennent conforter l'idée que le site d'Aulnay est bel et bien condamné. Ainsi,
dans les perspectives de production du groupe, le site d'Aulnay n'apparaît plus à partir de 2015. Les
graphiques indiquent tous son extinction à cette date.
Aulnay, la troisième usine du groupe en France et qui produit la C3, serait-elle donc un site si peu
viable? Loin de là, révèlent encore d'autres documents que nous avons pu consulter. Dans une
comparaison des usines automobiles, Aulnay n'est pas un site à la traîne, mais plutôt en milieu de
peloton européen. Selon le classement de la revue Harbour, qui fait autorité dans le secteur, l'usine
figure au 22e rang des sites européens pour l'assemblage, au 14e rang pour le ferrage.
Mais malgré les efforts incessants pour améliorer sa productivité, le site d'Aulnay a l'inconvénient
d'être un emplacement vieux, aux coûts sociaux élevés, et qui a été rattrapé par l'urbanisation de
l'Ile-de-France. Il est aussi le plus facile à fermer. Pour PSA, c'est un argument qui compte.
Les gouvernements successifs ont beau octroyer des aides multiples au secteur automobile pour
l'aider à se maintenir en France (primes à la casse), les constructeurs automobiles se sentent peu
redevables à l'égard des contribuables. Pour PSA, la seule urgence est d'optimiser son outil de
production.
Le groupe estime avoir trop d'unités de production en France et dans l'Union européenne, dans un
marché européen structurellement surcapacitaire. Cette dérive ne cesse de s'amplifier avec la
multiplication de nouvelles usines en Europe de l'Est, en Turquie et en Russie. Dans cette industrie
de volume aux marges très faibles, la saturation des sites de production et les économies d'échelle
sont une des clés pour préserver les marges et moderniser la production. D'où la nécessité de fermer
des sites et de concentrer la production ailleurs. Ford, Opel, Fiat, Renault ont déjà commencé à
fermer des usines en Europe. PSA a abandonné son site de Ryton, en Grande-Bretagne, au milieu
des années 2000.
Dans un premier temps, le groupe PSA a commencé par réduire ses surfaces industrielles – «
compacter », comme il dit – afin de réaliser des économies. «1 mètre carré de surface process nous
coûte en moyenne 260 euros de frais généraux + 140 euros de main-d'œuvre structure + 320 euros
de parc», rappellent les gestionnaires du groupe dans une note. Il lui faut impérativement saturer
certaines usines. Et fermer les autres.
Les gestionnaires ont traduit les conséquences économiques de la fermeture d'Aulnay dans un
langage totalement abscons : «Le taux Harbour PFA évolue de 86% en 2010 à 122% en 2016.»
Traduction de cette novlangue: la fin d'Aulnay permettrait de hisser mécaniquement les
performances du groupe. Le taux Harbour est en effet un indicateur de gestion qui fait référence
parmi les constructeurs automobiles. Il indique l'utilisation des capacités, un élément clé pour le
secteur automobile, des usines et des groupes. Il est calculé sur une base de référence (100%) de 16
heures par jour et 235 jours par an. Plus l'indicateur est élevé, plus la production est jugée
performante.
Dans la note interne publiée par la CGT, il est ainsi précisé qu'un tel scénario permettrait au groupe
de «restaurer une rentabilité satisfaisante du Groupe et combler l'écart entre l'approche
consensuelle des analystes sur la création de valeur de notre plan produit et sa valorisation par nos
soins». Les préoccupations boursières ne sont jamais très loin des calculs des gestionnaires.
Le site de Madrid est le prochain sur la liste
Lors de la réunion du 13 juillet 2010, le problème est moins, semble-t-il, de parler d'Aulnay (dont le
sort paraît déjà tranché) que de l'usine de Madrid. Faut-il ou non fermer cette usine? «Un site
ancien, enclavé en milieu urbain, sans emboutissage», relevait la note révélée par la CGT.
Selon les documents que nous avons pu consulter, la direction de PSA n'est guère optimiste sur
l'avenir de ce site. De l'aveu même du directeur industriel du groupe, Denis Martin, l'usine, qui
produit des 207 et des C3, est en sous-charge. Ses modèles sont en fin de vie. Dans un premier
temps, il était prévu d'y faire produire un nouveau modèle Citroën, donné sous le nom de code E3.
Mais à l'été 2010, la direction de PSA s'interroge sur la pertinence de ce choix.
Deux scénarios sont envisagés: soit fermer très vite le site de Madrid dès 2013; soit étaler la
fermeture dans le temps, afin de conserver momentanément une certaine souplesse dans la
production.
L'argument de conserver une capacité industrielle a des avantages. Mais cela «bloque tout
ajustement capacitaire au-delà d'Aulnay», souligne le document. De plus, le maintien de Madrid
entraîne des surcoûts dans la production: «Conserver la souplesse et la flexibilité de l'ajustement de
Madrid dans le temps ne présente pas un délai de retour satisfaisant», souligne le rapport. D'autant
qu'en face, il y a des chiffres attirants pour des gestionnaires. Avec l'arrêt d'Aulnay et de Madrid,
«le taux Harbour dépasse les 130% ». Et les économies sur chaque véhicule atteignent 270 euros.
Que faire pour retrouver la production manquante, si le site de Madrid est fermé rapidement ?
Toutes les possibilités sont envisagées : augmenter le nombre des équipes, constituer des équipes
supplémentaires pendant le week-end. Mais surtout: importer des véhicules d'Inde, le nouveau site
de production de PSA dans lequel le groupe place beaucoup d'espoir.
Le rapport va jusqu'à étudier les frais de réimportation vers l'Europe, coûts de fret et de douane
compris. Même en cas de hausse du pétrole et de coût du transport, l'Inde reste imbattable par
rapport à l'Europe. PSA peut donc espérer un gain d'un peu plus de 700 euros par véhicule à
l'horizon 2014.
Officiellement, la direction de PSA a annoncé le lancement d'un nouveau modèle à Madrid et la
fermeture du site ne serait pas du tout à l'ordre du jour. Mais les chiffres affichés dans ce document
semblent si tentateurs que la direction risque de se les rappeler très vite. A la CGT, on a déjà tiré
une croix sur le site madrilène.