homme (épisode 2/2)

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homme (épisode 2/2)
«Eux présidents», les scénarios de
2017 : la femme est l’avenir de
l’homme (épisode 2/2)
– Crédits photo : montage : •Pool/Bertrand Langlois/Maxppp, •Marlene Awaad
Le Figaro – Politique – Retrouvez toute la politique du gouvernement et de
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FICTION POLITIQUE – Élu président de la République, Alain Juppé nomme, à la
surprise générale, Jean-Louis Borloo à Matignon.
«Eux présidents»: jusqu’au 26 août, Philippulus imagine ce que pourraient
être les 100 premiers jours des uns et des autres. Chacun a droit à deux
épisodes pour convaincre, ou non…
Gilles Boyer pensait que nommer Jean-Louis Borloo à Matignon était une folie
car, dans son esprit, le personnage était trop fantasque et brouillon pour
affronter la guerre contre le terrorisme islamiste et, dans le même temps,
mener à bien le rude programme de réformes souhaité par Alain Juppé. Le
conseiller du chef de l’État avait tout à la fois tort et raison.
Sitôt rentré de Bofossou (où il avait promis à Aboubacarun «fonds de
financement» pour remplacer la 404 de son grand-père), Jean-Louis Borloo se
mit au travail. La passation des pouvoirs avec Manuel Valls fut brève et sans
chaleur. Quelques minutes plus tard, dans la Renault Talisman de fonction que
jamais plus il ne verrait, le premier ministre sortant s’en étonna auprès de
son judicieux conseiller, Yves Colmou. «Yves, tu as vu? C’est
incompréhensible? Lui d’ordinaire si bonhomme et chaleureux… Il était
métamorphosé, dur, déterminé.
– Oui, c’est étrange. Cela dit, tu n’aurais peut-être pas dû lui dire nos
soupçons sur les 28.679 fichés S+ (une nouvelle catégorie créée en
février 2017) capables de passer à l’action à tout moment. J’ai l’impression
que ça l’a crispé, répondit Yves Colmou.
«Borloo à Matignon, ça va être pittoresque! Dans ce métier, il faut savoir
être calme!»
– S’il est trop émotif, il n’est pas fait pour le job! Borloo à Matignon, ça
va être pittoresque! Dans ce métier, il faut savoir être calme!», répondit en
s’époumonant Manuel Valls, qui passait frénétiquement son auriculaire droit
sur son front tandis que son regard courroucé semblait lancer des flammes et
que son pied gauche tapait nerveusement sur le plancher du véhicule à
gyrophare.
Le lendemain, François Hollande quitta l’Élysée et Alain Juppé s’y installa.
Lors de l’entretien entre les deux hommes, le président sortant dit tout à
son successeur des 28.679 fichés S+, de l’action des forces spéciales en
Libye, des manœuvres de moins en moins byzantines d’Erdogan, des nouvelles et
compliquées relations franco-américaines depuis l’élection de Donald Trump,
de l’état d’avancement de l’impôt sur le revenu prélevé à la source, des
nouvelles menaces de Jean-Claude Juncker à propos du déficit, des inquiétudes
du FMI concernant la dette de la France, de l’accueil glacial fait par France
Culture à Julie Gayet, qui jouait Roxane au Théâtre de l’Odéon, de l’état de
santé semi-dépressif du labrador Philae, et autres secrets d’État.
Le lendemain, le chef de l’État recevait son premier ministre dans son bureau
de l’Élysée. Lequel sortait de chez le coiffeur, qui avait autoritairement
domestiqué et raccourci sa tignasse. De sorte que Jean-Louis Borloo était
presque méconnaissable. Et, très loin du bourgeois bohème que chacun connaît,
quasi guerrier. Dans l’avion qui l’avait emmené de Conakry à Paris, et après
avoir dit adieu à Aboubacar, il avait réfléchi et, finalement, modérément
apprécié les arguments utilisés par Alain Juppé pour justifier sa nomination.
«Si j’ai bien compris, se dit-il tandis qu’on annonçait l’atterrissage à
Roissy, il me nomme premier ministre parce qu’il n’est pas fichu de trouver
quelqu’un d’autre! Je suis un non-choix! OK, je vais lui en faire voir!»
Par ailleurs, depuis quelques années déjà, Jean-Louis Borloo s’agaçait de sa
réputation d’homme perpétuellement versatile et lunatique, songeant, à
raison, qu’elle avait causé du tort à sa carrière politique et désespéré tous
ses amis. Être premier ministre d’Alain Juppé lui offrait donc une occasion
en or – et tout à fait inattendue – de prouver qu’il savait être un roc.
Quant à l’orientation assez droitière de la politique souhaitée par le
nouveau chef de l’État, elle ne le perturbait pas plus que cela. Il est vrai
qu’ayant entretenu pendant cinq ans de bonnes relations avec François
Hollande (qui avait mis à sa disposition des bureaux avenue de Marigny afin
qu’il mène à bien son travail de «Grand Électrificateur»), il avait vu de
près les conséquences calamiteuses des politiques d’accommodements perpétuels
avec la réalité. Son âme centristo-écologiste s’était droitisée (phénomène
courant dans la France de 2012-2017) en constatant que toutes ces faiblesses
ne profitaient qu’à une seule personne, Marine Le Pen. Bref, il était devenu
quasi libéralo-réactionnaire et assurait désormais à qui voulait l’entendre
que «les bourgeois bohèmes sont au mieux des niais, au pire de sinistres
cons».
Jean-Louis Borloo tutoya le président Juppé, qui, sur le coup, frémit puis
s’habitua au bout de quelques secondes à cette familiarité
D’entrée de jeu, dans le bureau de l’Élysée, Jean-Louis Borloo tutoya le
président Juppé, qui, sur le coup, frémit puis s’habitua au bout de quelques
secondes à cette familiarité.
«Alain, ton programme est formidable. Je l’ai encore potassé la nuit dernière
en buvant une petite verveine-menthe. Cependant, et je vais peut-être te
surprendre, je pense qu’il faut le durcir un peu…
– Le durcir? Vous… enfin, tu me surprends en effet! Je pensais que tu le
trouverais beaucoup trop tranchant!», répondit le chef de l’État, qui
s’acclimatait mal à l’idée de tutoyer Jean-Louis Borloo.
Qui répondit. «Ton programme, je le mets en musique, mais avec 10 % de plus!
Faut ce qui faut! J’ai bien réfléchi. Si on ne veut pas être chassé dans six
mois ou dans un an, il faut faire de l’anti-Hollande. Je t’avoue que j’y ai
cru, au début, à toutes les demi-solutions de cet énergumène! Le dialogue
social, les comités Théodule, les procrastinations, les trucs à la mords-moil’machin! Ça a donné quoi? Le FN premier parti de France! Alors non merci!
Maintenant, il faut du lourd! Je te propose que nous soyons implacables et
impitoyables. Du Sarko en mieux, avec tout de même un peu de libéralisme pour
ne pas effrayer l’électeur de droite traditionnel. Sur l’économique et le
social, on remet tout d’équerre! Sur l’immigration, les fichés S+, la
sécurité, l’école, on cravache à fond! Ça roule?»
Alain Juppé était interloqué. Il pensait devoir éperonner sans cesse JeanLouis Borloo, et c’est lui qui, d’entrée de jeu, l’éperonnait.
Les jours qui suivirent furent véhéments. Métamorphosé, le chef du
gouvernement préparait la campagne législative et tirait vers la droite le
programme présidentiel d’Alain Juppé. Rédigeant son discours de politique
générale, il proposa la retraite à 67 ans (au lieu des 65 annoncés par le
candidat des Républicains), la suppression de tous les régimes spéciaux et le
même mode de calcul des pensions pour tout le monde, le rétablissement du
service militaire, la fin définitive du collège unique, la sélection à
l’université, la prolongation «pour cent ans au moins» du nucléaire (parce
que l’épisode de la centrale solaire de Bofossou l’avait marqué),
l’annulation de la réforme pénale «honteuse, voire criminelle» de Christiane
Taubira, la fermeture des frontières de Schengen jusqu’à nouvel ordre et,
last but not least, «une guerre comme on n’en a jamais vu contre tous les
fous d’Allah, qu’il faudra tous exterminer jusqu’au dernier». Jean-Louis
Borloo était méconnaissable.
Alain Juppé s’entretenait régulièrement avec son premier ministre et
s’efforçait de le calmer en lui conseillant d’être «un peu mariole»
Dans son bureau de l’Élysée, Alain Juppé s’entretenait régulièrement avec son
premier ministre et s’efforçait de le calmer en lui conseillant d’être «un
peu mariole», mais en vain. Un jour, il lui vint une phrase qui était très
exactement celle que lui avait dite Jacques Chirac en novembre 1995, le jour
de son discours historique à l’Assemblée nationale sur la refondation du
modèle social français, quelques semaines avant les grandes grèves: «JeanLouis, c’est très bien tout ça, mais ne chargez pas trop la barque!
– Alain, je charge la barque pour piquer des électeurs à Marine. À gauche, il
n’y a plus rien à piquer et au centre non plus. Dans ce pays, tout le monde
est de droite ou d’extrême droite! Donc, on s’adapte! CQFD.»
Le chef de l’État répondit mécaniquement: «Pas bête.»
La suite fut plus compliquée. Tous les corporatismes se réveillèrent et
menacèrent le gouvernement Borloo des pires avanies si, d’aventure, il se
mettait en tête d’appliquer au pays ce traitement de cheval. Des préavis de
grève furent déposés dans toutes les entreprises publiques, et le privé se
disait prêt à suivre le mouvement «par procuration», comme disait Marc
Blondel en 1995. Jean-Claude Mailly (FO) et Philippe Martinez (CGT) firent
ensemble le «20 heures» de TF1 pour promettre «un été social caniculaire».
Par ailleurs, on trouva au sein de la majorité quelques parlementaires qui
s’alarmèrent du «tout-répressif» proposé par Jean-Louis Borloo contre les
délinquants, les criminels, les apprentis terroristes et les terroristes tout
court. Et, à gauche, l’ineffable Noël Mamère, cofondateur de Génération
écologie avec Jean-Louis Borloo en 1991, prit un air plus sottement inspiré
que d’habitude pour proclamer que «tout cela (lui) rappelait les heures les
plus noires de notre Histoire…».
Conseillère en communication du premier ministre, Frédérique Henry rassura
Jean-Louis Borloo: «Ne vous alarmez pas, Jean-Louis! Plus personne n’écoute
Noël Mamère depuis bien longtemps! Croyez-moi, ça n’a aucune importance!»
Dans son bureau de l’Élysée, ce 8 juin 2017, devisant avec son conseiller
Gilles Boyer à quelques jours du premier tour des législatives, le président
Juppé lisait la presse, qui, de façon unanime, prédisait une victoire des
Républicains mais beaucoup moins large qu’annoncé deux semaines plus tôt.
Malgré les gages de fermeté donnés par Jean-Louis Borloo, le FN demeurait
puissant, tandis que le PS, qui s’indignait de «la fin du modèle social»,
n’était pas si ridicule, quoique concurrencé par le Nouveau Parti très
socialiste (NPTS) d’Arnaud Montebourg.
«L’important, c’est qu’on gagne dans quinze jours. Les majorités
pléthoriques, ce n’est jamais bon»
«Gilles, l’important, c’est qu’on gagne dans quinze jours. Les majorités
pléthoriques, ce n’est jamais bon. Vous êtes trop jeune pour vous en souvenir
précisément, mais la majorité de 1993-1997, surnuméraire, était gonflante. Je
peux en témoigner. Donc, on gagne avec 340/360 députés etbasta cosi! Je
convoque une session extraordinaire du Parlement et on entre dans le dur tout
de suite. Tous les projets de loi seront examinés en urgence. Ces deux idiots
de Martinez et Mailly vont peut-être s’agacer mais, en septembre, ils seront
calmés. Quant aux droits-de-l’hommistes de la majorité, j’en fais mon
affaire.»
Gilles Boyer observait le chef de l’État d’un air contrarié. «Gilles, vous
avez envie de me dire quelque chose, à ce que je vois…
– Oui.
– Je devine! Vous avez l’impression que le premier ministre est, comment
dirais-je, un peu étrange. Et, contre toute attente, terrible et fulminant…?
– C’est exactement ça. Déjà, Sarkozy, Fillon, Le Maire et Cie disent qu’il
s’y prend mal. Je crains que la majorité soit rétive, d’abord parce qu’ils
sont tous jaloux de votre succès, ensuite parce qu’ils connaissent bien JeanLouis Borloo et que Jean-Louis Borloo en Terminator, pour eux, ça le fait
pas…
– Et ils ont raison, poursuivit le chef de l’État, qui se leva et fit trois
fois le tour de son bureau. J’ai nommé Borloo à Matignon pour m’attirer les
bonnes grâces des centristes. Mais, comme le personnage est complexe et
perpétuellement changeant, il s’est mis à en faire des tonnes et à droitiser
mon programme, qui l’était déjà pas mal. On dirait moi en 95! Droit dans ses
bottes! Bref, Borloo c’est Juppé 95 et moi aujourd’hui, c’est Chirac d’il y a
vingt-deux ans! Qui l’eût cru, qui l’eût dit?
– Donc?, répondit Gilles Boyer.
– Donc, il n’est pas sûr que je reconduise Borloo après les législatives. Je
ne veux pas me retrouver assiégé en octobre par tous les gueulards
professionnels que compte ce pays. Donc, exit Borloo.
– Et vous avez pensé à quelqu’un pour le remplacer?, s’enquit timidement
Gilles Boyer.
Je vais nommer Virginie Calmels. Une fille, et venue de la société civile!
– Pas à quelqu’un, à quelqu’une! Je vais nommer Virginie Calmels. Une fille,
et venue de la société civile! C’est exactement le contraire de ce que je
voulais, mais, question marketing, vous allez me dire que c’est le rêve! On
ne pourra pas me traiter de macho ni d’énarque apportant à tout des réponses
de macho et d’énarqu! Qui plus est, elle va nous dompter tous les petits
marquis des administrations centrales qui, depuis toujours, bloquent tout
changement dans ce pays! Bercy et l’Éducation nationale peuvent trembler!»
Soudainement décontracté, Gilles Boyer sourit et lança au chef de l’État:
«Monsieur le Président, voilà une idée lumineuse! Virginie fera tout ce que
promet Borloo, mais d’une façon féminine. Ce sera un vrai plus! Les médias
vont adorer! La deuxième femme à Matignon depuis 1958!»
Alain Juppé n’était pas peu fier de son effet. Cependant, au bout de quelques
secondes, son visage se referma. «Gilles? Puisque vous parlez de la condition
féminine, il y aura une contrepartie à la nomination de Virginie. Je vais
virer huit filles du gouvernement. Je les ai vues à l’œuvre depuis trois
semaines, et ce n’est pas terrible, croyez-moi! Elles me crispent! Ça va
peut-être faire du schpountz, mais en même temps, si je donne Matignon à une
fille, ça devrait compenser, non?»
Gilles Boyer grimaça et répondit: «Pas sûr.»
Source :© Le Figaro Premium – «Eux présidents», les scénarios de 2017 : la
femme est l’avenir de l’homme (épisode 2/2)