La dénonciation des contrats

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La dénonciation des contrats
UNIVERSITE DE MONTPELLIER I
FACULTE DE DROIT
CENTRE DU DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE
MASTER RECHERCHE DROIT PRIVE ECONOMIQUE
LA DENONCIATION DES CONTRATS
Par :
Ovidiu PETRENCIU
Directeur de recherche :
Madame Isabelle ALVAREZ
Année universitaire 2011-2012
SOMMAIRE
INTRODUCTION…………………………………………………………………………4
PARTIE I. LA DENONCIATION DES CONTRATS : UNE TECHNIQUE ORIGINALE DE
RESOLUTION UNILATERALE ……………………………………………………………....7
CHAPITRE I. L’IDENTITE DE LA RESOLUTION PAR DENONCIATION UNILATERALE EN
DROIT FRANÇAIS ………………………………………………………………………..7
SECTION I. LA DENONCIATION : UNE TECHNIQUE UNILATERALE DE RESOLUTION .....7
SECTION II. LA
PLACE DE LA RESOLUTION PAR DENONCIATION UNILATERALE
PARMI LES AUTRES INSTRUMENTS DE DENOUEMENT CONTRACTUEL………..……10
CHAPITRE II. LA DENONCIATION DES CONTRATS : UN DROIT CATEGORIEL..………....12
SECTION I. LA DENONCIATION DES CONTRATS PREVUE DANS LA REGLEMENTATION
SPECIALE…………………………………………………………………………..13
SECTION II. LA DENONCIATION DES CONTRATS EN DROIT COMMUN : UNE
CREATION PRETORIENNE …...………………………………………….…………..15
PARTIE II. LA DENONCIATION DES CONTRATS : POUR UNE NOUVELLE THEORIE
GENERALE DE LA RUPTURE CONTRACTUELLE ………………………………………….18
CHAPITRE I. LA TECHNIQUE DE LA DENONCIATION UNILATERALE DES CONTRATS A
L’ECHELLE INTERNATIONALE …….……………...……………………………………18
SECTION I. LES DROITS ETRANGERS …………………………………...………….18
SECTION II. LES CODIFICATIONS PRIVEES INTERNATIONALES …………………….19
CHAPITRE II. LA PROPOSITION D ’UNE NOUVELLE THEORIE GENERALE DE LA
RESOLUTION PAR DENONCIATION UNILATERALE …………………………………..….21
SECTION I. L’UTILITE PRATIQUE D ’UNE NOUVELLE THEORIE GENERALE SUR LA
RESOLUTION PAR DENONCIATION ………………………………………...……….21
SECTION II. L’IDEE DE LA GENERALISATION DE LA THEORIE EN DROIT CIVIL
FRANÇAIS
…………………………………………………………………………22
CONCLUSION……………………………………………………………………….....25
BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………...27
TABLES DES MATIERES………………………………………………………….....28
Introduction
La théorie du droit des contrats est en pleine évolution en droit français. On pense
notamment à la théorie de la rupture contractuelle, car des nouveaux concepts font leur
apparition, spécialement pour répondre avec plus d’efficacité aux pratiques liées à la
multiplication des échanges économiques. Des nouveaux principes comme la célérité des
relations d’affaires et la sécurité juridique justifieraient un gain de rapidité pour résoudre
les procès liés aux rapports juridiques entre cocontractants. Le contrat est considéré
comme la pierre angulaire des sociétés modernes, mais en matière de rupture contractuelle
il existe un grand désordre. La doctrine s’interroge souvent sur les solutions qui devraient
être engagées lors de la rupture contractuelle. La gestion d’une rupture contractuelle
dépend des plusieurs critères : l’origine fautive, fortuite ou volontaire, la qualification du
contrat et de ses obligations, la durée du contrat ou de l’interdépendance de ses obligations
et aussi du degré d’achèvement de l’accord1. Peut-être aujourd’hui la rupture la plus
intéressante est la rupture unilatérale à cause d’inexécution contractuelle, qui en droit
français doit être identifiée avec la résolution par dénonciation.
La dénonciation des contrats est un instrument original dans la technique de la
rupture des contrats, car on peut l’utiliser en dehors du cadre juridique judiciaire. La
dénonciation des contrats est d’origine prétorienne, de plus en plus prévue dans les lois
spéciales des contrats et peu utilisée en droit commun des contrats. L’intervention du juge
dans la résolution des contrats a été longtemps considérée de l’essence même de la
résolution. Elle est prévue par le Code civil français dans l’article 1184. D’où l’intérêt
d’une définition plus claire de la dénonciation, en l’encadrant parmi les concepts de
résolution et de résiliation des contrats.
On constate qu’il n’y a pas de définition légale de la dénonciation. Historiquement la
notion de la dénonciation a été utilisée pour la première fois en droit international public et
elle représente l’acte par lequel un Etat partie à un traité y met fin 2. Une définition très
large de la dénonciation se retrouve comme « une expression unilatérale, par une partie à
1
S. LOMBARDIE-LOUBATIERE, La dénonciation des contrats, Thèse, Université Montpellier 1,
Faculté de droit, Soutenue le 17octobre 1998, p. 1
2
Lexique des termes juridiques 2012, Dalloz, 19 Edition 2011
un accord, de sa volonté de ne plus être lié par cet accord »3. Cette expression unilatérale
est vue comme un acte positif de la volonté (une annonce) produisant comme effet la fin
d’un accord4.
Une autre définition de la dénonciation se retrouve en liaison avec le droit du travail,
comme étant un « acte par lequel l’une ou l’autre des parties à une convention collective
à durée indéterminée entend se dégager de l’accord »5. Mais, cette définition n’est pas
parfaite, voir contraire au concept moderne de la dénonciation, car la dénonciation, se
retrouve dans plusieurs domaines du droit privé, est justifiée par l’inexécution du contrat
et peut être aussi appliquée dans les contrats à durée déterminée.
La doctrine est aussi assez ambiguë en ce qui concerne la définition de la
dénonciation des contrats, car certains auteurs l’utilisent plutôt comme un simple terme
juridique, tandis que d’autres auteurs l’utilisent comme une vraie institution juridique. Il y
a des auteurs qui donnent un sens très large à la dénonciation des contrats, comme
couvrant l’ensemble de la rupture contractuelle (résolution, résiliation)6. D’autre parte,
d’autres auteurs identifient la dénonciation des contrats comme étant une forme de
résolution unilatérale applicable aux contrats synallagmatiques7. C’est cette vision que
nous voulons développer, parce qu’elle crée de nouvelles problématiques théoriques et
pratiques en droit français.
Dans les autres pays européens qui ont déjà recours à cette institution, la
dénonciation des contrats est censée libéraliser les échanges économiques, dans le sens où
elle représente une possibilité de résoudre unilatéralement le contrat inexécuté sans
l’intervention du juge. Ainsi tel est le cas par exemple en droit anglais ou allemand.
3
Vocabulaire juridique, G. Cornu, PUF, 1996
4
S. LOMBARDIE-LOUBATIERE, La dénonciation des contrats, Thèse, Université Montpellier 1,
Faculté de droit, Soutenue le 17octobre 1998, n° 16.
5
Lexique des termes juridiques Dalloz, 2011
6
Ibid.
7
A. BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec, 2009.
La problématique d’une étude sur la dénonciation des contrats est pensée aujourd’hui
sur des nouveaux fondements économiques et juridiques. La dénonciation des contrats,
comme mode de résolution unilatérale, doit encore à s’imposer en droit privé français. En
effet, nous allons démontrer que le droit privé français sera obligé de tenir compte d’une
telle « liberté contractuelle ». Marginalisée au début en droit contractuel spécial elle
pourrait être très utile dans le droit général des contrats. Alors, notre étude devra répondre
à la question suivante : les fondements de la dénonciation des contrats, vue comme un
droit catégoriel, peuvent-ils justifier une nouvelle théorie générale de la résolution en droit
privé ?
L’étude sera développée en deux parties, la première étant fondée sur la dénonciation
des contrats en droit privé français vue comme un droit catégoriel (Partie I), tandis que la
deuxième partie sera écrite sur la dénonciation des contrats pour une nouvelle théorie
générale de la résolution rupture en droit privé français (Partie 2).
Partie I. La dénonciation des contrats : une technique originale de
résolution
La dénonciation est une technique originale de résolution, premièrement parce
qu’elle représente une forme de résolution unilatérale concurrente à la résolution
judiciaire, ayant une identité atypique en droit français (Chapitre I), et deuxièmement
parce qu’elle apparait comme un droit catégoriel (Chapitre II).
Chapitre I. L’identité atypique de la résolution par dénonciation unilatérale en
droit français
En droit français, la dénonciation apparait comme une technique unilatérale de
résolution (Section I), qui doit trouver sa place parmi les autres instruments de
dénouement contractuel (Section II).
Section I. La dénonciation : une technique unilatérale de résolution
La dénonciation de contrats est étudiée dans « la théorie générale de la rupture
contractuelle ». La rupture connait de régimes juridiques différenciés : le droit français
distingue entre un droit commun et un droit spécial de la rupture. Le droit commun des
contrats opère une césure entre les contrats à durée indéterminée et les contrats à durée
déterminée et le droit spécial est d'une lecture difficile sur les régimes de la rupture 8. La
rupture des contrats laisse une impression de désordre. Celle-ci est renforcée par la
confusion qui règne pour exprimer la rupture. Les vocables « résolution » et « résiliation »
renvoient à des réalités multiples, il n’y a pas de consensus sur la terminologie employée.
Généralement elles désignent la sanction judiciaire encourue en cas d'inexécution des
contrats synallagmatiques. Tandis que la résolution entraîne l'anéantissement rétroactif du
contrat, la résiliation n'opère que pour l'avenir9. La doctrine s’interroge si ces institutions
se séparent uniquement quant à leur effet rétroactif ou non, ou si elles occupent un
8
S. LE GAC-PECH, Rompre son contrat, RTD Civ. 2005, n° 20.
9
Ibid. n° 1.
domaine matériel différent. La résiliation est en effet plutôt réservée aux contrats à
exécution successive ou échelonnée.
La matière déborde d’une terminologie fluctuante parce que « la résiliation désigne
à la fois l'anéantissement judiciaire du contrat sans rétroactivité, la révocation unilatérale
extra-judiciaire des contrats à durée indéterminée et l'anéantissement conventionnel du
contrat. L'imprécision ressort encore de la référence à la « faculté de résiliation » tenue
pour équivalente au droit de dénonciation, à la faculté de renonciation, ou à la
rétractation »10.
Quant à la résolution, elle est destinée à sanctionner l’inexécution des obligations
prévues au contrat. La notion de résolution classique évoque la résolution judiciaire
instituée par l’article 1184 du Code civil et la résolution mise en œuvre par une clause
résolutoire, mais rarement la rupture du contrat opérée par une partie suite à la défaillance
de son partenaire11. L’article 1184 du Code civil dispose que « la condition résolutoire est
toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux
parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de
plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de
forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la
résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il
peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances ». La résolution, par
tradition était réservée aux seuls contrats à exécution instantanée. Mais, aujourd’hui la
jurisprudence admet que la résolution judicaire peut être appliquée aux contrats à
exécution successive et que le caractère rétroactif de la résolution serait soumis à la libre
appréciation judiciaire12.
La résolution est alors définie comme un mode de dénouement du lien contractuel
sanctionnant une inexécution, mais le caractère judicaire de la résolution et son effet
rétroactif ne sont pas de son essence. La résolution par dénonciation unilatérale se
10
Ibid.
11
Ibid.
12
S. LE GAC-PECH, Rompre son contrat, RTD Civ. 2005, n° 20.
différencie de la résolution fondée sur l’article 1184 du Code civil par son caractère extrajudiciaire.
La résolution par dénonciation unilatérale est présentée par une partie de la doctrine
comme une exception au droit positif de la rupture contractuelle, c’est-à-dire de la
résolution judiciaire. Les auteurs classiques parlent couramment de la résolution par
déclaration unilatérale13 comme dérogation à la résolution judiciaire, en l’identifiant
implicitement à la dénonciation unilatérale. La résolution judiciaire nécessite évidement
une intervention d’un juge qui est couteuse et qui « place le contractant qui se plaint de
l’inexécution du contrat dans l’impossibilité de recouvrer sa liberté d’action tant qu’une
décision n’a pas été rendue »14. En ce sens il y a là une entrave à la vie des affaires. C’est
ainsi que « la loi et plus récemment la jurisprudence admettent également, dans certains
cas, que le créancier de l’obligation inexécutée peut être libéré de son obligation sans
avoir recours au juge »15.
Les sens donnés à la dénonciation des contrats en droit français sont multiples. Avec
la publication en 2009 de la thèse de Madame Aurélie Brès portant sur « La résolution du
contrat par dénonciation unilatérale », dirigée par Monsieur le Professeur Jacques
Raynard, on a accès à une vision nouvelle et très pertinente de la dénonciation des
contrats. Cette thèse se propose de démontrer que la dénonciation est un mode de
résolution unilatérale en cours d’installation en droit français. La résolution par
dénonciation unilatérale n’est traditionnellement admise que dans des hypothèses limitées,
cependant, nous allons voir qu’elle est de plus en plus utilisée et qu’elle pourrait
représenter un mode de résolution concurrent à la résolution judiciaire.
La deuxième section de ce premier chapitre est dédiée à la place de la dénonciation
parmi les autres instruments du dénouement contractuel.
13
F.TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 2009, n° 658.
14
Ibid. n° 657.
15
Ibid.
Section II. La place de la résolution par dénonciation unilatérale parmi
les autres instruments de dénouement contractuel
La résolution par dénonciation fait partie d’un courant unilatéraliste en droit français
des contrats (§ 1), mais elle a une physionomie propre, en se distinguant des autres
instruments de rupture contractuelle (§ 2).
§ 1 Le courant unilatéraliste en droit français des contrats
La réception de cette forme de résolution en droit français est inscrite dans un
mouvement plus général d’admission de l’unilatéralisme dans les relations contractuelles,
surtout matérialisé par des solutions jurisprudentielles validant la fixation unilatérale du
prix dans les contrats-cadre16. Dans le même ordre d’idées, la résolution par dénonciation
unilatérale est vu comme un pouvoir, un acte unilatéral dans un rapport contractuel, à côté
des autres actes unilatéraux dans les rapports contractuels : le pouvoir de modifier une
clause, de se substituer un tiers, de refuser l’agrément à cette substitution, etc.17.
Plus exactement, la technique de la résolution par dénonciation unilatérale s’inscrit
dans un courant général qui admet plusieurs modes d’anéantissement unilatéral de contrat.
On pense notamment à la révocation ad nutum du mandataire, au droit reconnu au
locataire de mettre fin au bail d’habitation avant son terme, le droit de repentir de l’auteur,
le droit de rétractation du consommateur, etc. Ces modes d’anéantissement unilatéral de
contrat sont différents de la résolution par dénonciation, qui, elle, représente une rupture
pour cause d'inexécution contractuelle. Nous allons voir dans le deuxième paragraphe que
la résolution par dénonciation unilatérale se distingue bien d’autres instruments de rupture
contractuelle.
16
17
A. BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec, 2009.
L. AYNES, Le droit de rompre unilatéralement : fondement et perspectives, Droit et Patrimoine, Lamy,
2004, n° 16.
§ 2 La distinction vis-à-vis des autres instruments de rupture
contractuelle
La résolution par dénonciation a comme fondement l’inexécution des obligations
contractuelles et elle est un instrument de rupture unilatéral. Les plus évidentes
distinctions sont faites avec la clause résolutoire expresse et le mutuus dissensus, qui ont
une origine consensuelle. Elle est bien distinguée aussi de la résolution judiciaire.
Cependant, il n’est pas facile de voir une forme de résolution dans la dénonciation du
contrat faite par une partie, dénonciation qui va produire des effets pour le futur, à cause
du caractère rétroactif généralement prêté à la résolution18. Mais il est une évidence que si
la résolution sanctionne une inexécution, la dénonciation unilatérale du contrat pour
inexécution est un mode de résolution19. Etant un mode de résolution unilatérale, la
dénonciation se différencie des autres instruments unilatéraux de rupture contractuelle.
Premièrement la résolution par dénonciation se distingue de la dénonciation d’une clause
tacite de reconduction, même si la forme est relativement similaire20. La dénonciation
d’une clause tacite de reconduction exprime simplement la volonté de sortir du contrat qui
est basée sur des stipulations contractuelles, alors que la dénonciation unilatérale est
justifiée par les manquements à l’exécution du contrat et elle conduit à la résolution du
contrat pas simplement à son non-renouvèlement21.
Une autre distinction importante est faite par rapport à la résiliation unilatérale. La
résiliation unilatérale du contrat à durée indéterminée est toujours ouverte à l’une ou
l’autre partie sur la simple volonté de l’une d’elles de mettre fin à la relation22.
L’importance de cette distinction est évidente car ces institutions ont à la base des
manifestations unilatérales de volonté qui se ressemblent. La thèse de la résolution par
dénonciation unilatérale de la Madame Aurelie Bres est très convaincante sur ce point. Le
critère qui permet de distinguer les deux est celui du fondement et non pas celui de l'effet
18
A. BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec, 2009, n°.38.
19
Ibid. n° 39.
20
Ibid. n° 44.
21
Ibid.
22
J.-P. GRIDEL, La rupture unilatérale aux risques et périls, Revue Lamy Droit Civil, 2007
rétroactif que l'on retrouve parfois dans la résolution. Cette thèse démontre que l’effet
rétroactif n’est pas de l’essence de la résolution. Dans ces conditions, seul le fondement
permet la différenciation entre les deux. De ce fait, la résolution sanctionne
l’interdépendance des obligations dans le contrat synallagmatique, « si l’une des parties
manque à ses engagements, les engagements de l’autre n’ont plus de raison d’être, plus
d’intérêt, plus de cause »23, tandis que la résiliation d’un contrat à durée indéterminée est
fondée sur le principe de la prohibition des engagements perpétuels. Le terme
« résiliation » devrait être utilisé seulement pour la rupture unilatérale des contrats à durée
indéterminée24. Dans le même sens « la résiliation sera entendue comme un droit
d’extinction unilatérale d’un contrat de durée en cours d’exécution, offerte à l’une ou à
l’autre des parties, pour un motif distinct de l’inexécution du cocontractant »25. Cela ne
veut pas dire, en cas d’inexécution, que l'on ne pourrait pas fonder la rupture d’une
convention à durée indéterminée sur la résolution par dénonciation unilatérale, car on est
libre de choisir son fondement.
La dénonciation des contrats s’est imposée en droit privé français comme un droit
catégoriel, aspect qui sera l'objet de ce second chapitre.
Chapitre II. La dénonciation des contrats : un droit catégoriel
La dénonciation des contrats est principalement prévue dans la règlementation
spéciale (Section I), mais la jurisprudence a fait quelques applications de la dénonciation
en droit commun, que nous en allons voir en étudiant la création prétorienne de la
dénonciation des contrats en droit commun (Section II).
Section I. La dénonciation des contrats prévue dans la réglementation
spéciale
Cette première section envisage les cas de dénonciation les plus connus dans la
réglementation spéciale. Un exemple typique de réglementation spéciale, bien que prévu
23
J. CARBONNIER, Droit civil, Les biens, Les obligations, PUF, 2004, n° 1102.
24
A. BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec, 2009, n° 78.
25
C. CORGAS-BERNARD, La résiliation unilatérale du contrat à durée déterminée, Presses
Universitaires d’Aix-Marseille, 2006, n° 5.
par le Code civil, réside dans les contrats de vente obéissant au régime juridique
spécifique de l'article 1657 : Cet article dispose qu’ « en matière de vente de denrées et
effets mobiliers, la résolution de la vente aura lieu de plein droit et sans sommation, au
profit du vendeur, après l'expiration du terme convenu pour le retirement. ». On souligne
que la résolution s’opère de plein droit et sans sommation. Cette disposition est très
pratique, car elle s’explique par le désir d’éviter « un dépérissement des choses vendues
pendant la durée d’une action en justice »26, ce qui permet au vendeur de se libérer de son
engagement et de vendre ses produits ailleurs.
La résolution par dénonciation unilatérale a été bien développée en droit de travail.
L’article L1243-1 du Code du travail dispose que « sauf accord des parties, le contrat de
travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de
faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail. ». Les
premières décisions relatives à résolution par la dénonciation unilatérale concernaient des
contrats de travail27. En ce sens, « la jurisprudence a défini le concept de faute grave
comme celle qui « rend impossible le maintien du lien contractuel »(…), ce moyen, le plus
souvent invoqué par l’employeur, fait l’objet d’une appréciation très restrictive des
tribunaux (constitue une faute grave le fait de refuser d’exécuter une tâche habituelle (…)
28
.
Un accueil très favorable de la technique de dénonciation est retrouvé dans des textes
spéciaux, de formulation plus récente, qui admettent la dénonciation unilatérale du contrat,
mais seulement au bénéfice d’une partie et seulement pour certains cas d’inexécution de
certaines obligations29. Il s’agit de l’article L132-17 du Code de la propriété intellectuelle,
qui dispose que « le contrat d'édition prend fin, indépendamment des cas prévus par le
droit commun ou par les articles précédents, lorsque l'éditeur procède à la destruction
totale des exemplaires. La résiliation a lieu de plein droit lorsque, sur mise en demeure de
l'auteur lui impartissant un délai convenable, l'éditeur n'a pas procédé à la publication de
26
F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 2009, n° 658.
27
Cass. Civ.,26 févr.1896, D. 1996, I, p.158.
28
A. VAISSIÈRE, À propos de la résiliation unilatérale des contrats à durée déterminée, Revue Lamy
Droit Civil – 2006, n°. 7
29
A. BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec, 2009, n° 22.
l'œuvre ou, en cas d'épuisement, à sa réédition. L'édition est considérée comme épuisée si
deux demandes de livraisons d'exemplaires adressées à l'éditeur ne sont pas satisfaites
dans les trois mois (...) ». On voit alors, que l’article L131-17 accorde à l’auteur d’une
œuvre littéraire, partie au contrat d’édition, le droit de dénoncer unilatéralement le contrat
en cas d’inexécution par l’éditeur de ses obligations de publication ou de réédition.
L'article L114-1 du Code de la consommation s'inscrit dans ce même courant de
nouveaux textes spéciaux. Cet article protège le consommateur contre les vendeurs et les
prestataires de services professionnels qui n’exécutent pas leurs obligations. Ainsi, il est
prévu que « dans tout contrat ayant pour objet la vente d'un bien meuble ou la fourniture
d'une prestation de services à un consommateur, le professionnel doit, lorsque la livraison
du bien ou la fourniture de la prestation n'est pas immédiate et si le prix convenu excède
des seuils fixés par voie réglementaire, indiquer la date limite à laquelle il s'engage à
livrer le bien ou à exécuter la prestation. Le consommateur peut dénoncer le contrat de
vente d'un bien meuble ou de fourniture d'une prestation de services par lettre
recommandée avec demande d'avis de réception en cas de dépassement de la date de
livraison du bien ou d'exécution de la prestation excédant sept jours et non dû à un cas de
force majeure. Ce contrat est, le cas échéant, considéré comme rompu à la réception, par
le vendeur ou par le prestataire de services, de la lettre par laquelle le consommateur
l'informe de sa décision, si la livraison n'est pas intervenue ou si la prestation n'a pas été
exécutée entre l'envoi et la réception de cette lettre.(…) ». La jurisprudence a fait des
nombreuses applications sur cet article.30
Dans une logique de protection inversée, c’est l’assureur qui a le droit de dénoncer
unilatéralement le contrat d’assurance en cas de défaut de paiement d’une prime ou d’une
fraction de prime par l’assuré. L’article 113-3 du Code des assurances dispose que « à
défaut de paiement d'une prime, ou d'une fraction de prime, dans les dix jours de son
échéance, et indépendamment du droit pour l'assureur de poursuivre l'exécution du
contrat en justice, la garantie ne peut être suspendue que trente jours après la mise en
demeure de l'assuré. (…). L'assureur a le droit de résilier le contrat dix jours après
l'expiration du délai de trente jours mentionné au deuxième alinéa du présent article.
(…) ».
30
CA Riom, 1re ch. civ., 26 févr. 2009.
Enfin, aux termes de l’article L313-12 du Code monétaire et financier, un
établissement de crédit qui a consenti un prêt à une entreprise a le droit d'y mettre fin,
lorsque le bénéficiaire de crédit se comporte d’une manière gravement répréhensible « (…)
l'établissement de crédit n'est pas tenu de respecter un délai de préavis, que l'ouverture de
crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement
répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s'avérerait
irrémédiablement compromise. ».
On remarque la diversité des secteurs où la technique de la dénonciation est présente,
mais il a été conclu que « la diversité des secteurs dans lesquels le mécanisme envisagé
peut être mis en œuvre ne fait pas obstacle à l’identification d’un concept unitaire de
résolution par dénonciation unilatérale »31. Nous allons voir dans la deuxième section que
la jurisprudence a commencé à développer un concept unitaire concernant la dénonciation
en droit commun des contrats.
Section II. La dénonciation des contrats en droit commun : une création
prétorienne
On a déjà constaté que traditionnellement la résolution en droit français est l’apanage
du juge et que la résolution par dénonciation unilatérale s’est imposée surtout en droit
spécial. Aujourd’hui la théorie générale de la rupture contractuelle semble perfectible. La
jurisprudence a commencé à reconnaître l’existence d’un droit à la résolution par
dénonciation unilatérale en droit commun des contrats. La doctrine admet aussi, à partir
des textes spéciaux et de la jurisprudence, l’émergence d’un véritable droit contractuel de
mettre un terme à la convention lorsque le cocontractant ne respecte pas ses propres
obligations ou lorsque la situation l’impose32.
La rupture par le créancier, lorsque le débiteur a commis une faute ou s'il a
gravement manqué à ses obligations est depuis longtemps admise par la jurisprudence. La
31
32
Ibid. n° 479.
Ph. DELEBECQUE, Le droit de rupture unilatérale du contrat : genèse et nature, Droit et Patrimoine,
2004, n° 126.
doctrine évoque une vieille décision du tribunal civil de la Seine qui avait reconnu à
l’exploitant d’un organisme de spectacle le droit d’évacuer un spectateur qui avait troublé
la représentation33. De plus, dans un arrêt de la cour d’appel de Colmar du 7 février 1975,
cité par Monsieur le Professeur Philippe Delebecque : « L’une des parties est en droit de
rompre le contrat de vente sans l’intervention d’une décision judiciaire, lorsque l’autre
partie a rendu cette rupture nécessaire »34. En l’espèce, la marchandise était en train de
périr et l’acquéreur refusait de payer.
Depuis 1998, l’état d’urgence or de nécessité n’est plus recquis. La gravité du
comportement d’une des parties suffit à justifier et à fonder l’exercice par l’autre d’un
pouvoir de rupture unilatérale35.
Plus récemment la première chambre civile de la Cour de cassation36 a affirmé à
plusieurs reprises que la gravité du comportement d’une partie à un contrat pouvait
justifier une résolution par dénonciation unilatérale. Dans ces conditions, une partie peut
mettre fin à un contrat à ses risques et périls, peu importe que le contrat soit à durée
déterminée ou non37. La portée de cette évolution est la reconnaissance de la liberté de
rompre unilatéralement le contrat pour inexécution, mais cette rupture est faite aux risques
et périls de son auteur, c’est-à-dire que le débiteur va pouvoir demander au juge d’en
contrôler à postériori la régularité38.
Dans un arrêt rendu par la première chambre civile, le 28 octobre 2003, « la gravité
du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de
33
Ph. DELEBECQUE, Le droit de rupture unilatérale du contrat : genèse et nature, Droit et Patrimoine,
2004, n° 126.
34
Ibid.
35
L. AYNES, Le droit de rompre unilatéralement : fondement et perspectives, Droit et Patrimoine, Lamy,
2004
36
Cf Cass. civ., 1ère, 20 févr. 2001.
37
A. BRES, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Litec, 2009, n° 23.
38
F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 2009, n° 660.
façon unilatérale à ses risques et périls, peu important que le contrat soit à durée
déterminée ou non »39, la Cour de Cassation a renforcé le principe.
Ce principe a été confirmé et consolidé par la Chambre commerciale en 200840. En
l’espèce, deux sociétés ont conclu un contrat ayant pour objet la location et l’entretien
d’équipements textiles pour une durée de trois ans. Les parties ont stipulé dans le contrat
que la résiliation anticipée peut intervenir après l’envoi de trois lettres recommandées
motivées. L’une des sociétés a notifié à l’autre la rupture du contrat sans respecter la
forme contractuellement prévue. La Cour de cassation étant saisie, au visa de l’article
1134 du Code civil, rappelant que « la gravité du comportement d’une partie à un contrat
peut justifier que l’autre y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, peu
important les modalités formelles de la résiliation contractuelle »41.
Mais peut-on aller plus loin et demander une approche encore plus moderne sur la
résolution par dénonciation unilatérale ? Nous allons voir, dans la deuxième partie sur la
dénonciation des contrats, pour une nouvelle théorie générale de la rupture contractuelle,
qu’on pourrait transformer l’exception dans une règle.
39
Civ. 1ère, 28 oct. 2003, n° 01-03662
40
Cass. com., 10 févr. 2008, n° 08-12.415.
41
Revue Lamy Droit Civil, Résiliation unilatérale : le fond importe plus que la forme, Actualités, 2009.
Partie II. La dénonciation des contrats pour une nouvelle théorie
générale de la rupture contractuelle
La deuxième partie est consacrée à l’étude de la théorie de la résolution par
dénonciation unilatérale à l’échelle internationale (Chapitre I), tout en réfléchissant sur la
proposition d’une nouvelle théorie générale de la résolution par dénonciation unilatérale
en droit français (Chapitre II).
Chapitre I. La théorie de la dénonciation des contrats à l’échelle internationale
Contrairement au droit français, des droits étrangers (Section I) et les codifications
privées internationales (Section II) garantissent clairement l’existence de la résolution par
dénonciation unilatérale.
Section I. Les droits étrangers
Les droits étrangers peuvent constituer une bonne source d’inspiration pour le droit
français. Le droit allemand, néerlandais, italien, suisse, la common law, le nouveau Code
civil québécois posent le principe de la résolution unilatérale, qui est soit exclusif, soit au
contraire il est concurrent de celui de la résolution judiciaire (le cas du Code civil
néerlandais)42.
Aujourd’hui on assiste à une tendance générale qui est d’admettre la résolution par
dénonciation unilatérale. Le plus récent exemple c’est peut-être le Code civil roumain de
2009, entré en vigueur le 1er Octobre 2011, où la résolution par dénonciation unilatérale à
cause d’inexécution est prévue comme un mode concurrent à la résolution judicaire. Ainsi,
l’article 1550 al. 1 prévoit que la résolution peut être prononcée par le juge s’il lui est
demandé, ou elle peut être déclarée unilatéralement par une des parties. L’article 1551 du
même code dispose que le créditeur n’a pas le droit à la résolution si l’inexécution de
l’obligation est minimale.
42
L. AYNES, Le droit de rompre unilatéralement : fondement et perspectives, Droit et Patrimoine, Lamy,
2004.
Mais, généralement les droits étrangers se sont eux-mêmes inspirés des codifications
privées internationales, que nous allons voir dans la section II.
Section II. Les codifications privées internationales
La Convention de Vienne du 11 avril 1980 relative à la vente internationale de
marchandises prévoit dans son article 64 que le vendeur peut déclarer le contrat résolu si
l’acquéreur a manqué à ses obligations. La résolution par dénonciation unilatérale est aussi
admise dans les Principes du droit européen du contrat, élaboré sous la direction du
Professeur Lando. L’article 4.301 des Principes du droit européen du contrat énonce «
qu’une partie peut résoudre le contrat s’il y a inexécution partielle de la part d’un
contractant », mais, « lorsque, dès avant la date à laquelle une partie doit exécuter, il est
manifeste qu’il y aura inexécution essentielle de sa part, le contractant est fondé à
résoudre le contrat ».
La résolution par dénonciation unilatérale se retrouve aussi dans les Principes
Unidroit. L’article 7-3-1 des Principes Unidroit dispose qu’ « une partie peut résoudre le
contrat s’il y a inexécution essentielle de la part de l’autre partie.
2) Pour déterminer ce qui constitue une inexécution essentielle, on prend, notamment,
en considération les circonstances suivantes:
a) l’inexécution prive substantiellement le créancier de ce qu’il était en droit d’attendre
du contrat, à moins que le débiteur n’ait pas prévu ou n’ait pu raisonnablement prévoir ce
résultat;
b) la stricte exécution de l’obligation est de l’essence du contrat;
c) l’inexécution est intentionnelle ou téméraire;
d) l’inexécution donne à croire au créancier qu’il ne peut plus compter dans l’avenir sur
l’exécution du contrat;
e) le débiteur subirait, en cas de résolution, une perte excessive résultant de la
préparation ou de l’exécution du contrat.
3) En cas de retard, le créancier peut également résoudre le contrat si le débiteur
n’exécute pas dans le délai visé à l’article 7.1.5 »43 et dans le Code européen des contrats
proposé par l’Académie de privatistes européennes.
43
http://www.unidroit.org/french/principles/contracts/principles2010/blackletter2010-french.pdf
Un des instruments les plus modernes qui reconnait la résolution par dénonciation
unilatérale est le projet académique DCFR44 (Cadre commun de référence). L’article III.
—3 :502 « Résolution pour inexécution essentielle » du DCFR prévoit que : « (1) Le
créancier peut résoudre le contrat si l’inexécution par le débiteur d’une obligation
contractuelle est essentielle.
(2) L’inexécution d’une obligation contractuelle est essentielle si :
(a) elle prive substantiellement le créancier de ce qu’il était en droit d’attendre du
contrat, pour le tout ou pour une part significative de l’exécution, à moins que le débiteur
au moment de la conclusion du contrat n’ait pas prévu ou n’ait pas pu raisonnablement
prévoir ce résultat,
(b) ou elle est intentionnelle ou inexcusable et donne à croire au créancier qu’il ne
peut pas compter dans l’avenir sur une exécution par le débiteur. »45.
La théorie de la résolution par dénonciation est encore plus avancée dans le DCFR
qui propose plusieurs types de dénonciation reposant sur plusieurs fondements comme : la résolution après notification fixant un délai supplémentaire pour l’exécution – article
III. —3 :503 ;
-
la résolution pour inexécution anticipée – article III. —3 :504 ;
-
la résolution en raison de l’inadéquation des assurances d’exécution – article III. —
3 :505. En vertu de l’article III. —3 :507 « Notification de la résolution », la résolution
s’opère par notification au débiteur.
Les codifications privées internationales ont eu une grande influence sur la technique
de la résolution par dénonciation unilatérale, car la plupart de ces théories se retrouvent
actuellement dans les nouveaux projets français de réforme du droit des contrats.
44
http://ec.europa.eu/justice/contract/files/european-private-law_en.pdf
45
http://droit.univ-poitiers.fr/poitiers-roma/IMG/pdf/Traduc-vBar-livre_I-II-III-_08-2008.pdf
Chapitre II. La proposition d’une nouvelle théorie générale de la résolution par
dénonciation unilatérale en droit français
Aujourd’hui des nouveaux fondements de droit privé nous soulignent l’utilité
pratique d’une nouvelle théorie générale sur la résolution par dénonciation (Section I),
pourtant l’idée de généraliser la résolution par dénonciation unilatérale en droit commun
(Section I) n’est pas nouvelle en droit français.
Section I. L’utilité pratique d’une nouvelle théorie générale sur la
résolution par dénonciation
Une réforme du droit français des contrats est impérieuse, ainsi comme le souligné
Monsieur le Professeur Daniel Mainguy, « …l'ancienneté n'est pas plus une tare que la
jeunesse n'est, par principe, une qualité, mais, s'agissant d'une institution aussi essentielle
à la vie sociale et économique de notre pays, l'obsolescence des règles proposées par le
code civil en droit légal des contrats est manifeste »46. Aujourd’hui on ressent un besoin
de plus en plus aigu pour une nouvelle théorie générale de la résolution par dénonciation
unilatérale. Dans un monde formé des échanges économiques journaliers, elle apparait
comme un instrument protecteur des intérêts des créanciers non satisfaits. La dénonciation
permet de sortir rapidement du contrat, sans avoir à subir les contraintes d’une action en
justice. Cette technique permet d’éviter les couts procéduraux, le temps et l’énergie
engagés dans un procès. De plus, elle permet une restauration rapide de la situation
dommageable dans laquelle se retrouve le créancier, car une fois le contrat résolu il pourra
chercher ailleurs la satisfaction économique. La célérité des relations d’affaires est mise en
avant par l’instauration d’une telle technique.
La théorie de la résolution par dénonciation unilatérale est aussi encouragée par
l’analyse économique du droit. Dans la deuxième partie du 19ième siècle « les économistes
ont développé une analyse économique des contrats sur la logique de laquelle il convient
de revenir afin de permettre au juriste d’interpréter le message de la théorie économique
46
D. MAINGUY, Défense, critique et illustration de certains points du projet de réforme du droit des
contrats, Recueil Dalloz 2009, p. 308, n° 1.
en matière de rupture d’engagement contractuel »47. Le message général serait que, la
rupture unilatérale est légitime car elle permet « à un créancier de procéder sans attendre
à une meilleure allocation de ses ressources plutôt que de devoir continuer, en attendant
le juge, à les investir dans un contrat voué à l’échec ou à la difficulté »48.
On peut également constater que la résolution par dénonciation unilatérale est un
instrument de dissuasion de l’inexécution contractuelle. Les débiteurs ne pourront plus
demander des délais de grâce que dans des situations spéciales. Généralement ils ne
pourront plus tarder l’inexécution sans se retrouver très rapidement en dehors d’une
relation contractuelle et peut-être dans une situation de perte économique. Alors, la
dénonciation est loin d’être un instrument de justice privé qui affaibli le principe du pacta
sunt servanda, par contre les débiteurs seront incités à respecter leurs engagements.
L’utilité pratique de la dénonciation s’accentue dans les contrats ayant une
dimension internationale. Peu d’entreprises qui exercent leur objet d’activité sur des
territoires étrangers ont intégré un service juridique pour pouvoir être représentés devant le
juge. Tenant compte de l’immensité des contrats passés par les entreprises à
l’international, la résolution par dénonciation pourrait faciliter leurs affaires. Aujourd’hui
être simple c’est créer de la richesse. D’un point de vue économique une procédure simple
qui n’entraine pas une consommation des ressources est évidemment préféré à une
procédure lourde est couteuse.
Ces considérations pratiques justifient l’idée de généraliser la théorie en droit civil
français.
Section II. L’idée de généraliser la théorie en droit civil français
La doctrine a montré à plusieurs reprises qu’on pourrait interpréter l’article 1184 du
Code civil dans un sens permettant la résolution en dehors du cadre judicaire ou au moins
dans le sens où il ne s'y oppose pas, simplement parce que le texte n'y fait aucun allusion.
47
E. BROUSSEAU, La sanction adéquate en matière contractuelle : Une analyse économique, Les
Petites Affiches, 2005
48
Ph. STROFFEL-MUNCK, Le contrôle a posteriori de la résiliation unilatérale, Droit et Patrimoine,
2004.
Le législateur en 1804 n’aurait pas eu à l’esprit de reconnaître au juge un pouvoir
souverain d’appréciation de l’opportunité de la rupture, mais seulement le pouvoir de
donner ou non des délais d’exécution au débiteur défaillant49. Dans cette logique,
l’intervention d’un juge n’est justifiée que lorsque des délais sont en cause. Lorsque les
délais sont impossibles ou inutiles il serait injuste de reconnaître le pouvoir d’appréciation
du juge. Le pouvoir d’appréciation du juge en matière de résolution s’est développé à
partir de la seconde moitié du XIXe siècle50.
Un autre argument fort pour la création d’une résolution alternative à celle judiciaire
tient du fondement des deux résolutions. Dans les deux cas de résolution le fondement est
représenté par le comportement grave du débiteur qui met en péril les intérêts contractuels
du créancier. Donc le rôle du juge ne devrait pas être celui de prononcer la rupture, mais il
devrait seulement contrôler s’il y avait eu un abus dans l’exercice d’une prérogative
contractuelle51.
Ces idées et interprétations doctrinales sur l’évolution de l’article 1184 du Code
civil, à côté de la jurisprudence de plus en plus favorable à la résolution par dénonciation
unilatérale, nous incitent à militer pour une nouvelle théorie générale de la résolution par
dénonciation unilatérale. Théorie générale dans le sens où elle devrait avoir vocation à
s’appliquer à toutes les conventions civiles et représenter le droit commun pour les
nouvelles modes de résolution par dénonciation unilatérale présentes dans la
règlementation spéciale. Nouvelle, naturellement parce que à l’heure actuelle elle n’est pas
complètement mise en œuvre.
La théorie nouvelle peut être très simplement mise en place à partir des textes civils
généraux par des revirements jurisprudentiels. Les textes généralement visés par la
jurisprudence, l’article 1184 et l’article 1134 du Code civil, ont un libellé assez général
pour pouvoir permettre des interprétations larges. Une intervention législative n’est pas
obligatoire, mais elle est souhaitable, car elle serait plus générale au niveaux des effets,
49
L. AYNES, Le droit de rompre unilatéralement : fondement et perspectives, Droit et Patrimoine, Lamy,
2004
50
Ibid.
51
Ibid.
plus rapide mise en place et plus effective que les revirements jurisprudentiels qui
prennent du temps pour se mettre en place.
Les nouveaux projets français de réforme du droit des obligations et du droit des
contrats imposent une nouvelle théorie générale sur la résolution par dénonciation
unilatérale. L’avant-projet de réforme du droit des obligations, initié par Monsieur le
Professeur P. Catala, prévoit par son article 1158 une forme de résolution par dénonciation
unilatérale concurrente à la résolution judicaire : « (…) Quand il opte pour la résolution,
le créancier peut soit la demander au juge, soit, de lui-même, mettre en demeure le
débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable, à défaut de
quoi il sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l’inexécution persiste, le créancier
notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Celle-ci prend
effet lors de la réception de la notification par l’autre partie. »52. Le projet de réforme
élaboré par la Chancellerie propose un régime très proche de celui du Projet Catala.
La théorie de la résolution par dénonciation est vue un peu différemment dans le
projet de réforme du droit des contrats élaboré par l’Académie des sciences morales et
politiques sous la direction du Monsieur le Professeur François Terré. Selon ce projet le
créancier insatisfait a le droit de mettre fin au contrat de son propre chef lorsque
l’inexécution porte sur une obligation dont la stricte observation est de l’essence du
contrat, lorsqu’elle prive substantiellement le créancier de ce qu’il pouvait légitimement
attendre du contrat, à moins que le débiteur n’ait pas pu prévoir que l’inexécution aurait un
tel résultat, ou encore lorsqu’elle est intentionnelle et fait présumer que le débiteur
n’exécutera pas dans le futur.
Les projets de réforme du droit civil français ne sont pas à l’abri des critiques des
universitaires, mais l’essentiel concernant la résolution des contrats par dénonciation
unilatérale est acquis. Quoiqu’il en soit le projet adopté dans le futur, une théorie générale
sur la résolution par dénonciation unilatérale sera mise en place en droit français. Elle
permettra un développement jurisprudentiel plus cohérent que celui d’aujourd’hui. De la
sorte, les cas spéciaux de dénonciation pourront retrouver un droit commun plus avancé.
52
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf
Conclusion
Utilisée à l’origine en droit international public, la dénonciation est une expression
unilatérale, par une partie à un accord, de sa volonté de ne plus être liée par cet accord. Le
vocable « dénonciation des contrats » doit représenter en droit privé français une
technique nouvelle de résolution. Elle n’est pas toujours utilisée dans ce sens, mais la
doctrine récente, à partir des lois spéciales et des exemples jurisprudentiels, lui accorde un
rôle concurrent à la résolution judiciaire. La résolution est à son tour un mode de rupture
contractuelle pour cause d’inexécution des obligations. Traditionnellement, la résolution
en droit français ne peut s’opérer que dans un cadre judicaire, mais la doctrine démontre
que les fondements de la résolution tiennent de l’inexécution du contrat et que le rôle du
juge n’est pas de juger l’opportunité de celle-ci, mais de vérifier s’il n’y a pas un abus
d’une prérogative contractuelle. Une autre partie de la doctrine analyse les fondements de
la résolution par dénonciation unilatérale dans le cadre plus large de rupture contractuelle
unilatérale. Cette analyse, n’est pas toujours souhaitable, car elle se fonde aussi sur la
résiliation unilatérale qui est un mode différent de rupture.
On a constaté que les textes spéciaux qui prévoient la résolution par dénonciation
unilatérale se sont multipliés en droit français. La jurisprudence a commencé à accepter
cette technique aussi dans les contrats du droit commun contractuel, mais dans un cadre
très restreint. Aujourd’hui la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut
justifier une résolution par dénonciation unilatérale, mais elle se matérialise aux risques et
périls du créancier non satisfait, car le juge pourra toujours intervenir et vérifier
l’opportunité de la dénonciation. Il apparait que le droit spécial est plus « avancé » que le
droit commun. On assiste à un contournement des principes dans la matière, le droit
spécial des contrats est plus malléable que le droit commun des contrats. Une nouvelle
théorie générale de résolution s’annonce en droit français. Elle devra s’imposer en droit
commun pour créer un principe général de résolution par dénonciation unilatérale. Les
enjeux pratiques d’une telle théorie générale sont énormes, car une fois mise en œuvre, les
créanciers non satisfaits ne devront plus subir les contraintes d’une procédure judiciaire.
Les nouveaux projets de réforme du droit français des contrats, à partir des exemples
internationaux, prévoient le principe de la résolution par dénonciation unilatérale.
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
OUVRAGES GENERAUX
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ARTICLES DE REVUES
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Philippe STOFFEL-MUNCK, Le contrôle a posteriori de la résiliation
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Aude VAISSIÈRE, À propos de la résiliation unilatérale des contrats à durée
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-
Revue Lamy Droit Civil, Résiliation unilatérale : le fond importe plus que la
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TEXTES
http://www.unidroit.org/french/principles/contracts/principles2010/blackletter2010french.pdf
http://ec.europa.eu/justice/contract/files/european-private-law_en.pdf
http://droit.univ-poitiers.fr/poitiers-roma/IMG/pdf/Traduc-vBar-livre_I-II-III-_082008.pdf
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf
ARRET ET DECISIONS
-
Cass. Civ., 26 févr.1896, D. 1996, I, P.158
-
Cass. civ. 1ère, 20 févr. 2001
-
Cass. civ. 1ère, 28 oct. 2003, n° 01-03662
-
Cass. com., 10 févr. 2008, n° 08-12.415
-
CA Riom, 1re ch. civ., 26 févr. 2009.
TABLE DES MATTIERES
INTRODUCTION…………………………………………………………………………4
PARTIE I. LA DENONCIATION DES CONTRATS : UNE TECHNIQUE ORIGINALE DE
RESOLUTION UNILATERALE ……………………………………………………………....7
CHAPITRE I. L’IDENTITE DE LA RESOLUTION PAR DENONCIATION UNILATERALE EN
DROIT FRANÇAIS ………………………………………………………………………..7
SECTION I. LA DENONCIATION : UNE TECHNIQUE UNILATERALE DE RESOLUTION .....7
SECTION II. LA
PLACE DE LA RESOLUTION PAR DENONCIATION UNILATERALE
PARMI LES AUTRES INSTRUMENTS DE DENOUEMENT CONTRACTUEL………..……10
CHAPITRE II. LA DENONCIATION DES CONTRATS : UN DROIT CATEGORIEL..………....12
SECTION I. LA DENONCIATION DES CONTRATS PREVUE DANS LA REGLEMENTATION
SPECIALE…………………………………………………………………………..13
SECTION II. LA DENONCIATION DES CONTRATS EN DROIT COMMUN : UNE
CREATION PRETORIENNE …...………………………………………….…………..15
PARTIE II. LA DENONCIATION DES CONTRATS : POUR UNE NOUVELLE THEORIE
GENERALE DE LA RUPTURE CONTRACTUELLE ………………………………………….18
CHAPITRE I. LA TECHNIQUE DE LA DENONCIATION UNILATERALE DES CONTRATS A
L’ECHELLE INTERNATIONALE …….……………...……………………………………18
SECTION I. LES DROITS ETRANGERS …………………………………...………….18
SECTION II. LES CODIFICATIONS PRIVEES INTERNATIONALES…………………….19
CHAPITRE II. LA PROPOSITION D ’UNE NOUVELLE THEORIE GENERALE DE LA
RESOLUTION PAR DENONCIATION UNILATERALE …………………………………..….21
SECTION I. L’UTILITE PRATIQUE D ’UNE NOUVELLE THEORIE GENERALE SUR LA
RESOLUTION PAR DENONCIATION ………………………………………...……….21
SECTION II. L’IDEE DE LA GENERALISATION DE LA THEORIE EN DROIT CIVIL
FRANÇAIS
…………………………………………………………………………22
CONCLUSION……………………………………………………………………….....25
BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………...27
TABLES DES MATIERES………………………………………………………….....28

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