Nature du lexique émotionnel produit en situation d
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Nature du lexique émotionnel produit en situation d
Canadian Journal of Experimental Psychology / Revue canadienne de psychologie expérimentale 2014, Vol. 68, No. 3, 166 –178 © 2014 Canadian Psychological Association 1196-1961/14/$12.00 http://dx.doi.org/10.1037/cep0000019 Nature du lexique émotionnel produit en situation d’appréciation et de rejet de dessins d’humour noir et d’humour non noir Marlène Aillaud et Annie Piolat Université Aix-Marseille L’objectif de cette étude est de montrer que le traitement de situations d’humour noir appréciées et rejetées provoque des réactions émotionnelles différentes de celles provoquées par des situations humoristiques plus standards. Aussi, après avoir évalué le degré d’incongruité, de surprise, de clarté et de drôlerie de 18 dessins soit d’humour noir, soit d’humour non noir, 283 étudiants ont choisi le dessin qu’ils avaient le plus apprécié et celui qu’ils avaient le moins apprécié. Ils ont justifié par écrit ces choix en décrivant leur ressenti émotionnel. Les résultats mettent en évidence une singularisation de l’humour noir concernant les émotions associées à l’appréciation et au rejet de dessins humoristiques. Les participants exploitent plus de lexiques émotionnels pour décrire leur ressenti face à un dessin d’humour noir que face à un dessin d’humour non noir. Pour les deux types d’humour et pour les dessins appréciés et non appréciés, les participants utilisent le lexique émotionnel de valence positive et négative, car leur ressenti émotionnel est complexe et ambivalent. Ces résultats sont expliqués avec la théorie de l’évaluation cognitive de l’émotion (Sander & Scherer, 2009) qui implique une évaluation via des normes sociales et qui permet de comprendre que le contenu transgressif de l’humour noir provoque proportionnellement plus d’émotions de valence négative. Mots-clés : humour noir, lexique émotionnel, valence positive, valence négative, ecriture. incite des participants, à qui on a présenté soit des dessins d’humour noir, soit des dessins d’humour plus standard à expliciter par écrit ce que ces dessins provoquent chez eux comme ressentis émotionnels. Inviter les participants à verbaliser leurs émotions à propos d’un dessin qu’ils apprécient et d’un dessin qu’ils rejettent est une technique de recueil de données novatrice, car elle n’a pas été exploitée par les recherches du domaine, alors qu’elle devrait permettre de mieux cerner l’éventail des émotions ressenties. Pour atteindre ce but, nous poursuivons dans cette étude les objectifs décrits ci-après. Le terme « humoristique » est généralement employé pour qualifier des situations qui font rire ou sourire et qui provoquent donc des émotions positives. Force est de constater que selon la nature du contenu véhiculé, une blague, un dessin ou une vidéo peut faire rire ou pas et être plus ou moins appréciée. En effet, l’humour qualifié de noir a la particularité de mettre en scène des thématiques transgressives. Il fait rire certaines personnes et en choque d’autres. Cette recherche a comme but majeur de déterminer la nature des émotions provoquées par des situations d’humour noir et d’humour plus standard. Nous ne disposons pas, en effet, de suffisamment d’informations sur la nature de réactions émotionnelles positives, mais aussi négatives, lorsque le contenu des situations contrevient aux normes sociales, aux croyances. Les travaux sur l’humour hors norme tels que l’humour agressif (Herzog, Harris, Kropscott & Fuller, 2006; McCauley, Woods, Coolidge & Kulick, 1983; Saroglou, Lacour & Demeure, 2010), ou encore l’humour malsain (Herzog & Bush, 1994; Herzog & Karafa, 1998; Saroglou & Anciaux, 2004) ont eu comme objectif essentiel d’en évaluer l’appréciation ou le rejet. Selon nous, ces travaux n’ont pas permis de suffisamment cerner la variabilité des émotions associées au fait d’aimer ou d’éprouver du rejet à l’égard de certains contenus humoristiques. Aussi, la présente recherche L’humour provoque-t-il seulement des émotions positives ? Selon le modèle cognitif de Suls (1972), l’effet comique d’une situation est déclenché par la mise à jour de l’incongruité humoristique qui est opérée en deux étapes successives. Plus précisément, les mécanismes de traitement inclus dans la première étape permettent la reconnaissance de l’incongruité, c’est-à-dire la détection d’un événement, d’une situation ou d’un fait divergent et non conforme aux caractéristiques fonctionnelles les plus fréquentes qui le régissent habituellement. La seconde concerne les traitements à l’œuvre pour résoudre l’incongruité en élaborant une représentation intégrée des éléments divergents. Selon cet auteur, seules trois émotions associées à ces deux étapes procédurales peuvent advenir : l’émotion de surprise provenant de la reconnaissance de l’incongruité, celle de plaisir déclenchée par sa résolution ou, à l’inverse, celle de perplexité associée à l’échec de la résolution de l’incongruité. Pour cet auteur, la nature des expériences émotionnelles ne dépendrait donc que de la résolution (ou pas) de l’incongruité sans qu’il soit fait référence au contenu de la situation humoristique, à l’état émotionnel préalable de la personne ou encore à d’autres de ses caractéristiques. Or de nom- Marlène Aillaud et Annie Piolat, Centre de Recherche en psychologie de la connaissance, du langage et de l’émotion, Département de psychologie, Université Aix-Marseille. Toute correspondance concernant le présent article doit être adressée à : Marlène Aillaud, Centre de recherche en psychologie de la connaissance, du langage et de l’émotion, Département de psychologie, Université AixMarseille, 29, av. Robert-Schuman, 13621 Aix-en-Provence Cedex 1, France. Courriel : [email protected] 166 LEXIQUE ÉMOTIONNEL EN RÉACTION ÀDES DESSINS D’HUMOUR NOIR ET NON NOIR breux travaux ont mis en évidence l’importance de ces sources de variations (pour une revue, voir Aillaud, 2012; Martin, 2007; Ruch, 2007). De ce fait, concevoir comme le fait Suls (1972) que seulement trois types d’émotions peuvent être déclenchées par les situations humoristiques nous paraît trop restrictif. Comme nous l’avons décrit dans un modèle cognitivo-émotionnel du traitement de l’humour, la nature des expériences émotionnelles provoquées par l’humour s’avère nettement plus diversifiée (pour une présentation détaillée de ce modèle, voir Aillaud & Piolat, 2013). Comment étudier le contenu émotionnel associé au traitement de situations d’humour noir et non noir ? Les études qui évaluent l’impact de l’humour sur l’état émotionnel des individus peuvent être regroupées selon deux approches. La première approche consiste à analyser l’impact de l’humour sur l’amélioration de l’état psychologique en termes de bien-être. Celui-ci favorise, d’une part, la diminution du stress en suscitant des émotions agréables, telles que la gaieté, la joie et, d’autre part, neutralise les émotions négatives, telles que la tristesse ou la mélancolie (par ex., Cann, Calhoun & Nance, 2000; Fredrickson, Mancuso, Branigan & Tugade, 2000; Szabo, 2003). Ainsi, l’humour fonctionnerait dans certaines situations comme un coping (Nezlek & Derks, 2001). Cependant, il faut noter que cet impact peut être modulé par le type de sens de l’humour que possèdent les individus (Craik, Lampert & Nelson, 1996; Kuiper, Grimshaw, Leite & Kirsh, 2004; Ruch, 2007). La seconde approche cherche à établir les états émotionnels des individus après qu’ils aient produit des blagues ou à la suite de la présentation de situations humoristiques (par ex., Ruch, 2007; Szabo, Ainsworth & Danks, 2005). De façon non surprenante, l’humour induit des états émotionnels de valence positive, comme la joie et la gaieté. Toutefois, il faut souligner que les procédures expérimentales utilisées par ces recherches précisent peu la nature des émotions de valence positive provoquées par l’humour. Par ailleurs, certains travaux ont mis en évidence que le contenu de l’humour (par ex., l’humour « dégoûtant » étudié par Hemenover & Schimmack, 2007) présenté aux individus peut faire basculer la valence des émotions qu’ils ressentent (pour une revue, voir Martin, 2007; Ruch, 2007). Les thématiques de l’humour influencent donc la nature des ressentis émotionnels (Aillaud, 2012; Aillaud & Piolat, 2012; Hemenover & Schimmack, 2007; Herzog & Anderson, 2000; Herzog & Karafa, 1998; Martin, 2007; Martin et al., 2003) pour les raisons suivantes. L’humour noir met fréquemment en scène des contenus variés pouvant concerner la sexualité, la mort, la religion, l’origine sociale ou ethnique, ou encore le handicap physique ou intellectuel. Sa mécanique contribue à déprécier, déconsidérer, dégrader les protagonistes impliqués. Ainsi, l’humour qualifié par certains auteurs de « malsain » discrédite en général l’intégrité physique et mentale d’une personne ou d’un groupe social (Mindess, Miller, Turek, Bender & Corbin, 1985). L’humour qualifié « d’agressif » selon Saroglou et al. (2010) ou encore Herzog et al. (2006) menace les valeurs et l’éthique d’une société ou d’une communauté en les dénigrant. En conséquence, le but principal de cette étude est de déterminer plus précisément la palette des émotions que ressentent des individus relativement à des situations d’humour non noir ou d’humour noir. 167 De l’intérêt de demander aux participants d’expliquer ce qu’ils ressentent pour déterminer le contenu émotionnel déclenché par des situations d’humour noir et non noir L’idée selon laquelle il est possible d’accéder aux émotions ressenties par des individus, via ce qu’ils en disent, prend tout son sens si l’on se réfère à la théorie de l’émotion que défendent Sander et Scherer (2009). Ces auteurs appuient leur théorie sur le processus d’évaluation cognitive (voir Lazarus, 1982) qui permet aux individus de ressentir des émotions. Ils trouvent essentiel de pouvoir rendre compte du fait que des situations font réagir certains individus et pas d’autres, ou encore que les individus ne ressentent pas tous la même émotion à propos d’une même situation. Selon ces auteurs, quatre groupes d’évaluations cognitives permettent d’accorder de la signification à la situation en cours de traitement et, dans certains cas, provoquer une émotion. Les deux premiers sont automatiques : détection de la pertinence et de la nouveauté de la situation, suivie de l’analyse des causes qu’elles provoquent. Cette conception est en accord avec celle de Meyer, Reisenzein et Schützwohl (1997), qui centrent leur analyse uniquement sur les conditions du déclenchement d’une émotion de surprise. Les deux autres types d’évaluation cognitive concernent l’évaluation de la capacité à composer avec l’événement, suivie de celle de son évaluation pour soi en fonction de ses normes internes. De telles évaluations cognitives de la situation, l’activation physiologique, la préparation à l’action, l’expression émotionnelle, comme celles du visage, ainsi que le sentiment émotionnel composent et qualifient l’émotion qui survient. Les individus confrontés au même événement (ici une situation humoristique) peuvent alors, via leurs évaluations cognitives, ressentir des émotions de nature différente qu’ils peuvent exprimer en rendant compte de leurs sentiments émotionnels. Ainsi, en nous appuyant sur la théorie de l’évaluation cognitive de l’émotion (Sander & Scherer, 2009; Scherer, 2000), nous nous attendons à ce que des individus confrontés à des dessins d’humour standard (non noir) éprouvent des émotions de valence positive. Toutefois, le contenu de ces émotions peut être relativement différencié, car résultant des processus d’évaluation qui aboutissent à l’élaboration d’un ressenti non obligatoirement équivalent. Comparativement, le traitement de situations d’humour noir (dans le cadre de cette recherche des dessins) devrait impliquer des évaluations cognitives débouchant sur des réactions émotionnelles différentes de celles provoquées par des situations humoristiques plus conformes aux normes sociales. Les émotions ressenties pourraient être de valence positive puisqu’il s’agit d’humour, même noir, mais elles devraient être accompagnées d’émotions négatives puisque cette forme d’humour implique de contrevenir aux standards normatifs même s’il s’agit d’en rire. Ainsi, l’humour noir devrait provoquer des émotions mixtes, selon l’hypothèse la plus probable (Hemenover & Schimmack, 2007). Compte tenu du fait que nous nous attendons à ce que des dessins d’humour noir provoquent des émotions de valence mixte, nous trouvons pertinent d’inclure dans le dispositif expérimental le fait de faire choisir aux participants un dessin apprécié et un dessin rejeté (facteur « Choix »). Nous faisons l’hypothèse que dans le cas de l’humour non noir, mais plus encore dans le cas de l’humour noir, la nature de l’explicitation des émotions ressenties devrait être ainsi contrastée entre les situations humoristiques définies AILLAUD ET PIOLAT 168 comme plaisantes et celles définies comme déplaisantes. Une personne peut apprécier certains dessins d’humour noir même si elles les jugent hors normes. Elle peut donc, dans ce cas, faire part de différentes émotions positives ainsi que de quelques émotions négatives. Mais elle peut aussi rejeter d’autres dessins qu’elles estiment trop agressifs, malsains, transgressifs et expliciter alors plus d’états émotionnels de contenu nettement plus repoussant. C’est ce que devrait permettre de mettre en évidence la comparaison des émotions verbalisées pour un dessin apprécié et un dessin qui déplait, et ce dans le cas de l’humour noir et de l’humour non noir. Il s’agit donc de mettre en évidence que le contenu émotionnel associé au fait que l’on apprécie ou pas des dessins sera différent selon que l’humour sera noir et non noir. Méthode Participants Trois cents étudiants (150 hommes et 150 femmes) de psychologie d’Aix-Marseille Université, en secteur Lettres et Sciences humaines, ont accepté de participer à l’expérience conduite entre septembre et décembre 2010. La moyenne d’âge était de 20 ans et 6 mois (É.-T. ⫽ 2,96). Toutefois, seules les deux productions de 283 participants ont pu être prises en compte. En effet, celles de 17 participants (9 femmes et 8 hommes) n’ont pu être intégrées dans le traitement des données, car ces sujets n’ont pas suivi les consignes de production d’écrire à la fois dans la condition « Plaire » et dans la condition « Déplaire ». La répartition des participants dans les conditions expérimentales est présentée dans le Tableau 1, chaque participant produisant deux textes (dessin humoristique ayant plu et dessin humoristique ayant déplu) dans une seule des deux conditions expérimentales (Humour non noir ou Humour noir). Matériel expérimental Dix-huit dessins d’humour non noir et 18 dessins d’humour noir ont été retenus pour la présente étude. Nous avons choisi des dessins humoristiques ne comportant pas de langage. L’incongruité qui provoque l’effet comique est ainsi limitée au seul contenu du dessin, sans qu’un rapprochement entre des propos inclus dans le dessin et les éléments dessinés soit nécessaire pour la découvrir et influence le traitement du dessin (voir Shultz, 1974). De plus, afin de contrôler les effets du style graphique, les dessins choisis sont composés par un unique dessinateur qui propose des dessins d’humour noir et non noir comme c’est le cas du dessinateur Serre (http://www.serre-humour.com/). Son ayant droit nous a accordé le droit d’en exploiter quelques-uns pour l’expérience, mais pas de les diffuser dans une publication. L’Annexe A décrit le contenu des dessins d’humour noir et non noir qui ont été les plus fréquemment aimés et rejetés et, de ce fait, en donne des exemples. Pour choisir ces dessins en étant sûres qu’ils étaient clairement perçus comme des dessins d’humour noir ou d’humour non noir, nous avons ainsi procédé. Un échantillon de 61 dessins sélectionnés sur le thème du bien-être/mal-être, que celui-ci soit physique ou mental, a été soumis à la méthode des juges. Vingt-cinq juges (âge moyen ⫽ 26 ans, É.-T. ⫽ 2,55; 14 femmes et 13 hommes) contactés par courriel ont été volontaires. Individuellement, ces 25 juges ont évalué les 61 dessins affichés les uns à la suite des autres dans un ordre aléatoire. À côté de chacun de ces dessins figurait un tableau comportant cinq choix (sans humour, humour pas du tout noir, humour un peu noir, humour noir et humour très noir); la consigne était de cocher la réponse correspondant à leur évaluation. Aucune définition de l’humour noir ne leur a été donnée. À l’aide des scores moyens obtenus pour ces 61 dessins, les 18 dessins ayant obtenu le score le plus élevé à la catégorie Humour pas du tout noir ont été retenus pour la condition « Humour non noir ». Les 18 dessins ayant obtenu le score le plus élevé à la catégorie Humour très noir ont été retenus pour la condition Humour noir. Dispositif expérimental et procédure La procédure expérimentale (présentation des consignes, des dessins humoristiques, des différentes tâches) et le recueil des réponses des participants (expression de jugements, saisie écrite des explications à l’aide d’un traitement de texte simplifié) ont été gérés par un programme établi à cet effet : le logiciel HumourOne. Ce logiciel s’est avéré indispensable afin de procéder à diverses obligations méthodologiques au fur et à mesure du déroulement de l’expérience : attribution des participants à une condition expérimentale, contre-balancement d’activités, présentation aléatorisée des dessins d’humour non noir ou d’humour noir. La procédure a été la suivante. Préalablement à la réalisation de l’expérience, le participant installé devant un ordinateur était informé très succinctement par affichage sur l’écran du thème de l’expérience et des tâches à effectuer pendant la passation afin d’accepter (ou non) de participer à l’expérience en donnant son consentement. À la suite de son acceptation, il lui était alors demandé de remplir une fiche de renseignements (sexe, âge, profession, niveau et filière d’étude) qui s’affichait sur l’écran de l’ordinateur. Une fois ces renseignements fournis, 18 dessins humoristiques (non noir ou noir selon l’attribution aléatoire à une de ces deux conditions expérimentales) étaient présentés automatiquement au format 600 ⫻ 800 pixels pendant une durée de six secondes par dessin. Kohn, Kellermann, Gur, Schneider et Habel (2011) ont, en effet, montré dans une étude comportementale qu’en moyenne 5,2 (É.-T. ⫽ 0,8) secondes suffisent pour la com- Tableau 1 Effectifs des participants (moyenne d’âge, écart type) selon les deux conditions expérimentales (humour non noir et humour noir) et selon leur genre Effectifs (N ⫽ 283) Humour noir (n ⫽ 138) Humour non noir (n ⫽ 145) Hommes Femmes 71 (M ⫽ 21, É.-T. ⫽ 2,80) 72 (M ⫽ 21, É.-T. ⫽ 2,99) 67 (M ⫽ 19, É.-T. ⫽ 2,14) 73 (M ⫽ 20, É.-T. ⫽ 2,84) LEXIQUE ÉMOTIONNEL EN RÉACTION ÀDES DESSINS D’HUMOUR NOIR ET NON NOIR préhension d’un dessin humoristique et la production d’une réponse. Puis, les participants ont été incités à évaluer chacun de ces dessins (présenté dans un ordre aléatoire) selon quatre critères : incongruité, surprise, clarté et drôlerie sur une échelle de Likert en 4 points (1 ⫽ pas du tout, 2 ⫽ un peu, 3 ⫽ très, 4 ⫽ extrêmement). L’ordre d’affichage des critères était aléatoire pour chacun des dessins. Afin que chacun des critères de jugement soit compris de façon comparable par les participants, une définition formulée en question a été affichée à l’écran durant toute la durée de la tâche de jugement : a) critère Incongruité : La scène représentée par l’image est-elle plus ou moins inconvenante, déplacée ? b) critère Surprise : La scène représentée par l’image est-elle plus ou moins surprenante ? c) critère Clarté : Est-il plus ou moins facile d’identifier la scène comme étant humoristique ? d) critère Drôlerie : La scène représentée par l’image est-elle plus ou moins drôle ? (N.-B : les résultats associés à cette partie de la procédure ont été publiés dans Aillaud et Piolat, 2012. Toutefois, nous avons repris une part des données et procédé à de nouvelles analyses, expliquées dans l’annexe C). Une fois l’étape du jugement terminée, l’ensemble des dessins humoristiques mis au format 185 ⫻ 140 pixels était affiché selon un ordre aléatoire précédé de l’une des deux consignes suivantes (succession aléatoire de ces deux consignes) : 1) consigne Plaire : Voici l’ensemble des dessins que vous avez vus. En cliquant sur le dessin de votre choix, indiquez celui que vous avez le plus apprécié. Explicitez par écrit en quoi ce dessin vous a plu en indiquant avec précision votre ressenti émotionnel et affectif; 2) consigne Déplaire : Voici l’ensemble des dessins que vous avez vus. En cliquant sur le dessin de votre choix, indiquez celui que vous avez le moins apprécié. Explicitez par écrit en quoi ce dessin vous a déplu en indiquant avec précision votre ressenti émotionnel et affectif. Le participant explicitait par écrit avec un traitement de texte simplifié, proche du traitement de texte « Word Office », les raisons de son choix. Afin de procéder à un débriefing, une fois ces activités terminées, trois photos humoristiques choisies par des étudiants pour leur humour « léger » étaient présentées au format 600 ⫻ 800 pixels (http://www.humour.com/photos/). Puis l’expérimentateur s’entretenait avec le participant afin de répondre à ses questions et lui expliquer les principaux objectifs de la recherche. Cette procédure implique que le participant réalise plusieurs activités de façon successive (juger 18 dessins, choisir un dessin apprécié et un dessin rejeté, en expliquer les raisons en décrivant son ressenti émotionnel). Elle lui impose donc un travail intense pendant au moins une heure, temps qu’il n’était pas possible de faire passer à deux heures pour lui soumettre tous les dessins. De plus, il était impossible de l’inviter à faire de même pour l’autre humour même à l’occasion d’une autre session. En réalisant cette autre session concernant l’autre type d’humour, le participant aurait perçu un des enjeux majeurs de la recherche, à savoir comparer des réponses à propos de l’humour noir et de l’humour non noir. Aussi, les deux conditions expérimentales « humour noir versus humour non noir » sont réalisées par des groupes de participants différents. Dans chacune de ces conditions expérimentales, les participants choisissent un dessin parce qu’ils l’apprécient et un autre parce qu’ils ne l’aiment pas, puis les commentent chacun selon les consignes. Variables dépendantes Ces variables concernent le lexique émotionnel présent dans les écrits justifiant un dessin apprécié ou rejeté. L’identification de ce 169 lexique émotionnel a été entreprise avec le logiciel EMOTAIXTropes (Piolat & Bannour, 2009a & b). EMOTAIX-Tropes est un scénario (une base lexicale de 4000 termes) piloté par Tropes (http://www.tropes.fr/) qui est un logiciel d’analyse de texte (syntaxe, référents lexicaux, etc.). Quand le scénario EMOTAIX (autrement dit, ce dictionnaire lexical organisé et ne concernant que le lexique de l’émotion et de l’affect) est activé, cet outil permet de cerner automatiquement et de catégoriser le lexique concerné contenu dans des textes (N.-B. : les modalités d’élaboration, le mode d’emploi et l’outil sont gratuitement téléchargeables à l’adresse suivante : http://sites.univ-provence.fr/wpsycle/outils_ recherche/outils_recherche.html). Ce scénario intègre les émotions de base (colère, peur, tristesse, etc.), mais aussi les émotions sociales (admiration, courage, orgueil, etc.) ainsi que les affects et les sentiments de bien-être et de mal-être (stress, fatigue, bonheur, etc.). Des informations complémentaires sur la catégorisation des émotions et donc sur les variables dépendantes qui suivent sont données dans l’Annexe B ainsi que des exemples d’explicitations faites par les participants. Les 283 textes produits dans la condition « Plaire » et les 283 textes produits dans la condition « Déplaire » ont été analysés à l’aide des trois variables dépendantes suivantes : 1) charge émotionnelle : occurrences du lexique émotionnel/nombre total de mots (afin de tenir compte des variations de volume verbal constatées entre les participants, cette pondération s’avérait indispensable); 2) proportion du lexique de valence négative et positive : occurrences de lexique émotionnel négatif (ou positif)/occurrences de lexique émotionnel (ces proportions étant complémentaires, les analyses statistiques présentées ne concernent que la proportion de lexiques de valence négative, ce lexique traduisant l’impact émotionnel que peuvent provoquer des dessins d’humour noir); 3) pour rendre compte plus précisément de la nature des émotions présentes dans les explications écrites, la répartition dans les six supercatégories a été utilisée (« Bien-être vs Mal-être », « Bienveillance vs Malveillance », « Sang-froid vs Anxiété »). Toutefois, les participants ont utilisé une faible quantité de termes émotionnels. Afin de réaliser des comparaisons statistiques, nous avons repéré les textes qui comportaient au moins un terme de lexique émotionnel se référant à l’une de ces supercatégories ainsi qu’aux deux catégories « Surprise » et « Impassibilité ». Résultats Choix majoritaires de dessins qui ont plu et déplu (approche qualitative) Dans la condition Humour noir ou dans la condition Humour non noir, les 283 participants n’ont pas tous choisi le même dessin plaisant et déplaisant (voir l’Annexe A pour une description succincte du contenu des dessins les plus fréquemment désignés). Les thèmes d’humour noir non apprécié les plus fréquemment choisis concernent un contenu particulièrement agressif qui renvoie à de la violence et à de la souffrance ressenties (morceaux de corps sur le ring) ou pouvant advenir (instruments de chirurgie). Ainsi, les thèmes des dessins d’humour noir non appréciés concernent un contenu particulièrement agressif qui renvoie à de la violence et de la souffrance subies (morceau de corps sur le ring) ou pouvant advenir (instruments de chirurgie). Les dessins qui sont appréciés 170 AILLAUD ET PIOLAT évoquent la mort (suicide, guillotine, cercueil), celle-ci étant présentée de façon absurde. Les thèmes d’humour non noir qui n’ont pas été appréciés présentent des actes médicaux anormaux, contradictoires avec la compétence que l’on attend du milieu médical. Ils font aussi faire référence à des thèmes trop fréquemment exploités, par exemple « glisser sur une peau de banane ». Les dessins d’humour non noir qui ont plu ont pour point commun de dénigrer des sportifs excessivement athlétiques ou une activité physique absurde (pelleter inefficacement). Contenu des justifications (approche statistique) Pour les variables dépendantes « charge émotionnelle » et « proportion de lexique émotionnel négatif », les données ont été soumises à une ANOVA avec le facteur Choix (Plaire vs Déplaire) en mesure répétée et le facteur Humour (Humour non noir vs Humour noir) en variable intersujets. Charge émotionnelle totale Comparativement au nombre total de mots (M ⫽ 149, É.-T. ⫽ 3,77) qu’ils produisent en moyenne, les participants exploitent en moyenne une très faible quantité de lexiques émotionnels (M ⫽ 10,89, É.-T. ⫽ 0,37; soit un pourcentage moyen de 7,33%). Dans la Figure 1, cet écart est indiqué pour chacune des conditions expérimentales. Il était donc important de pondérer les occurrences de lexique émotionnel par le nombre total de mots. La charge émotionnelle est significativement plus importante pour les participants qui s’expriment à propos d’un dessin d’humour noir (M ⫽ 7, 30 %, É.-T. ⫽ 3,22) que pour ceux qui s’expriment à propos d’un dessin d’humour non noir (M ⫽ 6,60 %, 2 É.-T. ⫽ 3,35), F(1, 281) ⫽ 4,39, MSE ⫽ 0,006, p ⬍ 0,05, partiel ⫽ 1,5 %. La charge émotionnelle n’est pas significativement différente lorsque les participants s’expriment à propos d’un dessin qui leur a plu (M ⫽ 7,52 %, É.-T. ⫽ 3,13) ou qui leur a déplu (M ⫽ 6,71 %, É.-T. ⫽ 3,22), F(1, 281) ⫽ 1,56, ns. L’interaction des modalités des facteurs Choix et Humour n’est pas significative, F(1, 281) ⫽ 1,09, ns. Proportion du lexique émotionnel négatif Les proportions du lexique de valence négative et celle de valence positive qui ont été calculées sont complémentaires. Figure 2. Pourcentage de lexique émotionnel de valence positive et de valence négative en fonction des facteurs Choix (Plaire vs Déplaire) et Humour (Humour non noir vs Humour noir). Comme l’indique la Figure 2, dans la condition « Plaire », les participants ont utilisé proportionnellement plus de lexiques de valence positive que négative et ils ont fait l’inverse dans la condition « Déplaire », répondant ainsi à la consigne. L’évaluation de l’impact des facteurs expérimentaux (Choix et Humour) a été faite sur la seule proportion de lexiques négatifs. Cette proportion est significativement plus importante pour les participants qui s’expriment à propos d’un dessin d’humour noir (M ⫽ 56,08 %, É.-T. ⫽ 33,21) que pour ceux qui s’expriment à propos d’un dessin d’humour non noir (M ⫽ 43,04 %, É.-T. ⫽ 2 33,07), F(1, 281) ⫽ 41,64, MSE ⫽ 2,41, p ⬍ 0,0001, partiel ⫽ 12,9%. La proportion de lexiques émotionnels négatifs est significativement plus importante lorsque les participants s’expriment à propos d’un dessin qui leur a déplu (M ⫽ 71,75 %, É.-T. ⫽ 27,42) que d’un dessin qui leur a plu (M ⫽ 27,06 %, É.-T. ⫽ 23,82), F(1, 2 281) ⫽ 431,105, MSE ⫽ 28,26, p ⬍ 0,0001, partiel ⫽ 60,7 %. L’interaction entre les modalités des facteurs Choix et Humour tend à être significative, F(1, 281) ⫽ 3,659; MSE ⫽ 0,24, p ⫽ 2 0,056, partiel ⫽ 1,3 % (voir Figure 3). Cette tendance à l’interaction peut être décrite de la façon suivante. La proportion de lexiques négatifs est plus importante pour les participants qui s’expriment à propos d’un dessin d’humour non noir qui a déplu comparativement à celui qui a plu, t(144) ⫽ 16,92, p ⬍ 0,0001, d de Cohen ⫽ 2,10. Cet écart est moins important pour les participants qui s’expriment à propos d’un dessin d’humour noir, t(137) ⫽ 12,65, p ⬍ 0,0001, d de Cohen ⫽ 1,54. Nature du lexique émotionnel utilisé Figure 1. Nombre moyen de mots écrits et nombre moyen de mots du lexique émotionnel selon le facteur Choix (Plaire vs Déplaire) et le facteur Humour (Humour non noir vs Humour noir). Les 283 participants sont libres d’exprimer ce qu’ils ressentent à propos d’un dessin qu’ils ont choisi. Pour déterminer si certaines des thématiques véhiculées par ce lexique sont significativement dépendantes des facteurs « Choix » et « Humour », nous avons comptabilisé les effectifs de textes qui contiennent au moins une unité lexicale appartenant à une thématique donnée (pour l’organisation de ces thématiques appelées super-catégories, voir l’Annexe B ainsi que Piolat & Bannour, 2009a, 2009b). Il faut noter que certains textes comportent deux ou trois termes appartenant à une catégorie, d’autre un seul terme et, enfin, d’autres aucun terme de cette catégorie. Cette variation n’est pas prise en compte par les calculs ci-après. LEXIQUE ÉMOTIONNEL EN RÉACTION ÀDES DESSINS D’HUMOUR NOIR ET NON NOIR Figure 3. Pourcentage de lexique émotionnel de valence négative en fonction de la Condition Choix (Plaire vs Déplaire) et du type d’Humour (Noir vs Non noir). Afin de déterminer l’influence du facteur Choix sur l’utilisation du lexique, des comparaisons d’effectifs à l’aide de chi-carré ont été utilisées pour chacune des catégories lexicales. Les résultats sont regroupés dans le Tableau 2. Globalement, lorsque les participants s’expriment à propos du dessin apprécié, ils exploitent les catégories de lexique émotionnel différemment de lorsqu’ils s’expriment à propos du dessin rejeté, 2(7) ⫽ 252,56, p ⬍ 0,0001, V de Cramer ⫽ 0,37. Plus précisément, les participants qui s’expriment à propos d’un dessin apprécié sont plus nombreux à utiliser au moins un terme de lexique relevant du Bien-être, de la Bienveillance, du Sang-froid et de la Surprise, que ceux qui s’expriment à propos d’un dessin qui a déplu. En revanche, les participants qui s’expriment à propos d’un dessin apprécié sont significativement moins nombreux à utiliser au moins un terme du lexique relevant du Mal-être, de la Malveillance et de l’Impassibilité. Enfin, les participants n’exploitent pas différemment le lexique de l’Anxiété selon que le dessin leur a plu ou déplu. Puisque lorsque les participants s’expriment à propos du dessin apprécié ou rejeté, ils exploitent différemment les catégories de lexique émotionnel, les comparaisons permettant de tester un éventuel effet du facteur Humour ont été calculées dans la condition Plaire puis dans la condition Déplaire (pour les deux conditions, voir le Tableau 3). Dans la condition Plaire, l’effectif de participants utilisant au moins un terme de lexique des catégories Mal-être et Anxiété est significativement plus élevé dans la condition Humour noir que dans la condition Humour non noir (voir le Tableau 3). Pour les autres catégories, les résultats ne sont pas significatifs. Dans la condition Déplaire, l’effectif de participants utilisant au moins un terme de lexique de la catégorie Bien-être est significativement moins important pour ceux qui s’expriment à propos d’un dessin d’humour noir que pour ceux qui s’expriment à propos d’un dessin d’humour non noir. Pour les autres catégories, les résultats ne sont pas significatifs. Discussion Cette étude a pour fonction de contribuer à la détermination de la nature des émotions positives, mais aussi négatives, que provoque une situation humoristique. Aussi, nous avons mis au point une procédure expérimentale qui permet aux participants 171 d’expliciter leurs ressentis émotionnels par écrit. Deux objectifs ont guidé notre démarche : 1) déterminer les émotions de valence positive et négative provoquées par des dessins humoristiques selon qu’ils sont d’humour noir ou d’humour plus standard; 2) affiner cette détermination en proposant aux participants de s’exprimer à propos d’un dessin apprécié et d’un dessin non apprécié. Notre premier objectif avait donc comme fonction de montrer que l’humour provoque une palette d’émotions plus étendue que celles qui sont classiquement évoquées, comme la perplexité, quand l’incongruité de la situation présentée n’est pas comprise, ou le sentiment que c’est surprenant et drôle quand elle l’est. À la suite du modèle princeps de Suls (1972), qui n’évoque que ces trois types d’émotions, la résolution de l’incongruité est considérée comme l’élément clé à reconnaître et à résoudre afin d’en rire. Aussi, nombreuses sont les recherches qui ont testé le niveau de drôlerie éprouvée selon les types de contexte ou la nature et les caractéristiques de l’incongruité (par ex., Attardo, 2001; Canestrari & Bianchi, 2012; Hempelmann & Attardo, 2011; Hillson & Martin, 1994; Samson & Hempelmann, 2011). Nous estimons que les travaux qui ont exploité le niveau de drôlerie (ou encore le sentiment de gaité; Ruch, 1997) comme indicateur pour analyser l’impact de situations humoristiques et même la verbalisation des participants, comme ceux de Samson et Hempelmann (2011) pour établir si l’incongruité a bien été détectée, ne nous renseignent pas suffisamment sur la palette possible des émotions ressenties quand une situation est jugée comme très drôle ou pas du tout drôle. Pour réaliser ce type d’études, les chercheurs ont exploité diverses sortes d’humour (agressif, malsain, dégoutant, noir; Hemenover et Schimmack, 2007; Herzog et al., 2006) ainsi que diverses thématiques (religion, sexualité, racisme, etc.; Herzog & Hager, 1995; Saroglou et al., 2010; Wilson & Molleston, 1981). Pour notre part, nous avons demandé à des participants de verbaliser à propos de dessins, soit d’humour noir soit d’humour non noir, les émotions qu’ils ressentent. Les thématiques abordées par les dessins d’humour noir concernent la maladie, la mort ou encore une absence de respect de l’intégrité du corps. Elles sont donc transgressives et remettent en cause des principes moraux et éthiques concernant ces situations graves et désespérées de la vie quotidienne. Nos résultats montrent que la principale attente selon laquelle l’humour noir, comparativement à un humour plus standard, déclenche des émotions positives (il s’agit de dessins humoris- Tableau 2 Effet du facteur « choix » (Plaire vs Déplaire) (valeur du chi carré, valeur de la probabilité) sur les effectifs de participants ayant utilisé au moins un terme des différentes catégories de lexique émotionnel Catégories du lexique émotionnel Plaire Déplaire 2(1) p Bien-être Mal-être Bienveillance Malveillance Sang-froid Anxiété Surprise Impassibilité 271 173 239 99 35 49 75 19 160 264 86 206 12 47 22 102 28,59 18,98 72,03 37,53 11,25 0,04 28,96 56,93 ⬍0,0001 ⬍0,0001 ⬍0,0001 ⬍0,0001 ⬍0,001 ns ⬍0,0001 ⬍0,0001 AILLAUD ET PIOLAT 172 Tableau 3 Effet du facteur « humour » (noir vs non noir) (valeur du chi carré, valeur de la probabilité) sur les effectifs de participants dans la condition Plaire et Déplaire ayant utilisés au moins un terme des différentes catégories de lexique émotionnel Plaire Déplaire Catégories du lexique émotionnel Humour noir Humour non noir 2(1) Valeur de p Humour noir Humour non noir 2(1) Valeur de p Bien-être Mal-être Bienveillance Malveillance Sang-froid Anxiété 132 112 117 54 20 33 139 61 122 45 15 16 0,18 15,03 0,10 0,82 0,71 5,90 ns ⬍0,001 ns ns ns ⬍0,05 67 128 35 107 5 29 93 136 51 99 7 18 4,22 0,24 2,98 0,31 0,33 2,58 ⬍0,05 ns ns ns ns ns tiques qui doivent amuser), mais aussi une forte proportion d’émotions négatives, est nettement attestée dans les écrits des participants. Il faut aussi noter que lorsque les participants s’expriment à propos de dessins d’humour plus standard, ils explicitent aussi, même si c’est en moindre quantité, des émotions négatives. La reconnaissance et la résolution de l’incongruité des situations ne provoquent donc pas uniquement de l’amusement, de la gaité comme beaucoup d’études à la suite de celle de Suls (1972) l’ont régulièrement avancé. La découverte d’éléments absurdes, même s’ils sont tolérables parce que sans danger pour les normes internes des individus, s’accompagne aussi de quelques émotions de valence négatives. De plus, il est important de noter que l’humour noir provoque l’expression d’une plus grande quantité d’émotions proportionnellement au volume verbal produit. Ce résultat inédit s’avère compatible avec ceux de Hemenover et Schimmack (2007), qui ont montré que des stimuli qui provoquent des sentiments de dégoût et d’indignation peuvent être toutefois perçus comme humoristiques. Tout se passe comme si le contact à la nature de l’incongruité présente dans des dessins d’humour noir était plus engageant, plus intense émotionnellement et ne pouvait pas laisser indifférents les participants sur le plan émotionnel. Le contenu des dessins implique d’accorder à des informations taboues, transgressives, la propriété d’être amusantes. Les participants doivent accepter de « comprendre » ce qui, dans les dessins proposés, peut être agréable et drôle. Nous pouvons en inférer que les évaluations cognitives (Sander & Scherer, 2009) que font les participants des dessins d’humour noir, comparativement à celles faites pour les dessins d’humour non noir, provoquent des sentiments plus complexes. Le deuxième objectif a consisté à cerner les ressentis émotionnels selon que le dessin est apprécié ou non. Afin d’obtenir une détermination plus précise de la nature des émotions positives et négatives déclenchées par l’humour noir, il était, en effet, important que le design expérimental invite les participants à s’exprimer à propos de dessins qu’ils ont estimés comme étant plaisants ou déplaisants. Selon nous, il n’est pas possible d’envisager un appariement obligatoire et univoque entre aimer ou pas un dessin humoristique et la valence des émotions qu’il provoque. Autrement dit, il est peu probable que seules des émotions de valence positive soient ressenties pour un dessin aimé et seules des émotions de valence négative soient ressenties pour un dessin rejeté. Les sentiments émotionnels provoqués par l’humour, et surtout l’humour noir, sont, selon nous (voir Aillaud & Piolat, 2013), suffisamment complexes pour analyser les différences de ressentis émotionnels explicités selon ces deux conditions expérimentales. L’attente selon laquelle les participants exploiteront du lexique émotionnel positif comme du lexique négatif pour traduire les émotions ressenties à l’égard d’un dessin apprécié comme d’un autre dessin peu apprécié est nettement confirmée par nos différents résultats. Ce constat doit, cependant, être modulé lorsqu’on analyse plus en détail le contenu de ces deux catégories de lexique émotionnel. Il faut rappeler au préalable que nous disposons de résultats concernant d’autres observations que celles liées au lexique utilisé. Pour ce qui concerne la thématique des dessins d’humour noir et non noir choisis comme étant appréciés et non appréciés par les participants (voir l’Annexe A), nous avons constaté que lorsqu’elle représente des actes agressifs qui détruisent l’intégrité physique des personnes ou dénigre des actes professionnels, elle ne plait pas. En revanche, lorsqu’elle présente des situations dont la mise en scène absurde rend tolérable le fait de discréditer la mort ou une activité sportive, alors elle peut plaire. Pour ce qui concerne les jugements portés aux seuls dessins qui ont plu et déplu sur plusieurs critères (incongruité, surprise, clarté, drôlerie; voir l’Annexe C et, pour les résultats concernant les 18 dessins, voir Aillaud & Piolat, 2012), nous avons constaté que le fait de trouver amusant (ou pas) un dessin d’humour noir dépend du niveau de transgression que tolèrent les participants. Selon le modèle de Sander et Scherer (2009), cette tolérance est sans doute liée à l’exploitation de leurs systèmes de normes internes activées lors de leurs évaluations cognitives de la situation. Pour ce qui concerne les émotions explicitées par écrit, plusieurs résultats sont à noter. Le premier est évident. Quand ils n’apprécient pas un dessin, les participants le justifient en exploitant une plus forte proportion de lexiques de valence négative (colère, rage, dégoût, frustration, embarras, horreur, tristesse, etc.) que quand ils l’apprécient (plaisir, aimer, heureux, calme, amusement, bonheur). Mais il ne s’agit que d’une proportion. Il n’est donc pas possible d’établir une stricte relation de cause à effet entre le fait d’apprécier (ou pas) une situation humoristique présentée dans un dessin et la valence des termes émotionnels exploités. D’ailleurs, dans le cas d’un dessin choisi, parce qu’apprécié ou non apprécié, les participants ont exploité une plus forte proportion de lexiques émotionnels négatifs pour un dessin d’humour noir que pour un dessin d’humour plus standard. Ainsi, l’humour noir, même lorsqu’il est apprécié, provoque de nombreux ressentis émotionnels négatifs qui sont associés à des émotions positives (voir l’exemple d’explicitation écrite donnée par un participant à la fin de l’Annexe B). Ce résultat, compatible avec ceux de Herzog et al. (2006) obtenus à l’aide seulement d’une échelle de drôlerie, le complète et le renforce. LEXIQUE ÉMOTIONNEL EN RÉACTION ÀDES DESSINS D’HUMOUR NOIR ET NON NOIR L’analyse plus détaillée des catégories d’émotions (voir l’Annexe B pour des exemples) explicitées par les participants dans leurs écrits apporte d’autres observations inédites. Les catégories de valence positive (Bien-être, Bienveillance et Sang-froid) ont été utilisées par un plus grand nombre de participants que celles de valence négative (Mal-être, Malveillance) quand, quel que soit le type d’humour, ils s’expriment à propos d’un dessin qui leur plait et, inversement, quand le dessin leur déplait. Le sentiment de surprise est cité par un plus grand nombre de participants quand le dessin plait, et celui d’impassibilité par un plus grand nombre quand le dessin déplait. Ces résultats, même s’ils concernent des émotions rarement évoquées dans les études sur l’humour, peuvent sembler trop convenus. Toutefois, ils mettent en évidence la nécessité de contrôler dans la procédure de recherches sur l’humour cette source de variation. En effet, pour un même type d’humour (noir ou plus standard), les participants peuvent ressentir et exprimer des émotions de valence nettement contrastée quand ils apprécient ou non une situation humoristique. Enfin, le type d’humour joue un rôle important dans le ressenti émotionnel. Ainsi, apprécier un dessin d’humour noir, comparativement à apprécier un dessin d’humour plus standard, incite les participants à exploiter de façon significativement différente deux catégories d’émotion de valence négative (Mal-être et Anxiété). De plus, quand il déplait, l’humour noir incite moins que l’humour standard à exprimer des émotions de Bien-être. Ces résultats confortent notre conception selon laquelle l’humour noir, même s’il plait, remet en cause les standards normatifs des participants lors de leur évaluation cognitive de la situation en provoquant plus émotions négatives (Scherer, 2000; Sander & Scherer, 2009). Pour conclure, nous souhaitons souligner que la très grande majorité des recherches sur le traitement de l’humour ne donnent pas la parole aux participants, mais les incitent, par exemple, à juger selon une échelle de drôlerie, des situations humoristiques. Ce faisant, ils se privent d’une information capitale, à savoir la diversité du ressenti émotionnel des individus. Cette diversité naît, selon nous, des traitements cognitifs réalisés pas-à-pas au contact d’une situation humoristique (voir Aillaud & Piolat, 2013, pour un modèle procédural du traitement des situations humoristiques qui inclut les possibles réactions émotionnelles). La présente étude met en évidence la complexité du ressenti émotionnel, même quand le contenu des situations humoristiques est relativement standard et qu’elle est appréciée. Notre but était de rendre compte de la palette des émotions ressenties selon des sources de variations comme le contenu plus ou moins transgressif de l’incongruité, ou comme le fait d’apprécier ou non une situation. Il a été atteint et le recours à la théorie de l’évaluation cognitive de l’émotion (appraisal theory of emotion) de Sander et Scherer (2009) qui permet de comprendre pourquoi une telle variété émotionnelle peut advenir lors de la confrontation à ce type de situation. Il nous semble fondamental de poursuivre dans cette voie en intégrant d’autres sources de variations dont certains travaux ont montré l’impact sur l’évaluation de la drôlerie de situations d’humour comme le genre des individus (par ex., Aillaud & Piolat, 2012; Dyck & Holtzman, 2013) ou encore leur sens de l’humour (par ex., Martin, 2007; Ruch, 2007). La question est posée : selon certaines de leurs caractéristiques personnelles, la nature des émotions ressenties sera-t-elle comparable ? 173 Abstract The aim of the present research was to show that the appreciation and the rejection of dark humorous cartoons trigger different emotional reactions compared to nondark ones. Thus, participants rated each humorous cartoon on incongruous, surprising, understanding and funniness scales. Then they chose the one they most like and the one they most dislike. Finally they explain the reasons of their choice and their emotional experience. Results highlighted that dark honour’s appreciation and rejection trigger specific emotional experience. Participants used more emotional lexicon to describe the emotional experience associated with dark humorous cartoons. For dark and nondark humorous cartoons and for the one they liked and the one they disliked, participants used both positive and negative emotional lexicon because their emotional experience is complex and ambivalent. Appraisal theory of emotion (Sander & Scherer, 2009) can explain these results. This cognitive theory involves an assessment via social norms and may explain that transgressive content of dark honour trigger proportionally more emotions of negative valence. Keywords: dark humor, emotional lexicon, negative valence, positive valence, writing Références Aillaud, M. (2012). Compréhension et appréciation de l’humour noir : approche cognitivo-émotionnelle. (Thèse de doctorat inédite.) Université Aix-Marseille, Aix-en-Provence, France. 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Comme il n’est pas possible de les reproduire, car le dessinateur ne nous y a pas autorisés, ils sont rapidement commentés afin de pointer, de façon qualitative, les aspects plus ou moins transgressifs des thèmes qu’ils présentent et qui peuvent être à l’origine de ces choix : 1) Deux dessins d’humour noir ont majoritairement déplu : un ring de boxe sur lequel se trouvent des morceaux de corps montrant que le combat a été féroce et destructeur (Dessin 8); une collection d’instruments de chirurgie ressemblant à des outils de bricolage, ce qui rend cruelle l’idée de les utiliser (Dessin 14); 2) trois dessins d’humour noir ont majoritairement plu : un homme qui, la corde au cou, souhaite se suicider en se pendant à un arbre très petit et qu’il arrose (Dessin 5); un malade transporté vers l’hôpital qui regarde des croque-morts qui en sortent en transportant plusieurs cercueils (Dessin 4); un bourreau qui actionne une guillotine pour exécuter un con- damné, mais qui, dans le même temps, se pendra quand le tranchant de la guillotine tombera (Dessin 18); 3) trois dessins d’humour non noir ont majoritairement déplu : un médecin qui examine la langue d’un patient en la déroulant avec une clé, comme si c’était une boîte de conserve (Dessin 28); un patient chez un dentiste et dont la dent attachée à la poignée de la porte ne pourra être arrachée qu’à son ouverture (Dessin 24); un patineur chutant en glissant sur une peau de banane traînant sur la patinoire (Dessin 34); 4) quatre dessins d’humour non noir ont majoritairement plu : une statue d’athlète grec qui est entouré de canettes de bière et qui fait un pied de nez (Dessin 32); plusieurs hommes situés chacun au fond d’un trou qu’ils creusent tout en remplissant avec leurs pelletées le trou qui est derrière eux (Dessin 20); un athlète qui fait ressortir son biceps qui a la forme d’un cerveau (Dessin 25); un skieur nautique qui tamponne un arbre anormalement planté au milieu de l’eau (Dessin 22). Annexe B Exemples de termes émotionnels identifiés automatiquement par EMOTAIX-Tropes (Piolat & Bannour, 2009a & b) Le scénario EMOTAIX est une base lexicale qui contient 4000 termes répartis selon leur sens en six supercatégories qui se correspondant deux à deux en fonction de la valence positive et négative des termes qu’elles regroupent : Bien-être vs Mal-être , Bienveillance vs Malveillance , Sang-froid vs Anxiété». Ces supercatégories sont elles-mêmes subdivisées en d’autres souscatégories plus spécifiques sur le plan de leur contenu. Ces grains plus fins d’analyse n’ont pas été pris en compte dans les résultats de la présente publication, aussi nous ne les présentons pas ici et nous gardons comme appellation des catégories d’émotions repérées dans les écrits des participants le nom des supercatégories. Deux autres catégories de lexique – dont la valence positive ou négative ne peut être définie qu’en fonction du contexte dans lequel ces termes ont été utilisés par le participant – sont aussi repérées, à savoir la Surprise et l’ Impassibilité. Afin d’illustrer les termes qui ont été repérés et catégorisés avec le scénario EMOTAIX, nous présentons ci-après quelques énoncés extraits des justifications écrites des participants. Il faut noter que, dans un bref énoncé, plusieurs émotions ont pu être explicitées. Lors de l’analyse des justifications, elles ont été comptabilisées au sein de leur catégorie. Toutefois, pour les exemples suivants, nous n’avons souligné en gras que les termes appartenant à la supercatégorie illustrée. 1) Catégorie Bien-être. « Le dernier aspect qui m’interpelle c’est que la simple guillotine avec un condamné à mort me révolterait alors que la présence du bourreau bientôt pendu me rend cette vision de mort imminente plus douce, plus irréelle, moins douloureuse voire hilarante ! » « Quoi qu’il en soit c’est un très bon strip, avec beaucoup de finesse, il m’a donc rendu plutôt heureux. Finalement on peut rire de tout, même de la fatalité humaine et je trouve cette image bien, car très légère et en même temps posant des problèmes beaucoup plus profonds. » « Et ainsi avec ces souvenirs et cette image je ressens un sentiment de joie, de bien-être d’avoir ri et de m’être rappelé certains souvenirs drôles. » 2) Catégorie Mal-être. « La vue de cette image me rend donc triste et légèrement en colère contre celui qui s’est senti bon de me rappeler ces sentiments. » « C’est sûrement pour ça que je n’aime pas cette image, parce qu’elle se moque de quelque chose que j’ai vécu et qui est, non pas traumatisant, mais très éprouvant. » « Cette image est pour moi une façon de se moquer du malheur des autres. » « Tout d’abord en voyant le visage de l’homme sur l’image je me suis senti un peu gênée voir triste, car il exprime vraiment du désespoir du malheur il m’a fait de la peine. » « Peut-être suis-je même un peu frustré parce que je ne la comprends pas justement cette image ! » « Cette image m’a plu, tout d’abord parce qu’elle traite d’un sujet assez morbide avec beaucoup d’humour. » (Annexes continue) 176 AILLAUD ET PIOLAT 3) Catégorie Bienveillance. « C’est cette image que j’ai préférée, car je la trouve extrêmement drôle. Ce que j’aime c’est que lorsque l’on voit cette image on rigole tout de suite, on ne réfléchit pas au sens de l’image, car il n’y en a pas. » « C’est tout l’esprit de cette image qui est fort plaisante pour moi. D’où cette envie de rire de ma part. » Catégorie Malveillance. « Alors même si cette image n’a rien de vraiment choquant dans le sens où il n’y a pas de choses répugnantes ou sexuelles cela m’a mis en colère qu’on fasse de l’humour noir sur la religion et qu’on est en plus choisi Jésus. » « Donc si je devrais expliquer ce que je ressens en voyant cette image, je dirais que je ressens de la colère, de l’énervement, de la haine. Je dirais même que cette image me révolte et que les dessinateurs me répugnent. » « Au niveau de mes sentiments, je suis choqué, je trouve ça irritant, ça m’énerve, et je suis en colère que l’on se moque des filles grosses. » « En définitive, cette image me choque, me bouleverse et m’enrage par son symbolisme néfaste et macabre, me réconforte parce qu’elle donne un sentiment de justice, me déconcerte parce qu’elle est ignoble dans le fond ! » « Mon ressenti émotionnel et affectif que je peux avoir à l’égard de cette photo est de l’ordre de l’agacement, l’ennuie, le mépris, mais également de la compassion à l’égard de l’auteur de cette image ridicule. » « Cette image m’énerve particulièrement, parce que je ne supporte pas qu’on rigole de la mort, le fait d’imaginer une personne décédée à l’intérieur et de voir qu’ils font une course, qu’il joue de ça pour soi-disant faire un dessin humoristique . . . » 5) Catégorie Sang-froid. « Après avoir vu l’image, je me sens plus calme que précédemment, et je suis relativement détendue. » 6) Catégorie Anxiété. « Le fait de voir quelque chose de complètement déplacé, qui a fait appel à ma mémoire, me rappeler que j’ai déjà était dans cette situation avec un léger embarras à contribuer à la drôlerie de l’image. » « On peut noter qu’il y a une belle synchronisation entre les entrées et les sorties, ce qui accroit le sentiment de drôlerie en se disant que ce bonhomme ne sera pas tout seul, ce qui est assez horrible en soi. » « Elle est en réalité horrible par ce qu’elle montre, mais il est marrant de voir le bourreau mourir dès lors qu’il infligera la mort. » 7) Catégorie Surprise. « Cette image me paraît à la fois drôle et surprenante. Elle est en réalité horrible par ce qu’elle montre, mais il est marrant de voir le bourreau mourir dès lors qu’il infligera la mort. » « Cette image m’a plu, car je l’ai trouvé drôle et inattendue contrairement à d’autres prototypes d’image drôle trop courante celle-ci m’a surprise, je ne m’y attendais pas. » 8) Catégorie Impassibilité. « Mon état émotionnel face à cette image est donc plutôt un état neutre, je ne ressens rien en la voyant, juste de la perplexité et une constante interrogation : en quoi est-elle drôle bon sang ? » « Peut-être que replacer dans son contexte celle-ci retrouve son sens et son caractère humoristique, mais ce n’est pas le cas pour moi ici, en conséquence je n’ai aucun ressenti émotionnel qu’il soit positif ou négatif, je reste neutre et en cliquant sur l’image suivante je l’ai déjà oubliée. » De plus, afin d’exemplifier l’entièreté d’une justification produite par écrit par les participants et la nature du lexique qui a été comptabilisé, nous en reproduisant une ci-après et, pour limiter le volume de cette annexe, seulement pour une des quatre conditions expérimentales (participant n° 143 : condition humour noir et condition déplaire) : « Je n’ai pas du tout aimé [malveillance] cette image, car elle provoque [malveillance] en moi une sorte de dégoût [malveillance] !! Je trouve cette image vraiment écœurante [malveillance], dès que je l’ai vue j’ai ressenti [mal-être] un malaise [mal-être] face à ce qui est représenté. Je n’ai pas du tout compris le côté comique de cette dernière, je ne vois même pas comment on pourrait en rire [mal-être]. Le ring est un lieu de bataille certes, mais pas un abattoir. Je suis très sensible [mal-être] à ce que je vois, le sang et les organes éparpillés de cette manière me donnent la nausée [malveillance]. Les organes y sont déchiquetés et envahissent tous l’espace. Cette image est tout à fait répugnante [malveillance] selon moi. Elle m’interpelle tout de suite et me choque [mal-être]. Lorsque je la regarde c’est l’incompréhension totale, de 1 je ne vois pas vraiment pourquoi on a représenté cela et de 2 quel est le but de ce dessin. Je n’ai pas du tout aimé [malveillance] la présence de sang, la présence de tous ces organes emmêlés comme cela. Le fond gris fait tout de suite ressortir ces éléments tout à fait morbide [mal-être] et répugnant [malveillance]. » Enfin, pour illustrer l’ampleur des émotions mixtes explicitées à la suite d’un dessin d’humour noir, voici un extrait du texte écrit par un participant à propos du dessin n° 4, dessin fréquemment choisi et apprécié : « La moue sidérée et terrifiée du pauvre patient devant la fatalité est vraiment drôle, si on apprécie ce genre d’humour. On peut noter qu’il y a une belle synchronisation entre les entrées et les sorties, ce qui accroît le sentiment de drôlerie en se disant que ce bonhomme ne sera pas tout seul, ce qui est assez horrible en soi. Ce genre d’humour plutôt noir me plait beaucoup, car il permet de dénoncer ou de critiquer un système, pourvu qu’on y réfléchisse. Il demande de la réflexion et du recul, et l’effet comique augmente d’autant plus que l’image est choquante, incongrue. C’est pour cela que cette image m’a beaucoup plu, car elle a, outre son aspect incisif, probablement pour but de dénoncer des problèmes d’incompétences au sein de certains hôpitaux, où des patients subissent des injections mortelles de produits curatifs, par exemple. En bref, quelques secondes de pur plaisir ! » (Annexes continue) LEXIQUE ÉMOTIONNEL EN RÉACTION ÀDES DESSINS D’HUMOUR NOIR ET NON NOIR 177 Annexe C Résultats complémentaires concernant les quatre jugements opérés sur les dessins qui ont plu et qui ont déplu Une situation humoristique est considérée comme étant appréciée de manière optimale, donc provoquant des émotions positives, si elle obtient un score élevé de drôlerie sur une échelle de Likert allant de « pas drôle du tout » à « extrêmement drôle » (Ruch, 2007). Cependant, Ruch et Rath (1993) ont souligné qu’un score élevé de drôlerie pouvait aussi être accompagné d’une évaluation négative sous forme de rejet. Faire juger des situations humoristiques seulement selon leur niveau de drôlerie s’avère donc insuffisant. Plusieurs travaux ont, de plus, montré que le niveau de drôlerie était positivement corrélé au niveau de surprise (Herzog & Bush, 1994; Herzog & Hager, 1995; Herzog & Karafa, 1998; Wicker, Thorelli, Barron & Ponder, 1981). Enfin, la clarté d’une situation comique, autrement dit le fait de la comprendre, constitue aussi un critère dans l’appréciation de l’humour (Herzog & Bush, 1994; Herzog & Larwin, 1988). Par ailleurs, des études ont analysé la nature des jugements portés par les individus en fonction de la thématique de l’humour (Herzog et al., 2006). Ruch et Hehl (1987) avaient déjà souligné que le rejet des situations humoristiques est positivement corrélé avec le fait que la thématique transgresse les normes morales. Herzog et Bush (1994) ainsi que Herzog et Karafa (1998) ont mis en évidence que l’humour malsain est moins estimé que l’humour non malsain, soulignant également l’importance des normes sociales dans l’appréciation ou pas de l’humour. Goel et Dolan (2007) ont démontré qu’une situation humoristique qui transgresse les normes morales et sociales était moins appréciée, car jugée comme moins drôle, qu’une situation comique socialement appropriée. Enfin, dans une publication précédente (Aillaud & Piolat, 2012), nous avons analysé les jugements donnés par les participants de la présente publication au contact des 18 dessins d’humour noir et des 18 dessins d’humour non noir. Nous avons mis en évidence que les dessins d’humour noir ont été jugés comme plus incongrus et plus surprenants que les dessins d’humour non noir. Les dessins d’humour noir ont aussi été perçus comme moins clairs et moins drôles que les dessins d’humour non noir. Pour apporter ici de nouvelles données, nous avons repris les analyses en les limitant aux jugements portés aux deux seuls dessins choisis par les participants comme ayant plu et n’ayant pas plu. Ces jugements ont été faits selon quatre échelles (Incongruité, Surprise, Clarté et Drôlerie; pour plus d’informations sur la procédure, voir Aillaud & Piolat, 2012). Nous rapportons ici quelques résultats des analyses. Les données (score du jugement du dessin qui a « plu » et du dessin qui a « déplu ») ont été soumises à une ANOVA avec le facteur Choix en mesure répétée et le facteur Humour en facteur intersujets. Cette ANOVA à mesure répétée a été réalisée successivement pour chacun des critères de jugement (Incongruité, Surprise, Clarté et Drôlerie). Pour les critères de Clarté [F(1, 562) ⫽ 159,50, MSE ⫽ 151,68, p ⬍ 0,0001, p2 ⫽ 22,56 %] et de Drôlerie [F(1, 562) ⫽ 769,22, MSE ⫽ 481,42, p ⬍ 0,0001, p2 ⫽ 57,8 %], les dessins qui ont déplu ont des scores significativement inférieurs à ceux des dessins qui ont plus. Pour les critères Incongruité et Surprise, les interactions entre les modalités des facteurs Choix et Humour sont significatives. Dans le cas de l’Incongruité, l’interaction est la suivante : F(1, 562) ⫽ 5,04, MSE ⫽ 5,32, p ⬍ 2 0,05, partiel ⫽ 0,9 %. Le dessin d’humour noir qui a le plus plu (M ⫽ 1,92, É.-T. ⫽ 1,06) est jugé moins incongru que le dessin d’humour noir qui a déplu (M ⫽ 2,24, É.-T. ⫽ 1,13), le Test Post Hoc de Tukey’s HSD Humour Noir Plu vs Humour Noir Déplu, p ⬍ 0,05 est significatif. En revanche, le dessin d’humour non noir qui a le plus plu (M ⫽ 1,74, É.-T. ⫽ 1,01) n’est pas jugé significativement plus incongru que le dessin d’humour non noir qui a déplu (M ⫽ 1,22, É.-T. ⫽ 0,90, HSD Humour non noir Plu vs Humour non noir Déplu, p ⫽ 0,94, ns). Dans le cas de la Surprise, l’interaction est la suivante : F(1, 562) ⫽ 8,89, MSE ⫽ 8,51, p ⬍ 2 0,01, partiel ⫽ 1,56 %. Le dessin d’humour noir qui a le plus plu (M ⫽ 2,69, É.-T. ⫽ 0,98) n’a pas été jugé significativement plus surprenant que le dessin d’humour noir qui a déplu (M ⫽ 2,54, É.-T. ⫽ 1,03, HSD Humour Noir Plu vs Humour Noir Déplu : p ⫽ 0,72, ns). En revanche, le dessin d’humour non noir qui a le plus plu (M ⫽ 2,59, É.-T. ⫽ 0,10) a été jugé significativement plus surprenant que le dessin d’humour non noir qui a déplu (M ⫽ 1,97, É.-T. ⫽ 0,92, HSD Humour non noir Plu vs Humour non noir Déplu, p ⬍ 0,0001). Des résultats complémentaires (résultats non présentés dans l’annexe C) et compatibles avec ceux publiés par Aillaud et Piolat (2012) sur ces données montrent que, quel que soit le type d’humour qu’ils présentent, les dessins appréciés ont été jugés plus surprenants, plus clairs et plus drôles que les dessins qui ont été rejetés. Conformément aux résultats de Herzog et Karafa (1998) et d’Aillaud et Piolat (2012), pour qu’une situation humoristique soit jugée drôle – et de ce fait appréciée – il est nécessaire qu’elle provoque à la fois un effet de surprise et que l’individu reconnaisse facilement l’incongruité qui concourt à son potentiel comique. Plus spécifiquement, les dessins d’humour noir non appréciés ont été jugés plus incongrus (c’est-à-dire comme plus déplacés, plus inconvenants) que les dessins d’humour noir appréciés. Ces résultats qui concernent tous les dessins qualifiés de plaisants ou de déplaisants soutiennent ainsi les observations faites dans l’annexe A à propos des contenu des dessins majoritairement choisis. Le fait de trouver amusant ou pas un dessin dépend du niveau de transgression que tolèrent les individus quand ils exploitent leurs systèmes de normes internes pour leurs évaluations cognitives (Sander & Scherer, 2009). Ces systèmes régulent le fait de s’autoriser ou non à trouver drôle un dessin humoristique. On peut noter, de plus, que les dessins d’humour standard qui ont été appréciés ont été jugés comme plus surprenants que ceux qui ont (Annexes continue) 178 AILLAUD ET PIOLAT été rejetés. Ce résultat est conforme à celui de Herzog et Karafa (1998), qui ont montré que l’évaluation de la drôlerie des blagues était positivement corrélée à l’évaluation du critère de surprise. L’émotion de surprise constitue bien un indicateur de la reconnaissance de l’incongruité, autrement dit d’une divergence entre les éléments donnés dans le dessin et ceux qui sont classiquement attendus dans la vie quotidienne (Meyer et al., 1997). Cette émotion peut être aussi considérée comme le résultat de l’application de la première série des évaluations cognitives qui contribueront au façonnement d’un épisode émotionnel selon Sander et Scherer (2009). Toutefois, elle n’est pas suivie d’émotions seulement positives, car les évaluations postérieures réalisées à l’aide du système de normes internes contribueront à l’élaboration simultanée de ressentis émotionnels positifs et négatifs comme nous l’avons mentionné précédemment. Reçu le 16 juin 2013 Accepté le 17 février 2014 䡲 E-Mail Notification of Your Latest CPA Issue Online! Would you like to know when the next issue of your favorite Canadian Psychological Association journal will be available online? 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