Mappa mundi, c

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Mappa mundi, c
Mappa mundi, VIIIe siècle (deuxième moitié).
Albi, Bibliothèque municipale, Ms. 29 (115)
Bibliographie très sélective : Fr. GLORIE, Itineraria et alia geographica, Turnhout,
1965 (Corpus Christianorum, Series Latina, 175), p. 467-469 ; C. JEUDY, Y.-F. RIOU,
Les manuscrits classiques latins des bibliothèques publiques de France, t. I AgenEvreux, Paris, 1989, p. 11 ; E. EDSON, The oldest world maps : classical sources of
three eighth century mappaemundi, The ancient world, t. 24, 1993, p. 174-177 ; L.
CHEKIN, Northern Eurasia in medieval cartography, Turnhout, 2006 (Terrarum
orbis, 4), p. 93-95, ill. p. 394.
Expositions : Turin, 2006, Palazzo Bricherasio, Le tre vite del Papiro di Artemidoro :
Voci e sguardi dall'Egitto greco-romano ; Milan, 2001, Palazzo Reale, Segni e sogni
della terra : il disegno del mondo dal mito di Atlante alla geografia delle reti.
Ce manuscrit en écriture visigothique, originaire de Septimanie ou
d’Espagne, contient l’une des deux plus anciennes mappae mundi conservées (l’autre
étant celle du manuscrit Vatican, Bibl. Apostolica Vaticana, Vat. lat. 6018, f. 63v64r, fin VIIIe-début IXe siècle) qui est justement fameuse. Ce genre de cartographie
qui trouve son origine dans l’Antiquité tardive, a pour objet la représentation de la
partie habitée du globe terrestre, ce que les Grecs appelaient l’œcumène et les Latins
l’orbis terrarum.
Cet œcumène est de forme oblongue, la partie centrale étant occupée par une
Méditerranée peinte en vert sombre très développée vers l’est, où l’on reconnaît de
haut en bas les grandes îles de Crète, de Chypre, de Sicile, de Sardaigne et de Corse.
L’orient situé en haut de la page est occupé par les régions de l’Inde, de la Médie et
de la Perse. Au nord (c’est-à-dire sur la droite), apparaît l’Europe, au nord de la
Gotia à la Britania (Grande-Bretagne). Vers le sud, se distinguent nettement les trois
péninsules des Balkans, de l’Italie et de l’Espagne, qui étaient bien individualisées
dans les textes des géographes antiques. A droite, la carte montre la succession des
régions depuis la Syrie et la Terre sainte jusqu’à la Mauritanie. L’océan lui aussi
peint en vert entoure l’œcumène. Les villes peu nombreuses (deux non nommées en
Inde et en Italie ; Babylone ; Athènes, Ravenne et Rome ; Antioche, Jérusalem ;
Alexandrie, Carthage) sont figurées chacune par des alignements de petits cercles.
Quelques fleuves sont distingués du même vert que celui affecté aux mers mais,
contrairement à ce que l’on a parfois affirmé, les quatre fleuves du paradis terrestre
mentionnés par la Genèse ne sont pas représentés : seuls deux d’entre eux sont
nommés en Orient : le Tigre et le Fison (l’Indus). Il serait donc hasardeux de
spéculer en supposant que, sur le modèle de la carte, le paradis devait être dessiné. A
l’inverse, rien ne permet d’avancer que l’absence du paradis serait due à un modèle
byzantin ou encore au manque de place (ces interprétations fantaisistes et
contradictoires ont toutes été soutenues). S’y ajoutent le Nil et un Gange situé par
erreur en Afrique, ainsi que le Rhône en Europe, ce dernier choix témoignant sans
aucun doute de l’origine méridionale de l’exemplaire.
Comme le montre l’observation sur les fleuves du paradis, il serait exagéré de
voir sur cette carte une empreinte chrétienne trop importante ou une « conciliation
entre la science antique et la Bible » – synthèse qui n’a jamais eu lieu, les Pères de
l’Eglise ayant adopté sans réticence les données de la science païenne. Jérusalem
n’est pas au centre de l’orbis terrarum (la Judée est toutefois distinguée par une
bordure colorée) ; le mont Sinaï est représenté par un triangle dans le désert
d’Arabie. Plus significatif paraît être l’intérêt pour le déroulement de l’histoire du
salut : la présence de Babylone, de la Perse, de la Macédoine et de Rome peut être
interprétée comme exprimant graphiquement la succession des quatre Empires
évoquée par le prophète Daniel dans la vision des quatre bêtes (Daniel, 7). Le nord,
siège traditionnel des menaces contre la civilisation selon l’ethnographie romaine, est
occupé par les Barbari, qui rendent témoignage de la chute du dernier Empire. Le
fait le plus frappant de cette carte est l’extension de l’Occident au détriment de
l’Orient, réduit à une simple bande. La mention de Ravenne à égalité avec Rome est
un indice supplémentaire du milieu occidental où son modèle a dû être conçu.
Ravenne ayant été successivement résidence officielle des derniers empereurs
d’Occident à partir du Ve siècle, puis capitale du royaume goth d’Italie, enfin
résidence de l’exarque représentant, jusqu’en 751, le pouvoir byzantin.
Parmi toutes les mappae mundi conservées, cet exemplaire est probablement
le plus proche, par sa forme et son contenu, d’un modèle datant de l’Antiquité
tardive. En effet, alors que la plupart des mappemondes sont rondes, celle-ci affecte
la forme d’un rectangle arrondi, ce qui n’est pas sans rappeler la comparaison de la
terre habitée avec une fronde qu’on peut lire dans la Périégèse de Denys. On sait que
ce texte grec du début du IIe siècle après J.-C. qui, au VIe siècle, pouvait être
accompagné d’une carte, fut traduit en latin à la même époque, à Constantinople, par
le grammairien Priscien (« La terre, de forme arrondie, n’est pas limitée par un bord
continu, mais, semblable à une fronde, elle étend deux bras resserrés qui l’ouvrent en
deux vers l’occident »). On a noté d’autre part sa ressemblance avec la carte du
monde de Cosmas Indicopleustès, marchand alexandrin qui, dans sa Topographie
chrétienne écrite à Alexandrie au milieu du VIe siècle, s’attacha à une interprétation
stricte des Écritures et contesta – à peu près seul de son temps et durant tout le
Moyen Age – la sphéricité de la terre. Les trois golfes de l’Océan : mer Rouge, golfe
Persique et mer Caspienne, ces deux derniers alignés selon une direction méridienne,
sont disposés de la même façon. Il y a encore deux indices de l’origine antique du
modèle : les limites des provinces sont indiquées, l’écriture onciale est utilisée, alors
que le reste du manuscrit est en écriture visigothique.
Il est impossible de mesurer les déformations que le copiste, comme c’est la
règle, a fait subir à son modèle. Quoi qu’il en soit, il est hors de propos de comparer
le contenu toponymique de la représentation graphique avec les noms de lieux de
textes géographiques antérieurs, en particulier le tableau de l’orbis terrarum donné
par Orose dans ses Historiae adversus paganos qui est copié sur les feuillets suivants
(f. 58v-61v). La carte ne dérive pas d’un texte. Les copistes médiévaux, dans
l’intention d’atteindre la vérité léguée par la tradition, associaient couramment les
deux media graphique et textuel de façon cumulative, sans se préoccuper des
correspondances ou des contradictions qui pouvaient naître de cette juxtaposition, et
laissaient aux lecteurs le soin de les apprécier et d’éventuellement les résoudre par
leur propre réflexion.

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