Remise du rapport - Discours d`Emmauel. Ethis
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Remise du rapport - Discours d`Emmauel. Ethis
Discours d’Emmanuel Ethis, Président de la Commission Culture et Université lors de la remise du rapport à Madame Valérie Pécresse 5 octobre 2010 Madame la ministre, Mesdames et Messieurs les membres de la Commission Culture et Université, Chers Collègues, Mesdames et Messieurs, C’est une grande joie pour nous que de vous remettre aujourd’hui, ce petit ouvrage intitulé De la culture à l’Université : 128 propositions, le rapport officiel du travail accompli depuis juin 2009 par notre Commission. Comme je l’écris dans l’introduction de ce rapport, en 1985, Pierre Bourdieu, titulaire de la chaire de sociologie au Collège de France, avait présenté lui aussi un rapport réalisé à la demande du président de la République et intitulé «Neuf propositions pour l’enseignement de l’avenir». Après avoir développé avec La Distinction sa théorie de la légitimité culturelle, puis analysé le milieu universitaire français dans Homo Academicus, Bourdieu allait à la fois défendre une indépendance et une autonomie des universités face au «protectionnisme» de l’État, une plus grande démocratisation de l’accès à nos établissements d’enseignement supérieur ainsi que la limitation de la durée de validité des diplômes par le développement de leurs réévaluations régulières. Enfin, dans sa dernière proposition, le sociologue allait insister sur l’importance des échanges culturels, sur la généralisation de l’usage des moyens audiovisuels et sur l’institutionnalisation de plus larges passerelles entre l’université et la culture. Vingt-cinq ans plus tard, à votre demande, notre commission choisit de présenter cent vingt huit propositions pour tenter de favoriser le développement de la culture à l’université, mais également la reconnaissance du potentiel créatif de nos universités par les mondes de la culture. Pourquoi cent vingt-huit propositions ? Outre qu’il s’agisse d’un chiffre qui parle à tous nos étudiants parce qu’il fait référence à l’une des collections d’ouvrages universitaires les plus lus par ces derniers, il nous importait surtout d’afficher un nombre massif de propositions afin d’exprimer, plus que symboliquement, combien les items Culture et Université, lorsqu’on les croise, sont en mesure de stimuler désirs et imaginations. Par l’entremise de ce grand nombre de propositions et de préconisations, notre commission souhaitait aussi adresser toute sa reconnaissance au travail de ceux qui, depuis longtemps, œuvrent pour inventer et installer durablement les questions de culture dans nos établissements. Les services Culture, le réseau A+U+C, les associations et les syndicats étudiants et, bien entendu, les enseignants-chercheurs et les personnels de nos universités ont fait de ces questions un engagement quotidien. En effet, nous ne sommes pas partis de rien. Quelques jours à peine après l’installation officielle de notre commission, ce sont des dizaines d’établissements, de représentants de nos communautés universitaires mais aussi de plusieurs institutions culturelles qui ont pris contact avec nous pour manifester leurs envies d’apporter des idées, des initiatives ou simplement exprimer leur intérêt vis à vis de ce que l’on pourrait faire s’épanouir de nouveau à l’intersection «Culture-Université». Ce sont de toutes ces rencontres chaque fois riches et bouillonnantes que sont nées les cent vingt huit propositions présentées ici. Diverses par leur nature ou leur densité, différentes dans leur ambition ou leur objectif, elles sont néanmoins traversées par un dénominateur politique commun qui nous a tous unanimement rassemblé : celui de ne jamais considérer la question des arts et de la culture comme accessoire ou décorative, ou comme ce «petit plus» en charge de compenser une sorte de supplément d’âme qui, pour on ne sait quelle raison, serait déficient chez nos étudiants ou plus généralement chez nos contemporains. Comme le faisait remarquer Pierre Bergé lors d’une de nos toutes premières réunions : « Ce n’est pas une culture hygiénique qui doit être développée dans les universités. Comme on se lave les dents trois fois par jour, il faudrait avoir de la culture. Sinon, on a quelques livres de la Pléiade, on cite, on va un peu au théâtre, un peu à l’opéra, puis ça s’arrête là. La culture ne doit pas être programmée, pas de temps en temps, elle ne fait surtout pas partie d’un divertissement. Elle doit faire partie de la vie, du lever au coucher sans en faire pour autant une sorte de sacerdoce. On ne devrait pas se poser la question. La culture doit faire partie de nous comme on respire, comme on a besoin de boire et de manger. La culture, c’est se mettre en danger, c’est se poser des questions. La culture n’est pas un long fleuve tranquille. La culture, c’est aller au devant d’interrogations et c’est de l’imagination. Elle ne peut pas s’enseigner simplement. Comme dans des méthodes d’enseignement à la Montessori, à la Fresnay ou d’autres, il faut faire participer l’étudiant qui doit finir par s’enseigner la culture à luimême. Pourtant, c’est la communauté universitaire dans son ensemble qui doit s’adresser ici à la communauté universitaire. Car, si la culture ne peut s’enseigner, elle se transmet et cela ne se passe pas sans les enseignantschercheurs qui forment et quelquefois même formatent. Aujourd’hui les enseignants-chercheurs doivent accompagner les étudiants vers les limites du possible ». Et ce sont bien ces cultures dialogiques et participantes qui fondent depuis toujours nos universités qu’il s’agit aussi de valoriser aujourd’hui comme l’une de nos principales sources de créativité dont sont porteurs nos étudiants. Ainsi, comme le préconise Richard Florida, professeur en urban studies à l’Université de Toronto, nos universités peuvent jouer un rôle primordial pour favoriser la reconnaissance de ce qu’il appelle les « classes créatives ». Les classes créatives désignent une population urbaine, mobile, qualifiée et connectée et se définissent en apportant sur les territoires qu’elles habitent Talent, Technologie et Tolérance. Pour Florida la confiance que nous plaçons dans nos classes créatives est sans doute le meilleur atout dont on puisse disposer, car ce sont elles qui favorisent ce brain drain qui est en mesure d’offrir de nouveaux contours à l’idée même de progrès. Nos étudiants ont pour leur part, beaucoup participé à faire germer nombre d’idées qui sont dans ce rapport, car notre commission a auditionné plus de 120 personnes, dont la moitié d’entre elles était étudiante. Loin de les rebuter, la question de la culture à l’université leur est apparue comme vitale au moment même où ils s’autonomisent en tant que personne. Comme le souligne François Flahault, les études sont un moment singulier de notre vie où après avoir pris conscience de qui l’on était, conscience de notre identité sociale, on se met en quête de ce qu’il appelle le sentiment d’exister dans toutes ses dimensions : sentiment de vivre, de penser, de croire en l’autre, sentiment d’être en mesure de s’affranchir des normes, de réfléchir l’innovation et les espoirs que l’on fonde pour son avenir proche ou lointain. Vous l’aurez compris, la culture est souvent le premier support de ces sentiments d’existence-là. Et, notre rapport est une projection très immédiate des sentiments d’existence et de la volonté des communautés universitaires de se reconnaître et d’être reconnues par l’entremise de la culture. Sept chapitres couvrent et rassemble le découpage de cette reconnaissance : • Pratiques et productions artistiques et culturelles à l’université, • Patrimoines numérisés, culture numérique et culture du numérique, • Diversités Culturelles, sociabilités et socialisations à l’université, • Culture générale et mobilité sociale de nos étudiants, • Ancrage et ouverture des universités au cœur de leur territoire, • Information, diffusion et valorisation des événements et productions culturelles des universités, • Présences et affirmation de l’université dans les mondes de l’art, de la culture et des médias. Nos cent vingt-huit propositions espèrent en ce sens apparaître comme autant d’ouvertures possibles pour soutenir la reconnaissance de la place de la culture dans l’enseignement supérieur et ce en rappelant combien, dans la droite ligne de Condorcet, notre institution – l’université – doit mettre tout en œuvre pour «protéger les savoirs contre les pouvoirs», «considérer l’excellence comme la forme la plus haute de l’égalité» et se garder enfin «d’assujettir l’instruction publique aux volontés particulières et à l’utilité immédiate». Je tiens pour terminer à vous remercier, Madame la Ministre, pour l’intérêt cardinal et rare que vous avez porté sans relâche à cette question de la culture en France et dans nos universités et à vous remercier par là-même de la confiance que vous avez placé dans notre commission à qui vous aviez donné pour seules consignes d’être libre, créative et imaginative. La LRU assigne dès ses premiers articles aux universités les missions d’élever le niveau culturel de la nation et de réduire les inégalités sociales et culturelles et de contribuer enfin à la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes en assurant à toutes celles et à tous ceux qui en ont la volonté et la capacité l’accès aux formes les plus élevées de la culture. Je tiens enfin à remercier ici tous les membres de cette commission : Laure Adler, Jean-Jacques Annaud, Françoise Benhamou, Pierre Bergé, Tom Bishop, Manuel Canevet, Jean-François Cervel, Alain Chamfort, Philippe Dana, Jocelyn Defawe, Isabelle Dimonde, Renaud Donnedieu de Vabres, Gianni Giardinelli Patrick Houque, Paul Karam, Guillaume Klossa, Michel Lussault, Damien Malinas, Anne Rotenberg, Nicolas Seydoux, Jean-Christophe Tamisier, Pascale Thumerelle, et Yves Winkin. Je remercie aussi tous ceux qui ont été auditionnés et ont construit avec notre petite équipe de rédacteur les propositions telles qu’elles se présentent à vous aujourd’hui et je remercie enfin tous ceux qui ont participé à l’Université d’Avignon, à la mise en forme de ce rapport en particulier : Juliette Dalbavie, Olivier Zerbib, bien sûr, mais également Myriam Dougados, Anais Truant, François Theurel, Raphaël Roth, Dominique Joly et notre chargé de mission Culture et vie de campus Damien Malinas. Nous avons tenté de donner un corps à ces missions par nos propositions, et c’est pourquoi il me semble essentiel d’être le porte-parole de tous ceux qui ont contribué à ce rapport et qui placent en nous, Madame la Ministre, une magnifique responsabilité : cette responsabilité n’est autre que l’espoir de voir ces propositions sortir de leur rapport de papier pour habiter durablement les campus de nos universités. Je vous remercie, Emmanuel Ethis