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ACADEMIE DE PARIS
UNIVERSITE DE PARIS III NOUVELLE SORBONNE
INSTITUT DES HAUTES ETUDES DE L’AMERIQUE LATINE (IHEAL)
L’ACTION POLITIQUE DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE
COLOMBIENNE : LA DÉFENSE D’UNE DÉMOCRATIE FAIBLE
Mémoire présenté et soutenu par
Ana Carolina GÓMEZ ROJAS
En vue de l’obtention du diplôme
Master 2 Recherche
Directeur de Recherche
Hubert GOURDON
Septembre 2012
ACADEMIE DE PARIS
UNIVERSITE DE PARIS III NOUVELLE SORBONNE
INSTITUT DES HAUTES ETUDES DE L’AMERIQUE LATINE (IHEAL)
L’ACTION POLITIQUE DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE
COLOMBIENNE : LA DÉFENSE D’UNE DÉMOCRATIE FAIBLE
Ana Carolina GÓMEZ ROJAS
Septembre 2012
Table de matières
Introduction ...................................................................................................................... 3
1. Décision de la Cour Constitutionnelle : une analyse de forme et de fond.................... 7
1.1 Décision de la Cour Constitutionnelle en termes de procédure.............................. 7
1.1.1 Procédure pour modifier la Constitution colombienne.................................... 8
1.1.2 Arguments pour la déclaration de la non-conformité de la loi 1354 de 2009 10
1.2 Les arguments matériels de la Cour par rapport à la réélection ........................... 14
1.2.1 Les arguments de la Cour par rapport à la première réélection présidentielle.
................................................................................................................................ 15
1.2.2 Les arguments de la Cour par rapport à la deuxième réélection présidentielle.
................................................................................................................................ 16
1.3 La construction conceptuelle de la Cour Constitutionnelle .................................. 19
1.3.1 Substitution de la Constitution ...................................................................... 19
1.3.2 Vices de compétences .................................................................................... 21
1.3.3 Le bloque de constitutionnalité ..................................................................... 24
1.3.4 La « modulación » des effets des sentences .................................................. 25
1.4 La suprématie de la Constitution .......................................................................... 28
1.5 Le débat sur la réforme de la Constitution ........................................................... 32
2. Le système politique colombien : une explication du pouvoir de la Cour
Constitutionnelle............................................................................................................. 39
2.1. La tradition politique de Colombie ...................................................................... 39
2. 1.1 Délégitimation des partis politiques ............................................................ 39
2.1.2 Le mouvement de “la séptima papeleta” ....................................................... 41
2.1.3 Une nouvelle fragilisation politique .............................................................. 46
2.1.4 Tradition présidentialiste en Colombie ......................................................... 48
2.1.5 La discussion sur le continuisme ................................................................... 50
1
2.1.6 Le populisme en Colombie ............................................................................ 53
2.2 Le phénomène Uribe ............................................................................................ 56
2.2.1 Justifications de la popularité de l’ex-président Uribe .................................. 56
2.2.2 Première réélection du président Uribe ......................................................... 59
2.2.3 Les modifications dans l’exercice du pouvoir à court et long terme ............. 60
2.2.4 Le président Uribe et le pouvoir judiciaire .................................................... 63
3. La Cour Constitutionnelle comme un acteur politique ............................................... 66
3.1 Le rôle de la Cour Constitutionnelle colombienne dans l’élaboration des
politiques publiques. ................................................................................................... 66
3.2 Le rôle de la Constitution de 1991 et le néo-constitutionnalisme en Amérique
latine ........................................................................................................................... 72
3.2.1 La Constitution de 1991 comme garante des principes démocratiques......... 72
3.2.2 Le néo-constitutionnalisme en Amérique latine ............................................ 77
3.3 La Cour Constitutionnelle Colombienne : un gouvernement de juges ? .............. 79
3.4 Judiciarisation du système politique : risques et avantages .................................. 85
3.4.1Les risques de la judiciarisation du politique ................................................. 89
3.4.2 Les potentialités de la judiciarisation du politique ........................................ 91
3.5 Une nouvelle définition du constitutionnalisme : une transformation de la
démocratie .................................................................................................................. 92
Conclusion ...................................................................................................................... 96
Bibliographie ................................................................................................................ 100
2
Introduction
La Colombie a vécu dans les dernières années un grand bouleversement politique : les
citoyens ont rédigé une nouvelle Constitution afin de surmonter des phénomènes
comme la corruption politique, le clientélisme et la pénétration du narcotrafic dans
presque toutes les institutions –incluant les groupes armés illégaux– ; des nouvelles
organisations ont été créées, entre autres la Cour Constitutionnelle ; les citoyens ont
appris à exiger leurs droits fondamentaux à travers des mécanismes très modernes
comme la tutela ; les mouvements et les partis politiques ont augmenté de manière
vertigineuse après le début des années 90 pour se réduire de manière dramatique après
la réforme politique de 2004 ; et, enfin, le pays a connu le président le plus populaire
dans l’histoire colombienne au point de réussir la modification de la Constitution afin
d’obtenir une deuxième élection.
Cet état de fait s’est accompagné d’une grande modification dans la relation
entre les pouvoirs publics. Chacun d’eux a essayé de maintenir son statut et son
influence sur la société colombienne. Entre 2002 et 2010 s’est déchainé un « choque de
trenes » où le pouvoir judiciaire se trouvait parmi deux réalités différentes : un pouvoir
exécutif chaque fois plus fort et avec des niveaux de popularité jamais atteints, et un
pouvoir législatif lié aux groupes armés illégaux, ce qui augmentait la méfiance des
citoyens face à cet organe.
Ainsi, la Cour Constitutionnelle a pris une place significative dans l’imaginaire
collectif colombien en tant que garant des droits fondamentaux, historiquement ignorés
par les élites politiques. Les citoyens « ordinaires » ont commencé à faire appel à la
Cour pour résoudre leurs problèmes quotidiens, transformant le rôle de ce pouvoir
judiciaire en un rôle politique. Cette situation engendre vraisemblablement plusieurs
difficultés pour deux raisons: en premier lieu, il y a un risque pour l’appareil judiciaire
de devenir inefficace à cause de la quantité de demandes reçues ; et en deuxième lieu, le
Congrès peut perdre de manière définitive sa légitimité face aux citoyens, ce qui met en
péril le système démocratique.
En parallèle, la figure du président Álvaro Uribe a émergé comme un politique
capable d’atteindre les 70% de popularité. Grâce à son image d’homme rural qui
comprenait bien les besoins de la « nation colombienne », il a réussi à construire une
politique gouvernementale ayant pour hypothèse que l’existence des guérillas était la
3
seule cause des fléaux du pays, raison pour laquelle la grande partie du budget national
a été dédié à la lutte contre ces groupes.
Bien que cette vision du conflit colombien ait ses limites, elle a eu un impact
positif dans l’opinion publique et a reçu également le soutien de la majorité des
colombiens dans les élections présidentielles de 2002 et aussi dans les élections de
2006. Ainsi, on s’est posé la question de l’existence du populisme en Colombie, en
considérant aussi le phénomène Uribe comme le résultat du mécontentement de la
société par rapport aux gouvernants antérieurs.
Mais à vrai dire, ce qui est intéressant ici c’est l’affrontement entre les deux
forces les plus populaires dans l’histoire récente du pays : le président Uribe et la Cour
Constitutionnelle. Car précisément la décision de la Cour d’empêcher un troisième
mandat présidentiel a été la raison principale de l’affrontement. Les arguments en
faveur de cette décision ont été de la même intensité que les arguments contre. Le pays
risquait de se polariser. Cependant, la déclaration de non-conformité de la loi
convoquant un référendum pour modifier la Constitution en faveur du président Uribe a
été accueillie avec résignation par le président aussi que par la majorité des citoyens.
Quelle a été la raison ?
D’un côté l’ex-président Uribe ne souhaitait pas être perçu comme un leader
populiste, mais comme un gouvernant respectueux de la Constitution, malgré les
affrontements vécus avec le pouvoir judiciaire tout au long de son mandat. De l’autre, la
Cour Constitutionnelle possédait une légitimité envers l’opinion publique grâce au
développement d’une jurisprudence très progressiste.
Cette situation m’a conduit alors à me poser la question centrale de la
recherche : comment un pouvoir public qui n’a pas été élu par voie populaire peut-il
imposer sa volonté, même si elle est contraire au désir de la majorité de la population ?
Ce sujet montre bien qu’il ne s’agit pas d’une discussion purement juridique
dans laquelle la Cour Constitutionnelle est plus habile que les autres pouvoirs dans la
construction de concepts qui favorise ses décisions. Il s’agit plutôt d’un débat politique
où les institutions du pays luttent pour maintenir leur légitimité populaire.
Il convient d’ajouter que cette thématique a été étudiée en Colombie de manière
presque exclusive par les juristes, bien qu’il s’agisse, comme on l’a déjà mentionné,
d’un sujet aussi politique. Pour cette raison il existe un besoin de le traiter d’une
manière pluridisciplinaire afin de mieux comprendre les enjeux propres de la Colombie.
4
Trois concepts essentiels doivent êtres définis afin d’éviter des ambiguïtés dans
le développement de la recherche: en premier lieu, il s’agit d’apporter une définition du
populisme afin de déterminer si la popularité de l’ex-président Uribe peut s’apparenter
au phénomène populiste ou non. Susane Gratius sera notre principale source dans la
caractérisation du populisme contemporain, elle en identifie cinq éléments : 1) l’absence
d’une idéologie et/ou d’un programme politique ; 2) une relation directe entre le leader
et le peuple à travers une structure verticale de pouvoir ; 3) l’arrivée au pouvoir d’un
outsider qui a un discours anti-oligarchique ; 4) de hauts niveaux de soutien populaire et
d’inclusion des marginalisés ; 5) un affaiblissement des institutions démocratiques et
notamment des poids et contrepoids1.
En deuxième lieu, face à l’activisme judiciaire de la Cour Constitutionnelle, il
s’agira de définir le gouvernement des juges pour déterminer si la Colombie est victime
de ce type de gouvernement ou non. La définition prise et celle d’Edouard Lambert, qui
établit le gouvernement des juges comme « le système de gouvernement, qui est sorti
aux États-Unis de l’association de plus en plus étroite des tribunaux à la direction de la
marche de la législation» 2.
Finalement, il est fondamental de définir la judiciarisarion des affaires
politiques provoquée par l’activisme de la Cour Constitutionnelle et, en général, des
tribunaux constitutionnels. Ici, le juriste et ex-magistrat auxiliaire de la Cour
Constitutionnelle colombienne Rodrigo Uprimny donne une définition très précise. Il
définit ce phénomène comme « le fait que certaines matières qui relevaient
traditionnellement de dynamiques politiques –suivant les principes de fonctionnement
démocratique– sont de plus en plus traitées par les juges ou conditionnées par des
décisions judiciaires» 3.
Partant de ces définitions, il est possible d’avoir une première idée du rôle
développé par la Cour Constitutionnelle et l’opposition qu’elle a trouvé dans la figure
du président de la République.
Dans cette mesure, les objectifs poursuivis par la présente recherche sont,
premièrement, identifier quels sont les moyens de la Cour pour développer son
1
Susan GRATIUS, « La tercera ola populista de América Latina », Documento de trabajo, 45, Fundación
para las Relaciones Internacionales y el Diálogo Exterior (FRIDE), 2007, p. 2.
2
Edouard LAMBERT, Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociales aux États
Unis, Paris, Éditions Dalloz, 2005, p.8
3
Rodrigo UPRIMNY YEPES, « La justice au cœur du politique: potentialités et risques d’une
judiciarisation en Colombie » in COMMAILLE Jaques et KALUSZYNSKI Martine, La fonction
politique de la justice, Paris, La Découverte, 2007, p.233
5
activisme judiciaire ; deuxièmement, reconnaitre quelles sont les explications politiques
à travers lesquelles la Cour représente un pouvoir légitime pour les colombiens ; et
finalement, comprendre quels sont les risques et les bénéfices de l’activisme de la Cour
Constitutionnelle.
Tout cela nous mènera à prouver l’hypothèse centrale : la Cour Constitutionnelle
colombienne possède une légitimité démocratique parce que, en premier lieu, elle
remplace partiellement la place laissée par le Congrès en tant que créateur des politiques
publiques et parce que, en deuxième lieu, elle garantit la protection des nouveaux
principes et valeurs constitutionnels en favorisant les groupes les plus stigmatisés de la
société colombienne. Ainsi, c’est le pouvoir judiciaire et non le pouvoir législatif qui
répond au mieux aux demandes sociales de la Colombie.
6
1. Décision de la Cour Constitutionnelle : une analyse de forme et de fond
La popularité du président Álvaro Uribe a permis la modification de la Constitution afin
de rendre possible sa propre réélection en 2006. À partir de cette modification le
président a augmenté son mandat à 8 ans, sa popularité montant jusqu'à 75 % de
confiance.
De même, en 2009, un groupe de citoyens a décidé de promouvoir une initiative
législative populaire afin de modifier une nouvelle fois la Constitution et de favoriser
Uribe avec la possibilité d’une troisième élection.
Tout au long de cette année la discussion a été centrée sur une question : est-ce
que la volonté populaire doit prévaloir sur les institutions établies par la Constitution de
1991 ? La réponse paraissait être favorable au fait d’élire pour une troisième fois le
président. Ainsi le débat a été fortement personnalisé et quelques thèmes comme le
besoin de l’alternance au pouvoir ou le respect pour le schéma de poids et contrepoids
ont perdu de leur importance.
Avec ce tableau la victoire du président Uribe avait l’air d’être assurée. Par
contre la Cour Constitutionnelle a déclaré le 26 février 2010 (quelques jours avant le
début de la campagne électorale) non-conforme la loi qui convoquait le peuple pour
décider par voie de référendum la possibilité d’une troisième élection présidentielle
consécutive. Cette loi était pourtant le résultat d'une initiative populaire développée par
un groupe significatif de citoyens. Alors si la majorité de la population soutenait le
président Uribe, pourquoi la Cour Constitutionnelle a-t-elle empêché le développement
du désir populaire ? Quelles étaient ses raisons ?
1.1 Décision de la Cour Constitutionnelle en termes de procédure
D’abord, il faut décrire le processus établi par la Constitution politique pour être
reformée afin de comprendre les arguments de la Cour Constitutionnelle. On pourra
ensuite juger si les arguments donnés par la Cour sont cohérents avec les dispositions
constitutionnelles.
7
1.1.1 Procédure pour modifier la Constitution colombienne
En Colombie, la Constitution établit la possibilité d'être modifiée à l’article 374, car elle
affirme : « La Constitution pourra être réformée par le Congrès, par une Assemblée
Constituante ou par le peuple par voie de référendum ».
À partir de là, il existe une procédure à suivre si l’on veut modifier la
Constitution par voie populaire selon la Constitution et les lois « statutaires » 130 et 134
de 1994 :
a. Initiative populaire : Le titre deux de la loi 134 de 1994 explique que pour
former l’initiative populaire il faut composer un comité de promoteurs, constitué d'un
groupe de citoyens ou par un mouvement ou parti politique, qui devra s’inscrire devant
la Registraduría Nacional del Estado Civil (RNEC) avec le soutien de 5/1000 citoyens
inscrits sur les listes électorales. Si la RNEC donne son accord pour l’inscription, le
Comité recevra des formulaires pour collecter les signatures nécessaires afin d'appuyer
l’initiative législative populaire. L’article 378 constitutionnel établit que les signatures
doivent représentées au moins 5 % des listes électorales en vigueur et qu'elles pourront
être collectées dans un laps de temps de six mois au maximum.
Après la collecte de signatures, la RNEC doit délivrer un certificat qui garantisse
l’accomplissement de toutes les conditions demandées (les formulaires remplis,
l’exposition des raisons et le projet des articles proposés, l’accomplissement dans le
financement de la campagne, etc.). Avec cette certification, le Comité de Promoteurs
présentera la proposition d’initiative devant le Congrès.
b. Approbation d’une loi par laquelle est introduit le texte qui a reçu le soutien
populaire : l’article 378 de la Constitution établit qu’il peut exister l’initiative de
réformer la Constitution à travers un référendum. Dans ce cas, seuls le gouvernement et
un groupe de citoyens équivalents au moins à 5 % des listes électorales en vigueur
peuvent faire ce type de modification constitutionnelle4.
Le Congrès a alors l’obligation de transformer l’initiative par une loi qui sera le
résultat du débat aux deux chambres du Congrès. Pendant l’élaboration de la loi, les
4
« Por iniciativa del Gobierno o de los ciudadanos en las condiciones del artículo 155, el Congreso,
mediante ley que requiere la aprobación de la mayoría de los miembros de ambas Cámaras, podrá
someter a referendo un proyecto de reforma constitucional que el mismo Congreso incorpore a la ley. El
referendo será presentado de manera que los electores puedan escoger libremente en el temario o
articulado qué votan positivamente y qué votan negativamente.
La aprobación de reformas a la Constitución por vía de referendo requiere el voto afirmativo de más de
la mitad de los sufragantes, y que el número de éstos exceda de la cuarta parte del total de ciudadanos
que integren el censo electoral ».
8
parlementaires doivent respecter le principe d’identité (c’est-à-dire qu’aucun projet ne
peut se transformer en loi sans avoir fait l'objet de deux débats à la Chambre des
représentants et de deux débats sur le même sujet au Sénat), le principe de consécutivité
(ou l’obligation d'aborder toutes les thématiques proposées par le projet sans que ces
discussions soient repoussées à un moment ultérieur), et le principe de publicité (ou la
possibilité que la société connaisse le fonctionnement du Congrès à travers des
mécanismes comme la chaîne publique de télévision, la « Gaceta del Congreso », les
audiences publiques et la publication des lois).
Par rapport à la votation, l’article 378 établit aussi que la loi qui convoque à un
référendum doit être approuvée par la majorité des membres du Congrès. Cette votation
est publique.
L’article 161 constitutionnel affirme que lorsque des divergences se présentent
entre les chambres du Congrès sur le projet discuté, il se formera une commission de
conciliation afin de trouver un accord entre les deux textes5. La Cour Constitutionnelle
définit comme « divergence » toute différence qui modifie le sens d’un projet de loi et
qui permet de conclure qu’il s’agit de deux textes différents.
Une fois que cette procédure est terminée, le Congrès doit envoyer la loi au
Président de la République pour être sanctionnée. Le Président doit envoyer à son tour
cette loi à la Cour Constitutionnelle.
c. Vérification de la part de la Cour Constitutionnelle : Selon l’article 241 de la
Constitution : « à la Cour Constitutionnelle est confiée la garde de l’intégrité et de la
suprématie de la Constitution, dans les termes stricts et précis de cet article. Dans ce
but, elle accomplira les fonctions suivantes :
2. Décider, avant la décision populaire, sur la constitutionnalité de la
convocation à un référendum ou à une Assemblée Constituante pour réformer la
Constitution, uniquement pour les vices de procédure dans sa formation ».
La Cour doit donc se limiter à exercer un contrôle qui ne touche pas au
fondement de la loi, puisque faire ce type d’analyse signifie outrepasser les
compétences imposées par la Constitution même.
Si la Cour déclare la non-conformité de la loi d’initiative législative afin de
convoquer un référendum, cette initiative s'arrête là. En revanche, si la Cour considère
5
“Cuando surgieren discrepancias en las Cámaras respecto de un proyecto, ambas integrarán
comisiones de conciliadores conformadas por un mismo número de Senadores y Representantes, quienes
reunidos conjuntamente, procurarán conciliar los textos, y en caso de no ser posible, definirán por
mayoría”.
9
que la loi est constitutionnelle, le gouvernement appellera le peuple pour qu'il se décide
« pour » ou « contre » le texte qui reprendra la Constitution. Ensuite la décision finale
de la population entrera en vigueur c'est-à-dire, pour notre cas, qu’il y aura une
convocation aux élections auxquelles le président réélu une fois pourra se présenter
selon sa volonté.
1.1.2 Arguments pour la déclaration de la non-conformité de la loi 1354 de 2009
Le Congrès colombien a élaboré la loi 1354 2009 pour convoquer le peuple au
référendum qui rendait possible une troisième élection. Mais la Cour a déclaré la nonconformité de cette loi pour diverses raisons sur la procédure, et pour des raisons de
fond (ces dernières malgré la limitation imposée par l’article 241 de la Constitution) qui
seront développées dans la seconde partie de ce mémoire.
Par rapport aux arguments sur la procédure de la loi, on peut souligner les points
suivants :
1) En premier lieu la Cour a constaté l’existence d'irrégularités dans le
financement de la campagne de l’initiative législative. Notons que l’article 96 de la loi
134 de 1994 stipule : « le montant maximum d’argent privé qui pourra être dépensé
dans chacune des campagnes liées aux droits et aux institutions régulées par cette loi,
sera fixé par le Conseil National Électoral chaque année au mois de janvier. La nonobservation de cette disposition sera cause de délit ».
La raison pour laquelle il existe des limites économiques c'est que, selon la Cour,
un État Social de Droit comme l'État colombien doit garantir que les ressources
économiques qui soutiennent un tel projet politique ne sont pas utilisées de manière
illimitée par un groupe de citoyens afin d’imposer ses intérêts sur les autres grâce à son
pouvoir économique. Ce qui serait une menace directe au principe de pluralisme
politique.
La loi colombienne cherche à protéger aussi le principe de la transparence, c'està-dire l’existence des outils qui déterminent l’origine, la destination et le montant des
ressources économiques qui portent une campagne électorale. Si l'on peut garantir les
deux principes, on pourra en même temps réduire la présence de la corruption au cours
de ce processus.
Pour le cas concret, le CNE a déterminé dans la Résolution 0067 de 2008 la
quantité limite pour les apports de la manière suivante : $334'974.388 pesos pour les
10
apports globaux, et $3'349.743 pour les apports individuels (personnes naturelles et
juridiques). Selon l’enquête réalisée par le CNE même, les apports totaux de la
campagne ont été de $2.046'328.135,81 pesos, dépassant de six fois le montant autorisé,
tandis que les apports individuels qui atteignent $50.000.000 pesos montrent une
infraction de presque 30 fois le montant établi.
À partir de ces irrégularités dans le financement de l’initiative législative la Cour
a déclaré l’inconstitutionnalité de la loi 1354 2009. Néanmoins, l’examen des autres
vices a continué dans la décision de la Cour.
2) La modification au projet d’initiative populaire au Congrès : bien que le
Congrès soit l’organe représentatif par excellence, il faut reconnaître que, dans
l’initiative législative populaire, l’élément le plus important à protéger est la volonté que
le peuple a manifesté à travers ce mécanisme.
Le 10 septembre 2008, le Comité de Promoteurs a présenté devant le Secrétariat
Général de la Chambre des Représentants le projet « au moyen duquel un projet de
réforme constitutionnelle est proposé par un référendum constitutionnel et soumis à la
considération du peuple ».
Ainsi, les quatre débats nécessaires pour l’approbation d’une loi de référendum
ont commencé par la chambre de représentants, où les résultats des votations finales du
17 décembre 2008 furent : 86 représentants (sur un total de 146) pour le « oui » au
projet sans aucune modification, c'est-à-dire en maintenant le texte soutenu par
l’initiative citoyenne qui affirmait : « Celui qui a exercé la présidence de la république
pendant deux périodes constitutionnelles pourra être élu pour une autre période ».
La votation de cette loi est réalisée pendant la période extraordinaire des
activités du Congrès, c'est-à-dire en dehors de la législature ordinaire qui peut être
demandée par le président de la république afin d’obliger le parlement à discuter de
quelques sujets d’intérêt pour le gouvernement.
Dans les débats au Sénat la dynamique a été complètement différente puisque les
parlementaires ont décidé de changer dans le premier débat la rédaction du texte
proposé : « Celui qui a été élu à la présidence de la république par deux périodes
constitutionnelles ne pourra être élu que pour une seule nouvelle période ». Le projet
avec la modification a été approuvé dans le second débat le 19 mai 2009 avec une
votation de 62 votes pour et de 5 votes contre.
11
La modification a été considérée comme un changement assez important qui
produisait une divergence entre les textes approuvés par chaque chambre, raison pour
laquelle a été désignée une commission de conciliation qui a conclu qu'il fallait
maintenir le texte approuvé au Sénat car il manifestait vraiment le désir de la population
qui avait formé l’initiative législative.
Sur ce sujet la Cour Constitutionnelle a déclaré que le changement du texte était
une modification fondamentale du projet, parce qu’il transformait la proposition initiale
d’une troisième élection pas consécutive par une proposition d’une troisième élection
immédiate, changeant ainsi l’essence de la question pour le référendum.
Par ailleurs, la Cour a considéré que le fait d’avoir un président candidat exige la
modification des éléments essentiels du système électoral comme le financement de la
campagne, l’exposition aux médias, l’utilisation des moyens de transport publics, etc.,
afin de garantir une certaine égalité entre tous les candidats qui aspirent à la présidence.
Aussi la Cour a-t-elle déclaré l’existence de vices de procédure par abus de
pouvoir de la part du Congrès par rapport à l’exercice d’amendement, puisqu'il a nié la
volonté populaire manifestée dans l’initiative législative. De plus, les principes
d’identité et de consécutivité ont été violés pendant le processus législatif selon la Cour,
ce qui est considéré comme un vice irrémédiable (insubsanable en espagnol) et qui a
comme conséquence l’inconstitutionnalité de la loi.
3) Infraction au régime juridique des parlementaires (ley de bancadas) : à partir
de la loi 974 2005, connue aussi comme la ley de bancadas la Colombie a adopté de
nouvelles dispositions et règles du jeu au Congrès afin d’obtenir une discipline
parlementaire.
On peut entendre par bancada le groupe des membres des corporations
publiques (Congrès, Assemblées départementales, conseils municipaux) élus par un
même parti politique, mouvement social ou groupe significatif de citoyens6.
La loi de bancadas a déterminé que les membres des corporations publiques élus
par la même organisation politique doivent prendre leurs décisions ensemble, c'est-àdire de manière coordonnée. Les bancadas doivent voter "en bloc" tous les projets qui
sont débattus à l’intérieur des corporations. Les statuts de chaque collectivité – pas la
loi – doivent définir les sanctions pour les membres des bancadas. Par contre, la
bancada peut donner la liberté du vote individuel dans le cas d’objection de conscience.
6
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-141 2010, p.27.
12
Le 26 août 2009 cinq parlementaires qui forment la bancada du parti Cambio
Radical ont participé au vote de la Chambre de Représentants, en rejetant les
empêchements présentés par le parti sur le document de la commission de conciliation,
ne respectant pas la décision prise par la bancada. Par conséquent, le Conseil de
Contrôle éthique du Cambio Radical a pris la décision de suspendre le droit de vote
pour les personnes impliquées. Pendant ce temps, ces parlementaires ont changé de parti
politique et ils ont été acceptés par le parti de la U (un des partis qui supportaient le
président Uribe).
Le président de la Chambre des Représentants a reçu le rapport de sanction de la
part du Cambio Radical, mais a décidé d’ignorer la sanction et a validé les votes des
cinq parlementaires. La Cour Constitutionnelle s’est manifesté contre cette validation
pour considérer que la discipline imposée par le parti politique devait prévaloir. Ainsi la
Cour a-t-elle déclaré la non-validité des cinq votes, les soustrayant de la votation finale.
Par cette mesure, la décision d’approuver le projet a perdu la majorité nécessaire et une
telle situation constitue un vice de caractère irrémédiable.
Par rapport au texte de loi approuvé par le Congrès, la Cour a émis les
observations suivantes :
Le texte approuvé par le Congrès proposait :
1) l’inclusion de l’option de voter blanc dans le texte qui serait proposée à la population
n’est pas constitutionnelle puisque l’article 378 de la Constitution stipule que les
électeurs doivent choisir de manière libre « ce qu’ils votent positivement et ce qu’ils
votent négativement ». Il n’existe pas alors d’espace pour voter blanc.
13
2) Il y a eu une absence d’exposition de motifs convoquant de manière expresse
le peuple pour décider de la réforme de la Constitution au moyen d'un referendum.
Selon la Cour Constitutionnelle il ne suffit pas que le titre de la loi fasse référence à la
convocation du référendum. Si le texte proposé ne contient pas ces explications, ni le
président de la république ni l’organisation électorale ne pourront convoquer le peuple à
la votation. Cette situation produit alors une déclaration de non-conformité de la loi.
Alors, si l’on observe les arguments de la Cour Constitutionnelle, il est évident
que la loi 1354 ne peut pas être constitutionnelle à cause de ces vices de procédure. Les
parlementaires ont commis une série d’erreurs irréparables en démontrant leur hâte pour
rendre possible la réélection du président Uribe, sans tenir compte des conditions
formelles constitutionnelles.
La situation politique de la première modification de la Constitution en faveur de
la réélection a été assez différente car elle a eu un temps suffisant pour développer des
discussions avec la société. Ainsi la Cour n’a pas trouvé d'arguments juridiques pour
envisager l’inclusion de la réélection comme un élément contraire à la Constitution.
En revanche, le processus de la seconde réélection s’est développé dans une
période très courte afin de favoriser une personne particulière. La discussion a eu un
nom propre, mettant en péril les principes démocratiques établis par la Constitution de
1991, lesquels cherchaient à surmonter les obstacles politiques de notre histoire comme
la tradition présidentialiste et la faiblesse institutionnelle.
Ces arguments sont exposés par la Cour Constitutionnelle dans la deuxième
partie de son arrêt. Ils seront traités dans la seconde partie de cette recherche car, soit ils
sont vrais, soit ils sont le résultat d’une interprétation erronée, la Cour n’ayant pas le
droit de se manifester par rapport à ces sujets. Les questions sont donc : pourquoi un
pouvoir qui n’est pas élu de manière populaire peut-il empêcher la volonté de la
population avec des arguments différents de ceux qui ont été établis par la Constitution
politique ? Pourquoi le peuple ne peut-il modifier sa propre constitution lorsqu’il veut le
faire ?
1.2 Les arguments matériels de la Cour par rapport à la réélection
La Cour Constitutionnelle s’est manifestée sur les vices de compétences dans les deux
décisions sur la réélection présidentielle. Bien que les thèmes sur lesquels la Cour s’est
14
prononcée aient été semblables, c'est-à-dire les éléments essentiels de l’État social de
droit ou le régime présidentiel, il faut noter qu’en 2006 la révision a été positive quant à
l’inexistence d’une substitution de la Constitution, tandis que l’arrêt de 2010 fait un
appel au respect pour l’équilibre de pouvoirs et pour les principes démocratiques
stipulés par la Constitution. Quelle est donc la raison du changement de la position de la
Cour sur les risques de la réélection présidentielle ?
1.2.1 Les arguments de la Cour par rapport à la première réélection présidentielle.
La Cour a déclaré plusieurs fois qu’un des éléments essentiels de la Constitution était la
séparation des pouvoirs publics. Si l’on considère alors que la réélection met en péril ce
principe à partir des arguments exprimés dans la première partie de cette recherche,
comme l’intervention du président dans la nomination des postes, dans les décisions
macro-économiques et la difficulté d’avoir un candidat-président, on pourrait penser
que la décision de la Cour doit empêcher cette option politique.
Cependant le pouvoir judiciaire a opté pour assumer une position différente,
reconnaissant ainsi que la réélection n’est pas négative par elle-même. Reprenons donc
la discussion sur le continuisme parce que la Cour Constitutionnelle va se servir des
arguments historiques et juridiques pour justifier les deux décisions.
Il faut tenir compte non seulement des dynamiques politiques de chaque pays,
mais les bénéfices que cette décision peut apporter comme la stabilité politique, la
continuation d’un programme présidentiel approuvé par la société et la demande de
responsabilité politique à partir du vote.
Outre l’antérieur, la Cour a affirmé dans l’arrêt C-551 2003 que le régime
présidentiel est une des formes de gouvernement possibles dans les systèmes
démocratiques, mais que le peuple peut manifester son désir de changement à travers un
référendum pour passer du présidentialisme au parlementarisme ou à n’importe quelle
forme de système qui permet de réduire ou d’augmenter la durée des fonctionnaires élus
s’il existe des règles et des processus préétablis.
Le référendum sera alors légitime puisque le peuple aura utilisé les outils donnés
par la Constitution pour modifier un des éléments fondamentaux de la Constitution.
Dans ce cas, il n’y a pas une substitution constitutionnelle malgré l’altération du
principe de séparation des pouvoirs car « l’identité de la Constitution serait située à un
15
niveau différent et plus général : la forme du gouvernement propre d’un système
démocratique constitutionnel » 7.
Continuant avec ce type de jurisprudence, la Cour a déclaré dans l’arrêt 1040
2006 que l’esprit de la Constitution serait gardé intact avec l’inclusion d’une réélection.
Néanmoins, comme on l’a déjà énoncé, cette inclusion devait être accompagnée d’une
loi de garanties pour l’opposition politique. D’ailleurs, la modification constitutionnelle
a permis la réélection pour une seule fois, ce qui est la preuve d’une limitation du
pouvoir présidentiel, au moins quant à sa durée. Selon la sentence judiciaire :
El pueblo decidirá soberanamente a quién elige como Presidente, las instituciones de
vigilancia y control conservan la plenitud de sus atribuciones, el sistema de frenos y
contrapesos continua operando, la independencia de los órganos constitucionales sigue siendo
garantizada, no se atribuyen nuevos poderes al Ejecutivo, la reforma prevé reglas para
disminuir la desigualdad en la contienda electoral que será administrada por órganos que
continúan siendo autónomos, y los actos que se adopten siguen sometidos al control judicial
para garantizar el respeto al Estado Social de Derecho.8
De cette façon, la Cour Constitutionnelle a donné une réponse défavorable aux
citoyens qui ont demandé l’acte législatif 02 2004 pour vices de compétence.
Cependant, les arguments utilisés quatre ans plus tard par la même Cour montrent
comment un gouvernement de plus de huit ans peut représenter une menace pour la
Constitution. Quelle est la justification de cette inquiétude?
1.2.2 Les arguments de la Cour par rapport à la deuxième réélection présidentielle.
La décision 2010 aborde, bien sûr, le sujet de la substitution de la Constitution dans un
contexte où plusieurs acteurs politiques ont déclaré l’incapacité de la Cour pour
examiner si la Constitution avait été changée par une autre. Ainsi l’acceptation presque
unanime des décisions antérieures par rapport à cette thématique s’est réduite de
manière significative à cause de la bonne acceptation du président Uribe face à la
majorité de la population. Il faut noter que son niveau de popularité à cette époque-là
s’approchait les 70%.
Dans ce sens, le concept donné par le Procureur Général de la République par
rapport à l’acte législatif en faveur de la réélection est favorable à la possibilité d’avoir
un président pendant 12 ans. De plus il estime que la Cour ne possède pas la capacité
constitutionnelle pour décider si le peuple ou le Congrès ont outrepassé leur
compétence, puisque, selon le Procureur, lorsque le peuple promeut une réforme
7
8
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p.69.
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p.79.
16
constitutionnelle via un référendum, il a alors la même force qu’il aurait dans une
Assemblée Constituante, car ces deux mécanismes sont l’expression du constituant
primaire. Dans ce cas, alors, la décision de modifier la durée du mandat présidentiel ne
représente pas une substitution de la Constitution mais la manifestation du désir de la
population.9
La Cour Constitutionnelle est donc amenée à résoudre, dans l’arrêt 141 2010, le
problème de savoir si le peuple se comporte comme constituant primaire ou non au
moment de réaliser une réforme constitutionnelle. À ce propos, le tribunal affirme que
tous les mécanismes de réforme, même ceux qui comprennent la consultation populaire,
sont des manifestations du pouvoir constituant dérivé. D’ailleurs, le groupe de citoyens
qui a réalisé une initiative populaire législative ne représente pas une majorité
significative de la population et, par conséquent, il ne peut pas s’attribuer la voix de la
société par rapport à la réélection.10
Cette position a été défendue par une partie de l’opinion publique et de
l’académie, en reconnaissant que l’idée du peuple comme tout puissant par rapport à sa
propre Constitution est illogique du point de vue démocratique. Humberto de la Calle,
ex-vice-président de la république et juriste reconnu dans le pays, a posé la question
rhétorique suivante : en termes d’humanité la restauration de l’esclavage à travers un
référendum serait-elle légitime ?11 Le propos de la question est de mettre en évidence le
risque de cacher sous l’idée de la démocratie majoritaire un pouvoir sans limites qui,
finalement, violenterait l’Etat de droit.
Les défenseurs d’une troisième élection ont utilisé d’autres arguments pour
justifier une nouvelle réforme à la Constitution. C’est le cas de l’assesseur politique
inconditionnel du président Uribe, José Obdulio Gaviria, qui qualifiait les postes de
mandat courts des postes honorifiques car le pouvoir doit se manifester à travers un
exercice plus long où la citoyenneté puisse exprimer son accord ou désaccord par
rapport au développement d’un programme politique déterminé. Pour lui, c’est le
verdict populaire et non une interdiction constitutionnelle qui doit décider du
renouvellement du mandat présidentiel ou de l’alternance dans le pouvoir.12
9
République de la Colombie, Concept du Procureur Général de la Nation No. 489 2010.
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-141 2010
11
Humberto DE LA CALLE, « El significado político de una nueva reelección », EGOB, Revista de
Asuntos Públicos, Universidad de los Andes, 2009, p. 16-17
12
José Obdulio GAVIRIA, « La reelección presidencial », EGOB, Revista de Asuntos Públicos,
Universidad de los Andes, 2009, p.19
10
17
Par rapport à ces arguments, la Cour a déclaré que ce type de système a tendance
à favoriser le président. Aussi le renforcement des autres pouvoirs publics est-il
fondamental pour garantir l’équilibre de pouvoirs. En plus de cette mesure, la
Constitution a déterminé une durée spécifique pour que le président puisse développer
son mandat. À partir de la limitation de cette charge, la Cour a considéré que le
Constituant avait défini la durée des autres charges publiques. Par conséquent, si l’on
modifie la durée du mandat présidentiel, on doit modifier aussi les durées et les
conditions des autres charges.
Les conditions pour inclure la réélection sont données en 2006 avec la création
de la loi de garanties qui régulait la participation du candidat-président pendant la
campagne et les conditions pour l’opposition politique. Néanmoins, l’inclusion d’une
seconde réélection représente une rupture constitutionnelle qui constitue une violation
constitutionnelle. La Cour entend par rupture l’émergence d’une exception à une
disposition de la Constitution. Cette exception ne viole pas toujours les principes
constitutionnels, mais le cas d’une troisième élection présidentielle est considéré par la
Cour comme une rupture négative.13
La Cour a déclaré aussi que la Colombie se trouvait dans la limite désirable de
temps de permanence pour le président, puisque d’après l’expérience des pays avec un
système présidentiel, la doctrine et l’histoire même montrent que plus de huit ans de
mandat peuvent faire courir au régime un risque de perversion. Aussi les principes
affectés par la loi 1354 de 2009 sont-ils, en premier lieu, le principe de l’alternance
parce que la personne au pouvoir peut reproduire une tendance politique et idéologique
particulière empêchant l’émergence de nouvelles idées ; et, en second lieu, le principe
de la généralité et de l’égalité à partir du cas spécifique du président Uribe, seule
personne qui remplisse toutes les conditions pour être élu une troisième fois.
D’ailleurs, la Cour souligne l’absence des mesures pour réduire le déséquilibre
des conditions électorales pour les autres candidats par rapport au président car la loi de
garanties créée en 2006 n’est déjà pas suffisante pour établir le respect de l’égalité des
conditions pour tous les candidats et que, par conséquent, l’électorat peut être
conditionné vers l’alternative du candidat-président, dans l’ignorance des autres
alternatives.
13
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-141 2010, p.455
18
En conclusion, la Cour considère qu’une troisième élection dans ces conditions
représente une prédominance de l’exécutif sur les autres pouvoirs publics si marquée
qu’elle déforme les caractéristiques des systèmes présidentiels. Ainsi, cette réforme en
faveur d’un nouveau mandat présidentiel correspond à une rupture de la Constitution
quant à la structure des institutions. Selon la Cour :
Si a causa de la segunda reelección el sistema presidencial corre el riesgo de degenerar en el
presidencialismo, si, además, el pluralismo, la participación y la noción de pueblo prohijada
constitucionalmente sucumben ante la permanencia en el gobierno de una mayoría y si, por
último, los elementos que configuran el modelo republicano se desvirtúan, ello quiere decir
que la Constitutción de 1991 no sería reconocible en la que llegara a surgir de la autorización
de una segunda reelección presidencia.14
De telle manière, la troisième élection se substitue, selon la Cour, à la
Constitution en vigueur. Cette analyse, faite évidemment sur le fond, est donc le résultat
de deux constructions parallèles : une construction juridique où la Cour a formé des
concepts qui justifient formellement ses actions à travers sa jurisprudence, et une
construction politique qui est possible grâce aux conditions propres de la Colombie,
lesquelles seront développées dans la seconde partie de cette recherche. Reprenons
ensuite la construction juridique.
1.3 La construction conceptuelle de la Cour Constitutionnelle
Ces dernières années, la Cour Constitutionnelle a développé trois concepts clés pour
justifier la révision de certains éléments quant au contenu des lois colombiennes. À
partir de cela, elle a légitimé face au monde juridique du pays, ses décisions sur
quelques thèmes importants comme la réélection présidentielle. Pourtant on sait que la
construction juridique peut être au service d’intérêts politiques cachés. Il est par
conséquent fondamental d’analyser le processus de construction des nouveaux concepts
et son impact sur la réalité politique du pays afin d’identifier si le but de la Cour est
cohérent avec les besoins du pays au niveau judiciaire ou si ses actions sont, en fait,
dangereux pour la démocratie colombienne.
1.3.1 Substitution de la Constitution
La définition de substitution de la Constitution est développée au cours des dernières
décisions de la Cour Constitutionnelle. Elle stipule qu’une substitution se présente
14
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-141 2010, p.485
19
lorsqu’il y a une transformation d’une telle envergure et d’une telle importance que la
Constitution antérieure à la réforme proposée semble être complètement différente de
celle qui résulte de la réforme, à tel point que toutes les deux sont incompatibles15.
Ce concept est une création récente de la Cour Constitutionnelle qui n’est pas
encore achevée mais qui a été développé petit à petit à travers les arrêts de l’organe
judiciaire. La raison pour laquelle le concept est en processus de construction est parce
que la Cour n’a jamais déclaré une loi ou un acte législatif comme non-conforme à
partir de l’argument de la substitution de la Constitution.
Cependant, elle a inséré ce terme dans les décisions de ces dernières années,
arguant du fait que la Constitution de 1991 ouvre un espace pour être réformée mais que
se substitution ou sa suppression ne sont pas prévues. Ainsi la Constitution doit
conserver son identité malgré les reformes réalisées. Textuellement, la Cour stipule :
« el título XIII [de la Constitution] habla de la reforma de la Constitución de
1991, pero en ningún caso de su eliminación o sustitución por otra Constitución
distinta, lo cual solo puede ser obra del constituyente originario »16.
De plus, il n’est pas possible de traiter les actes de réforme de la Constitution de
la même façon qu’on traite la loi ordinaire. Tandis que cette dernière est soumise à une
analyse de constitutionnalité dans lequel le contenu est comparé avec toutes les
dispositions de la Constitution, les actes de réforme ont vocation de changement et, par
conséquent, de contradiction naturelle avec les normes supérieures existantes.
La Cour doit donc vérifier s’il s’agit d’une nouvelle proposition qui essaie de
modifier la Constitution ou si, au contraire, il s’agit de nouveaux principes qui nient la
nature même de la Constitution initiale17. À partir de cette interprétation, la Cour a pu
vérifier quelques éléments considérés traditionnellement comme matériels. Où peut-on
trouver le support théorique de cette révision constitutionnelle ?
Un tel support n’existe pas : seule existe l’interprétation de la Constitution de la
part de la Cour Constitutionnelle par rapport à sa fonction. En termes de support légal,
la seule source qu'a la Cour est, en fait, sa propre jurisprudence. Elle a aussi développé
un autre concept complémentaire avec la substitution de la Constitution : les vices de
compétence.
15
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p.71
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-551 2003
17
Nicolás Augusto ROMERO PÁEZ, « Límites a la reforma de la constitución. Jurisprudencia de
constitucionalidad de los actos de reforma 1991-2002 », Boletín 17 del Instituto de Estudios
Constitucionales, Universidad Sergio Arboleda, 2009, p. 41
16
20
Ainsi, l’arrêt C-551 2003, (qui renvoie à un référendum proposé par le
gouvernement) déclare que « les limites au pouvoir de réforme sont les limites formelles
inscrites dans les règles des procédures établies par la Constitution et par les normes
légales, mais qu'elles sont aussi les limites dérivées de la portée de sa compétence de
réformer la Constitution ».
À partir de cette décision prise en 2003, s'est établie une ligne de jurisprudence
quant à la compétence de la Cour pour examiner les vices de compétence dans le cadre
d’une réforme de la Constitution. Cette thèse a été développée par des sentences comme
la C-1200 de 2003, la C-572 de 2004, la C-970 de 2004 et la C-971 de 2004, référées
aux demandes citoyennes à l’Acte Législatif N°.3 de 2002 (Administration de la
Justice). D’autres décisions évoquent la compétence de la Cour pour vérifier l’existence
d’une substitution possible de la Constitution, comme l’arrêt C-1040 de 2005, sur la
demande d’inconstitutionnalité de l’Acte Législatif N°2 de 2004 (réélection
présidentielle) et l’arrêt C-588 de 2009 sur une demande d’inconstitutionnalité de l’Acte
législatif 01 de 2008 (modifications de la carrière administrative).
La Cour Constitutionnelle, dans le cas analysé, réaffirme que le peuple est
titulaire de la souveraineté mais la Constitution de 1991 a limité cette souveraineté à
certaines compétences. Ce qui signifie que le peuple peut agir mais dans les conditions
et les limites imposées par la Constitution. C’est donc à la Cour elle-même de vérifier si
le peuple excède ou non ces propres compétences.
1.3.2 Vices de compétences
Malgré le fait que la Constitution de 1991 n’établisse pas de manière expresse de clause
immuable, le pouvoir de réforme a des limites selon la Cour. Afin de savoir si le
pouvoir de réforme (même le référendum) a commis un vice de compétence, c'est-àdire, si le sujet qui veut modifier la Constitution réalise cette action dans les limites
imposées par la Constitution ou non, le juge constitutionnel doit analyser si la
Constitution a été substituée par une autre, raison pour laquelle il faut tenir compte des
principes et des valeurs constitutionnels, mais sans avoir à vérifier le contenu même de
la réforme, parce que cela correspond à l’exercice d’un contrôle matériel.
Dès les premiers arrêts, la Cour Constitutionnelle a réfléchi aux vices de
compétences. Par contre, ces vices n’ont pas toujours été considérés comme vices de
procédure mais comme vices de fond. Ainsi, ces premières années, la Cour a fait une
21
différence entre les vices de forme subsanables18 et les vices insubsanables. Les
premiers correspondaient aux vices de procédure tandis que les seconds pouvaient être
considérés comme vices de fond, dont les vices de compétence.19
Cela n’était pas une raison suffisante pour empêcher la déclaration de nonconformité de quelques lois à cause du manque de compétence de la part du Congrès ou
du peuple pour réformer la Constitution. C’est le cas, par exemple de l’arrêt C-531 1995
où la Cour a déclaré l’inconstitutionnalité de la modification de l’article 116 de la loi
1992 en raison de la faute commise par le Congrès. Celle-ci, reposait sur le manque de
compétence du Parlement pour réguler un sujet de retraite des fonctionnaires publics
dans une loi référée exclusivement au régime tributaire du pays, en transgressant le
principe d’unité de contenu (unidad de materia en espagnol). La Cour Constitutionnelle
a alors déclare que la loi avait accompli toutes les conditions formelles. Par contre, elle
a été inconstitutionnelle à cause d’un vice matériel de compétence.
C’est pour cela qu’on peut trouver dans ces arrêts plusieurs salvamentos de
voto20 de la part de certains magistrats qui se sont opposés à déclarer la non-conformité
d’une loi à partir des analyses de fond en reconnaissant que la Cour a outrepassé ces
fonctions constitutionnelles. On peut trouver un précédent dans l’arrêt C-042 1993 qui
traite des excès des facultés extraordinaires données au gouvernement en 1989 afin
d’accélérer certaines procédures judiciaires. Le magistrat Angarita Varón a fait son
salvamento de voto en affirmant que les aspects de compétence correspondaient, sans
doute, aux aspects sur le fond, en raison de l’analyse matérielle qu’ils exigent21.
L’incohérence argumentative entre les décisions prises par la Cour à partir des
vices de compétence et les fonctions établies par la Constitution politique était évidente.
Aussi la Cour a-t-elle modifié l’argumentation de sa jurisprudence à partir de 2003 en
commençant par l’arrêt C-551 2003. C’était la première fois que la Cour utilisait
l’argument de la substitution de la Constitution pour expliquer que le pouvoir de
réforme a des limites, même si la Constitution ne stipule pas que certains articles sont
immuables.
18
C'est-à-dire, les vices auxquels on peut remédier.
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-600A 1995
20
Cela correspond aux avis de la part des juges qui sont contraires à la décision majoritaire par rapport à
un cas d’analyse particulier.
21
Santiago CARDEÑO y Camilo PATIÑO, Vicios de competencia y de procedimiento en la formación
de los actos legislativos en Colombia. Un análisis jurisprudencial, Universidad de Antioquia, Facultad
de Derecho y Ciencias Políticas, Medellín, 2007, p.7 (Consulte électronique)
19
22
À partir de ce moment-là, les vices de compétences ont fait partie du processus
de révision des vices de procédures en tant qu’antécédents pour déterminer la capacité
des citoyens à réformer la Constitution. Afin de ne pas entrer en contradiction avec les
arrêts antérieurs où la Cour considérait les vices de compétences comme des vices
matériels, elle affirme aujourd’hui que l’analyse sur la compétence est nécessaire pour
déterminer tant les vices de procédure que les vices matériels. Ainsi, la Cour n’utilise
cette analyse que pour déclarer l’inconstitutionnalité des lois en termes de vices de
procédure22.
La portée de la Cour en ces termes l’a permis de construire une procédure pour
déterminer s’il y a ou non une substitution constitutionnelle. De cette façon, il existe
trois directions à suivre :
a) Déterminer si la réforme a introduit un nouvel élément considéré comme
essentiel à la Constitution
b) Analyser si ce nouvel élément a remplacé celui qui a été adopté par le
Constituant.
c) Comparer le nouveau principe avec l’antérieur pour vérifier s’ils sont opposés
ou si différents qu’ils soient incompatibles23.
Malgré la clarté de ce processus, la Cour Constitutionnelle ne l’applique pas
dans tous les cas analysés, ce qui montre le caractère arbitraire des vices de compétence.
Ainsi, tandis que l’arrêt C-551 2003 –relatif au contrôle de constitutionnalité d’un
référendum convoqué par le gouvernement de l’époque– a développé une analyse sur la
possible substitution de la Constitution à travers les vices de compétence, dans l’arrêt C816 2004, laquelle a déclaré la non-conformité de l’acte législatif 02 200324, la Cour a
signalé que les vices de compétence étudiés étaient si complexes (mesures contraires
aux accords internationaux pour combattre le terrorisme interne) que la Cour n’aurait
pas le temps suffisant pour donner une réponse appropriée à ce sujet et, par conséquent,
la non-conformité de l’acte a été déclarée seulement à partir des vices de procédure.
La Cour Constitutionnelle arrive alors à la conclusion suivante :
Es claro, por consiguiente, que el proceso de elaboración doctrinaria sobre la materia se
encuentra en curso, a medida que se le presentan casos diversos a la Corte, y que, a partir de
las premisas que de manera general se han fijado por la Corte, están abiertas algunas
22
Santiago CARDEÑO y Camilo PATIÑO, op. cit., p.20
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-141 2010, p.9
24
Cet acte législatif cherchait la modification des articles 15, 24, 28 et 250 de la Constitution Politique de
Colombie pour faire face au terrorisme selon le Congrès de la République.
23
23
opciones interpretativas en torno a los elementos y las condiciones en las cuales cabría
predicar la existencia de un vicio competencial debido a una sustitución de Constitución 25.
Les vices de compétence sont donc le résultat de la libre interprétation
constitutionnelle d’un organe juridique pour que celui puisse faire une vérification
matérielle des lois colombiennes. Bien que jusqu’aujourd’hui aucune loi n’ait été
déclarée inexequible à cause des dits vices de compétence, l’existence de ce concept
peut devenir une menace pour la démocratie en permettant l’instauration d’un
gouvernement des juges.
Cependant, la réalité politique colombienne est si complexe qu’il est nécessaire
de faire une analyse approfondie pour comprendre pourquoi les décisions de la Cour
Constitutionnelle, même si elles ont l’air d’excéder les compétences établies dans la
Constitution, peuvent parfois occasionner des effets positifs pour la démocratie même.
1.3.3 Le bloque de constitutionnalité
Dans le droit constitutionnel comparé il est possible de trouver la supériorité des
accords internationaux sur les Constitutions de chaque pays. Dans le cas latinoaméricain, par exemple, les Constitutions de Nicaragua, du Honduras et du Pérou
stipulent dans le texte constitutionnel la prééminence des accords internationaux26.
En Colombie l’article 4 constitutionnel détermine :
ARTICULO 4o. La Constitución es norma de normas. En todo caso de incompatibilidad entre
la Constitución y la ley u otra norma jurídica, se aplicarán las disposiciones constitucionales.
La suprématie de la Constitution est donc évidente. Cependant, l’article 93 de la
même Constitution stipule:
ARTICULO 93. Los tratados y convenios internacionales ratificados por el Congreso, que
reconocen los derechos humanos y que prohíben su limitación en los estados de excepción,
prevalecen en el orden interno.
Los derechos y deberes consagrados en esta Carta, se interpretarán de conformidad con los
tratados internacionales sobre derechos humanos ratificados por Colombia.
Afin de résoudre les contradictions possibles entre les deux articles la Cour a
créé le concept bloque de constitucionalidad lequel est défini comme l’ensemble de
normes possédant une hiérarchie comparable à la Constitution ou les normes qui érigent
des paramètres de constitutionnalité sans être nécessairement constitutionnelles27.
25
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p. 65.
Luis Eduardo CERRA, « La Constitución no es el límite. Impugnación de actos legislativos. Los límites
del poder constituyente », Revista de Derecho 22. Universidad del Norte. 2004, p. 108
27
Luis Eduardo CERRA, op.cit., p. 124.
26
24
Ainsi, la Colombie considère les accords sur les droits humains, le droit
international humanitaire ou les conventions de l’Organisation International du Travail
(OIT) comme des normes de hiérarchie constitutionnelle. De plus, certaines normes
internes avec une hiérarchie inférieure à la Constitution sont prises en compte pour
déterminer si quelques dispositions légales sont constitutionnelles ou non. C’est le cas
de la loi organique du règlement du Congrès ou les lois statutaires.
Ce type de normes nationales et internationales sont mises par la Cour dans le
bloque constitutionnel afin d’éviter la possible contradiction entre l’article 4 et l’article
93 de la Constitution. Néanmoins, cette contradiction est une création de la Cour
Constitutionnelle à partir de son interprétation des articles précités.
Bien que l’article 4 stipule que la Constitution est la norme de normes, il faut
ajouter qu’il fait référence au système juridique interne du pays. Par rapport au système
international, l’article 93 est précis : les traités et les conventions internationaux liés aux
droits humains prévalent dans l’ordre interne ; les droits et les devoirs constitutionnels
doivent être interprétés conformément à ces accords.
L’interprétation de la Cour sur l’existence d’une contradiction entre les deux
dispositions de la Constitution est une accusation indirecte faite à l’Assemblée
Constituante de 1990 d’avoir commis une erreur dans la rédaction du texte. Cette
position est erronée si l’on reprend l’article 9 constitutionnel :
Las relaciones exteriores del Estado se fundamentan en la soberanía nacional, en el respeto a
la autodeterminación de los pueblos y en el reconocimiento de los principios del derecho
internacional aceptados por Colombia.
Ainsi, le constituant primaire a montré son désir de faire prévaloir les normes
internationales relatives aux droits humains sur la norme interne. Malgré cela, on a déjà
vu comment la Cour Constitutionnelle a intégré ces dispositions dans le concept de
bloque de constitutionnalité ce qui l’a permis de vérifier la conformité des actes
législatifs en termes de respect des dispositions internationales sur les droits humains,
un sujet qui a visiblement un contenu matériel.
1.3.4 La « modulación » des effets des sentences
Autre les concepts qu’elle a créés afin de vérifier les contenus des normes liées aux
principes constitutionnels, la Cour a été complétée par les juristes qui ont construit une
typologie des décisions de la Cour pour comprendre la portée de chacune de ces
décisions et des outils qu’elle emploie afin de justifier sa position juridique. Ce
25
phénomène est connu comme la modulación des effets des sentences ou l’inclusion de
divers types de décisions qui ne se limitent pas a la déclaration de conformités des lois.
Il faut ajouter que ce n’est pas une création colombienne ; plusieurs tribunaux
constitutionnels utilisent cette classification des sentences pour justifier ces décisions28.
Ainsi, par exemple, la Cour ne se limite pas à annuler les actions législatives,
c'est-à-dire à remplir la fonction de législateur négatif29, mais à interpréter et
conditionner les normes produites par le Congrès si elle estime qu’il existe un vide
juridique.
De cette façon, il y a un premier type de sentences dites conditionnées où la
Cour définit l’interprétation grâce à laquelle une loi déterminée doit se comprendre. Ce
type de décision a été pris dans le cas colombien en 1994 dans l’arrêt C-473. La Cour a
déterminé la conformité des articles 430 et 450 du Code du travail qui établissaient
l’interdiction de la grève dans les services publics en précisant qu’ils ne sont
constitutionnels qu’au moment de faire référence aux services publics essentiels, selon
ce que stipule la Constitution politique. Pour les autres cas de grève, il s’agit d’un droit
garanti de manière constitutionnelle. Quelques juristes estiment que la Cour
Constitutionnelle donne ces interprétations afin de respecter les actions législatives du
Congrès et de maintenir les lois dans l’ordre juridique30.
Il existe un second type de sentences interprétatives : les sentences intégratrices
ou additives. Ici, le rôle de la Cour est d’additionner un contenu à la loi afin de la
transformer en loi compatible avec la Constitution. La justification de cette action est
l’existence d’une omission de la part du Congrès. Dans cette classification on trouve
fréquemment des arrêts référés à l’égalité de certains droits. Ainsi, la Cour incorpore
aux groupes qui, potentiellement, peuvent rester exclus de la novelle loi.
Aussi, la Cour peut additionner des conditions pour défendre aux citoyens qui se
trouvent dans une situation d’exceptionnalité et qui n’ont pas été pris en compte par le
Congrès. C’est le cas de l’arrêt C-690 1996 où les demandeurs de la loi tributaire
exigeaient une exception par rapport aux sanctions imposées aux personnes qui ne
présentaient pas la déclaration de revenus, puisque la loi ignorait les citoyens qui ne
28
Alejandro MARTÍNEZ, « Tipos de sentencias en el control constitucional de las leyes », Revista
Estudios Socio-Jurídicos, Vol. 2 No. 1. 2000, p.17
29
Terme utilisé par Hans Kelsen pour expliquer que l’annulation d’une action législative de la part d’un
tribunal judiciaire possède la même force créatrice que la production de la loi parce qu’elle modifie
l’ordre juridique. Alejandro MARTÍNEZ, op. cit., p.12
30
Idem, p.15
26
pouvaient pas remplir cette condition à cause des situations extrêmes et inopinées. La
Cour a déclaré la conformité de la loi, mais en insérant la condition de permettre à la
personne de démontrer que la non exécution de la norme est causée par une situation
fortuite ou un cas de force majeure.
Il y a, enfin, un dernier type de sentences, dites substitutives où la Cour éjecte
une norme de l’ordre juridique à cause de son inconstitutionnalité et couvre le vide avec
une nouvelle disposition. Prenons l’exemple de l’arrêt C-113 1993 dans lequel la Cour
Constitutionnelle a déclare la non-conformité d’un article du décret 2762 1991 qui
régulait les effets des décisions du tribunal constitutionnel, en argumentant que cette
fonction ne relève que de la Constitution politique.
Si l’on prend en compte le caractère temporel des décisions judiciaires il est
possible de trouver une autre classification des sentences. Bien que la règle détermine
que toutes les décisions aient des effets pro-futur, c'est-à-dire que la déclaration
d’inexequibilidad ne modifie pas les effets de la norme produits avant la décision
judiciaire mais après, il y a quelques exceptions qui constituent une autre forme de
modulation des effets des sentences.
Ainsi, dans certains cas, la Cour peut déclarer des effets rétroactifs sur certaines
demandes des citoyens, surtout dans les cas liés au paiement de contributions
financières. Dans d’autres cas, la Cour a déclaré l’inconstitutionnalité d’une loi sans
l’annuler, afin d’éviter le vide juridique produit par l’absence de norme31.
On peut alors observer la construction juridique élaborée par la Cour ces
dernières années pour réussir à la vérification de certains éléments matériels des lois et
des actes législatifs à travers des concepts comme la substitution de la Constitution, les
vices de compétences et le bloque de constitutionnalité. L’inclusion de ces concepts a
permis une construction de sentences différentes selon la nécessité identifiée par le
tribunal constitutionnelle.
Il faut remarquer que le fait d’avoir une citoyenneté qui demande à la Cour une
révision pour vices de compétence est le reflet du degré d’appropriation de ces concepts
tant par le système politique que par le système judiciaire.
Le risque est toujours présent : la judiciarisation de la politique et la politisation
du monde judiciaire. Néanmoins le débat doit comprendre tous les variables qui font du
31
Idem, p.26
27
cas colombien un cas particulier dans le panorama juridique et judiciaire de la région
latino-américaine et du monde.
Comme on a décrit dans la première partie de cette recherche, la faiblesse des
partis politiques et le manque de représentativité du Congrès ont produit une absence
des institutions capables de traduire les principes constitutionnels dans la réalité pour la
majorité de la population colombienne. Aussi la Cour Constitutionnelle s’est-elle
transformée dans une « oasis » dans le désert institutionnel du pays, dans laquelle les
citoyens peuvent trouver un écho à leurs pétitions quotidiennes. De plus, dans
l’imaginaire collectif colombien le respect pour la Constitution rédigée en 1991 est un
impératif, c'est-à-dire que la suprématie constitutionnelle a contribué à justifier les
actions du pouvoir judiciaire en tant que défenseur des normes suprêmes.
1.4 La suprématie de la Constitution
Avant d’expliquer les raisons pour lesquelles la Constitution doit avoir théoriquement
une suprématie par rapport aux autres normes, il faut définir le concept même de
Constitution. Ajoutons que la définition a évolué au cours de l’histoire ; dans un premier
temps, elle faisait référence à l’idée d’ordre social tandis qu’aujourd’hui elle s’oriente
plutôt vers l’idée de norme juridique fondamentale32.
Dans la première partie de l’histoire moderne de la définition, la Constitution
était liée à la reproduction des structures politiques qui révélaient la nature humaine ; le
texte constitutionnel était le reflet de ce qui était déjà vécu par la société. Ainsi de la
définition donnée par Joseph de Maistre dans ses Considérations sur la France (1797)
où il affirme :
Aucune constitution ne résulte d'une délibération ; les droits des peuples ne sont jamais écrits,
ou du moins les actes constitutifs ou les lois fondamentales écrites ne sont jamais que des titres
déclaratoires de droits antérieurs, dont on ne peut dire autre chose, sinon qu'ils existent parce
qu'ils existent33.
De cette même idée de la Constitution comme ordre social, Lasalle affirme qu’il
s’agit de « la somme des facteurs réels de pouvoir qui régissent dans un pays » Ainsi,
d’après lui, pour construire une Constitution il faut mettre dans une feuille ces facteurs
32
Pierre BRUNET, « Constitution », Encyclopédie UNIVERSALIS, 2012, Adresse URL
http/www.universalis-edu.com/encyclopedie/constitution/.
33
Ibid.
28
réels34. Bien qu’elle soit une définition un peu générale et abstraite, elle nous donne une
première idée de la Constitution comme miroir de la réalité de chaque pays.
Néanmoins, à partir de la tradition presque générale de contenir les principes
constitutionnels dans des textes écrits, la définition de Constitution a pris une
orientation plus juridique et a commencé à être vue comme une norme juridique
suprême. Ainsi, Hans Kelsen en donne la définition suivante « c'est la norme qui règle
l'élaboration des lois, des normes générales en exécution desquelles s'exerce l'activité
des organes étatiques...»35. Il faut noter que ce type de définition construite dans le XXe
siècle tient compte de l’idée de Constitution comme norme liée à la démocratie. Ainsi
Kelsen affirme que les Constitutions démocratiques auxquelles il fait référence sont
celles qui tendent à exclure les pouvoirs autocratiques. Par conséquent, il s’agit des
Constitutions républicaines36. De la même façon Carl Schmit considère qu’une
Constitution est démocratique lorsqu’elle est capable de représenter –au niveau
institutionnel et politique– le sujet constituant qui lui a donné la vie, c'est-à-dire le
peuple souverain37.
D’autre part, Tulio Álvarez, constitutionnaliste vénézuélien, déclare que la
Constitution est la norme fondamentale de l’organisation de l’État. Il fait d’ailleurs une
remarque intéressante sur la différence entre « constitution ancienne » et « constitution
moderne » où la première est dirigée par le principe d’autorité tandis que la seconde
défend la liberté humaine sur l’autorité. Álvarez affirme :
La modernidad concilia el principio de autoridad con la libertad; reconociendo así que, antes
de su propia vigencia, existen derechos inalienables del ser humano que se sobreponen al
Estado mismo. Una organización que no reconozca tales derechos pierde el sentido de su
existencia38.
Cet auteur estime que la Constitution doit occuper une hiérarchie supérieure par
rapport aux autres normes à cause de son pouvoir de créer la procédure de formation de
la loi et même de créer aux organes qui font ces lois.
Selon Rodrigo Uprimny, il existe à ce sujet trois justifications classiques sur la
nécessité d’avoir un contrôle constitutionnel et, par conséquent, une suprématie de la
Constitution. Ces raisons sont développées par Hamilton dans son ouvrage Le
34
LASALLE en Javier REVELO-REBOLLEDO, « La independencia judicial en tiempos de Uribe »,
Pap.polit. vol.13, n.1, Bogotá, enero-junio 2008, p.67
35
Pierre BRUNET, op. cit.
36
Marco Gerardo MONROY CABRA, « Concepto de Constitución », Anuario de Derecho
Constitucional Latinoamericano. 2005, p.25
37
Ibid.
38
Tulio ÁLVAREZ, Constituyente, reforma y autoritarismo del siglo XXI. Caracas, Universidad Católica
Andrés Bello, 2007, p.15.
29
Fédéraliste et par la célèbre sentence de la Cour Suprême des États-Unis Marbury Vs.
Madison.
Tout d’abord, si la Constitution est une norme suprême, donc quelqu’un doit
garantir sa suprématie, c'est-à-dire la reconnaissance de sa hiérarchie par rapport aux
normes inférieures. Ce rôle peut être joué seulement par les juges ou par un tribunal
constitutionnel et non par les législateurs ou par le chef d’État, puisque la Constitution
cherche précisément à limiter les organes politiques.
Ensuite la suprématie est nécessaire pour assurer un gouvernement limité et non
arbitraire, car si la Constitution n’existait pas ou n’avait pas un caractère de norme
suprême, le parlement serait autorisé pour faire ce qu’il voulait faire sans tenir compte
du bien-être collectif. Enfin, chaque fois qu’un tribunal constitutionnel annule une loi il
le fait au nom de la volonté populaire supérieure incarnée dans la Constitution, laquelle
l’emporte sur les désirs des différentes majorités représentées au Parlement39.
Ces justifications sur la suprématie constitutionnelle ont essuyé plusieurs
critiques : le fait que le désir populaire peut être mieux représenté par le Parlement ; de
plus, même si l’on considère que la Constitution est toujours le résultat d’un accord
politique construit par tous les secteurs de la société (ce qui n’est pas vrai dans tous le
cas), cela ne signifie pas que les prochaines générations devront se soumettre aux
décisions antérieures lorsqu’elles ne représentent pas les nouveaux désirs de la
population.
Pour répondre à ces arguments, Uprimny ajoute que la démocratie et le principe
majoritaire doivent admettre l’existence de certains thèmes « intouchables », surtout
ceux sur le processus démocratique, si l’on veut que ce système politique soit
fonctionnel et perdurable. Pour cela, la démocratie doit « s’attacher les mains si elle
veut les conserver », c'est-à-dire si elle veut subsister comme démocratie. Tel est le
paradoxe du système40.
Bien que la démocratie utilise le principe majoritaire pour obtenir un consensus
–lequel est le critère de justice le mieux accepté dans nos sociétés pluralistes–, ce
principe ne doit pas se traduire en une tyrannie des majorités où le parlement profite des
39
Rodrigo UPRIMNY, “Capítulo 3: Legitimidad y conveniencia del control constitucional a la
economía” in ¿Justicia para todos? Sistema judicial, derechos sociales y democracia en Colombia.
Bogotá, Grupo Editorial Norma, 2006, p.172-173
40
HOLMES en Rodrigo UPRIMNY “Capítulo 3: Legitimidad y conveniencia…” op. cit., p.176.
30
bénéfices des politiques décrétées en faisant reporter les coûts sur les groupes
minoritaires qui ne peuvent pas accéder au pouvoir41.
C’est pourquoi il doit exister un organe capable d’assurer l’impartialité des
résultats obtenus pendant les processus démocratiques. D’après Uprimny, un tribunal
constitutionnel peut accomplir cette tâche en devenant une organisation juridique
indépendante et aussi une institution démocratique en tant que garante des règles de jeu
de ce système.
On peur renforcer cette idée avec l’argument de Kelsen sur la nécessité d’avoir
un organe supérieur pour garantir le respect de la Constitution. Selon lui, l’essence de la
démocratie réside dans l’engagement constant entre les groupes qui représentent les
majorités et ceux qui représentent les minorités au parlement, c'est-à-dire dans la paix
sociale. Dans cette mesure, la justice constitutionnelle a l’air d’être l’instrument indiqué
pour réaliser cette idée42.
On peut déduire que, pour le cas colombien, la Cour Constitutionnelle prend sa
légitimité démocratique grâce à la défense des principes établis par la Constitution,
même si elle n’a pas été élue à travers le vote populaire.
Il est clair que la Constitution colombienne stipule des fonctions très spécifiques
pour la Cour en termes d’intervention. Néanmoins, il faut tenir compte du contenu des
nouvelles constitutions latino-américaines ; l’inclusion des droits sociaux implique la
création des outils nouveaux pour les garantir. Les tribunaux constitutionnels se sont
attribués cette fonction, même si le texte constitutionnel ne détermine pas cette
possibilité, en obtenant une légitimité démocratique aux yeux des citoyens.
Cela veut-il dire alors que toutes les interventions de la part des juges sont
légitimes ? Absolument pas. Si l’intervention judiciaire dépasse la fonction de
protection du processus démocratique et de garantie des droits humains, son activité
peut être mise en question en termes démocratiques43.
Autour de cette discussion un sujet fondamental pour les analyses
constitutionnelles est mis en question : le moment où le peuple peut réformer la
Constitution et les moyens pour l’obtenir. Parce que, si la Cour Constitutionnelle est le
seul organe capable d’interpréter la Constitution, et le peuple ne peut pas élire les juges,
quand et comment est-ce que le peuple peut manifester son désir de changer la
41
Rodrigo UPRIMNY, “Capítulo 3: Legitimidad y conveniencia…” op. cit., p.178.
Marco Gerardo MONROY CABRA, op.cit., p.25
43
Rodrigo UPRIMNY, “Legitimidad y conveniencia…” op.cit., p.179-180.
42
31
Constitution ? On reprendra alors le débat sur la réforme de la Constitution dans le cas
colombien, sans ignorer les discussions développées en Amérique latine autour de ce
thème.
1.5 Le débat sur la réforme de la Constitution
Jusqu'à 1886 les Constitutions colombiennes se caractérisaient par une rigidité par
rapport au sujet de la réforme. Selon Luis Eduardo Cerra, le besoin de préserver
l’autonomie politique dans les entités territoriales était la motivation principale de cette
position : un sujet qui a été débattu fortement pendant la rédaction des premières
Constitutions44.
À l’époque républicaine la structure politique du territoire (fédéral ou unitaire) et
le régime politique (présidentiel, parlementaire) sont devenus des aspects très
importants pour déterminer le caractère de l’État. Ainsi, si l’on modifiait l’un de ces
critères, cela pouvait être vu comme synonyme de création d’une nouvelle Constitution.
Pour cette raison, la Constitution de 1863 stipulait dans l’article 92 :
Esta Constitución podrá ser reformada total o parcialmente con las formalidades siguientes:
1º. Que la reforma sea solicitada por la mayoría de las legislaturas de los Estados.
2º. Que la reforma sea discutida y aprobada en ambas cámaras conforme a lo establecido
para la expedición de las leyes.
3º. Que la reforma sea ratificada por el voto unánime del Senado de plenipotenciarios,
teniendo un voto cada Estado.
También puede ser reformada por una Convención convocada al efecto por el Congreso, a
solicitud de la totalidad de las Legislaturas de los Estados, y compuesta de igual número de
45
diputados por cada Estado .
On peut observer à ce moment-là l’importance donnée aux états fédéraux.
Quelques années plus tard, la Constitution de 1886 a bouleversé la structure politicoadministrative du pays visant l’unification des territoires colombiens divisés par les
guerres entre centralistes et fédéralistes, les deux grandes factions politiques de
l’époque. Le pays s’est alors transformé dans une république unitaire selon le premier
article constitutionnel.
Par rapport à la possibilité de réformer cette Constitution, l’article 13 du
plébiscite de 1957 a modifié l’article 209 constitutionnel en limitant le pouvoir
constituant de telle manière que seule le Congrès de la République avait l’autorisation
de réformer le texte suprême.
44
45
Luis Eduardo CERRA, op. cit., p. 108
Ibid
32
Ainsi, le constituant primaire ne pouvait pas utiliser le mécanisme de la réforme
puisqu’il avait donné ce pouvoir au constituant dérivé, c'est-à-dire au Parlement. Pour
quelques auteurs comme Cerra, cela impliquait l’annulation complète du peuple comme
constituant primaire46, raison pour laquelle il y a eu une paralysie politique les années
suivantes et un décalage assez marqué entre la réalité du pays et les normes
constitutionnelles.
Cependant, il faut reconnaitre que cet effort de maintenir une structure politique
particulière et un modèle républicaine ne réponde pas nécessairement à une vision
radicale et obstinée du pays, mais à un désir d’assurer aux générations futures un avenir
plus sûr.
En outre, deux raisons additionnelles, remarquées par Hernando Valencia
Villa47, peuvent être constatées comme explication de l’exclusion du constituant
primaire dans la reforme à la constitution. En premier lieu l’idée de la République
constituée – fortement établie dans la Constitution de 1886 –, selon laquelle la
convocation au peuple comme constituant primaire fait partie d’un moment
hypothétique de la fondation de l’État, et il n’est pas requis pour la reforme de la
constitution d’une république constituée. En deuxième lieu, il faut noter que dans le cas
colombien, la fragilité de la nation dont les guerres pendant le XIXe siècle sont la
preuve, a encouragé une sorte de tyrannie des représentants sur les représentés, tenus
pour des irresponsables.
Quant à l’argument de la République constituée, il ne faut pas oublier que cette
distinction réalisée à maintes reprises dans la philosophie politique, se trouve expliquée
dans l’œuvre d’Emmanuel Sieyès. C’est lui qui, en établissant les trois époques de la
formation d’une société politique, donne les arguments pour le débat juridique autour de
la volonté et de la représentation politiques.
Selon Sieyès, il y a une première époque où les individus s’associent par leurs
volontés individuelles : c’est le moment de l’origine de tout pouvoir. Ensuite, l’auteur
mentionne les deux autres époques, qui sont caractérisées, l’une par l’action volontaire
commune de donner de la consistance à leur union et l’autre par le passage au
gouvernement exercé par procuration48. Dans cette hypothèse de la formation d’une
société politique on reconnait l’argumentation de la constitution de 1886 : c’est
46
Idem, p.109
Hernando VALENCIA VILLA, “El constituyente de 1990 y la constituyente de 1991”, Análisis
político. No. 10, mayo-agosto 1990.
48
Emmanuel SIEYÈS, Qu’est-ce que le tiers état?, Paris, Flammarion, 1988, p.123-124
47
33
seulement dans la première formation que les individus agissent en tant que constituant
primaire.
De même Sieyès note que, dans cette société politique, « aucune sorte de
pouvoir délégué ne peut rien changer aux conditions de sa délégation »49, ce qui donne
des fondements à une Constitution. Ainsi, la volonté nationale n’existe que comme
moment fondateur avant toute constitution ; après toute modification est censée de se
produire par une volonté représentative spéciale50.
La Constitution de 1991 a modifié la place du peuple comme pouvoir
constituant, en introduisant la possibilité au Congrès de la République, au gouvernement
et à la citoyenneté même de modifier la Constitution selon ce qui est stipulé par le titre
XIII de la Constitution. Par conséquent, aujourd’hui on peut affirmer que la Constitution
politique de la Colombie a perdu sa rigidité grâce à cette modification et aussi grâce à
l’absence de clauses pétreas ou immuables51.
Selon Foucault, ce type de changement peut être compris par l’herméneutique
juridique, laquelle se modifie selon un contexte donné. Ainsi, croyances, préjugés et
valeurs d’un moment et d’un espace ne sont pas forcément les mêmes partout ni tout le
temps52.
Mais on peut trouver aussi dans l’argumentation de Sieyès d’autres éléments qui
aident à expliquer pourquoi la citoyenneté garde pouvoir de modifier la constitution. Si
dans un effort interprétatif on affirme que la citoyenneté se mobilise en revendiquant
une certaine idée comme émanant de l’esprit de la nation colombienne, sa volonté, selon
l’auteur, a le droit de faire des changements dès que son intérêt l’exige, tout simplement
parce que la nation n’est pas soumise à une constitution. L’argument de Sieyès est
significatif dans la mesure qu’il existe pour assurer la nature de la société fondée, en
écartant les risques d’une tyrannie des représentants sur les représentés. Et on voit bien
que l’idée de Sieyès n’est pas du tout absurde, car ce risque peut devenir une réalité,
comme on l’a vu à propos de la Constitution de 188653. Mais ce type de changements
peut-il être considéré comme une reforme ou doit-il être vu comme l’instauration d’une
nouvelle constitution ?
49
Idem, p.128
Ibid.
51
« La reelección presidencial es constitucional. Observaciones sobre el acto legislativo 2 del 2004 »,
Instituto de Ciencia Política, Colombia. Adresse URL
www.icpcolombia.org/archivos/documentos/obserdef.doc.
52
FOUCAULT en Hernando VALENCIA VILLA, op. cit.
53
Emmanuel SIEYÈS, op. cit., p. 130-131
50
34
Il nous faut employer certains concepts qui expriment bien la subtilité de la
question. Le pouvoir original dont Sieyès parle dans son œuvre, sera ici connu sous le
nom de pouvoir constituant primaire. D’après Jorge Vélez García et Enrique Uribe
Arzate, celui-ci est un pouvoir que doit être considéré comme supra-juridique (audessus du droit). Donc, un pouvoir fondateur et différent du pouvoir réformateur, bien
que tout le deux soient des pouvoirs créateurs54.
Cette idée est partagée par Augusto Romero Páez. D’après lui, le pouvoir
constituant primaire existe aussi dans le moment originaire d’une fondation historique :
l’acte constituant. Après quoi, il se transforme et se limite en pouvoir réformateur55.
À cela, il faut ajouter deux idées très importantes pour bien comprendre la nature
du pouvoir constituant primaire : en tant qu’originaire, il n’a jamais été convoqué
autrement que hypothétiquement, c’est-à-dire comme argument de légitimité. Et en tant
que pré-constitutionnel, il ne fait pas partie de la constitution56.
En revanche, le pouvoir réformateur dont on a fait mention plus haut, sera ici
connu sous le nom de pouvoir constituant dérivé. Celui-ci est bien différent du pouvoir
primaire. Sieyès affirme, par exemple, qu’un corps soumis à des formes constitutives ne
peut rien décider que d’après sa constitution. Il ne peut pas s’en donner une autre57. À
partir de là, on comprend bien que ce pouvoir est dérivé de l’existence de la constitution
et que, par conséquent, ses facultés ne sont pas si étendues et qu’il doit se borner au
cadre juridique constitutionnel58.
Pourtant, pour Augusto Romero Páez, la différence est plus floue, car bien que
dissemblables, le pouvoir dérivé n’est qu’une transformation du pouvoir primaire. Le
pouvoir antérieur est la voie à travers laquelle d’autres auteurs argumentent que le
peuple conserve toujours son pouvoir pour accomplir des réformes formelles et
matérielles quant aux normes instituées dans la constitution59.
Pour récapituler, on peut dire avec Tulio Álvarez que ce pouvoir constituant
n’agit pas que dans la fondation de la société politique, mais aussi dans chaque
54
Jorge VÉLEZ GARCÍA, “El poder reformador de la constitución” Boletín 2 del Instituto de Estudios
Constitucionales, Universidad Sergio Arboleda, 2005, p. 6 et Enrique URIBE ARZATE, “Principios
constitucionales y reforma de la constitución” Boletín Mexicano de Derecho Comparado, No. 115, eneroabril 2006, p.237-263.
55
Nicolás Augusto ROMERO PÁEZ, op. cit., p. 15
56
Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.29.
57
Emmanuel. SIEYÈS, op. cit., p.140
58
Jorge VÉLEZ GARCÍA, op. cit., p.6-7 et Enrique URIBE ARZATE, op. cit., p.237-263.
59
VÉLEZ GARCÍA, Jorge op. cit., p.6-7 et Nicolás Augusto ROMERO PÁEZ, op. cit., p.15
35
modification constitutionnelle. La première fois, on l’appelle primaire; les autres, on les
appelle dérivées60.
À partir de cette explication on peut se demander comme est stipulée dans les
Constitutions latino-américaines la réforme constitutionnelle, afin de comparer ces
dispositions avec l’ordre juridique Colombien et identifier s’il existe un respect pour le
pouvoir constituant tant primaire que dérivé.
Il y a eu dans la région plusieurs mécanismes de réforme constitutionnelle. Pour
commencer, l’Equateur déléguait dans la Constitution de 1998 la capacité de réformer la
Constitution aux organes des pouvoirs publics comme le Congrès, le président de la
République, la Cour Suprême de Justice ou un groupe de citoyens équivalent au 1% des
listes électorales61. Ainsi, le mécanisme consistait dans la pleine délégation aux organes
relativement qualifiés.
D’autre part, existe le mécanisme de convoquer une Assemblée Constituante
comme la seule procédure possible de réforme, rendant indispensable l’intervention du
peuple, soit par l’élection des membres de l’Assemblée, soit par la ratification des
modifications proposées. C’est le cas de la Constitution argentine, modifiée en 1994, où
l’article 30 stipule :
La Constitución puede reformarse en el todo o en cualquiera de sus partes. La necesidad de
reforma debe ser declarada por el Congreso con el voto de dos terceras partes, al menos, de
sus miembros; pero no se efectuará sino por una Convención convocada al efecto 62.
Une autre possibilité de réforme constitutionnelle est donnée pour les pays avec
un système fédéral où il faut garantir la participation de tous les états ou unités qui
forment la fédération. On trouve ici le Mexique qui détermine dans son article 135
constitutionnelle le besoin d’obtenir une votation des deux tiers du Congrès plus
l’approbation de la majorité des législatures fédérales63.
Enfin, il y a les systèmes mixtes basés sur une différentiation entre les
modifications partielles et totales en reconnaissant une inégalité tacite entre les normes
constitutionnelles et en donnant alors une catégorie supérieure pour certaines d’entre
elles. La Constitution de Costa Rica approuvée en 1949 est un bon exemple car elle
établit une révision partagée par l’Assemblée législative et le Gouvernement s’il s’agit
60
Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.27.
Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.40.
62
Ibid.
63
Ibid.
61
36
d’une réforme partielle, et un mécanisme différent s’il s’agit d’une réforme générale.
L’article 196 déclare :
La reforma general de esta Constitución, sólo podrá hacerse por una Asamblea Constituyente
convocada al efecto. La ley que haga esa convocatoria debe ser aprobada por votación no
menor de dos tercios del total de los miembros de la Asamblea Legislativa y no requiere
sanción del Poder Ejecutivo64.
En Colombie, comme on l’a mentionné plus haut, la Cour Constitutionnelle a
formulé dans ses derniers arrêts l’existence des limites matérielles à l’action de réforme
décrite dans la Constitution. Et, dans l’article 376, la Constitution de 1991 établit aussi
la façon dont on doit convoquer une assemblée constituante compétente pour instaurer
une nouvelle constitution. L’article affirme :
ARTICULO 376. Mediante ley aprobada por mayoría de los miembros de una y otra Cámara,
el Congreso podrá disponer que el pueblo en votación popular decida si convoca una
Asamblea Constituyente con la competencia, el período y la composición que la misma ley
determine.
Se entenderá que el pueblo convoca la Asamblea, si así lo aprueba, cuando menos, una tercera
parte de los integrantes del censo electoral. La Asamblea deberá ser elegida por el voto
directo de los ciudadanos, en acto electoral que no podrá coincidir con otro. A partir de la
elección quedará en suspenso la facultad ordinaria del Congreso para reformar la
Constitución durante el término señalado para que la Asamblea cumpla sus funciones. La
Asamblea adoptará su propio reglamento65.
Ainsi, dans le cadre juridique colombien il y a des limites au pouvoir constituant
dérivé mais aussi une mention au pouvoir constituant primaire, dont on vient de dire
qu’il était pré-constitutionnel.
Cela montre une avancée importante par rapport aux Constitutions politiques du
siècle passé et détermine un parcours particulier au pouvoir constituant dans lequel la
Constitution confère toutes les garanties nécessaires pour s’exprimer. De cette façon la
Constitution colombienne a surmonté la difficulté qu’a représentée la rigidité de son
prédécesseur, qui a causé une telle paralysie juridique et politique que cela a obligé à la
société colombienne à se manifester en dehors des institutions. Le mouvement de la
séptima papeleta est un bon exemple de la façon dont le peuple a utilisé des outils non
institutionnels pour se manifester contre la Constitution quand elle ne reflète plus les
dynamiques politiques et sociales.
C’est pourquoi il est positif d’avoir toujours une Constitution qui permet, de
manière explicite, de créer une novelle Charte afin d’éviter les bouleversements
institutionnels si propres aux sociétés pré-démocratiques.
64
65
Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.45.
République de la Colombie, Constitution Politique Colombienne, 1991, article 376.
37
En plus des arguments juridiques exposés dans cette première partie, il faut
comprendre les raisons politiques pour lesquelles la Cour Constitutionnelle
colombienne reçoit une légitimité de ces décisions, car bien que la construction
juridique ouvre l’espace formel pour les décisions progressistes de la Cour, s’il n’existe
pas une volonté politique pour défendre le pouvoir judiciaire, la structure juridique perd
toute sa puissance.
38
2. Le système politique colombien : une explication du pouvoir de la Cour
Constitutionnelle.
La Cour Constitutionnelle colombienne a déclaré en 2010 la non-conformité de la loi
qui convoquait un referendum afin d’approuver une troisième élection présidentielle.
Comme on a déjà vu, la décision est le résultat des analyses de procédures et de
contenu, mais elle est aussi le reflet de quelques caractéristiques politiques propres à la
Colombie qu’il faut approfondir afin de mieux comprendre la dynamique de la Cour et
du système démocratique colombien. Bien que la Colombie ne soit pas le seul pays de la
région avec une construction conceptuelle juridique si forte, il est vrai que c’est dans les
enjeux politiques que l’on trouvera l’explication de pourquoi le pouvoir judiciaire
colombien possède une légitimité démocratique citoyenne, et pourquoi les autres
pouvoirs –voire une figure si populaire comme celle de l’ex-président Álvaro Uribe
Vélez– n’arrivent pas à empêcher le rôle de la Cour.
Pour cette raison, la première sous-partie de ce chapitre sera dédiée à
l’explication de la tradition politique en Colombie, et la deuxième sous-partie évoquera
le profil de l’ex-président Álvaro Uribe Vélez pour comprendre tant son niveau de
popularité que l’origine de l’initiative législative populaire à l'origine de la loi 1354 (la
loi qui appelait au référendum).
2.1. La tradition politique de Colombie
À l’heure actuelle, le panorama politique de la Colombie est défini par deux éléments
qui caractérisent le pays : d’un côté, une délégitimation chaque fois plus accentuée des
partis politiques traditionnels et du Congrès de la République et, de l’autre, une forte
tradition présidentialiste depuis le XIXe siècle. Ces éléments ont généralement une
relation importante avec deux phénomènes partagés par la plupart des pays de la région
latino-américaine : le continuisme et le populisme. On expliquera alors comment s’est
développée cette relation dans le cas colombien.
2. 1.1 Délégitimation des partis politiques
La délégitimation des partis politiques traditionnels et du Congrès de la République
s’explique, selon Fernán González, car les Colombiens considèrent traditionnellement
39
que les fléaux de la nation sont le résultat de l’incompétence des leaders et des
représentants, ainsi que de la corruption des organisations politiques en général. Dans
l’imaginaire collectif des Colombiens, les politiques et les partis politiques sont un
obstacle au développement social des communautés et nuisent à la société en
privilégiant le bénéfice personnel et en assurant leur permanence au pouvoir66.
Les deux partis traditionnels (libéral et conservateur) qui sont nés au XIXe siècle
ont monopolisé jusqu'à la moitié du XXe siècle toute l’activité politique du pays, en
donnant une stabilité au système démocratique mais, au même temps, en reproduisant
un modèle d’exclusion sociale qui est devenu quelques années plus tard une des causes
principales de la formation des groupes armés illégaux.
À partir des années 1950 le pays a connu une violence partisane qui s’est
déplacée principalement vers les zones rurales, où des paysans ont commencé à se
regrouper pour constituer les futures guérillas. Cette situation a mis en question les
subcultures67 créées par les partis tout au long de l’histoire républicaine du pays.
Malgré les efforts de la part des partis pour récupérer l’ordre et la légitimité à
travers la création du Frente National68, les liens entre représentants et représentés se
distendent de plus en plus.
Pour quelques auteurs comme Andrés Dávila, le nouvel accord politique de 1958
a recomposé la domination des élites mais il a ignoré plusieurs secteurs de la société. La
raison de cette exclusion est la permanence des réseaux clientélistes qui formaient des
groupes de bénéficiaires particuliers en détriment d’une vraie attention aux besoins de la
population69.
La réaction à cette exclusion s’est manifestée à travers le fractionnement des
partis politiques. C'est ainsi que fut possible la naissance de mouvements comme "Le
Mouvement Révolutionnaire Libéral" (MRL), ou "l’Alliance Nationale Populaire"
(ANAPO), tous les deux dirigés par des membres qui avaient appartenu au Parti Libéral.
66
Fernán GONZÁLEZ, « El fenómeno político de Álvaro Uribe Vélez », Instituto de Investigación y
Debate sobre la Gobernanza, 2006, Adresse URL http://www.institut-gouvernance.org/es/analyse/ficheanalyse-245.html.
67
Terme utilisé par Daniel Pécaut pour se référer aux éléments politiques reproduits par les deux partis
politiques traditionnels comme le clientélisme et la corruption. Voir Daniel PÉCAUT, Orden y violencia.
Medellín, Fondo Editorial universitario EAFIT, 2012, p.183.
68
Un accord politique signé en 1958 entre les leaders des deux partis traditionnels afin d'en finir avec la
violence nationale. Les conditions furent : la parité des fonctionnaires dans l’appareil étatique, l’élection
présidentielle de candidats exclusifs du bipartisme et l’alternance politique entre les deux, tous les quatre
ans.
69
Andrés DÁVILA, “¿Del bipartidismo a un nuevo sistema de partidos? crisis, constituyente y
reconstrucción de un orden político democrático en Colombia”, América Latina Hoy, 3, 2009, p. 36.
40
Malgré l’espoir de changement à partir de la formation de ces groupes, la machinerie
politique traditionnelle a empêché son développement, en motivant ainsi une préférence
de plusieurs membres du MRL et de l’ANAPO par la résolution du conflit à travers les
armes70.
On peut identifier aussi deux autres éléments fondamentaux qui expliquent la
délégitimation de la classe politique : l’émergence du narcotrafic dans les années 1980
et la naissance des groupes armés illégaux parallèles à la force étatique. Avec le temps,
les groupes armés illégaux et les narcotrafiquants ont constitué une sorte de réseau dont
le but est de nourrir et de protéger leurs activités, assombrissant la situation sociale et
politique colombienne71.
Ce panorama a fait naître un sentiment d’indignation générale qui a entraîné la
nécessité d’une Assemblée Constituante. La Constitution de 1991 a marqué un nouveau
début pour une nation colombienne fragmentée. Cependant les nouvelles règles de jeu
ne garantissaient pas le retour automatique de la confiance dans les institutions.
2.1.2 Le mouvement de “la séptima papeleta”
Pour mieux comprendre l’origine de la Constitution politique de 1991 et, dès lors, la
création des nouvelles institutions comme la Cour Constitutionnelle, il faut approfondir
un des épisodes les plus dramatiques de la Colombie, mais aussi un des plus fructueux
de notre histoire en termes politiques et juridiques.
L’ambiance politique interne qui peut expliquer l’émergence du mouvement de
la séptima papeleta est assez complexe: trois candidats présidentiels ayant été tués, les
narcotrafiquants ont infiltré presque toutes les institutions du pays, la corruption
administrative et l’inefficacité étatique pour réguler les rapports sociaux faisaient
quotidiennement la une des journaux72.
Au niveau externe, les jeunes colombiens vivaient à travers les médias des
changements historiques comme la chute du mur de Berlin et ils étaient témoins de
l’émergence de la mondialisation et aussi du modèle économique néolibéral qui
70
Andrés DÁVILA, op. cit., p.36.
PNUD “Colombia, un callejón con salida” Informe Nacional de Desarrollo Humano, 2003.
72
“Los estudiantes de la séptima papeleta” Revista Semana, 6 de marzo de 2010. Adresse URL
http://www.semana.com/nacion/estudiantes-septima-papeleta/135928-3.aspx
71
41
promettaient le dépassement de tous les problèmes provoqués par le modèle de
substitution d’importations73.
Cet était de fait a donné naissance à un mouvement des étudiants des universités
– d’abord privés et ensuite publiques– à la recherche d’un changement politique
définitif pour le pays. Au début, les objectifs n’étaient pas bien définis. Il s’agissait alors
des jeunes déçus et las de la violence du narcotrafic et de l’assassinat systématique de
tous les leaders politiques qui pensaient d’une manière différente ou qui proposaient des
alternatives politiques au conflit74.
La première mesure visible du mouvement des jeunes a été la marche du silence.
Cet événement qui a eu lieu le 25 août 1989 voulait manifester le rejet des étudiants
universitaires de la violence, de l’assassinat du candidat présidentiel Luis Carlos Galán,
celui qui avait les plus grandes chances de remporter les élections.
À une époque où la société avait une peur permanente des actions violentes
provoquées par le narcotrafic et les groupes armés illégaux, les étudiants ont décidé de
rompre le silence, d’exiger le changement et de montrer que l’union des citoyens peut
modifier l’avenir, voire des pays comme la Colombie.
La marche a réuni 25 000 jeunes de différentes universités publiques et privées
unies par première fois par un objectif commun, dans un pays où les changements
générationnels sont vécus par les élites et, par conséquent, où l’exclusion et les
différences sociales sont assez marquées.
Paradoxalement, le silence absolu pendant le parcours de la marche est devenu la
voix de protestation. Les commerçants potentiellement affectés par la protestation n’ont
pas fermé leurs magasins, la force publique n’a pas menacé les ceux qui marchaient, les
familles colombiennes et les hommes politiques se demandaient quelle allait être le
dénouement de cette manifestation et ses suites, pensant que les idées de ces jeunes
pouvaient avoir un écho important75.
73
Fernando CARRILLO FLÓREZ “Capítulo V: La séptima papeleta o el origen de la Constitución de
1991” in Fernando CEPEDA ULLOA, (Ed.), Fortalezas de Colombia, Bogotá, Ariel y BID, 2004. p.112
74
Ce le cas de l’Unión Patriótica, le parti politique qui est né comme le bras politique des FARC ou le
parti communiste colombien, lesquels ont subi les pires conséquences de la campagne d’extermination de
la part des groupes paramilitaires. Selon Daniel Pécaut, 1500 des ses cadres et militants étant assassinés.
Voir Daniel PÉCAUT, « Présent, passé, futur de la violence » in BLANQUER, Jean-Michel et GROS
Christian. La Colombie A l’aube du troisième millénaire, Édition de l’IHEAL, Paris, 1996. p.35
75
Témoignage de Jorge ORJUELA, étudiant de l’Universidad del Rosario. “Marcha del silencio”
Fundación Séptima Papeleta. Adresse URL http://fundacionseptimapapeleta.wordpress.com/marcha-delsilencio/
42
La marche a terminé dans le cimetière central comme symbole du rejet aux
mortes des années précédentes. À la fin de la manifestation, les leaders estudiantins ont
manifesté publiquement leur compromis de produire des propositions de changement
afin de réussir la rédaction d’une nouvelle Constitution.
Après cette première victoire, les jeunes ont formé des tables rondes afin de
discuter les thèmes qu’ils envisageaient comme les points cruciaux de la crise. Ces
discussions ont été concrétisées avec la publication d’une circulaire contenant toutes les
thématiques ponctuelles dont le gouvernement devait tenir compte pour transformer le
panorama de l’époque. À partir de ce moment-là, le mouvement des étudiants avait pour
but principal la réalisation d’un référendum afin de changer la Constitution.
Il faut ajouter que la Constitution de 1886 n’avait pas des clauses pour changer
la Constitution même. L’article 218 constitutionnel stipulait : « La Constitución […]
solo podrá ser reformada por un acto legislativo discutido primeramente y aprobado
por el Congreso en sus sesiones ordinarias »76. De plus, le plébiscite de 1957, réalisé
sous la période de la Junte Militaire qui avait mené un coup d’État cette année-là,
interdisait de faire des consultations populaires. D’après Fernando Carrillo, « Así había
sido cerrada la válvula que de otro modo permitiría la realización de consultas al
pueblo para propiciar los cambios institucionales »77.
Dans cette mesure, les changements devaient venir de la classe dirigeante,
spécifiquement du Congrès, la seule organisation capable de convoquer une Assemblée
Constituante. Pourtant les étudiants reconnaissaient l’absence de volonté politique pour
promouvoir des politiques favorables à la collectivité. De plus, les partis politiques ne
jouaient plus leur rôle de « charnière » entre la société et le gouvernement.
Aussi leur proposition se faisait de plus en plus précise : la formation d’une
Assemblée Constituante afin de rédiger une nouvelle Constitution politique, c’est-à-dire
de nouvelles règles de jeu garantissant l’inclusion de toute la société colombienne et le
respect pour l’État de droit.
Depuis 1985, il existait déjà des propositions de ce type. Les groupes armés
comme l’Ejército de Liberación Nacional (ELP) ou le Movimiento 19 de abril (M-19)
avaient exigé dans ce processus de démobilisation la convocation à un Assemblée 78.
Néanmoins, la difficulté était le mécanisme de convocation puisque, comme je l’ai dit,
76
Jaime ANGULO BOSSA, La séptima papeleta: el país opinó, el país la aceptó, Bogotá, Consejo
nacional electoral, 1991.
77
Fernando CARRILLO FLÓREZ, op. cit., p.115
78
“Los estudiantes de la séptima papeleta” op.cit.
43
la Constitution de 1886 ne contenait pas de clause pour que le peuple puisse exprimer
son désir d’une nouvelle Constitution.
La nouveauté du mouvement d’étudiants était alors la proposition d’une forme
alternative hors l’institutionnalité pour rendre possible une Assemblée. Camilo
Rodríguez, étudiant à l’Universidad del Rosario à l’époque s’exprimait de la manière
suivante :
…nosotros hemos decidido saltar esa instancia partidista y llegar directamente al Estado para
reformarlo, de todas maneras el Estado no es otra cosa que la forma como la sociedad ha
querido estar en un determinado momento. Nosotros pretendemos cambiar esa forma, y darle
una verdadera eficacia, de modo que exista una participación directa de los ciudadanos en las
decisiones fundamentales79.
Ces intentions de changement furent canalisées à travers une idée assez simple :
l’inclusion d’un septième bulletin de vote (papeleta) pour la journée électorale du 11
mars 1990, au cours de laquelle auraient lieu les élections locales et parlementaires. Si
les six premiers bulletins permettaient l’élection de quelques postes publics, la septième
serait la manifestation de la population « pour » ou « contre » la réalisation d’une
Assemblée Constituante.
Cette idée a donné le nom de séptima papeleta au groupe d’étudiants qui
proposaient cette initiative. Celle-ci n’avait pas le soutien des institutions formelles,
raison pour laquelle les papeletas furent faites par les étudiants mêmes, et publiées par
les journaux les plus importants des villes, afin de les déposer dans les urnes le jour de
l’élection.
Petit à petit, l’initiative a reçu le soutien des médias, des intellectuels et
d’hommes politiques comme Carlos Pizarro, leader du parti politique UP et candidat
présidentiel aux élections de 1990.
Les votations de mars de 1990 ont été une grande victoire pour la société
colombienne : la séptima papeleta a obtenu deux millions de votes en faveur du
changement80. Cependant le problème était que ce vote était symbolique parce qu’il ne
faisait pas part des votations officielles et, par conséquent, les votes ne seraient pas
comptés par la Registraduría Nacional del Estado Civil.
Néanmoins, le but était de démontrer au gouvernement qui la population voulait
un nouveau texte, une nouvelle interprétation de la réalité du pays, et ce fait devait être
79
80
“Marcha del silencio” op.cit.
Jaime ANGULO BOSSA, op.cit., p.13.
44
plus important que l’absence de mécanismes de participation stipulés par une
constitution incapable de refléter l’esprit de la Colombie.
La violence a continué après la votation. Carlos Pizarro et Bernardo Jaramillo
ont été tués rejoignant la liste de candidats présidentiels assassinés. Par contre,
l’augmentation de la violence s’est traduite par l’augmentation de l’indignation et de la
perception positive en faveur de la création d’une Assemblée Constituante.
De cette façon, le président de l’époque, Virgilio Barco, a décidé d’inclure dans
les élections présidentielles de mai 1990, un vote officiel additionnel en demandant au
peuple s’il était d’accord ou non sur la constitution d’une Assemblée Constituante.
Le texte était le suivant :
Para fortalecer la democracia participativa, vota por la convocatoria a una Asamblea Nacional
con representación de las fuerzas sociales, políticas y regionales de la nación, integrada
democrática y popularmente para reformar la constitución política de Colombia ?
Si
No
Le « oui » l’a emporté largement81.
Le gouvernement a alors rédige le décret législatif 1926 afin de convoquer des
élections et d’élire les membres de l’Assemblée. L’argument central du décret
s’appuyait sur la capacité du constituant primaire de décider du destin de la
Constitution, peu importait les lois antérieures. Le décret affirmait que « la Nación es la
depositaria de la soberanía a términos del artículo 2o. [de la Constitution] y que ella
puede ejercer su poder cuando a bien lo tenga para lo cual no empece el artículo 13 del
plebiscito de primero de diciembre de 1957 que consagró un principio contrario pero
modificable por el mismo constituyente primario »82.
Le pas suivant devait être la déclaration de constitutionnalité de la part de la
Cour Suprême de Justice qui a joue un rôle fondamental dans le panorama politique de
l’époque. Grâce au nombre de votes en faveur d’une Assemblée Constituante, la Cour a
validé cette votation comme l’expression du pouvoir constituant qui ne pouvait être
dénié par la Constitution en vigueur83.
La justification de la décision de la Cour a résidé dans l’article 2 constitutionnel
qui affirmait que la souveraineté réside essentiellement et exclusivement dans la nation,
et que, de cette dernière émanent tous les pouvoirs publics. À partir de là, la Cour s’est
81
Selon la fondation la Séptima Papeleta, le 86% de votes ont été favorables à l’Assemblée.
Jaime ANGULO BOSSA, op.cit.
83
“Marcha del silencio” op.cit.
82
45
manifestée dans la décision de la manière suivante : « Como la nación colombiana es el
constituyente primario, puede en cualquier tiempo darse una Constitución distinta a la
vigente hasta entonces sin sujetarse a los requisitos que esta consagraba. De lo
contrario, se llegaría a muchos absurdos”84.
Le 9 décembre 1990, le peuple a élu les 70 délégataires qui avaient la difficile
tâche de rédiger une Nouvelle Constitution. La composition de l’Assemblée a été assez
diverse, les leaders de toutes les positions politiques et idéologiques étaient présents.
Cette diversité a garanti d’une certaine manière l’inclusion de tous les groupes qui
avaient été écartés du centre de pouvoir et qui voulaient proposer une nouvelle vision du
pays.
Ainsi, le 4 juillet 1991, les trois présidents de l’Assemblée Constituante –chacun
d’un courant politique différent– ont déclaré la Nouvelle Constitution politique de
Colombie en démontrant que, malgré l’inexistence d’articles constitutionnels en faveur
de la possibilité de former une Assemblée constituante, le peuple comme souverain du
pouvoir et, par conséquent, comme constituant primaire, devait toujours avoir le dernier
mot.
Avec la Constitution de 1991, la Cour Constitutionnelle est perçue comme
l’organe capable de défendre le consensus réussi à l’époque de la rédaction. Par
conséquent, selon Oscar Ortiz, membre du mouvement séptima papeleta, n’importe
quelle attaque à la Cour est vue comme une attaque à l’accord de la société colombienne
réalisé à un moment historique du pays85.
2.1.3 Une nouvelle fragilisation politique
Malgré l’espoir naissant par rapport aux nouvelles pratiques politiques construites à
partir de la Constitution, des nouveaux événements ont fragilisé encore plus la
crédibilité des institutions démocratique du pays. Le scandale politique pendant la
présidence d’Ernesto Samper Pizano (1994-1998), par exemple. En effet, un certain
nombre de preuves démontrant le financement de sa campagne présidentielle de 1994
par le narcotrafic ont été présentées. Malgré les accusations contre le président, ce
dernier n’a jamais eu à s'expliquer devant la justice et en conséquence l’image du
gouvernement et des partis politiques en général en est restée assez négative.
84
Jaime ANGULO BOSSA, op.cit.
Holman MORRIS, “Séptima papeleta y Constituyente de 1991”. Programa Contravía, julio 4 de 2005.
Adresse URL http://www.youtube.com/watch?v=Z1CgzPNhSgI&feature=relmfu
85
46
Selon Mauricio Uribe, la situation du président Samper est le reflet d’une vision
fortement particulariste – c’est-à-dire, opposée à l’idée de valeurs collectives – qui a été
incrusté dans le cœur de l’État depuis toujours. Au lieu de défendre l’intérêt commun,
les gouvernements ont donné des exemptions tributaires à certains groupes d’intérêt.
Dans ce sens-là, l’ouverture politique de 1991 n’a pas réussi la terminaison de la
cooptation étatique. Tout au contraire, cette cooptation s’est étendue aux groupes armés
illégaux86.
Ensuite, l’arrivée d’Andrés Pastrana Arango à la présidence en 1998 et son
échec dans sa tentative d'en finir avec le conflit interne par la négociation avec les
groupes armés illégaux, a supprimé le peu de confiance des citoyens et a favorisé
l’absence de communication entre les représentants et les électeurs.
Par rapport à la structure administrative des partis politiques il faut ajouter que la
modification introduite par la Constitution de 1991 a joué un rôle important dans la
délégitimisation partisane. L’article 107 constitutionnelle stipule :
Se garantiza a todos los nacionales el derecho a fundar, organizar y desarrollar partidos y
movimientos políticos, y la libertad de afiliarse a ellos o de retirarse.
También se garantiza a las organizaciones sociales el derecho a manifestarse y a participar en
eventos políticos.
Ainsi, la nouvelle Constitution a ouvert une porte pour la création de nouvelles
forces politiques grâce à l’absence de plusieurs conditions pour former des
organisations politiques. L’intention de cet article constitutionnel était alors l’ouverture
des espaces de discussion et de débat afin d’en finir avec les exclusions politiques et
sociales imposées par le bipartisme des années précédentes. Néanmoins, il y a eu une
prolifération énorme de mouvements et de groupements politiques à tel point que la
population n’a pas trouvé une vraie représentation de ses intérêts.
Les acteurs politiques ont commencé à développer des leaderships personnels
sans avoir besoin de passer par un parti politique. Cela a produit l’émergence de petites
forces avec une quantité de votes très basse, c'est-à-dire sans beaucoup de
représentativité politique. Les partis politiques se sont ainsi affaiblis à cause de la
facilité d’accéder à un siège au Congrès sans avoir besoin d’un parti traditionnel87. D’où
une réforme politique pour instituer une certaine discipline partisane. Ainsi, le Congrès
86
Mauricio URIBE, “Colombia y Venezuela: ¿democracias delegativas o autoritarismos competitivos?”,
Nueva Sociedad, no 227, 2010, p.27.
87
« Reforma política de 2003 », Congreso Visible, Universidad de los Andes. Adresse URL
http://www.congresovisible.org/democracia/reformas/2003/
47
a approuvé l’acte législatif No. 3 de 2003 qui a inséré dans le système électoral des
concepts comme seuil, liste unique ou vote préférentiel.
Le résultat le plus important de la réforme a été la réduction des partis et des
mouvements politiques : en 2002 plus de 60 organisations politiques se sont présentées
pour les élections législatives – signe d’un système fractionné – tandis que 20
organisations se sont présentées pour les mêmes élections en 200688.
Malgré cette avancée dans le système électoral, il est évident qu’il existe encore
une vraie distance entre les représentants politiques colombiens et leur électorat.
Cet état de fait a permis que certains leaders, en dehors des partis traditionnels,
aient plus de force électorale, comme c’est le cas du président Uribe, qui est arrivé au
pouvoir au milieu d’une crise sociale (générée par le conflit armé), économique (le pays
avait fait face à une grave récession financière) et, par conséquent, institutionnelle.
Álvaro Uribe avait l’air d’être l’homme de la situation pour diriger d'une main de fer et
d'un grand cœur (devise de sa campagne) le destin de la Colombie.
2.1.4 Tradition présidentialiste en Colombie
Comme c’est le cas de tous les pays d’Amérique latine, la Colombie a choisi le régime
présidentiel depuis l’indépendance, car ce type de régime paraissait être le plus moderne
et le plus cohérent pour les nations naissantes, reproduisant ainsi le modèle des ÉtatsUnis.
En effet, les Nord-Américains avaient créé ce régime afin de construire un
gouvernement de pouvoirs limités pour éviter l’émergence de l’ancien pouvoir
despotique et illimité des colonisateurs. Grâce à la Constitution de Philadelphie ont été
établis certains principes comme le gouvernement représentatif, la séparation des
pouvoirs, l’exigence de responsabilité politique et l’indépendance judiciaire89.
À partir de ces principes, les élites latino-américaines ont décidé d’adopter le
modèle mentionné afin de trouver dans le président un personnage idéal pour
reconstruire des pays fragmentés aussi bien par les luttes indépendantistes que par les
problèmes internes. Selon Mario Castillo Freyre, le président représentait le
88
Marcela PRIETO, « Reforma política y reelección », Instituto de Ciencia Política Hernán Echavarría
Olózaga, 2009. p. 1-59. Adresse URL
http://www.icpcolombia.org/archivos/reflexiones/reforma_politica_y_reeleccion.pdf
89
Horst DIPPEL, “Constitucionalismo moderno. Introducción a una historia que necesita ser escrita”.
Historia constitucional (revue électronique), (6), 2005, p.184.
48
remplacement de la figure des vice-rois et des capitaines généraux qui étaient les seuls
modèles d’autorité que les Américains aient connus jusqu’à cette époque90.
Il y avait alors une contradiction entre les idées républicaines et la tradition
d’une autorité forte et despotique. C’est à partir de cette contradiction que les élites ont
construit leur propre système présidentiel, où l’efficacité des décisions sur le contrôle du
pouvoir présidentiel est favorisée. Cette décision a écarté le système présidentiel
classique du système latino-américain y compris, bien sûr, du système colombien.
Selon Mainwaring la culture, l’histoire et la structure sociale déterminent aussi
les différences entre les deux types de régimes politiques91. De cette façon, la culture
colombienne a préféré l’efficacité des décisions aux principes d’équilibre des pouvoirs,
donnant ainsi naissance à deux tendances qui existent encore aujourd’hui dans la plupart
des pays de la région : le paternalisme politique, qui renforce le mythe du « gouvernant
protecteur »92, et le clientélisme, qui est un élément ajouté par Guillermo O’Donnell
comme une caractéristique de notre culture, et, plutôt, comme une institution latinoaméricaine93.
Par rapport au paternalisme politique, il faut ajouter qu’il ne s’agit pas d’un
terme strictement académique. Pourtant, il est devenu un trait assez important pour
expliquer le système politique colombien. Jean-Marie Donegani le définit comme :
… une attitude du pouvoir, à la fois bienveillante et autoritaire, qui consiste à imposer une
domination sous couvert de protection désintéressée. Il s’agit de faire le bien d’autrui,
éventuellement contre son gré, en lui déniant les capacités cognitives ou morales nécessaires à
la poursuite et l’obtention de ce bien. Il s’agit donc d’abord d’une relation asymétrique dans
laquelle à la surveillance de l’un, disposant de la sagesse et du pouvoir, répond la dépendance
de l’autre, supposément dépourvu de la capacité à être un sujet libre et conscient 94.
L’idée de protéger les gens d’eux-mêmes semble incompatible avec les principes
de liberté et d’autonomie proclamés par nos constitutions politiques. Cependant, la
citoyenneté colombienne n’a pas été assez forte pour sortir de l’idée de préférer un père
protecteur à un leader politique respectueux des règles démocratiques.
90
Mario CASTILLO FREYRE, « Delimitación conceptual del presidencialismo » in Todos los poderes
del presidente: ética y derecho en el ejercicio de la presidencia, Lima, Fondo Editorial de la Pontifica
Universidad Católica de Perú, Biblioteca de Derecho Político (Vol. 4), 1997, p. 4.
91
Ismael CRESPO et Antonia MARTÍNEZ, « La forma de gobierno en México: presidencialismo versus
parlamentarismo », Polis: Investigación y Análisis Sociopolítico y Psicosocial, Red de Revistas
Científicas de América Latina y el Caribe, España y Portugal, Universidad Autónoma Metropolitana –
Iztapalapa, Distrito Federal, México, número extraordinario, 2002, p. 75.
92
Jacques LAMBERT, Amérique Latine. Structures sociales et institutions politiques, Paris, Presses
universitaires de France, 1963, p.191.
93
Guillermo O´DONNELL, “Otra institucionalización”, Política y Gobierno, 2, (2), 1996, p.224.
94
Jean-Marie DONEGANI, « Le paternalisme, maladie sénile du libéralisme ? » Presses de Sciences Po,
Raisons politiques 4, No. 44, 2011, p.5.
49
Finalement, nous pouvons affirmer que la pratique politique a fait du président la
figure clé du travail politique. Dans le cas colombien, le président avait le pouvoir de
nommer à son gré l’intégralité de son cabinet ministériel, des hauts fonctionnaires, des
gouverneurs et des maires. Et il pouvait aussi avoir une incidence sur les nominations de
presque tous les salariés du public. Il utilisait des outils d’intervention économique à
travers diverses institutions comme la Junta Monetaria, par exemple95.
Cette tradition présidentialiste dans le pays n’a pas provoqué de réélections sauf
quelques périodes très courtes dans l’histoire du pays. Dans ce sens, la Colombie a suivi
le même parcours que les pays de la région : dans un premier moment, la méfiance face
aux excès du gouvernement a produit une interdiction radicale de la réélection ; dans un
second moment, la consolidation de la transition à la démocratie des années 80 a
modifié l’idée initiale et a favorisé le changement dans la durée des mandants
présidentiels.
2.1.5 La discussion sur le continuisme
Pendant la dernière décennie les constitutions latino-américaines ont été modifiées afin
d’inclure la possibilité de la réélection immédiate pour les présidents. La Colombie,
bien sûr, n’est pas une exception. Cette modification implique un changement assez
important dans le fonctionnement de la démocratie et, surtout, dans la structure
d’équilibre des pouvoirs publics si les Constitutions n’introduisent pas les ajustements
nécessaires pour garantir cet équilibre à partir de nouvelles règles de jeu.
La discussion sur le continuisme présidentiel a été présente tout au long de
l’histoire en Amérique latine, en Colombie comme dans les autres pays. En fait, toutes
les Constitutions rédigées après l’indépendance montraient une méfiance face au
continuisme. Bolívar même déclarait dans le discours d’Angostura (1819) : « La
continuité d’un même individu (au pouvoir) a été fréquemment la fin des gouvernements
démocratiques »96.
De la même manière, Jacques Lambert écrivait en 1963 :
Les régimes latino-américains ne tentent pas de modérer l’autorité présidentielle par la
séparation des pouvoirs, mais, par contre, ils s’attachent très énergiquement à préserver le
caractère démocratique des régimes et à prévenir la transformation de la prépondérance
95
Humberto DE LA CALLE, « Reforma electoral en Colombia », Biblioteca Jurídica Virtual del Instituto
de Investigaciones Jurídicas de la UNAM, Adresse URL www.bibliojuridica.org/libros/6/2527/11.pdf.
96
J. F. BLANCO, y R. AZPURUA, en Hubert GOURDON, « Continuismo et présidentialisme
constituant dans les États andins », Document présenté dans le cours Droit Constitutionnel Comparé à
l’Institut des Hautes Études de L’Amérique latine, second semestre, 2012, p.1
50
présidentielle en dictature en imposant de façon rigide un caractère très temporaire au mandat
du président. Dans ce sens, le régime méritait le nom de monocratie temporaire 97.
On peut donc voir un désir de la part des premiers constituants d’utiliser des
outils qui empêchent la possibilité d’abus de pouvoir des gouvernants. Cependant la
stratégie d’interdire la réélection n’était pas suffisante puisqu'elle était construite sur une
base assez simple : le contrôle du nombre de mandats présidentiels et de leur durée,
montrant une sorte de mathématique rudimentaire98, incapable de garantir par ellemême le respect pour l’équilibre de pouvoirs.
Néanmoins l’effort pour introduire certaines clauses de contrôle présidentiel est
méritoire, surtout dans les pays à tradition notoirement présidentialiste comme la
Colombie. Dans ce cas, par exemple, la Constitution de 1991 était précise à ce sujet.
L’article 197 signalait le point suivant : « ne peut être élu président le citoyen qui, à
quel que titre que ce soit, aurait exercé la présidence ».
Cette interdiction radicale voulait surmonter une tradition politique antérieure
qui avait permis à l’autoritarisme de prévaloir et qui voulait que les partis politiques
répondent seulement aux intérêts politiques et économiques particuliers.
Ainsi, la Constitution de 1991 a empêché – au moins au niveau théorique –
l’émergence de deux problèmes liés au débat du continuisme : la tendance à « l’hyperprésidentialisme » latino-américain et la logique perverse du « président candidat »99.
Selon François Serres il y a d’autres arguments plus « pragmatiques » qui
justifient l’interdiction de la réélection dans la région comme par exemple,
les
expériences négatives par rapport aux présidents qui ont exercé un second mandant. Si
l’on réfléchit sur le cas colombien il est possible de trouver le cas d’Alfonso López
Pumarejo, président de la République entre 1934 et 1938 et réélu en 1942 grâce aux
résultats positifs de son premier gouvernement. Malgré l’enthousiasme populaire, le
président López a été forcé à démissionner avant la fin de son mandant à cause d’une
crise institutionnelle accompagnée du soulèvement de quelques secteurs de la société et
de la conspiration de l’opposition politique100.
97
Jacques LAMBERT, op. cit., p.22
Hubert GOURDON, op.cit., p.1
99
François SERRES, “La réélection présidentielle en Colombie, dans le contexte latino-américain”,
Visages d’Amérique latine, No. 4, 2006, p.69-70.
100
Daniel PÉCAUT, Orden y violencia, op.cit., p.352.
98
51
Ces arguments semblent n’avoir plus d’écho dans les nouvelles constitutions
latino-américaines à cause de l’inclusion de la réélection immédiate. Ainsi, presque la
moitié des pays de la région a introduit cette modification101.
Alors, une question s’impose : le changement constitutionnel en faveur de la
réélection est-il le reflet de la consolidation de la démocratie qui a surmonté finalement
les menaces du passé ou, tout au contraire, représente-il un risque pour la démocratie
même ?
Pour certains auteurs la motivation de l’Amérique latine pour introduire la
possibilité de continuer avec le même président pour plus d’une période est liée avec
l’idée suivante :
… maintenant que la démocratie est solidement implantée et a fait preuve de sa solidité sur le
continent, il n’y a plus de raison de fond pour refuser aux régimes latino-américains une
pratique courante dans les autres régions du monde aussi bien dans les régimes
parlementaires (Grande Bretagne, Allemagne, Espagne, pays scandinaves) que dans les
régimes semi présidentiels (France) ou présidentiels (Etats-Unis)102.
De plus, la réélection permet la continuation d’un leadership quand celui-ci a été
effectif. Ainsi, le gouvernement est réélu ou non selon la volonté démocratique de la
population, laquelle a un rapport proportionnel avec la accountability du président face
à l’électorat103.
Il faut vérifier aussi l’exercice du pouvoir présidentiel dans chaque pays parce
que tous les présidents n’ont pas la même capacité de prendre des décisions ou
d’exécuter leur projet politique. Dans le cas colombien par exemple, le président doit
toujours négocier avec les forces législatives, lesquelles ont été souvent contraires au
désir politique du président, soit à cause de l’existence des intérêts particuliers de
chaque partie, soit à cause de l’absence de points communs au niveau idéologique ou
politique.
C’est la raison pour laquelle la plupart des présidents colombiens ont utilisé les
décrets d’urgence comme façon de gouverner afin d’éviter les obstacles législatifs104.
Cette tendance a diminué de manière significative à partir de la Constitution de 1991 qui
prévoit que la Cour Constitutionnelle doit vérifier la validité des décrets d’urgence.
101
John M. CAREY, “¿hybris institucional? reelección presidencial en América Latina”, EGOB Revista
de Asuntos Públicos, Universidad de los Andes, 2009, p.25.
102
François SERRES, op. cit., p.72.
103
John M. CAREY, op. cit., p.26.
104
Rodrigo UPRIMNY, César RODRÍGUEZ-GARAVITO et Mauricio GARCÍA, ¿Justicia para todos?:
sistema judicial, derechos sociales y democracia en Colombia, Bogotá, Grupo Editorial Norma, 2006,
p.242.
52
Ainsi, le gouvernement a des limites tant juridiques que politiques dans l’exercice de
son pouvoir, ce qui réduit l’impact négatif que la réélection puisse avoir par elle-même.
La vraie question est donc comment s’est développé le processus de réforme
constitutionnelle afin d’inclure la réélection : si ce changement est partie d’un processus
de négociation avec l’opposition, la réforme a un air de permanence et de solidité
constitutionnelle et institutionnelle ; par contre, lorsqu’elle est le résultat de processus
plébiscitaires sous le masque de la volonté populaire révélée, il faut observer le
phénomène avec plus de prudence105. Il faut reconnaître alors que la réélection est
simplement un outil qui peut être utilisé selon les besoins et les intérêts de chaque
gouvernant ou de chaque population.
2.1.6 Le populisme en Colombie
Aujourd’hui il existe beaucoup de discussions par rapport à l’existence du populisme en
Amérique latine. Certains auteurs affirment que nous sommes face à une renaissance du
phénomène qui, par contre, présente deux différences importantes par comparaison avec
le populisme classique des années cinquante : la base populaire qui est formée par des
membres de l’économie informelle et non par les classes ouvrières et la mise en œuvre
de politiques néolibérales en remplacement du modèle de substitution d’importations106.
Ainsi, certains académiciens ont décidé de nommer cette mutation "néo-populisme".
Peu importe le nom qu’on donne, il est vrai que certaines caractéristiques sont
partagées par le populisme classique et par le populisme de nos jours. Pour Susanne
Gratius, le populisme – dans lequel on peut inclure le néo-populisme – représente une
des étapes de construction de la démocratie en Amérique latine. Il se trouve dans une
« zone grise », c'est-à-dire dans l’espace entre la démocratie et l’autoritarisme, car il
produit des fissures dans le système politique mais sans le rompre ou le détruire
complètement107.
Le populisme a donc cinq caractéristiques principales : 1) l’absence d’une
idéologie et/ou d’un programme politique ; 2) une relation directe entre le leader et le
peuple à travers une structure verticale de pouvoir ; 3) l’arrivée au pouvoir d’un outsider
qui a un discours anti-oligarchique ; 4) de hauts niveaux de soutien populaire et
105
John M. CAREY, op. cit., p.27.
S. ELLNER, “Hugo Chávez y Alberto Fujimori: Análisis comparativo de dos variantes del
populismo”, Revista Venezolana de Economía y Ciencias Sociales, 10 (1), 2004, p.13.
107
Susan GRATIUS, op.cit., p.2.
106
53
d’inclusion des marginalisés ; 5) un affaiblissement des institutions démocratiques et
notamment des poids et contrepoids108.
Il faut dire aussi que le populisme peut venir tant de la gauche que de la droite
politique puisqu’un de ses traits est la capacité de se mélanger à n’importe quel
programme politique ou à n’importe quelle idéologie. La raison en est l’existence d’une
base formée à partir du charisme personnel et de la capacité de donner des réponses
immédiates aux besoins conjoncturels de la population. Elle produit une menace pour
les institutions démocratiques et une propension à la micro-politique qui remplace les
macro-projets109.
Selon Carolina Galindo la Colombie n’a pas de tradition populiste. Les
expériences vécues dans la deuxième moitié du XXe siècle avec Jorge Eliécer Gaitán et
le militaire Gustavo Rojas Pinilla sont des cas isolés dans le panorama général du pays.
Il faut ajouter par contre que cette absence se manifeste seulement au niveau
national puisque les caudillos régionaux – en tant que leaders forts qui utilisent le
clientélisme politique comme moyen de pouvoir – ont été présents tout au long de
l’histoire colombienne.
Ces leaders s’intéressent particulièrement à la permanence de leurs statuts
politique et économique à partir des pratiques corruptives. Celles-ci sont comprises
comme un échange de faveurs contre services dans lesquelles celui qui reçoit la faveur
se transforme en débiteur. La dette sera alors payée à travers le vote110.
Cette situation est à l'origine de bien des difficultés pour construire un projet de
nation. Le manque de leader national qui incarne les valeurs de la société et capable de
donner, par conséquent, une identité au peuple, et la permanence des leaders locaux et
régionaux concernés uniquement par la protection de leurs intérêts particuliers sont
certaines des raisons qui font que les Colombiens n’ont pas encore de mythe fondateur.
On peut ajouter deux raisons additionnelles soulignées par Daniel Pécaut pour
lesquelles le populisme colombien ne s'est pas développé. D’abord, un fort degré de
fragmentation sociale dû aux caractéristiques du territoire, la coexistence de différents
108
Ibid.
J. SANÍN, “Populismo y democracia en la región andina”. En La Región Andina: entre los populismos
y la movilización social, Bogotá: Observatorio Andino, 2003, p.55.
110
Jean RIVELOIS, « Corruption », Définition donnée dans le cours "État et Corruption", à l’Institut des
Hautes Études de l’Amérique Latine, second semestre 2012.
109
54
centres urbains avec une relative importance et la permanence d’innombrables zones
hors du contrôle de l’État. Ensuite, la division partisane héritée de père en fils111.
Par rapport au premier élément, il faut souligner que la géographie colombienne
accidentée a présenté un grand obstacle pour le développement social, économique et
politique du pays. Les montagnes présentes tout au long de la zone occidentale ont
empêché la communication entre les régions, permettant l’émergence de régionalismes
forts. C'est ainsi que certaines villes comme Medellín, Cali, Bucaramanga ou
Barranquilla sont devenues des pôles de développement éloignés de la capitale grâce,
par exemple, à l’exploitation de ressources et au développement de l’industrie textile ou
du tourisme. Le problème de l’écart entre la capitale et les autres territoires se reflète
dans les villages qui n’ont pas la force de travail nécessaire ni les ressources
économiques pour se défendre par eux-mêmes. C'est dans cette absence du
gouvernement central que se logent alors généralement les groupes armés illégaux ou
les caudillos.
Au sujet de la division partisane, les Colombiens ont vécu une guerre civile dans
les années cinquante à cause des différences entre les deux partis traditionnels. Il faut
ajouter que les différences n’avaient pas un fondement politique solide mais qu'elles
étaient le résultat d’une superposition de deux visions des partis traditionnels par rapport
au social et au politique. Selon Daniel Pécaut, il y avait une dialectique de « amiennemi » dans laquelle il était impossible de produire des espaces de convergence entre
les adversaires112.
La guerre a été surmontée avec l’instauration du Front National (Frente
Nacional), c’est-à-dire un partenariat entre les deux leaders les plus importants des
partis afin de partager le pouvoir politique. La mise en œuvre de ce pacte est devenue
une cause additionnelle pour empêcher l’émergence de leaders nationaux parce que le
Front National garantissait l’accès au pouvoir aux deux partis traditionnels sans besoin
de faire appel à la légitimité populaire. La répartition du pouvoir exécutif et législatif en
parts égales était garantie par la loi.
Ainsi, l’héritage des divisions est resté dans l’imaginaire collectif des
Colombiens malgré la faiblesse des partis politiques traditionnels après la fin du Front
National et l’émergence des partis et des mouvements politiques ces dernières années.
111
Carolina GALINDO, « Neopulismo en Colombia : el caso del gobierno de Álvaro Uribe Vélez »
Revista Íconos, No. 27, 2007, p.155.
112
Daniel PÉCAUT, y Alberto VALENCIA GUTIÉRREZ Violencia y política en Colombia: elementos
de reflexión, Medellín, Universidad de Valle, Hombre Nuevo, 2003, p.37.
55
L’émergence du populisme en Colombie n’est donc pas du tout un élément
présent tout au long de son histoire. Par contre, l’émergence du président Uribe dans le
contexte politique avec ses forts niveaux de popularité peut nous conduire à penser qu’il
est le premier leader populiste de l’histoire colombienne. Il faut donc approfondir le
profil de l’ex-président.
2.2 Le phénomène Uribe
Le président Álvaro Uribe, élu en 2002, a réussi une modification de l’article 197 de la
Constitution pour obtenir la possibilité d'être réélu en 2006. L’article a été modifié de la
manière suivante : « Aucune personne ne pourra être élue pour occuper la Présidence
de la République pour plus de deux périodes »113.
Cette modification a ouvert le chemin au Président Uribe pour la réélection, et
c'est ainsi qu'il a obtenu une victoire électorale en mai 2006 avec 62 % des votes. Mais
comment peut-on expliquer le phénomène Uribe ? En fait on peut identifier trois
facteurs qui expliquent le soutien de la population.
2.2.1 Justifications de la popularité de l’ex-président Uribe
a) Les résultats favorables au niveau économique pendant son mandat : la récupération
de la confiance des investisseurs dans le pays et l’augmentation de la perception de
sécurité ont réactivé l’économie. Les réussites les plus importantes ont été
l’augmentation d’investissements étrangers, la création de nouvelles entreprises,
l’augmentation du PIB et la diminution du chômage. À partir de cette situation, Uribe a
gagné le soutien des leaders corporatifs ou économiques, facilitant pour le président la
proposition de plusieurs réformes à ce niveau.
b) Les résultats au niveau militaire et sécuritaire : l’échec des négociations avec
la guérilla et l’intensification du conflit ont discrédité la guérilla en tant qu’acteur
politique. De plus, la sortie par le dialogue avait l’air d’être insuffisante puisque les
groupes armés avaient changé leur logique stratégique et le conflit avait commencé à
s’étendre aux grandes villes. Cette perception d’insécurité, même dans les métropoles, a
renforcé la perception du besoin d’un homme fort menant le pays d'une main ferme
pour arrêter le conflit.
113
Nadie podrá ser elegido para ocupar la Presidencia de la República por más de dos períodos.
56
Ainsi, pendant le gouvernement d’Uribe, il y a eu une reprise de l’initiative
militaire. On peut ainsi souligner la récupération de plusieurs zones du territoire
national, théâtre des actions des guérillas. De plus, la création de bataillons de montagne
pour contrôler les voies proches des grandes villes, les escortes militaires pour les
voitures des étrangers, etc., ont été déterminantes pour regagner la confiance des
citoyens.
c) La politique des « conseils communautaires » : Uribe a obtenu des opinions
favorables grâce à un style personnel et de micro-gestion. Avec sa devise de « travailler,
travailler et travailler » Uribe a conquis les cœurs de la classe moyenne et de la classe
populaire surtout du fait qu'il paraissait différent des autres politiques qui volent
beaucoup mais ne travaillent pas beaucoup. De plus, Uribe s’est montré comme un
homme qui n’avait pas peur des face-à-face et qui savait faire des excuses publiques.
Il a créé les « conseils communautaires », se déplaçant dans de nombreux
villages pour écouter les problèmes des communautés et leurs besoins essentiels. Il
trouvait immédiatement des solutions, assignait des ressources, destituait des
fonctionnaires, réclamait des résultats, etc., montrant ainsi sa capacité de leadership.
Selon Carolina Hernández on peut signaler trois caractéristiques de la gestion du
président Uribe : a) un discours d’unité nationale autour de la lutte contre le terrorisme,
b) un style personnel qui montre le président comme un travailleur infatigable dont la
préoccupation la plus importante est le bien-être de la population colombienne, c) un
langage belligérant et provocant qui le rapproche des secteurs populaires114.
Est-ce que ces caractéristiques impliquent que l’ex-président est un populiste ?
Malgré l’existence d’un discours exclusif en termes de « ami-ennemi » et une lutte
apparente contre les structures corruptives traditionnelles, Álvaro Uribe a bénéficié d'un
grand appui des parlementaires et des alliés locaux et régionaux. Ces relations se
fondaient sur les réseaux clientélistes et, par conséquent, il n’existait pas d'écart entre
les leaders traditionnels et le président. De plus, le budget public utilisé dans les
populismes pour favoriser la population la plus marginalisée a été généralement utilisé
pour le financement des campagnes militaires contre les guérillas colombiennes115.
Par rapport à la caractéristique du nationalisme propre aux populismes, Maria
Teresa Uribe affirme que le soutien presque inconditionnel du gouvernement colombien
aux politiques des États-Unis montre un écart assez important de l’idée nationaliste qui
114
115
Carolina GALINDO, op. cit., p.157.
Idem, p.158.
57
empêche la possibilité d’envisager la Colombie comme un pays avec un gouvernant
populiste116. Cependant, l’utilisation du patriotisme dans les discours présidentiels fait
qu'il est difficile d’établir la frontière entre un gouvernement populiste et un
gouvernement démocratique qui utilise quelquefois plusieurs éléments du populisme.
Quelle est donc la différence entre le nationalisme et le patriotisme ?
Selon María Teresa Uribe, les premiers revendiquent des concepts comme
l’ethnie ou le territoire tandis que les derniers font de même avec le sang et les morts
car le patriotisme émerge surtout dans les pays qui ont connu des processus de
décolonisation, qui ont souffert des agressions ou des guerres internationales, ou dans
les pays qui ont subi des guerres civiles117.
Le président Uribe s’est beaucoup servi des symboles patriotiques comme la
main sur le cœur pendant l’intonation de l’hymne national ou l’utilisation des couleurs
du drapeau, afin de transformer sa proposition politique de la seguridad democrática en
un projet national perdurable.
Cependant, la subsistance de contrôles juridiques et de dénonciations sociales
nationales et internationales a empêché cette consolidation. Même le président Juan
Manuel Santos, son successeur actuel et supposé héritier de la politique de sécurité
démocratique a modifié les lignes initiales.
Aussi est-il possible d’affirmer que la Colombie a eu un président populaire
mais pas populiste malgré l’existence de certaines caractéristiques partagées avec les
autres présidents de la région qui font du populisme leur drapeau.
Le niveau de popularité du président Uribe a été ratifié en deux moments
pendant son mandat : d’abord, sa réélection en 2006 grâce à la modification
constitutionnelle de l´article 197 ; ensuite, l’initiative législative populaire qui voulait
changer la Constitution une fois de plus afin de garantir la possibilité d’une deuxième
réélection.
La première démonstration de soutien populaire a réussi son objectif initial
tandis que la deuxième a échoué. ¿ Quels éléments ont marqué la différence entre les
deux processus ? Arrêtons-nous pour expliquer le parcours de la première réélection.
116
María Teresa URIBE HINCAPIÉ, “El republicanismo patriótico” en Reelección: el embrujo continúa
Plataforma Colombiana de Derechos Humanos, Democracia y Desarrollo, 2004, p.14.
117
Idem, p.20.
58
2.2.2 Première réélection du président Uribe
En 2003, une première tentative de proposition de réélection consécutive a eu lieu, mais
celle-ci n’a pas eu d’écho au Congrès. Cependant, en janvier 2004 Noemí Sanín,
l’ambassadrice colombienne en Espagne à l’époque, a déclaré le besoin d’ouvrir le
débat au sujet de la réélection.
Néanmoins, le 15 de mars 2004 la coalition du gouvernement présente devant le
Sénat de la République le projet de réforme pour réélire le Président et le Vice-président
pour la période immédiatement suivante. Cette fois, l’ambiance politique était plus
favorable à la proposition parce que certaines personnalités de la vie publique
colombienne se sont manifestées en faveur de la réélection ; parmi elles, Noemí
Sanín118.
Le projet est finalement approuvé en novembre 2004 et il constitue l’Acte
Législatif 02. Avec cet acte la réélection immédiate est constituée. Spécifiquement,
l’article 2 de l’Acte législatif a reformé l’article 197 de la Constitution comme suit
« Personne ne pourra être élue pour occuper la présidence de la république pour plus de
deux périodes ».
L’Acte Législatif a été soumis à la révision de la Cour Constitutionnelle. La
Cour a déclaré la nouvelle loi libre de tout vice de procédure, donnant donc le feu vert à
la réélection. Pourtant, elle a fait appel à la construction d’une loi de garantie pour
ajuster tous les processus liés à l’équilibre des pouvoirs.
En novembre 2004, le Congrès a créé la loi 996 connue sous le nom de « loi de
garantie électorale ». La critique la plus forte à cette loi est l’absence d’une régulation
au sujet de l’élection des autres fonctionnaires du pouvoir judiciaire qui est touchée par
la réélection présidentielle et qui permet une intervention très forte de l’exécutif sur les
autres pouvoirs119. Pourtant, le président Uribe est élu une deuxième fois avec 62 % des
voix.
Grâce à cette modification constitutionnelle, les conditions politiques ont
changé, non seulement pour le président Uribe, mais pour les présidents qui seraient
élus dans l’avenir, constituant ainsi un changement important dans les rapports entre
gouvernants et gouvernés et aussi entre les différents pouvoirs publics.
118
Eduardo POSADA CARBÓ, “Colombia ante la reforma que permite la reelección presidencial” Real
Instituto Elcano. ARI No. 11, 2005, p.2
119
Marcela PRIETO (ed.) « El equilibrio de poderes ante la reelección en Colombia », Instituto de
Ciencia Política Hernán Echavarría Olózaga, 2010, p. 28. Adresse URL
www.icpcolombia.org/.../equilibrio_de_poderes_y_reeleccion.pdf.
59
2.2.3 Les modifications dans l’exercice du pouvoir à court et long terme
a) À court terme : Selon le schéma de fonctionnement de l’État colombien, l’incidence
du président dans la nomination de certains postes des pouvoirs exécutifs et judiciaires
peut être de forme directe ou indirecte. Dans le cas d’une incidence directe, la
Constitution de 1991 a établi l’intervention du président dans les élections suivantes à
travers l’envoi de sa propre terna120 :

Magistrats de la Cour Constitutionnelle

Magistrats de la salle de discipline du Conseil Supérieur de la Judicature

Procureur Général de la Nation

Procureur Général de la République

Défenseur de la Population

Assemblée directrice de la Banque de la République

Commission Nationale de Télévision
De même, le président peut désigner les hauts fonctionnaires comme directeurs
de départements administratifs et présidents, directeurs ou gérants des établissements
publics. (Constitution Politique de Colombie, 1991. Titre V).
À partir de la réforme politique de 2004, quelques règles électorales donnent
l’opportunité au président de contrôler davantage l’élection des fonctionnaires des
pouvoirs différents de l’exécutif.
Premièrement, il existe une ingérence de la part du président dans le pouvoir
judiciaire : pour la Cour Constitutionnelle, le président a eu l’opportunité de choisir trois
des magistrats pendant les huit ans de mandat et d’exercer son mandat parallèlement à
ces magistrats, situation inconnue jusqu'alors. De plus, sept des magistrats de la Salle de
Discipline de la Judicature ont été nommés par le président, montrant ainsi que deux
mandats consécutifs confèrent la possibilité d’avoir plus d’alliés dans les endroits où
existe un contrôle du pouvoir présidentiel.
Quant à l’élection du procureur, il faut savoir que cette figure permet aussi la
réélection. L’équilibre des pouvoirs serait affecté puisque l’exercice d’un poste qui fait
le suivi du comportement des hauts fonctionnaires publics, ne devrait pas coïncider avec
le mandat du président qui les a désignés. Les possibilités de faire un suivi objectif des
membres du parti du président pourraient s'en trouver réduites de manière importante.
120
Groupe de trois personnes parmi lesquelles on doit en choisir une pour prendre un poste.
60
Il en est de même pour le Défenseur de la Population. En effet, Vólmar Pérez
occupe ce poste depuis 2004 grâce aux ternas proposées par les deux gouvernements
d’Uribe. Cette situation pourrait nuire à l’objectivité de son travail de Défenseur, c’està-dire à la garantie des droits humains, car son travail peut dépendre de pressions
politiques de la part du gouvernement121.
D’autre part, la réélection consécutive laisse au président un nombre plus
important de nominations des membres de l’Assemblée de la Banque Centrale et
finalement, la réforme permet aussi que cinq des neuf membres de la Commission
Nationale de Télévision soient choisis par le président réélu.
C’est pourquoi l’inclusion de nouveaux contrôles constitutionnels au pouvoir de
nomination présidentiel est fondamentale, car les postes qu’il désigne sont stratégiques
pour développer un contrôle efficace sur les excès possibles et sur sa propre ingérence
par rapport aux autres pouvoirs.
b) À long terme : d’après le chercheur Eduardo Posada Carbó122, la réforme peut
avoir plusieurs effets. Le premier d’entre eux, la transformation des temps de la
démocratie au moment d’ouvrir l’option d’avoir des gouvernements de huit ans. Selon
cet auteur, cette nouvelle option produit une grande continuité des politiques publiques
mais, en même temps, peut provoquer une sorte de rigidité institutionnelle du fait
d’empêcher le changement de gouvernement pendant cette période.
Le deuxième effet de la réforme est le déséquilibre déjà mentionné entre les
pouvoirs publics en consolidant le pouvoir exécutif sur les autres. De la même manière
ce pouvoir peut changer la conduite des actes du gouvernement central : pour les
opposants à la réforme, la réélection stimule l’augmentation des dépenses publiques afin
de faire campagne électorale pendant le premier mandat. Les défenseurs de la réforme
argumentent que c’est l’occasion pour les électeurs de demander une reddition de
comptes.
Un nouvel effet souligné par Posada Carbó est le fait que le financement public
pour les campagnes électorales tiendra, avec le temps, une grande importance puisque la
réforme stipule « le financement de prépondérance étatique » afin de garantir l’égalité
parmi les candidats et d'éviter aussi quelques financements de groupes illégaux.
Finalement, les ex-présidents obtiendront probablement un premier rôle à partir
de la possibilité d’être réélus dans l’avenir. Il déterminera aussi la nécessité de montrer
121
122
Marcela PRIETO, “El equilibrio de poderes…” op. cit., p.19.
Eduardo POSADA CARBÓ, op. cit., p. 3.
61
une image solide et inattaquable après le mandat, en transformant en quelque sorte le
type de leadership du pays.
La décision de la Cour Constitutionnelle de déclarer la conformité de la réforme
constitutionnelle a l’air d’ignorer ces risques. Cependant il faut ajouter que la
Constitution donne un pouvoir limité de vérification à la Cour dans l’article 241 qui
affirme : « à la Cour Constitutionnelle est confiée la garde de l’intégrité et de la
suprématie de la Constitution, dans les termes stricts et précis de cet article. Avec ce
but, elle accomplira les fonctions suivantes :
2. décider sur les actions d’inconstitutionnalité promues par les citoyens contre
les actes de réforme de la Constitution, uniquement pour les vices de procédure dans sa
formation ».
Dans le cas de l’acte législatif No. 2 2004, la Cour a répondu aux demandes
d’inconstitutionnalité interposées par quelques citoyens à travers l’arrêt 1040 de 2005,
dans laquelle aucun argument juridique ou politique n'a reçu d’acceptation de la part de
la Cour.
Par rapport aux vices de procédure dénoncés, comme l’absence de débat de
l’acte ou l’irrespect des principes de pluralisme politique à cause de la non-participation
de l’opposition politique et de la citoyenneté, la Cour s’est montrée contraire à la vision
des demandeurs et favorable aux décisions prises par le Congrès de la République.
De la même façon, la Cour a analysé les dits « vices de compétences », un
concept créé par la jurisprudence de la Cour même qui rend possible la vérification du
contenu des lois et des actes législatifs pour déterminer si la personne qui exerce le
pouvoir de modifier la Constitution a outrepassé les limites de sa compétence.
Selon la Cour Constitutionnelle : « Cuando la Constitución adjudica a la Corte
el control de los vicios de procedimiento en la formación de una reforma constitucional
no sólo le atribuye el conocimiento de la regularidad del trámite como tal, sino que
también le confiere la facultad de examinar si el Constituyente derivado, al ejercer el
poder de reforma, incurrió o no en un vicio de competencia »123.
À partir de cette création controversée, la Cour a vérifié ces dernières années
certains aspects matériels des décisions législatives et elle a déclaré la non-conformité
des lois. C'est le cas, par exemple, de l’arrêt 141 de 2010 qui a déclaré inexequible124 la
123
124
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p. 33.
Terme espagnol qui se réfère à la non-conformité des lois colombiennes.
62
loi 1354 mettant en place le référendum en faveur d’une deuxième réélection
présidentielle.
Par rapport à l’acte No. 2 2004 la Cour a manifesté, par contre, que la réélection
présidentielle pour une seule fois est une réforme constitutionnelle qui ne substitue pas
la Constitution si la modification est accompagnée par une loi statutaire pour garantir
les droits de l’opposition et l’équité dans la campagne présidentielle125.
Le Congrès a créé alors la loi 996 de 2006 dite ley de garantías electorales afin
de respecter la condition imposée par la Cour Constitutionnelle. De cette façon, la
première réélection du président Uribe est devenue une réalité et la relation entre le
président de l’époque et le pouvoir judiciaire a commencé à changer de manière
positive.
2.2.4 Le président Uribe et le pouvoir judiciaire
Selon Sebastián Rubiano, la relation entre la Cour Constitutionnelle et le président a
connu trois moments : le premier a été caractérisé par une attaque directe de la part du
président à travers la proposition de réformes de réduction de la portée du pouvoir
judiciaire. Pendant cette période, la Cour Constitutionnelle avait déclaré la nonconformité de décrets présidentiels qui voulaient établir l’état d’exception en justifiant
un état de « commotion intérieure »126. C'est ainsi que les relations se sont tendues.
Le deuxième moment correspond à une transition positive de proximité relative
à cause de la nécessité pour le président de garantir l’approbation de sa réélection. Cette
étape a permis le troisième moment lorsque le gouvernement a eu une incidence dans la
nomination des magistrats de la Cour en renouvelant l’institution127.
La déclaration de conformité de la réforme constitutionnelle rendant possible la
réélection
présidentielle
a
beaucoup
amélioré
les
relations
entre
la
Cour
Constitutionnelle et le président. Les rapports conflictuels seraient alors circonscrits au
président et à la Cour Suprême de Justice.
125
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p. 3.
L’état de "conmotion intérieure" est défini par l’article 213 constitutionnel de la maniere suivante: “En
caso de grave perturbación del orden público que atente de manera inminente contra la estabilidad
institucional, la seguridad del Estado, o la convivencia ciudadana, y que no pueda ser conjurada
mediante el uso de las atribuciones ordinarias de las autoridades de Policía, el Presidente de la
República, con la firma de todos los ministros, podrá declarar el Estado de Conmoción Interior, en toda
la República o parte de ella, por término no mayor de noventa días, prorrogable hasta por dos períodos
iguales, el segundo de los cuales requiere concepto previo y favorable del Senado de la República”.
127
Carolina GUEVARA, “Independencia judicial. El caso de la Corte Suprema de Justicia Colombiana”,
Revista de Derecho No. 35, 2011, p.163-164.
126
63
La première tension entre les deux factions a été déclenchée par le scandale de la
parapolítica, en 2006, avec la découverte des liens politiques et économiques entre
quelques parlementaires et les groupes armés illégaux ou paramilitaires. La Cour
Suprême a été radicale quant à l’enquête: peu importaient les liens entre les
parlementaires soupçonnés et le président Uribe. Ce dernier voulait déclarer comme
délits politiques les actions commises par les groupes paramilitaires. De son côté, la
Cour Suprême a déclaré :
Debido a que los hechos delictivos cometidos por cuenta o en nombre de los paramilitares no
fueron ejecutados con el propósito de atentar contra el régimen constitucional y legal vigente,
con denunciado apoyo de importantes sectores institucionales y procurando obtener beneficios
particulares, pretender que una norma identifique como delito político conductas claramente
señaladas como delitos comunes resulta contrario a la Constitución vigente, desconoce la
jurisprudencia nacional y contradice la totalidad de la doctrina nacional y extranjera (CSJ,
2007, p. 21)128.
En 2008 un nouveau round a commencé avec l’intrusion du président dans le cas
de son cousin Mario Uribe soupçonné précisément d'avoir trempé dans ce scandale.
L'intrusion du président avait consisté dans sa pression exercée sur l'un des membres de
la Cour pour connaître l’état de l’enquête.
La même année, un autre scandale avait lieu : la yidispolitica. La Cour a décidé
de condamner la parlementaire Yidis Medina à cause de sa déclaration d’avoir vendu
son vote au Congrès pour approuver la réforme de la réélection. Selon Carolina
Guevara, pour le gouvernement les implications politiques ont été importantes en termes
de perte de légitimation de la réélection du président. Pour la Cour Suprême le coût de
sa décision a été une campagne visant à discréditer de la part du gouvernement129.
Après cette situation peu claire dans la politique colombienne, on a vécu l'un des
chapitres les plus difficiles du pays quant au manque de respect des principes de la
démocratie : les écoutes téléphoniques illégales, dites « chuzadas » en espagnol.
En février 2009 l’hebdomadaire colombien SEMANA a fait connaître une
enquête qu’il avait commencé six mois avant sur les écoutes téléphoniques et les
courriers électroniques de la part du Département Administratif de Sécurité (DAS) aux
Magistrats de la Cour Suprême de Justice, à des journalistes, à des hommes politiques
d’opposition, à des procureurs et même à quelques membres importants du
gouvernement du président de l’époque, Alvaro Uribe.
128
129
Javier REVELO-REBOLLEDO, op.cit., p.82.
Carolina GUEVARA, op. cit., p.167.
64
Plusieurs membres du gouvernement ont intercepté ces communications avec
l’intention de « contrôler » les menaces possibles contre le président. Selon le
témoignage d’un détective qui travaille à la sous-direction des opérations du DAS, cette
organisation identifiait des cibles « légitimes » qui devaient être suivies130.
Le cas du magistrat auxiliaire de la Cour Suprême, Iván Velásquez, montre
l’envergure du problème, puisque les documents collectés par l’hebdomadaire prouvent
l’interception de 1.900 appels dans lesquels Velásquez parlait d’issues clés comme la loi
de justice et de paix qui cherche à donner un cadre légal à la démobilisation des groupes
paramilitaires dans le pays131.
Ainsi a été mise en évidence l’intrusion du pouvoir exécutif sur le pouvoir
judiciaire pendant le mandat du président Uribe, ce qui était une attaque à quelques
éléments fondamentaux de la démocratie colombienne comme la liberté d’expression et
le respect pour la différence et pour l’équilibre de pouvoirs.
Ce récit historique rend possible alors une compréhension plus complète de la
force politique de la Cour Constitutionnelle. Pour certains auteurs, cela se traduit dans
un gouvernement des juges ; pour d’autres, il s’agit d’une avancée démocratique grâce à
la politisation du monde judicaire. Qui a raison ? On développera cette discussion dans
la partie finale de ce travail.
130
« El DAS sigue grabando », Revista Semana, 21 de febrero de 2009. Adresse URL
http://www.semana.com/nacion/das-sigue-grabando/120991-3.aspx
131
« La cacería del DAS al magistrado », Revista Semana, Adresse URL
http://www.semana.com/photos/1399/ImgArticulo_T2_59964_2009221_112037.jpg
65
3. La Cour Constitutionnelle comme un acteur politique
Cette dernière partie est dédiée à l’analyse de la Cour Constitutionnelle en tant
qu’acteur politique plus que comme acteur juridique ou judiciaire dans le système
colombien. Ce nouveau rôle fait partie des enjeux politiques et juridiques de la région ;
il y est présent grâce à l’existence des conditions politiques et sociales similaires et des
solutions compatibles avec notre contexte particulier. Ces solutions peuvent cependant
entraîner plusieurs risques pour la démocratie. On montrera que ces risques peuvent être
évités s’il existe une citoyenneté engagée avec la défense des principes constitutionnels.
3.1 Le rôle de la Cour Constitutionnelle colombienne dans l’élaboration des
politiques publiques.
Le travail de la Cour Constitutionnelle colombienne pendant ces dernières années est,
au moins en termes numériques, étonnante : dans une période de onze ans, elle a adopté
9.942 décisions, huit fois plus que la Cour Suprême pendant sa période la plus active132.
Le moyen le plus efficace de l’action judiciaire de la Cour est, certes, la tutela en
tant qu’outil de défense des droits fondamentaux. La facilité avec laquelle on se sert de
ce mécanisme a permis de renforcer le lien entre la citoyenneté et la Cour
Constitutionnelle. Ainsi, les tutelas ont augmenté d’un 48% depuis 1998. Deux raisons
semblent expliquer cette croissance durant cette époque : tout abord l’idée que la
protection des droits fondamentaux peut modifier la vie quotidienne faite des conflits et,
ensuite, la récession économique de la fin des années 90 qui a provoqué une
mobilisation massive pour défendre des droits comme la pension, la retraite et des
salaries dignes.
Il faut ajouter que cet activisme ne se traduit pas nécessairement par un soutien
inconditionnel de la Cour par rapport aux demandeurs, puisque seuls 58% des cas ont
été favorables aux demandes citoyennes. Néanmoins, dans l’opinion publique, la Cour
jouit toujours d’une perception positive car elle est vue comme une institution qui
favorise les intérêts de la population la plus vulnérable133. Cette perception est renforcée
132
Manuel José CEPEDA ESPINOSA « Capítulo VI: La defensa judicial de la Constitución” in Fernando
CEPEDA ULLOA (Ed.) Fortalezas de Colombia II. Bogotá, Cuellar Editores y Colciencias, 2007, p.181.
133
Ibid.
66
grâce aux interventions du pouvoir judiciaire dans différents champs, lesquels sont
énoncés de la manière suivante par Uprimny :
la lutte contre la corruption politique et celle pour la transformation des pratiques politiques ;
le contrôle des abus de pouvoir gouvernementaux, en particulier face aux attributions
exceptionnelles du Président pendant les « états d’urgence » ; la protection de groupes
minoritaires et de la liberté individuelle ; la protection de populations stigmatisées ou en
situation de faiblesse manifeste et, en dernier, mais pas le moins important, la gestion de la
politique économique en relation avec la protection des droits sociaux 134.
Pour ce qui est de la lutte contre la corruption politique, le système judiciaire a
réalisé un grand effort pour modifier la culture du clientélisme et les pratiques
corruptives du pays. L’on peut trouver deux exemples très clairs à ce sujet :
premièrement, le rôle des juges pendant le scandale de corruption à l’époque du
président Ernesto Samper, soupçonné d’avoir financé une partie de sa campagne
électorale avec un financement illégal. À ce moment-là, les fonctionnaires judiciaires
ont contribué de manière significative à porter à la connaissance de la société
colombienne tous les résultats de l’enquête. Or, si le président Samper n’a pas été
déclaré coupable, c’est parce que, au Congrès on n’a pas obtenu la votation interne
nécessaire pour s’engager dans un jugement politique contre le gouvernant. Cependant,
Fernando Botero Zea –l’une des ministres les plus proches au président de l’époque–, a
été condamnée par la Cour Suprême de Justice car il a été considéré comme responsable
du délit de vol qualifié en s’appropriant de l’argent illicite de la campagne
présidentielle135.
Deuxièmement, le pouvoir judiciaire s’est battu contre la corruption grâce au
processus de « pérdida de investidura » mené par le Conseil d’État, c'est-à-dire la perte
du poste obtenu par élection populaire à cause de l’inaccomplissement des fonctions du
fonctionnaire. Dans la pratique cela implique la mort politique des fonctionnaires jugés
par le Conseil, la sanction consistant en une impossibilité d’occuper des postes
d’élection populaire à perpétuité.
L’article 183 constitutionnel considère comme causes de perte d l’investiture : la
violation du régime d’incompatibilités ou du régime du conflit d’intérêts, l’absence aux
séances du Congrès plus de six fois, la non-prise du poste dans les huit jours suivants
l’installation du Congrès, l’usage illicite des ressources publiques et le trafic
d’influences dûment prouvé.
134
Rodrigo UPRIMNY YEPES, “La fonction politique de la justice…” p.233
Corte Suprema de Justicia, Sala de Casación Penal. Proceso No 22412. Magistrado Ponente: Mauro
SOLARTE PORTILLA. 1 de marzo de 2007
135
67
Au sujet du contrôle sur les états d’urgence, il faut souligner que la Constitution
de 1991 a donné les moyens nécessaires pour sortir de la vieille coutume des présidents
colombiens de gouverner à travers ce type de décrets. Ainsi, bien que le gouvernement
possède toujours une marge d’appréciation pour déterminer l’état de la crise, c’est la
Cour Constitutionnelle qui décide si l’appel à l’état d’urgence est justifié
constitutionnellement ou non. Selon Uprimny, « sur les douze déclarations d’états
d’urgence entre 1992 et 2002, la Cour Constitutionnelle n’en validé que cinq, en a
annulé totalement trois, et en a validé partiellement quatre. Ces arrêts de la Cour
Constitutionnelle en 1992 ont eu un impact pratique et politique considérable
notamment sur la durée de la période vécue par les Colombiens dans des régimes
d’urgence qui tomba de 80% dans la décennie 1980 à moins de 20% à partir de 1992 »
136
.
Le troisième champ d’intervention active de la part du pouvoir judiciaire se
manifeste dans la protection des groupes minoritaires. Comme on l’a signalé plusieurs
fois, la Constitution de 1991 est une charte très large quant à la déclaration des droits
sociaux. La Cour a ainsi défendu l’égalité entre les religions grâce au renforcement de la
liberté de cultes –stipulé dans l’article 19 constitutionnel– à travers, par exemple,
l’annulation des privilèges de la religion catholique. La Cour, d’ailleurs, a pris des
décisions assez controversées comme la dépénalisation de l’avortement sous conditions
particulières ainsi que la dépénalisation de la consommation de drogues et de
l’euthanasie à partir du principe de la non-violation de l’autonomie individuelle137.
La position adoptée par la Cour colombienne nous rappelle le cas américain de
Wade Vs. Rue dans lequel Jeanne Wade, citoyenne américaine, a présenté un recours
contre l’hôpital de Texas en raison de la réponse négative de cette organisation à sa
demande d’avortement. Bien que les arguments de la demandeuse n’eussent pas été liés
à des raisons médicales, et que, par conséquent, l’exigence d’un avortement eut été tout
à fait contraire aux lois de l´état de Texas, la Cour fédérale s’est déclarée en faveur de
Wade, en justifiant la suprématie du droit de « privacy » sur le droit possible à la vie de
son enfant. La Cour affirmait que tandis que Wade était une personne au sens
136
137
Rodrigo UPRIMNY, “La fonction politique de la justice…” op.cit., p.235
Idem, p.236
68
constitutionnel (et par conséquent, porteuse des droits comme la privacy), son enfant
n’existait pas encore selon les termes de la Constitution138.
L’on peut identifier ici des précédents d’interprétation qui servent aux tribunaux
constitutionnels pour la défense des droits de la population non-protégée, voire des
minorités dans la nation. Une des idées fondamentales des Constitutions comme la
Constitution colombienne est celle de construire une architecture constitutionnelle qui
garantisse à tous les citoyens, même aux groupes minoritaires, l’accès équitable aux
droits. Cela constitue une possibilité pour les minorités de se rallier à l’exercice du
pouvoir. Dans ce sens, le tribunal constitutionnel développe un rôle politique en tant que
garant de ces dynamiques.
Il existe encore une autre fonction du pouvoir judiciaire colombien dans laquelle
il possède un pouvoir d’intervention significatif en termes politiques : l’intervention
dans la politique économique. Il est probable que ce point soit l’un des plus
controversés à cause de la grande quantité de désaveux des actions du pouvoir
judiciaire. L’argument principal est le manque d’expérience de la Cour sur les questions
sujet financières.
Malgré ces accusations, la Cour a modifié par exemple le système de retraite
pour étendre certains bénéfices aux groupes traditionnellement exclus. Elle a aussi
empêché l’augmentation et l’expansion de la taxe sur la valeur ajoutée à des produits de
première nécessité et elle a même ordonné l’indexation partielle des salaires des
fonctionnaires139.
L’exemple le plus discuté a été l’intervention de la Cour dans la crise financière
de 1999 au cours de laquelle les débiteurs d’hypothèques ont été très affectés. Pour la
première fois dans l’histoire du pays, c’est la classe moyenne qui a rassemblé ses forces
pour demander à l’État la défense des droits établis par la Constitution. Malgré cela,
aucune réponse n’a été apportée. Ainsi les débiteurs ont utilisé la tutela de manière
massive en recevant une réponse favorable de la part de la Cour Constitutionnelle,
laquelle a ordonné la promulgation d’une nouvelle loi afin de réguler le financement de
logements.
Finalement, il est possible d’identifier un dernier champ où la Cour a toujours eu
un impact important dans la vie politique de la Colombie : la défense de la population
138
« Appeal from The United States District Court for The Northern District of Texas No. 70-18 »,
Argued: December 13, 1971, Decided: January 22, 1973, Legal Information Institute. Adresse URL
http://www.law.cornell.edu/supct/html/historics/USSC_CR_0410_0113_ZS.html/
139
Rodrigo UPRIMNY, “La fonction politique de la justice…” op.cit., p.239
69
stigmatisée. Cela a été possible grâce à la tache de la Cour Constitutionnelle de
transformer les recours individuelles en recours collectifs à travers des outils comme la
déclaration d’état de choses inconstitutionnel140. C’est le cas de la situation des
prisonniers, la Cour ayant demandé des mesures immédiates pour résoudre les
problèmes d’encombrement des prisons141.
De même, le déplacement forcé provoqué par la violence du pays a reçu un
traitement spécial de la part de la Cour. Il serait important d’approfondir la réflexion
autour de ce sujet parce que la déclaration de l’état de choses inconstitutionnel pour les
déplacés a eu des conséquences assez importantes sur la construction des politiques
publiques dans le pays.
Étant déclaré comme une émergence sociale la Cour a reconnu le déplacement
forcé comme l’un des phénomènes les plus complexes de la Colombie, car il reflète bien
l’incapacité étatique à répondre à plusieurs problématiques : la possession du monopole
de la force et de la violence, la protection de la propriété de la terre, la défense des
groupes minoritaires comme les indigènes, entre autres.
Les déplacés sont les victimes les plus visibles dans le conflit armé : « La
Colombie occupe la deuxième place dans le monde, par le nombre de déplacés internes,
après le Soudan. Plus de trois millions de personnes ont été déplacées depuis 1985 »142.
Bien que ce phénomène soit envisagé comme un crime contre l’humanité tant au niveau
international que national143, le gré d’impunité en Colombie est très élevé.
C’est état de faits a poussé la Cour Constitutionnelle à se manifester contre les
abus subis par les déplacés. Ainsi, l’on peut identifier deux types de jurisprudence
concernant ce sujet :
Avant l’arrêt de tutelle T-025 du 2004, une jurisprudence générale sur le déplacement forcé.
Après cet arrêt, une période caractérisée par une riche jurisprudence qui prend en
considération les catégories de victimes les plus faibles, comme les femmes chef de famille, les
indiens, les afro colombien, les enfants et les handicapés déplacés, en adoptant un “enfoque
diferencial”, c’est à dire une approche différenciée vis-à-vis de chaque type déplacement144.
140
Il s’agit d’une construction juridique ad hoc élaborée par le juge constitutionnel colombien qui est
déclaré quand « Il y a une violation grave et constante des droits fondamentaux, qui implique plusieurs
personnes et dont la résolution demande l’intervention de différentes institutions de l’Etat afin de
chercher une solution à ces problèmes de caractère structurel. » Voir Cour Constitutionnelle. Arrêt T-025
du 2004.
141
Rodrigo UPRIMNY, “La fonction politique de la justice…” op.cit., p. 237-238
142
Marzia DALTO, “Le juge constitutionnel colombien vis-à-vis du déplacement forcé” Revista Derecho
del Estado n.º 27, julio-diciembre de 2011, p.52
143
Le code pénal colombien stipule le déplacement comme un crime dans son article 159: “deportación,
expulsión, traslado o desplazamiento forzado o de población civil”.
144
Marzia DALTO, op.cit., p.58
70
Avec cette production juridique, la Cour a obligé d’autres pouvoirs publics à
réagir d’une forme plus claire face aux abus, le conflit durant, perpétrés contre les
déplacés. Cela a impliqué la définition d’un cadre minime des droits que l’on doit
garantir à cette population comme le droit à la résidence, à l’intégrité personnelle, au
minimum vital145...
Afin de vérifier ci ces droits sont garantis par les institutions concernées, la Cour
a créé aussi un système d’enquête pour contrôler les effets de ses décisions. Les
instruments développés sont, entre autres, « des audiences spéciales auprès de la Cour
afin d’écouter directement les victimes du déplacement forcé, à travers ses
organisations, sur les avancés en matière des politiques publiques; l’adoption d’un
système d’indicateurs pour évaluer ces politiques publiques en fonction de la garantie
des droits effectifs; la promotion des processus de participation de la population
déplacée et de la société civil dans la formation des politiques publiques; la création
d’un salle de suite au déplacement forcé auprès de la Cour Constitutionnelle;
l’évaluation constante de le dépassement de l’ECI par une Commission crée ad hoc »
146
.
Il faut ajouter que toute cette activité judiciaire est accompagnée d’une
reconnaissance des énormes difficultés de gérer ce phénomène, ce qui fait que la Cour
admette qu’il existe des limites d’intervention de la part des autorités publiques.
La question est donc : est-ce que toutes ces actions ont modifié d’une certaine
manière les conditions de la population déplacée ? Paradoxalement, pendant que la Cour
défend les droits sociaux des déplacés, les chiffres de déplacement augmentent. L’on
peut trouver une explication de cela au fait que le pouvoir judiciaire, en tant que
constructeur des politiques publiques, manque d’un appareil d’application de ses
décisions et aussi d’une autonomie financière pour mettre en marche ses propositions.
Comme le souligne Marzia DALTO «Tant que la Colombie enregistrera des violations
des droits de l’homme et du droit international humanitaire, la Cour Constitutionnelle
ne pourra que suivre dans le cadre de ses compétences, en tant qu’acteur régulateur
des politiques publiques » 147.
Dans ce sens, le rôle assumé par la Cour Constitutionnelle est positif en tant
qu’il occupe les vides laissés par les autres pouvoirs, mais il est limité car il s’agit d’un
145
Idem, p.62
Ibid.
147
Idem, p.68
146
71
rôle extraconstitutionnel pour lequel la Cour ne possède pas les moyens suffisants.
Comment la Constitution de 1991 a-t-elle permis ou empêché l’activisme judiciaire de
la Cour Constitutionnelle colombienne ?
3.2 Le rôle de la Constitution de 1991 et le néo-constitutionnalisme en Amérique
latine
Après les premières indépendances en Amérique latine, on a tente d’inclure les
principes républicains -provenus de France et des États-Unis principalement- dans les
Constitutions politiques des pays naissants. Mais, sachant que chaque Constitution doit
être le reflet des dynamiques politiques et sociales de son époque, une sorte de décalage
a pu se produire entre les normes existantes et la vie quotidienne des citoyens. Ainsi
l’adoption de modèles étrangers, peu applicables aux réalités latino-américaines, a
contribué à l’inefficacité des systèmes légaux et au manque d’identification de la part de
la société par rapport a sa propre Constitution148.
Néanmoins, Fernando Ulloa affirme qu’il existe aujourd’hui une tendance à
concevoir les normes juridiques comme des outils démocratiques dont on se sert pour la
promotion des changements exigés par la société et pour la résolution pacifique des
conflits. La dignité humaine et la réalisation de la justice sont pensées comme le but de
ce nouvel ordre juridique149.
Le juge est devenu protagoniste dans les nouvelles dynamiques institutionnelles
car son travail ne se restreint pas à l’application de la loi mais vise aussi la quête de
l’effectivité des droits des nouveaux citoyens. Ces derniers peuvent percevoir
qu’aujourd’hui ils sont capables de participer à la vie politique à travers les outils
juridiques.
3.2.1 La Constitution de 1991 comme garante des principes démocratiques
Dans le cas colombien, on a introduit dans la Constitution de 1991 cette nouvelle vision
du monde juridique lié au monde politique. Grâce à l’inclusion de la démocratie
participative dans le texte constitutionnel, la Colombie est devenue un pays pionner
dans les processus dépassant l’idée du vote comme seul moyen de participation
politique.
148
149
Fernando ULLOA op.cit., p.225.
Idem, p.226
72
Une autre conséquence du changement de la Constitution a été la consolidation
du pouvoir judiciaire comme un contre-pouvoir et comme un nouveau garant des droits
fondamentaux. En tant que garant de la Constitution, l’existence de la Cour
Constitutionnelle comme organe indépendant de la Cour Suprême de Justice a joué un
rôle central dans ce renforcement du pouvoir judiciaire. Par rapport aux actes de la Cour
Constitutionnelle depuis sa création jusqu’à nos jours, Ulloa note qu’elle a eu une
orientation progressiste basée sur le dialogue et sur l’intention de mettre en place l’Etat
Social de Droit, type de État établie par le premier article de la nouvelle Constitution150.
Avec l’inclusion de l’État Social de Droit, la Colombie n’a pas montré que son
intention de se soumettre aux normes qui garantissent l’égalité politique de tous les
citoyens, mais aussi d’introduire des droits sociaux qui rendent possible la
reconnaissance des nouvelles dynamiques sociales et politiques de notre siècle. Cela a
impliqué, par conséquent, un renforcement des contre-pouvoirs, dont le pouvoir
judiciaire émerge comme un acteur fondamental dans la tâche d’assurer les droits
citoyens, comme il a été souligné auparavant.
Par contre, certains experts comme Manuel José Cepeda considèrent que cette
initiative de renforcement du pouvoir judiciaire n’est pas une nouveauté dans le cas
colombien. Depuis la Constitution de 1886 il existe un organe qui exerce un contrôle sur
le respect des normes constitutionnelles. Et malgré les périodes de violence vécues dans
le pays, la Cour Suprême de Justice n’a jamais été suspendue ou fermée, ce qui au
moins au niveau formel, révèle d’emblée l’attachement que la société ressent par cette
institution151.
On peut reconnaitre des cas concrets où la Cour montre sa puissance grâce aux
normes constitutionnelles de 1886. Le premier cas est la capacité judiciaire de résoudre
les conflits entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif dans les cas d’objection
présidentielle des projets de loi. Ainsi, la Cour était un instrument de pacification des
rapports politiques et, en même temps, elle était vue comme l’organe capable de
protéger l’harmonie des pouvoirs publics152.
Selon Cepeda, le schéma de la Cour a été développé plus profondément à partir
de l’acte législatif No. 3 1919 dans lequel on a pris, entre autres, les mesures
importantes suivantes : a) la réduction du mandat présidentiel (de six ans à quatre ans),
150
Idem, p.243
Manuel José CEPEDA ESPINOSA, op.cit., p.151
152
Idem., p.152
151
73
b) l’interdiction de la réélection présidentielle, c) la représentation des groupes
minoritaires et d) la possibilité d’une action publique citoyenne contre la Cour Suprême
dans
le
cas
où
l’on
estime
qu’une
loi
est
susceptible
d’être
déclarée
inconstitutionnelle153.
De plus, la Cour avait la capacité de déterminer la conformité des lois réalisées
pendant les états d’exception. Cependant, il faut ajouter qu’à maintes reprises la Cour
s’est montrée déférente par rapport aux décisions et aux lois développées dans ces
situations particulières. Malgré ce fait, il est évident qu’en Colombie existe une forte
tradition de respect envers le pouvoir judiciaire.
Avant l’existence de la Cour Constitutionnelle, la Cour Suprême de Justice avait
développé une fonction judiciaire fondamentale comme défenseur de la Constitution. La
première opportunité qu’elle a eue pour remplir son rôle comme juge constitutionnel ce
fut en 1887, quand le Congrès élabora un projet pour donner une pension à la veuve
d’un militaire, le sergent Ricardo O’Levy : la Cour s’est prononcée à travers une
sentence d’inconstitutionnalité. Le président de la République s’est opposé à la loi, car
il jugeait que la loi favorisait de manière particulière à une personne en lui attribuant des
ressources publiques qui n’étaient pas stipulées par une loi préexistante. Dans ce cas-là,
la Cour a donné raison au président154.
À partir de ce moment-là, quelques décisions de la Cour Suprême ont provoqué
des polémiques. Les trois sujets les plus controversés ont été l’intervention de l’État
dans l’économie, les mesures pour rétablir l’ordre public et les reformes de la
Constitution. Par rapport au premier sujet, paradoxalement la Cour a tenté de limiter la
capacité d’intervention étatique, tandis qu’elle-même a légitimé la plupart des décrets
d’état d’urgence déclarés par le gouvernement.
La position de la Cour Suprême la plus intéressante correspond à celle liée aux
reformes de la Constitution, car elle a soutenu dans presque tous les décisions une
position rigide et contraire au changement constitutionnel. Cependant elle a rendu
possible la réalisation d’une Assemblée Constituante en 1990 lorsque la société
n’attendait pas un tel soutien institutionnel, justement parce qu’elle était habituée à une
position constamment fermée de la part de la Cour.
C’est ainsi que le vrai changement d’esprit constitutionnel est arrivé avec la
rédaction de la Constitution de 1991, laquelle a été à l’origine de plusieurs innovations
153
154
Idem., p.154
Idem., p.174
74
dans le pays, notamment en ce qui concerne la justice. On peut souligner, comme
mesures les plus importantes, la création de la Cour Constitutionnelle en premier lieu et,
en deuxième lieu, l’application du contrôle constitutionnel dans des situations
particulières grâce à la création de la tutela, c’est-à-dire de l’action judicaire par laquelle
les citoyens peuvent demander de manière individuelle la protection de leurs droits
fondamentaux155.
D’ailleurs, comme nous a dit Marzia Dalto
…la reconnaissance, par la Constitution, du caractère pluriethnique et pluriculturel de la
Colombie représente une véritable « rupture idéologique » avec le précèdent modèle.
L’inclusion des populations afro-colombiennes et indigènes dans la Constitution a permis leur
reconnaissance institutionnelle, en tant que “minorités ethniques”. La population indigène
sera représentée de façon constante en Sénat et dans la Chambre, grâce aux deux
circonscriptions nationales spéciales156.
Par rapport aux magistrats de la Cour Constitutionnelle, la Constitution a stipulé
un nouveau processus d’élection afin d’assurer son indépendance entre elle et les autres
pouvoirs. Ainsi elle est composée par neuf magistrats qui ne doivent pas être experts en
droit public mais qui doivent avoir ses spécialités juridiques différentes. Les magistrats
sont élus par le Sénat de la République à partir de différentes ternas (trois personnes
parmi lesquelles on doit en choisir une) élaborées par la Cour Suprême de Justice, le
Conseil d’État et le Président de la République. La période de leurs fonctions est de huit
ans sans possibilité de réélection157.
La création de la Cour Constitutionnelle a représenté un bouleversement pour la
vie politique et juridique du pays grâce au rôle de cet organe dans la protection des
droits. Il faut souligner que cette défense a été possible à cause de l’inclusion de la
tutela dans l’ordre juridique colombien. La tutela comme moyen de protection citoyen a
provoqué une vraie révolution judiciaire, en matérialisant l’efficacité des droits
constitutionnels dans la vie quotidienne des Colombiens. Certains auteurs affirment
qu’elle a promu une culture démocratique fondée sur l’État social de droit en même
temps qu’elle a empêché les abus de la part des représentants de la population158.
La Constitution colombienne stipule dans l’article 86 :
155
Idem p.163
Marzia DALTO, op.cit., p. 55
157
Manuel José CEPEDA ESPINOSA, op.cit., p.167
158
Liliana, CARRERA SILVA, “La acción de tutela en Colombia” Revista del Instituto de Ciencias
Jurídicas de Puebla, Año V. No. 27, enero-junio de 2011, p. 76
156
75
Toda persona tendrá acción de tutela para reclamar ante los jueces, en todo momento y lugar,
mediante un procedimiento preferente y sumario, por sí misma o por quien actúe a su nombre,
la protección inmediata de sus derechos constitucionales fundamentales, cuando quiera que
éstos resulten vulnerados o amenazados por la acción o la omisión de cualquier autoridad
pública.
La protección consistirá en una orden para que aquel respecto de quien se solicita la tutela,
actúe o se abstenga de hacerlo. El fallo, que será de inmediato cumplimiento, podrá
impugnarse ante el juez competente y, en todo caso, éste lo remitirá a la Corte Constitucional
para su eventual revisión.
Esta acción solo procederá cuando el afectado no disponga de otro medio de defensa judicial,
salvo que aquella se utilice como mecanismo transitorio para evitar un perjuicio irremediable.
En ningún caso podrán transcurrir más de diez días entre la solicitud de tutela y su resolución.
À partir de cet article, on peut définir alors la tutela comme une action
subsidiaire, résiduelle et autonome permettant le contrôle constitutionnel des actions ou
des omissions des autorités publiques et, de manière exceptionnelle, des particuliers ; y
a recours n’importe quelle personne pour la défense rapide et effective des droits
fondamentaux lorsque cette action peut éviter un préjudice irrémédiable ou lorsqu’il
n’existe pas d’autres moyens de défense judiciaire159.
Il faut ajouter que la capacité de la tutela à répondre d’une manière si rapide aux
demandes citoyennes a ralenti d’autres procédures judiciaires à cause de la congestion
administrative provenant de la quantité énorme de ces actions. Car la Colombie a
toujours subi des difficultés pour donner une réponse adéquate aux problèmes de justice
dans le pays, on ne peut accuser exclusivement la tutela comme étant la cause d’un
système judicaire inefficace.
Ainsi, après 20 ans de vie constitutionnelle, la tutela est devenue le mécanisme
le plus important pour les citoyens, quatre millions de dossiers ont ainsi été traités
depuis ses débuts. Les thèmes sont toujours variés : la situation des prisonniers,
demandes de retraite et de santé, problèmes d’éducation, droits des travailleurs, tragédie
du déplacement forcé, etc.160.
Il est impératif de reconnaitre l’impact qu’a eu la création de la Cour
Constitutionnelle comme l’instauration de la tutela pour les Colombiens. Mais il faut
insérer ces nouvelles caractéristiques politiques données par la Constitution de 1991
dans un contexte plus large –le néo-constitutionnalisme latino-américain– afin de voir
quel est le rapport entre eux.
159
160
Idem, p.77
Idem. p.76
76
3.2.2 Le néo-constitutionnalisme en Amérique latine
Pendant les dernières décennies l’Amérique latine a vécu un processus de rénovation de
la démocratie. Il n’est dorénavant pas suffisant d’avoir des élections périodiques. Il faut
aussi assurer le respect des droits fondamentaux et reconnaitre la pluralité des nos
nations. Ces nouvelles demandes ont impliqué la transformation des textes
constitutionnels afin d’assurer une cohérence entre enjeux politiques et dispositions
légales. Cela a bouleversé d’une telle manière les dynamiques de la région que certains
académiciens ont appelé ce phénomène « le nouveau constitutionnalisme latinoaméricain ».
Selon Riccardo Guastini, on a passé d’un État de droit basé sur la légalité à un
État constitutionnel, ce qui suppose une activation de tous les droits consacrés dans la
Constitution et une quête constante pour les faire prévaloir dans la vie quotidienne. De
cette façon, « nous sommes face à un scénario où la Constitution, ses principes, ses
droits et ses garanties envahissent tous les espaces, en exigeant que toutes les
expressions politiques, sociales, juridiques, publiques ou privées soient ajustées à ses
déterminations »161.
Selon Fernando Carrillo, on peut souligner alors six processus développés à
partir de ces transformations récentes dans le panorama de la région. En premier lieu, le
passage de systèmes présidentiels avec un pouvoir législatif périphérique à un schéma
d’équilibre entre les pouvoirs publics. Dans ce sens, la Constitution colombienne établit
à l’article 113, par exemple, l’existence de trois pouvoirs publics avec des fonctions
spécifiques, mais qui coopèrent de manière harmonieuse afin d’accomplir les fonctions
de l’État.
En deuxième lieu, l’introduction des processus de décentralisation politique,
administrative et fiscale est une innovation assez importante dans laquelle se développe
une participation citoyenne croissante. L’inclusion de la décentralisation comme
condition pour les processus démocratiques des années 90 peut s’expliquer à partir du
mécontentement politique produit par la crise économique des années 80 et, aussi, par
les conditions imposées par les agences internationales comme la Banque Mondiale ou
le Fond Monétaire International, des organes qui estimaient que la décentralisation
161
Rubén MARTÍNEZ DALMAU, “Los nuevos paradigmas constitucionales de Ecuador y Bolivia”,
Tendencia, No. 9, marzo-abril de 2009, p.37.
77
constituait une stratégie pour réduire la pauvreté et pour combattre la corruption162. Ce
processus a rendu possible la prise de pouvoir de certains groupes oubliés
historiquement comme les indigènes en Bolivie ou en Équateur.
Ensuite, symbolisant un nouvel élément dans la région, l’inclusion de la
démocratie participative apparait comme une façon de reprendre la démocratie directe
contrastant avec la démocratie représentative. Dans ce sens, la Colombie, en incluant
dans la Constitution de 1991 des mécanismes de participation innovants à l’époque
comme le référendum, le plébiscite, la consultation populaire ou la révocation du
mandat, est un pays pionner163. Plus tard, les autres Constitutions de la région telles que
la Constitution bolivienne ou la vénézuélienne introduiront la démocratie participative
de manière vraiment spécifique164.
En quatrième lieu, l’utilisation des Constitutions politiques comme charte de
droits fondamentaux qui consacre des nouveaux mécanismes de protection
constitutionnelle. On prend ici une fois de plus l’exemple de la tutela dans le cas
colombien comme moyen de défense des droits sociaux. D’autres pays comme la
Bolivie, l’Équateur ou le Venezuela ont incorporé des mécanismes similaires afin de
protéger les principes et les valeurs constitutionnels des attaques possibles de la part des
gouvernants.
Enfin, il y a eu un passage d’un État intervenant à un État régulateur avec des
institutions économiques autonomes165. Cette caractéristique est liée fortement à
l’incidence qu’ont eue, depuis la crise économique des années 80 mentionnée
auparavant, les agences internationales dans les formations des démocraties naissantes.
Le modèle de substitution d’importations –si propre de l’Amérique latine– avait échoué
et les leaders des années précédentes avaient outrepassé l’utilisation de ressources
publiques en faveur des politiques populistes en mettant en évidence l’instabilité du
modèle à long terme.
162
Rickard LALANDER, “Descentralización y populismo. Desafíos teóricos y metodológicos en la
investigación sobre las democracias representativas en América Latina”. Provincia No. 23, enero-junio de
2010, p. 41-42
163
Article 103 de la Constitution Politique de la Colombie.
164
Pour le cas du Venezuela, le chapitre IV dit “De los Derechos Políticos y del Referendo Popular”
développe le sujet de la démocratie participative tandis que le troisième chapitre de la Constitution
bolivienne, dit « de los derechos políticos y civiles » comprend les différents mécanismes de participation
de la population.
165
Fernando CARRILLO FLÓREZ, op.cit., p.130.
78
On peut affirmer alors que cela a impliqué la résurrection du pouvoir judiciaire
en termes d’indépendance et de visibilité, phénomène connu comme la judiciarisation
de la politique –de laquelle on parlera plus tard– qui donne un rôle prépondérant aux
juges en tant que protecteurs des principes et des droits consacrés dans la Constitution.
Ainsi, la promulgation des valeurs universelles a remplacé la promulgation de normes
dans les textes constitutionnels, ce qui a créé une sorte de système dans lequel il est
facile de confondre le juridique avec le politique ou même avec l’éthique. Le juge
devient donc la seule personne capable d’interpréter ce nouveau système166.
Cela
signifie-t-il qu’il existe un gouvernement des juges ?
3.3 La Cour Constitutionnelle Colombienne : un gouvernement de juges ?
L’indépendance judiciaire est une condition actuelle pour que les régimes politiques
puissent se dire démocratiques. C’est là le résultat de se représenter le pouvoir judiciaire
comme un contrepouvoir capable de défendre la Constitution et d’arrêter les abus des
autres pouvoirs publics.
Malgré l’existence de cet accord tacite, deux visions sur la fonction du pouvoir
judiciaire persistent depuis toujours : d’un côté la vision française ou défiance par
rapport au troisième pouvoir à cause d’une émergence possible du gouvernement des
juges, et de l’autre, la vision nord-américaine où les juges sont une troisième force au
même titre que le président et les parlementaires167.
Selon Carolina Guevara, pour la tradition française le pouvoir judiciaire a
représenté, à l’époque de la révolution, l’oppression car il était vu comme le bras droit
de la monarchie. De plus, on peut souligner que la Constitution française de 1958 ne
reconnaît pas le titre de « pouvoir » mais « d’autorité » judiciaire pour se référer aux
juges, position particulière qui est d’envisager les tribunaux comme d’organes capables
d’impartir justice mais qui, quant au pouvoir démocratique, ne possèdent pas la même
hiérarchie que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif168.
166
Alejandro ORDOÑEZ MALDONADO, « La ideología neo-constitucional y las transformaciones del
Estado », Boletín 13 del Instituto de Estudios Constitucionales. Universidad Sergio Arboleda, 2008, p.1314.
167
Carolina GUEVARA, op.cit., p.149-50.
168
Michel TROPER, « Le pouvoir judiciaire et la démocratie », European Journal of legal Studies Vol. 1,
No. 2, p. 1-16 Adresse URL http://www.ejls.eu/2/32FR.pdf.
79
Il faut ajouter que c’est Edouard Lambert qui donne naissance au concept de
gouvernement des juges en 1921, faisant référence a l’abus du judiciaire quand il prend
des décisions politiques à partir d’une interprétation particulière de la loi. Dans cette
mesure, il est compréhensible que la Constitution française de 1958 ait établi que c’est
le président de la république et non le tribunal constitutionnel qui doit faire office du
garant principal de l’indépendance judiciaire169.
Dans le cas des États-Unis, la magistrature est imposée comme un pouvoir réel
dont la fonction la plus importante est l’exercice d’un contre-pouvoir dans un cadre
institutionnel des poids et contrepoids. Les juges ne sont pas subordonnés aux
institutions politico-administratives, mais ils partagent le pouvoir en faisant état d’un
système démocratique dans lequel aucune institution n’est prédominante, et cela à cause
de l’interdépendance170.
En Colombie, le pouvoir judiciaire est organisé d’une telle façon que quatre
institutions occupent le sommet de la hiérarchie : la Cour Constitutionnelle, le Conseil
Supérieur de la Judicature, le Conseil d’État et la Cour Suprême de Justice. Les deux
premières ne sont nées qu’avec la Constitution de 1991.
À partir de cete nouvelle Constitution, la Cour Constitutionnelle contrôle les lois
et vérifie leur cohérence avec la Constitution en termes de procédure. Cependant, le rôle
de la Cour a été plus remarquable en tant que défenseuse des droits et des principes
démocratiques inclus à partir de 1991.
Selon Carolina Guevara, ceux qui soutiennent le rôle de la Cour
Constitutionnelle, remarquent l’importance des certaines décisions dans les questions de
droit constitutionnel. À titre d’exemple, on peut citer les suivantes : 1) le problème du
multiculturalisme et le droit à la différence, 2) la possibilité d’exiger les droits sociaux ;
3) le « estado de cosas inconstitucional » et la protection du droit à la santé, 4) la
protection des droits du travail171.
De l’autre côté, ceux qui se sont opposés au travail de la Cour pendant les
dernières années, exposent les arguments suivants : 1) la Cour est consolidée comme un
juge qui assume des compétences qui correspondent à tous les autres organes de l’État
et elle le fait à l’encontre de la Constitution prétextant qu’elle est le garant
constitutionnel suprême ; 2) le « estado de cosas inconstitucional » est une intrusion
169
Carolina GUEVARA, op.cit., p.150
Ibid.
171
Carolina GUEVARA. op.cit., p. 162
170
80
indue de la Cour dans les politiques publiques, dans le management du budget et dans la
volonté politique du Congrès ; 3) la création du concept « bloque de constitucionalidad
» a introduit incertitude et imprécision dans l’exercice du contrôle constitutionnel ; 4) la
proximité entre la Constitution et la politique peut entraîner une confusion du rôle de la
Cour et une invasion du rôle des parlementaires ; 5) l’évolution de la jurisprudence et
l’augmentation imperceptible des compétences de contrôle peuvent transformer cet
acteur judiciaire en un acteur politique172.
Avec ces deux positions opposées il faut alors se poser la question : est-ce que la
Colombie est face à un gouvernement des juges ? Et s’il existe, est-ce qu’il s’agit d’une
condition contraire à la démocratie ou est-ce que l’existence d’un « pouvoir » judiciaire
peut être compatible avec les principes démocratiques ?
Selon Germán Alfonso López « cette expression vient des États-Unis en 1903,
quand le président Roosevelt a critiqué l’intervention législative des juges dans la vie
économique. Il se référait au pouvoir des juges d’écarter la loi et d’en donner une
interprétation irresponsable. Il accusait également ces derniers de s’être auto-attribué
ce rôle de législateur » 173.
Par contre, l’origine théorique du concept du gouvernement des juges se trouve
chez Edouard Lambert –comme on l’a déjà mentionné- qui a repris cette idée pour en
faire une théorie applicable à l’Europe à travers son ouvrage Le gouvernement des juges
et la lutte contre la législation sociale aux États-Unis. L’expérience américaine du
contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois.
Ce concept possède principalement quatre caractéristiques :
1) Les juges gouvernent parce qu’ils disposent d’une partie du pouvoir
législatif : Hans Kelsen estimait que si les juges peuvent rejeter une loi, cela signifie
qu’ils ont également un pouvoir législatif : ce sont des législateurs cadre-négatifs.
2) Les juges ont le pouvoir d’utiliser des contrôles de constitutionnalité.
3) Les juges ont la possibilité d’appliquer des principes vagues.
4) les juges vont à l’encontre de la volonté du législateur (« avec cinq votes
contre quatre, la Cour peut mettre en échec l’application votée par les représentants élus
de la nation »174.
172
Idem p. 162-163
Germán Alfonso LÓPEZ, « Le juge constitutionnel colombien, législateur-cadre positif: un
gouvernement des juges? », Opinión Jurídica, Vol. 9, No. 18, Universidad de Medellín, julio-diciembre
2010.
174
Idem, op.cit.,
173
81
Il faut ajouter que Lambert a écrit son ouvrage dans un moment historique,
quand la Cour Suprême des États-Unis s’opposait aux changements sociaux et
politiques fondamentaux de l’époque à tel point qu’elle était considérée comme
conservatrice. Ainsi Lambert nommait les juges de la Cour d’« aristocratie judiciaire »
exprimant par là l’impuissance du pouvoir législatif à introduire les normes créées par
eux-mêmes175.
D’après Cesare Pinelli, à l’époque de Lambert :
On était dans la plénitude de la Lochner era (1905-1937), ainsi nommée par une décision qui
déclara inconstitutionnelle une loi de l’État de New York limitant à 10 heures la durée
journalière de travail dans les boulangeries. On a calculé que, pendant cette période, la Cour
Suprême démolit 170 statuts de la Fédération et des États-membres régulant la concurrence et
le travail en vue de la tutelle de la propriété privée176.
De cette façon, le concept du gouvernement des juges a été créé dans un moment
où le pouvoir judiciaire américain était devenu un obstacle pour le développement social
et politique à cause de son attachement à une vision traditionnelle du droit. La définition
a eu alors une connotation indiscutablement négative. Mais aujourd’hui, les tribunaux
constitutionnels jouent un rôle tout à fait différent en tant que garants des nouveaux
droits sociaux insérés dans les constitutions du XXIe siècle. Alors, pourrait-on
considérer le gouvernement des juges –né à partir des quatre caractéristiques annoncées
auparavant– comme un concept nécessairement négatif pour la démocratie ?
Au niveau théorique, on peut justifier de deux manières les décisions du pouvoir
judiciaire comme décisions démocratiques : tout d’abord, il est possible d’affirmer que
les juges prennent leurs décisions au nom du peuple ; on peut dire ensuite que la
définition classique de démocratie a évolué, incorporant aujourd’hui les institutions qui
ne sont pas élues par le vote comme des institutions démocratiques, tout simplement
parce qu’elles aussi défendent l’Etat de droit177.
Par rapport au premier argument, les auteurs qui défendent cette position
affirment que « les juges forment une institution démocratique, parce que la démocratie
n’exige pas que le peuple exerce le pouvoir par lui-même ou par des représentants élus.
Il suffit qu’il soit exercé par délégation et cette délégation n’est pas nécessairement
explicite »178. Ainsi, cette justification est possible grâce à un changement de la
175
Cesare PINELLI, « Gouvernement des juges. Une petite histoire du terme », Universitatea Mihail
Kogalniceanu, 2012, p. 1-4. Adresse URL
http://www.umk.ro/images/documente/publicatii/masarotunda2009/13_gouvernement.pdf
176
Ibid.
177
Michel TROPER op.cit.
178
Ibid.
82
définition de démocratie, selon laquelle ce n’est plus le peuple ni ses représentants qui
prennent les décisions, mais « un pouvoir exercé au nom du peuple par des
représentants dont certains seulement sont élus» 179 . Bien que cet argument soit valide
au niveau théorique, au niveau politique il n’est pas accepté en raison de la négation du
peuple comme souverain du pouvoir, ce qui est à la base de toutes les constitutions
modernes.
Par rapport au second argument, les défenseurs affirment que la démocratie n’est
pas le pouvoir du peuple, mais un ensemble de principes: L’état de droit. Ainsi, la
volonté du peuple peut se manifester à travers la majorité mais aussi à travers des
principes fondamentaux différents qui sont assurés par les juges. Pour Michel Troper,
cette position engendre plusieurs difficultés : en premier lieu, la définition implique « de
considérer comme démocratique un despotisme éclairé qui respecterait les droits
fondamentaux » 180.
En second lieu, lorsque les juges imposent le respect aux droits fondamentaux
inscrits dans la Constitution de manière exclusive ce qui est garanti c’est la suprématie
de la Constitution et non l’État de droit. En revanche, « s’ils garantissent tous les droits
fondamentaux qu’ils soient ou non inscrits dans la constitution, en raison de leur valeur
intrinsèque, alors l'Etat de droit n’est pas un Etat constitutionnel » 181.
Finalement, il faut prendre en compte que les juges déterminent de manière
discrétionnaire tant la liste que les contenus des droits fondamentaux en remplaçant la
démocratie par un gouvernement des juges.
De cette façon, les arguments théoriques en faveur du pouvoir judiciaire comme
élément essentiel dans les démocraties ne sont pas tout à fait suffisants pour expliquer
pourquoi des pays comme la Colombie donnent un rôle prépondérant au tribunal
constitutionnel. En s’attachant à la définition classique de démocratie, c'est-à-dire, « un
système dans lequel le pouvoir est exercé exclusivement au moyen de règles générales
adoptées par le peuple lui même ou ses représentants élus » 182 on ne trouvera pas des
réponses adéquates pour la compréhension car la réalité colombienne est très complexe ;
l’attachement historique aux institutions formelles n’a pas toujours été synonyme de
réussite d’une société plus démocratique. En revanche, les solutions trouvées en dehors
des institutions, ont parfois donné des résultats plus positifs au niveau politique.
179
Idem, p.14.
Idem, p.14.
181
Idem, p.15.
182
Idem, p.15.
180
83
Si l’on s'en tient aux définitions données auparavant sur ce qu’est un
gouvernement des juges, il est possible de se représenter la Colombie comme un pays
qui exerce un gouvernement des juges. L’on se demande alors pourquoi les décisions
des juges colombiens sont bien reçues par la population, si elles ne sont prises de
manière démocratique ?
On pourrait répondre à cette question en prenant en compte certains éléments :
en premier lieu, l’inclusion des droits sociaux et de nouveaux mécanismes de
participation dans la Constitution de 1991 qui ont, en même temps, multiplié les espaces
et les moments où la Cour doit protéger la Constitution, défini par elle-même comme la
Norme de Normes.
En second lieu, actuellement le rôle des juges est plus dynamique et plus
politique, surtout dans les pays émergents, puisque, d’un côté la séparation entre la
politique ordinaire et la politique constitutionnelle n’est pas claire et, de l’autre, les
parlements ne sont pas des organes qui représentent vraiment la société mais des élites
politiques qui cherchent des bénéfices particuliers. Dans cette mesure, la population
s’identifie plus avec une institution comme la Cour qui défend ses droits, même si cette
défense implique l’infraction des limites constitutionnelles183.
Cette situation donne une sorte de légitimité populaire aux actions de la Cour en
lui permettant de prendre certaines décisions discutables qui peuvent subsister. Comme
l’a dit Germán López, « le juge constitutionnel se transforme en créateur conscient de
ses règles constitutionnelles ; il n’est plus un simple exécuteur et l’utilisation de la
Constitution est à la portée de tous les citoyens »184.
L’on peut donc considérer le rôle développé par la Cour colombienne comme
étant positif grâce à sa tâche comme contrepouvoir face à un Congrès absent et
incapable de répondre aux demandes sociales, et à un gouvernement traditionnellement
fort qui a reproduit des institutions comme le caudillisme et le personnalisme politique,
deux phénomènes qui menacent encore le système démocratique.
Par contre, le risque de devenir un pays où le pouvoir judiciaire et plus légitime
en termes démocratiques que le gouvernement élu de manière populaire est toujours
présent. Cet état de fait nous invite ainsi à analyser les risques et les avantages d’une
judiciarisation de la politique dans le cas colombien.
183
David LANDAU, “Instituciones políticas y función judicial en Derecho Constitucional Comparado”.
Revista de Economía Institucional, vol. 13, n.º 24, primer semestre/2011, p. 18
184
Germán LÓPEZ, op.cit.
84
3.4 Judiciarisation du système politique : risques et avantages
Il faut commencer pour définir ce qu’on entend par judiciarisation. Pour Rodrigo
Uprimny, c’est « le fait que certaines matières qui relevaient traditionnellement de
dynamiques politiques –suivant les principes de fonctionnement démocratique– sont de
plus en plus traitées par les juges ou conditionnées par des décisions judiciaires185 »
Cette définition implique une augmentation des demandes citoyennes en termes
juridiques et judiciaires et une intervention des acteurs judiciaires dans la construction
de politiques publiques.
L’on peut se demander alors quelles sont les raison pour lesquelles ce
phénomène a commencé à se présenter dans le contexte latino-américain. Avant de
répondre à cette question, il faut ajouter que cette judiciarisation se développe dans un
contexte de faiblesse de l’Etat de droit, en entendant par ce dernier la capacité étatique
d’appliquer la loi de manière équitable.
Guillermo O’Donnell nous donne cinq raisons pour comprendre les difficultés
de la région à respecter l’État de droit : premièrement, bien que les lois aient un
développement significatif, il existe toujours des normes qui ne garantissent pas le
traitement équitable pour tous les groupes de la population, notamment pour des
minorités qui ont encore des conditions contraires aux celles des groupes privilégiés.
Deuxièmement, persiste toujours une forte tradition d’ignorer la loi ou de l’utiliser en
faveur des intérêts particuliers, en entravant le parcours pour l’application effective de
la loi. Troisièmement, les relations entre les bureaucraties et les « citoyens ordinaires »
sont toujours inégales à cause d’un traitement spécial fondé dans le statut social. Ainsi,
« si quelqu’un se présente devant des bureaucrates sans un statut social ou des
connections appropriées, et qu’il défend un droit au lieu de solliciter une faveur, il est
presque assuré d’être confronté à des difficultés éprouvantes » 186. Quatrièmement, on
est face à un système judiciaire « distant, lourd, coûteux et lent » qui décourage la
plupart des citoyens et qui nie l’accès à une bonne partie de la population. Et
cinquièmement, il existe un non-respect de la loi, surtout dans les endroits éloignés des
centres politiques, en raison de l’absence étatique ; là, la loi sanctionnée formellement
185
Rodrigo UPRIMNY, “La fonction politique de la justice…” p. 233.
Guillermo O’DONNELL « Repenser la théorie démocratique: perspectives latino-américaines »,
Revue internationale de politique comparée 2001/2, Vol. 8, p. 210
186
85
coexiste avec des normes informelles dictées par des puissances privatisées qui
gouvernent de facto ces régions187. En tenant compte de ce contexte, il est plus facile de
comprendre l’émergence de la judiciarisation en Amérique latine, car l’incapacité
étatique d’assurer les droits a contribué a produire des vides qui ont été remplis par des
institutions historiquement éloignées du peuple comme les tribunaux constitutionnels.
D’ailleurs, il y a d’autres raisons pour expliquer la judiciarisation dans la région.
D’une part, la crise de représentation a produit un désenchantement de la politique
comme réponse effective aux demandes de la population. Le pouvoir judiciaire doit en
effet répondre chaque fois plus aux exigences qui ne sont pas prises en compte ni par les
parlements ni par les gouvernements188. D’autre part, bien que l’État de droit soit
faible, il existe, précisément pour cela, une volonté de renforcer le pouvoir judiciaire et
de garantir son indépendance afin de donner l’impression d’avancer dans la construction
des États plus respectueux des exigences démocratiques actuelles, dont l’existence des
juges indépendants et actifs pour la défense des droits humaines189.
L’on peut ajouter à ce panorama une longue liste de droits fondamentaux dans
les Constitutions politiques, ce qui rend possible une interprétation des normes plus
abstraite et plus générale. Cette condition a favorisé le renforcement de la judiciarisation
car les juges peuvent justifier plus facilement leurs décisions au nom de la défense des
droits. Dans ce sens, Uprimny remarque l’existence d’une judiciarisation « d’en haut »
et d’une judiciarisation « d’en bas ».
La première résulte de la faculté des tribunaux constitutionnels d’invalider des
décisions législatives à partir de l’interprétation des normes constitutionnelles liées aux
droits fondamentaux. Cette interprétation est essentiellement générale, ce qui permet
l’intervention du pouvoir judiciaire sur le politique. En revanche, la judiciarisation
« d’en bas » surgit à cause de la mobilisation sociale des citoyens qui présentent leurs
requêtes aux tribunaux afin de recevoir une réponse favorable a leur intérêts190.
Toutes ces conditions ont favorisé l’émergence de la judiciarisation dans le
contexte latino-américain. Par contre, il y a d’autres conditions propres au cas
colombien qui expliquent encore mieux le renforcement de ce phénomène dans le pays.
La première d’entre elles est la facilité d’accès à la justice constitutionnelle à travers le
187
Idem p.208-211
Rodrigo UPRIMNY, op.cit., “La fonction politique de la justice…” p. 241.
189
Idem, p.242
190
Idem, p.242-243
188
86
mécanisme de la tutela ; les citoyens utilisent beaucoup plus cet outil qu’ils n’ont
recours à leurs représentants au Congrès191.
Outre cela, la culture juridique traditionnelle en Colombie facilite l’activisme
des juges car, comme on l’a déjà vu, il existe depuis longtemps une tradition de contrôle
constitutionnel et d’ailleurs les arrêts judiciaires sont généralement respectés. Cette
culture s’est consolidée davantage encore avec la délégitimation croissante du Congrès,
menaçant les rapports entre les pouvoirs publics. D’après Uprimny, « ce qui se passe, ce
n’est pas tellement que la Cour se confronte avec les autres pouvoirs mais qu’elle
occupe des espaces vides libérés par ces derniers » 192.
Il faut ajouter l’inexistence d’une vraie tradition de créer des mouvements
sociaux capables d’avoir un impact sur la vie politique du pays, probablement à cause
de la permanence du conflit armé qui augmente les risques de participer de manière
publique. Ce fait a favorisé l’accroissement des actions individuelles comme la tutela193.
Étant donné ces conditions particulières, ajoutées à d’autres propres de
l’Amérique latine, la Cour Constitutionnelle colombienne a réussi à remplir une
fonction d’organe qui contrôle les abus du pouvoir exécutif et de à construire des
normes pertinentes pour résoudre les fléaux de la société.
La Cour même a déclaré :
Las dificultades derivadas del crecimiento desbordante del poder ejecutivo en el Estado
intervencionista y de la pérdida de liderazgo político del órgano legislativo deben ser
recompensadas en la democracia constitucional, con el fortalecimiento del poder judicial,
dotado por excelencia de la capacidad del control y defensa del orden institucional. Sólo de
esta manera puede lograrse un verdadero equilibrio y colaboración entre los poderes; de lo
contrario, predominará el poder ejecutivo194.
Il y a donc trois fonctions spécifiques où la Cour a occupé le lieu correspondant
au pouvoir législatif : la première c’est la présentation des politiques publiques quand
elle a introduit des thèmes ignorés par les autres pouvoirs mais qui, selon la Cour,
doivent faire part du débat public. C’est le cas du système d’hypothèques vers la fin des
années 1990, quand le pays a subi un des crises financières les plus graves de l’histoire
récente en augmentant les taux d’intérêt des hypothèques. À ce moment-là, le
gouvernement et le Congrès n’avaient donné aucune réponse aux citoyens qui perdaient
191
Idem, p. 243-244
Idem, p.244
193
Ibid
194
Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt T-406 1992
192
87
leurs logements à cause de la crise. C’est pourquoi la Cour a décidé d’y répondre à
travers les arrêts C-252 1998, C-383 1999 et C-747 1999195.
La deuxième fonction que la Cour accomplit comme substitut du législatif c’est
qu’elle supervise les initiatives politiques du premier degré. Ce qui est, par exemple,
possible à travers la déclaration de l’état de choses inconstitutionnel dans certains
problèmes comme le déplacement forcé ou le service de la santé196.
Finalement, la Cour occupe l’espace du Congrès lorsqu’elle devient un
contrepoids pour le pouvoir exécutif. C’est précisément le cas de notre recherche qui
montre bien comment la Cour peut déclarer l’inconstitutionnalité d’un acte législatif si
elle considère qu’il existe des déséquilibres de pouvoir en faveur du gouvernement.
C’est pourquoi le rôle accompli par la Cour Constitutionnelle colombienne est
d’une telle importance quant à l’équilibre de pouvoirs et que ses actions représentent un
bénéfice pour la stabilité du pays. Ainsi, il n’est pas possible d’appliquer la théorie
constitutionnelle traditionnelle pour expliquer l’activité judiciaire de la Cour, car la
Colombie serait qualifiée comme un gouvernement de juges, en faisant fi des avantages
sociaux et politiques obtenus à partir de l’intervention active du tribunal constitutionnel
en faveur des droits fondamentaux et du respect par la Constitution de 1991.
David Landau est celui qui a mieux expliqué les raisons pour lesquelles on doit
tenir compte les différences entre l’Amérique latine et les États-Unis ou l’Europe quant
au rôle du pouvoir judiciaire. En premier lieu, la séparation entre la politique ordinaire
et la politique constitutionnelle n’est pas claire dans le cas latino-américain ; comme le
Congrès n’a pas la capacité ou la volonté politique de créer des lois qui favorisent la
résolution des problèmes du pays, les constitutions latino-américaines sont devenues des
documents qui cherchent la transformation des conditions défavorables à travers
l’inclusion de toutes les dispositions politiques, économiques et sociales nécessaires
pour garantir le développement de la société. Autrement dit, le manque de confiance de
la population face à ces représentants a provoqué une tendance à remplacer la loi
ordinaire en tant que régulatrice de la vie quotidienne par une Constitution assez large
où les droits des citoyens soient assurés grâce a la suprématie du texte constitutionnel197.
En second lieu, il n’existe pas dans notre cas de culture constitutionnaliste
suffisamment diffusée, ce qui est met en évidence étant donné l’absence de débats
195
David LANDAU op.cit., p.51-52
Idem, p.56
197
Idem, p. 19-20
196
88
publics où les principes constitutionnels sont le centre de discussion. Bien que le cas
colombien s’éloigne un peu de cette condition grâce à sa tradition fortement juridique, il
est vrai que les citoyens ordinaires ne connaissent pas toujours tous les éléments
contenus dans la Constitution afin de les mettre en question ou de les défendre. Cela
s’explique par l’habitude d’ignorer ou même d’enfreindre la Constitution tout au long
de l’histoire latino-américaine. La population est habituée à accepter les changements
constitutionnels réalisés par ses gouvernants en faveur des intérêts particuliers198.
La dernière raison pour laquelle il n’est pas approprié d’appliquer de la même
manière la doctrine constitutionnelle traditionnelle au cas latino-américain c’est
l’incohérence des corps législatifs dans leur fonction de représenter les besoins et les
désirs de la population. Tandis que dans les démocraties développées il y a eu un
renforcement parallèle des partis qui sont devenus aussi solides, les nouvelles
démocraties ont subi d’une désinstitutionalisation très forte de la part des partis
politiques. Ces derniers ne sont pas des canaux de communication entre la société et les
gouvernants, mais plutôt des organisations qui servent les intérêts des leaders locaux,
s’écartant par-là même encore plus de la société civile.
Ces conditions spécifiques de la région doivent nous aider à comprendre
pourquoi le fait d’avoir un pouvoir judiciaire capable de remplacer le lieu du parlement
ne peut pas être vu comme un fait contraire à la démocratie moderne, mais comme une
stratégie propre des pays aux institutions faibles afin de garantir, plus ou moins,
l’équilibre de pouvoirs. Cependant la construction de cette stratégie rend autant de
bénéfices que de risques.
3.4.1Les risques de la judiciarisation du politique
Tout d’abord, il est évident que le remplacement du pouvoir législatif par le pouvoir
judiciaire provoque une délégitimation encore plus grande du parlement comme
institution représentative du peuple. De plus, les normes fixées par le Congrès n’ont
d’importance ni juridique ni politique, car les principes et les valeurs constitutionnels
remplacent cela.
Ensuite, il faut reconnaitre une « moralisation » du droit qui met en péril sa
neutralité. A ce sujet, R. Dworkin considère qu’à partir de la nouvelle tâche de la
Constitution, c’est elle qui détermine la moral sociale ; le juge remplace le politique, et
198
Idem, p.22
89
remplace même le prêtre199. Bien que l’affirmation puisse paraître un peu exagérée, il
faut reconnaitre que l’inclusion des nouveaux droits sociaux, principes et valeurs
spécifiques de la Constitution, a orienté le droit vers une vision assez spécifique de ce
que doit être la démocratie dans chaque pays.
Un autre risque de la judiciarisation est l’alourdissement de l’appareil judiciaire
à cause de la quantité de demandes de la part de la société, qui ne cherche plus les
auprès de ses représentants élus par le vote de réponse à ses difficultés quotidiennes. À
partir de la résolution de certaines demandes collectives de la part de la Cour s’est
produite une sorte de croyance en faveur du pouvoir judiciaire dans sa totalité comme
étant un pouvoir tout puissant. Cela entraîne la construction de deux types de réponse
judiciaires. Selon Uprimny, il s’est formé « un contraste entre une justice très visible,
qui résout peu de cas mais de manière spectaculaire, et une justice invisible, qui traite
de la grande majorité des affaires, mais qui a tendance à la routinisation, ce qui se
manifeste par un traitement inefficient et inéquitable des affaires »200. Les difficultés du
système judiciaire sont ainsi cachées par les interventions exceptionnelles de la Cour
Constitutionnelle.
L’on peut ajouter à cette liste de risques une politisation des affaires judiciaires
très négative pour la démocratie. Cela en raison de l’instrumentalisation des espaces
judiciaires comme des espaces de lutte des intérêts politiques où le droit devient une
exception et non la règle générale reconnue par la communauté. Cette situation
provoque une méfiance des décisions judiciaires qui compromet la légitimité de
l’administration de la justice201.
Enfin on peut souligner le détriment du débat public entraîné par la résolution
individuelle des cas problématiques à travers la tutela : comme les citoyens reçoivent
une solution effective à leurs problèmes particuliers, ils peuvent se détourner de la
démarche collective pour résoudre les problèmes structurels du pays. Ainsi la
participation politique perd son importance : « l’usage des recours judiciaires pour
résoudre des problèmes sociaux peut donner l’impression que la solution aux difficultés
politiques ne dépend pas de la participation démocratique mais de l’activité de juges
providentiels » 202.
199
Alejandro ORDOÑEZ MALDONADO, op.cit., p.13
Rodrigo UPRIMNY op.cit., p.247
201
Idem, p. 247
202
Idem, p.248
200
90
Par contre, comme on l’a déjà expliqué, la judiciarisation a contribué à résoudre
des situations de paralysie législative, ce qui montre qu’elle peut avoir certains
avantages pour les systèmes politiques comme le système colombien.
3.4.2 Les potentialités de la judiciarisation du politique
La première chose à remarquer c’est que la Constitution politique de 1991 a donné une
conception assez large des droits sociaux qui ont été bien protégés par la Cour
Constitutionnelle, ce qui montre d’emblée un fort activisme en la matière. Cet activisme
serait inutile si la Colombie avait des politiciens capables de défendre par eux-mêmes la
Constitution. Il reste ainsi dans l’imaginaire collectif colombien l’idée que la Cour est la
seule institution compétente pour développer le contenu progressiste de la Constitution
de 1991203.
En partant de cette clarification, on peut souligner –avec Uprimny– une première
vertu démocratique de la judiciarisation : la protection des droits de groupes
minoritaires. Ainsi, en tant que protecteurs du sens progressiste constitutionnel, les
juges construisent la légitimité démocratique qu’ils n’ont pas reçue par voie électorale.
En deuxième lieu, la paralysie du système politique –causée par des phénomènes
comme la corruption ou le clientélisme– peut être surmontée grâce à l’intervention de la
Cour Constitutionnelle qui est, au moins au niveau formel, un acteur externe de ce
système politique.
En troisième lieu, la judiciarisation peut provoquer, paradoxalement, une
certaine mobilisation sociale et politique lorsque les groupes qui ont été marginalisés
historiquement interprètent les décisions judiciaires comme des moyens pour la défense
active de leurs droits. Ainsi, la participation ou l’apathie politique, causées
hypothétiquement par la judiciarisation seront-ils le résultat de la position adoptée par
les citoyens qui se bénéficient des actions de la Cour Constitutionnelle204.
À partir de ces arguments, on peut comprendre que les actions judiciaires ne
possèdent pas une valeur positive ou négative inhérente, mais que cette valeur dépende
des effets politiques qu’elles provoquent dans la société. Dans le cas colombien, le bilan
de l’action judiciaire de la Cour peut être qualifié de positif car elle a permis la
récupération de la confiance des citoyens par la Constitution politique ainsi que
203
204
Idem, p.245
Idem, p. 245-248.
91
l’occupation de l’espace laissé par le parlement en tant qu’interlocuteur entre le
gouvernement et la société.
Certaines questions restent à résoudre : ces nouvelles dynamiques politiques
causées par l’activisme politique peuvent-elles transformer la définition de la
démocratie ? Est-ce qu’on doit parler d’une nouvelle démocratie judiciaire? Que doiton reconstruire pour inclure l’activisme judiciaire de la Cour Constitutionnelle dans le
constitutionnalisme traditionnel ?
3.5 Une nouvelle définition du constitutionnalisme : une transformation de la
démocratie
Etant donné l’influence de la Cour dans la vie politique colombienne contemporaine, on
peut qualifier cette démocratie comme un modèle représentatif juridique, en empruntant
la subdivision proposée par le politiste Américain Benjamin Barber. D’après cet auteur,
les valeurs fondamentales de ce type de démocraties sont liées au droit comme le
moteur protecteur, distributeur et l’arbitre de la société205.
Ces fonctions sont, bien sûr, connaturelles au droit si on le définit comme
l’assemblage de règles qui régissent une société quelconque : le droit est toujours censé
protéger, distribuer et servir d’arbitre. Pourtant, dès qu’on le regarde comme le centre de
toute l’activité politique, ceci se transforme et en même temps altère les dynamiques
sociopolitiques qui, comme l’expliquent les théories de Weber ou Parsons, doivent se
produire dans la société.
En ce sens, le pouvoir judicaire gouverne indirectement, car c’est lui qui établit
les limites aux organes du gouvernement. Cette influence, selon Barber, peut
endommager le rôle de la citoyenneté dans la démocratie, puisque celle-ci, en
considérant le gouvernement de juges comme qualifié pour assurer les règles sociales,
devient inactive. On peut donc en conclure qu’une démocratie représentative juridique
sacrifie la dynamique sociale au profit de l’institutionnalisation formelle ?
Absolument pas. Bien que la judiciarisation puisse provoquer une apathie
citoyenne, cela dépend des citoyens et de la façon comme ceux-ci utilisent les moyens
donnés par le pouvoir judiciaire afin de protéger leurs droits.
205
Benjamin BARBER, Strong democracy. Los Angeles, University of California Press, 2003. p.39-41
92
Dans le cas colombien, la Constitution politique possède un caractère tout à fait
progressiste qui a transformé la relation traditionnelle entre les juges et la société, grâce
à l’inclusion de principes et de valeurs plus amples et plus proches des besoins sociaux
de la population. Ainsi, certaines organisations en faveur des victimes du conflit armé se
mobilisent encore plus grâce à la protection constitutionnelle de leurs droits et au
nouveau cadre juridique et institutionnel créé par la Cour.
D’ailleurs, le néo-constitutionnalisme latino-américain évoqué auparavant
constitue un nouveau moyen pour motiver la participation citoyenne, puisque nos
constitutions représentent le document politique constitutif où sont exprimées toutes nos
attentes pour l’avenir, un avenir que l’on veut surtout plus juste. C’est donc la justice
l’élément le plus innovant tant dans les constitutions que dans la lutte des mouvements
sociaux de nos jours.
Selon Ian Shapiro, « une bonne part de l’autorité morale dont peuvent prôner
les mouvements démocratiques provient de l’espoir qu’ils font naître de redresser les
usages sociaux injustes. Cette réflexion reflète le lien intime qui, dans l’imaginaire
politique moderne, associe la promesse de la démocratie à celle de la justice
sociale »206.
L’on
est
d’accord
avec
l’e
terme
constitucionalismo
aspirational
(constitutionnalisme des aspirations) utilisé par Mauricio García pour exprimer
justement le lien entre Constitution et progrès et qui s’oppose au constitutionnalisme
préservateur si propre de Locke207.
Ce type de constitutionnalisme est typique de contextes politiques où existe un
fort mécontentement quant au présent et une forte attente en l’avenir. Il cherche
l’effectivité réelle des normes à travers différents mécanismes comme la révision
judiciaire et les moyens de participation directe.
De plus, il y a une confiance dans le travail des juges et une méfiance envers le
pouvoir législatif. Ainsi le juge devient un acteur principal, source, en même temps, de
conflits entre les pouvoirs publics, entre les institutions élues démocratiquement qui
doivent formuler les politiques publiques et le pouvoir judiciaire qui cherche la
protection des droits fondamentaux.
206
Ian SHAPIRO, “La justice démocratique: deux dimensions” Raisons politiques, 2004/3 no 15, p. 125.
Mauricio GARCÍA, « Capítulo 4: El derecho como esperanza: constitucionalismo y cambio social en
América Latina, con algunas ilustraciones a partir de Colombia », in UPRIMNY Rodrigo, RODRÍGUEZGARAVITO César et GARCÍA Mauricio, ¿Justicia para todos?: Sistema judicial, derechos sociales y
democracia en Colombia, Bogotá, Grupo Editorial Norma, 2006, p. 205
207
93
Afin de surmonter ces difficultés propres au constitutionnalisme latinoaméricain, il est fondamental d’organiser des mouvements sociaux capables d’influer
sur les décisions gouvernementales et de construire une nouvelle culture juridique qui
permettent aux juges de collaborer avec les autres pouvoirs et non de se présenter en
ennemis. C’est sur ce point que la judiciarisation doit motiver la participation citoyenne,
car les tribunaux constitutionnels auront toujours des limitations comme exécuteurs de
leurs propres décisions. La société est alors responsable de la promotion des avancées
du pouvoir judiciaire. Sinon les Constitutions seront des textes morts où la population
dépose des espoirs démesurés.
Aussi est-il est possible de parler d’une démocratie forte dans la mesure où c’est
à la citoyenneté que revient le rôle d’exiger les conditions stipulées par la Constitution
et elle ne doit pas laisser aux juges la tache de résoudre les crises sociales et politiques
du pays, en demandant des fonctions qui sont impossibles d’accomplir.
Le parlement –comme institution démocratique– doit toujours jouer le rôle
d’interlocuteur entre le gouvernement et la société ; et c’est lui qui formule, met en
œuvre et évalue les politiques publiques en faveur de la population.
Bien que dans la pratique l’activisme judiciaire de la Cour Constitutionnelle
colombienne ait permis de surmonter d’une certaine manière la crise sociale dans le
pays, dans la théorie ses actions sont marquées par un surpassement de ses fonctions
constitutionnelles, ce qui laisse planer un doute sur son caractère démocratique.
C’est pour quoi il est impératif de reposer le constitutionnalisme traditionnel afin
d’inclure le nouveau rôle des tribunaux constitutionnels en tant que défenseurs des
droits sociaux insérés dans les dernières constitutions. De cette façon, les juges ne
seront plus obligés de jouer avec des interprétations recherchées pour justifier leurs
décisions. De plus, la citoyenneté doit s’approprier un esprit non-conformiste avec le
vide laissé par le Parlement ; elle doit exiger ce qui est promis dans le texte
constitutionnel.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’une modification en faveur d’un gouvernement de
juges où ils aient le dernier mot sur tous les sujets sociaux et politiques. Il s’agit plutôt
d’une reconnaissance de la nécessité de travailler tous ensemble pour la construction
d’un État de droit fort et d’une démocratie participative où les citoyens assument leur
rôle et où chaque pouvoir public contribue avec les autres, afin d’accomplir avec les
taches de l’État.
94
C’est avec raison que Barber affirme que la démocratie ne peut survivre comme
démocratie forte qu’avec une citoyenneté responsable et compétente. Les dictatures ont
besoin de grands leaders, tandis que les démocraties effectives ont besoin de grands
citoyens208. De la même façon, il ne s’agit pas de grands juges mais de grands citoyens
pour garantir l’accomplissement de la Constitution politique.
208
Rodrigo UPRMNY “Capítulo 3: Legitimidad y conveniencia…” op.cit.,p.197
95
Conclusion
La décision de la Cour Constitutionnelle colombienne d’empêcher une troisième
élection présidentielle est devenue une opportunité pour le pays de mettre à l’épreuve la
solidité de ses institutions démocratiques. D’un côté, le Congrès a montré sa faiblesse
en tant que contrepoids de l’exécutif transformant le texte de l’acte législatif en une
opportunité ciblée pour le président de l’époque; de l’autre, l’ex-président Uribe a
essayé d’être au pouvoir pendant 12 ans, ce qui met en évidence son désir de concentrer
le pouvoir politique entre ses mains. Cette situation a incité la Cour Constitutionnelle à
analyser attentivement les conséquences tant juridiques que politiques d’un troisième
mandat présidentiel.
Bien que la Constitution de 1991 stipule les fonctions et les restrictions de la
Cour en tant que garant du texte suprême, il est vrai que les dernières années cet organe
judiciaire a construit un cadre juridique grâce auquel il peut intervenir dans la
construction des politiques publiques nationales. C’est le cas, par exemple, des arrêts en
faveur de l’avortement et de l’euthanasie.
Pour parvenir à cette tâche, la Cour Constitutionnelle a construit un ensemble de
concepts clés qui l’ont permis de justifier ses décisions en termes juridiques. Ainsi, la
substitution de la Constitution, les vices de compétence ou le bloc de constitutionnalité
sont des éléments fondamentaux pour le développement du rôle de la Cour en tant que
garant des nouveaux droits sociaux inclus dans la Constitution de 1991.
Le succès de l’utilisation de ces concepts peut s’expliquer de plusieurs façons :
d’abord, la naissance d’un nouveau constitutionnalisme en Amérique latine –dont la
Colombie est un bon exemple–, qui a privilégié le rôle des juges constitutionnels en tant
que protecteurs de la justice sociale. Cette dernière s’est constituée comme un élément
indispensable pour la démocratie actuelle. Ainsi, les tribunaux constitutionnels sont
devenus des organes essentiels dont la légitimité démocratique n’a pas été octroyée par
un vote populaire, mais par leur travail de défense des principes et des valeurs stipulés
dans les Constitutions politiques.
Ensuite, la force politique de la Cour a rendu possible l’acceptation du cadre
juridique créé elle-même. Dans d’autres pays de la région en effet, les juges ne font pas
appel aux concepts juridiques similaires, malgré leur existence. C’est le cas du
Venezuela, où le président de la République tient le pouvoir politique réel de manière
96
presque unique. Les juges constitutionnels ne disposent donc pas des moyens
nécessaires pour faire respecter la Constitution lorsque les autres pouvoirs outrepassent
les principes et les normes stipulées par elle-même.
Ce sont donc les raisons politiques et non les justifications juridiques, qui
expliquent le feu vert donné à la Cour Constitutionnelle pour prendre des décisions
controversées, même si elles s’opposent au désir populaire. Mais, d’où provient le
soutien populaire de la Cour ? Premièrement, de la faiblesse des institutions
démocratiques colombiennes comme le Congrès, qui a été incapable d’occuper sa
fonction de constructeur de politiques publiques favorables à la collectivité.
Deuxièmement, d’une tradition du respect pour le pouvoir judiciaire dont la présence a
marqué l’histoire colombienne. Les magistrats de la Cour Suprême de Justice et,
actuellement, les magistrats de la Cour Constitutionnelle ont alors acquis un statut
prestigieux. Troisièmement, de la confiance citoyenne par rapport à la Constitution
rédigée en 1991, parce qu’elle représente le triomphe du pouvoir constituant primaire
sur les institutions rigides et obsolètes du début des années 90 ; la Cour, en tant que
garant de cette Constitution, possède un fort soutien populaire. Enfin, le développement
d’une jurisprudence très progressiste, dans laquelle les valeurs principales ont été
représentées par la lutte contre la corruption, le contrôle des abus de pouvoir
gouvernementaux, la protection de groupes minoritaires et de populations stigmatisées
et, en dernier, la gestion de la politique économique par rapport à la protection des
droits sociaux. La Cour Colombienne est ainsi l’un des tribunaux les plus actifs du
monde, grâce notamment, à l’existence d’outils comme la tutela et d’autres mécanismes
inclus dans la nouvelle Constitution colombienne.
Il faut ajouter que la Cour remplit toujours la tache qui lui assignée la
Constitution : elle n’ignore pas la révision quant aux vices de procédure. L’arrêt C-141
2010 montre bien comment l’acte législatif référé à la convocation d’un référendum
pour obtenir une troisième élection présidentielle a été déclaré inconstitutionnel pour
des vices de procédure insubsanables. Les parlementaires colombiens n’ont ainsi pas eu
la capacité de transformer le désir d’un groupe significatif de citoyens en une loi
conforme à la Constitution politique. C’est pourquoi le projet de réforme constitutionnel
a été voué à l’échec dès le début.
Cependant, la Cour s’est manifestée aussi sur la possible substitution de la
Constitution, en affirmant, d’abord, qu’un mandat présidentiel de 12 ans pouvait mettre
97
en péril le système de poids et contrepoids dans le pays et que, ensuite, la Constitution
avait créé des règles afin de rompre avec la tradition historique de la figure
hégémonique du président de la République. Ainsi, ces règles devaient être respectées
malgré le désir populaire.
Donc, il est vrai que la Cour a utilisé des arguments qui dépassent sa propre
compétence, en déclarant une substitution de la Constitution. Mais il est fondamental de
reconnaître que la démocratie colombienne est affaiblie par l’existence de phénomènes
comme la corruption, la déficience institutionnelle, le manque de confiance de la
population envers ses représentants et l’incapacité d’avoir une pensée politique global,
entre autres.
Cette transformation du rôle du pouvoir judiciaire entraîne, bien sûr, des risques
pour le système démocratique, car les juges peuvent outrepasser leur pouvoir
d’interprétation de la Constitution dans leurs propres intérêts, et aussi, parce qu’il existe
un gouvernement des juges possible où les autres pouvoirs publics pourront être soumis
à la volonté d’une élite judiciaire qui n’a pas été élue par le peuple.
Néanmoins, on ne peut nier que cette judiciarisation de la politique a permis de
renforcer la démocratie : la protection des droits des groupes minoritaires, le
dépassement de la paralysie institutionnelle provoquée par des structures politiques
inefficientes, et la consolidation de mouvements sociaux qui perçoivent la Cour
Constitutionnelle comme un allié dans la lutte pour la défense des droits de l’Homme.
La Cour Constitutionnelle émerge donc comme une force capable d’exiger le
respect pour les principes proposés dans la Constitution, mais aussi comme un acteur
qui intervient dans l’élaboration des politiques publiques censées favoriser une
population qui n’a pas de ressources économiques ou politiques suffisantes pour
s’intégrer dans les dynamiques politiques du pays.
Cette défense des droits fondamentaux a engendré une acceptation de la part de
la population pour recevoir des décisions qui vont même contre une volonté dite
générale (comme la troisième élection), mais qui ont leur justification dans le respect
des principes constitutionnels.
Dans cette mesure on peut conclure que, malgré l’existence d’un possible
« gouvernement des juges », les théories constitutionnelles créées pour expliquer le rôle
du pouvoir judiciaire ne sont pas toujours appropriées pour expliquer les dynamiques de
pays comme la Colombie qui connaissent un grand déséquilibre des pouvoirs et une
98
grande faiblesse institutionnelle. Plus absurde que l’existence d’un gouvernement des
juges, serait le fait de nier à la Cour Constitutionnelle la possibilité de prendre des
décisions importantes pour le pays, surtout lorsque ces décisions favorisent le
développement d’une société plus juste.
Cependant, il est fondamental de reconnaitre que tant le Congrès que le président
sont des institutions élues de manière démocratique et ils ne doivent pas être exempts
d’assumer leur rôle comme représentants de la volonté générale. La question finale est
donc, si le pouvoir judiciaire assume la place des autres pouvoirs publics dans
l’application de la Constitution, quelle serait la place du Congrès ou du Président de la
République ?
99
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