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ACADEMIE DE PARIS UNIVERSITE DE PARIS III NOUVELLE SORBONNE INSTITUT DES HAUTES ETUDES DE L’AMERIQUE LATINE (IHEAL) L’ACTION POLITIQUE DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE COLOMBIENNE : LA DÉFENSE D’UNE DÉMOCRATIE FAIBLE Mémoire présenté et soutenu par Ana Carolina GÓMEZ ROJAS En vue de l’obtention du diplôme Master 2 Recherche Directeur de Recherche Hubert GOURDON Septembre 2012 ACADEMIE DE PARIS UNIVERSITE DE PARIS III NOUVELLE SORBONNE INSTITUT DES HAUTES ETUDES DE L’AMERIQUE LATINE (IHEAL) L’ACTION POLITIQUE DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE COLOMBIENNE : LA DÉFENSE D’UNE DÉMOCRATIE FAIBLE Ana Carolina GÓMEZ ROJAS Septembre 2012 Table de matières Introduction ...................................................................................................................... 3 1. Décision de la Cour Constitutionnelle : une analyse de forme et de fond.................... 7 1.1 Décision de la Cour Constitutionnelle en termes de procédure.............................. 7 1.1.1 Procédure pour modifier la Constitution colombienne.................................... 8 1.1.2 Arguments pour la déclaration de la non-conformité de la loi 1354 de 2009 10 1.2 Les arguments matériels de la Cour par rapport à la réélection ........................... 14 1.2.1 Les arguments de la Cour par rapport à la première réélection présidentielle. ................................................................................................................................ 15 1.2.2 Les arguments de la Cour par rapport à la deuxième réélection présidentielle. ................................................................................................................................ 16 1.3 La construction conceptuelle de la Cour Constitutionnelle .................................. 19 1.3.1 Substitution de la Constitution ...................................................................... 19 1.3.2 Vices de compétences .................................................................................... 21 1.3.3 Le bloque de constitutionnalité ..................................................................... 24 1.3.4 La « modulación » des effets des sentences .................................................. 25 1.4 La suprématie de la Constitution .......................................................................... 28 1.5 Le débat sur la réforme de la Constitution ........................................................... 32 2. Le système politique colombien : une explication du pouvoir de la Cour Constitutionnelle............................................................................................................. 39 2.1. La tradition politique de Colombie ...................................................................... 39 2. 1.1 Délégitimation des partis politiques ............................................................ 39 2.1.2 Le mouvement de “la séptima papeleta” ....................................................... 41 2.1.3 Une nouvelle fragilisation politique .............................................................. 46 2.1.4 Tradition présidentialiste en Colombie ......................................................... 48 2.1.5 La discussion sur le continuisme ................................................................... 50 1 2.1.6 Le populisme en Colombie ............................................................................ 53 2.2 Le phénomène Uribe ............................................................................................ 56 2.2.1 Justifications de la popularité de l’ex-président Uribe .................................. 56 2.2.2 Première réélection du président Uribe ......................................................... 59 2.2.3 Les modifications dans l’exercice du pouvoir à court et long terme ............. 60 2.2.4 Le président Uribe et le pouvoir judiciaire .................................................... 63 3. La Cour Constitutionnelle comme un acteur politique ............................................... 66 3.1 Le rôle de la Cour Constitutionnelle colombienne dans l’élaboration des politiques publiques. ................................................................................................... 66 3.2 Le rôle de la Constitution de 1991 et le néo-constitutionnalisme en Amérique latine ........................................................................................................................... 72 3.2.1 La Constitution de 1991 comme garante des principes démocratiques......... 72 3.2.2 Le néo-constitutionnalisme en Amérique latine ............................................ 77 3.3 La Cour Constitutionnelle Colombienne : un gouvernement de juges ? .............. 79 3.4 Judiciarisation du système politique : risques et avantages .................................. 85 3.4.1Les risques de la judiciarisation du politique ................................................. 89 3.4.2 Les potentialités de la judiciarisation du politique ........................................ 91 3.5 Une nouvelle définition du constitutionnalisme : une transformation de la démocratie .................................................................................................................. 92 Conclusion ...................................................................................................................... 96 Bibliographie ................................................................................................................ 100 2 Introduction La Colombie a vécu dans les dernières années un grand bouleversement politique : les citoyens ont rédigé une nouvelle Constitution afin de surmonter des phénomènes comme la corruption politique, le clientélisme et la pénétration du narcotrafic dans presque toutes les institutions –incluant les groupes armés illégaux– ; des nouvelles organisations ont été créées, entre autres la Cour Constitutionnelle ; les citoyens ont appris à exiger leurs droits fondamentaux à travers des mécanismes très modernes comme la tutela ; les mouvements et les partis politiques ont augmenté de manière vertigineuse après le début des années 90 pour se réduire de manière dramatique après la réforme politique de 2004 ; et, enfin, le pays a connu le président le plus populaire dans l’histoire colombienne au point de réussir la modification de la Constitution afin d’obtenir une deuxième élection. Cet état de fait s’est accompagné d’une grande modification dans la relation entre les pouvoirs publics. Chacun d’eux a essayé de maintenir son statut et son influence sur la société colombienne. Entre 2002 et 2010 s’est déchainé un « choque de trenes » où le pouvoir judiciaire se trouvait parmi deux réalités différentes : un pouvoir exécutif chaque fois plus fort et avec des niveaux de popularité jamais atteints, et un pouvoir législatif lié aux groupes armés illégaux, ce qui augmentait la méfiance des citoyens face à cet organe. Ainsi, la Cour Constitutionnelle a pris une place significative dans l’imaginaire collectif colombien en tant que garant des droits fondamentaux, historiquement ignorés par les élites politiques. Les citoyens « ordinaires » ont commencé à faire appel à la Cour pour résoudre leurs problèmes quotidiens, transformant le rôle de ce pouvoir judiciaire en un rôle politique. Cette situation engendre vraisemblablement plusieurs difficultés pour deux raisons: en premier lieu, il y a un risque pour l’appareil judiciaire de devenir inefficace à cause de la quantité de demandes reçues ; et en deuxième lieu, le Congrès peut perdre de manière définitive sa légitimité face aux citoyens, ce qui met en péril le système démocratique. En parallèle, la figure du président Álvaro Uribe a émergé comme un politique capable d’atteindre les 70% de popularité. Grâce à son image d’homme rural qui comprenait bien les besoins de la « nation colombienne », il a réussi à construire une politique gouvernementale ayant pour hypothèse que l’existence des guérillas était la 3 seule cause des fléaux du pays, raison pour laquelle la grande partie du budget national a été dédié à la lutte contre ces groupes. Bien que cette vision du conflit colombien ait ses limites, elle a eu un impact positif dans l’opinion publique et a reçu également le soutien de la majorité des colombiens dans les élections présidentielles de 2002 et aussi dans les élections de 2006. Ainsi, on s’est posé la question de l’existence du populisme en Colombie, en considérant aussi le phénomène Uribe comme le résultat du mécontentement de la société par rapport aux gouvernants antérieurs. Mais à vrai dire, ce qui est intéressant ici c’est l’affrontement entre les deux forces les plus populaires dans l’histoire récente du pays : le président Uribe et la Cour Constitutionnelle. Car précisément la décision de la Cour d’empêcher un troisième mandat présidentiel a été la raison principale de l’affrontement. Les arguments en faveur de cette décision ont été de la même intensité que les arguments contre. Le pays risquait de se polariser. Cependant, la déclaration de non-conformité de la loi convoquant un référendum pour modifier la Constitution en faveur du président Uribe a été accueillie avec résignation par le président aussi que par la majorité des citoyens. Quelle a été la raison ? D’un côté l’ex-président Uribe ne souhaitait pas être perçu comme un leader populiste, mais comme un gouvernant respectueux de la Constitution, malgré les affrontements vécus avec le pouvoir judiciaire tout au long de son mandat. De l’autre, la Cour Constitutionnelle possédait une légitimité envers l’opinion publique grâce au développement d’une jurisprudence très progressiste. Cette situation m’a conduit alors à me poser la question centrale de la recherche : comment un pouvoir public qui n’a pas été élu par voie populaire peut-il imposer sa volonté, même si elle est contraire au désir de la majorité de la population ? Ce sujet montre bien qu’il ne s’agit pas d’une discussion purement juridique dans laquelle la Cour Constitutionnelle est plus habile que les autres pouvoirs dans la construction de concepts qui favorise ses décisions. Il s’agit plutôt d’un débat politique où les institutions du pays luttent pour maintenir leur légitimité populaire. Il convient d’ajouter que cette thématique a été étudiée en Colombie de manière presque exclusive par les juristes, bien qu’il s’agisse, comme on l’a déjà mentionné, d’un sujet aussi politique. Pour cette raison il existe un besoin de le traiter d’une manière pluridisciplinaire afin de mieux comprendre les enjeux propres de la Colombie. 4 Trois concepts essentiels doivent êtres définis afin d’éviter des ambiguïtés dans le développement de la recherche: en premier lieu, il s’agit d’apporter une définition du populisme afin de déterminer si la popularité de l’ex-président Uribe peut s’apparenter au phénomène populiste ou non. Susane Gratius sera notre principale source dans la caractérisation du populisme contemporain, elle en identifie cinq éléments : 1) l’absence d’une idéologie et/ou d’un programme politique ; 2) une relation directe entre le leader et le peuple à travers une structure verticale de pouvoir ; 3) l’arrivée au pouvoir d’un outsider qui a un discours anti-oligarchique ; 4) de hauts niveaux de soutien populaire et d’inclusion des marginalisés ; 5) un affaiblissement des institutions démocratiques et notamment des poids et contrepoids1. En deuxième lieu, face à l’activisme judiciaire de la Cour Constitutionnelle, il s’agira de définir le gouvernement des juges pour déterminer si la Colombie est victime de ce type de gouvernement ou non. La définition prise et celle d’Edouard Lambert, qui établit le gouvernement des juges comme « le système de gouvernement, qui est sorti aux États-Unis de l’association de plus en plus étroite des tribunaux à la direction de la marche de la législation» 2. Finalement, il est fondamental de définir la judiciarisarion des affaires politiques provoquée par l’activisme de la Cour Constitutionnelle et, en général, des tribunaux constitutionnels. Ici, le juriste et ex-magistrat auxiliaire de la Cour Constitutionnelle colombienne Rodrigo Uprimny donne une définition très précise. Il définit ce phénomène comme « le fait que certaines matières qui relevaient traditionnellement de dynamiques politiques –suivant les principes de fonctionnement démocratique– sont de plus en plus traitées par les juges ou conditionnées par des décisions judiciaires» 3. Partant de ces définitions, il est possible d’avoir une première idée du rôle développé par la Cour Constitutionnelle et l’opposition qu’elle a trouvé dans la figure du président de la République. Dans cette mesure, les objectifs poursuivis par la présente recherche sont, premièrement, identifier quels sont les moyens de la Cour pour développer son 1 Susan GRATIUS, « La tercera ola populista de América Latina », Documento de trabajo, 45, Fundación para las Relaciones Internacionales y el Diálogo Exterior (FRIDE), 2007, p. 2. 2 Edouard LAMBERT, Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociales aux États Unis, Paris, Éditions Dalloz, 2005, p.8 3 Rodrigo UPRIMNY YEPES, « La justice au cœur du politique: potentialités et risques d’une judiciarisation en Colombie » in COMMAILLE Jaques et KALUSZYNSKI Martine, La fonction politique de la justice, Paris, La Découverte, 2007, p.233 5 activisme judiciaire ; deuxièmement, reconnaitre quelles sont les explications politiques à travers lesquelles la Cour représente un pouvoir légitime pour les colombiens ; et finalement, comprendre quels sont les risques et les bénéfices de l’activisme de la Cour Constitutionnelle. Tout cela nous mènera à prouver l’hypothèse centrale : la Cour Constitutionnelle colombienne possède une légitimité démocratique parce que, en premier lieu, elle remplace partiellement la place laissée par le Congrès en tant que créateur des politiques publiques et parce que, en deuxième lieu, elle garantit la protection des nouveaux principes et valeurs constitutionnels en favorisant les groupes les plus stigmatisés de la société colombienne. Ainsi, c’est le pouvoir judiciaire et non le pouvoir législatif qui répond au mieux aux demandes sociales de la Colombie. 6 1. Décision de la Cour Constitutionnelle : une analyse de forme et de fond La popularité du président Álvaro Uribe a permis la modification de la Constitution afin de rendre possible sa propre réélection en 2006. À partir de cette modification le président a augmenté son mandat à 8 ans, sa popularité montant jusqu'à 75 % de confiance. De même, en 2009, un groupe de citoyens a décidé de promouvoir une initiative législative populaire afin de modifier une nouvelle fois la Constitution et de favoriser Uribe avec la possibilité d’une troisième élection. Tout au long de cette année la discussion a été centrée sur une question : est-ce que la volonté populaire doit prévaloir sur les institutions établies par la Constitution de 1991 ? La réponse paraissait être favorable au fait d’élire pour une troisième fois le président. Ainsi le débat a été fortement personnalisé et quelques thèmes comme le besoin de l’alternance au pouvoir ou le respect pour le schéma de poids et contrepoids ont perdu de leur importance. Avec ce tableau la victoire du président Uribe avait l’air d’être assurée. Par contre la Cour Constitutionnelle a déclaré le 26 février 2010 (quelques jours avant le début de la campagne électorale) non-conforme la loi qui convoquait le peuple pour décider par voie de référendum la possibilité d’une troisième élection présidentielle consécutive. Cette loi était pourtant le résultat d'une initiative populaire développée par un groupe significatif de citoyens. Alors si la majorité de la population soutenait le président Uribe, pourquoi la Cour Constitutionnelle a-t-elle empêché le développement du désir populaire ? Quelles étaient ses raisons ? 1.1 Décision de la Cour Constitutionnelle en termes de procédure D’abord, il faut décrire le processus établi par la Constitution politique pour être reformée afin de comprendre les arguments de la Cour Constitutionnelle. On pourra ensuite juger si les arguments donnés par la Cour sont cohérents avec les dispositions constitutionnelles. 7 1.1.1 Procédure pour modifier la Constitution colombienne En Colombie, la Constitution établit la possibilité d'être modifiée à l’article 374, car elle affirme : « La Constitution pourra être réformée par le Congrès, par une Assemblée Constituante ou par le peuple par voie de référendum ». À partir de là, il existe une procédure à suivre si l’on veut modifier la Constitution par voie populaire selon la Constitution et les lois « statutaires » 130 et 134 de 1994 : a. Initiative populaire : Le titre deux de la loi 134 de 1994 explique que pour former l’initiative populaire il faut composer un comité de promoteurs, constitué d'un groupe de citoyens ou par un mouvement ou parti politique, qui devra s’inscrire devant la Registraduría Nacional del Estado Civil (RNEC) avec le soutien de 5/1000 citoyens inscrits sur les listes électorales. Si la RNEC donne son accord pour l’inscription, le Comité recevra des formulaires pour collecter les signatures nécessaires afin d'appuyer l’initiative législative populaire. L’article 378 constitutionnel établit que les signatures doivent représentées au moins 5 % des listes électorales en vigueur et qu'elles pourront être collectées dans un laps de temps de six mois au maximum. Après la collecte de signatures, la RNEC doit délivrer un certificat qui garantisse l’accomplissement de toutes les conditions demandées (les formulaires remplis, l’exposition des raisons et le projet des articles proposés, l’accomplissement dans le financement de la campagne, etc.). Avec cette certification, le Comité de Promoteurs présentera la proposition d’initiative devant le Congrès. b. Approbation d’une loi par laquelle est introduit le texte qui a reçu le soutien populaire : l’article 378 de la Constitution établit qu’il peut exister l’initiative de réformer la Constitution à travers un référendum. Dans ce cas, seuls le gouvernement et un groupe de citoyens équivalents au moins à 5 % des listes électorales en vigueur peuvent faire ce type de modification constitutionnelle4. Le Congrès a alors l’obligation de transformer l’initiative par une loi qui sera le résultat du débat aux deux chambres du Congrès. Pendant l’élaboration de la loi, les 4 « Por iniciativa del Gobierno o de los ciudadanos en las condiciones del artículo 155, el Congreso, mediante ley que requiere la aprobación de la mayoría de los miembros de ambas Cámaras, podrá someter a referendo un proyecto de reforma constitucional que el mismo Congreso incorpore a la ley. El referendo será presentado de manera que los electores puedan escoger libremente en el temario o articulado qué votan positivamente y qué votan negativamente. La aprobación de reformas a la Constitución por vía de referendo requiere el voto afirmativo de más de la mitad de los sufragantes, y que el número de éstos exceda de la cuarta parte del total de ciudadanos que integren el censo electoral ». 8 parlementaires doivent respecter le principe d’identité (c’est-à-dire qu’aucun projet ne peut se transformer en loi sans avoir fait l'objet de deux débats à la Chambre des représentants et de deux débats sur le même sujet au Sénat), le principe de consécutivité (ou l’obligation d'aborder toutes les thématiques proposées par le projet sans que ces discussions soient repoussées à un moment ultérieur), et le principe de publicité (ou la possibilité que la société connaisse le fonctionnement du Congrès à travers des mécanismes comme la chaîne publique de télévision, la « Gaceta del Congreso », les audiences publiques et la publication des lois). Par rapport à la votation, l’article 378 établit aussi que la loi qui convoque à un référendum doit être approuvée par la majorité des membres du Congrès. Cette votation est publique. L’article 161 constitutionnel affirme que lorsque des divergences se présentent entre les chambres du Congrès sur le projet discuté, il se formera une commission de conciliation afin de trouver un accord entre les deux textes5. La Cour Constitutionnelle définit comme « divergence » toute différence qui modifie le sens d’un projet de loi et qui permet de conclure qu’il s’agit de deux textes différents. Une fois que cette procédure est terminée, le Congrès doit envoyer la loi au Président de la République pour être sanctionnée. Le Président doit envoyer à son tour cette loi à la Cour Constitutionnelle. c. Vérification de la part de la Cour Constitutionnelle : Selon l’article 241 de la Constitution : « à la Cour Constitutionnelle est confiée la garde de l’intégrité et de la suprématie de la Constitution, dans les termes stricts et précis de cet article. Dans ce but, elle accomplira les fonctions suivantes : 2. Décider, avant la décision populaire, sur la constitutionnalité de la convocation à un référendum ou à une Assemblée Constituante pour réformer la Constitution, uniquement pour les vices de procédure dans sa formation ». La Cour doit donc se limiter à exercer un contrôle qui ne touche pas au fondement de la loi, puisque faire ce type d’analyse signifie outrepasser les compétences imposées par la Constitution même. Si la Cour déclare la non-conformité de la loi d’initiative législative afin de convoquer un référendum, cette initiative s'arrête là. En revanche, si la Cour considère 5 “Cuando surgieren discrepancias en las Cámaras respecto de un proyecto, ambas integrarán comisiones de conciliadores conformadas por un mismo número de Senadores y Representantes, quienes reunidos conjuntamente, procurarán conciliar los textos, y en caso de no ser posible, definirán por mayoría”. 9 que la loi est constitutionnelle, le gouvernement appellera le peuple pour qu'il se décide « pour » ou « contre » le texte qui reprendra la Constitution. Ensuite la décision finale de la population entrera en vigueur c'est-à-dire, pour notre cas, qu’il y aura une convocation aux élections auxquelles le président réélu une fois pourra se présenter selon sa volonté. 1.1.2 Arguments pour la déclaration de la non-conformité de la loi 1354 de 2009 Le Congrès colombien a élaboré la loi 1354 2009 pour convoquer le peuple au référendum qui rendait possible une troisième élection. Mais la Cour a déclaré la nonconformité de cette loi pour diverses raisons sur la procédure, et pour des raisons de fond (ces dernières malgré la limitation imposée par l’article 241 de la Constitution) qui seront développées dans la seconde partie de ce mémoire. Par rapport aux arguments sur la procédure de la loi, on peut souligner les points suivants : 1) En premier lieu la Cour a constaté l’existence d'irrégularités dans le financement de la campagne de l’initiative législative. Notons que l’article 96 de la loi 134 de 1994 stipule : « le montant maximum d’argent privé qui pourra être dépensé dans chacune des campagnes liées aux droits et aux institutions régulées par cette loi, sera fixé par le Conseil National Électoral chaque année au mois de janvier. La nonobservation de cette disposition sera cause de délit ». La raison pour laquelle il existe des limites économiques c'est que, selon la Cour, un État Social de Droit comme l'État colombien doit garantir que les ressources économiques qui soutiennent un tel projet politique ne sont pas utilisées de manière illimitée par un groupe de citoyens afin d’imposer ses intérêts sur les autres grâce à son pouvoir économique. Ce qui serait une menace directe au principe de pluralisme politique. La loi colombienne cherche à protéger aussi le principe de la transparence, c'està-dire l’existence des outils qui déterminent l’origine, la destination et le montant des ressources économiques qui portent une campagne électorale. Si l'on peut garantir les deux principes, on pourra en même temps réduire la présence de la corruption au cours de ce processus. Pour le cas concret, le CNE a déterminé dans la Résolution 0067 de 2008 la quantité limite pour les apports de la manière suivante : $334'974.388 pesos pour les 10 apports globaux, et $3'349.743 pour les apports individuels (personnes naturelles et juridiques). Selon l’enquête réalisée par le CNE même, les apports totaux de la campagne ont été de $2.046'328.135,81 pesos, dépassant de six fois le montant autorisé, tandis que les apports individuels qui atteignent $50.000.000 pesos montrent une infraction de presque 30 fois le montant établi. À partir de ces irrégularités dans le financement de l’initiative législative la Cour a déclaré l’inconstitutionnalité de la loi 1354 2009. Néanmoins, l’examen des autres vices a continué dans la décision de la Cour. 2) La modification au projet d’initiative populaire au Congrès : bien que le Congrès soit l’organe représentatif par excellence, il faut reconnaître que, dans l’initiative législative populaire, l’élément le plus important à protéger est la volonté que le peuple a manifesté à travers ce mécanisme. Le 10 septembre 2008, le Comité de Promoteurs a présenté devant le Secrétariat Général de la Chambre des Représentants le projet « au moyen duquel un projet de réforme constitutionnelle est proposé par un référendum constitutionnel et soumis à la considération du peuple ». Ainsi, les quatre débats nécessaires pour l’approbation d’une loi de référendum ont commencé par la chambre de représentants, où les résultats des votations finales du 17 décembre 2008 furent : 86 représentants (sur un total de 146) pour le « oui » au projet sans aucune modification, c'est-à-dire en maintenant le texte soutenu par l’initiative citoyenne qui affirmait : « Celui qui a exercé la présidence de la république pendant deux périodes constitutionnelles pourra être élu pour une autre période ». La votation de cette loi est réalisée pendant la période extraordinaire des activités du Congrès, c'est-à-dire en dehors de la législature ordinaire qui peut être demandée par le président de la république afin d’obliger le parlement à discuter de quelques sujets d’intérêt pour le gouvernement. Dans les débats au Sénat la dynamique a été complètement différente puisque les parlementaires ont décidé de changer dans le premier débat la rédaction du texte proposé : « Celui qui a été élu à la présidence de la république par deux périodes constitutionnelles ne pourra être élu que pour une seule nouvelle période ». Le projet avec la modification a été approuvé dans le second débat le 19 mai 2009 avec une votation de 62 votes pour et de 5 votes contre. 11 La modification a été considérée comme un changement assez important qui produisait une divergence entre les textes approuvés par chaque chambre, raison pour laquelle a été désignée une commission de conciliation qui a conclu qu'il fallait maintenir le texte approuvé au Sénat car il manifestait vraiment le désir de la population qui avait formé l’initiative législative. Sur ce sujet la Cour Constitutionnelle a déclaré que le changement du texte était une modification fondamentale du projet, parce qu’il transformait la proposition initiale d’une troisième élection pas consécutive par une proposition d’une troisième élection immédiate, changeant ainsi l’essence de la question pour le référendum. Par ailleurs, la Cour a considéré que le fait d’avoir un président candidat exige la modification des éléments essentiels du système électoral comme le financement de la campagne, l’exposition aux médias, l’utilisation des moyens de transport publics, etc., afin de garantir une certaine égalité entre tous les candidats qui aspirent à la présidence. Aussi la Cour a-t-elle déclaré l’existence de vices de procédure par abus de pouvoir de la part du Congrès par rapport à l’exercice d’amendement, puisqu'il a nié la volonté populaire manifestée dans l’initiative législative. De plus, les principes d’identité et de consécutivité ont été violés pendant le processus législatif selon la Cour, ce qui est considéré comme un vice irrémédiable (insubsanable en espagnol) et qui a comme conséquence l’inconstitutionnalité de la loi. 3) Infraction au régime juridique des parlementaires (ley de bancadas) : à partir de la loi 974 2005, connue aussi comme la ley de bancadas la Colombie a adopté de nouvelles dispositions et règles du jeu au Congrès afin d’obtenir une discipline parlementaire. On peut entendre par bancada le groupe des membres des corporations publiques (Congrès, Assemblées départementales, conseils municipaux) élus par un même parti politique, mouvement social ou groupe significatif de citoyens6. La loi de bancadas a déterminé que les membres des corporations publiques élus par la même organisation politique doivent prendre leurs décisions ensemble, c'est-àdire de manière coordonnée. Les bancadas doivent voter "en bloc" tous les projets qui sont débattus à l’intérieur des corporations. Les statuts de chaque collectivité – pas la loi – doivent définir les sanctions pour les membres des bancadas. Par contre, la bancada peut donner la liberté du vote individuel dans le cas d’objection de conscience. 6 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-141 2010, p.27. 12 Le 26 août 2009 cinq parlementaires qui forment la bancada du parti Cambio Radical ont participé au vote de la Chambre de Représentants, en rejetant les empêchements présentés par le parti sur le document de la commission de conciliation, ne respectant pas la décision prise par la bancada. Par conséquent, le Conseil de Contrôle éthique du Cambio Radical a pris la décision de suspendre le droit de vote pour les personnes impliquées. Pendant ce temps, ces parlementaires ont changé de parti politique et ils ont été acceptés par le parti de la U (un des partis qui supportaient le président Uribe). Le président de la Chambre des Représentants a reçu le rapport de sanction de la part du Cambio Radical, mais a décidé d’ignorer la sanction et a validé les votes des cinq parlementaires. La Cour Constitutionnelle s’est manifesté contre cette validation pour considérer que la discipline imposée par le parti politique devait prévaloir. Ainsi la Cour a-t-elle déclaré la non-validité des cinq votes, les soustrayant de la votation finale. Par cette mesure, la décision d’approuver le projet a perdu la majorité nécessaire et une telle situation constitue un vice de caractère irrémédiable. Par rapport au texte de loi approuvé par le Congrès, la Cour a émis les observations suivantes : Le texte approuvé par le Congrès proposait : 1) l’inclusion de l’option de voter blanc dans le texte qui serait proposée à la population n’est pas constitutionnelle puisque l’article 378 de la Constitution stipule que les électeurs doivent choisir de manière libre « ce qu’ils votent positivement et ce qu’ils votent négativement ». Il n’existe pas alors d’espace pour voter blanc. 13 2) Il y a eu une absence d’exposition de motifs convoquant de manière expresse le peuple pour décider de la réforme de la Constitution au moyen d'un referendum. Selon la Cour Constitutionnelle il ne suffit pas que le titre de la loi fasse référence à la convocation du référendum. Si le texte proposé ne contient pas ces explications, ni le président de la république ni l’organisation électorale ne pourront convoquer le peuple à la votation. Cette situation produit alors une déclaration de non-conformité de la loi. Alors, si l’on observe les arguments de la Cour Constitutionnelle, il est évident que la loi 1354 ne peut pas être constitutionnelle à cause de ces vices de procédure. Les parlementaires ont commis une série d’erreurs irréparables en démontrant leur hâte pour rendre possible la réélection du président Uribe, sans tenir compte des conditions formelles constitutionnelles. La situation politique de la première modification de la Constitution en faveur de la réélection a été assez différente car elle a eu un temps suffisant pour développer des discussions avec la société. Ainsi la Cour n’a pas trouvé d'arguments juridiques pour envisager l’inclusion de la réélection comme un élément contraire à la Constitution. En revanche, le processus de la seconde réélection s’est développé dans une période très courte afin de favoriser une personne particulière. La discussion a eu un nom propre, mettant en péril les principes démocratiques établis par la Constitution de 1991, lesquels cherchaient à surmonter les obstacles politiques de notre histoire comme la tradition présidentialiste et la faiblesse institutionnelle. Ces arguments sont exposés par la Cour Constitutionnelle dans la deuxième partie de son arrêt. Ils seront traités dans la seconde partie de cette recherche car, soit ils sont vrais, soit ils sont le résultat d’une interprétation erronée, la Cour n’ayant pas le droit de se manifester par rapport à ces sujets. Les questions sont donc : pourquoi un pouvoir qui n’est pas élu de manière populaire peut-il empêcher la volonté de la population avec des arguments différents de ceux qui ont été établis par la Constitution politique ? Pourquoi le peuple ne peut-il modifier sa propre constitution lorsqu’il veut le faire ? 1.2 Les arguments matériels de la Cour par rapport à la réélection La Cour Constitutionnelle s’est manifestée sur les vices de compétences dans les deux décisions sur la réélection présidentielle. Bien que les thèmes sur lesquels la Cour s’est 14 prononcée aient été semblables, c'est-à-dire les éléments essentiels de l’État social de droit ou le régime présidentiel, il faut noter qu’en 2006 la révision a été positive quant à l’inexistence d’une substitution de la Constitution, tandis que l’arrêt de 2010 fait un appel au respect pour l’équilibre de pouvoirs et pour les principes démocratiques stipulés par la Constitution. Quelle est donc la raison du changement de la position de la Cour sur les risques de la réélection présidentielle ? 1.2.1 Les arguments de la Cour par rapport à la première réélection présidentielle. La Cour a déclaré plusieurs fois qu’un des éléments essentiels de la Constitution était la séparation des pouvoirs publics. Si l’on considère alors que la réélection met en péril ce principe à partir des arguments exprimés dans la première partie de cette recherche, comme l’intervention du président dans la nomination des postes, dans les décisions macro-économiques et la difficulté d’avoir un candidat-président, on pourrait penser que la décision de la Cour doit empêcher cette option politique. Cependant le pouvoir judiciaire a opté pour assumer une position différente, reconnaissant ainsi que la réélection n’est pas négative par elle-même. Reprenons donc la discussion sur le continuisme parce que la Cour Constitutionnelle va se servir des arguments historiques et juridiques pour justifier les deux décisions. Il faut tenir compte non seulement des dynamiques politiques de chaque pays, mais les bénéfices que cette décision peut apporter comme la stabilité politique, la continuation d’un programme présidentiel approuvé par la société et la demande de responsabilité politique à partir du vote. Outre l’antérieur, la Cour a affirmé dans l’arrêt C-551 2003 que le régime présidentiel est une des formes de gouvernement possibles dans les systèmes démocratiques, mais que le peuple peut manifester son désir de changement à travers un référendum pour passer du présidentialisme au parlementarisme ou à n’importe quelle forme de système qui permet de réduire ou d’augmenter la durée des fonctionnaires élus s’il existe des règles et des processus préétablis. Le référendum sera alors légitime puisque le peuple aura utilisé les outils donnés par la Constitution pour modifier un des éléments fondamentaux de la Constitution. Dans ce cas, il n’y a pas une substitution constitutionnelle malgré l’altération du principe de séparation des pouvoirs car « l’identité de la Constitution serait située à un 15 niveau différent et plus général : la forme du gouvernement propre d’un système démocratique constitutionnel » 7. Continuant avec ce type de jurisprudence, la Cour a déclaré dans l’arrêt 1040 2006 que l’esprit de la Constitution serait gardé intact avec l’inclusion d’une réélection. Néanmoins, comme on l’a déjà énoncé, cette inclusion devait être accompagnée d’une loi de garanties pour l’opposition politique. D’ailleurs, la modification constitutionnelle a permis la réélection pour une seule fois, ce qui est la preuve d’une limitation du pouvoir présidentiel, au moins quant à sa durée. Selon la sentence judiciaire : El pueblo decidirá soberanamente a quién elige como Presidente, las instituciones de vigilancia y control conservan la plenitud de sus atribuciones, el sistema de frenos y contrapesos continua operando, la independencia de los órganos constitucionales sigue siendo garantizada, no se atribuyen nuevos poderes al Ejecutivo, la reforma prevé reglas para disminuir la desigualdad en la contienda electoral que será administrada por órganos que continúan siendo autónomos, y los actos que se adopten siguen sometidos al control judicial para garantizar el respeto al Estado Social de Derecho.8 De cette façon, la Cour Constitutionnelle a donné une réponse défavorable aux citoyens qui ont demandé l’acte législatif 02 2004 pour vices de compétence. Cependant, les arguments utilisés quatre ans plus tard par la même Cour montrent comment un gouvernement de plus de huit ans peut représenter une menace pour la Constitution. Quelle est la justification de cette inquiétude? 1.2.2 Les arguments de la Cour par rapport à la deuxième réélection présidentielle. La décision 2010 aborde, bien sûr, le sujet de la substitution de la Constitution dans un contexte où plusieurs acteurs politiques ont déclaré l’incapacité de la Cour pour examiner si la Constitution avait été changée par une autre. Ainsi l’acceptation presque unanime des décisions antérieures par rapport à cette thématique s’est réduite de manière significative à cause de la bonne acceptation du président Uribe face à la majorité de la population. Il faut noter que son niveau de popularité à cette époque-là s’approchait les 70%. Dans ce sens, le concept donné par le Procureur Général de la République par rapport à l’acte législatif en faveur de la réélection est favorable à la possibilité d’avoir un président pendant 12 ans. De plus il estime que la Cour ne possède pas la capacité constitutionnelle pour décider si le peuple ou le Congrès ont outrepassé leur compétence, puisque, selon le Procureur, lorsque le peuple promeut une réforme 7 8 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p.69. Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p.79. 16 constitutionnelle via un référendum, il a alors la même force qu’il aurait dans une Assemblée Constituante, car ces deux mécanismes sont l’expression du constituant primaire. Dans ce cas, alors, la décision de modifier la durée du mandat présidentiel ne représente pas une substitution de la Constitution mais la manifestation du désir de la population.9 La Cour Constitutionnelle est donc amenée à résoudre, dans l’arrêt 141 2010, le problème de savoir si le peuple se comporte comme constituant primaire ou non au moment de réaliser une réforme constitutionnelle. À ce propos, le tribunal affirme que tous les mécanismes de réforme, même ceux qui comprennent la consultation populaire, sont des manifestations du pouvoir constituant dérivé. D’ailleurs, le groupe de citoyens qui a réalisé une initiative populaire législative ne représente pas une majorité significative de la population et, par conséquent, il ne peut pas s’attribuer la voix de la société par rapport à la réélection.10 Cette position a été défendue par une partie de l’opinion publique et de l’académie, en reconnaissant que l’idée du peuple comme tout puissant par rapport à sa propre Constitution est illogique du point de vue démocratique. Humberto de la Calle, ex-vice-président de la république et juriste reconnu dans le pays, a posé la question rhétorique suivante : en termes d’humanité la restauration de l’esclavage à travers un référendum serait-elle légitime ?11 Le propos de la question est de mettre en évidence le risque de cacher sous l’idée de la démocratie majoritaire un pouvoir sans limites qui, finalement, violenterait l’Etat de droit. Les défenseurs d’une troisième élection ont utilisé d’autres arguments pour justifier une nouvelle réforme à la Constitution. C’est le cas de l’assesseur politique inconditionnel du président Uribe, José Obdulio Gaviria, qui qualifiait les postes de mandat courts des postes honorifiques car le pouvoir doit se manifester à travers un exercice plus long où la citoyenneté puisse exprimer son accord ou désaccord par rapport au développement d’un programme politique déterminé. Pour lui, c’est le verdict populaire et non une interdiction constitutionnelle qui doit décider du renouvellement du mandat présidentiel ou de l’alternance dans le pouvoir.12 9 République de la Colombie, Concept du Procureur Général de la Nation No. 489 2010. Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-141 2010 11 Humberto DE LA CALLE, « El significado político de una nueva reelección », EGOB, Revista de Asuntos Públicos, Universidad de los Andes, 2009, p. 16-17 12 José Obdulio GAVIRIA, « La reelección presidencial », EGOB, Revista de Asuntos Públicos, Universidad de los Andes, 2009, p.19 10 17 Par rapport à ces arguments, la Cour a déclaré que ce type de système a tendance à favoriser le président. Aussi le renforcement des autres pouvoirs publics est-il fondamental pour garantir l’équilibre de pouvoirs. En plus de cette mesure, la Constitution a déterminé une durée spécifique pour que le président puisse développer son mandat. À partir de la limitation de cette charge, la Cour a considéré que le Constituant avait défini la durée des autres charges publiques. Par conséquent, si l’on modifie la durée du mandat présidentiel, on doit modifier aussi les durées et les conditions des autres charges. Les conditions pour inclure la réélection sont données en 2006 avec la création de la loi de garanties qui régulait la participation du candidat-président pendant la campagne et les conditions pour l’opposition politique. Néanmoins, l’inclusion d’une seconde réélection représente une rupture constitutionnelle qui constitue une violation constitutionnelle. La Cour entend par rupture l’émergence d’une exception à une disposition de la Constitution. Cette exception ne viole pas toujours les principes constitutionnels, mais le cas d’une troisième élection présidentielle est considéré par la Cour comme une rupture négative.13 La Cour a déclaré aussi que la Colombie se trouvait dans la limite désirable de temps de permanence pour le président, puisque d’après l’expérience des pays avec un système présidentiel, la doctrine et l’histoire même montrent que plus de huit ans de mandat peuvent faire courir au régime un risque de perversion. Aussi les principes affectés par la loi 1354 de 2009 sont-ils, en premier lieu, le principe de l’alternance parce que la personne au pouvoir peut reproduire une tendance politique et idéologique particulière empêchant l’émergence de nouvelles idées ; et, en second lieu, le principe de la généralité et de l’égalité à partir du cas spécifique du président Uribe, seule personne qui remplisse toutes les conditions pour être élu une troisième fois. D’ailleurs, la Cour souligne l’absence des mesures pour réduire le déséquilibre des conditions électorales pour les autres candidats par rapport au président car la loi de garanties créée en 2006 n’est déjà pas suffisante pour établir le respect de l’égalité des conditions pour tous les candidats et que, par conséquent, l’électorat peut être conditionné vers l’alternative du candidat-président, dans l’ignorance des autres alternatives. 13 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-141 2010, p.455 18 En conclusion, la Cour considère qu’une troisième élection dans ces conditions représente une prédominance de l’exécutif sur les autres pouvoirs publics si marquée qu’elle déforme les caractéristiques des systèmes présidentiels. Ainsi, cette réforme en faveur d’un nouveau mandat présidentiel correspond à une rupture de la Constitution quant à la structure des institutions. Selon la Cour : Si a causa de la segunda reelección el sistema presidencial corre el riesgo de degenerar en el presidencialismo, si, además, el pluralismo, la participación y la noción de pueblo prohijada constitucionalmente sucumben ante la permanencia en el gobierno de una mayoría y si, por último, los elementos que configuran el modelo republicano se desvirtúan, ello quiere decir que la Constitutción de 1991 no sería reconocible en la que llegara a surgir de la autorización de una segunda reelección presidencia.14 De telle manière, la troisième élection se substitue, selon la Cour, à la Constitution en vigueur. Cette analyse, faite évidemment sur le fond, est donc le résultat de deux constructions parallèles : une construction juridique où la Cour a formé des concepts qui justifient formellement ses actions à travers sa jurisprudence, et une construction politique qui est possible grâce aux conditions propres de la Colombie, lesquelles seront développées dans la seconde partie de cette recherche. Reprenons ensuite la construction juridique. 1.3 La construction conceptuelle de la Cour Constitutionnelle Ces dernières années, la Cour Constitutionnelle a développé trois concepts clés pour justifier la révision de certains éléments quant au contenu des lois colombiennes. À partir de cela, elle a légitimé face au monde juridique du pays, ses décisions sur quelques thèmes importants comme la réélection présidentielle. Pourtant on sait que la construction juridique peut être au service d’intérêts politiques cachés. Il est par conséquent fondamental d’analyser le processus de construction des nouveaux concepts et son impact sur la réalité politique du pays afin d’identifier si le but de la Cour est cohérent avec les besoins du pays au niveau judiciaire ou si ses actions sont, en fait, dangereux pour la démocratie colombienne. 1.3.1 Substitution de la Constitution La définition de substitution de la Constitution est développée au cours des dernières décisions de la Cour Constitutionnelle. Elle stipule qu’une substitution se présente 14 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-141 2010, p.485 19 lorsqu’il y a une transformation d’une telle envergure et d’une telle importance que la Constitution antérieure à la réforme proposée semble être complètement différente de celle qui résulte de la réforme, à tel point que toutes les deux sont incompatibles15. Ce concept est une création récente de la Cour Constitutionnelle qui n’est pas encore achevée mais qui a été développé petit à petit à travers les arrêts de l’organe judiciaire. La raison pour laquelle le concept est en processus de construction est parce que la Cour n’a jamais déclaré une loi ou un acte législatif comme non-conforme à partir de l’argument de la substitution de la Constitution. Cependant, elle a inséré ce terme dans les décisions de ces dernières années, arguant du fait que la Constitution de 1991 ouvre un espace pour être réformée mais que se substitution ou sa suppression ne sont pas prévues. Ainsi la Constitution doit conserver son identité malgré les reformes réalisées. Textuellement, la Cour stipule : « el título XIII [de la Constitution] habla de la reforma de la Constitución de 1991, pero en ningún caso de su eliminación o sustitución por otra Constitución distinta, lo cual solo puede ser obra del constituyente originario »16. De plus, il n’est pas possible de traiter les actes de réforme de la Constitution de la même façon qu’on traite la loi ordinaire. Tandis que cette dernière est soumise à une analyse de constitutionnalité dans lequel le contenu est comparé avec toutes les dispositions de la Constitution, les actes de réforme ont vocation de changement et, par conséquent, de contradiction naturelle avec les normes supérieures existantes. La Cour doit donc vérifier s’il s’agit d’une nouvelle proposition qui essaie de modifier la Constitution ou si, au contraire, il s’agit de nouveaux principes qui nient la nature même de la Constitution initiale17. À partir de cette interprétation, la Cour a pu vérifier quelques éléments considérés traditionnellement comme matériels. Où peut-on trouver le support théorique de cette révision constitutionnelle ? Un tel support n’existe pas : seule existe l’interprétation de la Constitution de la part de la Cour Constitutionnelle par rapport à sa fonction. En termes de support légal, la seule source qu'a la Cour est, en fait, sa propre jurisprudence. Elle a aussi développé un autre concept complémentaire avec la substitution de la Constitution : les vices de compétence. 15 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p.71 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-551 2003 17 Nicolás Augusto ROMERO PÁEZ, « Límites a la reforma de la constitución. Jurisprudencia de constitucionalidad de los actos de reforma 1991-2002 », Boletín 17 del Instituto de Estudios Constitucionales, Universidad Sergio Arboleda, 2009, p. 41 16 20 Ainsi, l’arrêt C-551 2003, (qui renvoie à un référendum proposé par le gouvernement) déclare que « les limites au pouvoir de réforme sont les limites formelles inscrites dans les règles des procédures établies par la Constitution et par les normes légales, mais qu'elles sont aussi les limites dérivées de la portée de sa compétence de réformer la Constitution ». À partir de cette décision prise en 2003, s'est établie une ligne de jurisprudence quant à la compétence de la Cour pour examiner les vices de compétence dans le cadre d’une réforme de la Constitution. Cette thèse a été développée par des sentences comme la C-1200 de 2003, la C-572 de 2004, la C-970 de 2004 et la C-971 de 2004, référées aux demandes citoyennes à l’Acte Législatif N°.3 de 2002 (Administration de la Justice). D’autres décisions évoquent la compétence de la Cour pour vérifier l’existence d’une substitution possible de la Constitution, comme l’arrêt C-1040 de 2005, sur la demande d’inconstitutionnalité de l’Acte Législatif N°2 de 2004 (réélection présidentielle) et l’arrêt C-588 de 2009 sur une demande d’inconstitutionnalité de l’Acte législatif 01 de 2008 (modifications de la carrière administrative). La Cour Constitutionnelle, dans le cas analysé, réaffirme que le peuple est titulaire de la souveraineté mais la Constitution de 1991 a limité cette souveraineté à certaines compétences. Ce qui signifie que le peuple peut agir mais dans les conditions et les limites imposées par la Constitution. C’est donc à la Cour elle-même de vérifier si le peuple excède ou non ces propres compétences. 1.3.2 Vices de compétences Malgré le fait que la Constitution de 1991 n’établisse pas de manière expresse de clause immuable, le pouvoir de réforme a des limites selon la Cour. Afin de savoir si le pouvoir de réforme (même le référendum) a commis un vice de compétence, c'est-àdire, si le sujet qui veut modifier la Constitution réalise cette action dans les limites imposées par la Constitution ou non, le juge constitutionnel doit analyser si la Constitution a été substituée par une autre, raison pour laquelle il faut tenir compte des principes et des valeurs constitutionnels, mais sans avoir à vérifier le contenu même de la réforme, parce que cela correspond à l’exercice d’un contrôle matériel. Dès les premiers arrêts, la Cour Constitutionnelle a réfléchi aux vices de compétences. Par contre, ces vices n’ont pas toujours été considérés comme vices de procédure mais comme vices de fond. Ainsi, ces premières années, la Cour a fait une 21 différence entre les vices de forme subsanables18 et les vices insubsanables. Les premiers correspondaient aux vices de procédure tandis que les seconds pouvaient être considérés comme vices de fond, dont les vices de compétence.19 Cela n’était pas une raison suffisante pour empêcher la déclaration de nonconformité de quelques lois à cause du manque de compétence de la part du Congrès ou du peuple pour réformer la Constitution. C’est le cas, par exemple de l’arrêt C-531 1995 où la Cour a déclaré l’inconstitutionnalité de la modification de l’article 116 de la loi 1992 en raison de la faute commise par le Congrès. Celle-ci, reposait sur le manque de compétence du Parlement pour réguler un sujet de retraite des fonctionnaires publics dans une loi référée exclusivement au régime tributaire du pays, en transgressant le principe d’unité de contenu (unidad de materia en espagnol). La Cour Constitutionnelle a alors déclare que la loi avait accompli toutes les conditions formelles. Par contre, elle a été inconstitutionnelle à cause d’un vice matériel de compétence. C’est pour cela qu’on peut trouver dans ces arrêts plusieurs salvamentos de voto20 de la part de certains magistrats qui se sont opposés à déclarer la non-conformité d’une loi à partir des analyses de fond en reconnaissant que la Cour a outrepassé ces fonctions constitutionnelles. On peut trouver un précédent dans l’arrêt C-042 1993 qui traite des excès des facultés extraordinaires données au gouvernement en 1989 afin d’accélérer certaines procédures judiciaires. Le magistrat Angarita Varón a fait son salvamento de voto en affirmant que les aspects de compétence correspondaient, sans doute, aux aspects sur le fond, en raison de l’analyse matérielle qu’ils exigent21. L’incohérence argumentative entre les décisions prises par la Cour à partir des vices de compétence et les fonctions établies par la Constitution politique était évidente. Aussi la Cour a-t-elle modifié l’argumentation de sa jurisprudence à partir de 2003 en commençant par l’arrêt C-551 2003. C’était la première fois que la Cour utilisait l’argument de la substitution de la Constitution pour expliquer que le pouvoir de réforme a des limites, même si la Constitution ne stipule pas que certains articles sont immuables. 18 C'est-à-dire, les vices auxquels on peut remédier. Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-600A 1995 20 Cela correspond aux avis de la part des juges qui sont contraires à la décision majoritaire par rapport à un cas d’analyse particulier. 21 Santiago CARDEÑO y Camilo PATIÑO, Vicios de competencia y de procedimiento en la formación de los actos legislativos en Colombia. Un análisis jurisprudencial, Universidad de Antioquia, Facultad de Derecho y Ciencias Políticas, Medellín, 2007, p.7 (Consulte électronique) 19 22 À partir de ce moment-là, les vices de compétences ont fait partie du processus de révision des vices de procédures en tant qu’antécédents pour déterminer la capacité des citoyens à réformer la Constitution. Afin de ne pas entrer en contradiction avec les arrêts antérieurs où la Cour considérait les vices de compétences comme des vices matériels, elle affirme aujourd’hui que l’analyse sur la compétence est nécessaire pour déterminer tant les vices de procédure que les vices matériels. Ainsi, la Cour n’utilise cette analyse que pour déclarer l’inconstitutionnalité des lois en termes de vices de procédure22. La portée de la Cour en ces termes l’a permis de construire une procédure pour déterminer s’il y a ou non une substitution constitutionnelle. De cette façon, il existe trois directions à suivre : a) Déterminer si la réforme a introduit un nouvel élément considéré comme essentiel à la Constitution b) Analyser si ce nouvel élément a remplacé celui qui a été adopté par le Constituant. c) Comparer le nouveau principe avec l’antérieur pour vérifier s’ils sont opposés ou si différents qu’ils soient incompatibles23. Malgré la clarté de ce processus, la Cour Constitutionnelle ne l’applique pas dans tous les cas analysés, ce qui montre le caractère arbitraire des vices de compétence. Ainsi, tandis que l’arrêt C-551 2003 –relatif au contrôle de constitutionnalité d’un référendum convoqué par le gouvernement de l’époque– a développé une analyse sur la possible substitution de la Constitution à travers les vices de compétence, dans l’arrêt C816 2004, laquelle a déclaré la non-conformité de l’acte législatif 02 200324, la Cour a signalé que les vices de compétence étudiés étaient si complexes (mesures contraires aux accords internationaux pour combattre le terrorisme interne) que la Cour n’aurait pas le temps suffisant pour donner une réponse appropriée à ce sujet et, par conséquent, la non-conformité de l’acte a été déclarée seulement à partir des vices de procédure. La Cour Constitutionnelle arrive alors à la conclusion suivante : Es claro, por consiguiente, que el proceso de elaboración doctrinaria sobre la materia se encuentra en curso, a medida que se le presentan casos diversos a la Corte, y que, a partir de las premisas que de manera general se han fijado por la Corte, están abiertas algunas 22 Santiago CARDEÑO y Camilo PATIÑO, op. cit., p.20 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-141 2010, p.9 24 Cet acte législatif cherchait la modification des articles 15, 24, 28 et 250 de la Constitution Politique de Colombie pour faire face au terrorisme selon le Congrès de la République. 23 23 opciones interpretativas en torno a los elementos y las condiciones en las cuales cabría predicar la existencia de un vicio competencial debido a una sustitución de Constitución 25. Les vices de compétence sont donc le résultat de la libre interprétation constitutionnelle d’un organe juridique pour que celui puisse faire une vérification matérielle des lois colombiennes. Bien que jusqu’aujourd’hui aucune loi n’ait été déclarée inexequible à cause des dits vices de compétence, l’existence de ce concept peut devenir une menace pour la démocratie en permettant l’instauration d’un gouvernement des juges. Cependant, la réalité politique colombienne est si complexe qu’il est nécessaire de faire une analyse approfondie pour comprendre pourquoi les décisions de la Cour Constitutionnelle, même si elles ont l’air d’excéder les compétences établies dans la Constitution, peuvent parfois occasionner des effets positifs pour la démocratie même. 1.3.3 Le bloque de constitutionnalité Dans le droit constitutionnel comparé il est possible de trouver la supériorité des accords internationaux sur les Constitutions de chaque pays. Dans le cas latinoaméricain, par exemple, les Constitutions de Nicaragua, du Honduras et du Pérou stipulent dans le texte constitutionnel la prééminence des accords internationaux26. En Colombie l’article 4 constitutionnel détermine : ARTICULO 4o. La Constitución es norma de normas. En todo caso de incompatibilidad entre la Constitución y la ley u otra norma jurídica, se aplicarán las disposiciones constitucionales. La suprématie de la Constitution est donc évidente. Cependant, l’article 93 de la même Constitution stipule: ARTICULO 93. Los tratados y convenios internacionales ratificados por el Congreso, que reconocen los derechos humanos y que prohíben su limitación en los estados de excepción, prevalecen en el orden interno. Los derechos y deberes consagrados en esta Carta, se interpretarán de conformidad con los tratados internacionales sobre derechos humanos ratificados por Colombia. Afin de résoudre les contradictions possibles entre les deux articles la Cour a créé le concept bloque de constitucionalidad lequel est défini comme l’ensemble de normes possédant une hiérarchie comparable à la Constitution ou les normes qui érigent des paramètres de constitutionnalité sans être nécessairement constitutionnelles27. 25 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p. 65. Luis Eduardo CERRA, « La Constitución no es el límite. Impugnación de actos legislativos. Los límites del poder constituyente », Revista de Derecho 22. Universidad del Norte. 2004, p. 108 27 Luis Eduardo CERRA, op.cit., p. 124. 26 24 Ainsi, la Colombie considère les accords sur les droits humains, le droit international humanitaire ou les conventions de l’Organisation International du Travail (OIT) comme des normes de hiérarchie constitutionnelle. De plus, certaines normes internes avec une hiérarchie inférieure à la Constitution sont prises en compte pour déterminer si quelques dispositions légales sont constitutionnelles ou non. C’est le cas de la loi organique du règlement du Congrès ou les lois statutaires. Ce type de normes nationales et internationales sont mises par la Cour dans le bloque constitutionnel afin d’éviter la possible contradiction entre l’article 4 et l’article 93 de la Constitution. Néanmoins, cette contradiction est une création de la Cour Constitutionnelle à partir de son interprétation des articles précités. Bien que l’article 4 stipule que la Constitution est la norme de normes, il faut ajouter qu’il fait référence au système juridique interne du pays. Par rapport au système international, l’article 93 est précis : les traités et les conventions internationaux liés aux droits humains prévalent dans l’ordre interne ; les droits et les devoirs constitutionnels doivent être interprétés conformément à ces accords. L’interprétation de la Cour sur l’existence d’une contradiction entre les deux dispositions de la Constitution est une accusation indirecte faite à l’Assemblée Constituante de 1990 d’avoir commis une erreur dans la rédaction du texte. Cette position est erronée si l’on reprend l’article 9 constitutionnel : Las relaciones exteriores del Estado se fundamentan en la soberanía nacional, en el respeto a la autodeterminación de los pueblos y en el reconocimiento de los principios del derecho internacional aceptados por Colombia. Ainsi, le constituant primaire a montré son désir de faire prévaloir les normes internationales relatives aux droits humains sur la norme interne. Malgré cela, on a déjà vu comment la Cour Constitutionnelle a intégré ces dispositions dans le concept de bloque de constitutionnalité ce qui l’a permis de vérifier la conformité des actes législatifs en termes de respect des dispositions internationales sur les droits humains, un sujet qui a visiblement un contenu matériel. 1.3.4 La « modulación » des effets des sentences Autre les concepts qu’elle a créés afin de vérifier les contenus des normes liées aux principes constitutionnels, la Cour a été complétée par les juristes qui ont construit une typologie des décisions de la Cour pour comprendre la portée de chacune de ces décisions et des outils qu’elle emploie afin de justifier sa position juridique. Ce 25 phénomène est connu comme la modulación des effets des sentences ou l’inclusion de divers types de décisions qui ne se limitent pas a la déclaration de conformités des lois. Il faut ajouter que ce n’est pas une création colombienne ; plusieurs tribunaux constitutionnels utilisent cette classification des sentences pour justifier ces décisions28. Ainsi, par exemple, la Cour ne se limite pas à annuler les actions législatives, c'est-à-dire à remplir la fonction de législateur négatif29, mais à interpréter et conditionner les normes produites par le Congrès si elle estime qu’il existe un vide juridique. De cette façon, il y a un premier type de sentences dites conditionnées où la Cour définit l’interprétation grâce à laquelle une loi déterminée doit se comprendre. Ce type de décision a été pris dans le cas colombien en 1994 dans l’arrêt C-473. La Cour a déterminé la conformité des articles 430 et 450 du Code du travail qui établissaient l’interdiction de la grève dans les services publics en précisant qu’ils ne sont constitutionnels qu’au moment de faire référence aux services publics essentiels, selon ce que stipule la Constitution politique. Pour les autres cas de grève, il s’agit d’un droit garanti de manière constitutionnelle. Quelques juristes estiment que la Cour Constitutionnelle donne ces interprétations afin de respecter les actions législatives du Congrès et de maintenir les lois dans l’ordre juridique30. Il existe un second type de sentences interprétatives : les sentences intégratrices ou additives. Ici, le rôle de la Cour est d’additionner un contenu à la loi afin de la transformer en loi compatible avec la Constitution. La justification de cette action est l’existence d’une omission de la part du Congrès. Dans cette classification on trouve fréquemment des arrêts référés à l’égalité de certains droits. Ainsi, la Cour incorpore aux groupes qui, potentiellement, peuvent rester exclus de la novelle loi. Aussi, la Cour peut additionner des conditions pour défendre aux citoyens qui se trouvent dans une situation d’exceptionnalité et qui n’ont pas été pris en compte par le Congrès. C’est le cas de l’arrêt C-690 1996 où les demandeurs de la loi tributaire exigeaient une exception par rapport aux sanctions imposées aux personnes qui ne présentaient pas la déclaration de revenus, puisque la loi ignorait les citoyens qui ne 28 Alejandro MARTÍNEZ, « Tipos de sentencias en el control constitucional de las leyes », Revista Estudios Socio-Jurídicos, Vol. 2 No. 1. 2000, p.17 29 Terme utilisé par Hans Kelsen pour expliquer que l’annulation d’une action législative de la part d’un tribunal judiciaire possède la même force créatrice que la production de la loi parce qu’elle modifie l’ordre juridique. Alejandro MARTÍNEZ, op. cit., p.12 30 Idem, p.15 26 pouvaient pas remplir cette condition à cause des situations extrêmes et inopinées. La Cour a déclaré la conformité de la loi, mais en insérant la condition de permettre à la personne de démontrer que la non exécution de la norme est causée par une situation fortuite ou un cas de force majeure. Il y a, enfin, un dernier type de sentences, dites substitutives où la Cour éjecte une norme de l’ordre juridique à cause de son inconstitutionnalité et couvre le vide avec une nouvelle disposition. Prenons l’exemple de l’arrêt C-113 1993 dans lequel la Cour Constitutionnelle a déclare la non-conformité d’un article du décret 2762 1991 qui régulait les effets des décisions du tribunal constitutionnel, en argumentant que cette fonction ne relève que de la Constitution politique. Si l’on prend en compte le caractère temporel des décisions judiciaires il est possible de trouver une autre classification des sentences. Bien que la règle détermine que toutes les décisions aient des effets pro-futur, c'est-à-dire que la déclaration d’inexequibilidad ne modifie pas les effets de la norme produits avant la décision judiciaire mais après, il y a quelques exceptions qui constituent une autre forme de modulation des effets des sentences. Ainsi, dans certains cas, la Cour peut déclarer des effets rétroactifs sur certaines demandes des citoyens, surtout dans les cas liés au paiement de contributions financières. Dans d’autres cas, la Cour a déclaré l’inconstitutionnalité d’une loi sans l’annuler, afin d’éviter le vide juridique produit par l’absence de norme31. On peut alors observer la construction juridique élaborée par la Cour ces dernières années pour réussir à la vérification de certains éléments matériels des lois et des actes législatifs à travers des concepts comme la substitution de la Constitution, les vices de compétences et le bloque de constitutionnalité. L’inclusion de ces concepts a permis une construction de sentences différentes selon la nécessité identifiée par le tribunal constitutionnelle. Il faut remarquer que le fait d’avoir une citoyenneté qui demande à la Cour une révision pour vices de compétence est le reflet du degré d’appropriation de ces concepts tant par le système politique que par le système judiciaire. Le risque est toujours présent : la judiciarisation de la politique et la politisation du monde judiciaire. Néanmoins le débat doit comprendre tous les variables qui font du 31 Idem, p.26 27 cas colombien un cas particulier dans le panorama juridique et judiciaire de la région latino-américaine et du monde. Comme on a décrit dans la première partie de cette recherche, la faiblesse des partis politiques et le manque de représentativité du Congrès ont produit une absence des institutions capables de traduire les principes constitutionnels dans la réalité pour la majorité de la population colombienne. Aussi la Cour Constitutionnelle s’est-elle transformée dans une « oasis » dans le désert institutionnel du pays, dans laquelle les citoyens peuvent trouver un écho à leurs pétitions quotidiennes. De plus, dans l’imaginaire collectif colombien le respect pour la Constitution rédigée en 1991 est un impératif, c'est-à-dire que la suprématie constitutionnelle a contribué à justifier les actions du pouvoir judiciaire en tant que défenseur des normes suprêmes. 1.4 La suprématie de la Constitution Avant d’expliquer les raisons pour lesquelles la Constitution doit avoir théoriquement une suprématie par rapport aux autres normes, il faut définir le concept même de Constitution. Ajoutons que la définition a évolué au cours de l’histoire ; dans un premier temps, elle faisait référence à l’idée d’ordre social tandis qu’aujourd’hui elle s’oriente plutôt vers l’idée de norme juridique fondamentale32. Dans la première partie de l’histoire moderne de la définition, la Constitution était liée à la reproduction des structures politiques qui révélaient la nature humaine ; le texte constitutionnel était le reflet de ce qui était déjà vécu par la société. Ainsi de la définition donnée par Joseph de Maistre dans ses Considérations sur la France (1797) où il affirme : Aucune constitution ne résulte d'une délibération ; les droits des peuples ne sont jamais écrits, ou du moins les actes constitutifs ou les lois fondamentales écrites ne sont jamais que des titres déclaratoires de droits antérieurs, dont on ne peut dire autre chose, sinon qu'ils existent parce qu'ils existent33. De cette même idée de la Constitution comme ordre social, Lasalle affirme qu’il s’agit de « la somme des facteurs réels de pouvoir qui régissent dans un pays » Ainsi, d’après lui, pour construire une Constitution il faut mettre dans une feuille ces facteurs 32 Pierre BRUNET, « Constitution », Encyclopédie UNIVERSALIS, 2012, Adresse URL http/www.universalis-edu.com/encyclopedie/constitution/. 33 Ibid. 28 réels34. Bien qu’elle soit une définition un peu générale et abstraite, elle nous donne une première idée de la Constitution comme miroir de la réalité de chaque pays. Néanmoins, à partir de la tradition presque générale de contenir les principes constitutionnels dans des textes écrits, la définition de Constitution a pris une orientation plus juridique et a commencé à être vue comme une norme juridique suprême. Ainsi, Hans Kelsen en donne la définition suivante « c'est la norme qui règle l'élaboration des lois, des normes générales en exécution desquelles s'exerce l'activité des organes étatiques...»35. Il faut noter que ce type de définition construite dans le XXe siècle tient compte de l’idée de Constitution comme norme liée à la démocratie. Ainsi Kelsen affirme que les Constitutions démocratiques auxquelles il fait référence sont celles qui tendent à exclure les pouvoirs autocratiques. Par conséquent, il s’agit des Constitutions républicaines36. De la même façon Carl Schmit considère qu’une Constitution est démocratique lorsqu’elle est capable de représenter –au niveau institutionnel et politique– le sujet constituant qui lui a donné la vie, c'est-à-dire le peuple souverain37. D’autre part, Tulio Álvarez, constitutionnaliste vénézuélien, déclare que la Constitution est la norme fondamentale de l’organisation de l’État. Il fait d’ailleurs une remarque intéressante sur la différence entre « constitution ancienne » et « constitution moderne » où la première est dirigée par le principe d’autorité tandis que la seconde défend la liberté humaine sur l’autorité. Álvarez affirme : La modernidad concilia el principio de autoridad con la libertad; reconociendo así que, antes de su propia vigencia, existen derechos inalienables del ser humano que se sobreponen al Estado mismo. Una organización que no reconozca tales derechos pierde el sentido de su existencia38. Cet auteur estime que la Constitution doit occuper une hiérarchie supérieure par rapport aux autres normes à cause de son pouvoir de créer la procédure de formation de la loi et même de créer aux organes qui font ces lois. Selon Rodrigo Uprimny, il existe à ce sujet trois justifications classiques sur la nécessité d’avoir un contrôle constitutionnel et, par conséquent, une suprématie de la Constitution. Ces raisons sont développées par Hamilton dans son ouvrage Le 34 LASALLE en Javier REVELO-REBOLLEDO, « La independencia judicial en tiempos de Uribe », Pap.polit. vol.13, n.1, Bogotá, enero-junio 2008, p.67 35 Pierre BRUNET, op. cit. 36 Marco Gerardo MONROY CABRA, « Concepto de Constitución », Anuario de Derecho Constitucional Latinoamericano. 2005, p.25 37 Ibid. 38 Tulio ÁLVAREZ, Constituyente, reforma y autoritarismo del siglo XXI. Caracas, Universidad Católica Andrés Bello, 2007, p.15. 29 Fédéraliste et par la célèbre sentence de la Cour Suprême des États-Unis Marbury Vs. Madison. Tout d’abord, si la Constitution est une norme suprême, donc quelqu’un doit garantir sa suprématie, c'est-à-dire la reconnaissance de sa hiérarchie par rapport aux normes inférieures. Ce rôle peut être joué seulement par les juges ou par un tribunal constitutionnel et non par les législateurs ou par le chef d’État, puisque la Constitution cherche précisément à limiter les organes politiques. Ensuite la suprématie est nécessaire pour assurer un gouvernement limité et non arbitraire, car si la Constitution n’existait pas ou n’avait pas un caractère de norme suprême, le parlement serait autorisé pour faire ce qu’il voulait faire sans tenir compte du bien-être collectif. Enfin, chaque fois qu’un tribunal constitutionnel annule une loi il le fait au nom de la volonté populaire supérieure incarnée dans la Constitution, laquelle l’emporte sur les désirs des différentes majorités représentées au Parlement39. Ces justifications sur la suprématie constitutionnelle ont essuyé plusieurs critiques : le fait que le désir populaire peut être mieux représenté par le Parlement ; de plus, même si l’on considère que la Constitution est toujours le résultat d’un accord politique construit par tous les secteurs de la société (ce qui n’est pas vrai dans tous le cas), cela ne signifie pas que les prochaines générations devront se soumettre aux décisions antérieures lorsqu’elles ne représentent pas les nouveaux désirs de la population. Pour répondre à ces arguments, Uprimny ajoute que la démocratie et le principe majoritaire doivent admettre l’existence de certains thèmes « intouchables », surtout ceux sur le processus démocratique, si l’on veut que ce système politique soit fonctionnel et perdurable. Pour cela, la démocratie doit « s’attacher les mains si elle veut les conserver », c'est-à-dire si elle veut subsister comme démocratie. Tel est le paradoxe du système40. Bien que la démocratie utilise le principe majoritaire pour obtenir un consensus –lequel est le critère de justice le mieux accepté dans nos sociétés pluralistes–, ce principe ne doit pas se traduire en une tyrannie des majorités où le parlement profite des 39 Rodrigo UPRIMNY, “Capítulo 3: Legitimidad y conveniencia del control constitucional a la economía” in ¿Justicia para todos? Sistema judicial, derechos sociales y democracia en Colombia. Bogotá, Grupo Editorial Norma, 2006, p.172-173 40 HOLMES en Rodrigo UPRIMNY “Capítulo 3: Legitimidad y conveniencia…” op. cit., p.176. 30 bénéfices des politiques décrétées en faisant reporter les coûts sur les groupes minoritaires qui ne peuvent pas accéder au pouvoir41. C’est pourquoi il doit exister un organe capable d’assurer l’impartialité des résultats obtenus pendant les processus démocratiques. D’après Uprimny, un tribunal constitutionnel peut accomplir cette tâche en devenant une organisation juridique indépendante et aussi une institution démocratique en tant que garante des règles de jeu de ce système. On peur renforcer cette idée avec l’argument de Kelsen sur la nécessité d’avoir un organe supérieur pour garantir le respect de la Constitution. Selon lui, l’essence de la démocratie réside dans l’engagement constant entre les groupes qui représentent les majorités et ceux qui représentent les minorités au parlement, c'est-à-dire dans la paix sociale. Dans cette mesure, la justice constitutionnelle a l’air d’être l’instrument indiqué pour réaliser cette idée42. On peut déduire que, pour le cas colombien, la Cour Constitutionnelle prend sa légitimité démocratique grâce à la défense des principes établis par la Constitution, même si elle n’a pas été élue à travers le vote populaire. Il est clair que la Constitution colombienne stipule des fonctions très spécifiques pour la Cour en termes d’intervention. Néanmoins, il faut tenir compte du contenu des nouvelles constitutions latino-américaines ; l’inclusion des droits sociaux implique la création des outils nouveaux pour les garantir. Les tribunaux constitutionnels se sont attribués cette fonction, même si le texte constitutionnel ne détermine pas cette possibilité, en obtenant une légitimité démocratique aux yeux des citoyens. Cela veut-il dire alors que toutes les interventions de la part des juges sont légitimes ? Absolument pas. Si l’intervention judiciaire dépasse la fonction de protection du processus démocratique et de garantie des droits humains, son activité peut être mise en question en termes démocratiques43. Autour de cette discussion un sujet fondamental pour les analyses constitutionnelles est mis en question : le moment où le peuple peut réformer la Constitution et les moyens pour l’obtenir. Parce que, si la Cour Constitutionnelle est le seul organe capable d’interpréter la Constitution, et le peuple ne peut pas élire les juges, quand et comment est-ce que le peuple peut manifester son désir de changer la 41 Rodrigo UPRIMNY, “Capítulo 3: Legitimidad y conveniencia…” op. cit., p.178. Marco Gerardo MONROY CABRA, op.cit., p.25 43 Rodrigo UPRIMNY, “Legitimidad y conveniencia…” op.cit., p.179-180. 42 31 Constitution ? On reprendra alors le débat sur la réforme de la Constitution dans le cas colombien, sans ignorer les discussions développées en Amérique latine autour de ce thème. 1.5 Le débat sur la réforme de la Constitution Jusqu'à 1886 les Constitutions colombiennes se caractérisaient par une rigidité par rapport au sujet de la réforme. Selon Luis Eduardo Cerra, le besoin de préserver l’autonomie politique dans les entités territoriales était la motivation principale de cette position : un sujet qui a été débattu fortement pendant la rédaction des premières Constitutions44. À l’époque républicaine la structure politique du territoire (fédéral ou unitaire) et le régime politique (présidentiel, parlementaire) sont devenus des aspects très importants pour déterminer le caractère de l’État. Ainsi, si l’on modifiait l’un de ces critères, cela pouvait être vu comme synonyme de création d’une nouvelle Constitution. Pour cette raison, la Constitution de 1863 stipulait dans l’article 92 : Esta Constitución podrá ser reformada total o parcialmente con las formalidades siguientes: 1º. Que la reforma sea solicitada por la mayoría de las legislaturas de los Estados. 2º. Que la reforma sea discutida y aprobada en ambas cámaras conforme a lo establecido para la expedición de las leyes. 3º. Que la reforma sea ratificada por el voto unánime del Senado de plenipotenciarios, teniendo un voto cada Estado. También puede ser reformada por una Convención convocada al efecto por el Congreso, a solicitud de la totalidad de las Legislaturas de los Estados, y compuesta de igual número de 45 diputados por cada Estado . On peut observer à ce moment-là l’importance donnée aux états fédéraux. Quelques années plus tard, la Constitution de 1886 a bouleversé la structure politicoadministrative du pays visant l’unification des territoires colombiens divisés par les guerres entre centralistes et fédéralistes, les deux grandes factions politiques de l’époque. Le pays s’est alors transformé dans une république unitaire selon le premier article constitutionnel. Par rapport à la possibilité de réformer cette Constitution, l’article 13 du plébiscite de 1957 a modifié l’article 209 constitutionnel en limitant le pouvoir constituant de telle manière que seule le Congrès de la République avait l’autorisation de réformer le texte suprême. 44 45 Luis Eduardo CERRA, op. cit., p. 108 Ibid 32 Ainsi, le constituant primaire ne pouvait pas utiliser le mécanisme de la réforme puisqu’il avait donné ce pouvoir au constituant dérivé, c'est-à-dire au Parlement. Pour quelques auteurs comme Cerra, cela impliquait l’annulation complète du peuple comme constituant primaire46, raison pour laquelle il y a eu une paralysie politique les années suivantes et un décalage assez marqué entre la réalité du pays et les normes constitutionnelles. Cependant, il faut reconnaitre que cet effort de maintenir une structure politique particulière et un modèle républicaine ne réponde pas nécessairement à une vision radicale et obstinée du pays, mais à un désir d’assurer aux générations futures un avenir plus sûr. En outre, deux raisons additionnelles, remarquées par Hernando Valencia Villa47, peuvent être constatées comme explication de l’exclusion du constituant primaire dans la reforme à la constitution. En premier lieu l’idée de la République constituée – fortement établie dans la Constitution de 1886 –, selon laquelle la convocation au peuple comme constituant primaire fait partie d’un moment hypothétique de la fondation de l’État, et il n’est pas requis pour la reforme de la constitution d’une république constituée. En deuxième lieu, il faut noter que dans le cas colombien, la fragilité de la nation dont les guerres pendant le XIXe siècle sont la preuve, a encouragé une sorte de tyrannie des représentants sur les représentés, tenus pour des irresponsables. Quant à l’argument de la République constituée, il ne faut pas oublier que cette distinction réalisée à maintes reprises dans la philosophie politique, se trouve expliquée dans l’œuvre d’Emmanuel Sieyès. C’est lui qui, en établissant les trois époques de la formation d’une société politique, donne les arguments pour le débat juridique autour de la volonté et de la représentation politiques. Selon Sieyès, il y a une première époque où les individus s’associent par leurs volontés individuelles : c’est le moment de l’origine de tout pouvoir. Ensuite, l’auteur mentionne les deux autres époques, qui sont caractérisées, l’une par l’action volontaire commune de donner de la consistance à leur union et l’autre par le passage au gouvernement exercé par procuration48. Dans cette hypothèse de la formation d’une société politique on reconnait l’argumentation de la constitution de 1886 : c’est 46 Idem, p.109 Hernando VALENCIA VILLA, “El constituyente de 1990 y la constituyente de 1991”, Análisis político. No. 10, mayo-agosto 1990. 48 Emmanuel SIEYÈS, Qu’est-ce que le tiers état?, Paris, Flammarion, 1988, p.123-124 47 33 seulement dans la première formation que les individus agissent en tant que constituant primaire. De même Sieyès note que, dans cette société politique, « aucune sorte de pouvoir délégué ne peut rien changer aux conditions de sa délégation »49, ce qui donne des fondements à une Constitution. Ainsi, la volonté nationale n’existe que comme moment fondateur avant toute constitution ; après toute modification est censée de se produire par une volonté représentative spéciale50. La Constitution de 1991 a modifié la place du peuple comme pouvoir constituant, en introduisant la possibilité au Congrès de la République, au gouvernement et à la citoyenneté même de modifier la Constitution selon ce qui est stipulé par le titre XIII de la Constitution. Par conséquent, aujourd’hui on peut affirmer que la Constitution politique de la Colombie a perdu sa rigidité grâce à cette modification et aussi grâce à l’absence de clauses pétreas ou immuables51. Selon Foucault, ce type de changement peut être compris par l’herméneutique juridique, laquelle se modifie selon un contexte donné. Ainsi, croyances, préjugés et valeurs d’un moment et d’un espace ne sont pas forcément les mêmes partout ni tout le temps52. Mais on peut trouver aussi dans l’argumentation de Sieyès d’autres éléments qui aident à expliquer pourquoi la citoyenneté garde pouvoir de modifier la constitution. Si dans un effort interprétatif on affirme que la citoyenneté se mobilise en revendiquant une certaine idée comme émanant de l’esprit de la nation colombienne, sa volonté, selon l’auteur, a le droit de faire des changements dès que son intérêt l’exige, tout simplement parce que la nation n’est pas soumise à une constitution. L’argument de Sieyès est significatif dans la mesure qu’il existe pour assurer la nature de la société fondée, en écartant les risques d’une tyrannie des représentants sur les représentés. Et on voit bien que l’idée de Sieyès n’est pas du tout absurde, car ce risque peut devenir une réalité, comme on l’a vu à propos de la Constitution de 188653. Mais ce type de changements peut-il être considéré comme une reforme ou doit-il être vu comme l’instauration d’une nouvelle constitution ? 49 Idem, p.128 Ibid. 51 « La reelección presidencial es constitucional. Observaciones sobre el acto legislativo 2 del 2004 », Instituto de Ciencia Política, Colombia. Adresse URL www.icpcolombia.org/archivos/documentos/obserdef.doc. 52 FOUCAULT en Hernando VALENCIA VILLA, op. cit. 53 Emmanuel SIEYÈS, op. cit., p. 130-131 50 34 Il nous faut employer certains concepts qui expriment bien la subtilité de la question. Le pouvoir original dont Sieyès parle dans son œuvre, sera ici connu sous le nom de pouvoir constituant primaire. D’après Jorge Vélez García et Enrique Uribe Arzate, celui-ci est un pouvoir que doit être considéré comme supra-juridique (audessus du droit). Donc, un pouvoir fondateur et différent du pouvoir réformateur, bien que tout le deux soient des pouvoirs créateurs54. Cette idée est partagée par Augusto Romero Páez. D’après lui, le pouvoir constituant primaire existe aussi dans le moment originaire d’une fondation historique : l’acte constituant. Après quoi, il se transforme et se limite en pouvoir réformateur55. À cela, il faut ajouter deux idées très importantes pour bien comprendre la nature du pouvoir constituant primaire : en tant qu’originaire, il n’a jamais été convoqué autrement que hypothétiquement, c’est-à-dire comme argument de légitimité. Et en tant que pré-constitutionnel, il ne fait pas partie de la constitution56. En revanche, le pouvoir réformateur dont on a fait mention plus haut, sera ici connu sous le nom de pouvoir constituant dérivé. Celui-ci est bien différent du pouvoir primaire. Sieyès affirme, par exemple, qu’un corps soumis à des formes constitutives ne peut rien décider que d’après sa constitution. Il ne peut pas s’en donner une autre57. À partir de là, on comprend bien que ce pouvoir est dérivé de l’existence de la constitution et que, par conséquent, ses facultés ne sont pas si étendues et qu’il doit se borner au cadre juridique constitutionnel58. Pourtant, pour Augusto Romero Páez, la différence est plus floue, car bien que dissemblables, le pouvoir dérivé n’est qu’une transformation du pouvoir primaire. Le pouvoir antérieur est la voie à travers laquelle d’autres auteurs argumentent que le peuple conserve toujours son pouvoir pour accomplir des réformes formelles et matérielles quant aux normes instituées dans la constitution59. Pour récapituler, on peut dire avec Tulio Álvarez que ce pouvoir constituant n’agit pas que dans la fondation de la société politique, mais aussi dans chaque 54 Jorge VÉLEZ GARCÍA, “El poder reformador de la constitución” Boletín 2 del Instituto de Estudios Constitucionales, Universidad Sergio Arboleda, 2005, p. 6 et Enrique URIBE ARZATE, “Principios constitucionales y reforma de la constitución” Boletín Mexicano de Derecho Comparado, No. 115, eneroabril 2006, p.237-263. 55 Nicolás Augusto ROMERO PÁEZ, op. cit., p. 15 56 Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.29. 57 Emmanuel. SIEYÈS, op. cit., p.140 58 Jorge VÉLEZ GARCÍA, op. cit., p.6-7 et Enrique URIBE ARZATE, op. cit., p.237-263. 59 VÉLEZ GARCÍA, Jorge op. cit., p.6-7 et Nicolás Augusto ROMERO PÁEZ, op. cit., p.15 35 modification constitutionnelle. La première fois, on l’appelle primaire; les autres, on les appelle dérivées60. À partir de cette explication on peut se demander comme est stipulée dans les Constitutions latino-américaines la réforme constitutionnelle, afin de comparer ces dispositions avec l’ordre juridique Colombien et identifier s’il existe un respect pour le pouvoir constituant tant primaire que dérivé. Il y a eu dans la région plusieurs mécanismes de réforme constitutionnelle. Pour commencer, l’Equateur déléguait dans la Constitution de 1998 la capacité de réformer la Constitution aux organes des pouvoirs publics comme le Congrès, le président de la République, la Cour Suprême de Justice ou un groupe de citoyens équivalent au 1% des listes électorales61. Ainsi, le mécanisme consistait dans la pleine délégation aux organes relativement qualifiés. D’autre part, existe le mécanisme de convoquer une Assemblée Constituante comme la seule procédure possible de réforme, rendant indispensable l’intervention du peuple, soit par l’élection des membres de l’Assemblée, soit par la ratification des modifications proposées. C’est le cas de la Constitution argentine, modifiée en 1994, où l’article 30 stipule : La Constitución puede reformarse en el todo o en cualquiera de sus partes. La necesidad de reforma debe ser declarada por el Congreso con el voto de dos terceras partes, al menos, de sus miembros; pero no se efectuará sino por una Convención convocada al efecto 62. Une autre possibilité de réforme constitutionnelle est donnée pour les pays avec un système fédéral où il faut garantir la participation de tous les états ou unités qui forment la fédération. On trouve ici le Mexique qui détermine dans son article 135 constitutionnelle le besoin d’obtenir une votation des deux tiers du Congrès plus l’approbation de la majorité des législatures fédérales63. Enfin, il y a les systèmes mixtes basés sur une différentiation entre les modifications partielles et totales en reconnaissant une inégalité tacite entre les normes constitutionnelles et en donnant alors une catégorie supérieure pour certaines d’entre elles. La Constitution de Costa Rica approuvée en 1949 est un bon exemple car elle établit une révision partagée par l’Assemblée législative et le Gouvernement s’il s’agit 60 Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.27. Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.40. 62 Ibid. 63 Ibid. 61 36 d’une réforme partielle, et un mécanisme différent s’il s’agit d’une réforme générale. L’article 196 déclare : La reforma general de esta Constitución, sólo podrá hacerse por una Asamblea Constituyente convocada al efecto. La ley que haga esa convocatoria debe ser aprobada por votación no menor de dos tercios del total de los miembros de la Asamblea Legislativa y no requiere sanción del Poder Ejecutivo64. En Colombie, comme on l’a mentionné plus haut, la Cour Constitutionnelle a formulé dans ses derniers arrêts l’existence des limites matérielles à l’action de réforme décrite dans la Constitution. Et, dans l’article 376, la Constitution de 1991 établit aussi la façon dont on doit convoquer une assemblée constituante compétente pour instaurer une nouvelle constitution. L’article affirme : ARTICULO 376. Mediante ley aprobada por mayoría de los miembros de una y otra Cámara, el Congreso podrá disponer que el pueblo en votación popular decida si convoca una Asamblea Constituyente con la competencia, el período y la composición que la misma ley determine. Se entenderá que el pueblo convoca la Asamblea, si así lo aprueba, cuando menos, una tercera parte de los integrantes del censo electoral. La Asamblea deberá ser elegida por el voto directo de los ciudadanos, en acto electoral que no podrá coincidir con otro. A partir de la elección quedará en suspenso la facultad ordinaria del Congreso para reformar la Constitución durante el término señalado para que la Asamblea cumpla sus funciones. La Asamblea adoptará su propio reglamento65. Ainsi, dans le cadre juridique colombien il y a des limites au pouvoir constituant dérivé mais aussi une mention au pouvoir constituant primaire, dont on vient de dire qu’il était pré-constitutionnel. Cela montre une avancée importante par rapport aux Constitutions politiques du siècle passé et détermine un parcours particulier au pouvoir constituant dans lequel la Constitution confère toutes les garanties nécessaires pour s’exprimer. De cette façon la Constitution colombienne a surmonté la difficulté qu’a représentée la rigidité de son prédécesseur, qui a causé une telle paralysie juridique et politique que cela a obligé à la société colombienne à se manifester en dehors des institutions. Le mouvement de la séptima papeleta est un bon exemple de la façon dont le peuple a utilisé des outils non institutionnels pour se manifester contre la Constitution quand elle ne reflète plus les dynamiques politiques et sociales. C’est pourquoi il est positif d’avoir toujours une Constitution qui permet, de manière explicite, de créer une novelle Charte afin d’éviter les bouleversements institutionnels si propres aux sociétés pré-démocratiques. 64 65 Tulio ÁLVAREZ, op. cit., p.45. République de la Colombie, Constitution Politique Colombienne, 1991, article 376. 37 En plus des arguments juridiques exposés dans cette première partie, il faut comprendre les raisons politiques pour lesquelles la Cour Constitutionnelle colombienne reçoit une légitimité de ces décisions, car bien que la construction juridique ouvre l’espace formel pour les décisions progressistes de la Cour, s’il n’existe pas une volonté politique pour défendre le pouvoir judiciaire, la structure juridique perd toute sa puissance. 38 2. Le système politique colombien : une explication du pouvoir de la Cour Constitutionnelle. La Cour Constitutionnelle colombienne a déclaré en 2010 la non-conformité de la loi qui convoquait un referendum afin d’approuver une troisième élection présidentielle. Comme on a déjà vu, la décision est le résultat des analyses de procédures et de contenu, mais elle est aussi le reflet de quelques caractéristiques politiques propres à la Colombie qu’il faut approfondir afin de mieux comprendre la dynamique de la Cour et du système démocratique colombien. Bien que la Colombie ne soit pas le seul pays de la région avec une construction conceptuelle juridique si forte, il est vrai que c’est dans les enjeux politiques que l’on trouvera l’explication de pourquoi le pouvoir judiciaire colombien possède une légitimité démocratique citoyenne, et pourquoi les autres pouvoirs –voire une figure si populaire comme celle de l’ex-président Álvaro Uribe Vélez– n’arrivent pas à empêcher le rôle de la Cour. Pour cette raison, la première sous-partie de ce chapitre sera dédiée à l’explication de la tradition politique en Colombie, et la deuxième sous-partie évoquera le profil de l’ex-président Álvaro Uribe Vélez pour comprendre tant son niveau de popularité que l’origine de l’initiative législative populaire à l'origine de la loi 1354 (la loi qui appelait au référendum). 2.1. La tradition politique de Colombie À l’heure actuelle, le panorama politique de la Colombie est défini par deux éléments qui caractérisent le pays : d’un côté, une délégitimation chaque fois plus accentuée des partis politiques traditionnels et du Congrès de la République et, de l’autre, une forte tradition présidentialiste depuis le XIXe siècle. Ces éléments ont généralement une relation importante avec deux phénomènes partagés par la plupart des pays de la région latino-américaine : le continuisme et le populisme. On expliquera alors comment s’est développée cette relation dans le cas colombien. 2. 1.1 Délégitimation des partis politiques La délégitimation des partis politiques traditionnels et du Congrès de la République s’explique, selon Fernán González, car les Colombiens considèrent traditionnellement 39 que les fléaux de la nation sont le résultat de l’incompétence des leaders et des représentants, ainsi que de la corruption des organisations politiques en général. Dans l’imaginaire collectif des Colombiens, les politiques et les partis politiques sont un obstacle au développement social des communautés et nuisent à la société en privilégiant le bénéfice personnel et en assurant leur permanence au pouvoir66. Les deux partis traditionnels (libéral et conservateur) qui sont nés au XIXe siècle ont monopolisé jusqu'à la moitié du XXe siècle toute l’activité politique du pays, en donnant une stabilité au système démocratique mais, au même temps, en reproduisant un modèle d’exclusion sociale qui est devenu quelques années plus tard une des causes principales de la formation des groupes armés illégaux. À partir des années 1950 le pays a connu une violence partisane qui s’est déplacée principalement vers les zones rurales, où des paysans ont commencé à se regrouper pour constituer les futures guérillas. Cette situation a mis en question les subcultures67 créées par les partis tout au long de l’histoire républicaine du pays. Malgré les efforts de la part des partis pour récupérer l’ordre et la légitimité à travers la création du Frente National68, les liens entre représentants et représentés se distendent de plus en plus. Pour quelques auteurs comme Andrés Dávila, le nouvel accord politique de 1958 a recomposé la domination des élites mais il a ignoré plusieurs secteurs de la société. La raison de cette exclusion est la permanence des réseaux clientélistes qui formaient des groupes de bénéficiaires particuliers en détriment d’une vraie attention aux besoins de la population69. La réaction à cette exclusion s’est manifestée à travers le fractionnement des partis politiques. C'est ainsi que fut possible la naissance de mouvements comme "Le Mouvement Révolutionnaire Libéral" (MRL), ou "l’Alliance Nationale Populaire" (ANAPO), tous les deux dirigés par des membres qui avaient appartenu au Parti Libéral. 66 Fernán GONZÁLEZ, « El fenómeno político de Álvaro Uribe Vélez », Instituto de Investigación y Debate sobre la Gobernanza, 2006, Adresse URL http://www.institut-gouvernance.org/es/analyse/ficheanalyse-245.html. 67 Terme utilisé par Daniel Pécaut pour se référer aux éléments politiques reproduits par les deux partis politiques traditionnels comme le clientélisme et la corruption. Voir Daniel PÉCAUT, Orden y violencia. Medellín, Fondo Editorial universitario EAFIT, 2012, p.183. 68 Un accord politique signé en 1958 entre les leaders des deux partis traditionnels afin d'en finir avec la violence nationale. Les conditions furent : la parité des fonctionnaires dans l’appareil étatique, l’élection présidentielle de candidats exclusifs du bipartisme et l’alternance politique entre les deux, tous les quatre ans. 69 Andrés DÁVILA, “¿Del bipartidismo a un nuevo sistema de partidos? crisis, constituyente y reconstrucción de un orden político democrático en Colombia”, América Latina Hoy, 3, 2009, p. 36. 40 Malgré l’espoir de changement à partir de la formation de ces groupes, la machinerie politique traditionnelle a empêché son développement, en motivant ainsi une préférence de plusieurs membres du MRL et de l’ANAPO par la résolution du conflit à travers les armes70. On peut identifier aussi deux autres éléments fondamentaux qui expliquent la délégitimation de la classe politique : l’émergence du narcotrafic dans les années 1980 et la naissance des groupes armés illégaux parallèles à la force étatique. Avec le temps, les groupes armés illégaux et les narcotrafiquants ont constitué une sorte de réseau dont le but est de nourrir et de protéger leurs activités, assombrissant la situation sociale et politique colombienne71. Ce panorama a fait naître un sentiment d’indignation générale qui a entraîné la nécessité d’une Assemblée Constituante. La Constitution de 1991 a marqué un nouveau début pour une nation colombienne fragmentée. Cependant les nouvelles règles de jeu ne garantissaient pas le retour automatique de la confiance dans les institutions. 2.1.2 Le mouvement de “la séptima papeleta” Pour mieux comprendre l’origine de la Constitution politique de 1991 et, dès lors, la création des nouvelles institutions comme la Cour Constitutionnelle, il faut approfondir un des épisodes les plus dramatiques de la Colombie, mais aussi un des plus fructueux de notre histoire en termes politiques et juridiques. L’ambiance politique interne qui peut expliquer l’émergence du mouvement de la séptima papeleta est assez complexe: trois candidats présidentiels ayant été tués, les narcotrafiquants ont infiltré presque toutes les institutions du pays, la corruption administrative et l’inefficacité étatique pour réguler les rapports sociaux faisaient quotidiennement la une des journaux72. Au niveau externe, les jeunes colombiens vivaient à travers les médias des changements historiques comme la chute du mur de Berlin et ils étaient témoins de l’émergence de la mondialisation et aussi du modèle économique néolibéral qui 70 Andrés DÁVILA, op. cit., p.36. PNUD “Colombia, un callejón con salida” Informe Nacional de Desarrollo Humano, 2003. 72 “Los estudiantes de la séptima papeleta” Revista Semana, 6 de marzo de 2010. Adresse URL http://www.semana.com/nacion/estudiantes-septima-papeleta/135928-3.aspx 71 41 promettaient le dépassement de tous les problèmes provoqués par le modèle de substitution d’importations73. Cet était de fait a donné naissance à un mouvement des étudiants des universités – d’abord privés et ensuite publiques– à la recherche d’un changement politique définitif pour le pays. Au début, les objectifs n’étaient pas bien définis. Il s’agissait alors des jeunes déçus et las de la violence du narcotrafic et de l’assassinat systématique de tous les leaders politiques qui pensaient d’une manière différente ou qui proposaient des alternatives politiques au conflit74. La première mesure visible du mouvement des jeunes a été la marche du silence. Cet événement qui a eu lieu le 25 août 1989 voulait manifester le rejet des étudiants universitaires de la violence, de l’assassinat du candidat présidentiel Luis Carlos Galán, celui qui avait les plus grandes chances de remporter les élections. À une époque où la société avait une peur permanente des actions violentes provoquées par le narcotrafic et les groupes armés illégaux, les étudiants ont décidé de rompre le silence, d’exiger le changement et de montrer que l’union des citoyens peut modifier l’avenir, voire des pays comme la Colombie. La marche a réuni 25 000 jeunes de différentes universités publiques et privées unies par première fois par un objectif commun, dans un pays où les changements générationnels sont vécus par les élites et, par conséquent, où l’exclusion et les différences sociales sont assez marquées. Paradoxalement, le silence absolu pendant le parcours de la marche est devenu la voix de protestation. Les commerçants potentiellement affectés par la protestation n’ont pas fermé leurs magasins, la force publique n’a pas menacé les ceux qui marchaient, les familles colombiennes et les hommes politiques se demandaient quelle allait être le dénouement de cette manifestation et ses suites, pensant que les idées de ces jeunes pouvaient avoir un écho important75. 73 Fernando CARRILLO FLÓREZ “Capítulo V: La séptima papeleta o el origen de la Constitución de 1991” in Fernando CEPEDA ULLOA, (Ed.), Fortalezas de Colombia, Bogotá, Ariel y BID, 2004. p.112 74 Ce le cas de l’Unión Patriótica, le parti politique qui est né comme le bras politique des FARC ou le parti communiste colombien, lesquels ont subi les pires conséquences de la campagne d’extermination de la part des groupes paramilitaires. Selon Daniel Pécaut, 1500 des ses cadres et militants étant assassinés. Voir Daniel PÉCAUT, « Présent, passé, futur de la violence » in BLANQUER, Jean-Michel et GROS Christian. La Colombie A l’aube du troisième millénaire, Édition de l’IHEAL, Paris, 1996. p.35 75 Témoignage de Jorge ORJUELA, étudiant de l’Universidad del Rosario. “Marcha del silencio” Fundación Séptima Papeleta. Adresse URL http://fundacionseptimapapeleta.wordpress.com/marcha-delsilencio/ 42 La marche a terminé dans le cimetière central comme symbole du rejet aux mortes des années précédentes. À la fin de la manifestation, les leaders estudiantins ont manifesté publiquement leur compromis de produire des propositions de changement afin de réussir la rédaction d’une nouvelle Constitution. Après cette première victoire, les jeunes ont formé des tables rondes afin de discuter les thèmes qu’ils envisageaient comme les points cruciaux de la crise. Ces discussions ont été concrétisées avec la publication d’une circulaire contenant toutes les thématiques ponctuelles dont le gouvernement devait tenir compte pour transformer le panorama de l’époque. À partir de ce moment-là, le mouvement des étudiants avait pour but principal la réalisation d’un référendum afin de changer la Constitution. Il faut ajouter que la Constitution de 1886 n’avait pas des clauses pour changer la Constitution même. L’article 218 constitutionnel stipulait : « La Constitución […] solo podrá ser reformada por un acto legislativo discutido primeramente y aprobado por el Congreso en sus sesiones ordinarias »76. De plus, le plébiscite de 1957, réalisé sous la période de la Junte Militaire qui avait mené un coup d’État cette année-là, interdisait de faire des consultations populaires. D’après Fernando Carrillo, « Así había sido cerrada la válvula que de otro modo permitiría la realización de consultas al pueblo para propiciar los cambios institucionales »77. Dans cette mesure, les changements devaient venir de la classe dirigeante, spécifiquement du Congrès, la seule organisation capable de convoquer une Assemblée Constituante. Pourtant les étudiants reconnaissaient l’absence de volonté politique pour promouvoir des politiques favorables à la collectivité. De plus, les partis politiques ne jouaient plus leur rôle de « charnière » entre la société et le gouvernement. Aussi leur proposition se faisait de plus en plus précise : la formation d’une Assemblée Constituante afin de rédiger une nouvelle Constitution politique, c’est-à-dire de nouvelles règles de jeu garantissant l’inclusion de toute la société colombienne et le respect pour l’État de droit. Depuis 1985, il existait déjà des propositions de ce type. Les groupes armés comme l’Ejército de Liberación Nacional (ELP) ou le Movimiento 19 de abril (M-19) avaient exigé dans ce processus de démobilisation la convocation à un Assemblée 78. Néanmoins, la difficulté était le mécanisme de convocation puisque, comme je l’ai dit, 76 Jaime ANGULO BOSSA, La séptima papeleta: el país opinó, el país la aceptó, Bogotá, Consejo nacional electoral, 1991. 77 Fernando CARRILLO FLÓREZ, op. cit., p.115 78 “Los estudiantes de la séptima papeleta” op.cit. 43 la Constitution de 1886 ne contenait pas de clause pour que le peuple puisse exprimer son désir d’une nouvelle Constitution. La nouveauté du mouvement d’étudiants était alors la proposition d’une forme alternative hors l’institutionnalité pour rendre possible une Assemblée. Camilo Rodríguez, étudiant à l’Universidad del Rosario à l’époque s’exprimait de la manière suivante : …nosotros hemos decidido saltar esa instancia partidista y llegar directamente al Estado para reformarlo, de todas maneras el Estado no es otra cosa que la forma como la sociedad ha querido estar en un determinado momento. Nosotros pretendemos cambiar esa forma, y darle una verdadera eficacia, de modo que exista una participación directa de los ciudadanos en las decisiones fundamentales79. Ces intentions de changement furent canalisées à travers une idée assez simple : l’inclusion d’un septième bulletin de vote (papeleta) pour la journée électorale du 11 mars 1990, au cours de laquelle auraient lieu les élections locales et parlementaires. Si les six premiers bulletins permettaient l’élection de quelques postes publics, la septième serait la manifestation de la population « pour » ou « contre » la réalisation d’une Assemblée Constituante. Cette idée a donné le nom de séptima papeleta au groupe d’étudiants qui proposaient cette initiative. Celle-ci n’avait pas le soutien des institutions formelles, raison pour laquelle les papeletas furent faites par les étudiants mêmes, et publiées par les journaux les plus importants des villes, afin de les déposer dans les urnes le jour de l’élection. Petit à petit, l’initiative a reçu le soutien des médias, des intellectuels et d’hommes politiques comme Carlos Pizarro, leader du parti politique UP et candidat présidentiel aux élections de 1990. Les votations de mars de 1990 ont été une grande victoire pour la société colombienne : la séptima papeleta a obtenu deux millions de votes en faveur du changement80. Cependant le problème était que ce vote était symbolique parce qu’il ne faisait pas part des votations officielles et, par conséquent, les votes ne seraient pas comptés par la Registraduría Nacional del Estado Civil. Néanmoins, le but était de démontrer au gouvernement qui la population voulait un nouveau texte, une nouvelle interprétation de la réalité du pays, et ce fait devait être 79 80 “Marcha del silencio” op.cit. Jaime ANGULO BOSSA, op.cit., p.13. 44 plus important que l’absence de mécanismes de participation stipulés par une constitution incapable de refléter l’esprit de la Colombie. La violence a continué après la votation. Carlos Pizarro et Bernardo Jaramillo ont été tués rejoignant la liste de candidats présidentiels assassinés. Par contre, l’augmentation de la violence s’est traduite par l’augmentation de l’indignation et de la perception positive en faveur de la création d’une Assemblée Constituante. De cette façon, le président de l’époque, Virgilio Barco, a décidé d’inclure dans les élections présidentielles de mai 1990, un vote officiel additionnel en demandant au peuple s’il était d’accord ou non sur la constitution d’une Assemblée Constituante. Le texte était le suivant : Para fortalecer la democracia participativa, vota por la convocatoria a una Asamblea Nacional con representación de las fuerzas sociales, políticas y regionales de la nación, integrada democrática y popularmente para reformar la constitución política de Colombia ? Si No Le « oui » l’a emporté largement81. Le gouvernement a alors rédige le décret législatif 1926 afin de convoquer des élections et d’élire les membres de l’Assemblée. L’argument central du décret s’appuyait sur la capacité du constituant primaire de décider du destin de la Constitution, peu importait les lois antérieures. Le décret affirmait que « la Nación es la depositaria de la soberanía a términos del artículo 2o. [de la Constitution] y que ella puede ejercer su poder cuando a bien lo tenga para lo cual no empece el artículo 13 del plebiscito de primero de diciembre de 1957 que consagró un principio contrario pero modificable por el mismo constituyente primario »82. Le pas suivant devait être la déclaration de constitutionnalité de la part de la Cour Suprême de Justice qui a joue un rôle fondamental dans le panorama politique de l’époque. Grâce au nombre de votes en faveur d’une Assemblée Constituante, la Cour a validé cette votation comme l’expression du pouvoir constituant qui ne pouvait être dénié par la Constitution en vigueur83. La justification de la décision de la Cour a résidé dans l’article 2 constitutionnel qui affirmait que la souveraineté réside essentiellement et exclusivement dans la nation, et que, de cette dernière émanent tous les pouvoirs publics. À partir de là, la Cour s’est 81 Selon la fondation la Séptima Papeleta, le 86% de votes ont été favorables à l’Assemblée. Jaime ANGULO BOSSA, op.cit. 83 “Marcha del silencio” op.cit. 82 45 manifestée dans la décision de la manière suivante : « Como la nación colombiana es el constituyente primario, puede en cualquier tiempo darse una Constitución distinta a la vigente hasta entonces sin sujetarse a los requisitos que esta consagraba. De lo contrario, se llegaría a muchos absurdos”84. Le 9 décembre 1990, le peuple a élu les 70 délégataires qui avaient la difficile tâche de rédiger une Nouvelle Constitution. La composition de l’Assemblée a été assez diverse, les leaders de toutes les positions politiques et idéologiques étaient présents. Cette diversité a garanti d’une certaine manière l’inclusion de tous les groupes qui avaient été écartés du centre de pouvoir et qui voulaient proposer une nouvelle vision du pays. Ainsi, le 4 juillet 1991, les trois présidents de l’Assemblée Constituante –chacun d’un courant politique différent– ont déclaré la Nouvelle Constitution politique de Colombie en démontrant que, malgré l’inexistence d’articles constitutionnels en faveur de la possibilité de former une Assemblée constituante, le peuple comme souverain du pouvoir et, par conséquent, comme constituant primaire, devait toujours avoir le dernier mot. Avec la Constitution de 1991, la Cour Constitutionnelle est perçue comme l’organe capable de défendre le consensus réussi à l’époque de la rédaction. Par conséquent, selon Oscar Ortiz, membre du mouvement séptima papeleta, n’importe quelle attaque à la Cour est vue comme une attaque à l’accord de la société colombienne réalisé à un moment historique du pays85. 2.1.3 Une nouvelle fragilisation politique Malgré l’espoir naissant par rapport aux nouvelles pratiques politiques construites à partir de la Constitution, des nouveaux événements ont fragilisé encore plus la crédibilité des institutions démocratique du pays. Le scandale politique pendant la présidence d’Ernesto Samper Pizano (1994-1998), par exemple. En effet, un certain nombre de preuves démontrant le financement de sa campagne présidentielle de 1994 par le narcotrafic ont été présentées. Malgré les accusations contre le président, ce dernier n’a jamais eu à s'expliquer devant la justice et en conséquence l’image du gouvernement et des partis politiques en général en est restée assez négative. 84 Jaime ANGULO BOSSA, op.cit. Holman MORRIS, “Séptima papeleta y Constituyente de 1991”. Programa Contravía, julio 4 de 2005. Adresse URL http://www.youtube.com/watch?v=Z1CgzPNhSgI&feature=relmfu 85 46 Selon Mauricio Uribe, la situation du président Samper est le reflet d’une vision fortement particulariste – c’est-à-dire, opposée à l’idée de valeurs collectives – qui a été incrusté dans le cœur de l’État depuis toujours. Au lieu de défendre l’intérêt commun, les gouvernements ont donné des exemptions tributaires à certains groupes d’intérêt. Dans ce sens-là, l’ouverture politique de 1991 n’a pas réussi la terminaison de la cooptation étatique. Tout au contraire, cette cooptation s’est étendue aux groupes armés illégaux86. Ensuite, l’arrivée d’Andrés Pastrana Arango à la présidence en 1998 et son échec dans sa tentative d'en finir avec le conflit interne par la négociation avec les groupes armés illégaux, a supprimé le peu de confiance des citoyens et a favorisé l’absence de communication entre les représentants et les électeurs. Par rapport à la structure administrative des partis politiques il faut ajouter que la modification introduite par la Constitution de 1991 a joué un rôle important dans la délégitimisation partisane. L’article 107 constitutionnelle stipule : Se garantiza a todos los nacionales el derecho a fundar, organizar y desarrollar partidos y movimientos políticos, y la libertad de afiliarse a ellos o de retirarse. También se garantiza a las organizaciones sociales el derecho a manifestarse y a participar en eventos políticos. Ainsi, la nouvelle Constitution a ouvert une porte pour la création de nouvelles forces politiques grâce à l’absence de plusieurs conditions pour former des organisations politiques. L’intention de cet article constitutionnel était alors l’ouverture des espaces de discussion et de débat afin d’en finir avec les exclusions politiques et sociales imposées par le bipartisme des années précédentes. Néanmoins, il y a eu une prolifération énorme de mouvements et de groupements politiques à tel point que la population n’a pas trouvé une vraie représentation de ses intérêts. Les acteurs politiques ont commencé à développer des leaderships personnels sans avoir besoin de passer par un parti politique. Cela a produit l’émergence de petites forces avec une quantité de votes très basse, c'est-à-dire sans beaucoup de représentativité politique. Les partis politiques se sont ainsi affaiblis à cause de la facilité d’accéder à un siège au Congrès sans avoir besoin d’un parti traditionnel87. D’où une réforme politique pour instituer une certaine discipline partisane. Ainsi, le Congrès 86 Mauricio URIBE, “Colombia y Venezuela: ¿democracias delegativas o autoritarismos competitivos?”, Nueva Sociedad, no 227, 2010, p.27. 87 « Reforma política de 2003 », Congreso Visible, Universidad de los Andes. Adresse URL http://www.congresovisible.org/democracia/reformas/2003/ 47 a approuvé l’acte législatif No. 3 de 2003 qui a inséré dans le système électoral des concepts comme seuil, liste unique ou vote préférentiel. Le résultat le plus important de la réforme a été la réduction des partis et des mouvements politiques : en 2002 plus de 60 organisations politiques se sont présentées pour les élections législatives – signe d’un système fractionné – tandis que 20 organisations se sont présentées pour les mêmes élections en 200688. Malgré cette avancée dans le système électoral, il est évident qu’il existe encore une vraie distance entre les représentants politiques colombiens et leur électorat. Cet état de fait a permis que certains leaders, en dehors des partis traditionnels, aient plus de force électorale, comme c’est le cas du président Uribe, qui est arrivé au pouvoir au milieu d’une crise sociale (générée par le conflit armé), économique (le pays avait fait face à une grave récession financière) et, par conséquent, institutionnelle. Álvaro Uribe avait l’air d’être l’homme de la situation pour diriger d'une main de fer et d'un grand cœur (devise de sa campagne) le destin de la Colombie. 2.1.4 Tradition présidentialiste en Colombie Comme c’est le cas de tous les pays d’Amérique latine, la Colombie a choisi le régime présidentiel depuis l’indépendance, car ce type de régime paraissait être le plus moderne et le plus cohérent pour les nations naissantes, reproduisant ainsi le modèle des ÉtatsUnis. En effet, les Nord-Américains avaient créé ce régime afin de construire un gouvernement de pouvoirs limités pour éviter l’émergence de l’ancien pouvoir despotique et illimité des colonisateurs. Grâce à la Constitution de Philadelphie ont été établis certains principes comme le gouvernement représentatif, la séparation des pouvoirs, l’exigence de responsabilité politique et l’indépendance judiciaire89. À partir de ces principes, les élites latino-américaines ont décidé d’adopter le modèle mentionné afin de trouver dans le président un personnage idéal pour reconstruire des pays fragmentés aussi bien par les luttes indépendantistes que par les problèmes internes. Selon Mario Castillo Freyre, le président représentait le 88 Marcela PRIETO, « Reforma política y reelección », Instituto de Ciencia Política Hernán Echavarría Olózaga, 2009. p. 1-59. Adresse URL http://www.icpcolombia.org/archivos/reflexiones/reforma_politica_y_reeleccion.pdf 89 Horst DIPPEL, “Constitucionalismo moderno. Introducción a una historia que necesita ser escrita”. Historia constitucional (revue électronique), (6), 2005, p.184. 48 remplacement de la figure des vice-rois et des capitaines généraux qui étaient les seuls modèles d’autorité que les Américains aient connus jusqu’à cette époque90. Il y avait alors une contradiction entre les idées républicaines et la tradition d’une autorité forte et despotique. C’est à partir de cette contradiction que les élites ont construit leur propre système présidentiel, où l’efficacité des décisions sur le contrôle du pouvoir présidentiel est favorisée. Cette décision a écarté le système présidentiel classique du système latino-américain y compris, bien sûr, du système colombien. Selon Mainwaring la culture, l’histoire et la structure sociale déterminent aussi les différences entre les deux types de régimes politiques91. De cette façon, la culture colombienne a préféré l’efficacité des décisions aux principes d’équilibre des pouvoirs, donnant ainsi naissance à deux tendances qui existent encore aujourd’hui dans la plupart des pays de la région : le paternalisme politique, qui renforce le mythe du « gouvernant protecteur »92, et le clientélisme, qui est un élément ajouté par Guillermo O’Donnell comme une caractéristique de notre culture, et, plutôt, comme une institution latinoaméricaine93. Par rapport au paternalisme politique, il faut ajouter qu’il ne s’agit pas d’un terme strictement académique. Pourtant, il est devenu un trait assez important pour expliquer le système politique colombien. Jean-Marie Donegani le définit comme : … une attitude du pouvoir, à la fois bienveillante et autoritaire, qui consiste à imposer une domination sous couvert de protection désintéressée. Il s’agit de faire le bien d’autrui, éventuellement contre son gré, en lui déniant les capacités cognitives ou morales nécessaires à la poursuite et l’obtention de ce bien. Il s’agit donc d’abord d’une relation asymétrique dans laquelle à la surveillance de l’un, disposant de la sagesse et du pouvoir, répond la dépendance de l’autre, supposément dépourvu de la capacité à être un sujet libre et conscient 94. L’idée de protéger les gens d’eux-mêmes semble incompatible avec les principes de liberté et d’autonomie proclamés par nos constitutions politiques. Cependant, la citoyenneté colombienne n’a pas été assez forte pour sortir de l’idée de préférer un père protecteur à un leader politique respectueux des règles démocratiques. 90 Mario CASTILLO FREYRE, « Delimitación conceptual del presidencialismo » in Todos los poderes del presidente: ética y derecho en el ejercicio de la presidencia, Lima, Fondo Editorial de la Pontifica Universidad Católica de Perú, Biblioteca de Derecho Político (Vol. 4), 1997, p. 4. 91 Ismael CRESPO et Antonia MARTÍNEZ, « La forma de gobierno en México: presidencialismo versus parlamentarismo », Polis: Investigación y Análisis Sociopolítico y Psicosocial, Red de Revistas Científicas de América Latina y el Caribe, España y Portugal, Universidad Autónoma Metropolitana – Iztapalapa, Distrito Federal, México, número extraordinario, 2002, p. 75. 92 Jacques LAMBERT, Amérique Latine. Structures sociales et institutions politiques, Paris, Presses universitaires de France, 1963, p.191. 93 Guillermo O´DONNELL, “Otra institucionalización”, Política y Gobierno, 2, (2), 1996, p.224. 94 Jean-Marie DONEGANI, « Le paternalisme, maladie sénile du libéralisme ? » Presses de Sciences Po, Raisons politiques 4, No. 44, 2011, p.5. 49 Finalement, nous pouvons affirmer que la pratique politique a fait du président la figure clé du travail politique. Dans le cas colombien, le président avait le pouvoir de nommer à son gré l’intégralité de son cabinet ministériel, des hauts fonctionnaires, des gouverneurs et des maires. Et il pouvait aussi avoir une incidence sur les nominations de presque tous les salariés du public. Il utilisait des outils d’intervention économique à travers diverses institutions comme la Junta Monetaria, par exemple95. Cette tradition présidentialiste dans le pays n’a pas provoqué de réélections sauf quelques périodes très courtes dans l’histoire du pays. Dans ce sens, la Colombie a suivi le même parcours que les pays de la région : dans un premier moment, la méfiance face aux excès du gouvernement a produit une interdiction radicale de la réélection ; dans un second moment, la consolidation de la transition à la démocratie des années 80 a modifié l’idée initiale et a favorisé le changement dans la durée des mandants présidentiels. 2.1.5 La discussion sur le continuisme Pendant la dernière décennie les constitutions latino-américaines ont été modifiées afin d’inclure la possibilité de la réélection immédiate pour les présidents. La Colombie, bien sûr, n’est pas une exception. Cette modification implique un changement assez important dans le fonctionnement de la démocratie et, surtout, dans la structure d’équilibre des pouvoirs publics si les Constitutions n’introduisent pas les ajustements nécessaires pour garantir cet équilibre à partir de nouvelles règles de jeu. La discussion sur le continuisme présidentiel a été présente tout au long de l’histoire en Amérique latine, en Colombie comme dans les autres pays. En fait, toutes les Constitutions rédigées après l’indépendance montraient une méfiance face au continuisme. Bolívar même déclarait dans le discours d’Angostura (1819) : « La continuité d’un même individu (au pouvoir) a été fréquemment la fin des gouvernements démocratiques »96. De la même manière, Jacques Lambert écrivait en 1963 : Les régimes latino-américains ne tentent pas de modérer l’autorité présidentielle par la séparation des pouvoirs, mais, par contre, ils s’attachent très énergiquement à préserver le caractère démocratique des régimes et à prévenir la transformation de la prépondérance 95 Humberto DE LA CALLE, « Reforma electoral en Colombia », Biblioteca Jurídica Virtual del Instituto de Investigaciones Jurídicas de la UNAM, Adresse URL www.bibliojuridica.org/libros/6/2527/11.pdf. 96 J. F. BLANCO, y R. AZPURUA, en Hubert GOURDON, « Continuismo et présidentialisme constituant dans les États andins », Document présenté dans le cours Droit Constitutionnel Comparé à l’Institut des Hautes Études de L’Amérique latine, second semestre, 2012, p.1 50 présidentielle en dictature en imposant de façon rigide un caractère très temporaire au mandat du président. Dans ce sens, le régime méritait le nom de monocratie temporaire 97. On peut donc voir un désir de la part des premiers constituants d’utiliser des outils qui empêchent la possibilité d’abus de pouvoir des gouvernants. Cependant la stratégie d’interdire la réélection n’était pas suffisante puisqu'elle était construite sur une base assez simple : le contrôle du nombre de mandats présidentiels et de leur durée, montrant une sorte de mathématique rudimentaire98, incapable de garantir par ellemême le respect pour l’équilibre de pouvoirs. Néanmoins l’effort pour introduire certaines clauses de contrôle présidentiel est méritoire, surtout dans les pays à tradition notoirement présidentialiste comme la Colombie. Dans ce cas, par exemple, la Constitution de 1991 était précise à ce sujet. L’article 197 signalait le point suivant : « ne peut être élu président le citoyen qui, à quel que titre que ce soit, aurait exercé la présidence ». Cette interdiction radicale voulait surmonter une tradition politique antérieure qui avait permis à l’autoritarisme de prévaloir et qui voulait que les partis politiques répondent seulement aux intérêts politiques et économiques particuliers. Ainsi, la Constitution de 1991 a empêché – au moins au niveau théorique – l’émergence de deux problèmes liés au débat du continuisme : la tendance à « l’hyperprésidentialisme » latino-américain et la logique perverse du « président candidat »99. Selon François Serres il y a d’autres arguments plus « pragmatiques » qui justifient l’interdiction de la réélection dans la région comme par exemple, les expériences négatives par rapport aux présidents qui ont exercé un second mandant. Si l’on réfléchit sur le cas colombien il est possible de trouver le cas d’Alfonso López Pumarejo, président de la République entre 1934 et 1938 et réélu en 1942 grâce aux résultats positifs de son premier gouvernement. Malgré l’enthousiasme populaire, le président López a été forcé à démissionner avant la fin de son mandant à cause d’une crise institutionnelle accompagnée du soulèvement de quelques secteurs de la société et de la conspiration de l’opposition politique100. 97 Jacques LAMBERT, op. cit., p.22 Hubert GOURDON, op.cit., p.1 99 François SERRES, “La réélection présidentielle en Colombie, dans le contexte latino-américain”, Visages d’Amérique latine, No. 4, 2006, p.69-70. 100 Daniel PÉCAUT, Orden y violencia, op.cit., p.352. 98 51 Ces arguments semblent n’avoir plus d’écho dans les nouvelles constitutions latino-américaines à cause de l’inclusion de la réélection immédiate. Ainsi, presque la moitié des pays de la région a introduit cette modification101. Alors, une question s’impose : le changement constitutionnel en faveur de la réélection est-il le reflet de la consolidation de la démocratie qui a surmonté finalement les menaces du passé ou, tout au contraire, représente-il un risque pour la démocratie même ? Pour certains auteurs la motivation de l’Amérique latine pour introduire la possibilité de continuer avec le même président pour plus d’une période est liée avec l’idée suivante : … maintenant que la démocratie est solidement implantée et a fait preuve de sa solidité sur le continent, il n’y a plus de raison de fond pour refuser aux régimes latino-américains une pratique courante dans les autres régions du monde aussi bien dans les régimes parlementaires (Grande Bretagne, Allemagne, Espagne, pays scandinaves) que dans les régimes semi présidentiels (France) ou présidentiels (Etats-Unis)102. De plus, la réélection permet la continuation d’un leadership quand celui-ci a été effectif. Ainsi, le gouvernement est réélu ou non selon la volonté démocratique de la population, laquelle a un rapport proportionnel avec la accountability du président face à l’électorat103. Il faut vérifier aussi l’exercice du pouvoir présidentiel dans chaque pays parce que tous les présidents n’ont pas la même capacité de prendre des décisions ou d’exécuter leur projet politique. Dans le cas colombien par exemple, le président doit toujours négocier avec les forces législatives, lesquelles ont été souvent contraires au désir politique du président, soit à cause de l’existence des intérêts particuliers de chaque partie, soit à cause de l’absence de points communs au niveau idéologique ou politique. C’est la raison pour laquelle la plupart des présidents colombiens ont utilisé les décrets d’urgence comme façon de gouverner afin d’éviter les obstacles législatifs104. Cette tendance a diminué de manière significative à partir de la Constitution de 1991 qui prévoit que la Cour Constitutionnelle doit vérifier la validité des décrets d’urgence. 101 John M. CAREY, “¿hybris institucional? reelección presidencial en América Latina”, EGOB Revista de Asuntos Públicos, Universidad de los Andes, 2009, p.25. 102 François SERRES, op. cit., p.72. 103 John M. CAREY, op. cit., p.26. 104 Rodrigo UPRIMNY, César RODRÍGUEZ-GARAVITO et Mauricio GARCÍA, ¿Justicia para todos?: sistema judicial, derechos sociales y democracia en Colombia, Bogotá, Grupo Editorial Norma, 2006, p.242. 52 Ainsi, le gouvernement a des limites tant juridiques que politiques dans l’exercice de son pouvoir, ce qui réduit l’impact négatif que la réélection puisse avoir par elle-même. La vraie question est donc comment s’est développé le processus de réforme constitutionnelle afin d’inclure la réélection : si ce changement est partie d’un processus de négociation avec l’opposition, la réforme a un air de permanence et de solidité constitutionnelle et institutionnelle ; par contre, lorsqu’elle est le résultat de processus plébiscitaires sous le masque de la volonté populaire révélée, il faut observer le phénomène avec plus de prudence105. Il faut reconnaître alors que la réélection est simplement un outil qui peut être utilisé selon les besoins et les intérêts de chaque gouvernant ou de chaque population. 2.1.6 Le populisme en Colombie Aujourd’hui il existe beaucoup de discussions par rapport à l’existence du populisme en Amérique latine. Certains auteurs affirment que nous sommes face à une renaissance du phénomène qui, par contre, présente deux différences importantes par comparaison avec le populisme classique des années cinquante : la base populaire qui est formée par des membres de l’économie informelle et non par les classes ouvrières et la mise en œuvre de politiques néolibérales en remplacement du modèle de substitution d’importations106. Ainsi, certains académiciens ont décidé de nommer cette mutation "néo-populisme". Peu importe le nom qu’on donne, il est vrai que certaines caractéristiques sont partagées par le populisme classique et par le populisme de nos jours. Pour Susanne Gratius, le populisme – dans lequel on peut inclure le néo-populisme – représente une des étapes de construction de la démocratie en Amérique latine. Il se trouve dans une « zone grise », c'est-à-dire dans l’espace entre la démocratie et l’autoritarisme, car il produit des fissures dans le système politique mais sans le rompre ou le détruire complètement107. Le populisme a donc cinq caractéristiques principales : 1) l’absence d’une idéologie et/ou d’un programme politique ; 2) une relation directe entre le leader et le peuple à travers une structure verticale de pouvoir ; 3) l’arrivée au pouvoir d’un outsider qui a un discours anti-oligarchique ; 4) de hauts niveaux de soutien populaire et 105 John M. CAREY, op. cit., p.27. S. ELLNER, “Hugo Chávez y Alberto Fujimori: Análisis comparativo de dos variantes del populismo”, Revista Venezolana de Economía y Ciencias Sociales, 10 (1), 2004, p.13. 107 Susan GRATIUS, op.cit., p.2. 106 53 d’inclusion des marginalisés ; 5) un affaiblissement des institutions démocratiques et notamment des poids et contrepoids108. Il faut dire aussi que le populisme peut venir tant de la gauche que de la droite politique puisqu’un de ses traits est la capacité de se mélanger à n’importe quel programme politique ou à n’importe quelle idéologie. La raison en est l’existence d’une base formée à partir du charisme personnel et de la capacité de donner des réponses immédiates aux besoins conjoncturels de la population. Elle produit une menace pour les institutions démocratiques et une propension à la micro-politique qui remplace les macro-projets109. Selon Carolina Galindo la Colombie n’a pas de tradition populiste. Les expériences vécues dans la deuxième moitié du XXe siècle avec Jorge Eliécer Gaitán et le militaire Gustavo Rojas Pinilla sont des cas isolés dans le panorama général du pays. Il faut ajouter par contre que cette absence se manifeste seulement au niveau national puisque les caudillos régionaux – en tant que leaders forts qui utilisent le clientélisme politique comme moyen de pouvoir – ont été présents tout au long de l’histoire colombienne. Ces leaders s’intéressent particulièrement à la permanence de leurs statuts politique et économique à partir des pratiques corruptives. Celles-ci sont comprises comme un échange de faveurs contre services dans lesquelles celui qui reçoit la faveur se transforme en débiteur. La dette sera alors payée à travers le vote110. Cette situation est à l'origine de bien des difficultés pour construire un projet de nation. Le manque de leader national qui incarne les valeurs de la société et capable de donner, par conséquent, une identité au peuple, et la permanence des leaders locaux et régionaux concernés uniquement par la protection de leurs intérêts particuliers sont certaines des raisons qui font que les Colombiens n’ont pas encore de mythe fondateur. On peut ajouter deux raisons additionnelles soulignées par Daniel Pécaut pour lesquelles le populisme colombien ne s'est pas développé. D’abord, un fort degré de fragmentation sociale dû aux caractéristiques du territoire, la coexistence de différents 108 Ibid. J. SANÍN, “Populismo y democracia en la región andina”. En La Región Andina: entre los populismos y la movilización social, Bogotá: Observatorio Andino, 2003, p.55. 110 Jean RIVELOIS, « Corruption », Définition donnée dans le cours "État et Corruption", à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine, second semestre 2012. 109 54 centres urbains avec une relative importance et la permanence d’innombrables zones hors du contrôle de l’État. Ensuite, la division partisane héritée de père en fils111. Par rapport au premier élément, il faut souligner que la géographie colombienne accidentée a présenté un grand obstacle pour le développement social, économique et politique du pays. Les montagnes présentes tout au long de la zone occidentale ont empêché la communication entre les régions, permettant l’émergence de régionalismes forts. C'est ainsi que certaines villes comme Medellín, Cali, Bucaramanga ou Barranquilla sont devenues des pôles de développement éloignés de la capitale grâce, par exemple, à l’exploitation de ressources et au développement de l’industrie textile ou du tourisme. Le problème de l’écart entre la capitale et les autres territoires se reflète dans les villages qui n’ont pas la force de travail nécessaire ni les ressources économiques pour se défendre par eux-mêmes. C'est dans cette absence du gouvernement central que se logent alors généralement les groupes armés illégaux ou les caudillos. Au sujet de la division partisane, les Colombiens ont vécu une guerre civile dans les années cinquante à cause des différences entre les deux partis traditionnels. Il faut ajouter que les différences n’avaient pas un fondement politique solide mais qu'elles étaient le résultat d’une superposition de deux visions des partis traditionnels par rapport au social et au politique. Selon Daniel Pécaut, il y avait une dialectique de « amiennemi » dans laquelle il était impossible de produire des espaces de convergence entre les adversaires112. La guerre a été surmontée avec l’instauration du Front National (Frente Nacional), c’est-à-dire un partenariat entre les deux leaders les plus importants des partis afin de partager le pouvoir politique. La mise en œuvre de ce pacte est devenue une cause additionnelle pour empêcher l’émergence de leaders nationaux parce que le Front National garantissait l’accès au pouvoir aux deux partis traditionnels sans besoin de faire appel à la légitimité populaire. La répartition du pouvoir exécutif et législatif en parts égales était garantie par la loi. Ainsi, l’héritage des divisions est resté dans l’imaginaire collectif des Colombiens malgré la faiblesse des partis politiques traditionnels après la fin du Front National et l’émergence des partis et des mouvements politiques ces dernières années. 111 Carolina GALINDO, « Neopulismo en Colombia : el caso del gobierno de Álvaro Uribe Vélez » Revista Íconos, No. 27, 2007, p.155. 112 Daniel PÉCAUT, y Alberto VALENCIA GUTIÉRREZ Violencia y política en Colombia: elementos de reflexión, Medellín, Universidad de Valle, Hombre Nuevo, 2003, p.37. 55 L’émergence du populisme en Colombie n’est donc pas du tout un élément présent tout au long de son histoire. Par contre, l’émergence du président Uribe dans le contexte politique avec ses forts niveaux de popularité peut nous conduire à penser qu’il est le premier leader populiste de l’histoire colombienne. Il faut donc approfondir le profil de l’ex-président. 2.2 Le phénomène Uribe Le président Álvaro Uribe, élu en 2002, a réussi une modification de l’article 197 de la Constitution pour obtenir la possibilité d'être réélu en 2006. L’article a été modifié de la manière suivante : « Aucune personne ne pourra être élue pour occuper la Présidence de la République pour plus de deux périodes »113. Cette modification a ouvert le chemin au Président Uribe pour la réélection, et c'est ainsi qu'il a obtenu une victoire électorale en mai 2006 avec 62 % des votes. Mais comment peut-on expliquer le phénomène Uribe ? En fait on peut identifier trois facteurs qui expliquent le soutien de la population. 2.2.1 Justifications de la popularité de l’ex-président Uribe a) Les résultats favorables au niveau économique pendant son mandat : la récupération de la confiance des investisseurs dans le pays et l’augmentation de la perception de sécurité ont réactivé l’économie. Les réussites les plus importantes ont été l’augmentation d’investissements étrangers, la création de nouvelles entreprises, l’augmentation du PIB et la diminution du chômage. À partir de cette situation, Uribe a gagné le soutien des leaders corporatifs ou économiques, facilitant pour le président la proposition de plusieurs réformes à ce niveau. b) Les résultats au niveau militaire et sécuritaire : l’échec des négociations avec la guérilla et l’intensification du conflit ont discrédité la guérilla en tant qu’acteur politique. De plus, la sortie par le dialogue avait l’air d’être insuffisante puisque les groupes armés avaient changé leur logique stratégique et le conflit avait commencé à s’étendre aux grandes villes. Cette perception d’insécurité, même dans les métropoles, a renforcé la perception du besoin d’un homme fort menant le pays d'une main ferme pour arrêter le conflit. 113 Nadie podrá ser elegido para ocupar la Presidencia de la República por más de dos períodos. 56 Ainsi, pendant le gouvernement d’Uribe, il y a eu une reprise de l’initiative militaire. On peut ainsi souligner la récupération de plusieurs zones du territoire national, théâtre des actions des guérillas. De plus, la création de bataillons de montagne pour contrôler les voies proches des grandes villes, les escortes militaires pour les voitures des étrangers, etc., ont été déterminantes pour regagner la confiance des citoyens. c) La politique des « conseils communautaires » : Uribe a obtenu des opinions favorables grâce à un style personnel et de micro-gestion. Avec sa devise de « travailler, travailler et travailler » Uribe a conquis les cœurs de la classe moyenne et de la classe populaire surtout du fait qu'il paraissait différent des autres politiques qui volent beaucoup mais ne travaillent pas beaucoup. De plus, Uribe s’est montré comme un homme qui n’avait pas peur des face-à-face et qui savait faire des excuses publiques. Il a créé les « conseils communautaires », se déplaçant dans de nombreux villages pour écouter les problèmes des communautés et leurs besoins essentiels. Il trouvait immédiatement des solutions, assignait des ressources, destituait des fonctionnaires, réclamait des résultats, etc., montrant ainsi sa capacité de leadership. Selon Carolina Hernández on peut signaler trois caractéristiques de la gestion du président Uribe : a) un discours d’unité nationale autour de la lutte contre le terrorisme, b) un style personnel qui montre le président comme un travailleur infatigable dont la préoccupation la plus importante est le bien-être de la population colombienne, c) un langage belligérant et provocant qui le rapproche des secteurs populaires114. Est-ce que ces caractéristiques impliquent que l’ex-président est un populiste ? Malgré l’existence d’un discours exclusif en termes de « ami-ennemi » et une lutte apparente contre les structures corruptives traditionnelles, Álvaro Uribe a bénéficié d'un grand appui des parlementaires et des alliés locaux et régionaux. Ces relations se fondaient sur les réseaux clientélistes et, par conséquent, il n’existait pas d'écart entre les leaders traditionnels et le président. De plus, le budget public utilisé dans les populismes pour favoriser la population la plus marginalisée a été généralement utilisé pour le financement des campagnes militaires contre les guérillas colombiennes115. Par rapport à la caractéristique du nationalisme propre aux populismes, Maria Teresa Uribe affirme que le soutien presque inconditionnel du gouvernement colombien aux politiques des États-Unis montre un écart assez important de l’idée nationaliste qui 114 115 Carolina GALINDO, op. cit., p.157. Idem, p.158. 57 empêche la possibilité d’envisager la Colombie comme un pays avec un gouvernant populiste116. Cependant, l’utilisation du patriotisme dans les discours présidentiels fait qu'il est difficile d’établir la frontière entre un gouvernement populiste et un gouvernement démocratique qui utilise quelquefois plusieurs éléments du populisme. Quelle est donc la différence entre le nationalisme et le patriotisme ? Selon María Teresa Uribe, les premiers revendiquent des concepts comme l’ethnie ou le territoire tandis que les derniers font de même avec le sang et les morts car le patriotisme émerge surtout dans les pays qui ont connu des processus de décolonisation, qui ont souffert des agressions ou des guerres internationales, ou dans les pays qui ont subi des guerres civiles117. Le président Uribe s’est beaucoup servi des symboles patriotiques comme la main sur le cœur pendant l’intonation de l’hymne national ou l’utilisation des couleurs du drapeau, afin de transformer sa proposition politique de la seguridad democrática en un projet national perdurable. Cependant, la subsistance de contrôles juridiques et de dénonciations sociales nationales et internationales a empêché cette consolidation. Même le président Juan Manuel Santos, son successeur actuel et supposé héritier de la politique de sécurité démocratique a modifié les lignes initiales. Aussi est-il possible d’affirmer que la Colombie a eu un président populaire mais pas populiste malgré l’existence de certaines caractéristiques partagées avec les autres présidents de la région qui font du populisme leur drapeau. Le niveau de popularité du président Uribe a été ratifié en deux moments pendant son mandat : d’abord, sa réélection en 2006 grâce à la modification constitutionnelle de l´article 197 ; ensuite, l’initiative législative populaire qui voulait changer la Constitution une fois de plus afin de garantir la possibilité d’une deuxième réélection. La première démonstration de soutien populaire a réussi son objectif initial tandis que la deuxième a échoué. ¿ Quels éléments ont marqué la différence entre les deux processus ? Arrêtons-nous pour expliquer le parcours de la première réélection. 116 María Teresa URIBE HINCAPIÉ, “El republicanismo patriótico” en Reelección: el embrujo continúa Plataforma Colombiana de Derechos Humanos, Democracia y Desarrollo, 2004, p.14. 117 Idem, p.20. 58 2.2.2 Première réélection du président Uribe En 2003, une première tentative de proposition de réélection consécutive a eu lieu, mais celle-ci n’a pas eu d’écho au Congrès. Cependant, en janvier 2004 Noemí Sanín, l’ambassadrice colombienne en Espagne à l’époque, a déclaré le besoin d’ouvrir le débat au sujet de la réélection. Néanmoins, le 15 de mars 2004 la coalition du gouvernement présente devant le Sénat de la République le projet de réforme pour réélire le Président et le Vice-président pour la période immédiatement suivante. Cette fois, l’ambiance politique était plus favorable à la proposition parce que certaines personnalités de la vie publique colombienne se sont manifestées en faveur de la réélection ; parmi elles, Noemí Sanín118. Le projet est finalement approuvé en novembre 2004 et il constitue l’Acte Législatif 02. Avec cet acte la réélection immédiate est constituée. Spécifiquement, l’article 2 de l’Acte législatif a reformé l’article 197 de la Constitution comme suit « Personne ne pourra être élue pour occuper la présidence de la république pour plus de deux périodes ». L’Acte Législatif a été soumis à la révision de la Cour Constitutionnelle. La Cour a déclaré la nouvelle loi libre de tout vice de procédure, donnant donc le feu vert à la réélection. Pourtant, elle a fait appel à la construction d’une loi de garantie pour ajuster tous les processus liés à l’équilibre des pouvoirs. En novembre 2004, le Congrès a créé la loi 996 connue sous le nom de « loi de garantie électorale ». La critique la plus forte à cette loi est l’absence d’une régulation au sujet de l’élection des autres fonctionnaires du pouvoir judiciaire qui est touchée par la réélection présidentielle et qui permet une intervention très forte de l’exécutif sur les autres pouvoirs119. Pourtant, le président Uribe est élu une deuxième fois avec 62 % des voix. Grâce à cette modification constitutionnelle, les conditions politiques ont changé, non seulement pour le président Uribe, mais pour les présidents qui seraient élus dans l’avenir, constituant ainsi un changement important dans les rapports entre gouvernants et gouvernés et aussi entre les différents pouvoirs publics. 118 Eduardo POSADA CARBÓ, “Colombia ante la reforma que permite la reelección presidencial” Real Instituto Elcano. ARI No. 11, 2005, p.2 119 Marcela PRIETO (ed.) « El equilibrio de poderes ante la reelección en Colombia », Instituto de Ciencia Política Hernán Echavarría Olózaga, 2010, p. 28. Adresse URL www.icpcolombia.org/.../equilibrio_de_poderes_y_reeleccion.pdf. 59 2.2.3 Les modifications dans l’exercice du pouvoir à court et long terme a) À court terme : Selon le schéma de fonctionnement de l’État colombien, l’incidence du président dans la nomination de certains postes des pouvoirs exécutifs et judiciaires peut être de forme directe ou indirecte. Dans le cas d’une incidence directe, la Constitution de 1991 a établi l’intervention du président dans les élections suivantes à travers l’envoi de sa propre terna120 : Magistrats de la Cour Constitutionnelle Magistrats de la salle de discipline du Conseil Supérieur de la Judicature Procureur Général de la Nation Procureur Général de la République Défenseur de la Population Assemblée directrice de la Banque de la République Commission Nationale de Télévision De même, le président peut désigner les hauts fonctionnaires comme directeurs de départements administratifs et présidents, directeurs ou gérants des établissements publics. (Constitution Politique de Colombie, 1991. Titre V). À partir de la réforme politique de 2004, quelques règles électorales donnent l’opportunité au président de contrôler davantage l’élection des fonctionnaires des pouvoirs différents de l’exécutif. Premièrement, il existe une ingérence de la part du président dans le pouvoir judiciaire : pour la Cour Constitutionnelle, le président a eu l’opportunité de choisir trois des magistrats pendant les huit ans de mandat et d’exercer son mandat parallèlement à ces magistrats, situation inconnue jusqu'alors. De plus, sept des magistrats de la Salle de Discipline de la Judicature ont été nommés par le président, montrant ainsi que deux mandats consécutifs confèrent la possibilité d’avoir plus d’alliés dans les endroits où existe un contrôle du pouvoir présidentiel. Quant à l’élection du procureur, il faut savoir que cette figure permet aussi la réélection. L’équilibre des pouvoirs serait affecté puisque l’exercice d’un poste qui fait le suivi du comportement des hauts fonctionnaires publics, ne devrait pas coïncider avec le mandat du président qui les a désignés. Les possibilités de faire un suivi objectif des membres du parti du président pourraient s'en trouver réduites de manière importante. 120 Groupe de trois personnes parmi lesquelles on doit en choisir une pour prendre un poste. 60 Il en est de même pour le Défenseur de la Population. En effet, Vólmar Pérez occupe ce poste depuis 2004 grâce aux ternas proposées par les deux gouvernements d’Uribe. Cette situation pourrait nuire à l’objectivité de son travail de Défenseur, c’està-dire à la garantie des droits humains, car son travail peut dépendre de pressions politiques de la part du gouvernement121. D’autre part, la réélection consécutive laisse au président un nombre plus important de nominations des membres de l’Assemblée de la Banque Centrale et finalement, la réforme permet aussi que cinq des neuf membres de la Commission Nationale de Télévision soient choisis par le président réélu. C’est pourquoi l’inclusion de nouveaux contrôles constitutionnels au pouvoir de nomination présidentiel est fondamentale, car les postes qu’il désigne sont stratégiques pour développer un contrôle efficace sur les excès possibles et sur sa propre ingérence par rapport aux autres pouvoirs. b) À long terme : d’après le chercheur Eduardo Posada Carbó122, la réforme peut avoir plusieurs effets. Le premier d’entre eux, la transformation des temps de la démocratie au moment d’ouvrir l’option d’avoir des gouvernements de huit ans. Selon cet auteur, cette nouvelle option produit une grande continuité des politiques publiques mais, en même temps, peut provoquer une sorte de rigidité institutionnelle du fait d’empêcher le changement de gouvernement pendant cette période. Le deuxième effet de la réforme est le déséquilibre déjà mentionné entre les pouvoirs publics en consolidant le pouvoir exécutif sur les autres. De la même manière ce pouvoir peut changer la conduite des actes du gouvernement central : pour les opposants à la réforme, la réélection stimule l’augmentation des dépenses publiques afin de faire campagne électorale pendant le premier mandat. Les défenseurs de la réforme argumentent que c’est l’occasion pour les électeurs de demander une reddition de comptes. Un nouvel effet souligné par Posada Carbó est le fait que le financement public pour les campagnes électorales tiendra, avec le temps, une grande importance puisque la réforme stipule « le financement de prépondérance étatique » afin de garantir l’égalité parmi les candidats et d'éviter aussi quelques financements de groupes illégaux. Finalement, les ex-présidents obtiendront probablement un premier rôle à partir de la possibilité d’être réélus dans l’avenir. Il déterminera aussi la nécessité de montrer 121 122 Marcela PRIETO, “El equilibrio de poderes…” op. cit., p.19. Eduardo POSADA CARBÓ, op. cit., p. 3. 61 une image solide et inattaquable après le mandat, en transformant en quelque sorte le type de leadership du pays. La décision de la Cour Constitutionnelle de déclarer la conformité de la réforme constitutionnelle a l’air d’ignorer ces risques. Cependant il faut ajouter que la Constitution donne un pouvoir limité de vérification à la Cour dans l’article 241 qui affirme : « à la Cour Constitutionnelle est confiée la garde de l’intégrité et de la suprématie de la Constitution, dans les termes stricts et précis de cet article. Avec ce but, elle accomplira les fonctions suivantes : 2. décider sur les actions d’inconstitutionnalité promues par les citoyens contre les actes de réforme de la Constitution, uniquement pour les vices de procédure dans sa formation ». Dans le cas de l’acte législatif No. 2 2004, la Cour a répondu aux demandes d’inconstitutionnalité interposées par quelques citoyens à travers l’arrêt 1040 de 2005, dans laquelle aucun argument juridique ou politique n'a reçu d’acceptation de la part de la Cour. Par rapport aux vices de procédure dénoncés, comme l’absence de débat de l’acte ou l’irrespect des principes de pluralisme politique à cause de la non-participation de l’opposition politique et de la citoyenneté, la Cour s’est montrée contraire à la vision des demandeurs et favorable aux décisions prises par le Congrès de la République. De la même façon, la Cour a analysé les dits « vices de compétences », un concept créé par la jurisprudence de la Cour même qui rend possible la vérification du contenu des lois et des actes législatifs pour déterminer si la personne qui exerce le pouvoir de modifier la Constitution a outrepassé les limites de sa compétence. Selon la Cour Constitutionnelle : « Cuando la Constitución adjudica a la Corte el control de los vicios de procedimiento en la formación de una reforma constitucional no sólo le atribuye el conocimiento de la regularidad del trámite como tal, sino que también le confiere la facultad de examinar si el Constituyente derivado, al ejercer el poder de reforma, incurrió o no en un vicio de competencia »123. À partir de cette création controversée, la Cour a vérifié ces dernières années certains aspects matériels des décisions législatives et elle a déclaré la non-conformité des lois. C'est le cas, par exemple, de l’arrêt 141 de 2010 qui a déclaré inexequible124 la 123 124 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p. 33. Terme espagnol qui se réfère à la non-conformité des lois colombiennes. 62 loi 1354 mettant en place le référendum en faveur d’une deuxième réélection présidentielle. Par rapport à l’acte No. 2 2004 la Cour a manifesté, par contre, que la réélection présidentielle pour une seule fois est une réforme constitutionnelle qui ne substitue pas la Constitution si la modification est accompagnée par une loi statutaire pour garantir les droits de l’opposition et l’équité dans la campagne présidentielle125. Le Congrès a créé alors la loi 996 de 2006 dite ley de garantías electorales afin de respecter la condition imposée par la Cour Constitutionnelle. De cette façon, la première réélection du président Uribe est devenue une réalité et la relation entre le président de l’époque et le pouvoir judiciaire a commencé à changer de manière positive. 2.2.4 Le président Uribe et le pouvoir judiciaire Selon Sebastián Rubiano, la relation entre la Cour Constitutionnelle et le président a connu trois moments : le premier a été caractérisé par une attaque directe de la part du président à travers la proposition de réformes de réduction de la portée du pouvoir judiciaire. Pendant cette période, la Cour Constitutionnelle avait déclaré la nonconformité de décrets présidentiels qui voulaient établir l’état d’exception en justifiant un état de « commotion intérieure »126. C'est ainsi que les relations se sont tendues. Le deuxième moment correspond à une transition positive de proximité relative à cause de la nécessité pour le président de garantir l’approbation de sa réélection. Cette étape a permis le troisième moment lorsque le gouvernement a eu une incidence dans la nomination des magistrats de la Cour en renouvelant l’institution127. La déclaration de conformité de la réforme constitutionnelle rendant possible la réélection présidentielle a beaucoup amélioré les relations entre la Cour Constitutionnelle et le président. Les rapports conflictuels seraient alors circonscrits au président et à la Cour Suprême de Justice. 125 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt C-1040 2005, p. 3. L’état de "conmotion intérieure" est défini par l’article 213 constitutionnel de la maniere suivante: “En caso de grave perturbación del orden público que atente de manera inminente contra la estabilidad institucional, la seguridad del Estado, o la convivencia ciudadana, y que no pueda ser conjurada mediante el uso de las atribuciones ordinarias de las autoridades de Policía, el Presidente de la República, con la firma de todos los ministros, podrá declarar el Estado de Conmoción Interior, en toda la República o parte de ella, por término no mayor de noventa días, prorrogable hasta por dos períodos iguales, el segundo de los cuales requiere concepto previo y favorable del Senado de la República”. 127 Carolina GUEVARA, “Independencia judicial. El caso de la Corte Suprema de Justicia Colombiana”, Revista de Derecho No. 35, 2011, p.163-164. 126 63 La première tension entre les deux factions a été déclenchée par le scandale de la parapolítica, en 2006, avec la découverte des liens politiques et économiques entre quelques parlementaires et les groupes armés illégaux ou paramilitaires. La Cour Suprême a été radicale quant à l’enquête: peu importaient les liens entre les parlementaires soupçonnés et le président Uribe. Ce dernier voulait déclarer comme délits politiques les actions commises par les groupes paramilitaires. De son côté, la Cour Suprême a déclaré : Debido a que los hechos delictivos cometidos por cuenta o en nombre de los paramilitares no fueron ejecutados con el propósito de atentar contra el régimen constitucional y legal vigente, con denunciado apoyo de importantes sectores institucionales y procurando obtener beneficios particulares, pretender que una norma identifique como delito político conductas claramente señaladas como delitos comunes resulta contrario a la Constitución vigente, desconoce la jurisprudencia nacional y contradice la totalidad de la doctrina nacional y extranjera (CSJ, 2007, p. 21)128. En 2008 un nouveau round a commencé avec l’intrusion du président dans le cas de son cousin Mario Uribe soupçonné précisément d'avoir trempé dans ce scandale. L'intrusion du président avait consisté dans sa pression exercée sur l'un des membres de la Cour pour connaître l’état de l’enquête. La même année, un autre scandale avait lieu : la yidispolitica. La Cour a décidé de condamner la parlementaire Yidis Medina à cause de sa déclaration d’avoir vendu son vote au Congrès pour approuver la réforme de la réélection. Selon Carolina Guevara, pour le gouvernement les implications politiques ont été importantes en termes de perte de légitimation de la réélection du président. Pour la Cour Suprême le coût de sa décision a été une campagne visant à discréditer de la part du gouvernement129. Après cette situation peu claire dans la politique colombienne, on a vécu l'un des chapitres les plus difficiles du pays quant au manque de respect des principes de la démocratie : les écoutes téléphoniques illégales, dites « chuzadas » en espagnol. En février 2009 l’hebdomadaire colombien SEMANA a fait connaître une enquête qu’il avait commencé six mois avant sur les écoutes téléphoniques et les courriers électroniques de la part du Département Administratif de Sécurité (DAS) aux Magistrats de la Cour Suprême de Justice, à des journalistes, à des hommes politiques d’opposition, à des procureurs et même à quelques membres importants du gouvernement du président de l’époque, Alvaro Uribe. 128 129 Javier REVELO-REBOLLEDO, op.cit., p.82. Carolina GUEVARA, op. cit., p.167. 64 Plusieurs membres du gouvernement ont intercepté ces communications avec l’intention de « contrôler » les menaces possibles contre le président. Selon le témoignage d’un détective qui travaille à la sous-direction des opérations du DAS, cette organisation identifiait des cibles « légitimes » qui devaient être suivies130. Le cas du magistrat auxiliaire de la Cour Suprême, Iván Velásquez, montre l’envergure du problème, puisque les documents collectés par l’hebdomadaire prouvent l’interception de 1.900 appels dans lesquels Velásquez parlait d’issues clés comme la loi de justice et de paix qui cherche à donner un cadre légal à la démobilisation des groupes paramilitaires dans le pays131. Ainsi a été mise en évidence l’intrusion du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire pendant le mandat du président Uribe, ce qui était une attaque à quelques éléments fondamentaux de la démocratie colombienne comme la liberté d’expression et le respect pour la différence et pour l’équilibre de pouvoirs. Ce récit historique rend possible alors une compréhension plus complète de la force politique de la Cour Constitutionnelle. Pour certains auteurs, cela se traduit dans un gouvernement des juges ; pour d’autres, il s’agit d’une avancée démocratique grâce à la politisation du monde judicaire. Qui a raison ? On développera cette discussion dans la partie finale de ce travail. 130 « El DAS sigue grabando », Revista Semana, 21 de febrero de 2009. Adresse URL http://www.semana.com/nacion/das-sigue-grabando/120991-3.aspx 131 « La cacería del DAS al magistrado », Revista Semana, Adresse URL http://www.semana.com/photos/1399/ImgArticulo_T2_59964_2009221_112037.jpg 65 3. La Cour Constitutionnelle comme un acteur politique Cette dernière partie est dédiée à l’analyse de la Cour Constitutionnelle en tant qu’acteur politique plus que comme acteur juridique ou judiciaire dans le système colombien. Ce nouveau rôle fait partie des enjeux politiques et juridiques de la région ; il y est présent grâce à l’existence des conditions politiques et sociales similaires et des solutions compatibles avec notre contexte particulier. Ces solutions peuvent cependant entraîner plusieurs risques pour la démocratie. On montrera que ces risques peuvent être évités s’il existe une citoyenneté engagée avec la défense des principes constitutionnels. 3.1 Le rôle de la Cour Constitutionnelle colombienne dans l’élaboration des politiques publiques. Le travail de la Cour Constitutionnelle colombienne pendant ces dernières années est, au moins en termes numériques, étonnante : dans une période de onze ans, elle a adopté 9.942 décisions, huit fois plus que la Cour Suprême pendant sa période la plus active132. Le moyen le plus efficace de l’action judiciaire de la Cour est, certes, la tutela en tant qu’outil de défense des droits fondamentaux. La facilité avec laquelle on se sert de ce mécanisme a permis de renforcer le lien entre la citoyenneté et la Cour Constitutionnelle. Ainsi, les tutelas ont augmenté d’un 48% depuis 1998. Deux raisons semblent expliquer cette croissance durant cette époque : tout abord l’idée que la protection des droits fondamentaux peut modifier la vie quotidienne faite des conflits et, ensuite, la récession économique de la fin des années 90 qui a provoqué une mobilisation massive pour défendre des droits comme la pension, la retraite et des salaries dignes. Il faut ajouter que cet activisme ne se traduit pas nécessairement par un soutien inconditionnel de la Cour par rapport aux demandeurs, puisque seuls 58% des cas ont été favorables aux demandes citoyennes. Néanmoins, dans l’opinion publique, la Cour jouit toujours d’une perception positive car elle est vue comme une institution qui favorise les intérêts de la population la plus vulnérable133. Cette perception est renforcée 132 Manuel José CEPEDA ESPINOSA « Capítulo VI: La defensa judicial de la Constitución” in Fernando CEPEDA ULLOA (Ed.) Fortalezas de Colombia II. Bogotá, Cuellar Editores y Colciencias, 2007, p.181. 133 Ibid. 66 grâce aux interventions du pouvoir judiciaire dans différents champs, lesquels sont énoncés de la manière suivante par Uprimny : la lutte contre la corruption politique et celle pour la transformation des pratiques politiques ; le contrôle des abus de pouvoir gouvernementaux, en particulier face aux attributions exceptionnelles du Président pendant les « états d’urgence » ; la protection de groupes minoritaires et de la liberté individuelle ; la protection de populations stigmatisées ou en situation de faiblesse manifeste et, en dernier, mais pas le moins important, la gestion de la politique économique en relation avec la protection des droits sociaux 134. Pour ce qui est de la lutte contre la corruption politique, le système judiciaire a réalisé un grand effort pour modifier la culture du clientélisme et les pratiques corruptives du pays. L’on peut trouver deux exemples très clairs à ce sujet : premièrement, le rôle des juges pendant le scandale de corruption à l’époque du président Ernesto Samper, soupçonné d’avoir financé une partie de sa campagne électorale avec un financement illégal. À ce moment-là, les fonctionnaires judiciaires ont contribué de manière significative à porter à la connaissance de la société colombienne tous les résultats de l’enquête. Or, si le président Samper n’a pas été déclaré coupable, c’est parce que, au Congrès on n’a pas obtenu la votation interne nécessaire pour s’engager dans un jugement politique contre le gouvernant. Cependant, Fernando Botero Zea –l’une des ministres les plus proches au président de l’époque–, a été condamnée par la Cour Suprême de Justice car il a été considéré comme responsable du délit de vol qualifié en s’appropriant de l’argent illicite de la campagne présidentielle135. Deuxièmement, le pouvoir judiciaire s’est battu contre la corruption grâce au processus de « pérdida de investidura » mené par le Conseil d’État, c'est-à-dire la perte du poste obtenu par élection populaire à cause de l’inaccomplissement des fonctions du fonctionnaire. Dans la pratique cela implique la mort politique des fonctionnaires jugés par le Conseil, la sanction consistant en une impossibilité d’occuper des postes d’élection populaire à perpétuité. L’article 183 constitutionnel considère comme causes de perte d l’investiture : la violation du régime d’incompatibilités ou du régime du conflit d’intérêts, l’absence aux séances du Congrès plus de six fois, la non-prise du poste dans les huit jours suivants l’installation du Congrès, l’usage illicite des ressources publiques et le trafic d’influences dûment prouvé. 134 Rodrigo UPRIMNY YEPES, “La fonction politique de la justice…” p.233 Corte Suprema de Justicia, Sala de Casación Penal. Proceso No 22412. Magistrado Ponente: Mauro SOLARTE PORTILLA. 1 de marzo de 2007 135 67 Au sujet du contrôle sur les états d’urgence, il faut souligner que la Constitution de 1991 a donné les moyens nécessaires pour sortir de la vieille coutume des présidents colombiens de gouverner à travers ce type de décrets. Ainsi, bien que le gouvernement possède toujours une marge d’appréciation pour déterminer l’état de la crise, c’est la Cour Constitutionnelle qui décide si l’appel à l’état d’urgence est justifié constitutionnellement ou non. Selon Uprimny, « sur les douze déclarations d’états d’urgence entre 1992 et 2002, la Cour Constitutionnelle n’en validé que cinq, en a annulé totalement trois, et en a validé partiellement quatre. Ces arrêts de la Cour Constitutionnelle en 1992 ont eu un impact pratique et politique considérable notamment sur la durée de la période vécue par les Colombiens dans des régimes d’urgence qui tomba de 80% dans la décennie 1980 à moins de 20% à partir de 1992 » 136 . Le troisième champ d’intervention active de la part du pouvoir judiciaire se manifeste dans la protection des groupes minoritaires. Comme on l’a signalé plusieurs fois, la Constitution de 1991 est une charte très large quant à la déclaration des droits sociaux. La Cour a ainsi défendu l’égalité entre les religions grâce au renforcement de la liberté de cultes –stipulé dans l’article 19 constitutionnel– à travers, par exemple, l’annulation des privilèges de la religion catholique. La Cour, d’ailleurs, a pris des décisions assez controversées comme la dépénalisation de l’avortement sous conditions particulières ainsi que la dépénalisation de la consommation de drogues et de l’euthanasie à partir du principe de la non-violation de l’autonomie individuelle137. La position adoptée par la Cour colombienne nous rappelle le cas américain de Wade Vs. Rue dans lequel Jeanne Wade, citoyenne américaine, a présenté un recours contre l’hôpital de Texas en raison de la réponse négative de cette organisation à sa demande d’avortement. Bien que les arguments de la demandeuse n’eussent pas été liés à des raisons médicales, et que, par conséquent, l’exigence d’un avortement eut été tout à fait contraire aux lois de l´état de Texas, la Cour fédérale s’est déclarée en faveur de Wade, en justifiant la suprématie du droit de « privacy » sur le droit possible à la vie de son enfant. La Cour affirmait que tandis que Wade était une personne au sens 136 137 Rodrigo UPRIMNY, “La fonction politique de la justice…” op.cit., p.235 Idem, p.236 68 constitutionnel (et par conséquent, porteuse des droits comme la privacy), son enfant n’existait pas encore selon les termes de la Constitution138. L’on peut identifier ici des précédents d’interprétation qui servent aux tribunaux constitutionnels pour la défense des droits de la population non-protégée, voire des minorités dans la nation. Une des idées fondamentales des Constitutions comme la Constitution colombienne est celle de construire une architecture constitutionnelle qui garantisse à tous les citoyens, même aux groupes minoritaires, l’accès équitable aux droits. Cela constitue une possibilité pour les minorités de se rallier à l’exercice du pouvoir. Dans ce sens, le tribunal constitutionnel développe un rôle politique en tant que garant de ces dynamiques. Il existe encore une autre fonction du pouvoir judiciaire colombien dans laquelle il possède un pouvoir d’intervention significatif en termes politiques : l’intervention dans la politique économique. Il est probable que ce point soit l’un des plus controversés à cause de la grande quantité de désaveux des actions du pouvoir judiciaire. L’argument principal est le manque d’expérience de la Cour sur les questions sujet financières. Malgré ces accusations, la Cour a modifié par exemple le système de retraite pour étendre certains bénéfices aux groupes traditionnellement exclus. Elle a aussi empêché l’augmentation et l’expansion de la taxe sur la valeur ajoutée à des produits de première nécessité et elle a même ordonné l’indexation partielle des salaires des fonctionnaires139. L’exemple le plus discuté a été l’intervention de la Cour dans la crise financière de 1999 au cours de laquelle les débiteurs d’hypothèques ont été très affectés. Pour la première fois dans l’histoire du pays, c’est la classe moyenne qui a rassemblé ses forces pour demander à l’État la défense des droits établis par la Constitution. Malgré cela, aucune réponse n’a été apportée. Ainsi les débiteurs ont utilisé la tutela de manière massive en recevant une réponse favorable de la part de la Cour Constitutionnelle, laquelle a ordonné la promulgation d’une nouvelle loi afin de réguler le financement de logements. Finalement, il est possible d’identifier un dernier champ où la Cour a toujours eu un impact important dans la vie politique de la Colombie : la défense de la population 138 « Appeal from The United States District Court for The Northern District of Texas No. 70-18 », Argued: December 13, 1971, Decided: January 22, 1973, Legal Information Institute. Adresse URL http://www.law.cornell.edu/supct/html/historics/USSC_CR_0410_0113_ZS.html/ 139 Rodrigo UPRIMNY, “La fonction politique de la justice…” op.cit., p.239 69 stigmatisée. Cela a été possible grâce à la tache de la Cour Constitutionnelle de transformer les recours individuelles en recours collectifs à travers des outils comme la déclaration d’état de choses inconstitutionnel140. C’est le cas de la situation des prisonniers, la Cour ayant demandé des mesures immédiates pour résoudre les problèmes d’encombrement des prisons141. De même, le déplacement forcé provoqué par la violence du pays a reçu un traitement spécial de la part de la Cour. Il serait important d’approfondir la réflexion autour de ce sujet parce que la déclaration de l’état de choses inconstitutionnel pour les déplacés a eu des conséquences assez importantes sur la construction des politiques publiques dans le pays. Étant déclaré comme une émergence sociale la Cour a reconnu le déplacement forcé comme l’un des phénomènes les plus complexes de la Colombie, car il reflète bien l’incapacité étatique à répondre à plusieurs problématiques : la possession du monopole de la force et de la violence, la protection de la propriété de la terre, la défense des groupes minoritaires comme les indigènes, entre autres. Les déplacés sont les victimes les plus visibles dans le conflit armé : « La Colombie occupe la deuxième place dans le monde, par le nombre de déplacés internes, après le Soudan. Plus de trois millions de personnes ont été déplacées depuis 1985 »142. Bien que ce phénomène soit envisagé comme un crime contre l’humanité tant au niveau international que national143, le gré d’impunité en Colombie est très élevé. C’est état de faits a poussé la Cour Constitutionnelle à se manifester contre les abus subis par les déplacés. Ainsi, l’on peut identifier deux types de jurisprudence concernant ce sujet : Avant l’arrêt de tutelle T-025 du 2004, une jurisprudence générale sur le déplacement forcé. Après cet arrêt, une période caractérisée par une riche jurisprudence qui prend en considération les catégories de victimes les plus faibles, comme les femmes chef de famille, les indiens, les afro colombien, les enfants et les handicapés déplacés, en adoptant un “enfoque diferencial”, c’est à dire une approche différenciée vis-à-vis de chaque type déplacement144. 140 Il s’agit d’une construction juridique ad hoc élaborée par le juge constitutionnel colombien qui est déclaré quand « Il y a une violation grave et constante des droits fondamentaux, qui implique plusieurs personnes et dont la résolution demande l’intervention de différentes institutions de l’Etat afin de chercher une solution à ces problèmes de caractère structurel. » Voir Cour Constitutionnelle. Arrêt T-025 du 2004. 141 Rodrigo UPRIMNY, “La fonction politique de la justice…” op.cit., p. 237-238 142 Marzia DALTO, “Le juge constitutionnel colombien vis-à-vis du déplacement forcé” Revista Derecho del Estado n.º 27, julio-diciembre de 2011, p.52 143 Le code pénal colombien stipule le déplacement comme un crime dans son article 159: “deportación, expulsión, traslado o desplazamiento forzado o de población civil”. 144 Marzia DALTO, op.cit., p.58 70 Avec cette production juridique, la Cour a obligé d’autres pouvoirs publics à réagir d’une forme plus claire face aux abus, le conflit durant, perpétrés contre les déplacés. Cela a impliqué la définition d’un cadre minime des droits que l’on doit garantir à cette population comme le droit à la résidence, à l’intégrité personnelle, au minimum vital145... Afin de vérifier ci ces droits sont garantis par les institutions concernées, la Cour a créé aussi un système d’enquête pour contrôler les effets de ses décisions. Les instruments développés sont, entre autres, « des audiences spéciales auprès de la Cour afin d’écouter directement les victimes du déplacement forcé, à travers ses organisations, sur les avancés en matière des politiques publiques; l’adoption d’un système d’indicateurs pour évaluer ces politiques publiques en fonction de la garantie des droits effectifs; la promotion des processus de participation de la population déplacée et de la société civil dans la formation des politiques publiques; la création d’un salle de suite au déplacement forcé auprès de la Cour Constitutionnelle; l’évaluation constante de le dépassement de l’ECI par une Commission crée ad hoc » 146 . Il faut ajouter que toute cette activité judiciaire est accompagnée d’une reconnaissance des énormes difficultés de gérer ce phénomène, ce qui fait que la Cour admette qu’il existe des limites d’intervention de la part des autorités publiques. La question est donc : est-ce que toutes ces actions ont modifié d’une certaine manière les conditions de la population déplacée ? Paradoxalement, pendant que la Cour défend les droits sociaux des déplacés, les chiffres de déplacement augmentent. L’on peut trouver une explication de cela au fait que le pouvoir judiciaire, en tant que constructeur des politiques publiques, manque d’un appareil d’application de ses décisions et aussi d’une autonomie financière pour mettre en marche ses propositions. Comme le souligne Marzia DALTO «Tant que la Colombie enregistrera des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire, la Cour Constitutionnelle ne pourra que suivre dans le cadre de ses compétences, en tant qu’acteur régulateur des politiques publiques » 147. Dans ce sens, le rôle assumé par la Cour Constitutionnelle est positif en tant qu’il occupe les vides laissés par les autres pouvoirs, mais il est limité car il s’agit d’un 145 Idem, p.62 Ibid. 147 Idem, p.68 146 71 rôle extraconstitutionnel pour lequel la Cour ne possède pas les moyens suffisants. Comment la Constitution de 1991 a-t-elle permis ou empêché l’activisme judiciaire de la Cour Constitutionnelle colombienne ? 3.2 Le rôle de la Constitution de 1991 et le néo-constitutionnalisme en Amérique latine Après les premières indépendances en Amérique latine, on a tente d’inclure les principes républicains -provenus de France et des États-Unis principalement- dans les Constitutions politiques des pays naissants. Mais, sachant que chaque Constitution doit être le reflet des dynamiques politiques et sociales de son époque, une sorte de décalage a pu se produire entre les normes existantes et la vie quotidienne des citoyens. Ainsi l’adoption de modèles étrangers, peu applicables aux réalités latino-américaines, a contribué à l’inefficacité des systèmes légaux et au manque d’identification de la part de la société par rapport a sa propre Constitution148. Néanmoins, Fernando Ulloa affirme qu’il existe aujourd’hui une tendance à concevoir les normes juridiques comme des outils démocratiques dont on se sert pour la promotion des changements exigés par la société et pour la résolution pacifique des conflits. La dignité humaine et la réalisation de la justice sont pensées comme le but de ce nouvel ordre juridique149. Le juge est devenu protagoniste dans les nouvelles dynamiques institutionnelles car son travail ne se restreint pas à l’application de la loi mais vise aussi la quête de l’effectivité des droits des nouveaux citoyens. Ces derniers peuvent percevoir qu’aujourd’hui ils sont capables de participer à la vie politique à travers les outils juridiques. 3.2.1 La Constitution de 1991 comme garante des principes démocratiques Dans le cas colombien, on a introduit dans la Constitution de 1991 cette nouvelle vision du monde juridique lié au monde politique. Grâce à l’inclusion de la démocratie participative dans le texte constitutionnel, la Colombie est devenue un pays pionner dans les processus dépassant l’idée du vote comme seul moyen de participation politique. 148 149 Fernando ULLOA op.cit., p.225. Idem, p.226 72 Une autre conséquence du changement de la Constitution a été la consolidation du pouvoir judiciaire comme un contre-pouvoir et comme un nouveau garant des droits fondamentaux. En tant que garant de la Constitution, l’existence de la Cour Constitutionnelle comme organe indépendant de la Cour Suprême de Justice a joué un rôle central dans ce renforcement du pouvoir judiciaire. Par rapport aux actes de la Cour Constitutionnelle depuis sa création jusqu’à nos jours, Ulloa note qu’elle a eu une orientation progressiste basée sur le dialogue et sur l’intention de mettre en place l’Etat Social de Droit, type de État établie par le premier article de la nouvelle Constitution150. Avec l’inclusion de l’État Social de Droit, la Colombie n’a pas montré que son intention de se soumettre aux normes qui garantissent l’égalité politique de tous les citoyens, mais aussi d’introduire des droits sociaux qui rendent possible la reconnaissance des nouvelles dynamiques sociales et politiques de notre siècle. Cela a impliqué, par conséquent, un renforcement des contre-pouvoirs, dont le pouvoir judiciaire émerge comme un acteur fondamental dans la tâche d’assurer les droits citoyens, comme il a été souligné auparavant. Par contre, certains experts comme Manuel José Cepeda considèrent que cette initiative de renforcement du pouvoir judiciaire n’est pas une nouveauté dans le cas colombien. Depuis la Constitution de 1886 il existe un organe qui exerce un contrôle sur le respect des normes constitutionnelles. Et malgré les périodes de violence vécues dans le pays, la Cour Suprême de Justice n’a jamais été suspendue ou fermée, ce qui au moins au niveau formel, révèle d’emblée l’attachement que la société ressent par cette institution151. On peut reconnaitre des cas concrets où la Cour montre sa puissance grâce aux normes constitutionnelles de 1886. Le premier cas est la capacité judiciaire de résoudre les conflits entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif dans les cas d’objection présidentielle des projets de loi. Ainsi, la Cour était un instrument de pacification des rapports politiques et, en même temps, elle était vue comme l’organe capable de protéger l’harmonie des pouvoirs publics152. Selon Cepeda, le schéma de la Cour a été développé plus profondément à partir de l’acte législatif No. 3 1919 dans lequel on a pris, entre autres, les mesures importantes suivantes : a) la réduction du mandat présidentiel (de six ans à quatre ans), 150 Idem, p.243 Manuel José CEPEDA ESPINOSA, op.cit., p.151 152 Idem., p.152 151 73 b) l’interdiction de la réélection présidentielle, c) la représentation des groupes minoritaires et d) la possibilité d’une action publique citoyenne contre la Cour Suprême dans le cas où l’on estime qu’une loi est susceptible d’être déclarée inconstitutionnelle153. De plus, la Cour avait la capacité de déterminer la conformité des lois réalisées pendant les états d’exception. Cependant, il faut ajouter qu’à maintes reprises la Cour s’est montrée déférente par rapport aux décisions et aux lois développées dans ces situations particulières. Malgré ce fait, il est évident qu’en Colombie existe une forte tradition de respect envers le pouvoir judiciaire. Avant l’existence de la Cour Constitutionnelle, la Cour Suprême de Justice avait développé une fonction judiciaire fondamentale comme défenseur de la Constitution. La première opportunité qu’elle a eue pour remplir son rôle comme juge constitutionnel ce fut en 1887, quand le Congrès élabora un projet pour donner une pension à la veuve d’un militaire, le sergent Ricardo O’Levy : la Cour s’est prononcée à travers une sentence d’inconstitutionnalité. Le président de la République s’est opposé à la loi, car il jugeait que la loi favorisait de manière particulière à une personne en lui attribuant des ressources publiques qui n’étaient pas stipulées par une loi préexistante. Dans ce cas-là, la Cour a donné raison au président154. À partir de ce moment-là, quelques décisions de la Cour Suprême ont provoqué des polémiques. Les trois sujets les plus controversés ont été l’intervention de l’État dans l’économie, les mesures pour rétablir l’ordre public et les reformes de la Constitution. Par rapport au premier sujet, paradoxalement la Cour a tenté de limiter la capacité d’intervention étatique, tandis qu’elle-même a légitimé la plupart des décrets d’état d’urgence déclarés par le gouvernement. La position de la Cour Suprême la plus intéressante correspond à celle liée aux reformes de la Constitution, car elle a soutenu dans presque tous les décisions une position rigide et contraire au changement constitutionnel. Cependant elle a rendu possible la réalisation d’une Assemblée Constituante en 1990 lorsque la société n’attendait pas un tel soutien institutionnel, justement parce qu’elle était habituée à une position constamment fermée de la part de la Cour. C’est ainsi que le vrai changement d’esprit constitutionnel est arrivé avec la rédaction de la Constitution de 1991, laquelle a été à l’origine de plusieurs innovations 153 154 Idem., p.154 Idem., p.174 74 dans le pays, notamment en ce qui concerne la justice. On peut souligner, comme mesures les plus importantes, la création de la Cour Constitutionnelle en premier lieu et, en deuxième lieu, l’application du contrôle constitutionnel dans des situations particulières grâce à la création de la tutela, c’est-à-dire de l’action judicaire par laquelle les citoyens peuvent demander de manière individuelle la protection de leurs droits fondamentaux155. D’ailleurs, comme nous a dit Marzia Dalto …la reconnaissance, par la Constitution, du caractère pluriethnique et pluriculturel de la Colombie représente une véritable « rupture idéologique » avec le précèdent modèle. L’inclusion des populations afro-colombiennes et indigènes dans la Constitution a permis leur reconnaissance institutionnelle, en tant que “minorités ethniques”. La population indigène sera représentée de façon constante en Sénat et dans la Chambre, grâce aux deux circonscriptions nationales spéciales156. Par rapport aux magistrats de la Cour Constitutionnelle, la Constitution a stipulé un nouveau processus d’élection afin d’assurer son indépendance entre elle et les autres pouvoirs. Ainsi elle est composée par neuf magistrats qui ne doivent pas être experts en droit public mais qui doivent avoir ses spécialités juridiques différentes. Les magistrats sont élus par le Sénat de la République à partir de différentes ternas (trois personnes parmi lesquelles on doit en choisir une) élaborées par la Cour Suprême de Justice, le Conseil d’État et le Président de la République. La période de leurs fonctions est de huit ans sans possibilité de réélection157. La création de la Cour Constitutionnelle a représenté un bouleversement pour la vie politique et juridique du pays grâce au rôle de cet organe dans la protection des droits. Il faut souligner que cette défense a été possible à cause de l’inclusion de la tutela dans l’ordre juridique colombien. La tutela comme moyen de protection citoyen a provoqué une vraie révolution judiciaire, en matérialisant l’efficacité des droits constitutionnels dans la vie quotidienne des Colombiens. Certains auteurs affirment qu’elle a promu une culture démocratique fondée sur l’État social de droit en même temps qu’elle a empêché les abus de la part des représentants de la population158. La Constitution colombienne stipule dans l’article 86 : 155 Idem p.163 Marzia DALTO, op.cit., p. 55 157 Manuel José CEPEDA ESPINOSA, op.cit., p.167 158 Liliana, CARRERA SILVA, “La acción de tutela en Colombia” Revista del Instituto de Ciencias Jurídicas de Puebla, Año V. No. 27, enero-junio de 2011, p. 76 156 75 Toda persona tendrá acción de tutela para reclamar ante los jueces, en todo momento y lugar, mediante un procedimiento preferente y sumario, por sí misma o por quien actúe a su nombre, la protección inmediata de sus derechos constitucionales fundamentales, cuando quiera que éstos resulten vulnerados o amenazados por la acción o la omisión de cualquier autoridad pública. La protección consistirá en una orden para que aquel respecto de quien se solicita la tutela, actúe o se abstenga de hacerlo. El fallo, que será de inmediato cumplimiento, podrá impugnarse ante el juez competente y, en todo caso, éste lo remitirá a la Corte Constitucional para su eventual revisión. Esta acción solo procederá cuando el afectado no disponga de otro medio de defensa judicial, salvo que aquella se utilice como mecanismo transitorio para evitar un perjuicio irremediable. En ningún caso podrán transcurrir más de diez días entre la solicitud de tutela y su resolución. À partir de cet article, on peut définir alors la tutela comme une action subsidiaire, résiduelle et autonome permettant le contrôle constitutionnel des actions ou des omissions des autorités publiques et, de manière exceptionnelle, des particuliers ; y a recours n’importe quelle personne pour la défense rapide et effective des droits fondamentaux lorsque cette action peut éviter un préjudice irrémédiable ou lorsqu’il n’existe pas d’autres moyens de défense judiciaire159. Il faut ajouter que la capacité de la tutela à répondre d’une manière si rapide aux demandes citoyennes a ralenti d’autres procédures judiciaires à cause de la congestion administrative provenant de la quantité énorme de ces actions. Car la Colombie a toujours subi des difficultés pour donner une réponse adéquate aux problèmes de justice dans le pays, on ne peut accuser exclusivement la tutela comme étant la cause d’un système judicaire inefficace. Ainsi, après 20 ans de vie constitutionnelle, la tutela est devenue le mécanisme le plus important pour les citoyens, quatre millions de dossiers ont ainsi été traités depuis ses débuts. Les thèmes sont toujours variés : la situation des prisonniers, demandes de retraite et de santé, problèmes d’éducation, droits des travailleurs, tragédie du déplacement forcé, etc.160. Il est impératif de reconnaitre l’impact qu’a eu la création de la Cour Constitutionnelle comme l’instauration de la tutela pour les Colombiens. Mais il faut insérer ces nouvelles caractéristiques politiques données par la Constitution de 1991 dans un contexte plus large –le néo-constitutionnalisme latino-américain– afin de voir quel est le rapport entre eux. 159 160 Idem, p.77 Idem. p.76 76 3.2.2 Le néo-constitutionnalisme en Amérique latine Pendant les dernières décennies l’Amérique latine a vécu un processus de rénovation de la démocratie. Il n’est dorénavant pas suffisant d’avoir des élections périodiques. Il faut aussi assurer le respect des droits fondamentaux et reconnaitre la pluralité des nos nations. Ces nouvelles demandes ont impliqué la transformation des textes constitutionnels afin d’assurer une cohérence entre enjeux politiques et dispositions légales. Cela a bouleversé d’une telle manière les dynamiques de la région que certains académiciens ont appelé ce phénomène « le nouveau constitutionnalisme latinoaméricain ». Selon Riccardo Guastini, on a passé d’un État de droit basé sur la légalité à un État constitutionnel, ce qui suppose une activation de tous les droits consacrés dans la Constitution et une quête constante pour les faire prévaloir dans la vie quotidienne. De cette façon, « nous sommes face à un scénario où la Constitution, ses principes, ses droits et ses garanties envahissent tous les espaces, en exigeant que toutes les expressions politiques, sociales, juridiques, publiques ou privées soient ajustées à ses déterminations »161. Selon Fernando Carrillo, on peut souligner alors six processus développés à partir de ces transformations récentes dans le panorama de la région. En premier lieu, le passage de systèmes présidentiels avec un pouvoir législatif périphérique à un schéma d’équilibre entre les pouvoirs publics. Dans ce sens, la Constitution colombienne établit à l’article 113, par exemple, l’existence de trois pouvoirs publics avec des fonctions spécifiques, mais qui coopèrent de manière harmonieuse afin d’accomplir les fonctions de l’État. En deuxième lieu, l’introduction des processus de décentralisation politique, administrative et fiscale est une innovation assez importante dans laquelle se développe une participation citoyenne croissante. L’inclusion de la décentralisation comme condition pour les processus démocratiques des années 90 peut s’expliquer à partir du mécontentement politique produit par la crise économique des années 80 et, aussi, par les conditions imposées par les agences internationales comme la Banque Mondiale ou le Fond Monétaire International, des organes qui estimaient que la décentralisation 161 Rubén MARTÍNEZ DALMAU, “Los nuevos paradigmas constitucionales de Ecuador y Bolivia”, Tendencia, No. 9, marzo-abril de 2009, p.37. 77 constituait une stratégie pour réduire la pauvreté et pour combattre la corruption162. Ce processus a rendu possible la prise de pouvoir de certains groupes oubliés historiquement comme les indigènes en Bolivie ou en Équateur. Ensuite, symbolisant un nouvel élément dans la région, l’inclusion de la démocratie participative apparait comme une façon de reprendre la démocratie directe contrastant avec la démocratie représentative. Dans ce sens, la Colombie, en incluant dans la Constitution de 1991 des mécanismes de participation innovants à l’époque comme le référendum, le plébiscite, la consultation populaire ou la révocation du mandat, est un pays pionner163. Plus tard, les autres Constitutions de la région telles que la Constitution bolivienne ou la vénézuélienne introduiront la démocratie participative de manière vraiment spécifique164. En quatrième lieu, l’utilisation des Constitutions politiques comme charte de droits fondamentaux qui consacre des nouveaux mécanismes de protection constitutionnelle. On prend ici une fois de plus l’exemple de la tutela dans le cas colombien comme moyen de défense des droits sociaux. D’autres pays comme la Bolivie, l’Équateur ou le Venezuela ont incorporé des mécanismes similaires afin de protéger les principes et les valeurs constitutionnels des attaques possibles de la part des gouvernants. Enfin, il y a eu un passage d’un État intervenant à un État régulateur avec des institutions économiques autonomes165. Cette caractéristique est liée fortement à l’incidence qu’ont eue, depuis la crise économique des années 80 mentionnée auparavant, les agences internationales dans les formations des démocraties naissantes. Le modèle de substitution d’importations –si propre de l’Amérique latine– avait échoué et les leaders des années précédentes avaient outrepassé l’utilisation de ressources publiques en faveur des politiques populistes en mettant en évidence l’instabilité du modèle à long terme. 162 Rickard LALANDER, “Descentralización y populismo. Desafíos teóricos y metodológicos en la investigación sobre las democracias representativas en América Latina”. Provincia No. 23, enero-junio de 2010, p. 41-42 163 Article 103 de la Constitution Politique de la Colombie. 164 Pour le cas du Venezuela, le chapitre IV dit “De los Derechos Políticos y del Referendo Popular” développe le sujet de la démocratie participative tandis que le troisième chapitre de la Constitution bolivienne, dit « de los derechos políticos y civiles » comprend les différents mécanismes de participation de la population. 165 Fernando CARRILLO FLÓREZ, op.cit., p.130. 78 On peut affirmer alors que cela a impliqué la résurrection du pouvoir judiciaire en termes d’indépendance et de visibilité, phénomène connu comme la judiciarisation de la politique –de laquelle on parlera plus tard– qui donne un rôle prépondérant aux juges en tant que protecteurs des principes et des droits consacrés dans la Constitution. Ainsi, la promulgation des valeurs universelles a remplacé la promulgation de normes dans les textes constitutionnels, ce qui a créé une sorte de système dans lequel il est facile de confondre le juridique avec le politique ou même avec l’éthique. Le juge devient donc la seule personne capable d’interpréter ce nouveau système166. Cela signifie-t-il qu’il existe un gouvernement des juges ? 3.3 La Cour Constitutionnelle Colombienne : un gouvernement de juges ? L’indépendance judiciaire est une condition actuelle pour que les régimes politiques puissent se dire démocratiques. C’est là le résultat de se représenter le pouvoir judiciaire comme un contrepouvoir capable de défendre la Constitution et d’arrêter les abus des autres pouvoirs publics. Malgré l’existence de cet accord tacite, deux visions sur la fonction du pouvoir judiciaire persistent depuis toujours : d’un côté la vision française ou défiance par rapport au troisième pouvoir à cause d’une émergence possible du gouvernement des juges, et de l’autre, la vision nord-américaine où les juges sont une troisième force au même titre que le président et les parlementaires167. Selon Carolina Guevara, pour la tradition française le pouvoir judiciaire a représenté, à l’époque de la révolution, l’oppression car il était vu comme le bras droit de la monarchie. De plus, on peut souligner que la Constitution française de 1958 ne reconnaît pas le titre de « pouvoir » mais « d’autorité » judiciaire pour se référer aux juges, position particulière qui est d’envisager les tribunaux comme d’organes capables d’impartir justice mais qui, quant au pouvoir démocratique, ne possèdent pas la même hiérarchie que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif168. 166 Alejandro ORDOÑEZ MALDONADO, « La ideología neo-constitucional y las transformaciones del Estado », Boletín 13 del Instituto de Estudios Constitucionales. Universidad Sergio Arboleda, 2008, p.1314. 167 Carolina GUEVARA, op.cit., p.149-50. 168 Michel TROPER, « Le pouvoir judiciaire et la démocratie », European Journal of legal Studies Vol. 1, No. 2, p. 1-16 Adresse URL http://www.ejls.eu/2/32FR.pdf. 79 Il faut ajouter que c’est Edouard Lambert qui donne naissance au concept de gouvernement des juges en 1921, faisant référence a l’abus du judiciaire quand il prend des décisions politiques à partir d’une interprétation particulière de la loi. Dans cette mesure, il est compréhensible que la Constitution française de 1958 ait établi que c’est le président de la république et non le tribunal constitutionnel qui doit faire office du garant principal de l’indépendance judiciaire169. Dans le cas des États-Unis, la magistrature est imposée comme un pouvoir réel dont la fonction la plus importante est l’exercice d’un contre-pouvoir dans un cadre institutionnel des poids et contrepoids. Les juges ne sont pas subordonnés aux institutions politico-administratives, mais ils partagent le pouvoir en faisant état d’un système démocratique dans lequel aucune institution n’est prédominante, et cela à cause de l’interdépendance170. En Colombie, le pouvoir judiciaire est organisé d’une telle façon que quatre institutions occupent le sommet de la hiérarchie : la Cour Constitutionnelle, le Conseil Supérieur de la Judicature, le Conseil d’État et la Cour Suprême de Justice. Les deux premières ne sont nées qu’avec la Constitution de 1991. À partir de cete nouvelle Constitution, la Cour Constitutionnelle contrôle les lois et vérifie leur cohérence avec la Constitution en termes de procédure. Cependant, le rôle de la Cour a été plus remarquable en tant que défenseuse des droits et des principes démocratiques inclus à partir de 1991. Selon Carolina Guevara, ceux qui soutiennent le rôle de la Cour Constitutionnelle, remarquent l’importance des certaines décisions dans les questions de droit constitutionnel. À titre d’exemple, on peut citer les suivantes : 1) le problème du multiculturalisme et le droit à la différence, 2) la possibilité d’exiger les droits sociaux ; 3) le « estado de cosas inconstitucional » et la protection du droit à la santé, 4) la protection des droits du travail171. De l’autre côté, ceux qui se sont opposés au travail de la Cour pendant les dernières années, exposent les arguments suivants : 1) la Cour est consolidée comme un juge qui assume des compétences qui correspondent à tous les autres organes de l’État et elle le fait à l’encontre de la Constitution prétextant qu’elle est le garant constitutionnel suprême ; 2) le « estado de cosas inconstitucional » est une intrusion 169 Carolina GUEVARA, op.cit., p.150 Ibid. 171 Carolina GUEVARA. op.cit., p. 162 170 80 indue de la Cour dans les politiques publiques, dans le management du budget et dans la volonté politique du Congrès ; 3) la création du concept « bloque de constitucionalidad » a introduit incertitude et imprécision dans l’exercice du contrôle constitutionnel ; 4) la proximité entre la Constitution et la politique peut entraîner une confusion du rôle de la Cour et une invasion du rôle des parlementaires ; 5) l’évolution de la jurisprudence et l’augmentation imperceptible des compétences de contrôle peuvent transformer cet acteur judiciaire en un acteur politique172. Avec ces deux positions opposées il faut alors se poser la question : est-ce que la Colombie est face à un gouvernement des juges ? Et s’il existe, est-ce qu’il s’agit d’une condition contraire à la démocratie ou est-ce que l’existence d’un « pouvoir » judiciaire peut être compatible avec les principes démocratiques ? Selon Germán Alfonso López « cette expression vient des États-Unis en 1903, quand le président Roosevelt a critiqué l’intervention législative des juges dans la vie économique. Il se référait au pouvoir des juges d’écarter la loi et d’en donner une interprétation irresponsable. Il accusait également ces derniers de s’être auto-attribué ce rôle de législateur » 173. Par contre, l’origine théorique du concept du gouvernement des juges se trouve chez Edouard Lambert –comme on l’a déjà mentionné- qui a repris cette idée pour en faire une théorie applicable à l’Europe à travers son ouvrage Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux États-Unis. L’expérience américaine du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois. Ce concept possède principalement quatre caractéristiques : 1) Les juges gouvernent parce qu’ils disposent d’une partie du pouvoir législatif : Hans Kelsen estimait que si les juges peuvent rejeter une loi, cela signifie qu’ils ont également un pouvoir législatif : ce sont des législateurs cadre-négatifs. 2) Les juges ont le pouvoir d’utiliser des contrôles de constitutionnalité. 3) Les juges ont la possibilité d’appliquer des principes vagues. 4) les juges vont à l’encontre de la volonté du législateur (« avec cinq votes contre quatre, la Cour peut mettre en échec l’application votée par les représentants élus de la nation »174. 172 Idem p. 162-163 Germán Alfonso LÓPEZ, « Le juge constitutionnel colombien, législateur-cadre positif: un gouvernement des juges? », Opinión Jurídica, Vol. 9, No. 18, Universidad de Medellín, julio-diciembre 2010. 174 Idem, op.cit., 173 81 Il faut ajouter que Lambert a écrit son ouvrage dans un moment historique, quand la Cour Suprême des États-Unis s’opposait aux changements sociaux et politiques fondamentaux de l’époque à tel point qu’elle était considérée comme conservatrice. Ainsi Lambert nommait les juges de la Cour d’« aristocratie judiciaire » exprimant par là l’impuissance du pouvoir législatif à introduire les normes créées par eux-mêmes175. D’après Cesare Pinelli, à l’époque de Lambert : On était dans la plénitude de la Lochner era (1905-1937), ainsi nommée par une décision qui déclara inconstitutionnelle une loi de l’État de New York limitant à 10 heures la durée journalière de travail dans les boulangeries. On a calculé que, pendant cette période, la Cour Suprême démolit 170 statuts de la Fédération et des États-membres régulant la concurrence et le travail en vue de la tutelle de la propriété privée176. De cette façon, le concept du gouvernement des juges a été créé dans un moment où le pouvoir judiciaire américain était devenu un obstacle pour le développement social et politique à cause de son attachement à une vision traditionnelle du droit. La définition a eu alors une connotation indiscutablement négative. Mais aujourd’hui, les tribunaux constitutionnels jouent un rôle tout à fait différent en tant que garants des nouveaux droits sociaux insérés dans les constitutions du XXIe siècle. Alors, pourrait-on considérer le gouvernement des juges –né à partir des quatre caractéristiques annoncées auparavant– comme un concept nécessairement négatif pour la démocratie ? Au niveau théorique, on peut justifier de deux manières les décisions du pouvoir judiciaire comme décisions démocratiques : tout d’abord, il est possible d’affirmer que les juges prennent leurs décisions au nom du peuple ; on peut dire ensuite que la définition classique de démocratie a évolué, incorporant aujourd’hui les institutions qui ne sont pas élues par le vote comme des institutions démocratiques, tout simplement parce qu’elles aussi défendent l’Etat de droit177. Par rapport au premier argument, les auteurs qui défendent cette position affirment que « les juges forment une institution démocratique, parce que la démocratie n’exige pas que le peuple exerce le pouvoir par lui-même ou par des représentants élus. Il suffit qu’il soit exercé par délégation et cette délégation n’est pas nécessairement explicite »178. Ainsi, cette justification est possible grâce à un changement de la 175 Cesare PINELLI, « Gouvernement des juges. Une petite histoire du terme », Universitatea Mihail Kogalniceanu, 2012, p. 1-4. Adresse URL http://www.umk.ro/images/documente/publicatii/masarotunda2009/13_gouvernement.pdf 176 Ibid. 177 Michel TROPER op.cit. 178 Ibid. 82 définition de démocratie, selon laquelle ce n’est plus le peuple ni ses représentants qui prennent les décisions, mais « un pouvoir exercé au nom du peuple par des représentants dont certains seulement sont élus» 179 . Bien que cet argument soit valide au niveau théorique, au niveau politique il n’est pas accepté en raison de la négation du peuple comme souverain du pouvoir, ce qui est à la base de toutes les constitutions modernes. Par rapport au second argument, les défenseurs affirment que la démocratie n’est pas le pouvoir du peuple, mais un ensemble de principes: L’état de droit. Ainsi, la volonté du peuple peut se manifester à travers la majorité mais aussi à travers des principes fondamentaux différents qui sont assurés par les juges. Pour Michel Troper, cette position engendre plusieurs difficultés : en premier lieu, la définition implique « de considérer comme démocratique un despotisme éclairé qui respecterait les droits fondamentaux » 180. En second lieu, lorsque les juges imposent le respect aux droits fondamentaux inscrits dans la Constitution de manière exclusive ce qui est garanti c’est la suprématie de la Constitution et non l’État de droit. En revanche, « s’ils garantissent tous les droits fondamentaux qu’ils soient ou non inscrits dans la constitution, en raison de leur valeur intrinsèque, alors l'Etat de droit n’est pas un Etat constitutionnel » 181. Finalement, il faut prendre en compte que les juges déterminent de manière discrétionnaire tant la liste que les contenus des droits fondamentaux en remplaçant la démocratie par un gouvernement des juges. De cette façon, les arguments théoriques en faveur du pouvoir judiciaire comme élément essentiel dans les démocraties ne sont pas tout à fait suffisants pour expliquer pourquoi des pays comme la Colombie donnent un rôle prépondérant au tribunal constitutionnel. En s’attachant à la définition classique de démocratie, c'est-à-dire, « un système dans lequel le pouvoir est exercé exclusivement au moyen de règles générales adoptées par le peuple lui même ou ses représentants élus » 182 on ne trouvera pas des réponses adéquates pour la compréhension car la réalité colombienne est très complexe ; l’attachement historique aux institutions formelles n’a pas toujours été synonyme de réussite d’une société plus démocratique. En revanche, les solutions trouvées en dehors des institutions, ont parfois donné des résultats plus positifs au niveau politique. 179 Idem, p.14. Idem, p.14. 181 Idem, p.15. 182 Idem, p.15. 180 83 Si l’on s'en tient aux définitions données auparavant sur ce qu’est un gouvernement des juges, il est possible de se représenter la Colombie comme un pays qui exerce un gouvernement des juges. L’on se demande alors pourquoi les décisions des juges colombiens sont bien reçues par la population, si elles ne sont prises de manière démocratique ? On pourrait répondre à cette question en prenant en compte certains éléments : en premier lieu, l’inclusion des droits sociaux et de nouveaux mécanismes de participation dans la Constitution de 1991 qui ont, en même temps, multiplié les espaces et les moments où la Cour doit protéger la Constitution, défini par elle-même comme la Norme de Normes. En second lieu, actuellement le rôle des juges est plus dynamique et plus politique, surtout dans les pays émergents, puisque, d’un côté la séparation entre la politique ordinaire et la politique constitutionnelle n’est pas claire et, de l’autre, les parlements ne sont pas des organes qui représentent vraiment la société mais des élites politiques qui cherchent des bénéfices particuliers. Dans cette mesure, la population s’identifie plus avec une institution comme la Cour qui défend ses droits, même si cette défense implique l’infraction des limites constitutionnelles183. Cette situation donne une sorte de légitimité populaire aux actions de la Cour en lui permettant de prendre certaines décisions discutables qui peuvent subsister. Comme l’a dit Germán López, « le juge constitutionnel se transforme en créateur conscient de ses règles constitutionnelles ; il n’est plus un simple exécuteur et l’utilisation de la Constitution est à la portée de tous les citoyens »184. L’on peut donc considérer le rôle développé par la Cour colombienne comme étant positif grâce à sa tâche comme contrepouvoir face à un Congrès absent et incapable de répondre aux demandes sociales, et à un gouvernement traditionnellement fort qui a reproduit des institutions comme le caudillisme et le personnalisme politique, deux phénomènes qui menacent encore le système démocratique. Par contre, le risque de devenir un pays où le pouvoir judiciaire et plus légitime en termes démocratiques que le gouvernement élu de manière populaire est toujours présent. Cet état de fait nous invite ainsi à analyser les risques et les avantages d’une judiciarisation de la politique dans le cas colombien. 183 David LANDAU, “Instituciones políticas y función judicial en Derecho Constitucional Comparado”. Revista de Economía Institucional, vol. 13, n.º 24, primer semestre/2011, p. 18 184 Germán LÓPEZ, op.cit. 84 3.4 Judiciarisation du système politique : risques et avantages Il faut commencer pour définir ce qu’on entend par judiciarisation. Pour Rodrigo Uprimny, c’est « le fait que certaines matières qui relevaient traditionnellement de dynamiques politiques –suivant les principes de fonctionnement démocratique– sont de plus en plus traitées par les juges ou conditionnées par des décisions judiciaires185 » Cette définition implique une augmentation des demandes citoyennes en termes juridiques et judiciaires et une intervention des acteurs judiciaires dans la construction de politiques publiques. L’on peut se demander alors quelles sont les raison pour lesquelles ce phénomène a commencé à se présenter dans le contexte latino-américain. Avant de répondre à cette question, il faut ajouter que cette judiciarisation se développe dans un contexte de faiblesse de l’Etat de droit, en entendant par ce dernier la capacité étatique d’appliquer la loi de manière équitable. Guillermo O’Donnell nous donne cinq raisons pour comprendre les difficultés de la région à respecter l’État de droit : premièrement, bien que les lois aient un développement significatif, il existe toujours des normes qui ne garantissent pas le traitement équitable pour tous les groupes de la population, notamment pour des minorités qui ont encore des conditions contraires aux celles des groupes privilégiés. Deuxièmement, persiste toujours une forte tradition d’ignorer la loi ou de l’utiliser en faveur des intérêts particuliers, en entravant le parcours pour l’application effective de la loi. Troisièmement, les relations entre les bureaucraties et les « citoyens ordinaires » sont toujours inégales à cause d’un traitement spécial fondé dans le statut social. Ainsi, « si quelqu’un se présente devant des bureaucrates sans un statut social ou des connections appropriées, et qu’il défend un droit au lieu de solliciter une faveur, il est presque assuré d’être confronté à des difficultés éprouvantes » 186. Quatrièmement, on est face à un système judiciaire « distant, lourd, coûteux et lent » qui décourage la plupart des citoyens et qui nie l’accès à une bonne partie de la population. Et cinquièmement, il existe un non-respect de la loi, surtout dans les endroits éloignés des centres politiques, en raison de l’absence étatique ; là, la loi sanctionnée formellement 185 Rodrigo UPRIMNY, “La fonction politique de la justice…” p. 233. Guillermo O’DONNELL « Repenser la théorie démocratique: perspectives latino-américaines », Revue internationale de politique comparée 2001/2, Vol. 8, p. 210 186 85 coexiste avec des normes informelles dictées par des puissances privatisées qui gouvernent de facto ces régions187. En tenant compte de ce contexte, il est plus facile de comprendre l’émergence de la judiciarisation en Amérique latine, car l’incapacité étatique d’assurer les droits a contribué a produire des vides qui ont été remplis par des institutions historiquement éloignées du peuple comme les tribunaux constitutionnels. D’ailleurs, il y a d’autres raisons pour expliquer la judiciarisation dans la région. D’une part, la crise de représentation a produit un désenchantement de la politique comme réponse effective aux demandes de la population. Le pouvoir judiciaire doit en effet répondre chaque fois plus aux exigences qui ne sont pas prises en compte ni par les parlements ni par les gouvernements188. D’autre part, bien que l’État de droit soit faible, il existe, précisément pour cela, une volonté de renforcer le pouvoir judiciaire et de garantir son indépendance afin de donner l’impression d’avancer dans la construction des États plus respectueux des exigences démocratiques actuelles, dont l’existence des juges indépendants et actifs pour la défense des droits humaines189. L’on peut ajouter à ce panorama une longue liste de droits fondamentaux dans les Constitutions politiques, ce qui rend possible une interprétation des normes plus abstraite et plus générale. Cette condition a favorisé le renforcement de la judiciarisation car les juges peuvent justifier plus facilement leurs décisions au nom de la défense des droits. Dans ce sens, Uprimny remarque l’existence d’une judiciarisation « d’en haut » et d’une judiciarisation « d’en bas ». La première résulte de la faculté des tribunaux constitutionnels d’invalider des décisions législatives à partir de l’interprétation des normes constitutionnelles liées aux droits fondamentaux. Cette interprétation est essentiellement générale, ce qui permet l’intervention du pouvoir judiciaire sur le politique. En revanche, la judiciarisation « d’en bas » surgit à cause de la mobilisation sociale des citoyens qui présentent leurs requêtes aux tribunaux afin de recevoir une réponse favorable a leur intérêts190. Toutes ces conditions ont favorisé l’émergence de la judiciarisation dans le contexte latino-américain. Par contre, il y a d’autres conditions propres au cas colombien qui expliquent encore mieux le renforcement de ce phénomène dans le pays. La première d’entre elles est la facilité d’accès à la justice constitutionnelle à travers le 187 Idem p.208-211 Rodrigo UPRIMNY, op.cit., “La fonction politique de la justice…” p. 241. 189 Idem, p.242 190 Idem, p.242-243 188 86 mécanisme de la tutela ; les citoyens utilisent beaucoup plus cet outil qu’ils n’ont recours à leurs représentants au Congrès191. Outre cela, la culture juridique traditionnelle en Colombie facilite l’activisme des juges car, comme on l’a déjà vu, il existe depuis longtemps une tradition de contrôle constitutionnel et d’ailleurs les arrêts judiciaires sont généralement respectés. Cette culture s’est consolidée davantage encore avec la délégitimation croissante du Congrès, menaçant les rapports entre les pouvoirs publics. D’après Uprimny, « ce qui se passe, ce n’est pas tellement que la Cour se confronte avec les autres pouvoirs mais qu’elle occupe des espaces vides libérés par ces derniers » 192. Il faut ajouter l’inexistence d’une vraie tradition de créer des mouvements sociaux capables d’avoir un impact sur la vie politique du pays, probablement à cause de la permanence du conflit armé qui augmente les risques de participer de manière publique. Ce fait a favorisé l’accroissement des actions individuelles comme la tutela193. Étant donné ces conditions particulières, ajoutées à d’autres propres de l’Amérique latine, la Cour Constitutionnelle colombienne a réussi à remplir une fonction d’organe qui contrôle les abus du pouvoir exécutif et de à construire des normes pertinentes pour résoudre les fléaux de la société. La Cour même a déclaré : Las dificultades derivadas del crecimiento desbordante del poder ejecutivo en el Estado intervencionista y de la pérdida de liderazgo político del órgano legislativo deben ser recompensadas en la democracia constitucional, con el fortalecimiento del poder judicial, dotado por excelencia de la capacidad del control y defensa del orden institucional. Sólo de esta manera puede lograrse un verdadero equilibrio y colaboración entre los poderes; de lo contrario, predominará el poder ejecutivo194. Il y a donc trois fonctions spécifiques où la Cour a occupé le lieu correspondant au pouvoir législatif : la première c’est la présentation des politiques publiques quand elle a introduit des thèmes ignorés par les autres pouvoirs mais qui, selon la Cour, doivent faire part du débat public. C’est le cas du système d’hypothèques vers la fin des années 1990, quand le pays a subi un des crises financières les plus graves de l’histoire récente en augmentant les taux d’intérêt des hypothèques. À ce moment-là, le gouvernement et le Congrès n’avaient donné aucune réponse aux citoyens qui perdaient 191 Idem, p. 243-244 Idem, p.244 193 Ibid 194 Cour Constitutionnelle colombienne, arrêt T-406 1992 192 87 leurs logements à cause de la crise. C’est pourquoi la Cour a décidé d’y répondre à travers les arrêts C-252 1998, C-383 1999 et C-747 1999195. La deuxième fonction que la Cour accomplit comme substitut du législatif c’est qu’elle supervise les initiatives politiques du premier degré. Ce qui est, par exemple, possible à travers la déclaration de l’état de choses inconstitutionnel dans certains problèmes comme le déplacement forcé ou le service de la santé196. Finalement, la Cour occupe l’espace du Congrès lorsqu’elle devient un contrepoids pour le pouvoir exécutif. C’est précisément le cas de notre recherche qui montre bien comment la Cour peut déclarer l’inconstitutionnalité d’un acte législatif si elle considère qu’il existe des déséquilibres de pouvoir en faveur du gouvernement. C’est pourquoi le rôle accompli par la Cour Constitutionnelle colombienne est d’une telle importance quant à l’équilibre de pouvoirs et que ses actions représentent un bénéfice pour la stabilité du pays. Ainsi, il n’est pas possible d’appliquer la théorie constitutionnelle traditionnelle pour expliquer l’activité judiciaire de la Cour, car la Colombie serait qualifiée comme un gouvernement de juges, en faisant fi des avantages sociaux et politiques obtenus à partir de l’intervention active du tribunal constitutionnel en faveur des droits fondamentaux et du respect par la Constitution de 1991. David Landau est celui qui a mieux expliqué les raisons pour lesquelles on doit tenir compte les différences entre l’Amérique latine et les États-Unis ou l’Europe quant au rôle du pouvoir judiciaire. En premier lieu, la séparation entre la politique ordinaire et la politique constitutionnelle n’est pas claire dans le cas latino-américain ; comme le Congrès n’a pas la capacité ou la volonté politique de créer des lois qui favorisent la résolution des problèmes du pays, les constitutions latino-américaines sont devenues des documents qui cherchent la transformation des conditions défavorables à travers l’inclusion de toutes les dispositions politiques, économiques et sociales nécessaires pour garantir le développement de la société. Autrement dit, le manque de confiance de la population face à ces représentants a provoqué une tendance à remplacer la loi ordinaire en tant que régulatrice de la vie quotidienne par une Constitution assez large où les droits des citoyens soient assurés grâce a la suprématie du texte constitutionnel197. En second lieu, il n’existe pas dans notre cas de culture constitutionnaliste suffisamment diffusée, ce qui est met en évidence étant donné l’absence de débats 195 David LANDAU op.cit., p.51-52 Idem, p.56 197 Idem, p. 19-20 196 88 publics où les principes constitutionnels sont le centre de discussion. Bien que le cas colombien s’éloigne un peu de cette condition grâce à sa tradition fortement juridique, il est vrai que les citoyens ordinaires ne connaissent pas toujours tous les éléments contenus dans la Constitution afin de les mettre en question ou de les défendre. Cela s’explique par l’habitude d’ignorer ou même d’enfreindre la Constitution tout au long de l’histoire latino-américaine. La population est habituée à accepter les changements constitutionnels réalisés par ses gouvernants en faveur des intérêts particuliers198. La dernière raison pour laquelle il n’est pas approprié d’appliquer de la même manière la doctrine constitutionnelle traditionnelle au cas latino-américain c’est l’incohérence des corps législatifs dans leur fonction de représenter les besoins et les désirs de la population. Tandis que dans les démocraties développées il y a eu un renforcement parallèle des partis qui sont devenus aussi solides, les nouvelles démocraties ont subi d’une désinstitutionalisation très forte de la part des partis politiques. Ces derniers ne sont pas des canaux de communication entre la société et les gouvernants, mais plutôt des organisations qui servent les intérêts des leaders locaux, s’écartant par-là même encore plus de la société civile. Ces conditions spécifiques de la région doivent nous aider à comprendre pourquoi le fait d’avoir un pouvoir judiciaire capable de remplacer le lieu du parlement ne peut pas être vu comme un fait contraire à la démocratie moderne, mais comme une stratégie propre des pays aux institutions faibles afin de garantir, plus ou moins, l’équilibre de pouvoirs. Cependant la construction de cette stratégie rend autant de bénéfices que de risques. 3.4.1Les risques de la judiciarisation du politique Tout d’abord, il est évident que le remplacement du pouvoir législatif par le pouvoir judiciaire provoque une délégitimation encore plus grande du parlement comme institution représentative du peuple. De plus, les normes fixées par le Congrès n’ont d’importance ni juridique ni politique, car les principes et les valeurs constitutionnels remplacent cela. Ensuite, il faut reconnaitre une « moralisation » du droit qui met en péril sa neutralité. A ce sujet, R. Dworkin considère qu’à partir de la nouvelle tâche de la Constitution, c’est elle qui détermine la moral sociale ; le juge remplace le politique, et 198 Idem, p.22 89 remplace même le prêtre199. Bien que l’affirmation puisse paraître un peu exagérée, il faut reconnaitre que l’inclusion des nouveaux droits sociaux, principes et valeurs spécifiques de la Constitution, a orienté le droit vers une vision assez spécifique de ce que doit être la démocratie dans chaque pays. Un autre risque de la judiciarisation est l’alourdissement de l’appareil judiciaire à cause de la quantité de demandes de la part de la société, qui ne cherche plus les auprès de ses représentants élus par le vote de réponse à ses difficultés quotidiennes. À partir de la résolution de certaines demandes collectives de la part de la Cour s’est produite une sorte de croyance en faveur du pouvoir judiciaire dans sa totalité comme étant un pouvoir tout puissant. Cela entraîne la construction de deux types de réponse judiciaires. Selon Uprimny, il s’est formé « un contraste entre une justice très visible, qui résout peu de cas mais de manière spectaculaire, et une justice invisible, qui traite de la grande majorité des affaires, mais qui a tendance à la routinisation, ce qui se manifeste par un traitement inefficient et inéquitable des affaires »200. Les difficultés du système judiciaire sont ainsi cachées par les interventions exceptionnelles de la Cour Constitutionnelle. L’on peut ajouter à cette liste de risques une politisation des affaires judiciaires très négative pour la démocratie. Cela en raison de l’instrumentalisation des espaces judiciaires comme des espaces de lutte des intérêts politiques où le droit devient une exception et non la règle générale reconnue par la communauté. Cette situation provoque une méfiance des décisions judiciaires qui compromet la légitimité de l’administration de la justice201. Enfin on peut souligner le détriment du débat public entraîné par la résolution individuelle des cas problématiques à travers la tutela : comme les citoyens reçoivent une solution effective à leurs problèmes particuliers, ils peuvent se détourner de la démarche collective pour résoudre les problèmes structurels du pays. Ainsi la participation politique perd son importance : « l’usage des recours judiciaires pour résoudre des problèmes sociaux peut donner l’impression que la solution aux difficultés politiques ne dépend pas de la participation démocratique mais de l’activité de juges providentiels » 202. 199 Alejandro ORDOÑEZ MALDONADO, op.cit., p.13 Rodrigo UPRIMNY op.cit., p.247 201 Idem, p. 247 202 Idem, p.248 200 90 Par contre, comme on l’a déjà expliqué, la judiciarisation a contribué à résoudre des situations de paralysie législative, ce qui montre qu’elle peut avoir certains avantages pour les systèmes politiques comme le système colombien. 3.4.2 Les potentialités de la judiciarisation du politique La première chose à remarquer c’est que la Constitution politique de 1991 a donné une conception assez large des droits sociaux qui ont été bien protégés par la Cour Constitutionnelle, ce qui montre d’emblée un fort activisme en la matière. Cet activisme serait inutile si la Colombie avait des politiciens capables de défendre par eux-mêmes la Constitution. Il reste ainsi dans l’imaginaire collectif colombien l’idée que la Cour est la seule institution compétente pour développer le contenu progressiste de la Constitution de 1991203. En partant de cette clarification, on peut souligner –avec Uprimny– une première vertu démocratique de la judiciarisation : la protection des droits de groupes minoritaires. Ainsi, en tant que protecteurs du sens progressiste constitutionnel, les juges construisent la légitimité démocratique qu’ils n’ont pas reçue par voie électorale. En deuxième lieu, la paralysie du système politique –causée par des phénomènes comme la corruption ou le clientélisme– peut être surmontée grâce à l’intervention de la Cour Constitutionnelle qui est, au moins au niveau formel, un acteur externe de ce système politique. En troisième lieu, la judiciarisation peut provoquer, paradoxalement, une certaine mobilisation sociale et politique lorsque les groupes qui ont été marginalisés historiquement interprètent les décisions judiciaires comme des moyens pour la défense active de leurs droits. Ainsi, la participation ou l’apathie politique, causées hypothétiquement par la judiciarisation seront-ils le résultat de la position adoptée par les citoyens qui se bénéficient des actions de la Cour Constitutionnelle204. À partir de ces arguments, on peut comprendre que les actions judiciaires ne possèdent pas une valeur positive ou négative inhérente, mais que cette valeur dépende des effets politiques qu’elles provoquent dans la société. Dans le cas colombien, le bilan de l’action judiciaire de la Cour peut être qualifié de positif car elle a permis la récupération de la confiance des citoyens par la Constitution politique ainsi que 203 204 Idem, p.245 Idem, p. 245-248. 91 l’occupation de l’espace laissé par le parlement en tant qu’interlocuteur entre le gouvernement et la société. Certaines questions restent à résoudre : ces nouvelles dynamiques politiques causées par l’activisme politique peuvent-elles transformer la définition de la démocratie ? Est-ce qu’on doit parler d’une nouvelle démocratie judiciaire? Que doiton reconstruire pour inclure l’activisme judiciaire de la Cour Constitutionnelle dans le constitutionnalisme traditionnel ? 3.5 Une nouvelle définition du constitutionnalisme : une transformation de la démocratie Etant donné l’influence de la Cour dans la vie politique colombienne contemporaine, on peut qualifier cette démocratie comme un modèle représentatif juridique, en empruntant la subdivision proposée par le politiste Américain Benjamin Barber. D’après cet auteur, les valeurs fondamentales de ce type de démocraties sont liées au droit comme le moteur protecteur, distributeur et l’arbitre de la société205. Ces fonctions sont, bien sûr, connaturelles au droit si on le définit comme l’assemblage de règles qui régissent une société quelconque : le droit est toujours censé protéger, distribuer et servir d’arbitre. Pourtant, dès qu’on le regarde comme le centre de toute l’activité politique, ceci se transforme et en même temps altère les dynamiques sociopolitiques qui, comme l’expliquent les théories de Weber ou Parsons, doivent se produire dans la société. En ce sens, le pouvoir judicaire gouverne indirectement, car c’est lui qui établit les limites aux organes du gouvernement. Cette influence, selon Barber, peut endommager le rôle de la citoyenneté dans la démocratie, puisque celle-ci, en considérant le gouvernement de juges comme qualifié pour assurer les règles sociales, devient inactive. On peut donc en conclure qu’une démocratie représentative juridique sacrifie la dynamique sociale au profit de l’institutionnalisation formelle ? Absolument pas. Bien que la judiciarisation puisse provoquer une apathie citoyenne, cela dépend des citoyens et de la façon comme ceux-ci utilisent les moyens donnés par le pouvoir judiciaire afin de protéger leurs droits. 205 Benjamin BARBER, Strong democracy. Los Angeles, University of California Press, 2003. p.39-41 92 Dans le cas colombien, la Constitution politique possède un caractère tout à fait progressiste qui a transformé la relation traditionnelle entre les juges et la société, grâce à l’inclusion de principes et de valeurs plus amples et plus proches des besoins sociaux de la population. Ainsi, certaines organisations en faveur des victimes du conflit armé se mobilisent encore plus grâce à la protection constitutionnelle de leurs droits et au nouveau cadre juridique et institutionnel créé par la Cour. D’ailleurs, le néo-constitutionnalisme latino-américain évoqué auparavant constitue un nouveau moyen pour motiver la participation citoyenne, puisque nos constitutions représentent le document politique constitutif où sont exprimées toutes nos attentes pour l’avenir, un avenir que l’on veut surtout plus juste. C’est donc la justice l’élément le plus innovant tant dans les constitutions que dans la lutte des mouvements sociaux de nos jours. Selon Ian Shapiro, « une bonne part de l’autorité morale dont peuvent prôner les mouvements démocratiques provient de l’espoir qu’ils font naître de redresser les usages sociaux injustes. Cette réflexion reflète le lien intime qui, dans l’imaginaire politique moderne, associe la promesse de la démocratie à celle de la justice sociale »206. L’on est d’accord avec l’e terme constitucionalismo aspirational (constitutionnalisme des aspirations) utilisé par Mauricio García pour exprimer justement le lien entre Constitution et progrès et qui s’oppose au constitutionnalisme préservateur si propre de Locke207. Ce type de constitutionnalisme est typique de contextes politiques où existe un fort mécontentement quant au présent et une forte attente en l’avenir. Il cherche l’effectivité réelle des normes à travers différents mécanismes comme la révision judiciaire et les moyens de participation directe. De plus, il y a une confiance dans le travail des juges et une méfiance envers le pouvoir législatif. Ainsi le juge devient un acteur principal, source, en même temps, de conflits entre les pouvoirs publics, entre les institutions élues démocratiquement qui doivent formuler les politiques publiques et le pouvoir judiciaire qui cherche la protection des droits fondamentaux. 206 Ian SHAPIRO, “La justice démocratique: deux dimensions” Raisons politiques, 2004/3 no 15, p. 125. Mauricio GARCÍA, « Capítulo 4: El derecho como esperanza: constitucionalismo y cambio social en América Latina, con algunas ilustraciones a partir de Colombia », in UPRIMNY Rodrigo, RODRÍGUEZGARAVITO César et GARCÍA Mauricio, ¿Justicia para todos?: Sistema judicial, derechos sociales y democracia en Colombia, Bogotá, Grupo Editorial Norma, 2006, p. 205 207 93 Afin de surmonter ces difficultés propres au constitutionnalisme latinoaméricain, il est fondamental d’organiser des mouvements sociaux capables d’influer sur les décisions gouvernementales et de construire une nouvelle culture juridique qui permettent aux juges de collaborer avec les autres pouvoirs et non de se présenter en ennemis. C’est sur ce point que la judiciarisation doit motiver la participation citoyenne, car les tribunaux constitutionnels auront toujours des limitations comme exécuteurs de leurs propres décisions. La société est alors responsable de la promotion des avancées du pouvoir judiciaire. Sinon les Constitutions seront des textes morts où la population dépose des espoirs démesurés. Aussi est-il est possible de parler d’une démocratie forte dans la mesure où c’est à la citoyenneté que revient le rôle d’exiger les conditions stipulées par la Constitution et elle ne doit pas laisser aux juges la tache de résoudre les crises sociales et politiques du pays, en demandant des fonctions qui sont impossibles d’accomplir. Le parlement –comme institution démocratique– doit toujours jouer le rôle d’interlocuteur entre le gouvernement et la société ; et c’est lui qui formule, met en œuvre et évalue les politiques publiques en faveur de la population. Bien que dans la pratique l’activisme judiciaire de la Cour Constitutionnelle colombienne ait permis de surmonter d’une certaine manière la crise sociale dans le pays, dans la théorie ses actions sont marquées par un surpassement de ses fonctions constitutionnelles, ce qui laisse planer un doute sur son caractère démocratique. C’est pour quoi il est impératif de reposer le constitutionnalisme traditionnel afin d’inclure le nouveau rôle des tribunaux constitutionnels en tant que défenseurs des droits sociaux insérés dans les dernières constitutions. De cette façon, les juges ne seront plus obligés de jouer avec des interprétations recherchées pour justifier leurs décisions. De plus, la citoyenneté doit s’approprier un esprit non-conformiste avec le vide laissé par le Parlement ; elle doit exiger ce qui est promis dans le texte constitutionnel. Bien sûr, il ne s’agit pas d’une modification en faveur d’un gouvernement de juges où ils aient le dernier mot sur tous les sujets sociaux et politiques. Il s’agit plutôt d’une reconnaissance de la nécessité de travailler tous ensemble pour la construction d’un État de droit fort et d’une démocratie participative où les citoyens assument leur rôle et où chaque pouvoir public contribue avec les autres, afin d’accomplir avec les taches de l’État. 94 C’est avec raison que Barber affirme que la démocratie ne peut survivre comme démocratie forte qu’avec une citoyenneté responsable et compétente. Les dictatures ont besoin de grands leaders, tandis que les démocraties effectives ont besoin de grands citoyens208. De la même façon, il ne s’agit pas de grands juges mais de grands citoyens pour garantir l’accomplissement de la Constitution politique. 208 Rodrigo UPRMNY “Capítulo 3: Legitimidad y conveniencia…” op.cit.,p.197 95 Conclusion La décision de la Cour Constitutionnelle colombienne d’empêcher une troisième élection présidentielle est devenue une opportunité pour le pays de mettre à l’épreuve la solidité de ses institutions démocratiques. D’un côté, le Congrès a montré sa faiblesse en tant que contrepoids de l’exécutif transformant le texte de l’acte législatif en une opportunité ciblée pour le président de l’époque; de l’autre, l’ex-président Uribe a essayé d’être au pouvoir pendant 12 ans, ce qui met en évidence son désir de concentrer le pouvoir politique entre ses mains. Cette situation a incité la Cour Constitutionnelle à analyser attentivement les conséquences tant juridiques que politiques d’un troisième mandat présidentiel. Bien que la Constitution de 1991 stipule les fonctions et les restrictions de la Cour en tant que garant du texte suprême, il est vrai que les dernières années cet organe judiciaire a construit un cadre juridique grâce auquel il peut intervenir dans la construction des politiques publiques nationales. C’est le cas, par exemple, des arrêts en faveur de l’avortement et de l’euthanasie. Pour parvenir à cette tâche, la Cour Constitutionnelle a construit un ensemble de concepts clés qui l’ont permis de justifier ses décisions en termes juridiques. Ainsi, la substitution de la Constitution, les vices de compétence ou le bloc de constitutionnalité sont des éléments fondamentaux pour le développement du rôle de la Cour en tant que garant des nouveaux droits sociaux inclus dans la Constitution de 1991. Le succès de l’utilisation de ces concepts peut s’expliquer de plusieurs façons : d’abord, la naissance d’un nouveau constitutionnalisme en Amérique latine –dont la Colombie est un bon exemple–, qui a privilégié le rôle des juges constitutionnels en tant que protecteurs de la justice sociale. Cette dernière s’est constituée comme un élément indispensable pour la démocratie actuelle. Ainsi, les tribunaux constitutionnels sont devenus des organes essentiels dont la légitimité démocratique n’a pas été octroyée par un vote populaire, mais par leur travail de défense des principes et des valeurs stipulés dans les Constitutions politiques. Ensuite, la force politique de la Cour a rendu possible l’acceptation du cadre juridique créé elle-même. Dans d’autres pays de la région en effet, les juges ne font pas appel aux concepts juridiques similaires, malgré leur existence. C’est le cas du Venezuela, où le président de la République tient le pouvoir politique réel de manière 96 presque unique. Les juges constitutionnels ne disposent donc pas des moyens nécessaires pour faire respecter la Constitution lorsque les autres pouvoirs outrepassent les principes et les normes stipulées par elle-même. Ce sont donc les raisons politiques et non les justifications juridiques, qui expliquent le feu vert donné à la Cour Constitutionnelle pour prendre des décisions controversées, même si elles s’opposent au désir populaire. Mais, d’où provient le soutien populaire de la Cour ? Premièrement, de la faiblesse des institutions démocratiques colombiennes comme le Congrès, qui a été incapable d’occuper sa fonction de constructeur de politiques publiques favorables à la collectivité. Deuxièmement, d’une tradition du respect pour le pouvoir judiciaire dont la présence a marqué l’histoire colombienne. Les magistrats de la Cour Suprême de Justice et, actuellement, les magistrats de la Cour Constitutionnelle ont alors acquis un statut prestigieux. Troisièmement, de la confiance citoyenne par rapport à la Constitution rédigée en 1991, parce qu’elle représente le triomphe du pouvoir constituant primaire sur les institutions rigides et obsolètes du début des années 90 ; la Cour, en tant que garant de cette Constitution, possède un fort soutien populaire. Enfin, le développement d’une jurisprudence très progressiste, dans laquelle les valeurs principales ont été représentées par la lutte contre la corruption, le contrôle des abus de pouvoir gouvernementaux, la protection de groupes minoritaires et de populations stigmatisées et, en dernier, la gestion de la politique économique par rapport à la protection des droits sociaux. La Cour Colombienne est ainsi l’un des tribunaux les plus actifs du monde, grâce notamment, à l’existence d’outils comme la tutela et d’autres mécanismes inclus dans la nouvelle Constitution colombienne. Il faut ajouter que la Cour remplit toujours la tache qui lui assignée la Constitution : elle n’ignore pas la révision quant aux vices de procédure. L’arrêt C-141 2010 montre bien comment l’acte législatif référé à la convocation d’un référendum pour obtenir une troisième élection présidentielle a été déclaré inconstitutionnel pour des vices de procédure insubsanables. Les parlementaires colombiens n’ont ainsi pas eu la capacité de transformer le désir d’un groupe significatif de citoyens en une loi conforme à la Constitution politique. C’est pourquoi le projet de réforme constitutionnel a été voué à l’échec dès le début. Cependant, la Cour s’est manifestée aussi sur la possible substitution de la Constitution, en affirmant, d’abord, qu’un mandat présidentiel de 12 ans pouvait mettre 97 en péril le système de poids et contrepoids dans le pays et que, ensuite, la Constitution avait créé des règles afin de rompre avec la tradition historique de la figure hégémonique du président de la République. Ainsi, ces règles devaient être respectées malgré le désir populaire. Donc, il est vrai que la Cour a utilisé des arguments qui dépassent sa propre compétence, en déclarant une substitution de la Constitution. Mais il est fondamental de reconnaître que la démocratie colombienne est affaiblie par l’existence de phénomènes comme la corruption, la déficience institutionnelle, le manque de confiance de la population envers ses représentants et l’incapacité d’avoir une pensée politique global, entre autres. Cette transformation du rôle du pouvoir judiciaire entraîne, bien sûr, des risques pour le système démocratique, car les juges peuvent outrepasser leur pouvoir d’interprétation de la Constitution dans leurs propres intérêts, et aussi, parce qu’il existe un gouvernement des juges possible où les autres pouvoirs publics pourront être soumis à la volonté d’une élite judiciaire qui n’a pas été élue par le peuple. Néanmoins, on ne peut nier que cette judiciarisation de la politique a permis de renforcer la démocratie : la protection des droits des groupes minoritaires, le dépassement de la paralysie institutionnelle provoquée par des structures politiques inefficientes, et la consolidation de mouvements sociaux qui perçoivent la Cour Constitutionnelle comme un allié dans la lutte pour la défense des droits de l’Homme. La Cour Constitutionnelle émerge donc comme une force capable d’exiger le respect pour les principes proposés dans la Constitution, mais aussi comme un acteur qui intervient dans l’élaboration des politiques publiques censées favoriser une population qui n’a pas de ressources économiques ou politiques suffisantes pour s’intégrer dans les dynamiques politiques du pays. Cette défense des droits fondamentaux a engendré une acceptation de la part de la population pour recevoir des décisions qui vont même contre une volonté dite générale (comme la troisième élection), mais qui ont leur justification dans le respect des principes constitutionnels. Dans cette mesure on peut conclure que, malgré l’existence d’un possible « gouvernement des juges », les théories constitutionnelles créées pour expliquer le rôle du pouvoir judiciaire ne sont pas toujours appropriées pour expliquer les dynamiques de pays comme la Colombie qui connaissent un grand déséquilibre des pouvoirs et une 98 grande faiblesse institutionnelle. Plus absurde que l’existence d’un gouvernement des juges, serait le fait de nier à la Cour Constitutionnelle la possibilité de prendre des décisions importantes pour le pays, surtout lorsque ces décisions favorisent le développement d’une société plus juste. Cependant, il est fondamental de reconnaitre que tant le Congrès que le président sont des institutions élues de manière démocratique et ils ne doivent pas être exempts d’assumer leur rôle comme représentants de la volonté générale. La question finale est donc, si le pouvoir judiciaire assume la place des autres pouvoirs publics dans l’application de la Constitution, quelle serait la place du Congrès ou du Président de la République ? 99 Bibliographie a) Ouvrages ÁLVAREZ Tulio, Constituyente, reforma y autoritarismo del siglo XXI, Caracas, Universidad Católica Andrés Bello, 2007. ANGULO BOSSA Jaime, La séptima papeleta: el país opinó, el país la aceptó, Bogotá, Consejo nacional electoral, 1991. BARBER Benjamin, Strong democracy, Los Angeles, University of California Press, 2003. LAMBERT Edouard, Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociales aux États Unis, Paris, Éditions Dalloz, 2005. LAMBERT Jacques, Amérique Latine. Structures sociales et institutions politiques, Paris, Presses universitaires de France, 1963. PÉCAUT Daniel et VALENCIA GUTIÉRREZ Alberto, Violencia y política en Colombia: elementos de reflexión, Medellín: Universidad de Valle, Hombre Nuevo, 2003. 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