Before, now and then – Triny Prada - Claire Leroux

Transcription

Before, now and then – Triny Prada - Claire Leroux
Before, now and then – Triny Prada
Une vie, une voiture, un choc. Une vie qui ne tient plus qu’à un fil. Une vie recousue, ténue, têtue, qui
s’accroche à sa ligne mélodique, loin du fracas du monde. La vie défile : réseau protecteur des visages
aimés, résille de la résilience point par point et radio après radio, chaîne de l’ADN qui se retisse brin à
brin, canevas des souvenirs qui se redessinent trait après trait, trame matricielle des tapisseries du
pays natal, les molas…
Tout ce qui se noue et se dénoue dans l’art de Triny Prada se rattache désormais à la vie, pas tant la
sienne que celle des autres, voire du monde entier. Créé pour cette 55 ème Biennale de Venise, Before,
Now and Then souligne une fois encore la fragilité de la vie, mais aussi le lien vital entre les choses,
entre les gens, entre la nature et l’homme.
Un triptyque composé de trois grands panneaux lumineux et sonores habitent un mur complet du
second étage du Palazzo Bembo. Comme un reflet du majestueux palais sur le Grand Canal, des
masses gélatineuses palpitent sur un fond en plexiglas. Un cadre les entoure sur trois côtés, le
quatrième est ouvert pour permettre la descente, la naissance d’une autre forme, dépendante et
reliée par une tige vitale venue du haut. Au repos, tout est calme et serein, mais à son passage, le
visiteur déclenche une séquence sonore et un cycle lumineux. L'installation l'apostrophe et l’incite à
voir, écouter et comprendre puis le laisse poursuivre son chemin.
Fidèle à son mot d’ordre : « on naît, on meurt… entre temps », Triny Prada nous questionne sur
l’impact des décisions et actions de tout un chacun sur l’avenir de notre planète. Car c'est bien au
fond de cela qu'il s'agit. Cette installation va plus loin et dépasse les frontières de l’individu et de sa
propre finitude pour l’étendre à une prise de conscience collective, inscrite dans la durée de la vie sur
Terre, en particulier ici dans l'eau matricielle – la mer.
Before, Now and Then réfère aux algues, structures organiques translucides à la fluorescence toute
aquatique au centre de chacun des trois cadres. Ces êtres primitifs sont les témoins des prémices de
nos origines, de la vie sur Terre et de ce que nous en avons fait. Le cadre les abrite et les protège,
figeant dans le temps leur évolution, les muséifiant. Mais il abrite aussi en son sein ce qui permet leur
augmentation.
Before nous immerge directement dans l'univers de Triny Prada. La forme primitive, ovoïde, irradie le
cadre d'un bleu semblable à celui que l'on perçoit sous l'eau, lorsque les rayons du soleil percent la
surface de la mer. Le son qui s'en échappe se rapproche de celui d'un sonar qui plonge dans le lointain
et apporte en écho une réponse du passé un battement de vie, suivant un chemin sinueux, évoqué
par les motifs de fils de la partie basse.
Now. Le chemin continue... Les fils s'arrondissent et accouchent d'une forme, témoin d'une méiose
réussie. Au-dessus, la structure organique s'élargit aussi, le bleu s'obscurcit et se teinte de mauve. Un
bouillonnement de vie et d'eau couvre progressivement le son du sonar. Le temps de la maturité a
sonné.
Dans Then, la lumière s'affaiblit dans un jaune d'or qui peine à briller. L’activité sonore s’étiole peu à
peu, jusqu’aux simples vagues originelles. La matrice se fait hermaphrodite. Les fils se raréfient et
prennent la teinte de leur destin funeste aux couleurs de fin du monde.
Alors se posent quantité de questions : dans le continuum de l’évolution, comment un organisme
protozoaire enfante-t-il son pendant mécanisé et augmenté quand nul besoin ne l’impose ? Quel sens
profond a ce rappel de l’environnement originel, dans un contexte en mutation permanente ? A quel
moment sort-on du cadre initial, pourquoi et pour quoi ?...
Triny Prada s’intéresse aux passages autant qu’aux liens, posant avec la même acuité la question du
devenir de l’algue mystérieusement dérivante et celle de l’action insouciante de l’homme sur l’écosystème. Elle nous rappelle avec cette œuvre que nous interférons toujours, délibérément ou malgré
nous, sur ce monde bien plus vieux que nous, et qui ne nous survivra peut-être pas...
A suivre, forcément à suivre.
Claire Gacongne-Leroux
Membre de l’Association Internationale des critiques d’Art
Directrice du laboratoire ARNUM - ESIEA