ONU. Quelles opérations aériennes

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ONU. Quelles opérations aériennes
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de prospective.
ONU. Quelles opérations aériennes ?
jeudi 16 juin 2016, par Tony MORIN
L'auteur :
Tony Morin est titulaire du Master 2 en relations internationales, spécialité
Sécurité internationale et Défense de Université Pierre Mendès France Grenoble
II et diplômé de l’ILERI (Institut d’Etude des Relations Internationales). Il est
actuellement doctorant à l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines,
sous la direction du Professeur Thomas Lindemann. Ses travaux portent sur les
processus de prise de décision en France lors du conflit en ex-Yougoslavie (19911995).
Retrouvez l'article à cette adresse :
http://www.diploweb.com/ONU-Quelles-operations-aeriennes.html
Présentation de l’ouvrage dirigé par Walter A. Dorn, Air Power in UN
Operations, Wings for Peace, coll. Military Strategy and Operational Art,
Routledge. Concentrer en un seul volume les différents thèmes liés à
l’emploi des forces aériennes par l’ONU revêt un aspect pratique. Certains
chapitres présentent une réelle originalité et peuvent constituer des
sources intéressantes pour quiconque souhaite se pencher sur la
problématique.
LES opérations aériennes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) demeurent
un objet peu étudié. Si l’on trouve de nombreux ouvrages et articles [ 1 ] qui
traitent des liens entre puissance aérienne et politique étrangère, les études
spécifiquement consacrées à la place de l’ONU dans ce champ sont plus rares. Le
chercheur doit alors se diriger vers des études centrées sur une opération en
particulier et dans laquelle les moyens aériens ne sont qu’une modalité de
l’emploi de la force militaire parmi d’autres. Ainsi, les rapports qu’entretiennent
les Nations Unies avec la troisième dimension [ 2 ] n’a à ce jour fait l’objet
d’aucune systématisation.
A l’heure actuelle, l’Organisation emploie en moyenne 300 appareils qu’elle
loue à des compagnies privées ou que les Etats membres mettent à sa
disposition. Environ 1 milliard de dollars sont consacrés chaque année aux
moyens aériens.
Pourtant l’ONU demeure un acteur important de ce que l’on peut qualifier de «
diplomatie aérienne » [3]. La charte consacre d’ailleurs un article spécifique aux
forces aériennes dans son chapitre 7 [ 4 ]. A l’heure actuelle, l’Organisation
emploie en moyenne 300 appareils qu’elle loue à des compagnies privées ou que
les Etats membres mettent à sa disposition. Environ 1 milliard de dollars sont
consacrés chaque année aux moyens aériens. Dans ce cadre, un ouvrage
spécifiquement consacré à cette problématique apparaît comme bienvenu.
Publié en 2014 aux éditions Routledge, dans la collection Military Strategy and
Operational Art (dirigée par un professeur de l’Air War College de l’USAF (United
States Air Force, l’armée de l’air américaine), Air Power in UN Operations, Wings
for Peace, est un ouvrage collectif dont la direction a été assurée par Walter A.
Dorn, professeur au Royal Military College of Canada. Ayant été plusieurs fois
mandaté par l’ONU pour des rapports sur les opérations de maintien de la paix ou
sur les innovations technologiques, Dorn est familier de la thématique. Le panel
de contributeurs se compose de professeurs ayant généralement fait un passage
dans une institution militaire (et dont beaucoup ont déjà publié sur le thème de la
puissance aérienne) et d’officiers à la retraite. On retrouve entre autres Robert C.
Owen, qui a dirigé un ouvrage de référence sur l’opération Deliberate Force en
ex-Yougoslavie en 1995 [5].
Air Power in UN Operations est divisé en 6 parties. La première est dédiée à
l’Opération des Nations Unies entre 1960 et 1964 au Congo. Ce pays fut le
théâtre de « la première force aérienne de l’ONU » [6], c’est-à-dire la première
opération où des appareils volant sous cocarde « ONU » ont effectué des missions
offensives. Par la suite, l’ouvrage adopte un découpage « par mission » :
transport, observation, zones d’exclusion aérienne, missions de combat et enfin
les perspectives d’avenir. Ainsi, ce travail se présente plus comme un manuel
découpé en liste de thèmes non problématisés que comme un travail scientifique
systématique. Enfin, les contributions sont de natures différentes : certaines sont
des articles historiques, d’autres sont des témoignages.
Les contributions sont de qualité variable, mais rares sont celles qui dépassent
réellement le seuil descriptif. Cela n’amoindrit pas l’intérêt des contributions,
notamment celles qui abordent des sujets peu connus et peu traités dans
l’Hexagone (cf. infra), mais l’ouvrage souffre d’un manque de synthèse et ne
s’appuie pas suffisamment sur la bibliographie existante sur le sujet. Il aurait
ainsi gagné à mobiliser la littérature existante (et abondante) sur le concept de
coercition aérienne et l’on peut regretter que l’ouvrage de Robert Pape, Bombing
to Win [ 7 ], ne soit pas cité une seule fois, en particulier dans les chapitres
abordant les aspects offensifs [ 8 ]. L’absence de référence à cet ouvrage est
d’autant plus remarquable que son articulation avec le principe de No-Fly Zone
[9] présente un intérêt académique certain, en particulier dans un contexte où ce
mode d’action est appelé à se répandre dans de nombreuses zones de conflit [10].
Autre exemple des limites méthodologiques de l’ouvrage : l’article sur la guerre
en Libye demeure très limité car exclusivement descriptif et ne cite aucune
source française (autre que le ministre de la Défense) alors que l’on trouve des
ouvrages bien documentés sur ce conflit [11].
De manière générale, il manque à ce travail un échelon de synthèse qui mette en
relation les différents chapitres et leur donne ainsi une perspective historique ; il
manque le lien entre l’objet étudié (la puissance aérienne onusienne) et son
environnement (l’ONU, les relations internationales en général). Les évolutions
des missions de l’ONU, et a fortiori leur volet aérien, ne sont pas dissociables de
l’évolution du contexte international et des dynamiques internes à l’ONU, dont
elles apparaissent souvent comme le produit. Ainsi, le poids du Secrétaire général
dans l’évolution des opérations de maintien de la paix n’est pas suffisamment
traité. Il est pourtant abordé à deux reprises : dans le chapitre sur l’opération au
Congo avec les mutations opérationnelles survenues après le changement de
Secrétaire général en novembre 1961 (passation entre le Suédois Dag
Hammarskjöld et le Birman U Thant) et lorsqu’est évoqué le rôle de Kofi Annan
sur l’acculturation [ 12 ] de l’ONU aux opérations aériennes. De même, les
conséquences de la chute du mur de Berlin, pourtant structurantes dans
l’évolution de l’Organisation et de ses missions, ne fait l’objet d’aucun
développement.
Toutefois, l’ouvrage propose des chapitres intéressants, au premier rang desquels
la partie sur le conflit au Congo au début des années 1960, très peu étudié en
France. Entre les 30 ans qui séparent cet engagement de celui en ex-Yougoslavie,
on observe que les problématiques des opérations d’imposition de la paix n’ont
guère évolué. La partie sur le transport aérien, notamment le chapitre sur l’aide
humanitaire à Haïti, montre comment l’Organisation tente de s’imposer comme
un acteur incontournable de la troisième dimension en temps de crise via la mise
en place de procédures et de structures dédiées au contrôle aérien lors d’un
sinistre. Cette recherche de l’expertise [13] passe également par l’investissement
de l’ONU dans des systèmes de drones, qu’elle commence à employer au Congo
pour des missions d’observation [ 14 ]. Ce théâtre demeure par ailleurs le
laboratoire d’expérimentation de plusieurs projets importants parmi lesquels on
retrouve la Force Intervention Brigade, créée en mars 2013, qui mène des
opérations coercitives contre les groupes rebelles, et ce en dehors du cadre
habituel de la légitime défense. Ces initiatives montrent que le rapport entre
l’ONU (qui reste avant tout une organisation diplomatique) et l’emploi de la force
armée évolue constamment et de manière différente en fonction des théâtres et
des périodes.
De par son balayage large de la problématique et malgré ses faiblesses, l’ouvrage
dirigé par Walter Dorn n’est pas dénué d’intérêt. D’une part, le fait de concentrer
en un seul volume les différents thèmes liés à l’emploi des forces aériennes par
l’ONU revêt un aspect pratique. D’autre part, certains articles, tels que ceux sur
l’opération au Congo et les missions d’observation durant la guerre civile
libanaise de 1958, présentent une réelle originalité et peuvent constituer des
sources intéressantes pour quiconque souhaite se pencher sur la problématique.
Copyright Juin 2016- Morin/Diploweb.com
Plus
. Walter A. Dorn (dir.), Air Power in UN Operations, Wings for Peace, coll.
Military Strategy and Operational Art, Routledge
Air Power in UN Operations, Wings for
Peace
About the Book
Air power for warfighting is a story that’s been told many times. Air power for
peacekeeping and UN enforcement is a story that desperately needs to be told.
For the first-time, this volume covers the fascinating range of aerial peace
functions. In rich detail it describes : aircraft transporting vital supplies to UN
peacekeepers and massive amounts of humanitarian aid to war-affected
populations ; aircraft serving as the ’eyes in sky’ to keep watch for the world
organization ; and combat aircraft enforcing the peace. Rich poignant case
studies illuminate the past and present use of UN air power, pointing the way for
the future. This book impressively fills the large gap in the current literature on
peace operations, on the United Nations and on air power generally.
A. Walter Dorn is Professor of Defence Studies at the Royal Military College of
Canada (RMC) and chair of the Department of Security and International Affairs
at the Canadian Forces College (CFC). As an ’operational professor’, he has
visited many UN missions and gained direct experience in field missions. He has
served in Ethiopia as a UNDP consultant, at UN headquarters as a training
adviser and as a consultant with the UN Department of Peacekeeping Operations.
He has provided guidance to the UN on introducing Unmanned Aerial Vehicles
(UAVs) to the Eastern Congo.
Sur le site de l’éditeur
Notes
[1] Par exemple : Robert Pape, Bombing to Win Air Power and Coercion in War,
Cornell University Press, Ithaca, 1996 ; Pascal Vennesson, « Bombarder pour
convaincre ? Puissance aérienne, rationalité limitée et diplomatie coercitive au
Kosovo », Cultures & Conflits, 37 | printemps 2000
[2] Expression souvent utilisée dans le milieu militaire pour désigner l’air en
tant que milieu géographique et les activités qui s’y rattachent.
[3] Définie comme « l’emploi des moyens aériens en soutien d’une politique
étrangère ». Jérôme de Lespinois, « Qu’est-ce que la diplomatie aérienne ? »,
Défense et Sécurité Internationale, N°57, juin 2010.
[4] Article 45 prévoyant que les Etats membres mettent à disposition de l’ONU
de manière permanente une force aérienne afin de mener des « actions
coercitives ». Cet article aurait pour origine des diplomates britanniques,
cherchant à transposer la doctrine de l’« air control » en vigueur dans les
colonies. En raison de blocages politiques dus à la Guerre Froide, cet article
n’a jamais été appliqué.
[5] Robert Owen, Deliberate Force, A Case Study in Effective Air Campaigning,
Air University Press, Maxwell Air Force Base, 2000.
[6] Walter Dorn, Air Power in UN Operation, Ashgate, Farnharm, p.1. “The
UN’s First Air Force” est le titre de la partie consacrée au conflit au Congo.
[7] Robert Pape, Op. cit.
[8] 4 chapitres, regroupés dans la partie 5 : Combat : enforcing the peace.
William T. Dean III, Air Operations in Somalia : « Black Hawk Down Revisited ;
Robert C. Owen, Operation Deliberate Force in Bosnia : Humanitarian
Constraints in Aerospace Warfare ; A. Walter Dorn, Combat Air Power in the
Congo, 2003- ; Christian F. Anrig, Allied Air Power over Libya.
[9] Une No-Fly Zones, ou zone d’exclusion aérienne, désigne un dispositif
militaire visant à interdire l’accès d’un espace aérien à une force aérienne en
particulier. Parmi les exemples figurent les opérations Northern Watch (Irak,
1997-2003) et Southern Watch (Irak, 1992-2003) et Deny Flight (Bosnie, 19931995)
[10] Voir notamment : Lionel Beehner, Under my Umbrella : The No-Fly Zone
Fallacy,
http://warontherocks.com/2016/04/under-my-umbrella-the-no-fly-zone-fallacy/.
L’article revient sur les limites des No-Fly Zones et critique le fait qu’elles
tendent à devenir l’option privilégiée des décideurs politiques américains.
[11] Entre autres : Jean-Christophe Notin, La vérité sur notre guerre en Libye,
Fayard, Paris, 2012. Par ailleurs, l’article est un peu hors-sujet car la guerre en
Libye de 2011 n’est pas une opération de l’ONU.
[12] Ce terme connaît de nombreuses définitions, qui varient en fonction de la
discipline. En sociologie, l’une des plus répandue se trouve dans le lexique des
sciences sociales d’Arlette et Robert Mucchielli : « processus par lequel un
individu apprend les modes de comportements, les modèles et les normes d’un
groupe de façon à être accepté dans ce groupe et à y participer sans conflit ».
Arlette Mucchielli-Bourcier, Roger Mucchielli, Lexique des sciences sociales,
Entreprise Moderne d’Édition, Issy-les-Moulineaux 1969
[13] L’expertise est ici comprise au sens sociologique de Michel Crozier et
désigne la maîtrise, par un groupe défini d’une compétence particulière que les
autres groupes n’ont pas. L’expertise est ainsi identifiée par Michel Crozier
comme une source de pouvoir. Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’acteur et le
système, les contraintes de l’action collective, Seuil, Paris, 1977.
[14] Contrairement aux autres moyens aériens qu’elle emploie (locations
auprès de compagnies privées ou auprès de différentes d’armées), ces drones,
construits par l’industriel italien Selex, sont achetés directement par l’ONU ;
elle en est donc propriétaire. Leur usage demeure toutefois sujet à débat au
sein même de l’organisation. « L’ONU étend l’emploi des drones pour ses
missions de maintien de la paix »,
http://www.france24.com/fr/20150410-drones-onu-avenir-maintien-paix-nations
-unies-rd-congo-kivu-monusco-minusma-mali-militaire-humanitaire.