Gérer les chaînes logistiques humanitaires : l`expérience de
Transcription
Gérer les chaînes logistiques humanitaires : l`expérience de
Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management Gérer les chaînes logistiques humanitaires : l’expérience de Médecins Sans Frontières Hélène GIROUX Professeure agrégée, HEC Montréal [email protected] Martin BEAULIEU Professionnel de recherche, Groupe de recherche CHAÎNE, HEC Montréal [email protected] François COOREN Professeur titulaire, Université de Montréal Chaque tremblement de terre, chaque conflit armé, chaque famine nous rappellent que, malgré toutes nos avancées technologiques et sociales, nous ne sommes pas à l’abri des soubresauts de la nature ou des conséquences de l’action humaine. Les médias nous permettent maintenant d’assister presque en direct à ces catastrophes et captent l’attention du grand public, qui souhaite apporter du soutien aux populations touchées (Murray, 2005). Toutefois, si les collectes de fonds sont mises au premier plan, l’important travail logistique qui rend possible toute forme d’aide est laissé dans l’ombre. Ce n’est que lorsque la machine s’enraye, comme ce fut le cas lors de la réponse désastreuse des autorités américaines aux inondations qui ont frappé la Nouvelle-Orléans, que l’on prend conscience que l’aide humanitaire est aussi affaire de logistique. Dans les milieux de recherche, la gestion de la chaîne logistique en contexte d’aide humanitaire fait encore figure de parent pauvre. On trouve sur le sujet quelques articles parus dans la presse professionnelle, et ce n’est que tout récemment qu’il a commencé à faire l’objet de travaux universitaires (par exemple, voir Beamon et Kotleba, 2006; Kovacs et Spens, 2007; Pettit et Beresford, 2005). Le nombre limité d’articles sur le sujet n’est pas surprenant lorsqu’on sait que peu d’attention a encore été accordée à la gestion des opérations dans le secteur public et dans les organismes à but non lucratif et, plus généralement, dans le domaine des services (Johnston, 2005). Pourtant, selon les agences qui interviennent lors des catastrophes, 80 % des efforts d’aide humanitaire sont liés à des décisions logistiques (Thomas, 2003; Trunick, 2005). Une meilleure compréhension des principaux enjeux reliés à la logistique humanitaire et le développement d’outils appropriés pourraient donc permettre de faciliter le travail des intervenants de ce secteur, d’améliorer la performance des organisations humanitaires et d’augmenter l’aide offerte aux populations sinistrées. L’aide humanitaire constitue aussi un excellent cas de « logistique extrême », dont l’étude peut servir à mieux préparer tous les responsables logistiques à la gestion des opérations en situation de crise (Kiser et Cantrell, 2006). Par définition, le déploiement de la chaîne logistique humanitaire est réalisé dans un contexte difficile. La catastrophe humanitaire est généralement imprévisible et exige une réaction rapide (Sowinski, 2003; Tovia, 2007). Les besoins sont nombreux et variés : hébergement, eau potable, nourriture, soins de santé, vêtements, équipement lourd, Vol. 17 – N°1, 2009 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:05 65 65 Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management systèmes de communication, etc. Les infrastructures de transport et les moyens de communication sont souvent abimés ou inutilisables (Long, 1997; Perry, 2007). Enfin, on doit parfois travailler dans un contexte d’affrontement où des luttes territoriales et des conflits armés rendent le transport dangereux et forcent les intervenants à modifier leurs itinéraires pour se plier aux restrictions locales ou éviter les zones critiques (Pettit et Berresford, 2005; Van Wassenhove, 2006). Par ailleurs, l’aide humanitaire se déploie de différentes façons (Oloruntoba et Gray, 2006). Il peut s’agir d’une aide d’urgence dont l’objectif est de générer des impacts positifs à très court terme, comme c’est le cas suite à une catastrophe naturelle (Peck, 2005; Pettit et Beresford, 2005). On s’inscrit alors dans une logique de flux poussé (push system), puisqu’il s’agit d’acheminer les produits requis le plus rapidement possible, mais seulement pendant un temps limité (Maïola, 2007). Mais il peut aussi s’agir d’un travail de plus longue haleine visant la remise à niveau des conditions de vie d’une communauté, par exemple, dans les situations de réfugiés d’un conflit armé ou dans les cas de soins de santé aux populations démunies (Peck, 2005; Pettit et Beresford, 2005). On est alors davantage dans une logique de flux tendu (pull system), puisqu’il faut mettre en place une infrastructure logistique permettant une aide à plus long terme et capable de répondre de manière répétée et continue aux besoins des intervenants qui sont sur le terrain. Jusqu’à maintenant, les quelques travaux consacrés à l’étude des chaînes logistiques humanitaires ont surtout porté sur les situations d’urgence (Beamon et Kotleba, 2006; Kovacs et Spens, 2007; Long, 1997; Pettit et Beresford, 2005; Tovia, 2007), négligeant les mandats de remise à niveau des conditions de vie de communauté. L’étude réalisée par Thomas (2004) a bien permis de mettre en évidence les enjeux de gestion de la chaîne logistique, mais les conclusions dégagées sont plutôt générales. Nous croyons qu’il serait utile de porter davantage attention aux pratiques logistiques des organismes humanitaires dans le cadre de missions de longue haleine, et aussi de mieux saisir les enjeux opérationnels de la logistique humanitaire. Cet article se veut un premier pas dans ce sens. Notre objectif est d’analyser d’une manière plus intégrée le processus de réapprovisionnement de programmes d’aide humanitaire dont les actions se déroulent sur 66 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:06 plusieurs mois, sinon plusieurs années. Le cas étudié sera celui de Médecins Sans Frontières (ci-après MSF), une organisation réputée pour l’efficacité de sa plate-forme logistique et qui se méritait, en 1999, le Prix Nobel international de la paix « en reconnaissance de sa qualité d’organisation pionnière dans l’aide humanitaire sur plusieurs continents » (Nobelpreis, 2007). Cet article comporte trois sections. Dans un premier temps, nous décrirons nos sources d’information ainsi que le cadre d’analyse que nous avons retenu. Nous présenterons ensuite MSF et les principales activités réalisées pour le réapprovisionnement des missions humanitaires de l’organisme. Enfin, nous ferons ressortir les principaux éléments clés de la gestion d’une telle chaîne logistique. Description de l’étude Collecte de données Cette enquête s’inscrit dans un programme de recherche plus vaste visant à étudier une organisation humanitaire en action (Cooren et al., 2007). Le choix de Médecins Sans Frontières comme cas d’étude s’est rapidement imposé, d’une part par l’ampleur de ses activités et de son infrastructure logistique, d’autre part parce qu’il s’agit d’une des rares organisations humanitaires disposant de sa propre plate-forme logistique en France (Grelet, 2005). De plus, la direction de MSF était prête à accueillir les membres de l’équipe de recherche et à leur permettre de réaliser des entretiens en profondeur avec différents intervenants, tant au siège social à Paris qu’aux installations logistique de Bordeaux et sur le site même de missions en République Démocratique du Congo, au Sri Lanka, en Jordanie et au Niger. Les résultats présentés ici proviennent des entrevues réalisées auprès des responsables des différentes activités reliées à la gestion du matériel chez MSF Logistique (Bordeaux) : transport et expédition, gestion de la réception de la marchandise et du contrôle de la qualité, recherche et certification des fournisseurs, gestion des achats, contrôle des commandes reçues, assemblage des commandes et des trousses (kits) pré-assemblées, et enfin amélioration des processus. Nous avons également rencontré un coordonnateur de mission au Congo. Ces entrevues nous ont permis d’avoir une vue d’ensemble du circuit des marchandises entre la plate-forme logistique et Vol. 17 – N°1, 2009 66 Source : Partouche, 1 Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management une mission sur le terrain. Les entrevues ont été filmées et les entretiens ont été retranscrits verbatim. Le recours à une caméra vidéo permet d’enrichir les informations lorsque les répondants décrivent certaines pratiques de travail et nous accompagnent dans une visite des entrepôts. La collecte des données s’est effectuée en 2005. Les renseignements obtenus lors des entretiens ont été complétés par la consultation de divers documents : articles de presse, livres, documents internes, etc. Cadre d’analyse Pour l’analyse des données, nous avons cherché à reproduire la chaîne des activités permettant de gérer le flux de matières entre la plate-forme logistique de MSF et les missions sur le terrain. L’analyse veillait aussi à dégager les paramètres de décisions que devaient intégrer les intervenants de la chaîne logistique. La chaîne logistique peut être représentée de différentes manières et aucun modèle ne s’est encore imposé (Burgess et Singh, 2006). Cependant, le modèle SCOR (Supply-Chain Operations Reference model) semble en voie de devenir ce qui se rapproche le plus d’un cadre normalisé de schématisation de la chaîne logistique (Barnard, 2006). Il s’agit d’un modèle assez général pour être applicable à différents secteurs d’activité et qui a déjà été utilisé pour étudier la chaîne logistique d’une entreprise manufacturière (Rabelo et al. 2007). Bien que son application directe au secteur des services semble moins évidente (Auton, 2006 ; Ellram et al, 2004), nous croyons à sa pertinence dans la mesure où on en limite l’utilisation à l’analyse des enjeux liés au flux des matières et de l’information. Son utilisation nous semble possible pour l’étude des chaînes logistiques humanitaires en ne procédant qu’à quelques ajustements mineurs. Le modèle SCOR identifie cinq processus : 1. Le processus de planification, qui consiste à évaluer, à agréger et à prioriser les besoins et la demande, à déterminer les niveaux des stocks et les capacités de production, et à préciser les plans de production et de distribution. Ce processus peut aussi inclure les décisions de configuration de la chaîne logistique, par exemple les analyses concernant l’impartition de certaines activités. 2. Le processus d’achat, qui concerne les activités associées à l’acquisition des intrants, à leur réception, au contrôle de la qualité ainsi qu’à la sélection et à la certification des fournisseurs. 3. Le processus de production consiste généralement à lancer des requêtes et à obtenir le matériel, à le transformer, à contrôler la qualité des extrants et à emballer les produits finis. Dans le cas de MSF, ce processus correspond à la prestation de soins médicaux aux populations desservies. Mais puisque la production des services de santé consomme les matières plutôt que de les transformer, notre analyse se limitera aux activités de réapprovisionnement sur le site des missions, lesquelles sont directement reliées au flux du matériel et de l’information. 4. Le processus de livraison, dans le modèle SCOR, peut inclure la gestion de la demande, la gestion des commandes des clients, la gestion des entrepôts et la gestion du transport. Dans le cadre de notre étude, nous inclurons essentiellement dans ce processus les activités de transport, qui sont probablement les plus délicates dans le contexte de l’aide humanitaire. 5. Le processus de gestion des retours comprend les activités de retour des produits, la gestion des surplus d’actifs et les activités de réparation. Ainsi, ce découpage en cinq processus nous servira de cadre pour analyser les pratiques logistiques mises en œuvre par MSF. Le cas de MSF Bref historique de l’organisation logistique Nous ne comptons pas ici retracer l’historique et le développement de MSF, d’excellents ouvrages existant déjà sur le sujet (par exemple, Vallaeys, 2004). Il faut toutefois en rappeler les grandes lignes pour mieux comprendre la manière dont ont évolué les pratiques logistiques de l’organisation. À la fin des années 1960, les conflits internationaux prennent des formes de plus en plus variées, selon qu’ils se développent autour d’enjeux politiques, économiques, ethniques ou religieux. Ainsi, lors de la guerre de sécession du Biafra (1967-1970), des médecins français recrutés par la Croix Rouge française sont horrifiés par ce qu’ils considèrent être un génocide et, en réaction à la position de neutralité adoptée par la Croix Rouge, décident de créer une organisation plus libre de sa parole et de ses actes. Ils se joignent un peu plus tard Vol. 17 – N°1, 2009 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:06 1 LI de at en ve lic s'é 2 ré in se de op 67 67 Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management à un groupe qui s’était porté au secours des victimes des inondations au Pakistan pour former, le 20 décembre 1971, l’association Médecins Sans Frontières. L’organisation se présente comme un regroupement de médecins pouvant soutenir l’action d’autres organisations internationales spécialisées dans l’assistance au Tiers-Monde (Conseil de l’Europe, 2004) et elle se déploie dans ce que Benquet et Vallaeys (2006) qualifient d’« amateurisme généreux. » 1 - Précisons que MSF Belgique a créé en 1989 sa propre centrale d’approvisionnement, MSF Supply. Cette centrale offre une solution logistique globale à MSF Belgique ainsi qu’à d’autres organisations humanitaires. En 2006, la direction de MSF Logistique envisageait d’ailleurs le développement d’actions concertées avec MSF Supply (Massis et al., 2006). À ce jour, les deux plates-formes peuvent se soutenir en échangeant du matériel manquant à l’un ou l’autre des entrepôts et qui serait nécessaire afin de répondre à une urgence sur le terrain. En 1979, MSF doit faire face à un manque flagrant de ressources, surtout financières. Cette crise mène à une scission entre les partisans du discours social et ceux qui privilégient une action plus concrète, rupture qui laisse finalement la direction de l’organisme à ces derniers. L’un des dirigeants de MSF se rend alors aux États-Unis pour profiter du savoir-faire des organismes humanitaires américains (Dupuy, 2001), ce qui conduit éventuellement à l’embauche de spécialistes techniques et à la création d’un service de soutien aux opérations (MSF, 2007). Parallèlement, MSF s’était aventurée dans des missions de longue durée (Vallaeys, 2004), si bien que la mission de MSF consiste maintenant à apporter des secours aux populations en détresse, qu’elles soient victimes de catastrophes d’origine naturelle ou humaine, et son action s’étend aux situations de conflits ou post conflits, aux épidémies et aux endémies, à la relance des systèmes de santé locaux et aux soins à apporter aux groupes exclus (Conseil de l’Europe, 2004). Aujourd’hui, l’organisation est formée de cinq sections opérationnelles (Belgique, Espagne, France, Pays-Bas et Suisse) qui organisent des opérations humanitaires sur le terrain et de 14 sections non-opérationnelles qui contribuent à faire connaître l’organisation et à recueillir des fonds. En 1991, les différentes sections de Médecins Sans Frontières créaient MSF International, dont le rôle est d’assurer le respect de la Charte de l’organisme et la coordination des opérations effectuées par les différentes sections. MSF est maintenant une organisation de bonne envergure. À titre d’exemple, en 2005, la section française de MSF comptait à elle seule jusqu’à 41 équipes de coordinations présentes dans 38 pays et travaillant sur un total de 125 programmes, ce qui correspond à plus de 5 700 postes sur le terrain et à un budget de fonctionnement de 115 millions d’euros, dont 90 millions directement affectés aux missions (MSF, 2006). 68 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:06 Les activités logistiques ont évolué avec l’organisation. Jusqu’au début des années 1980, les membres de l’équipe médicale sur le terrain se relaient pour assurer les approvisionnements mais les missions prenant de l’ampleur, on crée des postes d’intendants pour faciliter le travail du personnel soignant. En 1982, MSF charge le docteur Jacques Pinel de mettre en place une structure permettant d’assurer la logistique des missions à partir de Paris. En effet, si certains pays de mission sont suffisamment développés pour permettre un approvisionnement facile sur place, ce n’est pas le cas de beaucoup de pays d’Afrique, où le réseau téléphonique est peu développé et où les médicaments et les véhicules motorisés sont rares. Le docteur Pinel et son équipe mettent donc en place un réseau de radiocommunications et standardisent le matériel roulant pour en faciliter l’entretien (Pinel et Nzakou, 2006). À cette époque, les achats de médicaments s’effectuent par l’entremise de grossistes reliés à d’autres ONG. MSF dispose aussi d’un petit entrepôt dans le 13e arrondissement et utilisé principalement pour les urgences (Vallaeys, 2004). Il devient cependant évident qu’il faut consacrer davantage d’efforts aux activités logistiques si on veut être en mesure de répondre adéquatement aux besoins particuliers des missions. Le 19 octobre 1986, on crée donc MSF Logistique pour prendre en charge l’achat et le pré-stockage du matériel logistique (Pinel et Nzakou, 2006). Initialement située à Narbonne, puis à Lézignan (Aude), MSF Logistique établit une vaste plate-forme logistique à Bordeaux-Mérignac en 1992. Le site de 36 000 m² – dont 2 700 m² pour l’entreposage – est retenu en raison de la proximité d’un aéroport international et de la facilité d’y réinstaller les employés. En 2005, MSF Logistique compte 66 employés et son volume d’achat s’élève à 45 millions d’euros. Près de 80 % des activités vont au réapprovisionnement des missions des sections française, suisse et espagnole de MSF et, à l’occasion, d’autres ONG telles que Médecins du monde ou la Croix-Rouge1. La plate-forme logistique de Bordeaux-Mérignac gère ainsi plus de 14 000 références, dont 2 500 sont stockées, et elle expédie plus de 15 000 tonnes de marchandises à 70 pays. En plus du stockage et du réapprovisionnement des articles individuels (médicaments, vaccins, fournitures médicales, denrées, pièces de rechange, équipements pour le traitement de l’eau, matériel de communication, tentes, couvertures, etc.), MSF Logistique Vol. 17 – N°1, 2009 68 Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management produit et expédie plus de 3 800 trousses médicales et de première nécessité. En 2005, l’organisation a ainsi traité plus de 2 400 commandes tout en atteignant son objectif d’une livraison en quatre semaines dans 80 % des cas. L’atteinte de cette cible se fait toutefois en acceptant l’envoi de commandes incomplètes et en multipliant les livraisons différées (MSF 2006). Enfin, bien que l’aire de stockage ait été presque doublée en 2003, l’espace disponible ne suffit plus à suivre la croissance des activités de MSF et, selon Gérald Massis (le directeur du site en 2006), le personnel travaille à la limite de ses capacités. Constitution et organisation générale des missions Pour bien comprendre le fonctionnement des activités logistiques, il faut d’abord les situer par rapport à l’organisation globale des missions. Dans un premier temps, le siège social identifie quelles missions seront lancées, poursuivies ou abandonnées. Bien que la présente étude porte sur le réapprovisionnement des missions de moyenne et longue durée, ces missions ont d’abord eu comme origine une situation de crise plus ou moins aigüe à laquelle il a fallu répondre. L’apparition de nouvelles crises entraîne donc de nouvelles missions, alors qu’un retour à une situation plus ou moins normale en rend d’autres moins pertinentes. Par exemple, en 2005, MSF France a créé 49 nouveaux programmes d’aide (dont 34 ont pu être complétés dans la même année), alors que 25 anciens programmes ont été fermés (MSF 2006). Au choix des missions s’ajoute la détermination du financement requis et le choix des intervenants sur le terrain. Outre le personnel de soins (médecins et infirmiers), il est nécessaire d’assigner un coordonnateur qui verra à la répartition des ressources entre les différentes missions d’un même pays. Ce coordonnateur sera appuyé d’un responsable technique et logistique (RTL), d’un administrateur qui verra à la gestion des ressources financières et humaines et d’un coordonnateur médical. Chaque mission aura aussi son chef. Aux bureaux parisiens sera aussi constituée une équipe d’encadrement formée d’un responsable de programme, d’un assistant et d’un comptable. Tous ces intervenants sont susceptibles d’être en contact avec la plate-forme logistique de MSF. Le texte qui suit offre une description plus détaillée des activités logistiques. Les pratiques logistiques de MSF La description des activités qui suit provient de la compilation des informations recueillies lors des entrevues que nous avons réalisées et correspond au déroulement normal des opérations de MSF France. Rappelons que les activités sont regroupées selon leur insertion dans l’un des cinq grands processus définis par le modèle SCOR. Le processus de planification. On trouve chez MSF trois niveaux de planification. Au niveau stratégique, il faut choisir et réévaluer périodiquement le choix des ressources et des moyens mis en œuvre par la plate-forme logistique de Bordeaux-Mérignac. Comme on l’a vu plus tôt, par exemple, le choix de la localisation des installations ne s’est pas fait au hasard. Dans le même sens, il a fallu décider jusqu’à quel point les activités de transport seraient imparties. Ainsi, en ce qui a trait au transport des marchandises, la direction de MSF Logistique a décidé de retenir les services de transitaires qui voient à sélectionner les meilleurs prestataires de transports aériens, maritimes ou terrestres. MSF Logistique maintient des relations avec plusieurs transitaires afin de préserver une forme de concurrence qui lui assure de bons prix2. Par ailleurs pour le transport des personnes sur les lieux de mission, MSF Logistique conserve un contrôle direct sur le choix des prestataires. MSF Logistique délègue dans les différents pays de mission des représentants qui vérifieront la qualité des équipements, la compétence du personnel, les processus de contrôle de la qualité, le respect des directives, etc. Le second niveau de planification logistique est plus tactique et consiste essentiellement à déterminer la fréquence approximative de réapprovisionnement de chacune des missions en fonction de différents facteurs. Par exemple, on cherchera à régulariser les flux financiers de façon à éviter les sorties importantes de fonds. Naturellement, les conditions locales auront une grande influence : les facilités de déplacement à l’intérieur du pays, les possibilités de pillages en cours de livraison, l’émergence de nouvelles problématiques de santé qui exigent le réapprovisionnement de nouveaux articles ou des quantités plus importantes que celles initialement prévues, etc. La diversité des conditions conduit à des fréquences de réapprovisionnement variables : certaines missions peuvent être réapprovisionnées deux fois par mois, alors que d’autres ne le sont que deux ou trois fois par année. D’un côté, MSF Logistique cherche à réduire la fréquence de livraison afin de diminuer le travail administratif lié au dédouanement des marchandises, travail qui échoit au personnel des missions. D’un autre côté, on ne Vol. 17 – N°1, 2009 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:06 2 - MSF Logistique ne possède aucun moyen de transport. La direction juge que le maintien des équipements exige beaucoup de personnel et de matériel, et que des sociétés spécialisées dans le domaine sont déjà disponibles sur le marché. 69 69 Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management veut pas livrer des quantités trop importantes de marchandises alors que les conditions sur le terrain peuvent évoluer et que les besoins peuvent changer rapidement. Les conditions politiques qui prévalent au pays de mission ont aussi une grande incidence dans la détermination de la fréquence de réapprovisionnement. Dans ces circonstances, le choix de la fréquence est effectué conjointement par le personnel de la plate-forme logistique de Bordeaux et par le responsable de programme situé au bureau chef de la section du coordonnateur de mission. Naturellement l’avis de ce dernier est important puisqu’il est le mieux au fait des conditions locales et des besoins sur le terrain. Toujours en matière de planification tactique, MSF International a instauré en 1994 un comité de Coordination technique internationale (CTI). Ce comité de travail regroupant des intervenants des différentes sections voit à maintenir une cohérence dans le choix des articles médicaux et techniques. Ce comité se réunit trois à quatre fois par an et il identifie les articles jugés standards. Ces articles sont requis par plusieurs missions et leur demande justifie de les inscrire dans une base de données. Puisque l’article a déjà fait l’objet d’une demande d’achat par l’une des sections, tout le travail de définition des spécifications a été réalisé. Ainsi, l’article sera accompagné d’une description technique et d’un code de produit. La base de données pouvant être transmise tant en format papier que sur support électronique, les intervenants sur le terrain peuvent s’y référer lorsqu’ils ont des besoins à combler. Le comité voit également à retirer de la base de données les articles qui ne sont plus utilisés. Le CTI est également responsable de l’établissement et de la révision des nomenclatures des trousses (kits) qui ont été développées avec les années. Une trousse est un ensemble d’articles répondant à un type d’intervention donné. Par exemple, la «trousse choléra» comprend tout ce qui nécessaire en cas d’épidémie : perfusions, antibiotiques, savon, gants, matériel de désinfection, toiles plastifiées, produits pour la chlorination de l’eau, etc. Les trousses peuvent contenir plusieurs centaines d’articles et être composées tant d’articles médicaux que d’équipement et de fournitures (par exemple, des pompes à eau, des réfrigérateurs pour la conservation des vaccins, etc.). Les trousses permettent de simplifier le travail du personnel en leur évitant d’avoir à commander séparément de nombreux articles qui, de toute façon, sont tou- 70 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:06 jours utilisés ensemble. Elles permettent aussi d’éviter les oublis. Il est bien entendu impossible de prévoir toutes les situations; la base de données proposant les produits standards est donc un guide et non une norme rigide à laquelle les intervenants sur le terrain doivent absolument se conformer. De même, les missions peuvent décider de demander des trousses personnalisées répondant mieux à leurs besoins. Toujours dans le cadre de la planification tactique, MSF Logistique a créé un poste d’analyste qualité. Ce dernier voit à documenter les processus, à développer les documents électroniques (définir les champs et les informations à inscrire dans ces champs) et à gérer les indicateurs de performance. Au moment de l’enquête, MSF Logistique utilisait plus de 80 indicateurs de performance. Une des fonctions de l’analyste qualité est de standardiser ces indicateurs et de faciliter leur adoption par les gestionnaires. Enfin, il faut procéder à la planification opérationnelle des activités de la plate-forme de Bordeaux-Mérignac. Les activités de réapprovisionnement sont planifiées une fois par semaine. La charge de travail peut difficilement être planifiée à plus long terme car la moitié des commandes à assembler viennent répondre à des demandes urgentes. Le coordonnateur de la production voit à cette activité. L’ordonnancement du réapprovisionnement tient compte de l’urgence de la commande, de la disponibilité des articles en magasin, des dates de réception des articles manquants, des trousses à produire et, naturellement, de la capacité d’assemblage. Cette capacité est directement liée au nombre d’employés. Ainsi, pour faire face à des périodes de pointe, des employés supplémentaires peuvent être embauchés pour de courtes périodes. Les responsables des achats, de la réception et du réapprovisionnement se réunissent une fois par semaine afin d’identifier quelles commandes seront lancées et, en cas de rupture de stocks, quelles sont celles qui devront être mises en attente. Dans ce dernier cas, on décidera également si on procède à une livraison partielle de la commande, certains articles pouvant être considérés urgents par le chef de mission ou le coordonnateur. Le processus d’achat. Ce processus peut être découpé en trois grandes activités. D’abord, il faut certifier les produits et les fournisseurs, ce qui n’est pas une mince affaire puisque MSF s’approvisionne un peu partout dans le monde. L’étape d’évaluation entraîne donc de Vol. 17 – N°1, 2009 70 1 - La mutatio la logistique médicament a est qu’à ses d partie de no veut trè nouvelle am au sein de l étasun pharmace nous préparon dans laquell sera adressé a services log d’appr médicaments devrait nous conduit, de les pratiques accompagn opérat d’appr produits ph Source : Fein (2005, p Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management nombreux déplacements et peut prendre jusqu’à un an. En 2006, MSF Logistique disposait de trois spécialistes pour effectuer ce travail : un pour les produits pharmaceutiques et les consommables médicaux, un autre pour les technologies médicales et les consommables de laboratoire et un dernier pour les autres articles. Il faut ensuite sélectionner les fournisseurs et évaluer leur performance. Les critères de sélection les plus importants pour MSF sont le prix, la disponibilité et le service; les fournisseurs retenus seront ensuite évalués sur la base du respect des délais de livraison, sur l’envoi de tous les documents requis et sur l’absence de relance. Un des principaux enjeux est la difficulté de consolider les volumes d’achat pour obtenir de meilleurs prix. En effet, chacun des pays de mission possède sa propre règlementation en matière d’importations et il est essentiel de respecter ces règles. Par exemple, un pays peut n’accepter la distribution d’un médicament particulier que s’il est emballé dans un certain format. Si d’autres pays requièrent d’autres formats et que ces formats ne sont disponibles que chez des fournisseurs différents, il faut alors multiplier le nombre de fournisseurs pour un produit dont l’achat aurait pu être consolidé, et entretenir des relations d’affaires avec plusieurs sources. La multiplication des formats et des types de conditionnement augmente également le nombre de références, tant dans les aires de stockage que dans le système d’information. Cette situation force aussi les acheteurs à très bien connaître la règlementation de chacun des pays de mission et l’offre de produits des différents fournisseurs. Un autre enjeu est lié à la gestion des achats qui sont effectués localement par les intervenants sur le terrain des missions. En effet, tous les achats n’ont pas à transiter par la plate-forme de Bordeaux-Mérignac et, pour certains produits ou dans certaines circonstances, il peut être plus avantageux de procéder à l’achat local. On réduit ainsi les délais d’approvisionnement, en plus de diminuer les frais de transport et de douanes. Toutefois, ce sont alors généralement les intervenants locaux (chef de mission, coordonnateur, responsable technique ou logistique) qui procèdent aux achats, et il faut s’assurer qu’ils utilisent de saines pratiques de gestion des achats. Par exemple, un intervenant peut décider d’acheter localement les clous qui serviront à la reconstruction d’une infrastructure, alors que ce produit est déjà disponible dans les entrepôts de MSF Logistique et a été obtenu à bien meilleur prix que ceux achetés sur place. Ou encore, le produit est peut-être disponible dans un pays limitrophe à meilleur prix que chez le fournisseur local. Les intervenants locaux ont aussi tendance à choisir un fournisseur avec lequel ils ont déjà fait affaires, mais il ne s’agit pas nécessairement de la meilleure source possible pour ce produit. L’amélioration des conditions économiques locales peut également faire émerger de nouvelles sources d’approvisionnement. Ainsi, les acheteurs de MSF Logistique doivent régulièrement relancer les intervenants des missions pour éviter les faux-pas et leur rappeler d’effectuer une veille des marchés fournisseurs locaux de manière à identifier les meilleures sources possibles. Finalement, le personnel des achats effectue au quotidien le lancement des commandes et la relance des fournisseurs lorsque les livraisons sont retardées ou incomplètes, travail qui se fait en coopération avec les responsables de la réception des marchandises. Le processus de production / réapprovisionnement. La figure 1 illustre les relations entre différents intervenants liés au cycle de réapprovisionnement d’une mission se déroulant au Congo. Une des premières décisions reliées à ce processus a trait à la manière dont les demandes de réapprovisionnement seront transmises, qui doit tenir compte de la situation sur le terrain et des contraintes de communication locales. On cherche donc à développer des méthodes de saisie et de transmissions qui soient légères et faciles à utiliser. Par exemple, un document standardisé sur chiffrier électronique (Excel) a été développé comme gabarit afin de faciliter la rédaction des commandes par les responsables technique et logistique. Ce document peut facile- Figure 1 : Le cycle de réapprovisionnement Vol. 17 – N°1, 2009 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:07 71 71 Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management ment être transmis par Internet ou par télécopie. conservées aux entrepôts de Bordeaux-Mérignac. Les commandes sont normalement acheminées directement à la plate-forme logistique de Bordeaux. On procède à une validation initiale des quantités commandées en fonction des sommes budgétées. Si la commande comprend des articles hors programme, le bureau qui a initié la mission devra valider la demande. Certaines sections conservent un contrôle financier très étroit sur les activités sur le terrain. Dans ce cas, la commande transite par le siège social de la section avant d’être réacheminée à la plate-forme logistique. Le processus de transport est nécessairement lié de près au processus de réapprovisionnement. Toutefois, tel qu’indiqué précédemment, il arrive que l’on soit en pénurie de certains articles; pour éviter de retarder toute la commande, on la fractionnera en plusieurs livraisons. À l’inverse, plusieurs commandes destinées à un même pays de mission peuvent être consolidées et donner lieu à une seule livraison. Une fois arrivées à destination, les commandes doivent ensuite être réparties entre les différents sites de mission. Il arrive que certaines marchandises soient alors égarées. Les activités de production de la plate-forme logistique sont organisées autour de trois types de stock : les produits réguliers, les trousses et le stock d’urgence. Pour les produits réguliers, on procède à la pige des articles en fonction des commandes reçues et de leur ordonnancement. La pige doit tenir compte des exigences des différents pays de mission, notamment en ce qui a trait aux dates de péremption. En effet, certains pays exigent que les médicaments entrant sur leur territoire aient une durée de conservation minimale. Pour s’assurer de respecter cette exigence, la date de péremption des lots reçus est inscrite dans le système d’information au moment de la réception des marchandises à l’entrepôt. Lors de la pige, on prendra soin d’acheminer des articles provenant d’un même lot, ce qui simplifiera la gestion des stocks sur le terrain. Les trousses sont stockées en permanence et on doit voir à reconstituer les stocks suite aux demandes des missions. Dans le cas des trousses contenant un grand nombre d’articles, la nomenclature a été organisée en modules. Par exemple, une trousse peut être formée de trois modules, chaque module comprenant différents articles. Cette structure modulaire permet d’augmenter la flexibilité. Ainsi, une mission peut souhaiter commander une trousse dont sera exclu un module particulier parce que les articles qu’il contient sont déjà disponibles localement. Précisons que les trousses ont également une date de péremption, qui sera attribuée en fonction de l’article dont la durée de conservation est la plus courte. Enfin, la réalité de certaines missions exige le maintien d’un stock d’urgence à la plate-forme logistique. Ces stocks sont dédiés à des sections particulières, par exemple MSF France, MSF Suisse ou Médecins du monde. Ils représentent environ le tiers des palettes 72 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:07 La variété des marchandises à transporter augmente également la complexité des opérations. Les produits périssables doivent être acheminés rapidement et il est essentiel de savoir si les chambres froides situées dans les aéroports ou les ports de destination sont en bon état de fonctionnement. D’autres produits exigent des modes de livraison particuliers; le chlore, par exemple, ne peut être acheminé par voie maritime. Il est clair toutefois que les principaux enjeux de la gestion du transport en contexte humanitaire sont les conditions de transport dans le pays de mission. En contexte de catastrophe naturelle, les routes peuvent être inondées, jonchées de débris ou carrément disparues. Même si l’on retient l’option du largage aérien de la marchandise, il faut connaître les conditions du site de réception. En contexte de trouble politique, c’est la traversée des frontières qui peut devenir difficile. Dans certains cas, les autorités locales sont préoccupées de l’image qu’elles projettent auprès de la communauté internationale et préfèrent refuser l’aide humanitaire que de sembler incapables de résoudre elle-même la crise qu’elles traversent. Pour éviter les surprises lors de la réception de la marchandise aux frontières, MSF préfère procéder à un pré-dédouanement avant d’expédier la marchandise. Amener la marchandise jusqu’au pays de mission ne signifie pas qu’elle soit arrivée à destination, les sites de mission étant souvent situés loin des ports et des aéroports. Ici encore, les conflits armés et les tensions politiques peuvent compliquer le transport. Certains territoires ne peuvent être traversés et doivent être contournés. Les attaques de convois et le pillage doivent être prévus, et il est parfois nécessaire d’obtenir une escorte Vol. 17 – N°1, 2009 72 Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management pour s’assurer que la marchandise parviendra au site de mission. C’est le personnel sur le terrain qui jugera du meilleur moyen de livraison à l’intérieur du pays et déterminera si une escorte est requise. De son côté, le personnel de la plate-forme logistique transmettra toutes les informations concernant le poids et les dimensions de la marchandise expédiée, ce qui permettra aux cadres responsables de la mission de déterminer le mode de transport le plus approprié. Le processus de retour. Même si l’ensemble des processus précédents prennent en compte la nécessité de minimiser les retours de marchandises, ceux-ci ne peuvent être totalement évités, les conditions sur les terrains de mission pouvant évoluer très rapidement. Par exemple, une épidémie anticipée peut se résorber soudainement et le stock de médicaments acheminé devient inutile. Il faut alors évaluer dans quelle mesure ces stocks peuvent être utilisés ailleurs ou doivent être considérés comme des pertes. Par exemple, si un produit pharmaceutique a presque atteint la date de péremption, il est préférable de le détruire sur place que de chercher à le récupérer. La destruction doit se faire dans des conditions particulières et selon un protocole très strict; elle exige souvent diverses autorisations des autorités locales. Ces contrôles sont nécessaires d’un point de vue environnemental mais aussi pour s’assurer que la marchandise a bel et bien été détruite et qu’elle ne se retrouvera pas sur le marché noir. Pour les marchandises qui peuvent être récupérées, un processus de logistique à rebours doit être mis en place : choix du mode de transport, formalités douanières, identification du poste budgétaire où doivent être imputés les coûts, transmission des informations requises, vérification de l’état des produits, réajustement des niveaux de stock, etc. Discussion L’étude du cas de Médecins Sans Frontières a été l’occasion de mettre en lumière les pratiques logistiques de cet organisme. Ces pratiques sont résumées au tableau 1. Comme on le voit, les activités logistiques sont réparties dans trois lieux et entre trois groupes d’acteurs : le siège social de la section opérationnelle, la plate-forme logistique centrale et les missions sur le terrain. Ce découpage fait ressortir l’importance de la décision de centraliser ou de décentraliser certaines activités administratives. Tableau 1 : Répartition des activités logistiques MSF Activités Planification des missions MSF Logistique Mission sur le terrain X Planification de l’infrastructure logistique X Planification des opérations X Certification des produits et des fournisseurs X Sélection des fournisseurs et évaluation de la performance X X Achat X X Lancement des commandes Validation des commandes X X X Assemblage des commandes X Transport international X Transport local X X Gestion des retours et destruction de produits X X D’un côté, la centralisation permet de concentrer en un seul lieu une série de décisions stratégiques et tactiques (Stanley, 1993). Elle s’inscrit bien dans la logique de professionnalisation poursuivie par MSF et permet à l’organisation de prendre de l’ampleur tout en se déployant efficacement. Elle permet aussi de conserver un certain contrôle sur la manière dont les budgets sont utilisés, ce qui n’est pas sans importance dans un organisme dont le fonctionnement dépend des dons de la population. En matière d’approvisionnement, par exemple, la centralisation facilite la mise en place de saines pratiques d’achat. Elle favorise aussi la standardisation des produits et des trousses, ce qui facilite la consolidation des besoins et l’obtention de meilleurs prix. Au plan opérationnel, la création de la plate-forme logistique de Bordeaux est un exemple de ressources dédiées qui apporte des bénéfices indéniables en terme de rapidité d’action, comparativement à d’autres ONG qui ne sont pas dotées de tels équipements (Grelet, 2005). Seule une organisation possédant une solide unité opérationnelle centrale est en mesure à la fois de répondre aux situations d’urgence de grande ampleur et d’assurer le réapprovisionnement continu et efficace des missions de longue durée. De l’autre côté, un certain degré de décentralisation est essentiel pour obtenir la flexibilité qu’exige la nature même des opérations de MSF. Dans un contexte international, une certaine décentralisation permet de tenir compte de la distance entre les actions locales et les décisions centrales (Monczka et Trent, 1992). Vol. 17 – N°1, 2009 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:07 Bureau MSF 73 73 Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management C’est particulièrement le cas lorsque la situation rend les communications difficiles. De plus, comme les conditions locales peuvent changer rapidement, il est nécessaire d’allouer une bonne marge de manœuvre au personnel qui est sur place (Kathawala et Lingaraj, 1990). Le principal problème de la décentralisation est d’assurer l’uniformité et la qualité des pratiques. Comme on l’a vu dans le cas du processus d’achat, il faut relancer régulièrement le personnel local. Ces relances sont d’autant plus nécessaires que le taux de roulement du personnel serait de l’ordre de 30 % (Bokhorst, 2003). Ce pourcentage est beaucoup moindre que celui d’autres organismes similaires, qui peut atteindre jusqu’à 80 %, mais il pose quand même des problèmes en matière de continuité des pratiques. MSF tente de pallier cette difficulté en développant des manuels et des guides qui permettent au nouveau personnel de se familiariser rapidement avec les méthodes de travail et surtout d’être au fait des particularités logistiques locales. Selon Tyndall et al (1998), plutôt que de se camper dans une logique d’opposition entre centralisation ou décentralisation complète, il faut privilégier une structure hydride où le découpage des tâches entre les niveaux local et central se fait dans le meilleur intérêt de l’ensemble de l’organisation. Le découpage des tâches indiqué au tableau 1 nous porte à conclure que MSF a cherché à atteindre cet objectif. Une structure hybride requiert d’avoir sur le terrain du personnel ayant une bonne compréhension des enjeux logistiques. De plus, elle ne peut réussir que si le flux d’information est solidement intégré au flux des matières. Il est nécessaire non seulement de communiquer les besoins en réapprovisionnement mais aussi de transmettre des renseignements sur la situation locale, par exemple sur l’état des infrastructures logistiques ou sur la réglementation locale en matière de contrôle des produits pharmaceutiques. Bien sûr, l’amélioration et la dissémination rapide des technologies de l’information a beaucoup facilité les choses. Toutefois, en contexte de ressources limitées, il est difficile de consacrer trop de ressources à l’acquisition de technologies de pointe au détriment apparent de l’aide directe à la population. Par ailleurs, il faut pouvoir composer avec la réalité du terrain et être en mesure de s’adapter rapidement lorsque l’infrastructure de com- 74 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:08 munication est insuffisante ou a été détruite à la suite d’une catastrophe. On a donc retenu des technologies très souples, un simple chiffrier électronique par exemple, pour l’échange des données. En fait, la souplesse est essentielle tout au long du processus. Même en situation de réapprovisionnement, la chaîne logistique humanitaire opère plus ou moins dans une logique de crise. Selon un des répondants, 50 % des livraisons visent à répondre à une urgence, ce qui doit se faire dans un délai de deux semaines au lieu des quatre à cinq semaines pour une situation plus normale. On maintient donc des stocks de sécurité pour faire face à des changements de dernière minute. La variété des réglementations et des contraintes locales impose aussi de maintenir en stock de nombreuses références d’un même article et d’accentuer les activités de veille, ce qui complexifie encore le travail des logisticiens. Enfin, les conditions sur le terrain peuvent s’améliorer ou se détériorer très rapidement, et la chaîne logistique doit pouvoir se réajuster tout aussi rapidement, au risque de devoir compenser par des pratiques de logistique à rebours qui devront elles aussi respecter les normes locales. Conclusion Les crises humanitaires découlant de conflits politiques ou de catastrophes naturelles ne vont pas diminuer au cours des prochaines années. Par conséquent, la mise en œuvre de chaînes logistiques performantes semble la seule avenue possible pour atténuer rapidement l’impact de telles situations. Le phénomène reçoit une attention croissante, tant de la part des milieux universitaires que de la presse professionnelle. Nous avons cherché à ajouter à cette littérature en nous tournant vers les opérations courantes de réapprovisionnement plutôt que de nous limiter aux capacités de réponse immédiate à une nouvelle crise. Comme on l’a vu, même dans ce contexte considéré comme plus stable, les changements rapides qui peuvent survenir sur le terrain contribuent à maintenir un climat d’urgence. Les chaînes logistiques humanitaires gagnent donc à adopter une structure flexible, capable de tabler à la fois sur les avantages de la centralisation et de la décentralisation des activités. Nous pouvons dégager de l’étude du cas de MSF qu’une chaîne logistique humanitaire peut et doit être gérée avec la même rigueur que celle des secteurs industriels. Cette Vol. 17 – N°1, 2009 74 Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management rigueur est nécessaire pour acheminer aux missions les bons articles au bon moment, ce qui constitue un des gages de leur succès. Elle permet aussi de faciliter le travail des intervenants sur le terrain et de leur permettre de se concentrer sur l’aide aux populations en détresse. Enfin, elle assure que les fonds sont dépensés de la meilleure manière possible, que l’image de professionnalisme de l’organisation n’est pas entachée et que l’on respecte bien les règles des pays où l’aide est apportée. La bonne gestion de la chaîne logistique contribue donc au maintien de bonnes relations entre l’organisme humanitaire et ses différents partenaires et, dans ce sens, elle contribue au succès à long terme de l’organisation et de sa mission. Bibliogaphie Grelet, S., « L’imagination logistique », http://www.vacarme.eu.org, 04-2005, consulté le 11 juin 2007. Johnston, R., « Update – Service Operations Management: From the Roots Up », International Journal of Operations & Production Management, vol. 25, n° 12, 2005, p. 298-1308. Kathawala, Y.; Lingaraj, B.P., « Organisational Structure Considerations on the Next Decade: Implications for Operations Management », International Journal of Operations & Production Management, vol. 10, n° 8, 1990, p. 53-60. Kiser, J.; Cantrell, G., « Six Steps to Managing Risk », Supply Chain Management Review, vol. 10, n° 3, 2006, p.12-17. Auton, B., « Humanitarian & Emergency Logistics Professionals », Logistics & Transport Focus, vol. 8, n° 2, 2006, p.14-17. Kovacs, G.; Spens, K.M., « Humanitarian Logistics in Disaster Relief Operations », International Journal of Physical Distribution & Logistics Management, vol. 37, n° 2, 2007, p. 99-114. Beamon, B.M.; Kotleba, S.A., « Inventory Modelling for Complex Emergencies in Humanitarian Relief Operations », International Journal of Logistics: Research and Applications, vol. 9, n° 1, 2006, p. 1-18. Long, D., « Logistics for Disaster Relief: Engineering on the Run », IIE Solutions, vol. 29, n° 6, 1997, p. 26-29. Benquet, P.; Vallaeys, A., L’aventure MSF, Paris, Scéren, 2006, 3 pages. Bokhorst, H., « Idéalisme et management font ménage », Le Soir, samedi 22 novembre 2003. Burgess, K.; Singh, P.J., « A Proposed Integrated Framework for Analysing Supply Chains », Supply Chain Management: An International Journal, vol. 11, n° 4, 2006, p. 337-344. Conseil de l’Europe, Les institutions internationales et la gestion des risques majeurs, Strasbourg, 2004. Cooren, F.; Matte, F.; Taylor, J.R.; Vasquez, C., « A Humanitarian Organization in Action: Organizational Discourse as a Stable Mobile ». Discourse and Communication, vol. 1, no 2, 2007, p. 153-190. Maïola, A.L., « Médecins Sans Frontières et la gestion des catastrophes naturelles : standardisation et limites de la logistique en situation d’urgence », Mondes en Développement, vol. 35, n° 1, 2007, p. 81-88. Massis, G.; Cachet, P.; Nzakou, I., « Suivre la cadence », Messages MSF, n° 142, septembre 2006, p. 31-32. Monczka, R.M.; Trent, R.J., « Worldwide Sourcing: Assessment and Execution », International Journal of Purchasing and Materials Management, vol. 28, n° 4, 1992, p. 9-19. MSF, « Chronologie : Années 70 », www.msf.fr, consulté le 2 mars 2007. MSF, Rapport d’activité 2005, Paris, MSF, 2006. Murray, S., « How to Deliver on the Promises », Financial Times, January 7, 2005, p. 9. Dupuy, G., « Le prix de l’humanitaire », L’Express, n° 2632, jeudi 13 décembre 2001, p. 126-129. Nobelpreis, « Le prix Nobel de la paix 1999 », http://www.nobelpreis.org/francais/frieden/ohne-grenzen.html, consulté le 23 octobre 2007). Ellram, L.M.; Tate, W.L.; Billington, C., « Understanding and Managing the Services Supply Chain », Journal of Supply Chain Management, vol. 40, n° 4, 2004, p.17-32. Oloruntoba, R.; Gray, R., « Humanitarian Aid: An Agile Supply Chain? », Supply Chain Management: An International Journal, vol. 11, n° 2, 2006, p. 115-120. Vol. 17 – N°1, 2009 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:08 75 75 Profil couleur : DØsactivØ Composite Trame par dØfaut Logistique & Management Peck, H., « Finding Better Ways to Deal with Disasters », Logistics & Transport Focus, vol. 7, n° 10, 2005, p. 19-21. Pettit, S.J.; Beresford, K.C., « Emergency Relief Logistics: An Evaluation of Military, Non-Military and Composite Response Models », International Journal of Logistics: Research and Applications, vol. 8, n° 4, 2005, p. 313-331. Perry, M., « Natural Disaster Management Planning », International Journal of Physical Distribution & Logistics Management, vol. 37, n° 5, 2007, p. 409-433. Pinel, J.; Nzakou, I., « Log Story », Messages MSF, n° 142, septembre 2006, p. 30-31. Rabelo, L.; Eskandari, H.; Shaalan, T.; Helal, M., « Value Chain Analysis Using Hybrid Simulation and AHP », International Journal of production Economics, vol. 105, n° 2, 2007, p. 536-547. Sowinski, L.L., « The lean, mean supply chain and its human counterpart », World Trade, vol. 16, n° 6; 2003, p. 18 Stanley, L.L., « Linking Purchasing Department Structure and Performance – Toward a 76 00_N1_2009.prn Vol17_N1_2009.vp mercredi 16 septembre 2009 15:28:08 Contingency Model », Journal of Strategic Marketing, vol. 1, n° 3, 1993, p. 211-219. Thomas, A. Humanitarian Logistics : Enabling Disaster Response, Fritz Institute, 2004, 15 pages. Thomas, A., « Why Logistics? », Forced Migration Review, n° 18, 2003, p. 4. Tovia, F., « An Emergency Logistics Response System for Natural Disasters », International Journal of Logistics: Research and Applications, vol. 10, n° 3, 2007, p. 173-186. Trunick, P.A., « Delivering Relief to Tsunami Victims », Logistics Today, vol. 46, n° 2, 2005, p. 1 et 3. Tyndall, G.; Gopal, C.; Partsch, W.; Kamauff, J., « Ten Strategies to Enhance Supplier Management », National Productivity Review, vol. 17, n° 3, 1998, p. 31-44. Vallaeys, A., Médecins Sans Frontières : La Biographie, Paris, Fayard, 2004, 764 pages. Van Wassenhove, L.N., « Blackett Memorial Lecture – Humanitarian Aid Logistics: Supply Chain Management in High Gear », Journal of Operational Research Society, vol. 57, n° 5, 2006, p. 475-489. Vol. 17 – N°1, 2009 76