Gérer les chaînes logistiques humanitaires : l`expérience de

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Gérer les chaînes logistiques humanitaires : l`expérience de
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Logistique & Management
Gérer les chaînes logistiques humanitaires :
l’expérience de Médecins Sans Frontières
Hélène GIROUX
Professeure agrégée, HEC Montréal
[email protected]
Martin BEAULIEU
Professionnel de recherche, Groupe de recherche CHAÎNE, HEC Montréal
[email protected]
François COOREN
Professeur titulaire, Université de Montréal
Chaque tremblement de terre, chaque conflit armé, chaque famine nous rappellent
que, malgré toutes nos avancées technologiques et sociales, nous ne sommes pas à
l’abri des soubresauts de la nature ou des conséquences de l’action humaine. Les
médias nous permettent maintenant d’assister presque en direct à ces catastrophes
et captent l’attention du grand public, qui souhaite apporter du soutien aux
populations touchées (Murray, 2005). Toutefois, si les collectes de fonds sont mises
au premier plan, l’important travail logistique qui rend possible toute forme d’aide
est laissé dans l’ombre. Ce n’est que lorsque la machine s’enraye, comme ce fut le
cas lors de la réponse désastreuse des autorités américaines aux inondations qui
ont frappé la Nouvelle-Orléans, que l’on prend conscience que l’aide humanitaire
est aussi affaire de logistique.
Dans les milieux de recherche, la gestion de la
chaîne logistique en contexte d’aide humanitaire fait encore figure de parent pauvre. On
trouve sur le sujet quelques articles parus dans
la presse professionnelle, et ce n’est que tout
récemment qu’il a commencé à faire l’objet
de travaux universitaires (par exemple, voir
Beamon et Kotleba, 2006; Kovacs et Spens,
2007; Pettit et Beresford, 2005). Le nombre
limité d’articles sur le sujet n’est pas surprenant lorsqu’on sait que peu d’attention a
encore été accordée à la gestion des opérations dans le secteur public et dans les organismes à but non lucratif et, plus
généralement, dans le domaine des services
(Johnston, 2005).
Pourtant, selon les agences qui interviennent
lors des catastrophes, 80 % des efforts d’aide
humanitaire sont liés à des décisions logistiques (Thomas, 2003; Trunick, 2005). Une
meilleure compréhension des principaux
enjeux reliés à la logistique humanitaire et le
développement d’outils appropriés pourraient
donc permettre de faciliter le travail des intervenants de ce secteur, d’améliorer la performance des organisations humanitaires et
d’augmenter l’aide offerte aux populations
sinistrées. L’aide humanitaire constitue aussi
un excellent cas de « logistique extrême »,
dont l’étude peut servir à mieux préparer tous
les responsables logistiques à la gestion des
opérations en situation de crise (Kiser et Cantrell, 2006). Par définition, le déploiement de
la chaîne logistique humanitaire est réalisé
dans un contexte difficile. La catastrophe
humanitaire est généralement imprévisible et
exige une réaction rapide (Sowinski, 2003;
Tovia, 2007). Les besoins sont nombreux et
variés : hébergement, eau potable, nourriture,
soins de santé, vêtements, équipement lourd,
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systèmes de communication, etc. Les infrastructures de transport et les moyens de communication sont souvent abimés ou
inutilisables (Long, 1997; Perry, 2007). Enfin,
on doit parfois travailler dans un contexte
d’affrontement où des luttes territoriales et
des conflits armés rendent le transport dangereux et forcent les intervenants à modifier
leurs itinéraires pour se plier aux restrictions
locales ou éviter les zones critiques (Pettit et
Berresford, 2005; Van Wassenhove, 2006).
Par ailleurs, l’aide humanitaire se déploie de
différentes façons (Oloruntoba et Gray,
2006). Il peut s’agir d’une aide d’urgence
dont l’objectif est de générer des impacts
positifs à très court terme, comme c’est le cas
suite à une catastrophe naturelle (Peck, 2005;
Pettit et Beresford, 2005). On s’inscrit alors
dans une logique de flux poussé (push system), puisqu’il s’agit d’acheminer les produits
requis le plus rapidement possible, mais seulement pendant un temps limité (Maïola,
2007). Mais il peut aussi s’agir d’un travail de
plus longue haleine visant la remise à niveau
des conditions de vie d’une communauté, par
exemple, dans les situations de réfugiés d’un
conflit armé ou dans les cas de soins de santé
aux populations démunies (Peck, 2005; Pettit
et Beresford, 2005). On est alors davantage
dans une logique de flux tendu (pull system),
puisqu’il faut mettre en place une infrastructure logistique permettant une aide à plus long
terme et capable de répondre de manière
répétée et continue aux besoins des intervenants qui sont sur le terrain.
Jusqu’à maintenant, les quelques travaux
consacrés à l’étude des chaînes logistiques
humanitaires ont surtout porté sur les situations d’urgence (Beamon et Kotleba, 2006;
Kovacs et Spens, 2007; Long, 1997; Pettit et
Beresford, 2005; Tovia, 2007), négligeant les
mandats de remise à niveau des conditions de
vie de communauté. L’étude réalisée par Thomas (2004) a bien permis de mettre en évidence les enjeux de gestion de la chaîne
logistique, mais les conclusions dégagées
sont plutôt générales.
Nous croyons qu’il serait utile de porter
davantage attention aux pratiques logistiques
des organismes humanitaires dans le cadre de
missions de longue haleine, et aussi de mieux
saisir les enjeux opérationnels de la logistique
humanitaire. Cet article se veut un premier pas
dans ce sens. Notre objectif est d’analyser
d’une manière plus intégrée le processus de
réapprovisionnement de programmes d’aide
humanitaire dont les actions se déroulent sur
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plusieurs mois, sinon plusieurs années. Le cas
étudié sera celui de Médecins Sans Frontières
(ci-après MSF), une organisation réputée
pour l’efficacité de sa plate-forme logistique
et qui se méritait, en 1999, le Prix Nobel international de la paix « en reconnaissance de sa
qualité d’organisation pionnière dans l’aide
humanitaire sur plusieurs continents »
(Nobelpreis, 2007).
Cet article comporte trois sections. Dans un
premier temps, nous décrirons nos sources
d’information ainsi que le cadre d’analyse
que nous avons retenu. Nous présenterons
ensuite MSF et les principales activités réalisées pour le réapprovisionnement des missions humanitaires de l’organisme. Enfin,
nous ferons ressortir les principaux éléments
clés de la gestion d’une telle chaîne logistique.
Description de l’étude
Collecte de données
Cette enquête s’inscrit dans un programme de
recherche plus vaste visant à étudier une organisation humanitaire en action (Cooren et al.,
2007). Le choix de Médecins Sans Frontières
comme cas d’étude s’est rapidement imposé,
d’une part par l’ampleur de ses activités et de
son infrastructure logistique, d’autre part
parce qu’il s’agit d’une des rares organisations humanitaires disposant de sa propre
plate-forme logistique en France (Grelet,
2005). De plus, la direction de MSF était prête
à accueillir les membres de l’équipe de
recherche et à leur permettre de réaliser des
entretiens en profondeur avec différents intervenants, tant au siège social à Paris qu’aux
installations logistique de Bordeaux et sur le
site même de missions en République Démocratique du Congo, au Sri Lanka, en Jordanie
et au Niger.
Les résultats présentés ici proviennent des
entrevues réalisées auprès des responsables
des différentes activités reliées à la gestion du
matériel chez MSF Logistique (Bordeaux) :
transport et expédition, gestion de la réception
de la marchandise et du contrôle de la qualité,
recherche et certification des fournisseurs,
gestion des achats, contrôle des commandes
reçues, assemblage des commandes et des
trousses (kits) pré-assemblées, et enfin amélioration des processus. Nous avons également rencontré un coordonnateur de mission
au Congo. Ces entrevues nous ont permis d’avoir une vue d’ensemble du circuit des marchandises entre la plate-forme logistique et
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une mission sur le terrain. Les entrevues ont
été filmées et les entretiens ont été retranscrits
verbatim. Le recours à une caméra vidéo permet d’enrichir les informations lorsque les
répondants décrivent certaines pratiques de
travail et nous accompagnent dans une visite
des entrepôts. La collecte des données s’est
effectuée en 2005. Les renseignements obtenus lors des entretiens ont été complétés par la
consultation de divers documents : articles de
presse, livres, documents internes, etc.
Cadre d’analyse
Pour l’analyse des données, nous avons cherché à reproduire la chaîne des activités permettant de gérer le flux de matières entre la
plate-forme logistique de MSF et les missions
sur le terrain. L’analyse veillait aussi à dégager les paramètres de décisions que devaient
intégrer les intervenants de la chaîne logistique.
La chaîne logistique peut être représentée de
différentes manières et aucun modèle ne s’est
encore imposé (Burgess et Singh, 2006).
Cependant, le modèle SCOR (Supply-Chain
Operations Reference model) semble en voie
de devenir ce qui se rapproche le plus d’un
cadre normalisé de schématisation de la
chaîne logistique (Barnard, 2006). Il s’agit
d’un modèle assez général pour être applicable à différents secteurs d’activité et qui a
déjà été utilisé pour étudier la chaîne logistique d’une entreprise manufacturière
(Rabelo et al. 2007). Bien que son application
directe au secteur des services semble moins
évidente (Auton, 2006 ; Ellram et al, 2004),
nous croyons à sa pertinence dans la mesure
où on en limite l’utilisation à l’analyse des
enjeux liés au flux des matières et de l’information. Son utilisation nous semble possible
pour l’étude des chaînes logistiques humanitaires en ne procédant qu’à quelques ajustements mineurs.
Le modèle SCOR identifie cinq processus :
1. Le processus de planification, qui consiste
à évaluer, à agréger et à prioriser les besoins et la demande, à déterminer les niveaux des stocks et les capacités de
production, et à préciser les plans de production et de distribution. Ce processus
peut aussi inclure les décisions de configuration de la chaîne logistique, par
exemple les analyses concernant l’impartition de certaines activités.
2. Le processus d’achat, qui concerne les activités associées à l’acquisition des intrants, à leur réception, au contrôle de la
qualité ainsi qu’à la sélection et à la certification des fournisseurs.
3. Le processus de production consiste généralement à lancer des requêtes et à obtenir
le matériel, à le transformer, à contrôler la
qualité des extrants et à emballer les produits finis. Dans le cas de MSF, ce processus correspond à la prestation de soins
médicaux aux populations desservies.
Mais puisque la production des services
de santé consomme les matières plutôt que
de les transformer, notre analyse se limitera aux activités de réapprovisionnement
sur le site des missions, lesquelles sont directement reliées au flux du matériel et de
l’information.
4. Le processus de livraison, dans le modèle
SCOR, peut inclure la gestion de la demande, la gestion des commandes des
clients, la gestion des entrepôts et la gestion du transport. Dans le cadre de notre
étude, nous inclurons essentiellement
dans ce processus les activités de transport, qui sont probablement les plus délicates dans le contexte de l’aide
humanitaire.
5. Le processus de gestion des retours comprend les activités de retour des produits,
la gestion des surplus d’actifs et les activités de réparation.
Ainsi, ce découpage en cinq processus nous
servira de cadre pour analyser les pratiques
logistiques mises en œuvre par MSF.
Le cas de MSF
Bref historique de l’organisation logistique
Nous ne comptons pas ici retracer l’historique
et le développement de MSF, d’excellents
ouvrages existant déjà sur le sujet (par
exemple, Vallaeys, 2004). Il faut toutefois en
rappeler les grandes lignes pour mieux comprendre la manière dont ont évolué les pratiques logistiques de l’organisation.
À la fin des années 1960, les conflits internationaux prennent des formes de plus en plus
variées, selon qu’ils se développent autour
d’enjeux politiques, économiques, ethniques
ou religieux. Ainsi, lors de la guerre de sécession du Biafra (1967-1970), des médecins
français recrutés par la Croix Rouge française
sont horrifiés par ce qu’ils considèrent être un
génocide et, en réaction à la position de neutralité adoptée par la Croix Rouge, décident de
créer une organisation plus libre de sa parole
et de ses actes. Ils se joignent un peu plus tard
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à un groupe qui s’était porté au secours des
victimes des inondations au Pakistan pour former, le 20 décembre 1971, l’association
Médecins Sans Frontières. L’organisation se
présente comme un regroupement de médecins pouvant soutenir l’action d’autres organisations internationales spécialisées dans
l’assistance au Tiers-Monde (Conseil de
l’Europe, 2004) et elle se déploie dans ce que
Benquet et Vallaeys (2006) qualifient
d’« amateurisme généreux. »
1 - Précisons que MSF Belgique
a créé en 1989 sa propre
centrale d’approvisionnement,
MSF Supply. Cette centrale offre
une solution logistique globale à
MSF Belgique ainsi qu’à
d’autres organisations
humanitaires. En 2006, la
direction de MSF Logistique
envisageait d’ailleurs le
développement d’actions
concertées avec MSF Supply
(Massis et al., 2006). À ce jour,
les deux plates-formes peuvent
se soutenir en échangeant du
matériel manquant à l’un ou
l’autre des entrepôts et qui serait
nécessaire afin de répondre à
une urgence sur le terrain.
En 1979, MSF doit faire face à un manque flagrant de ressources, surtout financières. Cette
crise mène à une scission entre les partisans du
discours social et ceux qui privilégient une
action plus concrète, rupture qui laisse finalement la direction de l’organisme à ces derniers. L’un des dirigeants de MSF se rend
alors aux États-Unis pour profiter du
savoir-faire des organismes humanitaires
américains (Dupuy, 2001), ce qui conduit
éventuellement à l’embauche de spécialistes
techniques et à la création d’un service de soutien aux opérations (MSF, 2007). Parallèlement, MSF s’était aventurée dans des
missions de longue durée (Vallaeys, 2004), si
bien que la mission de MSF consiste maintenant à apporter des secours aux populations en
détresse, qu’elles soient victimes de catastrophes d’origine naturelle ou humaine, et son
action s’étend aux situations de conflits ou
post conflits, aux épidémies et aux endémies,
à la relance des systèmes de santé locaux et
aux soins à apporter aux groupes exclus (Conseil de l’Europe, 2004). Aujourd’hui, l’organisation est formée de cinq sections
opérationnelles (Belgique, Espagne, France,
Pays-Bas et Suisse) qui organisent des opérations humanitaires sur le terrain et de 14 sections non-opérationnelles qui contribuent à
faire connaître l’organisation et à recueillir
des fonds. En 1991, les différentes sections de
Médecins Sans Frontières créaient MSF International, dont le rôle est d’assurer le respect
de la Charte de l’organisme et la coordination
des opérations effectuées par les différentes
sections.
MSF est maintenant une organisation de
bonne envergure. À titre d’exemple, en 2005,
la section française de MSF comptait à elle
seule jusqu’à 41 équipes de coordinations présentes dans 38 pays et travaillant sur un total
de 125 programmes, ce qui correspond à plus
de 5 700 postes sur le terrain et à un budget de
fonctionnement de 115 millions d’euros, dont
90 millions directement affectés aux missions
(MSF, 2006).
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Les activités logistiques ont évolué avec l’organisation. Jusqu’au début des années 1980,
les membres de l’équipe médicale sur le terrain se relaient pour assurer les approvisionnements mais les missions prenant de
l’ampleur, on crée des postes d’intendants
pour faciliter le travail du personnel soignant.
En 1982, MSF charge le docteur Jacques
Pinel de mettre en place une structure permettant d’assurer la logistique des missions à partir de Paris. En effet, si certains pays de
mission sont suffisamment développés pour
permettre un approvisionnement facile sur
place, ce n’est pas le cas de beaucoup de pays
d’Afrique, où le réseau téléphonique est peu
développé et où les médicaments et les véhicules motorisés sont rares. Le docteur Pinel et
son équipe mettent donc en place un réseau de
radiocommunications et standardisent le
matériel roulant pour en faciliter l’entretien
(Pinel et Nzakou, 2006). À cette époque, les
achats de médicaments s’effectuent par l’entremise de grossistes reliés à d’autres ONG.
MSF dispose aussi d’un petit entrepôt dans le
13e arrondissement et utilisé principalement
pour les urgences (Vallaeys, 2004).
Il devient cependant évident qu’il faut consacrer davantage d’efforts aux activités logistiques si on veut être en mesure de répondre
adéquatement aux besoins particuliers des
missions. Le 19 octobre 1986, on crée donc
MSF Logistique pour prendre en charge l’achat et le pré-stockage du matériel logistique
(Pinel et Nzakou, 2006). Initialement située à
Narbonne, puis à Lézignan (Aude), MSF
Logistique établit une vaste plate-forme logistique à Bordeaux-Mérignac en 1992. Le site
de 36 000 m² – dont 2 700 m² pour l’entreposage – est retenu en raison de la proximité
d’un aéroport international et de la facilité d’y
réinstaller les employés.
En 2005, MSF Logistique compte 66
employés et son volume d’achat s’élève à 45
millions d’euros. Près de 80 % des activités
vont au réapprovisionnement des missions
des sections française, suisse et espagnole de
MSF et, à l’occasion, d’autres ONG telles que
Médecins du monde ou la Croix-Rouge1. La
plate-forme logistique de Bordeaux-Mérignac gère ainsi plus de 14 000 références,
dont 2 500 sont stockées, et elle expédie plus
de 15 000 tonnes de marchandises à 70 pays.
En plus du stockage et du réapprovisionnement des articles individuels (médicaments,
vaccins, fournitures médicales, denrées, pièces de rechange, équipements pour le traitement de l’eau, matériel de communication,
tentes, couvertures, etc.), MSF Logistique
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produit et expédie plus de 3 800 trousses
médicales et de première nécessité. En 2005,
l’organisation a ainsi traité plus de 2 400 commandes tout en atteignant son objectif d’une
livraison en quatre semaines dans 80 % des
cas. L’atteinte de cette cible se fait toutefois en
acceptant l’envoi de commandes incomplètes
et en multipliant les livraisons différées (MSF
2006). Enfin, bien que l’aire de stockage ait
été presque doublée en 2003, l’espace disponible ne suffit plus à suivre la croissance des
activités de MSF et, selon Gérald Massis (le
directeur du site en 2006), le personnel travaille à la limite de ses capacités.
Constitution et organisation générale
des missions
Pour bien comprendre le fonctionnement des
activités logistiques, il faut d’abord les situer
par rapport à l’organisation globale des missions. Dans un premier temps, le siège social
identifie quelles missions seront lancées,
poursuivies ou abandonnées. Bien que la présente étude porte sur le réapprovisionnement
des missions de moyenne et longue durée, ces
missions ont d’abord eu comme origine une
situation de crise plus ou moins aigüe à
laquelle il a fallu répondre. L’apparition de
nouvelles crises entraîne donc de nouvelles
missions, alors qu’un retour à une situation
plus ou moins normale en rend d’autres moins
pertinentes. Par exemple, en 2005, MSF
France a créé 49 nouveaux programmes
d’aide (dont 34 ont pu être complétés dans la
même année), alors que 25 anciens programmes ont été fermés (MSF 2006). Au choix des
missions s’ajoute la détermination du financement requis et le choix des intervenants sur
le terrain. Outre le personnel de soins (médecins et infirmiers), il est nécessaire d’assigner
un coordonnateur qui verra à la répartition des
ressources entre les différentes missions d’un
même pays. Ce coordonnateur sera appuyé
d’un responsable technique et logistique
(RTL), d’un administrateur qui verra à la gestion des ressources financières et humaines et
d’un coordonnateur médical. Chaque mission
aura aussi son chef. Aux bureaux parisiens
sera aussi constituée une équipe d’encadrement formée d’un responsable de programme, d’un assistant et d’un comptable.
Tous ces intervenants sont susceptibles d’être
en contact avec la plate-forme logistique de
MSF. Le texte qui suit offre une description
plus détaillée des activités logistiques.
Les pratiques logistiques de MSF
La description des activités qui suit provient
de la compilation des informations recueillies
lors des entrevues que nous avons réalisées et
correspond au déroulement normal des opérations de MSF France. Rappelons que les activités sont regroupées selon leur insertion dans
l’un des cinq grands processus définis par le
modèle SCOR.
Le processus de planification. On trouve
chez MSF trois niveaux de planification. Au
niveau stratégique, il faut choisir et réévaluer
périodiquement le choix des ressources et des
moyens mis en œuvre par la plate-forme
logistique de Bordeaux-Mérignac. Comme on
l’a vu plus tôt, par exemple, le choix de la
localisation des installations ne s’est pas fait
au hasard. Dans le même sens, il a fallu décider jusqu’à quel point les activités de transport
seraient imparties. Ainsi, en ce qui a trait au
transport des marchandises, la direction de
MSF Logistique a décidé de retenir les services de transitaires qui voient à sélectionner les
meilleurs prestataires de transports aériens,
maritimes ou terrestres. MSF Logistique
maintient des relations avec plusieurs transitaires afin de préserver une forme de concurrence qui lui assure de bons prix2. Par ailleurs
pour le transport des personnes sur les lieux de
mission, MSF Logistique conserve un contrôle direct sur le choix des prestataires. MSF
Logistique délègue dans les différents pays de
mission des représentants qui vérifieront la
qualité des équipements, la compétence du
personnel, les processus de contrôle de la qualité, le respect des directives, etc.
Le second niveau de planification logistique
est plus tactique et consiste essentiellement à
déterminer la fréquence approximative de
réapprovisionnement de chacune des missions en fonction de différents facteurs. Par
exemple, on cherchera à régulariser les flux
financiers de façon à éviter les sorties importantes de fonds. Naturellement, les conditions
locales auront une grande influence : les facilités de déplacement à l’intérieur du pays, les
possibilités de pillages en cours de livraison,
l’émergence de nouvelles problématiques de
santé qui exigent le réapprovisionnement de
nouveaux articles ou des quantités plus
importantes que celles initialement prévues,
etc. La diversité des conditions conduit à des
fréquences de réapprovisionnement variables : certaines missions peuvent être réapprovisionnées deux fois par mois, alors que
d’autres ne le sont que deux ou trois fois par
année. D’un côté, MSF Logistique cherche à
réduire la fréquence de livraison afin de diminuer le travail administratif lié au dédouanement des marchandises, travail qui échoit au
personnel des missions. D’un autre côté, on ne
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2 - MSF Logistique ne possède
aucun moyen de transport. La
direction juge que le maintien
des équipements exige
beaucoup de personnel et de
matériel, et que des sociétés
spécialisées dans le domaine
sont déjà disponibles sur le
marché.
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veut pas livrer des quantités trop importantes
de marchandises alors que les conditions sur
le terrain peuvent évoluer et que les besoins
peuvent changer rapidement. Les conditions
politiques qui prévalent au pays de mission
ont aussi une grande incidence dans la détermination de la fréquence de réapprovisionnement. Dans ces circonstances, le choix de la
fréquence est effectué conjointement par le
personnel de la plate-forme logistique de Bordeaux et par le responsable de programme
situé au bureau chef de la section du coordonnateur de mission. Naturellement l’avis de ce
dernier est important puisqu’il est le mieux au
fait des conditions locales et des besoins sur le
terrain.
Toujours en matière de planification tactique,
MSF International a instauré en 1994 un
comité de Coordination technique internationale (CTI). Ce comité de travail regroupant
des intervenants des différentes sections voit à
maintenir une cohérence dans le choix des
articles médicaux et techniques. Ce comité se
réunit trois à quatre fois par an et il identifie les
articles jugés standards. Ces articles sont
requis par plusieurs missions et leur demande
justifie de les inscrire dans une base de données. Puisque l’article a déjà fait l’objet d’une
demande d’achat par l’une des sections, tout
le travail de définition des spécifications a été
réalisé. Ainsi, l’article sera accompagné
d’une description technique et d’un code de
produit. La base de données pouvant être
transmise tant en format papier que sur support électronique, les intervenants sur le terrain peuvent s’y référer lorsqu’ils ont des
besoins à combler. Le comité voit également à
retirer de la base de données les articles qui ne
sont plus utilisés.
Le CTI est également responsable de l’établissement et de la révision des nomenclatures
des trousses (kits) qui ont été développées
avec les années. Une trousse est un ensemble
d’articles répondant à un type d’intervention
donné. Par exemple, la «trousse choléra»
comprend tout ce qui nécessaire en cas d’épidémie : perfusions, antibiotiques, savon,
gants, matériel de désinfection, toiles plastifiées, produits pour la chlorination de l’eau,
etc. Les trousses peuvent contenir plusieurs
centaines d’articles et être composées tant
d’articles médicaux que d’équipement et de
fournitures (par exemple, des pompes à eau,
des réfrigérateurs pour la conservation des
vaccins, etc.). Les trousses permettent de simplifier le travail du personnel en leur évitant
d’avoir à commander séparément de nombreux articles qui, de toute façon, sont tou-
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jours utilisés ensemble. Elles permettent aussi
d’éviter les oublis.
Il est bien entendu impossible de prévoir toutes les situations; la base de données proposant les produits standards est donc un guide
et non une norme rigide à laquelle les intervenants sur le terrain doivent absolument se
conformer. De même, les missions peuvent
décider de demander des trousses personnalisées répondant mieux à leurs besoins.
Toujours dans le cadre de la planification tactique, MSF Logistique a créé un poste d’analyste qualité. Ce dernier voit à documenter les
processus, à développer les documents électroniques (définir les champs et les informations à inscrire dans ces champs) et à gérer les
indicateurs de performance. Au moment de
l’enquête, MSF Logistique utilisait plus de 80
indicateurs de performance. Une des fonctions de l’analyste qualité est de standardiser
ces indicateurs et de faciliter leur adoption par
les gestionnaires.
Enfin, il faut procéder à la planification opérationnelle des activités de la plate-forme de
Bordeaux-Mérignac. Les activités de réapprovisionnement sont planifiées une fois par
semaine. La charge de travail peut difficilement être planifiée à plus long terme car la
moitié des commandes à assembler viennent
répondre à des demandes urgentes. Le coordonnateur de la production voit à cette
activité. L’ordonnancement du réapprovisionnement tient compte de l’urgence de la
commande, de la disponibilité des articles en
magasin, des dates de réception des articles
manquants, des trousses à produire et, naturellement, de la capacité d’assemblage. Cette
capacité est directement liée au nombre d’employés. Ainsi, pour faire face à des périodes de
pointe, des employés supplémentaires peuvent être embauchés pour de courtes périodes.
Les responsables des achats, de la réception et
du réapprovisionnement se réunissent une
fois par semaine afin d’identifier quelles commandes seront lancées et, en cas de rupture de
stocks, quelles sont celles qui devront être
mises en attente. Dans ce dernier cas, on décidera également si on procède à une livraison
partielle de la commande, certains articles
pouvant être considérés urgents par le chef de
mission ou le coordonnateur.
Le processus d’achat. Ce processus peut être
découpé en trois grandes activités. D’abord, il
faut certifier les produits et les fournisseurs,
ce qui n’est pas une mince affaire puisque
MSF s’approvisionne un peu partout dans le
monde. L’étape d’évaluation entraîne donc de
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nombreux déplacements et peut prendre jusqu’à un an. En 2006, MSF Logistique disposait de trois spécialistes pour effectuer ce
travail : un pour les produits pharmaceutiques
et les consommables médicaux, un autre pour
les technologies médicales et les consommables de laboratoire et un dernier pour les
autres articles.
Il faut ensuite sélectionner les fournisseurs et
évaluer leur performance. Les critères de
sélection les plus importants pour MSF sont le
prix, la disponibilité et le service; les fournisseurs retenus seront ensuite évalués sur la
base du respect des délais de livraison, sur
l’envoi de tous les documents requis et sur
l’absence de relance. Un des principaux
enjeux est la difficulté de consolider les volumes d’achat pour obtenir de meilleurs prix. En
effet, chacun des pays de mission possède sa
propre règlementation en matière d’importations et il est essentiel de respecter ces règles.
Par exemple, un pays peut n’accepter la distribution d’un médicament particulier que s’il
est emballé dans un certain format. Si d’autres
pays requièrent d’autres formats et que ces
formats ne sont disponibles que chez des fournisseurs différents, il faut alors multiplier le
nombre de fournisseurs pour un produit dont
l’achat aurait pu être consolidé, et entretenir
des relations d’affaires avec plusieurs sources. La multiplication des formats et des types
de conditionnement augmente également le
nombre de références, tant dans les aires de
stockage que dans le système d’information.
Cette situation force aussi les acheteurs à très
bien connaître la règlementation de chacun
des pays de mission et l’offre de produits des
différents fournisseurs.
Un autre enjeu est lié à la gestion des achats
qui sont effectués localement par les intervenants sur le terrain des missions. En effet, tous
les achats n’ont pas à transiter par la
plate-forme de Bordeaux-Mérignac et, pour
certains produits ou dans certaines circonstances, il peut être plus avantageux de procéder à l’achat local. On réduit ainsi les délais
d’approvisionnement, en plus de diminuer les
frais de transport et de douanes. Toutefois, ce
sont alors généralement les intervenants
locaux (chef de mission, coordonnateur, responsable technique ou logistique) qui procèdent aux achats, et il faut s’assurer qu’ils
utilisent de saines pratiques de gestion des
achats. Par exemple, un intervenant peut décider d’acheter localement les clous qui serviront à la reconstruction d’une infrastructure,
alors que ce produit est déjà disponible dans
les entrepôts de MSF Logistique et a été
obtenu à bien meilleur prix que ceux achetés
sur place. Ou encore, le produit est peut-être
disponible dans un pays limitrophe à meilleur
prix que chez le fournisseur local. Les intervenants locaux ont aussi tendance à choisir un
fournisseur avec lequel ils ont déjà fait affaires, mais il ne s’agit pas nécessairement de la
meilleure source possible pour ce produit.
L’amélioration des conditions économiques
locales peut également faire émerger de nouvelles sources d’approvisionnement. Ainsi,
les acheteurs de MSF Logistique doivent
régulièrement relancer les intervenants des
missions pour éviter les faux-pas et leur rappeler d’effectuer une veille des marchés fournisseurs locaux de manière à identifier les
meilleures sources possibles.
Finalement, le personnel des achats effectue
au quotidien le lancement des commandes et
la relance des fournisseurs lorsque les livraisons sont retardées ou incomplètes, travail qui
se fait en coopération avec les responsables de
la réception des marchandises.
Le processus de production / réapprovisionnement. La figure 1 illustre les relations
entre différents intervenants liés au cycle de
réapprovisionnement d’une mission se déroulant au Congo. Une des premières décisions
reliées à ce processus a trait à la manière dont
les demandes de réapprovisionnement seront
transmises, qui doit tenir compte de la situation sur le terrain et des contraintes de communication locales. On cherche donc à
développer des méthodes de saisie et de transmissions qui soient légères et faciles à utiliser.
Par exemple, un document standardisé sur
chiffrier électronique (Excel) a été développé
comme gabarit afin de faciliter la rédaction
des commandes par les responsables technique et logistique. Ce document peut facile-
Figure 1 : Le cycle de réapprovisionnement
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ment être transmis par Internet ou par
télécopie.
conservées aux entrepôts de Bordeaux-Mérignac.
Les commandes sont normalement acheminées directement à la plate-forme logistique
de Bordeaux. On procède à une validation initiale des quantités commandées en fonction
des sommes budgétées. Si la commande comprend des articles hors programme, le bureau
qui a initié la mission devra valider la
demande. Certaines sections conservent un
contrôle financier très étroit sur les activités
sur le terrain. Dans ce cas, la commande transite par le siège social de la section avant
d’être réacheminée à la plate-forme logistique.
Le processus de transport est nécessairement lié de près au processus de réapprovisionnement. Toutefois, tel qu’indiqué
précédemment, il arrive que l’on soit en
pénurie de certains articles; pour éviter de
retarder toute la commande, on la fractionnera
en plusieurs livraisons. À l’inverse, plusieurs
commandes destinées à un même pays de mission peuvent être consolidées et donner lieu à
une seule livraison. Une fois arrivées à destination, les commandes doivent ensuite être
réparties entre les différents sites de mission.
Il arrive que certaines marchandises soient
alors égarées.
Les activités de production de la plate-forme
logistique sont organisées autour de trois
types de stock : les produits réguliers, les
trousses et le stock d’urgence. Pour les produits réguliers, on procède à la pige des articles en fonction des commandes reçues et de
leur ordonnancement. La pige doit tenir
compte des exigences des différents pays de
mission, notamment en ce qui a trait aux dates
de péremption. En effet, certains pays exigent
que les médicaments entrant sur leur territoire
aient une durée de conservation minimale.
Pour s’assurer de respecter cette exigence, la
date de péremption des lots reçus est inscrite
dans le système d’information au moment de
la réception des marchandises à l’entrepôt.
Lors de la pige, on prendra soin d’acheminer
des articles provenant d’un même lot, ce qui
simplifiera la gestion des stocks sur le terrain.
Les trousses sont stockées en permanence et
on doit voir à reconstituer les stocks suite aux
demandes des missions. Dans le cas des trousses contenant un grand nombre d’articles, la
nomenclature a été organisée en modules. Par
exemple, une trousse peut être formée de trois
modules, chaque module comprenant différents articles. Cette structure modulaire permet d’augmenter la flexibilité. Ainsi, une
mission peut souhaiter commander une
trousse dont sera exclu un module particulier
parce que les articles qu’il contient sont déjà
disponibles localement. Précisons que les
trousses ont également une date de péremption, qui sera attribuée en fonction de l’article
dont la durée de conservation est la plus
courte.
Enfin, la réalité de certaines missions exige le
maintien d’un stock d’urgence à la
plate-forme logistique. Ces stocks sont dédiés
à des sections particulières, par exemple MSF
France, MSF Suisse ou Médecins du monde.
Ils représentent environ le tiers des palettes
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La variété des marchandises à transporter
augmente également la complexité des opérations. Les produits périssables doivent être
acheminés rapidement et il est essentiel de
savoir si les chambres froides situées dans les
aéroports ou les ports de destination sont en
bon état de fonctionnement. D’autres produits
exigent des modes de livraison particuliers; le
chlore, par exemple, ne peut être acheminé
par voie maritime.
Il est clair toutefois que les principaux enjeux
de la gestion du transport en contexte humanitaire sont les conditions de transport dans le
pays de mission. En contexte de catastrophe
naturelle, les routes peuvent être inondées,
jonchées de débris ou carrément disparues.
Même si l’on retient l’option du largage
aérien de la marchandise, il faut connaître les
conditions du site de réception. En contexte
de trouble politique, c’est la traversée des
frontières qui peut devenir difficile. Dans certains cas, les autorités locales sont préoccupées de l’image qu’elles projettent auprès de
la communauté internationale et préfèrent
refuser l’aide humanitaire que de sembler
incapables de résoudre elle-même la crise
qu’elles traversent. Pour éviter les surprises
lors de la réception de la marchandise aux
frontières, MSF préfère procéder à un
pré-dédouanement avant d’expédier la marchandise.
Amener la marchandise jusqu’au pays de mission ne signifie pas qu’elle soit arrivée à destination, les sites de mission étant souvent
situés loin des ports et des aéroports. Ici
encore, les conflits armés et les tensions politiques peuvent compliquer le transport. Certains territoires ne peuvent être traversés et
doivent être contournés. Les attaques de
convois et le pillage doivent être prévus, et il
est parfois nécessaire d’obtenir une escorte
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pour s’assurer que la marchandise parviendra
au site de mission. C’est le personnel sur le
terrain qui jugera du meilleur moyen de livraison à l’intérieur du pays et déterminera si une
escorte est requise. De son côté, le personnel
de la plate-forme logistique transmettra toutes
les informations concernant le poids et les
dimensions de la marchandise expédiée, ce
qui permettra aux cadres responsables de la
mission de déterminer le mode de transport le
plus approprié.
Le processus de retour. Même si l’ensemble
des processus précédents prennent en compte
la nécessité de minimiser les retours de marchandises, ceux-ci ne peuvent être totalement
évités, les conditions sur les terrains de mission pouvant évoluer très rapidement. Par
exemple, une épidémie anticipée peut se
résorber soudainement et le stock de médicaments acheminé devient inutile. Il faut alors
évaluer dans quelle mesure ces stocks peuvent
être utilisés ailleurs ou doivent être considérés
comme des pertes. Par exemple, si un produit
pharmaceutique a presque atteint la date de
péremption, il est préférable de le détruire sur
place que de chercher à le récupérer. La destruction doit se faire dans des conditions particulières et selon un protocole très strict; elle
exige souvent diverses autorisations des autorités locales. Ces contrôles sont nécessaires
d’un point de vue environnemental mais aussi
pour s’assurer que la marchandise a bel et bien
été détruite et qu’elle ne se retrouvera pas sur
le marché noir. Pour les marchandises qui
peuvent être récupérées, un processus de
logistique à rebours doit être mis en place :
choix du mode de transport, formalités douanières, identification du poste budgétaire où
doivent être imputés les coûts, transmission
des informations requises, vérification de l’état des produits, réajustement des niveaux de
stock, etc.
Discussion
L’étude du cas de Médecins Sans Frontières a
été l’occasion de mettre en lumière les pratiques logistiques de cet organisme. Ces pratiques sont résumées au tableau 1. Comme on le
voit, les activités logistiques sont réparties
dans trois lieux et entre trois groupes d’acteurs : le siège social de la section opérationnelle, la plate-forme logistique centrale et les
missions sur le terrain. Ce découpage fait ressortir l’importance de la décision de centraliser ou de décentraliser certaines activités
administratives.
Tableau 1 : Répartition des activités logistiques MSF
Activités
Planification des missions
MSF
Logistique
Mission sur
le terrain
X
Planification de l’infrastructure logistique
X
Planification des opérations
X
Certification des produits et des fournisseurs
X
Sélection des fournisseurs et évaluation de la
performance
X
X
Achat
X
X
Lancement des commandes
Validation des commandes
X
X
X
Assemblage des commandes
X
Transport international
X
Transport local
X
X
Gestion des retours et destruction de produits
X
X
D’un côté, la centralisation permet de concentrer en un seul lieu une série de décisions stratégiques et tactiques (Stanley, 1993). Elle
s’inscrit bien dans la logique de professionnalisation poursuivie par MSF et permet à l’organisation de prendre de l’ampleur tout en se
déployant efficacement. Elle permet aussi de
conserver un certain contrôle sur la manière
dont les budgets sont utilisés, ce qui n’est pas
sans importance dans un organisme dont le
fonctionnement dépend des dons de la population. En matière d’approvisionnement, par
exemple, la centralisation facilite la mise en
place de saines pratiques d’achat. Elle favorise aussi la standardisation des produits et des
trousses, ce qui facilite la consolidation des
besoins et l’obtention de meilleurs prix. Au
plan opérationnel, la création de la
plate-forme logistique de Bordeaux est un
exemple de ressources dédiées qui apporte
des bénéfices indéniables en terme de rapidité
d’action, comparativement à d’autres ONG
qui ne sont pas dotées de tels équipements
(Grelet, 2005). Seule une organisation possédant une solide unité opérationnelle centrale
est en mesure à la fois de répondre aux situations d’urgence de grande ampleur et d’assurer le réapprovisionnement continu et efficace
des missions de longue durée.
De l’autre côté, un certain degré de décentralisation est essentiel pour obtenir la flexibilité
qu’exige la nature même des opérations de
MSF. Dans un contexte international, une certaine décentralisation permet de tenir compte
de la distance entre les actions locales et les
décisions centrales (Monczka et Trent, 1992).
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Bureau
MSF
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C’est particulièrement le cas lorsque la situation rend les communications difficiles. De
plus, comme les conditions locales peuvent
changer rapidement, il est nécessaire d’allouer une bonne marge de manœuvre au personnel qui est sur place (Kathawala et
Lingaraj, 1990).
Le principal problème de la décentralisation
est d’assurer l’uniformité et la qualité des pratiques. Comme on l’a vu dans le cas du processus d’achat, il faut relancer régulièrement
le personnel local. Ces relances sont d’autant
plus nécessaires que le taux de roulement du
personnel serait de l’ordre de 30 % (Bokhorst,
2003). Ce pourcentage est beaucoup moindre
que celui d’autres organismes similaires, qui
peut atteindre jusqu’à 80 %, mais il pose
quand même des problèmes en matière de
continuité des pratiques. MSF tente de pallier
cette difficulté en développant des manuels et
des guides qui permettent au nouveau personnel de se familiariser rapidement avec les
méthodes de travail et surtout d’être au fait des
particularités logistiques locales.
Selon Tyndall et al (1998), plutôt que de se
camper dans une logique d’opposition entre
centralisation ou décentralisation complète, il
faut privilégier une structure hydride où le
découpage des tâches entre les niveaux local
et central se fait dans le meilleur intérêt de
l’ensemble de l’organisation. Le découpage
des tâches indiqué au tableau 1 nous porte à
conclure que MSF a cherché à atteindre cet
objectif.
Une structure hybride requiert d’avoir sur le
terrain du personnel ayant une bonne compréhension des enjeux logistiques. De plus, elle
ne peut réussir que si le flux d’information est
solidement intégré au flux des matières. Il est
nécessaire non seulement de communiquer
les besoins en réapprovisionnement mais
aussi de transmettre des renseignements sur la
situation locale, par exemple sur l’état des
infrastructures logistiques ou sur la réglementation locale en matière de contrôle des produits pharmaceutiques.
Bien sûr, l’amélioration et la dissémination
rapide des technologies de l’information a
beaucoup facilité les choses. Toutefois, en
contexte de ressources limitées, il est difficile
de consacrer trop de ressources à l’acquisition
de technologies de pointe au détriment apparent de l’aide directe à la population.
Par ailleurs, il faut pouvoir composer avec la
réalité du terrain et être en mesure de s’adapter
rapidement lorsque l’infrastructure de com-
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munication est insuffisante ou a été détruite à
la suite d’une catastrophe. On a donc retenu
des technologies très souples, un simple chiffrier électronique par exemple, pour
l’échange des données.
En fait, la souplesse est essentielle tout au
long du processus. Même en situation de réapprovisionnement, la chaîne logistique humanitaire opère plus ou moins dans une logique
de crise. Selon un des répondants, 50 % des
livraisons visent à répondre à une urgence, ce
qui doit se faire dans un délai de deux semaines au lieu des quatre à cinq semaines pour
une situation plus normale. On maintient donc
des stocks de sécurité pour faire face à des
changements de dernière minute. La variété
des réglementations et des contraintes locales
impose aussi de maintenir en stock de nombreuses références d’un même article et d’accentuer les activités de veille, ce qui
complexifie encore le travail des logisticiens.
Enfin, les conditions sur le terrain peuvent
s’améliorer ou se détériorer très rapidement,
et la chaîne logistique doit pouvoir se réajuster tout aussi rapidement, au risque de devoir
compenser par des pratiques de logistique à
rebours qui devront elles aussi respecter les
normes locales.
Conclusion
Les crises humanitaires découlant de conflits
politiques ou de catastrophes naturelles ne
vont pas diminuer au cours des prochaines
années. Par conséquent, la mise en œuvre de
chaînes logistiques performantes semble la
seule avenue possible pour atténuer rapidement l’impact de telles situations. Le phénomène reçoit une attention croissante, tant de la
part des milieux universitaires que de la presse
professionnelle. Nous avons cherché à ajouter
à cette littérature en nous tournant vers les
opérations courantes de réapprovisionnement
plutôt que de nous limiter aux capacités de
réponse immédiate à une nouvelle crise.
Comme on l’a vu, même dans ce contexte
considéré comme plus stable, les changements rapides qui peuvent survenir sur le terrain contribuent à maintenir un climat
d’urgence. Les chaînes logistiques humanitaires gagnent donc à adopter une structure
flexible, capable de tabler à la fois sur les
avantages de la centralisation et de la décentralisation des activités.
Nous pouvons dégager de l’étude du cas de
MSF qu’une chaîne logistique humanitaire
peut et doit être gérée avec la même rigueur
que celle des secteurs industriels. Cette
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rigueur est nécessaire pour acheminer aux
missions les bons articles au bon moment, ce
qui constitue un des gages de leur succès. Elle
permet aussi de faciliter le travail des intervenants sur le terrain et de leur permettre de se
concentrer sur l’aide aux populations en
détresse. Enfin, elle assure que les fonds sont
dépensés de la meilleure manière possible,
que l’image de professionnalisme de l’organisation n’est pas entachée et que l’on respecte
bien les règles des pays où l’aide est apportée.
La bonne gestion de la chaîne logistique contribue donc au maintien de bonnes relations
entre l’organisme humanitaire et ses différents partenaires et, dans ce sens, elle contribue au succès à long terme de l’organisation
et de sa mission.
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