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COMPTES R-ENDUS DE LECTURE Dietu BrnNnncuzn, La responsabilité envers les générations futures. Traduit de I'allemand. Paris, PUF (collection Philosophie morale), 1994, 290 p. Considérer que la nature doit faire I'objer dun nsouct moral) revient, en général, à dire que nous en sommes responsables à l'égard des générarions futures: nous sommes tenus de préserver leurs condrtioos d'exisrence er leur sécurité et de ne pas détruire irréversiblement des biens dont ils pourraient rtrer Partr. Dans u n ouvrage publé en 1979 (Dat Prinzil Veraûtw)rtttûg), Hans Jonas en appelarr arnsi à une nouvelle définicion de la responsabiliré Celle-ci ne doir plus êrre conçue comme I'imputation d'un sinisrre à un acre passé donr les conséquences ont été dommageables, mais comme un engagemenr à légard de I'avenir. Un avenrr dont il faur reculer le plus possrble les limites en taison de hni , di I'a le éthiqte anconditiot globah de "{//. C'est ce qu il conviendrait de faire désormais, en raison de la crise envtronnementale. "N On a, à juste rirre, critiqué certe façon d'annoncer la nécessaire réforme de nos comportements " totu l'idairage arugettx de la netace wnant de I'agir hr matn,t2t'. Oî a remarqué que, rour en dénonçant l'utopie technicienne, Jonas en conserve les illusions de route-puissance, ce qur Ie conduit à subsrituer démocrarique. C'esr la ratson pour laquelle de nombreux auteurs ont centé de formuler la responsabrliré envirs les qénérarions 6ltures, en rermes plus rêalistes nous viuons dun, un untvers inceirain, non dans un monde qui court nécessaitement à k n-'".1.'*, Pii,lo\ RuPoniabiriû, rrad. Paris,Ed du Ceri \99o'P 26 tr) Ide,n, p. t9O r en rr) cf C. Larrè!€ er R Lanère, Dz bon atae dc ta narun Pow uw phlonphu 'le ri.unnawnt, Ao'rcr,1997 (.rirrque du pcrncipe rcsponsabrlrre daos le chaPr(re VI) ta I' 1i9 COMPTËS RENDU.' sa perre. Âussi lérhique du furur suppose une attitude prudente, non une conversion utopique à la " nitaplryuqrc dt la uie " de Jonæ De même a-r-on eu en termes à cæur de concevoir Ce double comDaribles avec les souci a présidé aux é de Précau- tion{4/, comme à cel Prendre en considération les générarions furures requiert de les saisir dans leur succession, mais aussi dans Ieur différence La nocion de parrimoine semble pouvoir remplrr cette fonctton. C'est pourquoi des iuristes et des économisres ont cherché à définir la responsabiliré envers les générations furures à I'aide de ce concept. Pour établir qu'il est nécessaire de préserver les incérêts er les condirions de vie de I'humanité furure, on pale de "fatrinoine iaturel ', + p4tintoine ommtn de I'hnunilé >, notions reconnues en droir inrernarionalr"/. " Or il y a deux conceprions juridiques du pacrimoine, la première que I'on pourrair qualifier de subyecive, et la seconde d'objective. Ou bien I'on insrsre (comme on le fait en droit français) sur le (ou les) trrulaire(s) du patrimoine, er sur ses modes de rransmission: la référence cn est alors le patrimoine familial, celui qui suit la lignée des héritiers. Ou bien I'on s intéresse (comme dans le droit germanrque) à l'objer lui-même, à la façon donr on s'en serr; le patrimorne esr alors lun.bien conwn ', et la disrinction principale est ceLle de la possession (jouissance commune, usufruit, droirs d'usage) et de la propriéré (individuelle ou publique). Ces deux acceptions (la filiation er le commun) convergen! vers une mÉmc idée: celle du bon usage. La gestron cn bon père de famille esr le modèle d une conduite prudenre, économe, avisée, visant la continuité: il faut qu'enfants er perits-enfanrs puissent jouir du bren qui va leur échoir en partage. Parrimonialiser un bien, dans I'acception objectrve, c'est le soustraire (du moins partiettemenr) aux lois de l'échange er du marché, c'est en faire un objet d'usage tel que nulle urilisarion n'interdise à quelque autre bénéficiaire d'en jouir. Mais, que I'on insiste sur la communauré des usagers, ou sur la continurcé d'une lignée successorale, le parnmoine est une notion anti-individualiste, qui soumet les individus concernés à une unicé englobanre. le lignage ou la communauré des titulaires (actuels er fururs) C'est dans cerre perspective holisre que la questron des génératrons futures a éré longtemps abordée Quelle que soic la taille du groupe social envisagé (famille, habiranrs des lieux, communaurés professionnelles, religieuses, ou nationales), rl s agit d insérer les individus dans la k untuûatûé det nortt, dlt utudntt et det eûlantt à flditre,llt er de les y soumettre, en leur donnanr les morts pour exemple er les enfants comme devoir. La tradicion généalogique transmec des obligations, des conrrainres, des sacrifices: chaque générarion hérite du devoir de maintenir le parrimoine dans l'érat oir il aurair aimé le crouver. r{i Cf. Olivier codard (ed.), U plin{ip le picaltion dan: la Lonlajn /4 affdi{ b zarzer, INR^ Edrrions & Edinons de la MSH, 1997. iJr Voir, par exemple, Françors Osr, La naruru hot la lot Licotogie à t'lprenp lk droit, La Découverre, 1995 r"' Geneviève Humbert er Jean-ClaLrde Lcfeuvre, A chacun son parrimoine ou palrimoine commun ? lz Marcel Joliver @n.\, Sciznu de la nattre, trienret rL la yrilry'. I:t pdss.a .,lc Itontiàre, CNRS Edirions, 1992, pp. 281-296 (7r C'esr la définition holisre classrque dc Ia narion 120 COMPTES RENDUS Laffirmation individualisre pæse par le rejet de cet enchaînemenr générattonnel " Qrund cbacun pornait t'aliénet hi-nîne, il w pe aliéner w etfant; ih naitsent honnà et libru; hir libaté lerr appatieût;rttl '4 le drlit d'efl ditlltet qx'exx,td), proclame ainsr Rousseau. Que des économistes de I'environnemenc définissent la gestion patrimoniale et le souci des générarions à venir, comme la cransmission d'uoe lrberté, et non d'une contrainte a donc de quot surprendre Le parrimoine érant défini comme un ladaptation à da tttagu aurair pour objectifde p r det potentialités on parrimooiale ns fucures Cela rienr à ce que la démarche prrvrlégie la conception obiective du parri- moine: elle pose alors que la gesrion patrimoniale d'un bien ne peur être ou d'une autre, la jouissance commune d un bien Avec le patrimoine, on ne sort pas ainsi du holisme, quand bien même se proposerair-on de transmettre une capacité de choix, en lreu er place d'une obligarion de transmettre Une théorie individualisre de la solidariré enrre les générations serait-elle flsme. Si I'on applique I pour être rili, doive responsabrliré lon lequel les jugements moraux, faut, pour prendr-e en compce La envers les sutmonter les prélérences sponca- nées qui limitent 13/ 'P. tr6 ie) ls Jean-Jâcques Rousseau, Dr J. de Mongolfier er pa,ùnoniah .lu r."ou/ce' nz 'ro) Dierer Brrnbacher r994 Contrat r0r'a1,1,4, GatTa.onPlète" r III' op cit ' d' fltu. APp/où{ paû lne gmttatiou funru, trad fr' Satian PUF' âussi un principe kancien, mais pour Kant, il sagit d unrversaliser la acrion, un jugement subjecrit r'2l Bien q,r'elle réribliss€, avec le raux d'actualisation, une forme atrénuée de prcférence pour le présent dI) Cest maxime d Lrne t2r COMPTES ]IENDUS Une critique des modèles de solidarité intergénérationnelle proposés par cerre discipline permet alors d'érablir qu'il faur en outre dépæser la préférence de I'ego (nous nous accordons plus d'rmporrance qu'aux aurres) Celui qur sacrifie une part de son bien-être au prott d'un groupe quelconque (famille acruelle, lignée frrrure, amis, voisins, collègues, frères de classe, coreligionnaires ou conciroyens) esr rn n collectnrte rdtion el ' : collecriviste, parce qu'il surmonte la préférence de I'ego, rarionnel s'il ne se satisfait pæ de consentir des sacrifices au bénéfice immédiar du groupe auquel il s'identifie, mais anricipe les conséquences à plus long terme de son entagement. Le " calleuiuiçe rutiaanel , esr I'individu qui estime que son accomplissemenr personnel doit prendre en compte des considérations relevanr de ses responsabilités familiales, de ses fidélirés amicales, de son éthique professionnelle, de ses engagemenrs poliriques, religieux, communauraires ou syndrcaux Mais comment arbitrer entre les prérentions concurrenres des groupes à la Il faut donc surmonrer la préférence affecrive pour le prochain Il suffir pour cela d'universaliser ce que I'individu esrime êrre son droit: la préfé, préférence rence que je m'accorde, je dors l'accorder à tous les autres, quels qu'ils sorenr, proches ou lointains, acruels ou fututl U o tniteralute rationtel , esr, dir Birnbachu, l'égoiin fttilnnel îlry de façon uniurvliée,lrj), il surmonre la préfé" rence morale et affective pour le proche, et prend en compre I'humanrté rour entière, présenre er à venir. Chacun compte pour un, er seulemenr pour un Seule la position de I'universalisre rationnel peur appréhender la responsabiliré envers les générarions furures. Mais cerre égaliré enrre tous les individus présenrs er à vcnir, de par Ie monde, n'interdit-elle pas la spécification de rour devoir porrant sur le fucur 2 tégalité de trairemenr de tous les individus concernés, indépendammenc de leur posirion remporelle, rend le présent er le furur indiscernables Birnbacher parvienr, dans cette universalité absrraire, à rrouver ce qui permet d'orienrer la flèche du remps, sans pour autant rétablir des préférences (comme le serair une préférence pour le futur) qui auraient pour effer de détruire I'universaliré morale. Cela tient à I'irréversibrliré des dommages qui peuvenr être la conséquence de nos actions: en négligeanr d'anricrper leurs effets à long rerme, nous Lmrtons la liberté de ceux qui nous suivronr. C'esr ce qu'onr fait nos ancêcres, en assuranr la révolurion industrielle sur I'exploitatron exclusive des éoergies los siles (non renouvelables); c'est ce que fair norre générarion, en laissanr à nos successeurs le sorn et I'obligarion de gérer Ies déchers nucléaires, comme la nécessité de s'adaprer à d'évenruels changemenrs climariques . É,gaitte rationael évaluanr les écars du monde qui résulteronr de mes chorx, je peux, rationnellemenr, prendre des risques, voire même rescreindre le champ des possibles qui me sera ouver! à I'avenrr, si je juge que le profir immédiac quc ', j'en rrre en vaut la peine. Mais s'il m'esr loisible de m'imposer un risque, ou d'entraver ma lrberré d'action firrure, pour maximiser mon profir immédiar, je ttt) Iz rctpunnblit; . ., ol. tta' Idc'n, p. t)8 it 122 p. 41 COMPTES RENDUS Lirréversibiliré du temps er le principe individualisre (qui cxige de respecrer les idencirés personnelles des individus, présenrs et à venir) Pelmetrent arnsl de définir un cerrarn nombre de devoirs envers les générarions furures, de spécifier les normes idéales de I'urilitarisme (égalité ec universaliré) en normes prarrques, suscepribles de définir des attitudes précises. Permerrent ? Pas rout à fair, et Birnbacher le reconnaîr lui-même Si rarron- Pour que les normes universelles, déduires du poinr de vue qui serair celui de .l'tniiataliçe rationnel,, soient effectivement adoptées par les individus, il les intégrer [aut, e proprc liLacité nais et de lz Pratiqrc re nrcnt Pdr udleurt Eti let tnrlt!Llio tùIdl4, bject it e ' (!(') Jx- . Passer de raires à une déontolo- de o I'tnit'ettaltste ra' tionnel, à celle du " calle*ir.'itte rationnet ,. Dans ces normes de la pratique, on retrouve en premier lie Jonas à l'égard de I'humanitél/7/ (o ne fat tneltre en lhtl ttte exit de l'être hnain,), que Birnbacher élargit, jusqu à un cerlarn maux. Il ne faic, en cela, que suivre le pnncipe urilirarisre qui Bentham, la considérarion morale aux êtres sensibles, er menant une vie conative (les mammifère s)(18) * ne pat ne,lrc eû Pllil I'exttunte de I'bomne e' det ani" tutx âtalût en ,4nl q reqèce! '. qu'elle provoquerait). Viennent, en second lieu, trois obligarions concernânr I'envrronnement Ne mettre en péril une . exilence ftnie ùgne de !'âtte hunan ' signifie d'abord pas 116) D Birnb".h.r, p. zt4. D. Birnbacher, p 187 tt1 Hans Jonas, I'z Prin pc Relqlnrabilité i/8) Su! .es quesrions, cf Jean-Yves -rt J. cha-;n, r99'i. ainsi que Jeàn-Yves Go âroits animau"". iz CarÉerine Larrère er tdr, INRÂ Edrtlons, 1997 (PP r21 7l-81) et la aflt,nanx, Nîmcs, r limrtes de la notion de s)' La crjv entinnnunen COMPTE' RENDUS qu'il faur maintenir des condirions de vie acceprables sur rerre. Quelles que sorent leurc préférences, que nous ne pouvons anticiper, " lu inditidu qti uendront aprù rcu (..,) rc v dittiryaront pat ereîriellnun dc rc !, du naiu /zu leur fo ane aÆ,.ll leur faudra respirer un air non contaminé, boire er utiliser de I'eau pure, tirer une énergie utrlisable des ressources de la nature. Le principe nil norere pur donc se décliner: ( n pe n0buoitt biologiqw u !rychalogiqrc cl4$er dzu eene catégoie daaiont à faoorirct l' tiluariol ûonome ds ratiètu prmièra ,î d.eI ra lM d inelgie, la prérmation dr sol clltitzbh, et la pmteoion tdrllzttt dt ta biospbère contre ufle entaîlit4tion par det genw pathogènu, det rdlannertentr d tlet ûntdnindtiou dldnt du efler à lang te.me,tt')). Ensurte, il convicnt de ne pæ imposer de risques el supplémentaires aux géné- rations à venir, ce qui suppose vigilance quanr aux effers à long terme des décisrons et des actions présentes. n Tant qrc let lttqu! lznt réuetiblet, on peut laisrr tet ginhatiou tttiuntu décider d'elht-ntîntet ti elfu acæptmt ot non de let prcûdre,. I n'en est pas de même, si les rrsques sonc irréversibles (et non négligeables). Ces considérations seraient, selon Birnbacher, au cæur des débars concernant la politique énergétique. Tanr que le développement des énergies renouvelables (qui présentent peu de risques à long rerme) sera enrravé par des considérarions technico-économiques, ranr que les possibrlirés d'économiser l'énergie seront, elles aussi, limirées, il faudra bien choisir entre deux oprions qui présenrent des risques non négligeables à long rerme: I'urrlisarion des sources d'énertie fossile er le nucléaire. Lanalysc serrée à laquelle il se livre le conduir alors à esrimer que I'rmpérarif de vigilance incire à accepter la mise au point de sysrèmes d'explorration de l'énergie nucléaire, mais à en proscrire le développemenr à grande échelle ranr que I'on n'aura pas rrouvé de solurion à long terme au stockage définitifdes déchers En ce qui concerne I'urilisarron d'énergies fossiles, rl conviendrait de préparer une ,t; u?nto,t, (en faveur des énergres renouvelables, er évenruellement du nucléaire) en arrendant d'avoir des scénarios d'évolurion du clrmat (due à I'effet de serre) mieux fondés qu'ils ne le sont acruellemenr. Enfin, if convienr de . couenet et d'anéliorn let ratowtet natureller et c ltnrellet là d'une . prh,oynte pzritirc, qui revienr à améliorer, autanr que possible, les condrrrons de vie des hommes. C'est ici que Birnbacher entame s^ ( rnznbe à on de I'unrversalisme au collectrvrsme rarionnels On peut tenir ainsi le raisonnement universalisre s'agissanr des ressources naru- exirtdnter '. Il s'agit ru ' qwl il oit hi-nêw ". deux er de vue du " Les ations concernent la solidarité enrre les sénérations successeuru: elles relèvenr intégralemenl du poinr nwl,. Celur-ci est conduir à transmertre à sei descendanrs les normes de comporremenr du groupe auquel il apparticnr, et donc d'éduquer . les enfanrs , à li responsabilrrienvers le hrrur/2"1.'Le senr;menr de actuelles Si."Uu.t'... o. tql. -r2ol O. D. Bi.nbacher, p. 219. 124 COMPTES RENDUS solrdarité qu'il p€ut éprouver pour peur s'insciire àe même dans une nant à d'autres SrouP€s I suffit de sourenir effort une ces rs leurs propres successe trouvent con(raints groupes étrangers dans leurs ieurs, même s'ils vivenr dans d'adoprer une forte préférence pour le présent. Birnbacher s'emploie alors à montrer q.ue ces n wr'tttet de la PldtiErc ' ne sau' raienr être mrses en ceuvre par les mécanismes du marché, mats qu'une érhique du furur, fondée sur I'urilirarisme, comme celle qu'il a tenté de définir, esr comparible avec la démocrarie (ce qur s'entend comme une critique de Jonas) Louvrage rigou- rcusement 2 rures dans I Sruart Mill. ons Âr- ham et conlre_ intuitifs, qui rendenr la lecrure parfois ennuyeuse) sur cette échique universalisre un ensemble cohérent de normes Pratrques, il doit, dès qu il s'artache à dès qu'il passe des inrerdits aux abstrait, renir compre des préfédirc expltcitemcnt, à unr thÉurrr normes proposées sonr justifiées rransmissible (aux descendanrs de ce groupe) Comme si une théorie individualiste de Ia solidarité intergénérarionnelle était nécessairement rncomPlète Catheflne LARRÈRE (UFR de Philosophie, Bordeaux III) Rd\hz.l LARRÈllE (lNRA, IvrY) 125