nouveau Code civil : réforme à droit constant
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nouveau Code civil : réforme à droit constant
Analyses droit civil Nouveau Code civil : réforme à droit constant ? Aperçu des principales dispositions, innovations et premières critiques L’article 8 de loi du 16 février 2015, dite «de modernisation et de simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures», habilite le gouvernement à procéder, par voie d’ordonnance, à la réforme du droit des contrats et des obligations dans un délai de douze mois. Le calendrier prévisionnel distribué lors de la conférence prévoit de soumettre le projet au Conseil d’Etat à partir de septembre et le dépôt du projet de loi de ratification de l’ordonnance avant la fin du 1er semestre 2016. La consultation publique lancée par le ministère de la Justice a pris fin le 30 avril dernier. L es enjeux de cette réforme étaient notamment d’améliorer l’attractivité du droit français, la sécurité juridique ainsi que la justice contractuelle. Il s’agissait de codifier les décisions de la jurisprudence : peut-on pour autant qualifier le texte de l’ordonnance comme opérant à droit constant ? Quelles en sont les innovations ? Quelles sont les objections que ce dernier peut soulever ? Par Stéphane Lemarchand, associé, Une réforme à droit constant ? La consécration de grands principes ainsi que de nombreuses solutions dégagées par la doctrine et la jurisprudence semblent indiquer une réforme à droit constant. Cependant, d’autres solutions jurisprudentielles sont au contraire remises en cause ou modifiées. Consécration de grands principes et de solutions jurisprudentielles Le texte réaffirme tout d’abord la liberté de contracter et de ne pas contracter, du choix du cocontractant, du contenu et de la forme du contrat au sens de l’article 1102 du Code civil. Cet article pose le principe de la portée générale de la liberté contractuelle sur la personne, le contenu et la forme du contrat, suivi des termes «dans les limites fixées par la loi». Cette expression a une portée symbolique forte puisqu’elle indique la limite légale du principe de liberté précédemment affirmé. En outre, sont consacrés la formation et l’exécution de bonne foi des contrats (article 1103), le principe du consensualisme (article 1171), le parallélisme des formes (article 1173) ainsi que l’affirmation d’un devoir général d’information (article 1129). En second lieu, l’ordonnance consacre des notions et solutions dégagées par la doctrine ou la jurisprudence. Ainsi, les contrats consensuels, solennels, d’adhésion et de gré à gré sont définis aux articles 1107 et 1108. La formation du contrat requiert, au sens de l’article 1113, la rencontre de l’offre et de l’acceptation. L’article 1116 consacre le régime de la révocation de l’offre et l’article 1117 précise que la révocation fautive de l’offre ne peut engager «que la responsabilité extracontractuelle de l’offrant», ne semblant pas donner de statut particulier à l’offre ; 6 Mercredi 13 mai 2015 ni établir de hiérarchie avec le régime des «pourparlers», mais seulement avec celui du contrat de promesse unilatérale. L’article 1120 intègre dans une certaine mesure, les décisions de jurisprudence concernant le porte-fort notamment, selon lesquelles si le tiers ratifie le contrat, le porte-fort est dégagé de sa promesse : «Les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées. En cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet.» L’article 1142 dispose que la violence économique peut résulter de l’abus de l’état de nécessité ou de dépendance dans lequel se trouve une partie pour obtenir un engagement qu’elle n’aurait pas souscrit si elle n’avait pas été dans cette situation de faiblesse. Ce type de situation était déjà sanctionné par la jurisprudence, qui avait étendu le vice de violence du Code civil, et par les droits spéciaux, dans les relations avec les consommateurs comme avec les professionnels, y compris par la nullité de la clause ou du contrat (art. L. 442-6 C. com, art. L. 122-8 C. conso). La jurisprudence Chronopost est consacrée à l’article 1168 du projet de réforme, selon lequel la clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. En effet, la jurisprudence avait déjà sanctionné sur le fondement de la cause les clauses qui contredisent la portée de l’obligation essentielle du contrat (Com. 29 juin 2010, n° 09-11.841). De plus, les droits de la consommation ou de la concurrence comprennent des mécanismes permettant de contester les stipulations qui affecteraient l’équilibre du contrat. Les articles 1211 à 1216 prohibent les engagements perpétuels et les règles relatives à la durée des contrats. Est également intégrée la possibilité de résolution unilatérale du contrat, indépendamment de l’application d’une clause résolutoire (articles 1224 et 1226). Il semble ainsi pertinent d’évoquer, dans une certaine mesure, une réforme à «droit constant». Mais des solutions jurisprudentielles sont au contraire remises en cause ou modifiées par le projet de réforme. Analyses Mais une jurisprudence parfois contrariée La réticence dolosive est consacrée, mais de manière restrictive. Le dol tel que prévu par l’article 1116 du Code civil consiste en des manœuvres destinées à tromper son cocontractant, mais la jurisprudence avait créé la notion de réticence dolosive. Le projet d’ordonnance à l’article 1136 définit comme dol la «dissimulation intentionnelle d’une information» à l’autre partie, information que le contractant «devait lui fournir conformément à la loi». La promesse unilatérale voit son efficacité renforcée par l’article 1124. Au sens de l’alinéa 2 du présent article, la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter ne peut empêcher la formation du contrat promis. L’efficacité de la promesse unilatérale en est ainsi significativement renforcée. En effet, en l’état actuel du droit, la levée de l’option a pour conséquence principale la formation du contrat synallagmatique avec les conséquences liées à son exécution. Ce raisonnement a amené les tribunaux à permettre au promettant de retirer la promesse avant la levée de l’option, ou encore à considérer que la substitution du bénéficiaire n’était plus possible après la levée de l’option, rencontre de la volonté des parties, sauf à considérer qu’il s’agissait dès lors d’une nouvelle vente. La levée de l’option n’a donc pas pour conséquence de permettre aux parties de conclure un contrat, dont les dispositions pourraient éventuellement être négociées, mais entraîne automatiquement la formation du contrat. Il en est de même de l’efficacité du pacte de préférence, les sanctions de nullité et de substitution étant introduites lorsqu’un contrat a été conclu en violation du pacte avec un tiers qui en connaissait l’existence (article 1125). La «cause» disparaît des conditions de validité du contrat (article 1127), mais les solutions fondées sur cette notion sont maintenues : le contrat ne peut déroger à l’ordre public par son but (article 1161), et est nul le contrat à titre onéreux en cas de contrepartie illusoire ou dérisoire au moment de sa formation (article 1167). Les innovations Le projet de réforme comprend un certain nombre d’innovations, parmi lesquelles pourraient figurer certaines des dispositions du paragraphe consacré aux dispositions contrariant la jurisprudence telles qu’en aperçu ci-dessus. L’innovation majeure est certainement la généralisation de la législation sur les clauses abusives au terme de l’article 1169 du projet de réforme. Jusqu’à présent, la suppression des clauses abusives par le juge est une solution ponctuelle et légitime à des problèmes précis : la protection du consommateur et le déséquilibre des relations commerciales. Le projet de réforme l’érige en véritable principe général des contrats. La théorie de l’imprévision est reconnue à l’article 1196 : si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend son exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’a pas accepté d’en assumer le risque, cette partie peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Si la renégociation n’aboutit pas, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat, ou bien une partie seule peut lui demander de mettre fin au contrat. Le texte crée également la cession de dette aux articles 1338 à 1339-1 : «Un débiteur peut céder sa dette à une autre personne. Le cédant n’est libéré que si le créancier y consent expressément. A défaut, le cédant est simplement garant des dettes du cessionnaire.» Par ailleurs, des dispositions sur un droit d’exécution forcée en nature et la possibilité reconnue au créancier de réduire proportionnellement le prix en cas d’exécution imparfaite du contrat (art. 1223) ainsi que des conventions sur la preuve sont introduites, ainsi qu’une faculté d’action interrogatoire (articles 1125 et 1157). Enfin, un chapitre entier est consacré aux «restitutions» (articles 1353 et suivants). et Isabelle Eid, counsel, DLA Piper Et des critiques… avec un rôle mécaniquement croissant du juge Le projet a déjà suscité des commentaires et des interrogations qui figureront sans doute dans les réponses à la consultation de place lancée par le ministère, et dont voici un rapide aperçu : - La violence économique consacrée par l’article 1142, suscite des interrogations quant au champ du vice ainsi consacré (hypothèses plus larges que celles retenues par la jurisprudence actuelle, mais exigence d’un «abus»), et la sanction unique (nullité) – trop brutale – qui ne correspond à l’intérêt d’aucune des parties au contrat. - L’article 1169 prohibant les clauses créant «un déséquilibre significatif», dont la rédaction actuelle illustre les difficultés que génère la consécration – sous forme de principe général – d’une solution qui a montré son intérêt dans les droits spéciaux. Les raisons qui ont conduit à l’adoption de certaines solutions en droit de la consommation ne se retrouvent pas nécessairement en droit commun des contrats. Puis, le texte suscite les interrogations suivantes : - Quelles sont les dispositions qui sont d’ordre public (soustraites à la liberté contractuelle) et celles qui ne le sont pas ? - Comment s’effectuera l’application dans le temps de la réforme (quelles dispositions s’appliqueront aux effets futurs des contrats en cours ?) - Comment s’articuleront harmonieusement droit commun des contrats et solutions des contrats spéciaux, notamment lorsque le premier recueille certaines des solutions des seconds tout en retenant des formulations voisines, mais non identiques ? Enfin, de manière générale, le texte proposé par le projet d’ordonnance semble multiplier les «notions-cadre», au contenu parfois imprécis, augmentant de façon mécanique le rôle accordé au juge dans la mise en œuvre du contrat – parfois pour en redéfinir même les conditions – et par conséquent, l’imprévisibilité de certaines des solutions en définitive retenues. n Mercredi 13 mai 2015 7