Valorisation des algues vertes : arrêtez vos salades

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Valorisation des algues vertes : arrêtez vos salades
MARÉES VERTES
Valorisation des algues vertes :
arrêtez vos salades !
«Arrêtez vos salades». Tel était le slogan affiché contre les marées vertes dans le métro
parisien qui avait défrayé la chronique en 2011. En 2014, ce slogan est toujours d’actualité
© ERB
© Claire Laspougeas / Agence des aires marines protégées
mais il faudrait le reprendre dans son sens premier tant la désinformation a été poussée loin.
Entéromorphe, nouvelle menace
liée à l’eutrophisation
En dehors du projet Morgane de méthanisation
des algues vertes en 2008, Olmix/Agrival « bricolait » de petits programmes de recherche de type
Valoralg avec un budget ne dépassant guère le
million d’euros, et ayant pour ambition de «caractériser des actifs issus d’algues invasives et proliférantes» (principalement Soliera et Sargasse).
Ce projet est devenu «VB2» avec un budget de
3 millions d’euros. Mais l’opportunité de faire
croire que l’on pouvait régler le problème des
algues invasives était trop belle et, en 2012, était
monté le projet ULVANS pour un budget de plus
de 26 millions d’euros, avec comme volonté affichée la «création d’une filière de valorisation des
ulves, de la récolte à la commercialisation de produits innovants pour les secteurs de la nutrition
et de la santé animale», et pour objectif premier,
ni plus ni moins que de : «remplacer les protéines
animales utilisées dans l’alimentation animale et
l’élevage aquacole» !
« ULVANS permettra de réaliser un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros et de créer au
moins 300 à 500 emplois directs » avec pas moins
de 50 000 tonnes d’ulves par an. Pour y arriver, on va reconvertir dans le cadre de l’aide à
la ré-industrialisation (ARI) des bâtiments pour
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30%, voilà la mortalité occasionnée sur les tellines
dans les traces de cet engin de ramassage.
le montage d’une ligne de lavage d’ulves. Cette
« bio-raffinerie» sera inaugurée lors d’un « show
à l’américaine » en septembre 2013. C’est donc
près de 5 millions d’euros d’argent majoritairement public qui auront déjà été engouffrés dans
le projet.
De l’art de la récolte
La triste réalité est qu’à mi-parcours, en juin 2014,
il n’y a pas beaucoup d’algues à laver puisque
moins de 1000 tonnes d’ulves ont été collectées
depuis le début du projet. Et encore faut-il compter les ulves récoltées en mer par la barge Corto
financée dans le cadre des plans de lutte contre
les marées vertes et pilotée par Brest Métropole
Océane et le Parc Marin d’Iroise ? Cette expérimentation a permis en 2013 de collecter 83 tonnes
d’ulves, rétrocédées à Agrival et mis en épandage
pour la plupart en raison d’une qualité d’algue
insuffisante... Mais le consortium (Olmix/Agrival)
avec plus de 10 millions d’euros de subventions a
donc de gros moyens pour récolter «proprement»
les marées vertes. Sa technique de récolte d’algues dans le rideau, c’est-à-dire dans la zone de
déferlement des vagues, est LA solution. Le hic
MARÉES VERTES
est que le consortium avait oublié qu’il fallait
des autorisations, donc beaucoup de « tracasseries administratives françaises injustifiées »
pour pouvoir circuler sur le Domaine Public
Maritime. Tout cela retarde bien sûr le développement de la filière... et encore plus quand
les algues vertes ont la mauvaise idée d’aller
s’échouer dans des zones protégées comme
le Parc Marin d’Iroise, où des agents peuvent
contrôler que cette technique de récolte est très
impactante pour l’environnement. En effet à
chaque déplacement, la technique occasionne
des mortalités de tellines qui avoisinent les 30%
dans les traces de l’engin. Qu’à cela ne tienne,
on équipera l’engin de chenilles à la place des
roues et on réessayera dans des zones moins
«fragiles» et surtout moins surveillées où l’on
ne nous demandera pas d’études d’incidences...
Les élus des communes littorales sont assez preneurs de cette technique de ramassage, car ce
ne sont pas «leurs» contribuables qui auront à
supporter le coût d’évacuation des algues vertes
sous 48 heures comme c’est l’obligation actuellement, ce seront tous les contribuables français.
Et effet tout cela sera noyé dans la masse de
subventions accordées à ULVANS par la Banque
Publique d’Investissement (BPI) dans le cadre
de l’aide aux projets d’Innovation Stratégique
Industrielle (ISI) pour favoriser l’émergence sic :
« de champions européens ou mondiaux ! »
Une stratégie industrielle hasardeuse
Comment les brillants économistes de la BPI
ont-ils pu cautionner de telles fumisteries ?
N’ont-ils aucune conscience à ce point des réalités industrielles ? Comment peut-on valoriser
économiquement une algue contenant plus de
90 % d’eau en la lavant à plus de 100 km de
son point de récolte et en l’hydrolysant à plus
de 150 km encore plus loin ? Point besoin de
bilan carbone pour voir, sinon l’aberration écologique, au moins l’aberration économique !
La stratégie industrielle est-elle de mettre des
« bio-raffineries » le long des côtes à échouage
d’algues vertes, en compétition avec les installations de compostage financées à gros renfort
de subventions par les collectivités publiques ?
Une vraie compétition industrielle sur une «ressource» que l’on cherche à éradiquer !
D’autant qu’on semble ignorer les expériences
déjà conduites sur le sujet depuis 25 ans ! Car
Olmix n’est ni innovant ni pionnier en matière
de valorisation des ulves. De très nombreux
camions d’ulves ont déjà été récoltés et traités par le passé à partir de Guissény, l’étang de
Thau ou encore le bassin d’Arcachon, l’usine de
traitement des ulves de Pleubian a tout simplement été ferraillée. En Italie la société Favini
qui devait faire du papier aux algues à partir
des ulves de la lagune de Venise et qui ont été
éradiquées, doit maintenant les faire venir de
Chine pour ce micro marché marketing !
Chasse aux subventions
Car, en dehors de la chasse aux subventions,
tout cela relève bien du domaine de la communication et du marketing pur et simple. Il
n’est qu’à voir la multiplication des colloques et
tables rondes organisées avec les écoles de commerce et de management par la société Olmix
pour justifier son projet, et aussi maintenant le
sponsoring d’un bateau de la course du Rhum !
Mais ULVANS semble déjà du passé pour des
sociétés aussi dynamiques. En effet si on ne peut
ni récolter ni valoriser suffisamment les algues
vertes et bien on va tout simplement les cultiver.
La BPI, grâce à ses fonds pour les champions, est
là pour monter un deuxième programme avec
de nouveaux partenaires et voilà le nouveau
projet «ALGOLIFE» doté d’un budget de 23 millions d’euros qui consistera à cultiver les algues
dans des serres qui ne sont plus exploitées. On
arrivera donc à près de 60 millions d’euros de
budget concernant la valorisation de ces algues
envahissantes.
Comme disait la revue Actu-Environnement
«Business des algues vertes, opportunité ou
scandale ?» Les deux en réalité ! Et en attendant,
s’il n’y a pas d’échouage massif cette année au
grand dam de la filière de valorisation ULVANS,
ce sont malheureusement d’autres types d’algues
opportunistes qui envahissent l’estran : les entéromorphes, toujours vertes, mais plus fines, et
plus discrètes. Car la nature ayant horreur du
vide, l’eutrophisation est toujours là. A quand
donc un nouveau projet de valorisation ?
Lannig Bihan
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