Les drôles de chercheurs des bandes dessinées

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Les drôles de chercheurs des bandes dessinées
LNA#34
#34 / libres propos
Lesdrôlesdechercheursdesbandesdessinées
ParClaireDELAHAYE
Étudianteàl’IUFMdeLille
email:[email protected]
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L
e chercheur est un personnage bien aimé des auteurs de
bandes dessinées, pourtant c’est souvent une image assez
simpliste et peu conforme à la réalité qu’ils en proposent.
Dans les bandes dessinées, les chercheurs – le plus souvent appelés «savants» ou «inventeurs» – sont victimes d’une multitude
de stéréotypes et occupent dans les histoires des rôles peu variés. Deux représentations principales sont utilisées : le savant
gentil mais dingue ; le savant frustré et méchant.
touffe de cheveux impressionnante et la plus célèbre d’entre
elles le montre louchant et tirant la langue.
Les inventeurs, dans les bandes dessinées contemporaines, se
retrouvent dans les mêmes situations que Géo Trouvetou ou le
professeur Tournesol : ils construisent des machines qui ne satisfont pas ceux à qui elles sont destinées, ils se font voler leurs
créations, ils se font enlever et on les force à mettre au point des
appareillages maléfiques.
Le savant gentil mais dingue
Généralement, il est vieux et, à ses cheveux blancs, s’ajoutent
des lunettes aux verres épais. Il est mal habillé et porte presque
invariablement cette terrible blouse blanche de laboratoire. Le
professeur Tube dans Les quatre as est un bon exemple de cette
catégorie de savants.
Le plus frappant, cependant, n’est pas l’aspect extérieur, mais
l’étrangeté du comportement. Le professeur Tournesol dans
Tintin est non seulement maladroit et étourdi, mais parle seul,
est à moitié sourd et répète en les déformant tous les propos
prononcés par ses interlocuteurs.
Autre exemple encore, Géo Trouvetou de Walt Disney. Ce
gentil savant est toujours prêt à aider ses prochains et propose
généreusement de réaliser leurs rêves. Cependant, pour que les
idées lui viennent, il doit se stimuler et l’une de ses méthodes
consiste à foncer à pleine allure la tête la première contre les
murs. Malheureusement, aucune de ses inventions ne fonctionne comme prévu et toutes engendrent immanquablement
des catastrophes inattendues et comiques.
Ces images d’inventeurs loufoques sont dues, on peut le supposer, aux savants eux-mêmes : Jacques Hadamard (mathématicien français qui démontra un théorème important sur les
nombres premiers) est le prototype même du savant génial mais
n’ayant pas bien les pieds sur terre. Le soir de ses fiançailles, paraît-il, la maman du jeune homme retrouva la bague qu’il avait
complètement oublié de donner à sa fiancée, laquelle n’a pas dû
lui en vouloir puisque le mariage fut célébré quelques mois plus
tard. Durant toute sa vie, Hadamard, dit-on, fut incapable de
s’habiller seul. Le dessinateur Christophe se serait inspiré de lui
pour créer le personnage du Professeur Cosinus.
Une autre histoire mentionne le grand mathématicien inventeur de la théorie du chaos Henri Poincaré, cousin du président
Raymond Poincaré. Lors d’une conférence, il ouvrit son cartable pour en tirer ses notes et n’y trouva que les serviettes de
toilette de sa chambre d’hôtel qu’il avait soigneusement pliées
et emportées avec lui.
Albert Einstein contribua lui aussi à la réputation d’étrangeté
des savants. On le voit sur de nombreuses photos avec une
Le savant frustré et méchant
L’autre stéréotype de savant, souvent présent dans les bandes
dessinées (ainsi qu’au cinéma), est celui de l’inventeur assoiffé
de reconnaissance et de puissance. Dans sa quête éperdue de
gloire et de pouvoir, il semble prêt à tout.
On peut s’amuser en remarquant que, contrairement aux savants gentils et dingues, ces ambitieux déments sont le plus
souvent habillés comme des hommes d’affaires (costume foncé
et cravate). Au lieu d’être blancs, leurs cheveux sont bruns
et leurs traits, loin du ridicule des savants de la première catégorie, sont sérieux et même inquiétants. Parmi ces savants
dangereux, citons : le Docteur Hargnon dans Les Quatre as de
François Craenshals, Georges Chaulet ou Zorglub dans Spirou et Fantasio de Franquin et Greg ou encore le personnage
du professeur dans Jo, Zette et Jocko et Le rayon du mystère de
Hergé. On peut supposer que le noir de leur tenue exprime le
côté obscur de ces personnages.
A l’opposé de leurs collègues loufoques, les savants ambitieux
sont profondément immoraux et déplaisants. Ils volent les
machines des autres inventeurs, ils mentent, ils se mettent en
colère (d’où le nom du professeur Hargnon dans Les quatre as)
et pire, ils n’hésitent pas à tuer ou kidnapper et leurs projets
mettent en danger l’humanité tout entière qu’ils rêvent de dominer. De plus ils sont étrangement rancuniers – est-ce pour
pimenter l’histoire ou pour valoriser les héros ? – et très bavards : en effet, ils se livrent facilement à des aveux complets de
tous leurs méfaits le plus souvent entrecoupés de ricanements ;
ce qui, comme par hasard, laisse juste assez de temps aux héros
pour s’échapper de leurs maléfiques griffes. Bien sûr, ces antihéros qui ne reculent devant rien pour arriver à leurs fins sont
tout sauf sympathiques et cela même si leur folie réussit parfois
à nous faire rire.
Quelques points communs
Qu’ils soient gentils ou méchants, certains traits se rencontrent chez presque tous les personnages de savant des bandes
dessinées. Dans la majorité des cas, l’atelier du savant est dans
un état de désordre monstrueux où il est seul capable de se re-
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trouver, le tout constitue un antre encombré d’un bric-à-brac
invraisemblable, d’étranges instruments connectés les uns aux
autres et dont les fonctions sont mystérieuses.
Remarquons aussi que ces ateliers ont la particularité de ne
presque jamais recevoir d’autres scientifiques. Ainsi, dans le
monde de la bande dessinée, chaque chercheur vit et travaille
isolé des autres scientifiques. Une exception est celle du groupe
de scientifiques se rendant sur l’île dans Tintin et l’Île mystérieuse de Hergé.
Dans la réalité, il faut le souligner, les choses sont autres. En
effet, les chercheurs passent une grande partie de leur temps à
communiquer entre eux, à organiser des colloques et des conférences, à s’échanger des articles et maintenant des emails. Ceci,
bien sûr, dans le but de ne pas réinventer ce qui l’a déjà été,
mais aussi de bénéficier des avancées des autres chercheurs. La
science est une entreprise collective et il semble que les auteurs
de bandes dessinées ne l’aient pas compris du tout.
Finalement ces personnages imaginaires ont en commun d’être
très loin des chercheurs et savants qu’on rencontre dans les laboratoires des universités et du CNRS (ce qui est une bonne
nouvelle puisque si vous choisissez ce métier vous ne vous
transformerez pas nécessairement en vieux fou se tapant sur la
tête pour faire venir les idées).
On peut noter encore que peu d’inventions arrivent à maturité
dans les bandes dessinées et qu’elles sont souvent détruites et
abandonnées, car soit elles sont trop puissantes et risquent
d’être utilisées à de mauvaises fins, soit elles se retournent contre leurs utilisateurs (y compris l’inventeur) et se révèlent donc
plus dangereuses qu’utiles.
Cette association de l’idée de destruction avec celle des sciences semble profondément ancrée dans l’esprit des auteurs de
bandes dessinées. D’où cela provient-il ? La réponse réside sans
doute dans l’histoire du XXè siècle où la science se trouve associée à plusieurs épisodes dramatiques. Le projet Manhattan qui
a conduit aux bombes atomiques lancées contre le Japon par
les Américains à la fin de la seconde guerre mondiale a laissé
des traces dans toutes les consciences. C’est le pire exemple de
l’utilisation de la science à des fins terribles et inhumaines.
Justifiée ou non, la mauvaise image de la science n’excuse pas
les représentations vraiment naïves – et même idiotes – des
savants et des chercheurs dans les bandes dessinées. Peut-être
devrait-on conseiller aux auteurs de visiter quelques laboratoires et centres de recherche universitaire et d’y rencontrer les
chercheurs qui y vivent et y travaillent, avec l’espoir qu’ensuite
ils nous racontent des histoires plus conformes aux faits... mais
pas moins amusantes et toujours passionnantes.
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