150310 Barbara DONVILLE - Collège International de Philosophie

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CONFERENCE 4
APRAXIE OU L’IMPOSSIBLE INDIVIDUATION DU CORPS ET DE LA PENSEE :
INTRICATION, SUPERPOSITION ET DECOHERENCE
L’apraxie engendre bien des conséquences : dyspraxie, aphasie, dystonie, autisme : En quoi,
l’apraxie qui est une incapacité à exécuter une action de manière volontaire, entraîne-t-elle
une impossibilité d’individuation ? Nous détaillerons dans un premier temps les symptômes
de l’apraxie, puis nous nous pencherons sur le phénomène de l’individuation de manière
concrète, détaillant ce que cela entraîne de manière quotidienne. Pour en faire une analyse
et tenter d’en donner une explication, nous nous appuierons sur la phénoménologie
hursserlienne de l’individuation telle qu’il la propose dans ses Manuscrits de Bernau sur la
conscience du temps (1917-1918) , mais également sur le concept d’individuation tel que
l’envisage Simondon et nous verrons en quoi cette dernière approche est plus apte à
envisager la constitution de la subjectivité, telle qu’une personne atteinte d’apraxie est en
mesure de l’élaborer. Puis, nous verrons comment comprendre et faire évoluer une telle
physiologie, notamment pour comprendre et élaborer des solutions concrètes en ce qui
concerne l’individuation de la matière pensante. Nous verrons que c’est en empruntant des
concepts à la mécanique quantique que nous sommes arrivés à proposer des solutions
concrètes pour faire émerger la matière pensante.
L’apraxie est un ensemble de signes cliniques qui entraîne une incapacité à effectuer un
mouvement ou une série de mouvements, ces mouvements pouvant être exécutés
correctement par ailleurs. Il s’agit d’un déficit neurologique qui se situe au niveau de la
conceptualisation et de l’exécution programmée d’un mouvement. Les fonctions motrices et
sensitives de base qui permettent ces mouvements peuvent être intacts. Le terme apraxie,
provient du mot praxie qui désigne les fonctions de coordination et d’adaptation des
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mouvements volontaires de base dans le but d’accomplir une tâche donnée. Praxie vient du
mot grec praxis qui signifie « action ». Pour tenter de comprendre, nous allons donc
retrouver Killian.
Il existe différents types d’apraxies, en effet, d’une personne à l’autre cela varie :
-l’apraxie idéatoire est une désorganisation de la représentation mentale du geste à
exécuter : Il est impossible à la personne d’exécuter un mouvement composé d’un ensemble
de sous-mouvements élémentaires organisés. D’un point de vue moteur les mouvements
élémentaires sont bien effectués, mais l’idée du geste est incohérente. Cette pathologie
altère principalement la manipulation d’objets et l’utilisation d’outils.
-l’apraxie idéomotrice est une incapacité d’exécuter un geste à la demande, alors que la
personne peut exécuter ce geste spontanément. Ce type d’apraxie, s’associe souvent à
l’aphasie qui est une altération de la faculté de s’exprimer ou de comprendre, alors que les
organes de la parole et les organes sensoriels (ouïe et vue) sont intacts.
-l’apraxie motrice se caractérise par l’incapacité de réaliser des mouvements précis car la
séquence motrice pour exécuter un mouvement fin est altérée.
-l’apraxie constructive est un trouble visuo-spatial qui se caractérise par une difficulté à
définir la relation des objets entre eux. Elle est souvent associée à une aphasie de Wernike,
c’est-à-dire, une incapacité à comprendre le sens de ce qui est dit, alors que la personne
peut articuler des mots, contrairement à l’aphasie de Broca, qui est une impossibilité de
prononcer des mots alors que la compréhension du langage est intacte.
-l’apraxie de la marche se traduit par une impossibilité pour la personne de disposer
convenablement ses jambes pour marcher.
-l’apraxie de l’habillage se caractérise par une impossibilité de se vêtir correctement.
- L’apraxie bucco-faciale ou bucco-lingo-faciale, se traduit par une impossibilité pour la
personne de siffler ou souffler ou encore de réaliser d’autres types de mouvements
impliquant la mobilisation des muscles situés au niveau du visage.
- L’apraxie réflexive se caractérise par une impossibilité de réaliser des mouvements
bimanuels comme le mime par exemple.
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-L’apraxie dynamique se traduit par une perturbation de la séquence des gestes.
Quel que soit le type d’apraxie que la personne développe, elle touche toujours son rapport
à l’action, ce qui entraîne un problème au niveau de la constitution des souvenirs, car les
souvenirs, sont des actions mentales, et ont donc une fonction sensori-motrice qui influe
sur la mémoire propre.
Killian développait plusieurs types d’apraxies :
Killian développait une apraxie idéatoire : il n’arrivait pas à se représenter le
processus gestuel pour arriver à effectuer une tâche : lorsque sa mère lui demandait
de fermer les volets de sa maison, il fallait lui décomposer l’intégralité de tous les
gestes. Et, même ainsi, il s’arrêtait au milieu d’un simple geste. Il commençait à tirer
un volet et soudain s’arrêtait. Dans cette forme d’apraxie l’idée du geste, reste
incohérente, le mouvement total qui constitue le geste n’est pas prédit par le
cerveau. A cette époque, Killian voyait ce qui l’environnait comme une succession
d’images fixes sans percevoir le mouvement qui mène d’une situation à une autre.
Killian développait une apraxie idéomotrice : il était incapable de s’exécuter
lorsqu’on lui demandait d’ouvrir un robinet ou d’aller chercher un sac sur une chaise.
A cette époque la façon dont Killian se déplaçait semblait plutôt relever du
mouvement aléatoire. S’il se rendait dans une pièce, il déambulait d’un endroit à un
autre mais sans intention aucune. En tout cas, quel que soit ce qui lui était demandé,
cela le laissait immobile et sans aucune réaction, alors qu’il disait comprendre mais
avec une incapacité de faire obéir son corps.
Killian développait une apraxie de l’habillage, il était incapable d’enfiler le moindre
pantalon et encore moins de boutonner quoi que ce soit.
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Killian développait une apraxie bucco-faciale il était incapable de souffler sur la
moindre bougie, ce qui, lors de son anniversaire, provoquait des crises de larmes et
d’angoisse car il aurait tant voulu y arriver.
Killian développait une apraxie dynamique liée à une apraxie réflexive : N’étant pas
capable d’effectuer une séquence gestuelle, même simple, comme de sortir quelque
chose d’un placard, par exemple, il ne pouvait donc pas, mimer quoi que ce soit, ni
d’ailleurs reproduire le moindre dessin. La trace, quelle qu’elle soit, lui était
impossible.
Killian ne développait donc aucun mouvement volontaire ni lorsqu’il lui était commandé sur
ordre, ni, a fortiori, de façon volontaire, il ne sentait jamais ni l’auteur ni l’agent de son
action. Pour cause, Killian ne développait pas de pensée propre, il n’avait aucun souvenir
propre. Or on connaît le rôle sensori-moteur du souvenir en tant qu’action mentale. On
comprend alors combien pour Killian il n’était pas possible de s’individuer. Il disait lui-même
(ou plutôt il écrivait sur son ardoise, lorsque sa mère posait sa main sur son bras) qu’il n’avait
pas de soi autobiographique et un soi-noyau encore très peu développé.
Analyse de l’individuation husserlienne :
Nous allons donc définir ce qu’est l’individuation pour chercher à comprendre ce que cela
entraîne lorsqu’il y a impossibilité de s’individuer. Pour ce faire, nous verrons dans un
premier temps, ce que recouvre l’analyse hursserlienne de l’individuation en nous
appuyant sur les Manuscrits de Bernau sur la conscience intime du temps, manuscrits qui
restèrent longtemps inédits du vivant du philosophe et qui ne furent publiés que sur la base
d’une compilation faite par Edith Stein.
Edmund Husserl, est un phénoménologue (1859- 1938) et son maître-mot est « le
retour aux choses elles-mêmes ».
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la phénoménologie ne prend pas en compte l’individu comme singularité. Dans la
phénoménologie, l’individu est un phénomène, c’est-à-dire, une possibilité d’apparaître dans
un temps donné en tant que vécu visant une situation donnée.
Ce qui importe à Husserl ce n’est pas l’individu lui-même, mais son intuition empirique qui
est la connaissance immédiate d’un objet donné visé par la conscience de l’individu. Ainsi,
Husserl nomme « phénomène » ce qui est vécu sous une forme individuée par la visée de la
conscience.
Husserl invite donc à retrouver l’origine de toute phénoménalité, l’expérience native de
toute manifestation, pourrait-on dire : c’est cela le domaine exclusif de la phénoménologie.
La phénoménologie est l’étude descriptive des actes de la conscience intentionnelle : elle
analyse leur structure générale (perception, imagination, conscience du temps et de
l’espace), la phénoménologie est donc une science essentiellement eidétique et, de fait,
l’intuition empirique d’un individu est essentielle pour Husserl, car elle est permanente, et
l’expérience, est la conscience visante qui crée cette expérience et qui permet l’apparition
d’un objet individuel.
-
La préoccupation de la phénoménologie c’est donc l’apparaître :
1) Par les vécus de conscience ;
2) Par les formes d’expériences où se jouent la corrélation du sujet au monde ;
3) Par les actes par lesquels quelque chose nous apparaît ;
Pour Husserl le sujet n’est jamais individu, car pour lui, il faut que la conscience vise pour
que l’individuation s’élabore, et le sujet n’est jamais individué en dehors de cette conscience
visante.
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Pour Husserl, la vie subjective doit alors être pensée comme une incessante individuation
donc comme une perpétuelle apparition où se décide le rapport à Soi et au monde.
Etre une personne, pour Husserl, c’est donc avoir la capacité de regrouper l’ensemble des
« propriétés » du sujet, l’ensemble des acquis de son histoire. La personne désigne l’identité
permanente du sujet.
Pour Husserl l’individu se définit d’une part par son égo et d’autre part, par le phénomène
de la monade :
•
L’égo, est l’unité individuée des structures de la conscience il est le pôle intentionnel
subjectif : La personne est envisagée comme la dimension pratique de la subjectivité.
Husserl met sous ce concept tout ce qui ressort de la détermination volontaire, de
l’activité pratique du sujet, qu’il s’agisse de la motivation, de la prise de position, des
choix, des buts, des projets. La personne c’est le nom donné à l’individuation pratique
de la vie subjective. L’égo reste statique.
•
La monade apparaît comme l’unité d’un devenir : C’est l’unité du développement de
la personne, la part de l’individu qui tend vers l’individuation incessante. La monade
est perpétuellement active.
Si l’on s’appuie sur la phénoménologie hursserlienne pour envisager l’individuation, on
comprend que pour être ce qu’Husserl nomme une personne il faut regrouper l’ensemble
des propriétés qui crée la subjectivité. Or, l’apraxie fait que l’on ne regroupe jamais aucun
ensemble d’aucune propriété, tout est tellement fragmentaire que rien n’est jamais
envisageable comme un ensemble de propriétés. D’autant que pour Husserl, l’individuation
qui est une intuition empirique visée par la conscience pour un objet donné qui, par cet acte
de conscience, s’individue le temps de cette visée de conscience. Et, par ailleurs, cette
individuation doit être dépassée par une forme d’universalité qui doit régir tout le champ
phénoménal.
Dans l’apraxie, le champ phénoménal n’existe pas, rien n’est jamais vécu comme un
phénomène car pour qu’il y ait phénomène (du grec, phainesthai qui veut dire apparaitre) il
faut qu’il y ait action, dans la mesure où la vision, donc le sens qui permet l’apparaitre, est
physiologiquement un potentiel d’action, or l’action est absente dans l’apraxie.
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Il paraît donc, après l’analyse que l’on vient de faire de l’individuation husserlienne, qu’elle
ne correspond pas à ce à quoi une personne apraxique peut prétendre pour cheminer vers
sa propre individuation, dans la mesure où pour Husserl l’individuation ne se fait que par des
actes de conscience qui visent un objet donné à un moment donné. Même si l’individuation
hussesrlienne est donc possiblement permanente, elle est également toujours et
uniquement locale et ne désigne jamais un cheminement progressif de l’être. Vous
conviendrez que ce n’est pas vers ce type d’individuation que Killian va pouvoir tendre.
Analyse de l’individuation chez Simondon
Pour Simondon, la vie est individuation perpétuée, car un individu est un indivisible
engendré.
Simondon envisage l’individuation, comme l’élaboration d’une unité vitale, il détermine
trois stades d’individuation :
1- l’individuation physique
2- une étape de cristallisation qui stabilise l’individuation.
3- L’individuation psychique et collective
L’individuation s’opère par sauts brusques, chaque palier d’individuation pouvant à nouveau
être considéré comme un état pré-individuel de l’être par rapport à l’étape suivante.
A quelque degré que se situe L’individu dans son individuation, pour Simondon, il s’agit
toujours d’une société biologique à l’image d’une totalité, même si celle-ci est encore très
restreinte. Faire éclore l’individuation c’est relier la pensée au réel, qui sont deux réalités
organisées qui peuvent se lier par leur structure interne. L’individuation physique est la
condition contenant une « disponibilité pour une individualisation »
Pour Simondon l’individuation physique est une potentialité qui prolifère, qui se transforme
peu à peu en une structure spatiale stable dans laquelle l’aspect physique de l’individu prend
sens. L’individuation physique est donc le socle de l’individuation vitale mais n’en est pas la
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cause, car pour Simondon c’est l’individu physique qui reste porteur d’une réalité à la fois
pré-individuelle, pré-physique et pré-vitale.
L’étape de la cristallisation
et de stabilisation de l’individuation offre une réalité
intermédiaire entre le physique et le psychique :
C’est une charnière centrale, car elle est la manifestation macrophysique de processus
microphysiques, elle est une résolution surgissant au sein d’un système qui prolifère et qui
est riche en potentiels. Le cristal est aussi le paradigme de l’individu physique dans ce qu’il a
de fini. L’individuation est en effet achevée, et elle doit se stabiliser avant de passer au stade
de l’individualisation.
L’individuation est comme une dilatation d’un stade permettant une organisation, un
approfondissement de l’extrême début :
L’individuation vitale n’est pas pour Simondon une simple adaptation, cependant,
l’adaptation se corrèle à l’individuation car elle est une ontogénèse permanente
(l’ontogénèse étant le développement biologique de l’individu).
L’individuation psychique et collective est le stade où l’individuation bascule vers
l’individualisation, c’est le stade où émerge la pensée propre :
Les deux individuations, psychique et collective, sont réciproques l’une par rapport à l’autre :
elles permettent de définir une catégorie particulière que Simondon appelle le
« transindividuel » qui tend à rendre compte de l’unité de
l’individuation intérieure
(psychique) et de l’individuation extérieure (collective).
Pour Simondon, la pensée qui découle de l’individuation psychique est comme l’individu de
l’individu. C’est l’individualisation du vivant qui donne naissance au somatique-psychique.
Cette individualisation du vivant se manifeste à travers le corps d’une part et par la
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spécialisation dans le domaine psychique, ainsi que par la schématisation correspondant à
une spécialisation somatique, d’autre part.
C’est au stade de l’individualisation que le sujet émerge de l’individu. L’individuation
psychique et collective donne à la vie la possibilité de s’auto-différencier en individuation
vitale donnant l’individu et en individuation vitale porteuse de sujet. L’individualisation vitale
est un déroulement « psycho » et « somatique » conduisant vers le sujet.
La pleine individuation n’est donc atteinte qu’au stade où la personnalité peut enfin
découler de l’individuation collective qui se veut trans- individuelle, et intersubjective. C’est
le stade collectif qui donne à l’individu son statut de sujet intersubjectif, que, seul, le stade
psychique, ne peut pas constituer.
L’instant essentiel où cela se produit l’émotion : Lorsque l’émotion paraît, elle permet enfin
l’individuation au stade collectif : c’est parce qu’il a émotion, qu’il a possibilité
d’intersubjectivité. L’émotion est la résonnance individuelle de l’action comme participation
au collectif.
Pour Simondon, l’action et l’émotion sont corrélatives :
-
L’action est l’individuation collective dans son aspect relationnel
-
L’émotion est la même individuation collective, mais saisie dans l’être individuel.
Le sujet ne peut coïncider avec lui-même que dans l’individuation du collectif et cela
n’est possible que lorsque le stade de l’émotion est atteint.
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Simondon, par ses trois phases de l’individuation physique, de la cristallisation, puis
de l’individuation psychique et collective,
envisage l’individuation comme une
émergence progressive de l’être allant vers son individualisation par la construction
finale de sa subjectivité et de son identité personnalisée par le biais de l’action
constitutive de l’aspect relationnel du sujet et de l’émotion, garant de l’existence
interne de l’individu. Cette forme d’individuation lente et progressive, qui a sa propre
logique, tant interne qu’externe, reflète ce vers quoi cherche à tendre un enfant
comme Killian.
Comment comprendre et faire évoluer une telle physiologie
Pour comprendre et interpréter l’impossibilité de fabriquer des idées, des souvenirs et de
développer une pensée propre, et favoriser son individuation, nous nous sommes appuyés
sur plusieurs concepts dérivant de la mécanique quantique et notamment sur l’idée de
mesure, concept central de la mécanique quantique (cf : Notre première conférence :
Apraxie, pensée propre et remémoration des souvenirs :une réflexion autour du vide), car ce
concept nous a paru répondre au fait que si la matière pensante de Killian ne pouvait
s’appréhender, c’est que l’échelle à laquelle nous pouvions la percevoir n’était pas atteinte.
Nous comprenions alors à travers nos recherches, que le vide quantique est en réalité un
état de la matière et que son énergie ne se perçoit qu’à des dimensions infiniment petites.
Dès lors, pour faire évoluer l’individuation du corps et de la pensée de Killian, nous nous
sommes appuyés sur les concepts quantiques d’intrication, de superposition, et de
décohérence afin de mettre en place des exercices quotidiens adéquats.
Elaborer une nouvelle épistémologie
Pour comprendre les processus qui engendrent l’activité de pensée, et pouvoir élaborer un
cheminement concret d’individuation pour Killian, nous avons emprunté à la mécanique
quantique la façon dont elle envisage l’observation et plus spécifiquement nous nous
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sommes appuyés sur les travaux de Niels Bohr. Bohr considère qu’aucun langage ne peut se
passer de représentations spatio-temporelles classiques. Le problème fondamental ici
concerne donc les possibilités d’observation, et aux yeux de Bohr, le concept d’observation
requiert une distinction entre l’objet et le sujet.
Or, l’apraxie dont a souffert Killian ne lui a pas permis pendant des années de s’individuer à
tel point qu’il ne développait pas de pensée propre. Il s’était longtemps montré incapable de
saisir quoi que ce soit dans le but d’une utilisation quelconque, de plus il avait longtemps
vécu dans un monde de voix où tout était fixe, il ne voyait pas bouger les personnes et les
êtres vivants qui l’entouraient. Ses facultés attentionnelles et d’observation étaient donc
très fortement perturbées.
En effet, si l’on décortique étymologiquement le terme « observer » on perçoit qu’il porte
la marque de cette distinction sujet/objet : servare signifie « se tenir attentif », et ob, le
radical indique « ce qui fait face », et l’on retrouve d’ailleurs le même radical que pour le
terme « objet » qui signifie ce qui est jeté en face. Observer, c’est donc étymologiquement
être attentif à ce qui est en face.
Cette possibilité-là n’avait pas été offerte à Killian durant des années : n’ayant pas de
cerveau volontaire, il n’avait pas développé d’action autonome, n’ayant pas de conscience
de son corps, il n’en avait pas perçu les limites, ayant les aires visuelles en grande partie
désactivées, il n’avait pas perçu pendant des années les mouvements du monde environnant
ni les couleurs, et avait été longtemps hémi-négligeant. De fait, l’objet n’existait pas plus
pour lui que le sujet et il n’avait donc développé aucune capacité d’observation subjective
stable, ce qui avait engendré de fait un « vide pensant ».
Même si par essence on ne peut pas observer directement un système quantique, Bohr
considère qu’il est nécessaire cependant de maintenir une distinction classique sujet/objet
pour décrire les situations expérimentales en termes d’observation. Le concept
d’observation requiert donc pour Bohr, l’utilisation d’un langage qui permette une
description objective, c’est-à-dire objectuelle. Finalement, il faut donc décrire l’expérience
quantique à l’aide du langage de la physique classique parce que celui-ci autorise une
description qui permet de faire la différence entre l’appareillage et l’objet quantique sur
lequel porte l’expérience, entre le sujet et l’objet.
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Si l’on résume le raisonnement de Bohr on peut dire que le langage de la physique classique
est ambigu lorsqu’on essaie de le faire porter sur les systèmes physiques eux-mêmes. En
revanche, il devient univoque lorsqu’on le fait porter sur l’ensemble du dispositif
expérimental, c’est-à-dire en incluant, dans le compte rendu de l’expérience, le système de
mesure. Or, cette univocité est nécessaire à la science, car sans cela elle va perdre son
objectivité. Par conséquent, même en mécanique quantique, les descriptions d’expériences
doivent être faites à l’aide du langage de la physique classique.
Bohr introduit donc une distinction à l’intérieur même de l’expérience quantique il y a d’un
côté ce qui relève du domaine quantique où l’on ne peut pas faire abstraction du quantum
d’action et qui ne peut donc pas être décrit comme univoque, le quantum d’action étant un
terme introduit par Max Planck pour définir ce qui, en mécanique quantique, relie la plus
petite quantité d’énergie , à sa fréquence. Un quantum est la quantité minimale d’énergie
qui peut être échangée et qui comporte des discontinuités (que l’on nommera plus tard des
photons). Or, dans le modèle de Bohr, les niveaux d’énergie sont quantifiés, c’est-à-dire que
seules certaines valeurs discrètes sont possibles, il y a donc pour Bohr, entre deux niveaux
d’énergie un saut brutal discontinu ; et d’un autre côté ce qui relève du domaine classique,
qui peut faire l’objet d’une description objective et l’on peut alors négliger le quantum
d’action à caractère discontinu, qui se situe à une échelle trop microscopique, qui dans le
domaine classique ne joue donc pas de rôle.
Si, donc, pour Bohr, la description d’une activité de pensée est toujours relative à un certain
sujet, il faut savoir trier entre ce qui relève du sujet et ce qui relève effectivement de
l’objet. Ce choix est arbitraire dit Bohr, au sens où le sujet qui pense a toujours affaire à un
phénomène global comprenant à la fois le phénomène et son ressenti propre sur ce
phénomène et qui forme en soi un phénomène global où le phénomène objectif et le sujet
qui pense ne sont pas dissociables.
Une description d’un objet est toujours contextuelle pour Bohr, c’est-à-dire qu’il ne s’agit en
réalité que d’un point de vue. Par conséquent pour atteindre une description univoque, il
faut multiplier les points de vue. La question de la contextualité est le point de départ
commun à toute activité théorique et à toute détermination de concept.
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Dès lors Bohr, semble chercher à redéfinir l’intuition sensible kantienne, il considère que
notre intuition doit s’adapter aux phénomènes quantiques et à la discontinuité qu’ils
manifestent tous et qui expliquent entre autre l’intrication, la superposition, la décohérence.
Si Bohr n’exclut pas a priori que nos formes d’intuition puissent être modifiées, il s’écarte
cependant de l’orthodoxie kantienne qui décrit l’espace et le temps comme des formes a
priori de la sensibilité. Dans la doctrine kantienne, il n’y a donc pas lieu d’envisager un
changement des formes de notre intuition. Pour Bohr, au contraire, ce sont des structures
qui ont une genèse empirique : c’est notre expérience du monde macroscopique qui est
nous est familier et qui est formé de structures mentales. Autrement dit, les représentations
spatio-temporelles courantes sont le fruit d’une sélection et peuvent donc changer. Bohr
espère que la fréquentation régulière des expériences de mécanique quantique, l’habitude
de considérer des phénomènes pourraient amener à modifier notre intuition sensible et dès
lors on pourrait chercher des concepts proprement quantiques et il serait possible de
présenter à l’intuition sensible modifiée, les phénomènes quantiques. Il serait alors possible
de donner une intuition empirique à des concepts adaptés aux phénomènes quantiques euxmêmes.
C’est ce qu’il semblait se produire pour Killian. Il ne vivait pas le monde comme nous le
vivions, beaucoup de choses que nous observions lui échappaient et à l’inverse, il semblait
vivre certains phénomènes que nous ne pouvions appréhender, ainsi, les mots, les différents
événements que constituent le quotidien, ne paraissait pas recouvrir pour lui la même
signification, tant il est vrai que « chaque mot de notre langage dépend de ces formes
d’intuition ».
D’après la façon dont Bohr pose le problème épistémologique général, à savoir qu’à partir
d’une activité de pensée, la psychologie présente des ressemblances avec la mécanique
quantique, d’une part, en ce qui concerne le domaine de l’observation, car de même qu’en
mécanique quantique, l’observation n’est pas neutre, et entraîne nécessairement une action
sur le système, l’introspection modifie également les contenus de conscience qu’elle
examine. Et d’autre part, en ce qui concerne le problème du libre-arbitre. Le problème étant
de savoir comment concilier une description physico-chimique des phénomènes psychiques
et une description qui utiliserait le terme de « volonté » ou de « libre-arbitre ». Bohr
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remarque que le langage quotidien pour décrire nos états de conscience est d’emblée
emprunt à la complémentarité des différentes descriptions possibles.
En effet, Bohr refuse d’en rester au constat d’une incompatibilité entre une description
causale et une description spatio-temporelle, il s’agit alors pour lui, de se demander
comment faire pour aboutir à une situation satisfaisante d’un point de vue
épistémologique ? Pour Bohr, les phénomènes quantiques nous mettent face au défi de
construire un discours cohérent sur la réalité, et pour cela il préfère s’en tenir à la logique
traditionnelle où les descriptions d’expériences doivent se faire dans le langage ordinaire et
à l’aide d’instruments de mesure susceptibles d’être décrits eux aussi dans le langage
ordinaire.
Le cœur du principe de complémentarité, élaboré par Bohr, réside donc dans l’idée que pour
chaque description il faut préciser son domaine de validité, il faut tenir compte des
possibilités de définition et des possibilités d’observation : les possibilités de définition
renvoient aux conditions expérimentales dans lesquelles on peut arriver à déterminer l’état
du système, alors que les possibilités d’observation concernent les descriptions de nature
spatio-temporelle ou causale : il s’agit de suivre l’évolution d’un système d’un état bien
défini d’énergie à un autre. Or, comme ces deux descriptions ne sont pas compatibles
simultanément, il faut pour chaque description, bien relier explicitement le dispositif
expérimental à celui qui lui correspond. Ainsi, l’observation physique est dans une relation
de complémentarité avec l’introspection, et l’on peut envisager que l’observation des
processus psychologiques du cerveau entraîne une modification de nos impressions en
particulier de notre volonté.
Bohr nous avait mis sur une voie, nous allions tenter de l’explorer.
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Appliquer les conceptions de Niels Bohr : La mécanique quantique au service des processus
neuronaux
Dans son article Le postulat quantique et le dernier développement de la théorie atomique
Bohr stipule qu’il faut « adapter graduellement les formes d’intuition dérivées des
perceptions sensorielles à une connaissance des lois naturelles peu à peu approfondies ».
C’est ce que nous allions tenter de faire pour Killian.
Nous constations que Killian ne développait pas la même forme d’intuition que nous sur le
monde et qu’il semblait fonctionner de manière « discontinue », ainsi qu’un quantum
d’action dans le modèle de Bohr utilisant des niveaux énergétiques quantifiés qui ne
pouvaient donc produire que certaines valeurs discrètes, ce qui engendrait un saut brutal
discontinu entre deux niveaux d’énergie qu’il utilisait.
En effet, Killian avait besoin que l’on soit à ses côtés pour pouvoir penser, il se servait
essentiellement de la pensée de sa mère. Or, le postulat quantique implique l’idée d’une
perturbation systématique produite par les moyens de mesure sur les systèmes physiques.
A quels types de « perturbations » quantiques pouvait-on faire référence pour comprendre le
processus pensant de Killian ?
Le concept d’intrication paraissait apporter une explication à ce constat. Cependant, même
si cela restait spéculatif, nous avons tenté de faire un parallèle entre ce qu’il se produit pour
les atomes et les particules et ce qu’il peut peut-être se produire dans les processus
neuronaux.
Un premier paramètre paraissait être similaire aux phénomènes quantiques: Dans le
phénomène d’intrication, il est possible que deux objets éloignés l’un de l’autre ne forment en
réalité qu’un seul objet. C’est effectivement ce que nous constations entre Killian et sa mère.
Il suffisait que la mère de Killian pense quelque chose pour Killian l’exprime. Ainsi
l’intrication stipule que si l’on touche à l’un des deux objets, l’autre tressaille également, cela
produit une réaction au hasard, mais une réaction systématique, c’est ce que nous
constations entre Killian et sa mère.
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Un second paramètre paraissait se rapprocher de la mécanique quantique : Comme pour
l’électron, nous constations que les neurones de Killian se trouvaient dans un état
indéterminé, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas de position précise et que nous assistions alors
à du « vide pensant » sauf lorsqu’il y avait la rencontre de ses neurones avec ceux de sa
mère. Ce n’était qu’à ce moment-là que l’on pouvait mesurer leur existence pensante, et
cela ressemblait fort alors au phénomène de « superposition ».
Si pour Bohr, l’acte de mesure, qui est une expérience particulière, dans laquelle il n’est pas
question de considérer le physicien et ses instruments de mesure comme un observateur
extérieur parce qu’ils sont impliqués dans le phénomène mesuré et qu’il faut alors choisir
entre observer le système et définir son état, ainsi faudrait-il considérer Killian comme
physicien avec ses instruments de mesure (son corps, son cerveau) pouvant être impliqués
dans sa propre mesure, laquelle devait donc devenir pour lui observable afin de pouvoir
déterminer son état et créer à terme la possibilité de faire émerger sa matière pensante
enfin individuée de celle de sa mère car enfin observable par lui-même.
Il fallait donc provoquer une désintrication de ses neurones d’avec ceux de sa mère, pour
pouvoir également jouer sur le phénomène de superposition, en provoquant une
décohérence, laquelle permet de comprendre pourquoi une mesure effectuée sur des
éléments du monde microscopique est responsable de la réduction du paquet d’ondes dans
le contexte d’une superposition quantique. Il fallait effectivement réduire le paquet d’ondes
qui unissait Killian à sa mère, et ainsi pourrait-il utiliser de manière consciente, parce
qu’observée, sa propre pensée enfin individuée.
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Bibliographie
-
Manuscrits de Bernau sur la conscience du temps (1917-1918) Edmund Husserl,
Editions Jérôme Million, Collection Krisis 2010
-
L’individuation psychique et collective Gilbert Simondon Edition de l’Aubier 1989
-
L’individu et sa genèse physico-biologique, Gilbert Simondon Editions Jérôme Million
1995
-
Penser l’individuation, Simondon et la philosophie de la nature Jean-Hugues
Barthélémy Editions Flammarion, Collection Esthétique
-
Le cerveau volontaire, Marc Jannerod, Editions Odile Jacob 2009
-
L’impensable hasard, Non-Localité, Téléportation, et autres merveilles quantiques
Nicolas Gisin Editions Odile Jacob 2012
-
La théorie atomique et la description des phénomènes Niels Bohr Editions Jacques
Gabay
-
Physique atomique et connaissance humaine Niels Bohr Folio Essai
-
Mécanique quantique, du formalisme mathématique au concept philosophique
Sébastien Poinat Editions Hermann 2014
-
Niels Bohr’s times in physics, philosophy and polity Abraham Pais Clarendon Press
Oxford 1991
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ADDENDUM
Que se passe-t-il lorsque l’on n’a pas de pensée propre et que
la fabrique des idées et l’émergence des souvenirs sont impossibles ?
Il faut partir de l’idée de mesure adéquate pour atteindre la matière
pensante, car chaque type de mesure délivre une forme informative et le vide est un état
informatif au même titre que les autres états quantiques ; pour atteindre la matière
pensante vide il faut atteindre la bonne mesure. Robert Mills écrit : « il convient de laisser à
l’observateur un moyen d’intrusion dans le système pour mesurer l’énergie qui y est enclose,
et il n’y a pas ici de limite intrinsèque ni pour la précision de cette mesure d’énergie, ni pour
la discrétion de l’intrusion. » ; Le vide quantique, est un état comparable aux autres états
quantiques ; Dans la perspective de la mécanique quantique, l’état de vide constitue un
état parmi tous les autres. C’est un état propre d’un ensemble donné de variables physiques,
l’énergie totale et l’impulsion notamment. Robert Mills la question suivante : « l’univers
occuperait-il alors un état de superposition quantique de tous les états concevables, dont
seulement l’un devait être choisi lorsque l’on procéda aux premières observations ». Qu’en
est-il du contenu informatif du vide : Ne pourrait-on pas induire l’idée d’un vide informatif
défini comme la capacité à stocker l’information relative aux lois physiques ? Ici le vide est
invoqué comme contenant une information indéchiffrable et codée, relative à l’existence
même et à la nature de ces interactions, aux valeurs des constantes physiques. Ce serait en
« interrogeant » le vide que les particules ou les champs seraient informés de ce que telles
lois de la physique doivent être respectées. Le vide ne se distingue pas de la matière. Ce que
l’on appelle habituellement matière et vide, sont deux aspects différents d’une même
soupe. Le vide n’a pas d’énergie aux grandes échelles, mais de grandes énergies aux petites
dimensions. Comment se situe la superposition et l’intrication dans la forme informative du
vide ?
•
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Superposition :
Le phénomène de superposition stipule qu’une particule, à un instant donné peut,
pour chacune de ses caractéristiques physiques (position, quantité de mouvement….)
avoir plusieurs valeurs différentes dans plusieurs états différents. Dans le monde de
l’infiniment petit, ce n’est que lorsque nous effectuons une mesure que nous savons
où elle se situe. La superposition quantique est la conséquence directe du fait que
nous pouvons associer à une particule une onde ou même un paquet d’ondes
représentant la superposition des ondes d’un électron, révélant tous les
mouvements potentiels de celui-ci. C’est uniquement lorsqu’on effectue une mesure
pour observer un électron que ce paquet d’ondes se réduit à une seule onde (d’où
l’importance de pouvoir être dans les limites d’une mesure observable….) A cet
instant précis, on peut connaître position géographique précise de l’électron par
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rapport au noyau de l’atome. Ainsi, avant toute mesure, un objet quantique ne revêt
aucune réalité physique : il est l’intrication d’un formalisme mathématique
probabiliste essentiellement prédictif.
•
Intrication
Dans le phénomène d’intrication, il est possible que deux objets éloignés l’un de
l’autre ne forment en réalité d’un seul objet. Ainsi si l’on touche à l’un des deux, tous
deux tressaillent. Rappelons que quand on touche, cela veut dire qu’on fait une
mesure sur un objet quantique, celui-ci produit une réponse (une réaction) au
hasard. Si l’on ne touche pas le premier objet, le deuxième ne tressaille pas,
seulement, si on envoie une information, en décidant de toucher ou de ne pas
toucher le premier objet,, comment savoir si le deuxième a tressailli ?
Un électron peut se trouver dans un état dans lequel sa position est indéterminée, il
n’a tout simplement pas de position précise, un peu comme un nuage.
Formellement, l’indéterminisme se décrit à l’aide du principe de superposition. Si un
électron peut être « ici » et « là », alors cet électron peut tout aussi bien être en état
de superposition « d’ici » et « d’un mètre à droite d’ici », donc être à la fois « ici » et
« là ». Par contre, si l’on mesure sa position, on obtient, au hasard, soit le résultat
« ici », soit le résultat « là ».
On vient de voir que qu’un électron peut ne pas avoir de position, mais deux
électrons qui n’ont pas de position, peuvent très bien, de par l’intrication, avoir une
distance déterminée (donc l’intrication détermine une distance, pas une position).
Ainsi, chaque fois que l’on mesure les positions des deux électrons, on obtient des
résultats chacun aléatoire, mais dont la distance est toujours exactement la même.
Donc, par rapport à leurs positions moyennes, les deux électrons produiront toujours
le même résultat, bien que celui-ci soit le fruit d’un hasard vrai. La position de deux
électrons est donc toujours déterminée l’un par rapport à l’autre, même si, la
position de chacun des électrons ne l’est pas. Lorsqu’on effectue des mesures sur
deux systèmes intriqués, les résultats sont régis par le hasard, le même hasard. Le
hasard quantique est non local.
L’intrication peut aussi bien être définie comme la capacité de systèmes quantiques
à produire le même résultat quand on mesure sur chacun d’eux la même grandeur
physique. Elle se décrit à l’aide du principe de superposition appliqué simultanément
à plusieurs systèmes. Selon ce principe, deux électrons peuvent être à la fois dans un
état et dans un autre état simultanément. Mais l’intrication est bien plus qu’un état
de superposition ; c’est elle qui introduit les corrélations non locales en physique. Par
exemple, même si aucun électron n’a de position prédéterminée, si la mesure du
premier électron produit un résultat « ici », la position du deuxième électron est
immédiatement déterminée à « là », même sans la mesure de la position du
deuxième électron.
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La théorie quantique prédit, et beaucoup d’expériences ont confirmé, que la nature
est capable de produire des corrélations entre deux événements distants qui ne
s’expliquent ni par une influence d’un événement sur l’autre, ni par une cause locale
commune. Non-local veut dire, non descriptible par des variables locales. Les
corrélations non-locales ne permettent pas de communiquer, la physique quantique
est intrinsèquement aléatoire, la physique quantique prédit l’existence de
corrélations impossibles à décrire à l’aide de variables locales. Ces drôles de
corrélations proviennent de l’intrication qui est décrite comme une sorte d’onde qui
se propage dans un espace bien plus grand que notre espace à trois dimensions. En
quelque sorte, la « réalité » se déroulerait dans un espace autre que le nôtre.
•
Décohérence
La décohérence quantique a permis de comprendre pourquoi une mesure effectuée
sur des éléments du monde microscopique est responsable de la réduction du
paquet d’ondes dans le contexte d’une superposition quantique. Elle permet
d’expliquer comment on passe du monde microscopique au monde macroscopique.
Notre monde et celui de l’infiniment petit n’obéissent pas aux mêmes lois. Les
premières expériences scientifiques tentant de donner une explication logique au
passage du monde microscopique au monde macroscopique, la plus sérieuse a
consisté dans le contexte d’une mesure, l’intrusion de notre environnement, sur le
microscopique se traduit par des perturbations physiques faisant peu à peu naître
des variations dans les phases de la fonction d’onde de Schrödinger ; la cohérence de
la phase initiale de celle-ci se détériore progressivement pour devenir inexistante,
aboutissant à la fameuse réduction de paquet d’ondes d’où le terme de
« décohérence ».
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