La Silicon Valley vue de l`intérieur.

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La Silicon Valley vue de l`intérieur.
© L'AGEFI am 18.09.2014
La Silicon Valley vue de l'intérieur.
Le voyage en immersion organisé par la banque permet de mesurer l'écart entre la
perception européenne et la réalité pratique du cluster. marjorie théry californie.
Difficile de ne pas trouver la Silicon Valley séduisante quand on a 20 ans et que l'on utilise
des dizaines de produits et services conçus dans la région quotidiennement. Moteurs de
recherche, smartphones, tablettes, services mail, applications etc. L'essentiel de nos vies
connectées a été et est toujours concocté dans la Silicon Valley. Comment la Suisse pourraitelle s'inspirer de cet écosystème unique? "L'objectif de la banque est justement d'inspirer et
stimuler l'esprit d'entreprenariat d'une dizaine d'étudiants du canton de Vaud, grâce à une
immersion dans la Silicon Valley". Cette deuxième édition du Silicon Valley Startup Camp
semble valider les objectifs du projet initié par la Banque cantonale vaudoise (BCV).
L'opération devrait être reconduite pour encore trois ans au moins.
La BCV finance le projet, dont le budget est de l'ordre de "quelques dizaines de milliers de
francs", d'après Christian Jacot-Descombes, porte parole de la BCV et initiateur du projet. Le
mandat pour l'organisation sur place est confié à Swissnex. Rattaché au SEFRI (Secrétariat
d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation) le réseau Swissnex offre un relai aux
institutions suisses du domaine des hautes écoles et de la recherche scientifique pour
soutenir leur rayonnement international. Le bureau Swissnex de San Francisco a été créé en
2003 et est aujourd'hui le plus important avec 20 collaborateurs. Le programme de cette
semaine en immersion s'articulait entre workshops sur la création d'entreprises, événements
de réseautage, visites d'incubateurs, d'entreprises et startup de la Silicon Valley. Parmi elles
Square, Jawbone, Getaround, Evernote ou encore Mozilla. Des entreprises aux taux de
croissances parfois fulgurants: le nombre d'employés chez Airbnb est passé de 700 en
janvier et à 1200 aujourd'hui. Chez Dropbox, les effectifs ont doublé depuis avril, pour
atteindre 1200 collaborateurs.
Ces dix étudiants ont pu librement échanger avec les entreprises. En revanche il est
impossible pour les journalistes de resituer les propos des interlocuteurs rencontrés. La
plupart du temps, tout visiteur doit renseigner ses coordonnées, sans oublier de signer un
"non disclosure agreement" à l'entrée, interdisant de révéler toute information entendue entre
les murs des entreprises. Une discrétion qui tranche avec le côté en apparence très ouvert de
la plupart des ces entreprises des nouvelles technologies. Si le Silicon Valley Startup Camp
semble bel et bien avoir inspiré les étudiants au niveau entrepreneurial, il a aussi déconstruit
certains mythes associés à cette région. Tour d'horizon de la Valley, entre fantasmes et
réalité.
"Vous avez à peu près une chance sur un million de passer du stade de startup à celui de
champion du marché comme Google" a-t-on pu entendre au cours de premier workshop de la
semaine. Peu importe les statistiques qui décourageraient peut être certains européens, les
américains y croient dur comme fer. Quitte à recommencer plusieurs fois le même projet, ou
à le faire évoluer jusqu'à transformer l'essai. "Parfois quand on interview certains jeunes, ont
dirait qu'ils se prennent pour le président!" plaisante cet entrepreneur. Mais l'ambition de
changer le monde est presque banale dans la Silicon Valley. "Oubliez les business plan en
50 pages, personne ne les lit. Si vous croyez véritablement dans votre idée, peu importe le
temps que cela prendra, il faut aller à fond dans votre projet" est le genre de conseil qui a
raisonné comme un écho durant toute cette semaine en immersion dans la Silicon Valley.
Le manque de financement des startup est régulièrement cité comme un frein à la création
d'entreprises en Europe, alors que les startup fleurissent dans la Silicon Valley, notamment
grâce à la forte présence du venture capital. En 2013, les investissements en capital-risque
(venture capital) aux Etats-Unis ont atteint un montant total de 33 milliards de dollars, contre
7,4 milliards de dollars en Europe. Plus de 40% de l'ensemble de ces investissements aux
Etats-Unis se concentrent uniquement sur la "Valley", comme on l'appelle simplement ici. Les
bureaux des plus grands Venture Capitalist (VC) sont à deux pas des startups et des
événements de présentation de projets aux VC sont légion.
Mais cet accès au financement des VC a un prix non négligeable: le risque de se faire évincer
de son propre projet. "En contrepartie d'un financement risqué, les VC prennent des parts
dans l'entreprise, voire la majorité des parts, et peuvent siéger au board des entreprises.
Le revers de la médaille étant que plus de 60% des CEO fondateurs dans la Valley se font
licencier après 5 ans" a-t-on appris lors d'un workshop. Pour l'heure relativement épargné, le
marché des VC devrait aussi être de plus en plus régulé. A la Draper University, qui a
développé un programme entre formation et incubateur, le ton est aussi à la mise en garde
"Faire affaire avec les VC peut être un mariage très difficile. Certaines personnes décident
pour vous, et peuvent vous virer aussi ! La première chose à faire quand on construit un
projet est d'engager un excellent avocat".
"Peu importe que ces entreprises ne gagnent pas d'argent, l'essentiel c'est de gagner un
maximum d'utilisateurs." C'est le type de phrase que l'on entend comme un mantra dans la
Silicon Valley. La plupart des entreprises les plus visibles des nouvelles technologies que
nous avons rencontrés ne sont pas rentables. Même si elles ont plus de 5 ans, qu'elles
emploient plus de 1000 employés, qu'elles sont cotées ou valorisées à plusieurs milliards de
dollars. Peu importe. C'est le pouvoir du réseau et de l'information qui compte. Les VC et
investisseurs n'hésitent pas à financer durant plusieurs années des projets déficitaires. Au
premier trimestre 2014, Twitter publiait une perte de 132 millions de dollars, huit ans après sa
création par exemple. L'avenir dira si la monétisation du Big Data à des fins publicitaires sera
aussi rentable qu'anticipé par les investisseurs. "Tout le monde se connaît ici. Les
informations circulent très vite et on se fait un réseau rapidement avec tous les événements
qui sont organisés". La Silicon Valley s'étire dans un bassin de population d'environ quatre
millions d'habitants autour de la baie de San Francisco.
Dans cet écosystème, près d'une personne sur deux travaille dans les nouvelles
technologies. Sans compter la présence de deux grandes universités qui agissent comme
des catalyseurs de savoir, de financement et de réseau: les fameuses universités de
Berkeley et Stanford. "L'aspect communautaire est un avantage, mais il peut aussi vite
devenir très autocentré" d'après certains observateurs. Cet aspect autocentré se reflète aussi
de plus en plus dans le financement des startup, dont la diversité se rétrécit.
La tendance actuelle se concentre ainsi très majoritairement dans le financement de sociétés
exclusivement basées sur les technologies de l'internet. Avec l'idée pour les investisseurs
que ces sociétés se développent le plus rapidement possible, et d'éviter tous les "freins" de la
production de produits physiques (processus de fabrication, réseau de distribution etc). A la
fin de la semaine, les étudiants semblent acquis au fait de "booster les réseaux et les
connexions", mais se rendent compte aussi que l'écosystème suisse n'est pas en reste et
peut être même plus diversifié.
What's next? Dans la Valley, tout va très vite. Il faut être le premier à développer son idée,
que peut être 50 autres personnes sont en train de développer en même temps. Alors que
Uber arrive à peine à Genève (L'Agefi du 5 septembre), Getaround propose déjà à San
Francisco un service pour maximiser l'utilisation des voitures privées, qui peuvent être
utilisées par plusieurs personnes (avec déjà 500 véhicules équipés du système à San
Francisco).
Dans la Silicon Valley, inutile de se pencher durant des mois sur un business plan de 50
pages, il faut développer son projet, trouver des financements et se lancer, quitte à ce que le
projet soit bancal au départ. Peu importe, il sera adapté au fur et à mesure, en fonction des
expériences et commentaires des pairs ou des consommateurs.
Si toute cette émulation est évidemment propice à la création et l'entrepreneuriat, aucun des
interlocuteurs rencontrés n'a véritablement de vision sur l'ensemble du système et son avenir.
Même ceux qui font partie de la Silicon Valley depuis 20 ans et qui ont traversé la bulle
internet semblent empruntés quand il s'agit de commenter l'avenir de cet écosystème et son
modèle économique.
Pour toutes ces nouvelles entreprises dont le modèle repose en particulier sur la monétisation
des données, une sorte de flou domine... Les règlementations sur la protection des données
viendront-elles enrayer la machine? Le marché mondial de la publicité va-t-il croitre au même
rythme que le big data? Et surtout, le nombre d'acteurs sur ce marché ne sera-t-il pas trop
grand à un certain stade, provoquant une chute du prix de revente des données utilisateurs?
On se contente souvent de répondre que pour l'heure tout va bien, et qu'il n'y a pas de raison
qu'il y ait un renversement de tendance. Même ton emprunté sur l'évolution des marchés
financiers.
Ces dernières années, de nombreuses IPO des nouveaux médias (Facebook, Twitter etc.) se
sont inscrites dans une vague mondiale de marchés haussiers post crise de 2008. En 5 ans
le Nasdaq est passé de 2000 à 4000 points.
Certains y voient la fin d'un cycle (sans forcément qu'il y ait bulle). Dans la Valley, aucune
inquiétude, malgré les mises en garde de grandes institutions sur la survalorisation des
valeurs technologiques qui se multiplient ces derniers mois de la part du Fonds monétaire
international, de la Réserve fédérale américaine ou encore de la Banque des règlements
internationaux.
Un exemple pour la Suisse?
Brillants. Les dix étudiants sélectionnés pour participer à ce Silicon Valley Startup Camp
étaient tous impressionnants par leurs parcours, leurs projets et leurs ouverture d'esprit.
Plus d'un tiers d'entre eux ont déjà la création d'une entreprise à leur actif, alors que la classe
d'âge du groupe se situe entre 18 et 24 ans. Ils retiendront en particulier de leur séjour cette "
give back culture " très développée dans la Silicon Valley, où ceux qui ont réussi n'hésitent
pas à jouer les mentors pour conseiller les nouveaux venus, les orienter, ou les introduire
auprès d'investisseurs par exemple.
"Malheureusement en Suisse, nous manquons un peu de ces mentors car il y a moins de
grandes entreprises technologiques, mais il faut développer le réseau et nous avons aussi
beaucoup d'atouts chez nous" commente un des étudiants.
Quelques phrases prononcées à la fin du séjour résument à elles seules la validité de
l'objectif de ce Stratup Camp: "Avant je croyais savoir ce que signifiait faire du networking.
Mais j'ai vraiment découvert ce que c'était en étant immergé ici, avec toutes les règles et
subtilités pour que le réseautage s'avère véritablement efficace ". Ou encore: "Avant je
n'imaginais même pas créer une entreprise. Aujourd'hui j'en ai envie et j'ai moins peur de me
lancer". Tous enfin ont été particulièrement inspirés par la faculté de résilience des
entrepreneurs locaux, qui n'ont pas peur de l'échec et les perçoivent comme des expériences
permettant d'améliorer sans cesse ses projets. (MT)
Den Originalartikel finden Sie unter http://www.agefi.com/