l`incomparable billy bishop : l`homme et les mythes
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l`incomparable billy bishop : l`homme et les mythes
L’HISTOIRE ANC AH-740-A William Avery Bishop, VC. L’INCOMPARABLE BILLY BISHOP : L’HOMME ET LES MYTHES par le lieutenant-colonel David Bashow « Think of the audace of it. » Maurice Baring V oilà ce qu’a dit, en utilisant le mot français pour donner plus de force à sa formulation, le renommé poète et diplomate britannique alors qu’il servait comme secrétaire particulier du major-général Hugh Trenchard à l’état-major du Royal Flying Corps (RFC) en France et venait d’apprendre la nouvelle de l’audacieux raid de Billy Bishop contre un aérodrome allemand à l’aube du 2 juin 1917. Assurément, William Avery Bishop, premier Canadien à recevoir la Croix de Victoria pour un exploit aérien, ne manquait pas d’audace. C’était aussi un être humain bien imparfait et un modèle de contradictions, souvent en porte-à-faux avec les perceptions qu’avait de lui un public qui l’adorait. Cet homme souvent orgueilleux, ambitieux et casse-cou aimait à l’occasion embellir la vérité à son avantage, mais il fut également un combattant habile, courageux et plein de ressources qui servit d’une manière remarquable son pays lors de deux guerres mondiales. Lors de la Grande Guerre, il devint le meilleur pilote de chasse de l’Empire britannique (on lui reconnut 72 victoires aériennes) et fut pour plusieurs un modèle stimulant à imiter. Durant la Deuxième Guerre mondiale, Billy Bishop, maréchal de l’air et directeur du recrutement pour l’Aviation royale du Canada, fut un extraordinaire agent de stimulation du moral et il fit sans relâche campagne pour le Canada et son effort de guerre, incitant à nouveau beaucoup de citoyens à s’engager. Il prononça aussi des plaidoyers vigoureux et bien charpentés en faveur de la paix tout Automne 2002 ● Revue militaire canadienne en préconisant pour l’après-guerre une étroite coopération entre les nations afin d’assurer l’essor mondial de l’aviation civile. Comme en témoigne son deuxième livre, Winged Peace, très apprécié par la critique, sa vision a pris corps avec l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) fondée en 1947. Toutes ces réalisations intervinrent cependant bien après qu’il eut gagné ses épaulettes dans le ciel au-dessus de la Somme, de la plaine de Douai et de la Flandre en 1917 et 1918. C’est alors que les circonstances d’un Empire accablé par la guerre allaient faire de lui un héros charismatique. Son dossier de guerre suscitera par la suite de très nombreuses controverses, qui, pour la plupart, n’éclatèrent que bien après sa mort en 1956. Billy Bishop est né en 1894 à Owen Sound en Ontario de parents appartenant à la classe moyenne à l’aise. Élève « peu intéressé et aux résultats médiocres », il préfère les sports individuels aux efforts en équipe. Comme il ne répond pas au critères d’admission de l’université de Toronto, il entre en 1911 au Collège militaire royal à Kingston où son frère aîné Worth se trouve déjà. Contrairement à ce dernier, il ne brille pas dans ses études. La légende veut qu’il ait quitté le CMR à l’automne 1914 et qu’on l’ait alors menacé d’expulsion pour avoir triché. En fait, il est, selon le terme anglais alors en usage, « rusticated », c’est-àdire qu’il doit redoubler sa première année à la suite d’une inconduite relativement mineure dans ses études, chose qui n’avait rien d’exceptionnel à l’époque et qui n’entraînait pas l’expulsion. Le lieutenant-colonel David Bashow enseigne l’histoire militaire au Collège militaire royal du Canada. 55 Il reprend sa première année, puis termine sans aucun éclat la deuxième année d’un programme de trois ans. À l’automne 1914, alors qu’il revenait faire sa dernière année comme élève-officier (ce qui indique que le CMR avait une certaine confiance en lui), il décide plutôt de partir à la guerre parce que chacun y va et qu’il ne veut pas manquer cette « grande aventure »1. À vrai dire, son séjour au CMR démontre qu’il est un clown et un chenapan très populaire mais peu appliqué sinon peut-être à courir les jupons. Après un bref séjour dans un régiment de cavalerie canadien en 1915, la boue, les exercices et l’ennui le poussent vers l’aviation militaire. Il utilise alors son exubérance naturelle, son charme et ses relations familiales pour entrer dans le Royal Flying Corps. Il fait une période de service en France comme observateur à bord d’un avion de reconnaissance, se blesse dans un écrasement et est rapatrié en Angleterre. Coup de chance, le jeune homme échappe ainsi au carnage de l’offensive sur la Somme à l’été 1916. Il fait alors jouer ses relations pour recevoir une formation de pilote. Un bref séjour dans la défense aérienne où il pilote de gros Pourtant, cet escadron est crédité de 35 victoires homologuées durant ce mois, dont douze pour Bishop. Pour la plupart des pilotes, cet avril sanglant est un exercice de survie; pour Bishop, c’est une occasion d’avoir des cibles en abondance. Comment s’y prend-il? Il se surmène, effectuant toutes les patrouilles assignées en formation normale tout en demandant à son commandant, le major Jack Scott, la permission de marauder, c’est-à-dire de faire en plus des raids en solitaire derrière les lignes allemandes lorsque l’occasion s’en présente. Comme le major Scott s’évertue à inculquer aux troupes l’esprit offensif du général Trenchard, à porter avec acharnement le combat en territoire ennemi chaque fois que possible et par tous les moyens nécessaires, il accepte donc la requête de Bishop en espérant que l’agressivité de ce jeune Canadien en inspirera d’autres. Durant cette période, si la météo le permet, Bishop participe aux patrouilles quotidiennes de l’escadron et fait aussi des incursions solitaires derrière les lignes ennemies. Son tableau de victoires continue de se remplir, ce qui lui vaut ses premières décorations. Au plan social, il est le prince amuseur de l’Escadron dont il soutien le moral au mess après les heures de service. À la fin avril, il est promu capitaine et reçoit le commandement d’une escadrille. Quelque temps plus tard et à l’insu de Bishop, Jack Scott recommande qu’on lui décerne la Croix de Victoria pour bravoure soutenue. Le grand état-major refuse mais approuve plutôt l’attribution de l’Ordre du service distingué (DSO)2. Ta b l e a u d e S t e p h e n P. Q u i c k Son esprit d’attaque agressive devient une force stabilisatrice énorme et un exemple à suivre pour les autres. En revanche, il est tellement assoiffé de victoires qu’il n’est probablement pas un commandant d’escadrille particulièrement bon. Il ne prend normalement pas le temps de bien coordonner les évolutions de ses subordonnés et, à deux occasions au moins, il oublie ses devoirs d’escorte, dans un cas avec des conséquences désastreuses, pour partir seul à la poursuite de sa proie. Plus qu’autre chose, c’est probablement là le résultat de manques occasionnels de jugement. De plus, sa propension à vanter sa tactique de « loup solitaire » et son agressivité sanguinaire agacent ses camarades britanniques qui ont acquis dans les écoles privées une attitude de modestie affectée, un esprit de travail en équipe et une retenue dans les émotions, et cela lui attire certainement des inimitiés. Toutefois, si Bishop s’est engagé dans l’effort de guerre, c’est pour tuer des Allemands et non pas pour leur servir des petits-fours. En outre, certains de ses contemporains sont probablement frustrés de ne pouvoir obtenir de victoires et jalousent donc ses succès. Le fameux raid de Billy Bishop à l’aube du 2 juin 1917. BE12 encombrants le convainc qu’il souhaite vraiment devenir pilote de chasse. À la mi-mars 1917, son désir se réalise et il est muté au 60e Escadron à Filescamp Farm près d’Arras où il pilote des Nieuport 17 capricieux et déjà dépassés. Il connaît des débuts plutôt difficiles parce qu’il doit s’adapter à ce nouvel avion, mais il obtient assez vite plusieurs succès et commence à diriger des formations en vol. Survient alors le sanglant mois d’avril 1917, un des deux pires de cette guerre pour l’aviation militaire de l’Empire britannique. Durant cette période, la durée de vie moyenne d’un pilote du RFC est de 45 jours, et le 60e Escadron connaît des pertes encore plus terribles : un taux de décès de 110 p. 100 puisque treize des dix-huit pilotes initiaux et sept remplaçants sont abattus. 56 Pourquoi a-t-il tant de succès? D’abord et avant tout, il est prêt à prendre des risques. Il vole tout simplement beaucoup plus que ses camarades, ce qui augmente ses chances de victoire. Deuxièmement, c’est un tireur excellent et énergique qui a su appliquer ses talents de chasseur de gibier au combat aérien. Troisièmement, il tire un profit maximum de l’effet de surprise en employant aussi souvent que possible la tactique du raid éclair. Le fait d’être seul le rend certes plus vulnérable mais lui donne aussi plus de flexibilité tactique. Quatrièmement, la probabilité de rencontrer des avions ennemis derrière les lignes allemandes est plus forte. En effet, les patrouilles ennemies volant en formation évitent souvent les formations alliées si le rapport des forces et les paramètres d’attaque ne leur conviennent pas. Bishop court aussi la chance de rencontrer des avions allemands isolés en transit, à l’entraînement ou en vol de test de maintenance derrière leurs lignes. Enfin, il a une vision remarquable et détecte tout simplement plus de cibles que ses camarades. Littéralement épuisé par ses six premières semaines au 60e Escadron, Bishop prend un congé en Angleterre au début mai. Il y est adulé et dorloté, et cette nouvelle popularité lui fait grand plaisir. Il retourne à ses devoirs plus tard dans le mois, bien décidé à devenir celui des as de la chasse de l’Empire britannique à avoir Revue militaire canadienne ● Automne 2002 La dernière période de participation de Bishop aux combats commence le 22 mai à Petite Synthe près de Dunkerque à partir d’où il survole le front de la Flandre. Moins d’un mois plus tard, on lui donne l’ordre de se retirer des combats pour de bon. Les dirigeants canadiens craignent alors vraiment de le perdre et redoutent les effets négatifs que cela aurait sur le moral du pays. Il vient d’ajouter 25 victoires à son palmarès en seulement douze jours de combat et, cette fois, ses victoires prêtent moins à controverse car elles sont vérifiées ou confirmées en plus grand nombre6. À nouveau, il brille dans ses activités sociales; mais, trop absorbé par ses ambitions personnelles, il n’est pas un très bon officier de commandement. On le décore cependant de la toute L’HISTOIRE commandement du 85e Escadron qui est équipé de l’excellent avion SE 5a. Plus de 200 pilotes se portent volontaires pour servir sous ses ordres. Si on avait à l’époque jugé que Bishop était un imposteur, une telle chose ne se serait certainement pas produite. Voilà Bishop devenu célèbre. Scott cherche à nouveau à lui obtenir la Croix de Victoria et, le 11 août 1917, après neuf semaines de formalités bureaucratiques, on annonce officiellement que Bishop recevra cette décoration. Entre-temps, Bishop continue d’obtenir des victoires dont certaines sont homologuées par Scott même en l’absence de témoins directs. Ainsi Scott enregistre-t-il comme « décisives » des victoires que seule la parole du pilote atteste. Il semble bien que des témoignages provenant d’autres sources finirent par faire surface; mais certains membres de l’Escadron crurent qu’on accordait un traitement de faveur à Bishop, ce qui créa de l’animosité4. Il reste extrêmement populaire auprès de la plupart de ses camarades, mais certains jugent à partir de ce moment qu’il a trop d’ambition Photo d’après-guerre de Bishop et de William Barker debout devant le Fokker DVIIs qui personnelle. Quoi qu’il en soit, son rythme de travail leur appartenait. frénétique l’amène à nouveau au bord de l’épuisement. Le général Trenchard et d’autres supérieurs craignent qu’il ne nouvelle Croix du service distingué dans l’Aviation et on le subisse le même sort que Ball; et c’est ainsi qu’on décida, le 16 promeut au grade de lieutenant-colonel avant de l’envoyer en août 1917, d’éloigner des combats celui qui, avec ses 47 victoires Angleterre aider à mettre sur pied l’Aviation royale du Canada revendiquées, était « l’as des as » incontesté de l’Empire outre-mer qu’on vient tout juste de créer. britannique. Pourquoi donc y a-t-il alors depuis quelques années tant de Couvert d’encore plus de décorations, Bishop revient au controverses au sujet des états de service de Bishop durant la Canada et fait les manchettes des journaux. Pour les Canadiens Première Guerre mondiale? Si l’on examine les choses de près, il fatigués de la guerre, c’est là un véritable remontant. Le pays est n’y a à cela rien de particulièrement mystérieux. Il importe avant aux prises avec la menace d’une crise de la conscription, des tout de bien saisir le paradoxe inhérent aussi bien à ses écrits qu’à chemins de fer défaillants, des privations accrues, une guerre sous- sa personnalité. D’une part, il y a le caractère sobre, laconique et marine totale, l’imminence de l’écroulement de la Russie en tant même retenu de ses rapports de combat sur lesquels reposent ses qu’alliée de guerre et un flot apparemment sans fin de rapports revendications de victoire et ses récompenses. Loin d’embellir la d’Ottawa sur la mort de soldats canadiens. Pour faire contrepoids, vérité, il était réputé avoir tendance à ne pas prétendre à des succès les champs de bataille n’ont guère de succès à offrir sinon la catégoriques mais à en laisser la confirmation à des témoins réussite récente mais isolée du contingent canadien sur la crête de pouvant les corroborer s’ils existaient. D’autre part, il y a Vimy. Sous les yeux attentifs du Bureau de l’information publique, l’exagération pure de ses écrits sociaux et autres histoires du ministère de la Milice et de la Défense et d’éditeurs intéressés, inventées. Vrai prototype du pilote de chasse, il adore régaler son Bishop rédige son autobiographie Winged Warfare. Il ne fait guère auditoire et sa famille avec ce qui ne sont que des « histoires de de doute qu’on lui a conseillé d’embellir la vérité5 afin d’aider au pêche », ce qu’il admet d’ailleurs volontiers. La chose est recrutement. À la même époque, il épouse son amour d’enfance, particulièrement évidente dans son Winged Warfare et dans Margaret Burden, avant d’entreprendre une série de voyages de plusieurs articles de revues de métier ou d’aventure des années 1920 et 1930. Plus tard, ces embellissements l’embarrasseront. relations publiques très réussis à travers l’Amérique du Nord. Dans une entrevue publiée par le Globe and Mail de Toronto le 12 En avril 1918, il retourne en Angleterre pour un troisième tour septembre 1956, juste deux jours après son décès, il déclare à ce de service opérationnel aérien. Il est promu major et reçoit le propos : « C’est tellement mauvais que je ne peux pas lire ça Automne 2002 ● Revue militaire canadienne 57 Photo RE68-5450 du MDN le plus de victoires. Celui qui jusque là dominait le classement, le capitaine Albert Ball, vient de tomber le 7 mai, et Bishop devient de facto le nouveau leader avec ses 19 victoires homologuées; mais il est loin du score final de 44 victoires de Ball. Vers la fin de mai, il a ajouté quelques avions à sa liste et décide alors de lancer un raid contre un aérodrome allemand qui se ferait audacieusement à l’aube. Au mess des officiers, la nuit du 1er juin, il discute de son plan avec ses camarades et son chef avant de leur demander de l’accompagner. Ils trouvent ce raid trop dangereux, mais Scott l’approuve puisqu’il répond aux exhortations de Trenchard de porter le combat chez l’ennemi. Le 2 juin à 3 heures du matin, il demande une dernière fois à son commandant d’escadrille en second, Willy Fry avec qui il partage sa chambrée, de l’accompagner, mais Fry se retourne et se rendort3. À précisément 3 h 57 du matin, Bishop décolle et survole d’abord un aérodrome près de Cambrai où il n’observe aucune activité, puis un deuxième où il repère et attaque au sol six Albatros et deux biplaces. Après son premier tour de mitraillage, les Allemands décollent pour le prendre en chasse. Il déclarera plus tard en avoir abattu trois, dont deux très près du sol en plein décollage, puis avoir mis le cap à l’ouest vers les premières lignes du front et la sécurité. En cours de route, il échappe à une patrouille aérienne allemande et rentre à Filescamp Farm avec son appareil sérieusement endommagé par le combat après une heure et 43 minutes de vol. aujourd’hui. Ça me fait lever le cœur. C’était juste bon pour les manchettes des journaux, du fla-fla, des cocoricos enflammés à la gloire du bon côté. Pourtant, le public aimait ça ». [TCO] Il ne faut cependant pas confondre ces histoires avec ses rapports de combat qui sont d’un haut professionnalisme. On connaît plusieurs cas bien documentés où il a en fait minimisé ses succès au combat, succès que d’autres personnes ont pourtant plus tard confirmés7. Photo 70001 du Musée national de l’aviation Durant la Grande Guerre, Bishop a certes eu quelques détracteurs mais beaucoup plus de partisans. En fait, à part une certaine confusion causée par Courage of the Early Morning, la biographie que son fils Arthur lui a consacrée en 1965, ce n’est pas avant 1982 qu’on met sérieusement en doute ses états de service lors de la Première Guerre mondiale. Cette année-là l’Office national du film lance The Kid Who Couldn’t Miss, un prétendu drame qui mêle histoire et fiction et laisse entendre que certaines parties de la carrière de combat de Bishop sont des fabrications. Le film accorde une attention particulière au raid contre l’aérodrome, et on y porte à croire que, à son retour, Bishop aurait atterri derrière les lignes alliées et tiré sur son propre avion pour simuler des dommages encaissés pendant la bataille. Une enquête Troupes canadiennes examinant un Albatros DVa allemand qu’on a capturé. subséquente du Sénat s’avère peu concluante faute de preuves solides capables de réfuter les hypothèses du film. Ce film mettait en doute l’existence du raid en se fondant sur des conjectures : • • • • • Bishop n’aurait pas pu accomplir sa mission selon la durée et l’altitude spécifiées dans son rapport. Le raid dépassait les capacités de son avion. On suppose qu’il a atterri derrière les lignes alliées avant de retourner à son aérodrome de Filescamp Farm et qu’il a tiré sur son Nieuport avec sa propre mitrailleuse Lewis qu’il a ensuite abandonnée. Certaines des marques de combat étaient très rapprochées les unes des autres, ce qui porte à penser qu’elles sont le fait de Bishop. Sa mitrailleuse Lewis avait censément disparu à son retour du raid. Les archives allemandes ne mentionne pas son raid. Une partie du problème découle du fait que, pendant longtemps, les parties intéressées se sont trompées quant à l’aérodrome contre lequel le raid a eu lieu. En effet, dans The Courage of the Early Morning, Arthur Bishop, suivi en cela par d’autres, situe cet aérodrome à Estourmel, alors qu’il aurait plutôt été à Esnes, quatre milles plus au nord. Son erreur provient sans doute de ce qu’Estourmel était à l’époque la seule base fixe de chasseurs dans la région immédiate et qu’Esnes, à cause la proximité des deux aérodromes, pouvait passer pour être dans la zone d’Estourmel qui était une zone agricole assez peu peuplée8. 58 Pour ce qui en est des capacités du Nieuport 17, le renommé ingénieur et historien canadien Philip Markham a démontré qu’une durée de vol d’une heure et 43 minutes ne les excédait certainement pas compte tenu du plan de vol rapporté, ce qui inclut une altitude variant de 50 à 7 100 pieds. Markham affirme aussi que cet avion pouvait même avoir une capacité de vol d’une durée de 2 heures et 25 minutes avec certains plans de vol9. En ce qui concerne l’atterrissage, Bishop admet franchement avoir été très stressé et désorienté après l’attaque de l’aérodrome. Si vraiment il a atterri, et même cela est douteux, il avait probablement besoin du réconfort momentané de se retrouver au sol pour reprendre ses esprits. Il se peut bien qu’il ait souffert de ce qu’on appelle aujourd’hui le syndrome du stress post-traumatique dont on ne savait rien en 1917. Il a peut-être eu besoin de se renseigner sur le chemin à suivre puisqu’il ne savait pas exactement où il se trouvait à ce moment. Quant à avoir tiré sur son propre avion pour augmenter sa crédibilité personnelle, c’est là une supposition tout simplement ridicule. En juin 1917, les Nieuport 17 tombaient du ciel avec une régularité alarmante à cause de défauts non encore bien compris dans la structure de leurs ailes inférieures. En fait, la chose se produisit cinq fois dans le seul escadron de Bishop et, dans plusieurs cas, ces accidents furent fatals10. Suggérer qu’un pilote endommagerait intentionnellement le fuselage d’un avion dont il connaît les faiblesses structurelles défie toute logique. De plus, comme le Nieuport 17 n’avait ni frein de roue ni frein de stationnement et que moteur rotatif Le Rhône de 120 CV avait un régime de ralenti élevé et imprévisible, il aurait fallu que le pilote coupe son moteur pour débarquer et ouvrir le feu11. Ceci dit, le Nieuport n’avait pas de démarreur automatique, et Bishop aurait alors été probablement forcé d’inviter un ou plusieurs témoins à constater sa supercherie ou, à tout le moins, son comportement extraordinairement bizarre, puisque quelqu’un aurait dû actionner l’hélice pour démarrer le moteur. Les dommages subis pendant le raid s’expliquent aisément par les tirs d’armes légères de l’aérodrome d’Esnes et par ceux de la DCA des premières lignes allemandes que Bishop affirme avoir essuyés à son retour12. On connaît exactement la position des impacts sur l’avion; la plupart sont à l’arrière des ailes inférieures et sur la gouverne de profondeur, ce qui détruit la thèse des dommages volontairement provoqués qui auraient été avant tout latéraux, sur le fuselage et le gouvernail par exemple13. En revanche, les dommages aux ailes, à la gouverne de profondeur et au fuselage peuvent fort bien avoir été causés par des tirs atteignant, à partir du sol, l’avion en vol. Le mécanicien de Bishop, le sergent Nicod, a pris soin de noter spécifiquement par écrit « tant les dommages des tirs de mitrailleuses que ceux d’armes antiaériennes plus lourdes » tout en précisant l’emplacement exact des impacts sur l’avion14. Quant à la mitrailleuse Lewis manquante, Willy Fry raconte dans Air of Battle, publié en 1974, que Bishop lui a dit qu’il avait connu un pépin en essayant d’y installer de nouvelles munitions lors du vol de retour. L’arme s’est enrayée en position basse, lui obstruant ainsi la vue et lui enlevant sa liberté de mouvements. Il lui était cependant facile de la larguer par dessus bord d’autant plus qu’elle ne lui était plus d’aucune utilité. Bob Bradford, directeur adjoint du Musée national de l’aviation, a écrit une lettre au sénateur Marshall et à son comité d’enquête dans laquelle il explique très en détail à quel point cela était facile à faire15. Il faut noter que, à part les quelques mots de Fry sur ce sujet et la mention qu’en fait Arthur Bishop dans son Courage of the Early Morning quand il affirme que son père s’était débarrassé de cette arme devenue un poids mort, personne d’autre n’en a jamais remarqué l’absence, et Billy Bishop ne l’a jamais mentionnée. De plus, la Revue militaire canadienne ● Automne 2002 Toutefois la contestation la plus persistante de la légitimité d’une attaque d’un aérodrome à l’aube se fonde sur l’absence de mention dans les archives allemandes d’une cible que Bishop aurait pu attaquer ce matin-là. Pourtant, un expert très fiable qui a étudié ce qui reste des archives allemandes17 confirme la présence ce matin-là d’une unité en transit, la dernière de trois escadrilles de la Jagdstaffel 20, sur un aérodrome temporaire à Esnes18. Le léger déplacement de cet aérodrome quatre milles au nord de celui d’Estourmel servait probablement à fournir une réserve abondante en cas de mauvais temps, qui avait causé des problèmes depuis quelque temps, ou pour le combat si le besoin s’en était fait sentir. Cette unité transitait de la 2 Armee allemande dans le secteur français à la 4 Armee allemande en Flandre19. C’est « à Esnes ou à Awoignt » (autre aérodrome situé à environ quatre milles au sud-ouest d’Estourmel) que Bishop situe l’événement rapporté dans son rapport de combat. D’ailleurs, le nombre d’avions ennemis qu’il a signalés, leurs types et les circonstances qu’il a rencontrées20 sont tous compatibles avec les faits établis à de petites divergences près, ce qui est compréhensible et raisonnable étant donné la situation21. L’événement n’apparaît probablement pas dans les archives allemandes parce que, selon Steward K. Taylor et d’autres, la Jagdstaffel 20 était toujours en transit vers sa nouvelle affectation et que, selon les règlements allemands, elle n’était donc pas encore obligée de faire rapport22. En effet, selon la coutume allemande, il aurait été inhabituel de consigner les choses au dossier dans ces circonstances, sauf pour ce qui est des journaux de guerre de la Jasta qui se déplaçaient avec l’échelon de base et que les bombardements alliés ont détruits pendant la Deuxième Guerre mondiale. Contrairement à un mythe populaire, les Allemands ne consignaient en fait des choses au dossier que de façon très sélective à cette époque. Ils avaient aussi tendance à ne pas rapporter les mauvaises nouvelles, sauf si les règles de procédure les y obligeaient absolument. Ils manquaient également d’uniformité dans leur façon de rapporter les noms des aviateurs vaincus qui n’avaient été que blessés ou étaient sortis indemnes d’un affrontement, tout comme ils hésitaient à rapporter les dommages matériels aux avions23. Le lecteur doit se rappeler que Bishop a demandé à plusieurs reprises d’être accompagné lors de ce raid. Ceux qui s’apprêtent à faire une fraude n’invitent normalement pas de témoins à les suivre. Il existe aussi une pléthore de preuves indirectes qui appuient l’existence réelle du raid : rapports de prisonniers de guerre, témoignages d’aviateurs alliés et observations d’un aéronaute24, mais aucune preuve directe du fait qu’il n’aurait pas eu lieu25. L’auteur du présent article est d’avis qu’un nombre suffisant de preuves indirectes finit en soi par donner une certaine légitimité à l’existence d’un fait. Les Allemands avaient peut-être une autre raison de ne pas ébruiter la nouvelle du raid. À l’époque, la Jagdstaffel 5 à Estourmel, responsable de la défense aérienne de l’ensemble de ce secteur du front, était commandée par le Leutnant Werner Voss, qui se classait deuxième pour le nombre de victoires parmi les as allemands de cette période et qui était un atout réel en relations publiques. L’audacieux raid de Bishop aurait bien pu ternir la réputation de ce jeune héros; et ce n’était pas dans les politiques de l’Allemagne de donner une image négative de ses guerriers à la Automne 2002 ● Revue militaire canadienne presse nationale ou mondiale. Les Allemands pouvaient aussi craindre qu’une confirmation de ce raid n’incite d’autres pilotes alliés à suivre l’exemple de Bishop26. Finalement, Bishop fut le seul non Allemand à jamais être admis, à Berlin en 1928, dans l’Association des as allemands de la Première Guerre mondiale. Comme ils respectent le courage au feu, même chez des adversaires, il est très peu probable que les Allemands auraient admis un fraudeur avéré dans les rangs de leur association. Que Bishop ait obtenu une, deux, trois ou même une demi-douzaine de victoires lors de son raid importe peu. Le fait qu’il ait entrepris ce raid était un acte incroyablement dangereux, infiniment courageux et stimulant. À un moment particulièrement difficile, il a servi de modèle à imiter et a été une source d’inspiration et de force pour les autres. C’est de là qu’il tire toute sa véritable valeur. S’il y a eu travestissement de la vérité, c’est dans le film de l’ONF qu’il se trouve, car cette production vient semer le doute sur le reste des victoires qu’a revendiquées Bishop. En fait, dans le système britannique de revendication et d’homologation qui, il faut l’admettre, était le moins exigeants de ceux qu’utilisaient les nations belligérentes, Bishop a un taux d’homologation très élevé par rapport aux autres as de l’Empire dans la mesure où les archives allemandes permettent cette confirmation pour chacun d’entre eux. Des trois as aviateurs de l’Empire ayant reçu des missions de chasse en solitaire (Albert Ball, James McCudden et Billy Bishop), seul McCudden obtient un taux d’homologation supérieur à celui de Bishop. C’est que Ball et Bishop se battaient loin derrière les lignes allemandes, ce qui rendait l’homologation plus difficile. McCudden avait comme proies préférées les biplaces volant immédiatement au-dessus des lignes, de sorte qu’il y eut des témoins pour nombre de ses combats. Des 72 victoires homologuées de Bishop, 38 peuvent être appariées avec des noms spécifiques d’aviateurs allemands27 ou ont été confirmées par des témoins. En fait, on a retrouvé les noms précis des victimes allemandes pour 22 de ces victoires28. Par comparaison, on n’a pu associer le nom d’une victime allemande que pour douze des 44 victoires homologuées de Ball, dont cinq manquent de précision. Si l’on appliquait ce critère de l’identification de la victime allemande dans le cas des victoires homologuées des autres grands as de l’Empire, Mick Mannock obtiendrait 21 sur 61, George McElroy un sur 46, Anthony Beauchamp-Proctor trois sur 54, Ira Jones, aussi partisan de Mannock que détracteur de Bishop, deux sur 3729 et ainsi de suite. Aussi, en dépit de toutes les insinuations et compte tenu des circonstances liées à ses méthodes de combat préférées et aux lieux de ses engagements, de la rareté des archives allemandes, des pratiques allemandes de la tenue de dossier ainsi que de la possibilité d’une interprétation erronée de ces dossiers, les victoires revendiquées par Bishop ont-elles un taux de vérification impressionnant. Il est vrai que les règles britanniques d’homologation de cette époque étaient souples. Toutefois, même avec ces paramètres et comme l’atteste le distingué historien canadien Sydney Wise : « Une proportion très élevée des supposées victoires de Bishop ont en fait été confirmées par des témoignages indiscutables. Je ne trouve aucun fondement à une allégation de fraude quant au dossier de Bishop, et je crois pouvoir l’affirmer avec autorité après avoir examiné l’ensemble de ce dossier »30. Parmi les Canadiens qui servirent dans le Royal Flying Corps, Bishop n’a certainement pas été le meilleur des leaders car il s’intéressait trop à sa propre personne. C’était cependant un guerrier plein de talents et de ressources, et il était animé d’une bravoure hors du commun. Il a servi son pays d’une manière particulièrement remarquable et il a été une source d’inspiration lors d’une période très pénible. Sa bravoure et son exemple rappelle vraiment le courage d’un Napoléon même au lever du jour… 59 L’HISTOIRE disparition d’une mitrailleuse Lewis au 60e Escadron n’est jamais mentionnée dans les rapports hebdomadaires routiniers envoyés, au sujet des mitrailleuses, par le quartier général du RFC en France à un quartier général plus élevé. En outre, on ne trouve de mention d’un atterrissage derrière les lignes alliées que dans Air of Battle de Fry. Selon lui, Bishop lui aurait dit s’être perdu et avoir atterri dans le secteur français pour demander son chemin à des ouvriers agricoles16. Ni Bishop ni son fils n’ont jamais mentionné cet atterrissage temporaire. NOTES 1. J. Ross McKenzie, The Real Case of Nb 943: William Avery Bishop, Kingston, Collège militaire royal du Canada, 1990. 2. L’état-major du RFC peut ne pas s’être senti à l’aise avec l’attribution d’une VC pour bravoure continue par opposition à un acte de bravoure spécifique, bien que cette Croix ait été accordée pour un tel motif par la suite, par exemple à l’as irlandais Edward « Mick » Mannock, et à Leonard Cheshire du célèbre Bomber Command de la Deuxième Guerre mondiale. 3. W.M. Fry, Air of Battle, Londres, William Kimber, 1974, p. 135. 4. Au moins deux de ces revendications sont censées avoir été confirmées par les témoignages d’équipages alliés d’autres unités. Dan McCaffery, Billy Bishop: Canadian Hero, Toronto, James Lorimer, 1988, p. 214. 5. La préface de l’éditeur à cet exercice en hyperboles, qui inclut un combat inexistant avec von Richthofen, indique clairement l’objectif du livre : « Servir d’inspiration à tout jeune homme qui est dans l’aviation militaire ou qui envisage une carrière militaire. » W.A. Bishop, Winged Warfare, New York, George D. Doran, 1918, iv. En fait, les histoires officielles objectives sur le rôle du Canada dans la guerre 1914-1918 n’apparaissent pas vraiment avant le milieu des années 1930 et, même alors, elles n’eurent pas de succès populaire. « Vers le milieu des années 1930, les Canadiens n’avaient plus besoin d’une histoire officielle de la guerre, car ils s’étaient fabriqué leur propre histoire. » Jonathan F. Vance, Death so Noble – Memory, Meaning, and the First World War, Vancouver, UBC Press, 1977, p. 172. [TCO] 6. Dan McCaffery, Billy Bishop, p. 207. 7. « De fait, ses rapports de combat étaient souvent très modestes. On trouve beaucoup d’affirmations comme : ‘‘J’ai vidé le restant de mon chargeur sur lui de loin sans pouvoir dire si je l’ai ou non touché.’’ ou comme ‘‘Il a disparu en plongée, j’ai tiré une trentaine de coups sur lui sans résultat apparent.’’ ou encore, ‘‘J’ai engagé le combat avec eux et un biplace a piqué du nez; mais, selon moi, le pilote contrôlait encore en partie son appareil .’’ » Ibid., p. 137. [TCO] 8. Le témoignage de l’ancien lieutenant de l’air britannique Philip B. Townsend, publié dans Cross & Cockade en 1985 et repris par le journaliste historien Dan McCafferty dans son ouvrage sur Bishop, semble bien lui aussi confirmer le lieu du raid à Estourmel plutôt que dans la zone d’Estourmel. C’est une distinction importante. David L. Bashow, Knights of the Air, Toronto, McArthur, 2000, p. 124. 9. Philip Markham, « The Early Morning of 2 June 1917 », Over the Front, 10, 3, 1995, p. 240. 10. Encore un autre accident fatal dans cette hécatombe d’avions survint au 60e Escadron exactement cinq jours après le raid de Bishop sur l’aérodrome. A.J.L. Scott, Sixty Squadron RAF, 1916-1919, Londres, Greehill, 1990, p. 45. 11. Robert W. Bradford, Directeur adjoint du Musée national de l’aviation, lettre au sénateur Marshall, Sénat du Canada, 15 octobre 1987. 12. Arthur Bishop, The Courage of the Early Morning, Toronto, McClelland & Stewart, 1965, p. 103. 13. Il y avait des dommages mineurs à ces endroits, mais le gros des dégâts se trouvait sur le bas des ailes inférieures et sur la gouverne de profondeur. 14. A.A. Nicod, « Reunion Memories », Popular Flying, janvier 1936. [TCO] 15. Robert W. Bradford, Directeur adjoint du Musée national de l’aviation, Lettre au sénateur Marshall, Sénat du Canada, 15 octobre 1987. 16. W.M. Fry, Air of Battle, p. 136. 17. Il s’agit de l’historien bien connu de l’aviation canadienne, Stewart K. Taylor, récipiendaire du prestigieux Prix Thornton Hooper pour excellence en histoire de l’aviation. De plus, les historiens britanniques réputés Norman Franks, Frank Bailey, Russell Guest et 60 Rick Duiven notent que la Jasta 20 change de force en passant de la 2e à la 4e Armée, donnant ainsi du poids à l’assertion de Taylor selon qui la Jasta 20 a livré son dernier combat comme unité de la 2e Armée le 24 mai 1917. Norman Franks, Frank Bailey, Russell Guest et Rick Duiven, The Jasta War Chronology, Londres, Grub Street, 1998, p. 54, 62 et 65. Une source connexe, Philip Markham confirme qu’il y avait un aérodrome allemand juste au nord du village d’Esnes, en plus de l’aérodrome installé ultérieurement, en 1918, au sud de ce village. Philip Markham, « The Early Morning…», p. 256. 18. Le 1er mai 1985, le colonel d’aviation (ARC, ret.) A.J. Bauer, président du Billy Bishop Heritage Museum à Owen Sound, faisait la tournée du site des aérodromes de la Grande Guerre autour de Cambrai, Esnes, Awoignt et Estourmel. Plus tôt cette journée, il a visité les baraquements de guerre du 60e Escadron à Filescamps Farm/Izel-les-Hameaux. Après un bon et tranquille repas à l’Hôtel Mouton Blanc, il part en promenade, s’arrête prendre un verre dans un bistro local plein de fêtards du Premier Mai et en profite pour compléter ses notes pour son journal de bord. On y trouve ceci textuellement : « Tout un coup que cette rencontre avec les Meunier, Gaston et Philippe, au bistro ce soir. Gaston (qui ne parle pas anglais, ivre mort) partage ma petite table. Philippe (fils de Gaston) se joint à nous. Je parle de mon boulot (B.B.) Il se fait que Gaston a été témoin du raid à Esnes alors qu’il avait 12 ans!! Je lui laisse ma carte (P.C.) et 50 ff pour les frais postaux de Philippe. Il va m’écrire. Je reviendrai interviewer Gaston (âgé de 81 ans). » [TCO] Philippe Meunier dit aussi à Bauer que son père gardait fièrement un exemplaire de l’article de La guerre aérienne illustrée du 4 octobre 1917 qui racontait en détail le raid de Bishop et que les Allemands s’étaient sentis obligés de démentir formellement dans un communiqué. Cependant, avant que le colonel Bauer puisse tirer plus d’information de cette intrigante rencontre, il reçoit de Philippe en août l’annonce du décès de son père Gaston. Quoi qu’il en soit, Bauer se rappelle que ce vieil homme avait dit, par l’intermédiaire de son fils, que, encore gamin, il avait observé le raid du 2 juin 1917. Plus spécifiquement, Gaston Meunier se rappelait avoir entendu les tirs du Nieuport probablement contre des cibles au sol et il remarqua la cocarde britannique sur le Nieuport lorsque celui-ci survola son point d’observation. Peu après, il se rappelait avoir vu deux avions abattus, l’un à l’intérieur de l’aérodrome, l’autre juste à l’extérieur. Il vaut la peine de noter que la rencontre de Bauer avec les Meunier précède de plusieurs mois le premier énoncé de la thèse de Stewart K. Taylor faisant d’Esnes plutôt que d’Estourmel le lieu de l’attaque d’un aérodrome par Bishop. C’est là ce qu’a affirmé Taylor dans son témoignage devant le souscomité du Sénat le 17 octobre 1985. H. Clifford Chadderton, Hanging a Legend: The NFB’s Shameful Attempt to Discredit Billy Bishop, VC, Ottawa, Les Amputés de guerre du Canada, 1986, p. 189; et A. J. Bauer, lettre et conversation téléphonique avec l’auteur, 13 mai 2002. 19. La Jasta 20 n’était qu’une des nombreuses unités de reconnaissance allemandes installées à cette époque au nord du territoire de la 4e Armée en Flandre. Entre le 17 mai et le 1er juillet 1917, la dotation en Jasta de la 4e Armée grossit de quatre à quatorze unités qui provenaient en majorité d’Armées situées au sud de cette portion du front de la 6e Armée que Bishop avait l’habitude de survoler. Ce déplacement rend l’installation, à cette époque, d’une base de ravitaillement provisoire dans la zone d’Esnes d’autant plus logique. Norman Franks, Frank Bailey et Rick Duiven, The Jasta War Chronology, p. 55, 63, 73 et 285. 20. Bishop rapporte avoir vu les abris et les hangars de l’aérodrome qu’il attaquait. Il serait compréhensible qu’il ait, dans le feu de l’action, confondu des hangars en toile avec des structures permanentes. Quant à la présence d’abris, ils étaient faciles à transporter. Comme l’explique Philip Markham, « … il faut bien comprendre que les Allemands disposaient d’une organisation très efficace pour ériger et démonter des abris et que leur nombre sur un aérodrome particulier pouvait changer en quelques jours selon l’arrivée ou le départ des unités. » Philip Markham, « The Early Morning…», p. 251. 21. On a fait beaucoup trop de cas du fait que Bishop a probablement identifié incorrectement une sous-variante d’avions de reconnaissance Albatros à Esnes, qu’il a signalé des abris au lieu de hangars en toile plus plausibles et compté six au lieu des sept avions ennemis qui étaient effectivement là. Ces erreurs sont bien compréhensibles et n’ont guère d’importance de toute façon. Lorsque, débordant d’adrénaline, il fonçait à travers les balles et à basse altitude sur un aérodrome ennemi, Bishop ne pas préoccupait certes pas cure des analyses interminables de stratèges en fauteuil et d’historiens sur de telles banalités. Il n’avait besoin d’autres justifications que la vue de croix noires sur les ailes pour ouvrir le feu. David L. Bashow, Knights of the Air, p. 123. 22. Témoignage de Stewart K. Taylor devant le Sénat du Canada, Ibid., p. 189. 23. Ibid., p. 126, 189. 24. Ces dernières années, on a rejeté le témoignage de l’aéronaute britannique Louis Alexander Weirter, mort en 1932, sous prétexte qu’il se serait trouvé trop loin pour voir le combat à Estourmel. Pourtant, il faisait très beau ce matin-là dans cette zone du front avec en particulier une excellente visibilité de haut en bas; comme l’action se déroulait à Esnes en direction ouest, Weirter se trouvait plus près qu’on ne l’a d’abord pensé, soit à environ 10 milles. Par temps clair, un aéronaute militaire retenu stationnaire à 4 000 pieds d’altitude pouvait voir jusqu’à 40 milles et disposait d’une gamme formidable d’appareils optiques pour renforcer sa vision. <http:// www.wpafb.af.mil/museum/early_years/ ey5a.htm> 25. David L. Bashow, Knights of the Air, p. 124. 26. C’est ce qui est en fait arrivé. Sans tarder, on imita le raid de Bishop durant la bataille de Messines moins d’une semaine plus tard. H.A. Jones, The War in the Air, Oxford, Clarendon Press, 1932, p. 3, 130. 27. Poussés par de bonnes intentions, plusieurs historiens ont assigné catégoriquement des noms d’équipages allemands à des aviateurs alliés spécifiques sur la base d’une « forte probabilité » liée aux conditions spécifiées dans leurs rapports de combat. De telles victoires peuvent bien appartenir à quelqu’un d’autre, mais ce facteur d’incertitude peut jouer pour ou contre un individu. Dans l’ensemble, l’auteur de cet article croit que cette façon de faire favoriserait généralement Bishop puisqu’il s’engageait plutôt dans des combats individuels par opposition à la majorité des pilotes qui se battaient en grandes formations tournoyantes caractéristiques de la guerre aérienne de 1918. 28. David L. Bashow, Knights of the Air, p. 126. 29. Christopher Shores, Norman Franks et Russell Guest, Above the Trenches : A Complete Record of the Fighter Aces and the Units of the British Empire Air Forces, 1915-1920, Londres, Grub Street, 1990, p. 69, 95, 151, 217. 30. H. Chadderton, Hanging a Legend…, p. 192. [TCO] Revue militaire canadienne ● Automne 2002