BCE : « preview » ou « spoiler »

Transcription

BCE : « preview » ou « spoiler »
Apériodique – n°14/36 – 9 mai 2014
BCE : « preview » ou « spoiler » ?

À l’occasion de la réunion du 8 mai, Mario Draghi
a fait une nouvelle entorse à la règle historique
qui veut que la BCE ne s’engage jamais à
l’avance sur ses décisions futures. En déclarant
que le Conseil des gouverneurs était « à l’aise »
pour agir le mois prochain, le président de la
BCE a probablement mis la BCE dans une
position où elle sera contrainte d’assouplir la
politique monétaire en juin.

L’autre changement important dans la
communication est venu d’un discours plus
ferme sur les risques liés au taux de change de
l’euro dans un contexte d’inflation basse. Draghi
n’a pas donné de détails sur les outils qui
pourraient être mis en œuvre pour tenter de
peser sur la devise, mais la BCE avait déjà
indiqué qu’un taux de dépôt négatif serait la
réponse appropriée à ce risque spécifique.

Nous tablons au minimum sur une petite baisse
du taux principal de refinancement (et du taux de
prêt marginal) en juin. Sur le front de la liquidité,
une prolongation du régime d’appels d’offres
illimités jusqu’en 2016 permettrait de renforcer le
guidage des anticipations en « découplant »
davantage la politique monétaire de la BCE de
celle de la Fed.

Un programme généralisé d’achats d’actifs reste
peu probable tant que les conditions de crédit
s’améliorent progressivement, selon nous, mais
des mesures ciblées visant une meilleure
transmission de la politique monétaire (LTRO
conditionnel, rachats d’ABS et autres titres de
dette privée) restent à la fois souhaitables et
probables d’ici la fin de l’année.
Innovant une fois de plus dans sa communication, le
président Draghi a signalé que la BCE était prête à
assouplir sa politique en juin en déclarant que le
Conseil des gouverneurs était « à l’aise » pour agir le
mois prochain, à l’occasion de la publication des
nouvelles prévisions du staff. Dans le langage des
séries télévisées, Draghi a donné un avant-goût du
prochain épisode (preview), risquant au passage
de tuer tout suspense (spoiler). Ce signal explicite
est en ligne avec notre prévision d’une baisse du
taux de refinancement le mois prochain, la décision
sur le taux de dépôt étant quant à elle suspendue à
l’évolution des cours de change. De fait, tout en
répétant que la BCE était indépendante et n’agissait
pas sous la pression des gouvernements ou des
institutions internationales, Mario Draghi a durci son
discours concernant les risques liés au change en
soulignant que l’appréciation de l’euro était « un
sujet de préoccupation majeure » dans un
contexte d’inflation basse. De telles interventions
verbales peuvent faire effet pendant un certain temps
– la réaction des marchés cette semaine confirme
que la parole de Draghi pèse toujours autant – mais
si l’euro repasse durablement au-dessus du seuil
de 1,40, notre sentiment est que la BCE finira par
abaisser le taux de dépôt en territoire négatif.
La « forward guidance » a fonctionné pour les taux, pas pour l’euro
0.90
%
0.80
0.70
Eonia
1Y1Y Eonia
ECB
f orw ard
guidance
Ref i rate
cut
ECB
'unanimous'
1.42
1.40
1.38
EUR/USD (rhs)
0.60
1.36
0.50
1.34
0.40
1.32
0.30
0.20
1.30
0.10
1.28
0.00
Jun-13
1.26
Sep-13
Source: Bloomberg, Crédit Agricole CIB
Études Économiques Groupe
http://etudes-economiques.credit-agricole.com
Dec-13
Mar-14
Jun-14
Frederik DUCROZET
[email protected]
La BCE gagne du temps pour de
bonnes et de mauvaises raisons
La communication l’a emporté sur le fond lors de la
conférence de presse du 8 mai. Draghi a de nouveau
utilisé la session de questions-réponses pour faire
passer ses messages, indiquant notamment que le
Conseil des gouverneurs n’était pas « satisfait »
du profil d’inflation à moyen terme. Un malaise
(unanime) qui explique que la BCE soit « à l’aise »
pour agir le mois prochain, sur la base des nouvelles
projections du staff. Les changements dans le
communiqué officiel de la BCE ont été assez
marginaux, mais cohérents avec ce message plus
dovish. Ainsi, la remontée attendue de l’inflation à
moyen terme est qualifiée de « seulement »
graduelle. Les tensions géopolitiques ont été élevées
au rang de risque baissier sur l’activité. Enfin, le
communiqué signale que « de nouvelles informations
concernant les perspectives d’inflation et la
disponibilité du crédit bancaire seront disponibles
début juin », ce qui renforce les attentes pour la
réunion du mois prochain.
Mario Draghi a décrit le rebond de l’inflation en
avril comme étant à peu près en ligne avec les
anticipations, tout en estimant que l’inflation allait
probablement se maintenir autour de ses niveaux
actuels dans les mois qui viennent. Il a répété que
« plus la période d’inflation basse est longue, plus
le risque de décrochage des anticipations
d’inflation est élevé », mais il n’a pas évoqué
l’enquête de la BCE auprès des prévisionnistes
(Survey of Professional Forecasters), qui sera
publiée le 15 mai, et dont la BCE a généralement
connaissance à l’avance. Mario Draghi a par
ailleurs abondamment commenté l’amélioration
des conditions de crédit décrite par l’enquête
trimestrielle de la BCE auprès des banques (Bank
Lending Survey), ce qui suggère qu’un programme
d’assouplissement quantitatif (QE) de grande
envergure reste très improbable pour l’instant.
Concernant les conditions de liquidité, Mario
Draghi a insisté sur les aspects positifs de la
normalisation en cours sur le marché monétaire,
notant que « la liquidité échangée sur le marché
de l’Eonia a augmenté de façon très significative ;
le retour des banques sur ce marché est un signe
positif ». Cela suggère que la BCE pourrait
accepter le coût de la normalisation (des taux au
jour le jour plus volatiles et plus élevés, en
moyenne) et s’en tenir à une approche minimaliste
sur ce sujet.
On peut trouver plusieurs mauvaises raisons au fait
que la BCE temporise depuis plusieurs mois et nous
nous sommes trompés en prévoyant une baisse de
taux en mars (cf. Focus précédent), mais il existe
également de bonnes raisons qui font que la BCE
gagne du temps. Tout d’abord, il sera plus facile
pour la BCE de se démarquer de la Fed au
moment où cette dernière entame une
normalisation de sa politique monétaire (avec la
fin du QE3, puis une première hausse des taux en
2015) : la stratégie de guidage des anticipations
(forward guidance) pourrait être plus efficace dans un
tel contexte et maintenir les taux courts, voire la
devise, à de plus bas niveaux. Deuxièmement, les
mesures conventionnelles que la BCE est
susceptible de prendre seront probablement les
dernières – autant utiliser ces dernières cartouches
au dernier moment, quand l’inflation se stabilise
enfin, voire amorce une légère remontée.
Troisièmement, la revue des bilans bancaires (Asset
Quality Review) et les stress tests sont en cours et si
la BCE avait besoin de mettre en œuvre des
mesures ciblées d’assouplissement du crédit
(lien), sous la forme d’achats de dettes privées
par exemple, il serait plus facile pour elle,
techniquement et politiquement, de le faire au
troisième trimestre.
Pas de QE tant qu’une amélioration des conditions de crédit est attendue
25
monthly flow s,
EURbn
20
Bank loans to nonfinancial corporations
BLS - expected
demand for credit (rhs)
15
net %
40
30
20
10
5
10
0
0
-5
-10
-10
-15
-20
-20
-25
-30
09
10
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Source: Crédit Agricole CIB, ECB
N. 14/36 – 9 mai 2014
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Frederik DUCROZET
[email protected]
Un passage à l’acte en juin, mais
pas de QE en vue
Après la conférence de presse du 8 mai, la
principale question qui se posera pour les marchés
devrait concerner la nature des mesures
d’assouplissement de la BCE davantage que leur
calendrier. Comme indiqué dans notre « mode
d’emploi », nous pensons les prévisions
d’inflation du staff de la BCE seront de
nouveau révisées à la baisse en juin, forçant la
BCE à réagir via des mesures d’assouplissement de réglage fin, dans un premier temps.
Un rebond de l’inflation en zone euro à plus de
1,2% en mai serait nécessaire pour que les
prévisions du staff restent à peu près en ligne – un
scénario très improbable. À l’inverse, nous
pensons que des mesures radicales telles qu’un
QE à grande échelle ne seront pas discutées plus
en détail tant qu’une amélioration graduelle des
conditions de crédit est attendue et que les
perspectives d’inflation à moyen terme restent à
peu près stables. La projection médiane du staff
pour l’inflation en 2016 devrait rester quasi
inchangée autour de 1,5%, à moins d’un choc sur
les anticipations d’inflation d’ici là.
Nous tablons donc, en scénario central, sur
une baisse du taux de refinancement (de 0,25%
à 0,15%) et du taux de prêt marginal (de 0,75%
à 0,50% ou en-deçà) en juin, avec une
prolongation du régime d’appels d’offres
illimités à taux fixe jusqu’en 2016, contre mi2015 actuellement. La BCE n’abaisserait le taux
de dépôt en parallèle que si l’euro s’appréciait audelà de 1,40 dans les semaines à venir. Rien ne
garantit qu’un taux de dépôt négatif ferait
fortement reculer la devise, mais la BCE ellemême (notamment le président de la Bundesbank,
Jens Weidmann) a déclaré récemment qu’une telle
mesure serait une réponse appropriée à un euro
« trop fort », au moins dans un premier temps. De
telles
mesures
d’assouplissement
sont
généralement considérées comme modestes, voire
trop timides, et pourraient en effet s’avérer
insuffisantes et trop tardives pour affaiblir la
monnaie unique. La BCE ne le dira pas de cette
façon, mais en réalité il n’y a probablement pas
grand-chose qu’elle puisse faire à l’heure
actuelle. 
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N. 14/36 – 9 mai 2014
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