Décadence du Chat Noir - 5 janvier 1895 Les - Bruges-la
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Décadence du Chat Noir - 5 janvier 1895 Les - Bruges-la
Décadence du Chat Noir - 5 janvier 1895 Les huissiers, en ce moment, sont aux prises avec les chansonniers. On vient de fermer à Montmartre un de ces cabarets-chantants qui y sont nombreux. Celui-ci s'appelle : « Aux Décadents ». On y chansonnait le pouvoir et même le président de la République en des couplets dont l'autorité s'est émue. On a déjà poursuivi plusieurs journaux pour offenses envers sa personne. Maintenant c'est une chanson qu'on arrête. Il est vrai que la chanson, en France, est une arme fine, dangereuse, vite mortelle. On a dit que tout y finissait par des chansons. Tout y commence aussi par elles, même les révolutions. Ce n'est pas le cas pour ces quelques couplets : la Présidence à Casimir, qui ont causé la fermeture de l'établissement, et l'auteur, M. Paul Daubry, a protesté de son respect pour les lois et les pouvoirs. Sans doute qu'il n'ira pas en prison comme Béranger, bon père des chansonniers, et que le cabaret-chantant ne sera fermé que quelques jours, en guise d'avertissement pour lui et les autres. N'importe ! M. Carnot se montrait plus tolérant que M. Casimir-Périer ou son entourage. Le défunt président souriait avec bonhomie des chansons, satires, caricatures que sa dignité un peu trop correcte et apprêtée défraya. On sait entre autres les désopilantes pages de Caran d'Ache sur lui et ses voyages. Or, un jour, à l'ouverture d'un Salon de peinture aux Champs-Élysées, on le mena devant un portrait de lui. Il eut un sourire et dit : « Il n'y a que M. Caran d'Ache qui me fasse ressemblant ». Or, l'esprit a plus raison ici que la rigueur. Et voici que M. Rodolphe Salis. Et voici que M. Rodolphe Salis aussi tourmente les chansonniers au même moment. Il a mis en mouvement les huissiers pour mêler leur jargon aux couplets. La cause ? C'est que d'anciens chansonniers de son établissement font des tournées en se servant de cette étiquette alléchante ; ils s'annoncent comme les chansonniers du Chat Noir. Or, ils ne le sont plus, dit le patron Salis. Nous l'avons été, répondent les chansonniers. Ce caractère est-il inaliénable ? C'est ce qu'on veut faire décider par les tribunaux. Au fond, il n'y a qu'une question de rivalité ? Ces chansonniers ont émigré ailleurs. Ils chantent dans des établissements rivaux. M. Rodolphe Salis a d'ailleurs vu la concurrence sortir de sa propre famille. Son frère a ouvert à proximité une taverne analogue : L’Âne Rouge, et les transfuges de l'un fréquentent chez l'autre. Nous avons ainsi les deux Salis, comme les deux Coquelins ou les deux Mounet, avec la bonne entente en moins. Salis aîné, il est vrai, planait d'abord ; il était désintéressé de ces mesquines luttes. Devenu riche et châtelain, il avait quitté son cabaret de la rue de Laval définitivement, semblait-il, et on s'attendait à ne plus le voir reparaître à Paris qu'au Palais-Bourbon, élu député par ces rustres du pays de Châteauroux où il possède castel à créneaux et mâchicoulis dans le goût des Contes drolatiques de Balzac, dont il adopta la langue pour ses boniments. Mais l'affaire cédée périclita, et puis le cabaretier-barnum regretta peut-être la grande ville, ses soirs de verve grandiloquente et de triomphe. Il est revenu au Chat Noir, a rallié ses fidèles, poursuit les transfuges. De là le procès en question vis-à-vis des chansonniers qui font le Chat Noir en province et en dehors de lui. Il poursuit des contrefacteurs. Cela devrait se plaider au tribunal de commerce. Mais, quoi qu'on décide, les temps glorieux du Chat Noir sont finis. Toute affaire à Paris se démode vite. Après le Chat Noir nous avons eu, dans un autre genre, le Théâtre Libre, qui, après un bruit énorme, dépérit, tomba. Et, malgré procès, efforts, tapage, le patron du Chat Noir sera dans ce cas. C'est toujours l'histoire du poème en prose de Baudelaire sur le vieux saltimbanque, le vieil homme de lettres, qui n'est qu'un moment « le brillant amuseur ».