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DU RIFIFI sur les TWEETS ...Pas de liberté sans responsabilités Par Maître France Charruyer Société d'Avocats ALTIJ Associé fondateur La jurisprudence traitant des licenciements ayant pour cause des propos tenus sur Twitter est encore naissante. Un parallèle est à faire avec Facebook et les procédures de licenciement d’utilisateurs un peu trop bavards sur leur « mur ». Lorsqu’il n’est plus au travail, le salarié n’est plus sous la subordination de l’employeur. Il a droit au respect de sa vie privée et jouit de ses libertés individuelles, au premier titre desquelles sa liberté d’expression et d’opinion. Pour autant, l’employeur est en droit de prononcer un licenciement pour un fait tiré de la vie personnelle du salarié, dans le cadre de restrictions limitées. La jurisprudence distingue les faits intervenus en dehors du temps et du lieu du travail relevant strictement de la vie privée du salarié et ceux susceptibles de se rattacher à la vie professionnelle du salarié. Les faits relevant uniquement de la vie personnelle du salarié sont ceux dépourvus de tout lien avec l’employeur ou l’entreprise, c’est-à-dire commis en dehors du temps et du lieux du travail et n’emportant aucune conséquence sur les relations de travail entre l’employeur et le salarié. Ces faits ne peuvent faire l’objet d’un licenciement disciplinaire mais seulement constituer une cause réelle et sérieuse à la condition que ces faits créent un trouble caractérisé au sein de l’entreprise, compte tenu des fonctions du salarié et de la finalité propre de l’entreprise. La légitimité du licenciement dépendra pour beaucoup du retentissement du comportement incriminé à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. Lorsque les faits commis par le salarié sont liés à son travail, soit parce qu’ils se rattachent à sa vie professionnelle, soit parce qu’ils caractérisent un manquement aux obligations découlant du contrat de travail, l’employeur retrouve le droit de prononcer une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement disciplinaire. Le salarié reste, en effet, tenu à certaines obligations découlant du contrat de travail même en dehors du champ professionnel : il en va ainsi de son obligation de loyauté et de probité ou de son obligation de sécurité. Ces principes dégagés par la jurisprudence s’appliquent précisément aux licenciements tirés de l’utilisation de ces nouveaux outils de communications ou supports d’expression publique que sont Facebook, blog, tweeter. – L’utilisation personnelle d’Internet en dehors des temps et lieux de travail Lorsqu’il quitte l’entreprise et se trouve à son domicile le salarié s’estime a priori libre de ses faits et gestes. Toutefois comme dans d’autres secteurs, le phénomène d’interconnexion créé par Internet brouille cette frontière naturelle. En utilisant les réseaux sociaux depuis son domicile personnel ou tout autre lieu étranger à son lieu de travail le salarié communique dans une sphère privée en principe hermétique. Cette conversation comme toute autre conversation peut avoir pour objet ou pour effet de nuire à son entreprise. La question est de savoir si l’employeur est susceptible de sanctionner un salarié pour des actes relevant de l’utilisation de ces réseaux et à quelles conditions. Du point de vue juridique cette question impose de définir la nature juridique du réseau social : réseau privé ou réseau public ? – Les critères des licenciements Facebook : le paramétrage sur la confidentialité ou non de votre mur « Facebook ne peut pas être une zone de non droit » La CNIL a émis ses recommandations sur l’utilisation des réseaux sociaux virtuels. Il s’agit d’adapter les paramètres de confidentialité en fonction des destinataires prévisibles des informations publiées. Le point commun des décisions Facebook porte sur l’argument des parties relatif à la violation de la vie privée. Le juge va donc faire la différence suivant que la page Facebook soit un espace privé ou un espace public. Ce sera alors le critère du paramétrage qui sera pris en compte, c’est-à-dire la confidentialité de votre « mur » : votre compte sera considéré comme public s’il est ouvert aux amis de vos amis, en revanche il sera privé s’il reste limité au cercle fermé d’amis dûment listés. Selon votre paramétrage, vous pourrez peut-être être sauvé… Les amis de mes amis ne sont pas forcément mes amis…. Votre employeur veille et vous surveille… Votre avocat en tirera argument selon les faits de l’espèce et les juges trancheront. - Twitter est un espace public sous surveillance Un employeur à la limite du harcèlement moral, des conditions de travail pas toujours exemplaires, et une envie de le partager sur votre réseau social favori ? Réfléchissez-y à deux fois ! Twitter est lui dans une autre dynamique, les propos que vous pouvez tenir sur ce site de « micro blogging » sont consultables par n’importe quel internaute, inscrit ou non sur le réseau social, conférant donc à vos « tweets » un caractère incontestablement public. L’exposition de vos « tweets » qui se résument bien souvent, du fait de leur instantanéité, à des avis précipités vous exposent plus largement, de plus fort lorsque vos « tweets » concernent directement votre entreprise. Non seulement, l’employeur pourrait être en droit de prononcer un licenciement pour cause réelle et sérieuse ou pour motif disciplinaire selon que votre tweet crée un trouble caractérisé au sein de l’entreprise ou caractérise un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Vous vous exposez de surcroît, selon la nature de votre « tweet » et notamment en cas d’injure, dénigrement, diffamation à répondre de vos actes devant les juridictions civiles ou pénales. Si en principe, vous avez droit au respect de votre vie privée, votre employeur ne peut pas s’immiscer dans le domaine de votre vie personnelle. Autrement dit, votre employeur ne pourrait pas en théorie vous licencier pour des faits que vous avez commis dans le cadre de votre vie privée. Il en découle que, sauf exception, « les faits commis par un salarié qui ne sont pas en corrélation avec son activité salariée ne peuvent pas être considérés comme fautifs » (Cass. Soc. 5 mars 2000 n°98-44022). Il existe cependant des exceptions selon les cas d’espèce: 1 L’exception factuelle du « trouble caractérisé au sein de l’entreprise » « Si en principe, il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié, il en va autrement lorsque le comportement de celui-ci a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise » (Cass. Soc. 14 septembre 2010 n°09-65675). Cela suppose que les faits qui vous sont reprochés reposent sur des éléments objectifs imputables au salarié, un comportement ou des agissements personnels. Mais le plus souvent, ce trouble objectif peut être, en pratique, caractérisé au regard de la finalité de l’entreprise et de vos fonctions. À cet égard, il faudra se demander alors si le « tweet » que vous avez posté a réellement causé un « trouble caractérisé à l’entreprise » et s’interroger sur le retentissement de ce tweet ? Un nouveau critère de distinction pourrait surgir selon que vous êtes populaire ou non sur tweeter, le nombre de « followers » peut s’avérer un facteur aggravant si vous êtes très suivi ou exonératoire (si vous êtes ignoré de la masse).... À ce titre, on peut citer l’exemple du Journaliste Pierre Salviac, « spécialiste » du rugby sur RTL et l’Equipe TV qui a posté un tweet humoristique mais injurieux à l’égard de Valérie Trierweiler, journaliste politique et compagne de François Hollande : « À toute mes concoeurs, baisez utile, vous avez une chance de vous retrouvez première Dame de France ». Suite à ce tweet injurieux, le journaliste fait l’objet d’un licenciement. Les faits reprochés à Pierre Salviac et invoqués comme motif de licenciement se sont déroulés en dehors de ses temps et lieu de travail, sur un réseau externe. Toutefois, on peut se demander si c’est le comportement de celui-ci qui est reprochable en ce que « son humour » aurait réellement créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise ou si ce n’est pas l’audience et la notoriété du journaliste sur un fait aussi suivi et le relayage de son tweet ? Le paradoxe est évident , à votre corps défendant, vos followers , adeptes de votre tweet, en retweetant précipitent votre perte..... Il appartiendra aux juges de qualifier les faits et de retenir ou non les éléments de preuve portés à sa connaissance étant précisé que la responsabilité civile et pénale du twitteur peut également être engagée notamment sur le fondement de l’article 1382 et suivants du Code civil et sur le fondement de l’article 29 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Les exception de vérité et de bonne foi en défense feront la joie des commentateurs , nous voici revenus aux temps de « l’intention- reine » et aux batailles de prétoires. 2 L’exception contractuelle : Le manquement du salarié à son obligation de loyauté Outre la publicité des propos, le critère important à prendre en compte pour savoir si votre employeur peut valablement exercer son pouvoir de direction ou de sanction serait celui du manquement du salarié à ses obligations contractuelles, notamment de bonne foi. Ainsi, le salarié se doit de ne pas rendre publique une information confidentielle ou diffamatoire et conserver par prudence la plus stricte neutralité . Mais l’employeur doit lui aussi faire preuve de prudence dans l’arsenal de sanction dont il dispose vis-à-vis de l’auteur du « tweet » litigieux : - veiller à la transparence de ses pratiques sociales dans l’entreprise notamment sur les réseaux sociaux (Chartes informatiques), - respecter la règle de proportionnalité entre l'atteinte présumée et la sanction envisagée, un tweet par essence instantané peut être maladroit sans volonté pour autant de nuire aux intérêts de l'employeur, - s’abstenir de toute intrusion dans la vie privée de son salarié mais la frontière vie privée/ vie professionnelle étant plus poreuse que jamais, on peut se demander quelles seront les limites fixées par la jurisprudence sur un tel espace de liberté d’expression, instantané et spontané par essence ? Surtout, l’employeur devra lui aussi être loyal dans l’obtention de la preuve de comportement présumé indélicat de son salarié tweeteur et dans ses pratiques sociales. Il appartiendra aux juges selon les faits de fixer la ligne rouge ou Maginot à ne pas franchir par les uns et les autres et se souvenir du sage Portalis "Pas plus qu'il n'est juste pas plus qu'il n'est utile ...".