ministère public

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ministère public
L’égalité des armes dans le procès pénal
A
ffirmer, dans le contexte actuel, que le ministère public assume une fonction de rétablissement de l’égalité des armes dans le procès
pénal serait paradoxal, tant on a essayé, ces
dernières années, de le confiner dans une mission exclusive d’accusation.
La plupart des intervenants au procès pénal –
avocats, juges, voire substituts – ont très largement adhéré à cette présentation d’un ministère public dont l’unique objectif est de réprimer.
Un symptôme spectaculaire de cette tendance
est la proposition de loi du 17/9/2001 ayant
pour objet, à peine de nullité de la procédure,
de contraindre le ministère public d’exercer
exclusivement à la barre, en se tenant au banc
de la partie civile, et d’entrer par la porte des
avocats et du public1.
Les développements qui
précèdent cette proposition de loi sont particulièrement révélateurs de
l’état d’esprit des auteurs
de celle-ci. On peut notamment y lire :
Cette présentation restrictive de la fonction du
Procureur du Roi doit pourtant être nuancée,
voire démentie.
Si l’exercice de l’action publique constitue une
des missions principales du Procureur du Roi,
en l’exerçant, il s’en dépouille et en confie le
sort au juge du fond.
A l’audience, il a pour fonction de requérir
condamnation lorsque la culpabilité est établie,
mais de requérir l’acquittement s’il existe un
doute quant à cette culpabilité.
D’autre part, d’autres missions, devoirs et responsabilités lui sont confiés, notamment vis- àvis du justiciable.
LE MINISTÈRE PUBLIC DOIT-IL
ET PEUT-IL ASSUMER UNE FONCTION
DE RÉTABLISSEMENT DE L’ÉGALITÉ
DES ARMES DANS LE PROCÈS PÉNAL ?
“…il n’est plus sérieusement contestable que le
ministère public est, en
matière
pénale,
une
“ partie à la cause ” - et
non la moindre - qui
pour faire triompher ses
thèses, veut convaincre et est donc nécessairement amené à développer son argumenta-
1
tion à cette fin. Partant, il se distancie de la
stricte objectivité et impartialité… ”2.
Proposition de loi déposée par M. Vincent Decroly et Mmes Karine Lalieux et Jacqueline
Herzet, modifiant les articles 768 et 1107 du
code judiciaire et insérant un article 29 bis
dans le Code d’instruction criminelle libellé
comme suit :
“ Sans préjudice de l’article 768, alinéa 1er du
Code judiciaire, en aucun cas le ministère public ne sera présent en chambre du conseil
avec les j uges hors la présence des parties à
la cause ou de leur avocat, à peine de nullité
de la procédure.
A l’audience, le ministère public exerce
l’action publique à la barre exclusivement, en se tenant au banc de la partie
civile, et accède à la salle d’audience uniquement par la porte d’accès des avocats
et du public, à peine de nullité de la procédure. ”
Luc Bouilliez
La
Recommandation
(Rec(2000)19)
du
6/10/2000 du Comité des Ministres du Conseil
de l’Europe sur le rôle du ministère public dans
le système de la justice pénale3 prévoit expressément, dans la section relative aux “ Devoirs
et responsabilités du ministère public vis-à-vis
des justiciables ”, en son point 24 :
2
p.4 du DOC50 1413/001 de la Chambre des
Représentants de Belgique.
3
Recommandation adoptée le 6/10/2000
dont le texte est disponible sur le site Internet du Conseil de l’Europe. L’objectif
de cette Recommandation,
selon
l’exposé des motifs, est de “ dégager les
grands principes directeurs communs qui
devraient, selon lui, régir les ministères
publics à l’aube du IIIème millénaire, tout
en recommandant des objectifs concrets
à atteindre pour parvenir à un équilibre
institutionnel dont dépendent largement
la démocratie et la prééminence du droit
en Europe ”.
L’égalité des armes dans le procès pénal
“ Dans l’exercice de sa mission, le ministère
public doit notamment :
a.
agir de façon équitable, impartiale et
objective ;
b.
respecter et faire protéger les droits de
l’homme tels qu’ils sont énoncés par la
Convention de sauvegarde des Droits de
l’Homme et des Libertés fondamentales ”.
Malgré l’arrêt Van Geyseghem du 21/1/1999 de
la Cour Européenne des Droits de l’Homme6,
confirmant sa jurisprudence antérieure, et la
jurisprudence désormais concordante de la Cour
de cassation7, qui affirment que ce droit doit
être reconnu, même si le prévenu fait défaut,
bon nombre de juges apprécient toujours en
opportunité s’ils autorisent ou non son conseil à
le représenter, après d’ailleurs que ce dernier
en ait inutilement demandé l’autorisation.
Le point 29 de cette même Recommandation
est encore plus précis sur le rôle du ministère
public, quant au principe de l’égalité des armes :
Il appartient, dans ce cas, au ministère public
de rappeler la norme européenne , le droit fondamental qu’elle crée, et d’en réclamer
l’application.
“ Le ministère public veille au respect de
l’égalité des armes, notamment en transmettant aux autres parties – sauf exception prévue
par la loi – les informations en sa possession
qui seraient susceptibles d’affecter le déroulement équitable du procès ”.
D’un point de vue théorique, tel que déjà défini,
c’est sa fonction.
Tel doit être le cas dans notre droit interne dans
lequel le ministère public est porteur de tous les
intérêts de la société et non des seuls intérêts
de la répression. Il ne peut être partial et doit
requérir sans parti pris 4.
Le prévenu et la partie civile doivent bénéficier
des services et du soutien du Procureur du Roi
aux fins de ne pas être placés dans une “ nette
situation de désavantage ” pour la présentation
de leur cause 5.
Pour illustrer cette fonction, un exemple remarquable peut être relevé dans le droit toujours
contesté du prévenu d’être assisté d’un défenseur de son choix et ce, même s’il fait défaut.
4
BOSLY, Henri-D. et VANDERMEERSCH,
Damien, Droit de la procédure pénale,
1999, p 106
5
Voy. notamment l’arrêt du 23/1/1996 de
la Cour Européenne des Droits de
l’Homme (affaire Bulut c/Autriche) qui
rappelle que, “ selon le principe de
l’égalité des armes – l’un des éléments de
la notion plus large de procès équitable –
chaque partie doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause
dans des conditions qui ne la placent pas
dans une situation de désavantage par
rapport à son adversaire (…). Dans ce
contexte, la Cour attribue une importance
aux apparences autant qu’à la sensibilité
accrue aux garanties d’une bonne justice ” (47ème attendu)
A l’inverse du juge et des autres parties, vu sa
position originale – et non privilégiée – il est
également le mieux placé pour être ainsi le
garant du respect effectif des droits fondamentaux, tel le droit de l’accusé d’être représenté
par son défenseur, mais aussi, par exemple, la
présomption d’innocence dont il doit bénéficier.
Le principe du procès équitable, dont celui de
l’égalité des armes est une application, permet
de considérer que cette fonction s’exerce tant
au profit de l’accusé que de la partie civile 8.
Par identité de motifs, la fonction de rétablissement de l’égalité des armes pourraient être
confiée au ministère public dans d’autres domaines que celui de la procédure pénale. Elle
est d’ailleurs déjà d’application, à des degrés
divers, dans des domaines tels que le droit du
travail ou les matières relatives aux personnes.
6
Affaire Van Geyseghem c/ Belgique (reème
quête n°26103/95), 34
attendu : “ Le
droit de tout accusé à être effectivement
défendu par un avocat figure parmi les
éléments fondamentaux du procès équitable. Un accusé n’en perd pas le bénéfice du seul fait de son absence au débats. Même si le législateur doit pouvoir
décourager les abstentions injustifiées, il
ne peut les sanctionner en dérogeant au
droit à l’assistance d’un défenseur ”.
7
Cass. 16/3/1999, pas., I, n°158 ; Cass.
4/9/2001,
R.G.P.01.0687N,
inédit ;
contra :
corr.
Nivelles,
6/5/1999,
J.T.1999, p.663.
8
Le champ d’application matériel des garanties du procès équitable est déterminé
par la notion de “ bien fondé d’une accusation en matière pénale ” mais aussi à
celle de “ contestation sur les droits et
obligations en matière civile ”
L’égalité des armes dans le procès pénal
A cette fin, une évolution de la “ culture juridique ” et du comportement de l’ensemble des
intervenants dans la procédure sera sans doute
nécessaire, mais avant tout des magistrats du
ministère public qui devront s’affirmer comme
protecteur des Droits de l’Homme, conformément à la recommandation du Conseil de
l’Europe.
Luc Bouilliez
substitut du procureur du Roi
à Charleroi
L’égalité des armes dans le procès pénal

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