L`arthrose de la cheville et son traitement - rhumatologie
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L`arthrose de la cheville et son traitement - rhumatologie
TRAITEMENT DE L’ARTHROSE DE LA CHEVILLE . V LEGRE, P LAFFORGUE, B PICLET CHU Conception Marseille 147 Bd Baille 13005 MARSEILLE Congrès Sport et Appareil Locomoteur Journée de Bichat du 1er Avril 2006 L’arthrose de la cheville est peu fréquente, et généralement secondaire à des traumatismes de type entorse ou fracture de la cheville. Survenant souvent à un âge assez jeune, elle reste longtemps bien tolérée, mais peut évoluer vers un enraidissement douloureux particulièrement invalidant chez des sujets actifs. Le choix du traitement ne se fera qu’après un bilan clinique et paraclinique soigneux. Bilan pré-thérapeutique Il est indispensable de bien identifier la cause de la douleur. Même en présence d’une arthrose radiologique, il faudra s’assurer que la douleur ne provient pas de : - une atteinte tendineuse (tibial postérieur) - une compression nerveuse (tunnel tarsien) - une souffrance de la sous-talienne associée responsable des symptômes (radios, test anesthésique) Rappelons aussi que la « cheville du sportif » (ostéophytose surtout antérieure, sans pincement articulaire) est habituellement bien tolérée. Un bilan anatomique précis de la cheville permettra de connaître les possibilités thérapeutiques (Table 1) - Radiographies en charge de face et de profil (avec cerclages) : degré de l’arthrose, recherche de défaut d’axe, de corps étrangers, analyse de l’articulation sub-talienne et talo-naviculaire, Echographie à la recherche d’un épanchement talo-crural, ou sous-talien, avant d’indiquer une infiltration, Scanner en cas de doute sur une atteinte associée sub-talienne ou médio-tarsienne Arthro-scanner si arthrose localisée ou en cas de corps étrangers pour étudier leur possibilité d’exérese arthroscopique. IRM plus rarement pour dépister précocément une souffrance sub-talienne, et avoir un état global de l’arrière-pied. Table 1 : bilan pré-thérapeutique Le traitement médical. Peu d’études portent de façon spécifique sur le sujet. Ce traitement médical est limité et se superpose au traitement des autres localisations arthrosiques des membres inférieurs, notamment la gonarthrose. 1. La combinaison de recommandations générales, d’antalgiques, d’AINS en cures courtes, d’orthèses, est proposée dans un premier temps. - - La réduction d’une surcharge pondérale semble logique pour réduire les contraintes articulaires. L’économie articulaire est recommandée, dans le contexte sportif et professionnel, en particulier en cas d’instabilité chronique de la cheville ou de déviation statique axiale. Les orthèses stabilisatrices de cheville sont indiquées dans les cas pré-cités, et le port de chaussures montantes semi-rigides est recommandé. Les orthèses plantaires amortissantes et correctrices peuvent avoir un intérêt notamment en cas d’arthrose compartimentale interne, d’équin (compensation hauteur du talon) ou de trouble statique du pied.. Les antiarthrosiques symptomatiques d’action lente AASAL (chondroîtine sulfate, diascereine, insaponifiables, glucosamine sulfate…) n’ont pas été évalués dans l’arthrose douloureuse de la cheville. 2. Les infiltrations cortisoniques. Elles n‘ont pas non plus été étudiées spécifiquement dans la cheville, mais l’expérience montre qu’elles apportent régulièrement un soulagement dans les périodes inflammatoires, en cas d’échec ou d’intolérance aux AINS, notamment en cas d’hydarthrose chronique. La technique doit être rigoureuse, de préférence radio ou échoguidée, car les repères cliniques sont parfois aléatoires sur une cheville tuméfiée ou anciennement opérée. • Pour l’infiltration talo-crurale, la voie d’abord antéro-interne (en dedans du tendon du tibial antérieur, utilisée par les arthroscopistes) apparaît sûre, et ne comporte pas le risque vasculo-nerveux de la voie antérieure médiane. Le risque septique doit rester en mémoire, surtout dans les arthroses post-fracturaires opérées. • L’arthrose sub-talienne, souvent associée, peut bénéficier d’une infiltration cortisonique radioguidée avant d’envisager une arthrodèse. Par ailleurs, elle peut être couplée à un test anesthésique si l’on veut faire la part des symptômes avec l’atteinte talo-crurale. 3. La viscoinduction (injections intraarticulaires d’acide hyaluronique). Lorsque le traitement médical n’est pas suffisant et la chirurgie non indiquée ou prématurée, les injections intraarticulaires d’acide hyaluronique (AH) pourraient représenter une alternative thérapeutique. Ce n ‘est qu’en 2004 qu’ont été présentées les premières études prospectives. • Nous avons effectué une étude ouverte multicentrique, menée chez 18 patients atteints d’arthrose talo-crurale symptomatique avec échec du traitement médical (1). Le protocole consistait à injecter une dose d’hylane GF-20 sous contrôle radioscopique après injection de contraste , avec possibilité d’une seconde et troisième injection à 2 semaines d intervalle en cas d’efficacité insuffisante. Les injections ont été dans l’ensemble bien tolérées, avec des réactions douloureuses locales transitoires chez 22% des patients (8% des injections) ne nécessitant l’arrêt du traitement que dans 1 cas. 66% des patients ont eu une réduction de la douleur et de la fonction d’au moins 20mm (p< 0,02) à 1 mois et à 6 mois. La plupart des patients avaient une arthrose sévère de grade IV de Kellgren et Lawrence. Dans la majorité des cas, 3 injections ont été nécessaires. • Une étude américaine, randomisée, a été menée chez 20 patients souffrant d’arthrose talo-crurale , comparant 5 injections hebdomadaires de hyaluronane (Hyalgan®) chez les 10 patients du groupe traité à 5 injections placebo dans l’autre groupe (2). Le critère principal était l’échelle fonctionnelle AOS (Ankle Osteoarthritis Scale), évaluée sur 6 mois. Dans le groupe traité, 55,6% des patients ont eu une amélioration significative des VAS, pour seulement 12,5% dans le groupe placebo. La tolérance s’est avérée bonne. Les injections d’acide hyaluronique semblent ainsi intéressantes dans l’arthrose talo-crurale, malgré le caractère évolué des arthroses étudiées. Néanmoins, les études restent peu nombreuses, portent sur de petits effectifs et ont été publiées sous forme d’abstract. A la lumière de ces études et de notre expérience, nous proposons un schéma directeur pour ce traitement. VISCOINDUCTION DANS L’ARTHROSE DE LA CHEVILLE Indication : arthrose talo-crurale, quelle que soit sa sévérité, isolée (arthrose sous-talienne non concernée) Contre-indications : Allergie à l’un des constituants ou à l’iode (repérage arthrographique) Contexte septique, antécédent de fracture ouverte Trouble de coagulation Réalisation technique : En salle de radiologie Ponction articulaire radioguidée Evacuation d’un éventuel épanchement Injection de 1 à 2 ml de produit de contraste (vérification de la position articulaire de l’aiguille) injection de l’ampoule d’acide hyaluronique. Rythme des injections : 3 injections à 2 semaines d’intervalle Glaçage de la cheville après l’injection et prescription d’un repos de 24h post-injection Information écrite sur le risque de réaction inflammatoire Le traitement chirurgical En cas d’insuffisance du traitement médical, et si le handicap fonctionnel le justifie, une solution chirurgicale peut être proposée, cependant plus délicate à la cheville que pour les autres articulations. Dans les arthroses peu évoluées, ou comportant des phénomènes mécaniques, un débridement articulaire peut améliorer la situation, en supprimant par exemple les blocages liés à une « souris » articulaire, ou la gène liée à un conflit ostéophytique. Dans les stades évolués d’arthrose, se discute l’option d’une arthrodèse talo-crurale ou d’une prothèse totale de la cheville de troisième génération; L’arthrodèse comme la prothèse donnent de bons résultats fonctionnels, et un taux de satisfaction élevé du patient, mais des restrictions ou inconvénients respectifs. Le tableau résume les caractéristiques et les indications de ces interventions (table 2) Le débridement articulaire arthroscopique. L’arthroscopie de la cheville comporte 2 à 3 voies (antéro-interne, antéro-externe, postéro-externe). Ce traitement permet une « toilette articulaire » comportant divers gestes éventuellement associés, qui peuvent être : une synovectomie, une arthrolyse , la résection d’ostéophytes conflictuels, de brides antéro-externes, l’ablation de corps étrangers, la régularisation de lésions cartilagineuses (3). L’efficacité de ces divers gestes est variable et n’a pas été évaluée de façon rigoureuse. L’effet propre du lavage articulaire inhérent à l’arthroscopie n’est pas connu. Une synovectomie initiale est réalisée en cas d’hypertrophie ou de synovite congestive, à visée antalgique, et pour améliorer la vision endoarticulaire. En cas d’adhérences post-traumatiques, une arthrolyse peut s’avérer nécessaire dans le même esprit. La résection d’ostéophytes tibio-taliens antérieurs responsables d’un conflit douloureux et d’une limitation de la dorsiflexion est couronnée de succès dans près de 60% des cas (3). Ces ostéophytes sont à différencier des images similaires asymptomatiques rencontrées chez certains sportifs (footballers et danseurs: cheville du sportif), et qui ne nécessitent aucun geste. La résection de corps étrangers ostéo-cartilagineux symptomatiques est le geste arthroscopique le plus gratifiant, avec plus de 80% de bons résultats (4). L’abrasion ou les perforations de lésions cartilagineuses n’ont pas été étudiées isolément mais paraissent associées à de mauvais résultats. En synthèse, les meilleurs résultats sont obtenus dans les arthroses peu évoluées, par un nettoyage articulaire comportant la résection d’ostéophytes conflictuels, et l’ablation de corps étrangers. La distraction articulaire de la cheville avec ou sans arthrolyse arthroscopique préalable a été proposée pour des arthroses évoluées candidates à l’arthrodèse. Le principe est de tenter de reconstituer un interligne articulaire talo-crural en écartant les surfaces (5mm) par un fixateur externe articulé, laissé en place plus de 3 mois avec appui autorisé, et une mobilité de la cheville en flexion extension . Les résultats sont intéressants, pour les promoteurs de cette technique qui reste peu employée (5). Les ostéotomies de réaxation sont très rarement proposées dans le traitement d’une arthrose de la cheville, et posent des problèmes techniques.. L’ostéotomie supramalléollaire du tibia est idéalement réalisée en cas d’atteinte articulaire partielle, sur cal vicieux fracturaire, ou trouble statique axial. Elle semble plus utile si elle est réalisée précocément, mais aucune étude ne l’évalue. Le meilleur moyen d’éviter le recours à ce geste est d’obtenir une réduction parfaite après toute fracture bi-malléolaire. L’arthrodèse Depuis les progrès enregistrés par les prothèses, le recours à l’arthrodèse est moins large. • l’arthrodèse talo-crurale consiste en un blocage de l’articulation par vis, après avoir avivé les surfaces articulaires, par voie chirurgicale ou arthroscopique plus récemment. La fixation se fait en position neutre dans le plan sagittal, en respectant un valgus physiologique de 5°. L’arthrodèse possède des suites opératoires contraignantes (pas d’appui pendant 3 mois). Les avantages sont une stabilité articulaire, et une bonne tolérance fonctionnelle, avec la possibilité de conserver un très bon niveau d’activité. Elle ne diminue l’efficacité de la marche que de 10%. Elle est réalisable dans les cas difficiles (après infection, nécrose talienne, …). Un inconvénient de l’arthrodèse est de favoriser la dégradation des articulations voisines, sub-talienne et talo-naviculaire, par une surcharge fonctionnelle, et donc une récidive douloureuse de la cheville à moyen terme. L’analyse à 10 ans d’une série d’arthrodèses montre une arthrose radiologique sub-talienne chez 64% des patients, et talo-naviculaire dans 18% des cas (6). Cependant, 91% des patients étaient satisfaits, et peu d’entre eux ont nécessité une arthrodèse supplémentaire de l’arrière-pied. Surtout, il s’agit d’un blocage définitif de la cheville, parfois gênant pour la montée et descente d’escaliers, et incompatible avec la pratique de certains sports. • L’arthrodèse sous-talienne consiste en un blocage de l’articulation par vis ou agrafes. Elle permet d’obtenir une indolence rapide, mais supprime la prono-supination ce qui est fonctionnellement très gênant pour la marche en terrain irrégulier. Lorsqu’elle complète une arthrodèse talo-crurale, la limitation devient beaucoup plus invalidante. La prothèse de cheville . La prothèse totale talo-crurale connaît un essor récent, grâce aux nouvelles techniques qui ont amélioré les résultats fonctionnels (7). Elle permet de conserver les amplitudes articulaires et donc, par rapport à l’arthrodèse, d’avoir un confort fonctionnel supérieur et de moins surcharger les articulations adjacentes, en particulier la sous-talienne. Elle ne peut cependant être mise en place que sur des chevilles bien axées et peu laxes, et implique une limitation définitive d’activité du patient, contrairement à l’arthrodèse. Les prothèses actuelles, dites de troisième génération, comportent trois composants : une pièce tibiale plane et une pièce talienne convexe métalliques scellées ou non, séparées par un implant en polyéthylène mobile. Ceci permet de respecter la mécanique articulaire, donc de réduire les risques de descellement, d’instabilité. La technique nécessite un opérateur entraîné pour éviter les malpositions. En post-opératoire, un appui partiel est nécessaire pendant 3 semaines, avec mobilisation de la cheville autorisée si l’état cutané le permet. Les résultats à 10 ans des séries récentes donnent au moins 75% de bons résultats (3). La durée de vie de ces prothèses de troisième génération est encore peu documentée. Koefed et coll obtiennent un taux de prothèse en place de 75% à 14 ans (8). En cas de complication ou d’échec, une reprise prothétique est illusoire. Par contre, le recours à une arthrodèse reste possible , mais il est plus lourd qu’une arthrodèse d’emblée, car compliqué par un défect osseux nécessitant souvent des greffons (8). La décision opératoire dépend de l’état et de l’activité du patient, des amplitudes et de l’anatomie de la cheville, ainsi que de l’état de l’articulation sub-talienne. Les meilleures indications prothétiques : - les arthroses post-traumatiques ou post–rhumatismales invalidantes - bien centrées dans les deux plans - conservation d’une mobilité articulaire satisfaisante - chez des sujets d’âge mur avec activité peu importante. Les patients jeunes avec niveau d’activité élevée (sportifs, portant des charges lourdes) semblent plus concernés par une arthrodèse, ayant plus d’échec des prothèses (8). - L’atteinte sub-talienne est un argument pour préférer la prothèse Les contre-indications : - Patient jeune et sportif, activité professionnelle intense - raideur sévère de la cheville (peu de gain d’amplitude avec la prothèse) - nécrose du talus (risque d’enfoncement de l’implant talien) - défaut d’alignement non corrigeable par ostéotomie - séquelle d’infection , diabète mal contrôlé, artériopathie périphérique, neuropathie périphérique, faible potentiel de cicatrisation En conclusion, L’arthrose de la cheville, si elle est rare et bien tolérée, peut devenir invalidante chez des sujets souvent jeunes et actifs. Le traitement médical est indiqué initialement en l’absence de déviation axiale imposant une correction précoce. L’apport récent des injections d’acide hyaluronique élargit le champ restreint des solutions médicales. La toilette articulaire arthroscopique peut avoir un intérêt en cas de blocage articulaire mécanique. Lorsque la gêne devient importante, la discussion porte sur le choix d’une arthrodèse ou d’une prothèse totale. Les indications respectives sont clarifiées, et les progrès fournis par les prothèses de troisième génération donnent un espoir de conservation de la mobilité articulaire à long terme. Références : 1. Legre-Daumen V, Pham T, Lafforgue P, and the réseau Rhumato Study Group. Evaluation of safety and efficacy of hylan GF-20 in osteoarthritis of the ankle: an open multicentric study. Osteoarthritis Cart, 2004, (abst): S86. 2. Salk R, Chang T, Costa WD. Use of sodium hyaluronate in treating osteo arthritis of the ankle: a randomized, blinded observer, Phosphate buffered saline controlled Clinical Trial. Arthritis Rheum 2004; (abst): S143-144. 3. Cheng JC, Ferkel RD. The role of arthroscopy in ankle and subtalar degenerative joint disease. Clin Orthop 1998; 349: 65-72. 4. Thomas RH, Daniels TR. Ankle arthritis. J Bone Joint Surg Am, 2003; 85-A: 923-36. 5. Marijnissen AC, Van Roermund PM, Van Melkebeek J, et al. Clinical benefit of joint distraction in the treatment of severe. osteoarthritis of the ankle: proof of concept in an open prospective study and in a randomized controlled study. Arthritis Rheum 2002; 46: 2893-902. 6. Faux JR, Smith RW. Ankle arthrodesis: long term functional and clinical performance. Annual Summer Meeting of the American Orthopaedic Foot and Ankle Society. 2004, July 29-31; Seattle WA. 7. Koefed H, Sorensen T. Ankle arthroplasty for rheumatoid arthritis and osteoarthritis. J Bone Joint Surg Br 1998; 80-B: 328-32. 8. Spirt AA, Assal M, Hanssen ST. Complications and failure after total Ankle Arthroplasty. J Bone Joint Surg Am 2004; 86: 1172-8 Table 2: Comparaison entre arthrodèse talo-crurale et prothèse totale Progrès techniques Avantages/inconvénients Suites opératoires indications Résultat fonctionnel ARTHRODESE PROTHESE TOTALE + (vis interne, voie arthroscopique) Stabilité, mais raideur Risque d’arthrose sub-talienne ++ Pas d’appui 3 mois Possible dans tous les cas Éviter si atteinte sub-talienne +++ (3 composants: 3e génération) Amplitudes articulaires conservées Risque de descellement, d’enfoncement Appui partiel immédiat Indications limitées Cheville bien axée, peu laxe Bonne mobilité articulaire Âge mûr, peu actif Atteinte sub-talienne associée Moins de gêne / escaliers Sédentarité nécessaire Comparable à la prothèse sur douleur Bon niveau d’activité (sportif)