La modernisation budgétaire au Maroc
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La modernisation budgétaire au Maroc
finances publiques David BRUSSELLE Directeur départemental du Trésor. A exercé les fonctions d’auditeur au sein de la Direction générale de la Comptabilité publique (Trésorerie générale du Nord-Pas-de-Calais puis Mission d’audit, d’évaluation et de contrôle). Est aujourd’hui, au sein d’ADETEF, responsable de plusieurs projets d’accompagnement de l’Administration marocaine ; coordonne notamment, auprès du secrétaire général du Ministère des Finances marocain, les travaux des experts français relatifs à la réforme de la gestion publique. La modernisation budgétaire au Maroc : un exemple de progressivité et de pragmatisme C omme de nombreux pays, le Maroc a engagé depuis plusieurs années un processus de rénovation profonde de ses modes de gestion et de contrôle des finances publiques qui s’inscrit dans le cadre de la stratégie de réforme de l’Administration publique et constitue l’une des priorités du Gouvernement. Initiée en 2001, cette réforme en profondeur concerne progressivement l’ensemble des départements ministériels et s’étend à la fonction publique, au système budgétaire de l’Etat et s’inscrit dans le cadre d’un mouvement renforcé de déconcentration. Cette stratégie vise à améliorer les performances de l’Administration, tout en assurant la viabilité du cadre macroéconomique et à rehausser la qualité des prestations fournies par l’Administration. La réforme de la gestion et du contrôle des finances publiques repose sur quatre chantiers majeurs de modernisation qui constituent un ensemble cohérent, pragmatique et progressif. LES CHANTIERS DE LA RÉFORME Pour mener à bien cette réforme d’ampleur, le ministère de l’Economie et des Finances a donc décidé d’engager, sous la coordination du secrétariat général, quatre chantiers de transformation majeurs mobilisant plusieurs directions et un nombre croissant d’ordonnateurs : . Le rapprochement des structures de la trésorerie générale du Royaume et du contrôle général des engagements de dépenses de l’Etat, et l’évolution du contrôle d’exécution de la dépense. Ce chantier, piloté par la trésorerie générale du Royaume, vise à : – harmoniser et optimiser le contrôle d’exécution de la dépense et mettre en place un dispositif de contrôle modulé de la dépense en fonction des enjeux et des risques. Ce dispositif repose sur l’évaluation faite, dans le cadre d’un audit de capacité de gestion, par l’Inspection générale des Finances, du niveau maturité des ordonnateurs à prendre en charge dans le cadre d’un contrôle interne effectif et efficace les points de contrôle prévus par la réglementation ; – générer des synergies et réduire le coût du contrôle d’exécution exercé par le ministère des Finances et de la Privatisation ; – faire converger les systèmes d’information et les rendre cohérents et interfaçables avec ceux des ordonnateurs. . La poursuite de la réforme budgétaire : ce chantier, piloté par la Direction du Budget, repose sur trois composantes majeures : – la globalisation des crédits. Elle vise à octroyer une plus grande autonomie aux services gestionnaires dans l’utilisation de leurs 736 dotations budgétaires, à renforcer la déconcentration budgétaire, à améliorer la programmation, l’exécution et le contrôle de la dépense publique et à simplifier les procédures budgétaires ; – la contractualisation. Elle vise à promouvoir la culture de l’engagement entre les administrations centrales et leurs services déconcentrés à travers plusieurs supports : la redistribution des responsabilités vers les échelons déconcentrés, le renforcement de la cohérence et de la coordination entre les échelons centraux et déconcentrés, l’introduction d’un nouvel outil de gestion, la mise en place progressive d’une fonction de contrôle de gestion ; – le cadre de dépenses à moyen terme (CDMT). Il permet d’établir des projections des différentes dépenses de l’Etat, y compris la masse salariale et les charges de fonctionnement courant des administrations, sur une période de trois ans. . L’évolution des métiers de l’audit et de l’inspection. Ce chantier, piloté par l’Inspection générale des Finances, a vocation à permettre de faire émerger de nouvelles modalités d’exercice du contrôle a posteriori en développant la fonction d’audit. Plus spécifiquement, ce chantier repose sur quatre actions majeures : – audit et certification de la capacité de gestion des ordonnateurs : mettre en place et entretenir un dispositif d’évaluation des ordonnateurs : ressources, outils et modalités d’audit et de certification, montée en charge des dispositifs de contrôle interne...) ; – contrôle de régularité dans une logique d’audit : consolider au sein du ministère des Finances et de la Privatisation et en coordination avec les acteurs externes (Cour des comptes, Parlement) le dispositif de contrôle de régularité a posteriori dans une logique d’audit : généralisation des pratiques d’audit comptable (échantillonnage, assurance raisonnable de la régularité des opérations...) ; No 10 - Octobre 2008 - finances publiques – évaluation de la performance : mettre en place et entretenir un dispositif de mesure des objectifs de performance chez les ordonnateurs : mise en place d’une méthodologie d’audit de performance, assurance raisonnable sur la fiabilité des informations données par les indicateurs de performance... ; – adaptation de l’Inspection générale des Finances à l’évolution des métiers d’audit et d’inspection : adapter l’organisation, les méthodes de travail et les modes de gouvernance de l’Inspection générale des Finances aux nouveaux métiers d’audit et d’inspection. . Le renforcement de la capacité de gestion des ordonnateurs. Ce chantier, piloté par la trésorerie générale du Royaume, vise à accompagner les services ordonnateurs dans l’ensemble des domaines de la réforme de façon à garantir une montée en charge effective et sécurisée de la réforme au sein des ministères. Ce chantier a reposé sur deux étapes majeures : – un diagnostic de la gestion budgétaire de sept ministères dont l’objectif a été d’identifier au sein et avec les départements ministériels les points forts (outils techniques, manuels, guides, bonnes pratiques, méthodes de travail, organisation efficiente, pilotage, reporting) et les besoins de renforcement des capacités de gestion pour les zones de fragilité observées. Il s’est agi d’identifier tout élément susceptible de renforcer l’aptitude du dispositif de contrôle interne de tous les ordonnateurs à s’autocontrôler pour assurer une maîtrise satisfaisante des risques liés à la régularité et à la performance des opérations de dépense ; – l’élaboration d’un plan d’action de renforcement de la capacité de gestion qui repose notamment sur la mise en œuvre d’un plan de formation complet et d’un processus de mutualisation des outils et bonnes pratiques identifiées en phase de diagnostic. Cette mutualisation s’appuie sur la mise en place d’un espace d’échanges dédiés aux ordonnateurs : le Forum de la performance conçu pour se dérouler sur une durée de trois années. ADETEF et les experts de nos deux ministères ont contribué activement depuis 2005, à travers trois de ces quatre chantiers de transformation, à accompagner l’administration marocaine dans ce processus de réforme. LA MODERNISATION BUDGÉTAIRE AU CŒUR DE LA RÉFORME DES FINANCES PUBLIQUES S’inscrivant dans le cadre des réformes structurelles (lutte contre la pauvreté, couverture médicale, généralisation de la scolarité), de la modernisation de l’administration à travers le renforcement de la déconcentration, la réforme budgétaire concerne l’ensemble du processus budgétaire, et se veut progressive, participative et volontariste, tenant compte des capacités des gestionnaires. Les objectifs de cette réforme s’articulent autour du développement de la logique de résultats et de la culture de rendre compte, de la responsabilisation et de l’autonomie des gestionnaires, notamment au niveau déconcentré, et du développement des instruments budgétaires permettant d’orienter le contrôle vers la performance. Cette nouvelle approche budgétaire repose sur trois axes majeurs : La globalisation des crédits La globalisation des crédits s’inscrit dans le cadre de la nouvelle approche budgétaire qui tend à améliorer l’efficacité de la dépense publique et de la réforme de la gestion publique pour l’orienter davantage vers les résultats et le contrôle des performances. Ses objectifs sont multiples : – octroyer une plus grande autonomie aux services gestionnaires dans l’utilisation de leurs dotations budgétaires, notamment par la suppression du visa du ministère des Finances et de la Privatisation sur les virements de crédits entre lignes d’un même paragraphe ; – renforcer la déconcentration budgétaire ; - No 10 - Octobre 2008 – améliorer la programmation, l’exécution et le contrôle de la dépense publique ; – simplifier les procédures budgétaires. A l’été 2008, la quasi-totalité des départements ministériels avaient signé conjointement avec le ministère de l’Economie et des Finances leur arrêté de globalisation après avoir satisfait aux conditions d’éligibilité requises : . La restructuration de la « morasse » budgétaire (fonctionnement et investissement) du ministère concerné en vue de disposer de paragraphes cohérents, destinés chacun d’eux à la réalisation d’un programme, d’un projet, ou d’une action homogène. Il convient de noter que cette restructuration se fait à environnement législatif constant, notamment au niveau de la nomenclature budgétaire, ce qui a pu générer certaines difficultés de regroupement des dépenses d’un même programme ou projet ; . La définition d’objectifs d’indicateurs chiffrés permettant d’établir un lien entre les crédits alloués à l’action, programme ou activité et les résultats visés et attendus de l’utilisation de ces crédits. L’intérêt essentiel de ces indicateurs d’objectifs et de résultats est de donner à chaque ministère, au Gouvernement ainsi qu’au Parlement, des outils de gestion et de contrôle leur permettant chacun en ce qui le concerne de procéder à la programmation, l’exécution et le contrôle de la dépense publique d’une manière plus efficace et plus efficiente. Un des enseignements majeurs en la matière réside dans une certaine inflation du nombre d’indicateurs de la part des ministères et une encore trop faible définition d’indicateurs de performance au profit des indicateurs de moyens ou d’activité. Toutefois, les actions d’accompagnement mises en place par la Direction du Budget permettront progressivement de gommer les difficultés naturelles de démarrage d’une réforme qui s’inscrit dans le long terme. L’adoption de cette nouvelle démarche de gestion des crédits accroît progressivement la responsabilisation des gestionnaires des services déconcentrés en matière de prise de décisions administrative et financière puisqu’ils ont la possibilité de procéder, dans les limites prévues par les arrêtés de globalisation, aux modifications nécessaires dans l’utilisation des moyens mis à leur disposition afin d’adapter leurs projets et programmes aux objectifs de développement économique et social. Cette réforme permet également aux services déconcentrés de procéder au redéploiement, à leur initiative, des crédits délégués et non consommés. . L’engagement de rendre compte à travers l’élaboration d’un rapport annuel de performance destiné à faire apparaître pour chaque programme les écarts entre prévision et exécution relatives à l’année N – 1 et annoncer pour chaque programme les objectifs à viser pour la préparation du PLF de l’année N + 1 dans une perspective triennale. Ces RAP ministériels devront faire l’objet d’une validation par l’Inspection générale ministérielle complété par un audit de performance conduit conjointement, dans un premier temps, par l’Inspection générale des Finances et l’Inspection générale ministérielle, pour garantir une montée en charge effective et irréversible de la logique de performance et, in fine, évaluer les performances de chaque ministère. Constituant une nouveauté pour les équipes dirigeantes des ministères, il est à noter que l’élaboration des rapports annuels de performance connaît un développement inégal d’un département ministériel à l’autre. La contractualisation La contractualisation, qui concerne un nombre croissant d’ordonnateurs, constitue un corollaire indissociable de la globalisation des crédits en tant qu’outil de modernisation de la programmation et de l’exécution de la dépense publique, et ce en introduisant un mode de gestion nouveau entre l’administration centrale et ses services extérieurs, basé sur l’amélioration des 737 finances publiques performances et le renforcement de l’autonomie et de la déconcentration budgétaire. Il ne s’agit plus de confiner les services déconcentrés dans un rôle d’exécutant mais d’adapter les modes de gestion budgétaires aux nouvelles exigences de rendement, d’efficacité et de transparence. La démarche de contractualisation a été engagée, à des degrés toutefois divers, dans tous les ministères. Son dispositif vise notamment : – la redistribution des responsabilités vers les échelons déconcentrés de l’Administration ; – le renforcement de la cohérence et la coordination de l’action des administrations centrale et déconcentrée ; – la diffusion de la culture de rendre compte et du reporting ; – l’introduction d’un nouvel outil de gestion reposant sur des engagements réciproques entre administrations centrales et déconcentrées ; – la mise en place d’un système de contrôle de gestion permettant d’évaluer de manière plus efficace et efficiente la réalisation des objectifs fixés. Sa mise en œuvre se fait en six étapes et selon un schéma précis : – l’établissement par l’administration centrale d’une lettre de cadrage stratégique notifiée aux services déconcentrés ; – la détermination par chaque service déconcentré de ses objectifs et plan d’action ; – la discussion et finalisation du budget-programme et plans d’actions en concertation entre l’administration centrale et ses services déconcentrés ; – l’élaboration du budget du ministère par consolidation des budgets-programmes des différents services déconcentrés ; – la conclusion de contrats objectifs-moyens entre les administrations centrales et leurs services déconcentrés fixant les moyens humains, matériels et budgétaires mis à la disposition des services déconcentrés et les engagements de ces derniers en terme d’objectifs à atteindre et mesurés par des indicateurs chiffrés préalablement définis ; – l’évaluation et suivi des réalisations, notamment à travers l’établissement par les services déconcentrés de rapports périodiques d’activité et de tableaux de bord. Pour la concrétisation de sa mise en œuvre les mesures suivantes ont été prises : – l’élaboration de la circulaire du Premier ministre du 25 décembre 2001 relative à l’adaptation de la programmation et de l’exécution du budget de l’Etat au cadre de la déconcentration ; – l’élaboration d’un guide méthodologique de la « contractualisation » qui précise ses objectifs, ses modalités et son processus de mise en œuvre ainsi qu’un schéma général d’élaboration des contrats entre l’administration centrale et ses services extérieurs ; – l’élaboration d’un canevas-type de contrat qui précise notamment le contexte général et local qui caractérise l’élaboration dudit contrat, les parties concernées, les engagements des services extérieurs, notamment en matière d’investissements sectoriels et d’actions à réaliser ainsi que d’objectifs à atteindre, les engagements de l’administration centrale en matière d’attributions à déconcentrer et de crédits à déléguer ainsi que les modalités de suivi et d’exécution du contrat ; – l’introduction en 2006 de la dimension régionale dans la présentation budgétaire en vue d’assurer une plus grande transparence et une plus large diffusion de l’information financière et faire apparaître l’effort budgétaire du Gouvernement et sa répartition sur les différentes régions du Royaume. Le cadre de dépenses à moyen terme Le cadre de dépenses à moyen terme (CDMT) constitue le troisième pilier de la nouvelle approche budgétaire. 738 Mis en place dans plusieurs ministères, et destiné à être développé, le CDMT est un instrument de programmation triennal glissant permettant de placer la gestion budgétaire dans une perspective pluriannuelle afin : – d’assurer une meilleure prédictibilité et flexibilité dans l’allocation des ressources publiques et une meilleure visibilité sur l’évolution des dépenses publiques et leur compatibilité avec l’objectif de maîtrise du déficit budgétaire ; – de renforcer le lien entre les stratégies sectorielles et le budget. A cet effet, le CDMT vise : • le renforcement de la discipline budgétaire globale en conciliant entre, d’une part, les objectifs de développement sectoriel et les programmes des réformes engagées par le Gouvernement et, d’autre part, les impératifs de préservation des équilibres fondamentaux et de maîtrise du déficit budgétaire, • le développement des capacités d’anticipation et de mesure de l’impact sur le budget des chocs exogènes (sécheresse, cours des produits pétroliers...) et d’identification des raisons des écarts par rapport aux prévisions, • le renforcement de l’efficacité de l’allocation intersectorielle des ressources, en assurant le lien entre le Plan de développement économique et social et les politiques sectorielles, d’une part, et la loi de finances, d’autre part, et en favorisant la réallocation des ressources, en fonction des priorités arrêtées par le Gouvernement et du niveau de performance des programmes d’action proposés, • l’amélioration de la performance des réalisations budgétaires en donnant, à la lumière de l’évolution des ressources budgétaires, une meilleure visibilité aux départements ministériels en matière de programmation budgétaire pluriannuelle favorisant ainsi la mise en œuvre du dispositif de contractualisation des objectifs et des moyens dans un cadre budgétaire triennal et partant renforcer le processus de déconcentration des crédits. Le CDMT, préparé annuellement, établit des projections des différentes dépenses de l’Etat y compris celles afférentes à la masse salariale et les charges de fonctionnement courant des administrations sur une période de trois ans. En tenant compte des objectifs de soutenabilité du cadre macro-économique, lesdites projections sont établies par ministère sous forme de CDMT sectoriels et détaillés par programme d’action en vue de s’assurer de la cohérence des allocations intrasectorielles avec les stratégies sectorielles et améliorer la prévisibilité dans la gestion des programmes. Pour accompagner les ministères dans ce nouveau dispositif, plusieurs actions de sensibilisation et de formation ont été mises en place par la Direction du Budget avec notamment l’élaboration d’un guide méthodologique du CDMT. CONCLUSION : PERSPECTIVES DE LA RÉFORME BUDGÉTAIRE Les réformes engagées au Maroc dans le domaine des finances publiques montrent à l’importance de l’articulation entre les enjeux de politique publique (éducation, santé, transports...) et la modernité du cadre et des outils budgétaires. Même si les orientations et la philosophie sont inspirées des mêmes concepts (performance, programmes, objectifs, indicateurs, évaluation), le Maroc a choisi un chemin différent de celui de la France : réformer de façon pragmatique et expérimentale sans changer le cadre juridique dans un premier temps, alors que la France a d’abord fait évoluer sa loi organique en 2001 avant toute expérimentation. Face aux demandes des ordonnateurs de disposer d’un cadre budgétaire plus adapté aux enjeux de la gestion par programme, le ministère de l’Economie et des Finances a estimé que le temps de la réforme de la loi organique était désormais venu. La Direction du Budget fera de ce projet l’une de ses grandes priorités pour les années 2008 et 2009. No 10 - Octobre 2008 -