Encyclopaedia Universalis

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Encyclopaedia Universalis
Source
Universalia (Encyclopaedia Universalis)
Date
Juin 2004
Signé par
François René MARTIN
Essais sur l’art et sur l’origine de l’activité artistique de Konrad Fiedler
L’historien de l’art allemand Konrad Fiedler (1841-1895) est un des représentants majeurs de ce que l’on appelle le
formalisme en histoire de l’art. Parallèlement à l’école de Vienne et au formalisme de l’objet artistique qu’illustrèrent de
grands historiens de l’art tels que Franz Wickhoff ou Aloïs Riegl, son entreprise est orientée, pour l’essentiel, vers le
processus de création artistique, plus que vers les œuvres elles-mêmes. Elle est par ailleurs indissociable du milieu dans
lequel il vécut. Très tôt, Fiedler se lie avec quelques-uns des plus grands artistes allemands de son temps, tous installés en
Italie, comme les peintres Hans von Marées et Anselm Feuerbach ou le sculpteur Adolf von Hildebrand, futur auteur d’un
livre essentiel : Das Problem der Form (Le Problème de la forme, 1893). Avec ce dernier et Marées, Fiedler fera même
l’acquisition, en 1874, du cloître de San Francesco di Paolo à Florence, symbole s’il en est d’une confraternité au sein de
laquelle création artistique et réflexion esthétique ne pouvaient se concevoir l’une sans l’autre. Comme l’écrit Philippe Junod
dans sa présentation des Essais sur l’art (traduits de l’allemand par Daniel Wieczorek, avertissement de Françoise Choay,
coll. Tranches de villes, éd. de l’Imprimeur, Besançon, 2002) : « Fiedler n’a rien d’un pur spéculateur, et sa philosophie se
nourrit au contact de la pratique, dans l’atelier.» Elle relève ainsi «d’une poétique vécue », intensément partagée avec ses
amis artistes.
On ne trouve l’art par nulle autre voie que la sienne propre.
À ces années italiennes, au cours desquelles il ne cesse de voyager en compagnie de ces mêmes amis, correspondent les
premiers écrits dans lesquels Fiedler met en place les fondements de sa conception des arts visuels. L’édition des Essais
sur l’art offre précisément au lecteur français la traduction d’un essai capital publié en 1876 : « De la manière de juger les
œuvres des arts plastiques ». Fiedler y développe l’idée, essentielle dans sa pensée, que l’art « ne crée pas un autre
monde, en plus du monde réel, qui existerait sans lui ; il fait advenir le monde lui-même, par la conscience artistique, et pour
elle ». Il conçoit en outre de la manière la plus radicale le rapport de l’art à la tradition : « Tout ce qui a déjà été soumis un
processus intellectuel est perdu pour lui. [...] Ce que l’esprit humain n’a encore jamais effleuré, voilà ce qui suscite son
activité. » Avec un autre essai médité durant la même période, « Remarques sur l’essence et l’histoire de l’architecture »
(1878), Fiedler tente, dans le prolongement des conceptions de l’architecte et théoricien Gottfried Semper, de séparer ce qui
relève d’une histoire des « besoins constructifs » et ce qui appartient en propre à l’histoire de l’art, soit le développement de
formes autonomes visant, toujours selon l’historien, un véritable « accomplissement de fins spirituelles ». Ainsi, Fiedler en
vient à opposer l’art roman, « ébauche d’un développement artistique nouveau et autonome » à l’art gothique, dont les
prouesses, selon lui, ne relèveraient pas d’une pure aspiration artistique.
Fiedler devait encore approfondir sa conception de l’art comme quête de la pure visibilité et comme enrichissement de la
conscience dans son grand texte de 1887 : « Sur l’origine de l’activité artistique ». Les Essais sur l’art en proposent une
version sensiblement abrégée, alors que, de son côté, Danièle Cohn en offre une traduction intégrale dans la collection
Æsthetica, récemment créée par les éditions de l’École normale supérieure (éd. Rue d’Ulm, Paris, 2003). Fiedler cherche
encore à montrer comment l’historien, face à la multiplicité des propositions artistiques, peut extraire de l’œuvre d’art son
contenu propre. À côté du langage à partir duquel se déploie le pensable, à côté de la science qui transporte le réel par les
concepts, l’art édifie le visible, il est une activité de l’esprit compris comme une faculté de mise en forme, ou encore comme
un éveil de la perception. C’est à cet héritage qu’allaient puiser, au XXe siècle, d’autres historiens de l’art, comme Heinrich
Wölfflin, ou des philosophes, comme Ernst Cassirer, qui trouvait chez Fiedler une pièce majeure, un fondement sûr au grand
édifice qu’allait être sa Philosophie des formes symboliques. Y recoururent aussi des artistes, tels que Wassily Kandinsky et
surtout Paul Klee, pour qui, d’accord avec ce qu’avait pressenti Fiedler, « l’art ne reproduit pas le visible ; il rend visible »