Turquie, entre croissance et développement
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Turquie, entre croissance et développement
Apériodique - n° 10 - avril 2011 Turquie, entre croissance et développement • La Turquie est capable de résister à une crise financière. Elle l’a prouvé en 2010 avec l’un des taux de croissance les plus élevés du monde. • Depuis dix ans, elle s’est dotée d’une industrie performante. Elle a assaini son budget et son système bancaire. La richesse globale s’est élevée, socle d’une classe moyenne qui a déplacé les lignes de partage de la vie politique. Cette transition est historique. • Mais elle ne concerne qu’une partie de la population et du territoire : l’industrie, tournée vers l’extérieur, n’a pas diffusé assez de gains de productivité et les effets de concentration l’ont emporté. Le modèle de croissance reste donc inégalitaire – les femmes et les jeunes en paient le prix – et la croissance produit des déficits externes. • La Turquie explore aussi les limites d’un développement axé sur l’ouverture financière et commerciale : elle est dépendante de capitaux courts et son change est à la merci de la confiance des marchés. Après avoir accéléré la croissance pendant dix ans, la globalisation financière complique donc aujourd’hui la stratégie économique. • Enfin, les Turcs achètent plus aux Russes et aux Chinois qu’ils ne vendent à l’Europe. Ce n’est pas un positionnement industriel durable. L a Turquie a-t-elle clos cinquante ans d’une histoire où l’économie et le politique ont été étroitement mêlés, enfermés dans des cycles d’up and down, de surchauffe et de crise de change, de démocratie et de pouvoir militaire ? Cinquante ans de promesses non tenues. En 1950, la loi sur le multipartisme était votée, c’était la promesse démocratique. En 1960, le taux d’accroissement de la population dépassait 2%, c’était la promesse démographique. Pourtant, trois coups d’Etat ont eu lieu depuis. Quant au décollage économique, il est resté au point mort jusqu’au milieu des années 1970, période à laquelle une vague d’IDE a enfin accéléré la modernisation du pays. Mais le temps n’est pas neutre, surtout en économie, et cette histoire chaotique a produit un système dans laquelle les anticipations des agents sont résolument ancrées dans le court terme. Pourtant, entre 2002 et 2008, la croissance se stabilise et s’installe enfin sur des niveaux élevés (6,8% en moyenne). L’horizon des agents économiques s’allonge. Le taux d’investissement dépasse 20% du PIB et un faisceau d’indicateurs laisse espérer une transition structurelle. De même, en 2010, la rapidité et la vigueur de la reprise montrent que la résistance aux chocs est plus forte qu’avant. Serait-ce la confirmation de fondamentaux plus solides ? On est tenté d’acheter cette histoire, et les marchés le sont aussi, qui, en période de crise, valorisent à son plus haut le facteur croissance. La Turquie a longtemps souffert d’être à la frontière de l’UE, mais voilà qu’elle en profite, car la crise souveraine en Europe bouleverse les anticipations de marché et les déterminants de la confiance. Pourtant, le prix du risque turc reste difficile à trouver. Et les agences de rating hésitent, au seuil de l’Investment Grade. Surestimé pendant de longues années, ce risque aurait été presque sous-estimé en 2010, car ce pays, s’il est à coup sûr engagé dans une transition structurelle, est encore à la recherche d’un modèle de croissance. On peut craindre, comme dans d’autres pays émergents, que sa financiarisation n’entretienne une économie à deux vitesses : les écarts de productivité sectoriels se creusent au lieu de se résorber et le marché du travail comme les déficits externes sont les réceptacles de ce dualisme. Tout cela conduit à s’interroger d’abord sur le degré optimal d’intégration financière pour un pays encore en développement, et ensuite sur le rôle de l’Etat dans les années à venir. 2002/2008 : de la croissance au développement, la Turquie se réforme en profondeur Les changements enregistrés entre 2002 et 2008 sont structurels parce qu’ils sont multisectoriels : ils ont modifié la géographie du pays, son profil démographique, ses équilibres économiques et politiques. Ils ont eu lieu de façon simultanée. Ils sont complexes et interdépendants : ils ont une vraie dimension systémique. Tania SOLLOGOUB [email protected] 1.1 - Croissance : la progression des revenus change la donne Des hommes et du pouvoir d’achat : le cœur du modèle ? Il a fallu deux choses pour que la promesse démographique turque prenne enfin sa valeur : une progression des revenus par habitant et une croissance ralentie dans une Europe vieillissante. La Turquie est jeune : 28% de la population a moins de 14 ans contre 15% dans les pays d’Europe centrale et orientale. La moyenne d’âge est de 27 ans. Aujourd’hui, elle est le 3e pays le plus peuplé d’Europe, derrière la Russie et l’Allemagne, et elle est au 17e rang mondial (75,7 mns d’habitants). En 2050, elle conservera ce rang, en se rapprochant des 100 mns d’habitants (soit à peu près la population de l’Asie centrale, qui ne sera plus alors qu’à une « distance » de 15 millions d’habitants de la Russie…). Ce ne sera pas le cas des autres pays d’Europe qui, tous, perdront des places dans ce classement. Et en 2020, la Turquie passera devant l’Allemagne. Au dessus de 10 000 USD par habitant, le panier de consommation se transforme2. Le marché intérieur d’un pays devient une composante plus importante de sa croissance et il est plus attractif pour un investisseur. Ainsi, la consommation privée et le commerce de détail ont fortement tiré la reprise turque début 2010, avant que l’investissement ne prenne le relais. La Turquie est d’ailleurs le seul pays de la région, avec la Pologne, dans lequel la demande domestique a retrouvé dès 2010 ses niveaux d’avant crise. Avantage : cela va soutenir la croissance dans les années à venir. Inconvénient : cela va également nourrir les importations et le déficit externe car, selon le FMI, la part des biens importés dans la demande domestique augmente. Graphique 1 – En 2050, les pays les plus peuplés du monde 1800000 en milliers d'habitants 1600000 1400000 1200000 1000000 800000 600000 400000 200000 Inde Chine Etats-Unis Pakistan Nigéria Indonésie Bangladesh Brésil Ethiopie Philippines Congo (rép. Egypte Mexique Russie Vietnam Tanzanie Japon Turquie Iran Ouganda Kenya 0 La hausse du PIB par habitant a trois conséquences : elle stimule et modifie la nature des investissements directs, elle impacte la spécialisation industrielle, et surtout, elle change les moteurs de la croissance. L’apparition d’un marché intérieur : un capital précieux en Europe L’industrie turque représente au maximum 25% du PIB et 20% de la population active. Les principaux employeurs sont d’abord les services (le commerce de détail et les transports représentent chacun 13% du PIB), puis l’agriculture qui, malgré la forte progression de l’urbanisation, reste un employeur important. Le développement des services est normal avec l’augmentation du PIB par habitant mais il a été particulièrement stimulé en Turquie par le secteur du tourisme3. Graphique 2 – Composition de la population active turque : le retard de l’industrie Sources : Banque mondiale, Crédit Agricole S.A. Le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat a franchi le cap des 10 000 dollars en 2005. Aujourd’hui, Il est audessus de celui des pays émergents ayant la même notation dans les ratings des agences (« peer group »), ce qui est un facteur important pour mériter l’Investment Grade1. Il se situe en 2009 à 47% de la moyenne des pays de l’UE à 27 membres, soit le même niveau que la Roumanie. Et surtout, depuis 1995 (date à laquelle il était à 30% de la moyenne de l’UE), il a progressé plus vite que celui des Roumains ou des Bulgares, ce qui relativise les effets bénéfiques de l’intégration européenne… Dans les années à venir, la croissance potentielle pourrait être légèrement plus forte en Turquie qu’en Pologne, en Roumanie ou en Bulgarie (respectivement 4,5% contre des taux qui se situent plutôt vers 4% en Europe centrale). Mais l’environnement inflationniste turc sera également plus élevé que dans ces pays, tous engagés dans la convergence monétaire européenne. La Banque centrale vise un taux de moyen terme de 5%. En % du total agriculture industrie construction services Sources : EIU, Crédit Agricole S.A. Une industrie durablement segmentée La structure de l’industrie est révélatrice du modèle de développement de ce pays, de ses ressorts comme de ses limites. Elle est très hétérogène, que ce soit dans les structures de propriété, dans la taille des unités de production ou dans l’accélération des gains de productivité. Le développement industriel a été stimulé à partir des années 70 par une première vague d’investissements directs étrangers, venus tirer partie du faible coût de la main-d’œuvre turc sur des activités d’assemblage. Le meilleur exemple en est l’industrie automobile, dans laquelle à peu près tous les grands majors sont présents (Ford, 2 1 Moodys cite trois facteurs importants dans son évaluation de la résilience des économies : le PIB par habitant, la capacité d’absorber les chocs et la qualité des institutions. n°10 – avril 2011 Il inclut moins de produits de première nécessité, mais plus de produits électroménagers ou de biens durables. 3 La Turquie a reçu 28 millions de visiteurs en 2010 contre 10 millions en 2000, qui ont dépensé l’équivalent de 18,5 mds USD en 2007. La région d’Antalya concentre un tiers des visiteurs. 2 Tania SOLLOGOUB [email protected] 1.2 - Le schéma de développement industriel explique la vulnérabilité externe L’industrie turque est donc composée d’une douzaine de grandes entreprises très exportatrices et de dizaines de milliers de petites structures tournées vers le marché national. Les premières sont productives mais très dépendantes de la conjoncture internationale ce qui explique l’impact fort de ce secteur sur le PIB. Jusqu’à présent, l’industrialisation turque est donc allée de pair avec son intégration dans les marchés internationaux. Cela a longtemps été un atout, permettant d’accélérer le décollage de la croissance. Néanmoins, c’est l’une des fragilités actuelles du modèle de croissance : la dépendance de l’industrie vis-à-vis de quelques marchés d’exportations est trop forte, et la part des exportations dans le PIB progresse moins vite que celle des exportations. Celles-ci sont stimulées consommation domestique croissante des importations hausse des exportations importations… n°10 – avril 2011 Graphique 4 – Des échanges structurellement déficitaires entre la Turquie et la Chine 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 en % % des exportations 2007 Viennent ensuite les entreprises publiques, dont la part dans la production totale s’est effondrée mais qui restent très actives dans le secteur énergétique (maîtrise du trading pétrolier, de la distribution du gaz, etc.). Puis surtout, les PME, à l’origine concentrées sur le marché intérieur (construction, agro-alimentaire) ou sur des activités à faible valeur ajoutée (textile) dont la productivité a progressé moins vite. Certaines d’entre elles sont aujourd’hui devenues de vastes conglomérats (du ciment aux télécoms par exemple) qui exportent vers les marchés de proximité du Caucase, de l’Asie centrale et de l’Afrique du Nord. L’explosion des achats en provenance de Pékin montre d’ailleurs que la Turquie est l’un de ces pays émergents victimes du « syndrome chinois » : développement exponentiel et récent des importations de biens de consommation et de biens intermédiaires tandis que les ventes vers la Chine stagnent, condamnant la Turquie à un échange inégal. Elle se retrouve donc dans une position intermédiaire très inconfortable sur l’échelle des spécialisations internationales, entre les pays développés et l’Asie, cette dernière exerçant une compression des marges dans les secteurs à forte intensité du travail. La Turquie a souffert de l’irruption de la Chine sur la scène commerciale internationale, présence qui oblige à s’interroger sur la nature de la spécialisation industrielle optimale, dans les années à venir. 2003 Sources : Turkstat, statistical handbook 2010, Crédit Agricole S.A. Le syndrome chinois 1999 2007 2003 1999 1991 1995 industrie 1995 mine 1991 agriculture 1987 1983 1979 1975 1971 1967 1963 0 1987 20 1983 40 1979 60 1975 80 1971 en % du total de la production 100 1967 Graphique 3 – Part des exportations turques dans le total de la production : une évolution inverse entre l’industrie et l’agriculture Selon le FMI, la part des produits importés dans les biens intermédiaires utilisés par l’industrie a augmenté de 10 points entre 2002 et 2007 et s’élève aujourd’hui à 62%. Cette hausse s’explique par une conjonction de facteurs. En premier lieu, les grandes entreprises industrielles exportatrices, majoritairement pilotées par les investisseurs étrangers, ne se fournissent plus sur le marché local : celuici n’est pas capable de lui proposer des biens intermédiaires de qualité suffisante (la montée en gamme n’a pas été assez rapide dans la sous-traitance). De plus, les décisions sont prises au niveau des sièges sociaux, dans d’autres pays, et en fonction d’une politique internationale intégrée de supply chain (l’industrie automobile est l’exemple le plus abouti de cette planification internationale : les producteurs locaux ne maîtrisent ni la destination de leurs ventes ni la localisation de leurs achats). Mais à l’autre bout du secteur industriel, les entreprises à faible valeur ajoutée et à forte intensité du travail préfèrent elles aussi importer leurs produits intermédiaires, qu’elles trouvent à des prix plus attractifs dans d’autres pays émergents à plus faible coût salarial. 1963 Renault, Fiat, Toyota) et dont la production est destinée à l’exportation, essentiellement vers les marchés européens. Ces investissements réorientent la production industrielle turque vers les marchés extérieurs. Les usines sont grandes et très productives (les niveaux de productivité de l’usine de Bursa de Renault sont parmi les plus élevés de toutes les implantations de cette entreprise dans les pays émergents et, malgré la moyenne d’âge très jeune des salariés, le taux de turnover est proche de zéro). % des importations Sources : Turkstat, statistical handbook 2010, Crédit Agricole S.A. par l’augmentation de la mais surtout par la part utilisées dans l’industrie : la entraîne donc celle des 3 Tania SOLLOGOUB [email protected] Graphique 5 – Une intégration internationale de la Turquie dans les flux commerciaux et une montée des vulnérabilités externes (part des exportations et des importations dans le PIB) nombre de véhicules 1 002 000 802 000 % du PIB 35 602 000 30 25 402 000 20 202 000 15 2006 2003 2000 1997 1994 1991 Importations Sources : Turkstat, statistical handbook 2010, Crédit Agricole S.A. Vers une diversification sectorielle des investissements directs étrangers ? L’une des façons de réduire cette vulnérabilité externe et de faire évoluer le profil industriel turc serait de réorienter les investissements directs soit vers le marché intérieur, soit vers des marchés extérieurs autres que l’Europe. A partir des années 2000, les investisseurs ont accompagné la croissance, concentrés dans le secteur financier (44% du stock investi entre 2005 et 2009) suivi par les activités de logistique et de distribution (23%) puis par l’énergie (6%) et l’agroalimentaire (5%). Aujourd’hui, la promesse d’un marché intérieur devrait attirer les flux surtout dans ces trois derniers secteurs – bien que la pénétration du secteur agroalimentaire soit difficile pour les investisseurs étrangers, car les acteurs locaux y ont souvent acquis une position dominante, en particulier dans les boissons ou la filière viande. Une telle modification sectorielle de l’investissement direct permettrait de déconnecter les importations des exportations4 et donc de réduire la dynamique de déficit externe, qui s’accumule à chaque fois que la croissance redémarre. Enfin, le développement de ce marché intérieur commence à faire apparaître de nouvelles spécialisations industrielles destinées au marché domestique. Dans le secteur automobile, la production est surtout destinée aux exportations mais le décollage de la croissance turque a stimulé depuis 2004 la production de petits véhicules utilitaires très adaptés à la taille des entreprises (PME) ainsi qu’aux besoins de certains secteurs en plein décollage (boissons). C’est un des meilleurs exemples de l’adaptation d’un secteur industriel à la modification de la demande intérieure et à la hausse des revenus. Cela devrait aussi permettre à la Turquie d’exploiter des marchés d’exportation tels que la Russie ou le Caucase, qui ont à peu près les mêmes besoins (par exemple l’explosion du secteur du discount russe après la crise de 2009 va conduire à l’achat d’un parc de petits véhicules utilitaires, qui peuvent être importés de Turquie). 4 Selon le FMI (voir revue article IV juillet 2010), la part des importations destinées à la fabrication des produits d’exportation a augmenté. n°10 – avril 2011 automobile camionnettes 2007 2004 2001 1998 1995 1992 1989 1986 1983 1980 1971 Exportations 1988 1985 1982 1979 1976 1973 1970 1967 1964 0 1977 2 000 10 5 1974 40 Graphique 6 – Décollage du secteur automobile turc camions Sources : Turkstat, statistical handbook 2010, Crédit Agricole S.A. 1.3 - Les anticipations des consommateurs amplifient la crise mais soutiennent ensuite la reprise La hausse du PIB par habitant peut modifier les composantes de la croissance turque : parce que les anticipations des agents sont en train de changer et parce que cela va influencer leur comportement. En 2009, habitués aux crises de change historiques, les Turcs ont réagi fort et vite, en réduisant immédiatement leur consommation et leurs investissements. La crise, venue de l’extérieur, a donc été relayée par le canal des anticipations : tous les indicateurs de confiance se sont effondrés. Mais contrairement à 2001, quand la crise de la dette publique s’était transformée en crise bancaire et donc en crise systémique, cette fois, le canal financier de transmission est limité, car le secteur bancaire est en bonne santé. Les enchaînements systémiques sont inexistants, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des autres pays européens. Encadré 1 - Les banques : un avantage comparatif Cause de la crise en 2001, le secteur bancaire a, au contraire, limité la transmission du choc mondial de 2009. La plupart des indicateurs prudentiels bancaires ressortent favorablement (crédits/dépôts à 70%, ratio de solvabilité –fonds propres/actifs pondérés– à 18%, taux de crédits non performants à 5% du total). Ils expliquent à la fois la faible transmission de la crise financière de 2009 mais aussi la forte réactivité de l’économie aux mesures de stimulation monétaire. La croissance des crédits à la consommation (35% en 2010) devrait se poursuivre en 2011 et elle devient une composante importante du PIB. Plus généralement d’ailleurs, la financiarisation de l’économie turque est en train de s’accélérer : 52% des entreprises financent aujourd’hui leurs investissements grâce à des prêts bancaires contre 30% en 2005 (et respectivement 5,5% et 8,8% en Egypte ou en Algérie). Cette accélération du crédit laisse aussi redouter une dégradation de la qualité des actifs bien que le stock de crédits rapporté au PIB ne soit pas encore très élevé –40% du PIB au total et 14% pour les crédits à la consommation. Les créances douteuses s’accumulent plus vite dans les plus petites entreprises, dans le secteur des cartes de crédits (taux de NPL à 10%) et des crédits automobiles (ces tendances étaient déjà sensibles avant la crise de 2009). Il faudra également surveiller l’accélération attendue des crédits immobiliers bien que les prêts dans ce secteur ne représentent que 5% du PIB en 2009 contre une moyenne de 43% dans l’UE. En 2010, la construction a redémarré plus vite que prévu, dès le second semestre, et elle restera portée par une triple dynamique : le développement de l’immobilier individuel, les chantiers d’infrastructures publiques et les nouveaux marchés d’Asie centrale, de Russie, d’Azerbaïdjan et d’Ukraine. 4 Tania SOLLOGOUB [email protected] En 2010, grâce au redémarrage rapide de la croissance, les Turcs prennent donc conscience que leur économie est devenue plus résiliente face aux chocs externes. C’est un avantage comparatif dans un contexte de crise bancaire mondiale… La vigueur de la reprise a surpris aussi les analystes, qui se demandent alors s’ils n’ont pas sous-estimé les acquis structurels de la croissance avant la crise. Le rebond de la confiance est donc marqué, non seulement dans le pays mais aussi sur les marchés financiers. On peut espérer que cette confiance contribue à stabiliser le cycle de croissance turque. C’est également un point positif pour les ratings car c’est un facteur de résistance face aux chocs externes. volatils que dans d’autres pays émergents6 – à cause de la concentration de la production, de l’impact fort du climat, de la mauvaise organisation des marchés et d’une trop grande imprévisibilité des subventions de l’Etat. Reste que l’inflation sous-jacente est parvenue à des niveaux historiquement bas et que le taux d’utilisation des capacités de production ne revient que lentement aux niveaux d’avant crise. Tout cela a donné une vraie marge de manœuvre à la politique monétaire fin 2010, pour lutter contre l’afflux de capitaux courts. Mais en 2011, les marchés redeviennent très sensibles à la question inflationniste, après avoir un temps acheté la croissance turque. La volatilité du change s’accroît sur le début de l’année. Graphique 8 – Turquie : après la reprise, des taux directeurs qui restent trop bas Graphique 7 – Turquie : une confiance des industriels et des ménages pts de base 21 17 pts de base 35 13 9 95 5 15 1 janv- mai- sept- janv- mai- sept- janv- mai- sept- janv08 08 08 09 09 09 10 10 10 11 85 -5 -25 75 -45 Taux overnight Inflation Sources : CBRT, SIST, Crédit Agricole S.A. Graphique 9 – Turquie : la convergence des taux d’inflation nominaux et sous-jacents 5 Selon la Banque centrale, les prix énergétiques et alimentaires ont contribué à la moitié de la hausse de l’indice des prix en 2010. n°10 – avril 2011 6 40 4 30 2 20 0 oct-10 8 50 mai-10 10 60 taux d'utilisation des capacités industrielles (éch gauche) CPI (éch dte) Inflation sous jacente (éch dte) 1.4 - L’épée de Damoclès : l’inflation La donne va cependant changer en 2011, car l’accélération des prix à la production en janvier (10,87% en rythme annuel) annonce une plus forte inflation par les coûts. L’indice de prix turc est très sensible à la hausse des prix énergétiques5 et les prix alimentaires restent plus 12 70 janv-07 La confiance des agents est particulièrement importante pour un pays qui est structurellement déficitaire, et dont le change est également structurellement fragile. Mais elle sera liée à la capacité de la Turquie à contenir son inflation. En effet, le rebond des indicateurs de confiance en 2010 s’explique par deux caractéristiques importantes de l’environnement monétaire. 14 80 déc-09 Sources : Turkstat, OCDE, Crédit Agricole S.A. Tout d’abord, avec une hausse des prix de 4,2% en février 2011, soit le point le plus bas des quarante dernières années, les Turcs ont à juste titre la sensation stimulante de vivre une période d’inflation historiquement faible. Cette situation est à mettre au crédit de la politique de ciblage d’inflation imposée par le FMI en 2001. Cependant, la confiance a également été entretenue de façon plus artificielle par le niveau des taux réels après la crise : en effet, la Banque centrale n’a pas pu gérer sa sortie du plan de relance de façon orthodoxe, à cause de la politique de « Quantitative easing » américaine, qui l’a empêchée de monter les taux, au risque d’attirer trop de capitaux courts. en % 90 juil-09 Confiance dans l'industrie manufacturière Confiance des ménages (éch. d.) févr-09 juil.-10 sept-08 déc.-09 avr-08 mai-09 nov-07 oct.-08 65 févr.-11 juin-07 -65 mars-08 % Sources : Turkstat, OCDE, Crédit Agricole S.A. Des anticipations de marché plus optimistes sur la qualité de la croissance turque En 2010, le retour de la confiance a été particulièrement net sur les marchés financiers. L’OCDE a étudié l’évolution du spread souverain turc sur longue période7, en le comparant à celui d’autres pays émergents (Brésil, Bulgarie, Chili, Hongrie, Malaisie, Mexique, Pologne, Afrique du Sud). Cette analyse montre que la Turquie souffrait historiquement d’un déficit de crédibilité qu’elle payait par une prime de risque supplémentaire, y compris pendant la phase de croissance des années 2000. Cet handicap structurel semblait lié en premier lieu au risque politique8 mais aussi à l’instabilité des 6 Öğünç, F. (2010), "Volatility of Unprocessed Food Inflation in Turkey: A Review of the Current Situation", CBRT Economic Notes No. 10/05. 7 OCDE economic survey, sept 2010, country report. 8 Les spreads souverains des émergents sont influencés par un nombre restreint de facteurs, parmi lesquels le risque politique ainsi 5 Tania SOLLOGOUB [email protected] performances économiques. De plus, la Turquie souffrait d’être aux frontières de la zone euro dont tous les pays bénéficiaient alors d’une prime de risque réduite, liée à ce que l’on a appelé le « halo » européen (autrement dit le partage de la crédibilité financière allemande). Mais après la crise de 2009, l’analyse se renverse : le spread turc passe cette fois au-dessous de ce que l’OCDE considère comme le juste prix du risque pour ce pays. La Turquie aurait bénéficié en 2010 d’un bonus de crédibilité, auquel les hausses de rating successives des agences ne sont pas étrangères, d’autant que c’est aussi le moment où la périphérie européenne s’enfonce dans la crise souveraine. En fait, le marché semble avoir intégré à l’avance un passage de la Turquie à l’Investment Grade, passage effectivement évoqué par certaines agences pendant l’automne, prévu après les élections de juin. Enfin, ce renversement des anticipations s’explique aussi par les performances fiscales du pays, que le marché juge plus en progrès que celles de tous les autres pays analysés dans l’étude de l’OCDE. Graphique 10 - Le marché cherche le juste prix pour le risque turc Un pays dont les revenus progressent n’est pas nécessairement un pays développé : pour que l’enchaînement vertueux entre revenus et indicateurs de développement s’enclenche, encore faut-il des institutions plus efficaces et un capital humain plus élevé. C’est le cas, semble-t-il, en Turquie. L’IDH a progressé sur la période d’étude, à un rythme similaire à celui des pays arabes en plein printemps politique. Les progrès sont visibles également dans le secteur de la santé et surtout pour l’éducation primaire, qui est toujours une phase importante des transitions démographiques. Le nombre moyen d’années de scolarité passe de 2,9 en 1980 à 6,5 aujourd’hui, contre respectivement 4,4 ; 6,5 et 19,9 en Inde, en Tunisie ou en Norvège. Enfin, le taux d’illettrisme passe de 21% de la population en 1980 à 12,3% en 2010. Si l’on ajoute à cela que le taux d’urbanisation est passé de 27% en 1960 à 70% en 2010, on prend la pleine mesure de la transformation démographique et sociale de ce pays. C’est l’une des explications de la transformation du paysage politique. Enfin, ces évolutions sont en train d’infléchir les flux migratoires (le taux d’accroissement de la population est également passé de 2,5% par an dans les années 1980 à 1,2% aujourd’hui). Après une longue période d’émigration, la stabilisation de la population turque migrante intervient vers la fin des années 80 – sur 4 millions de personnes d’origine turque expatriées, 3,3 résident en Europe dont les deux tiers en Allemagne. Indice EMBI* En points de base 1.5 - De la croissance au développement : le rôle du capital humain 1000 900 800 700 600 500 400 300 200 100 0 * Emerging Market Bond indices Russie 02/01/2011 02/07/2010 02/01/2010 02/07/2009 02/01/2009 02/07/2008 02/01/2008 02/07/2007 02/01/2007 02/07/2006 02/01/2006 Graphique 11 – Turquie : les évolutions politiques suivent le décollage de l’IDH Turquie Sources : Datastream, JP Morgan, Crédit Agricole S.A. Cette situation est évidemment favorable puisqu’elle permet à la Turquie de financer ses déficits à moindre prix. Cet accès plus aisé au marché international permet aussi un allongement des maturités d’endettement, tant pour les eurobonds souverains que pour les émissions des banques, ce qui leur permet de réduire le risque de maturity mistmatch. En revanche, la sous-estimation du risque exprimée dans des spreads trop faibles est une situation dangereuse pour un pays dont le déficit courant est financé par des capitaux courts. Cela expose la Turquie a un retournement des anticipations, d’autant plus brutal que le « bonus » favorable aura été important. que les variables fiscales jouent un rôle majeur. Voir ”Is it (Still) Mostly Fiscal? Determinants of Sovereign Spreads in Emerging Markets” Emanuele Baldacci, Sanjeev Gupta and Amine Mati, Working paper FMI, nov 2008. n°10 – avril 2011 1,0 Indicateur de développement humain (PNUD) 0,9 0,8 0,7 0,6 0,5 0,4 0,3 1990 1995 Russie Algérie 2000 2005 2010 Turquie Tunisie Chine Suède Sources : Datastream, Crédit Agricole S.A. Les progressions de l’IDH et du niveau d’éducation expliquent aussi l’augmentation de la productivité globale des facteurs et de la croissance potentielle. L’OCDE note une hausse de la compétitivité hors prix de l’industrie entre 2000 et 2008, particulièrement nette après 2005. La productivité du travail a augmenté passant de 35% de la moyenne de l’UE en 1995 à 62% en 2009, soit le même niveau que la Pologne (et seulement 48% pour la Roumanie). La création de nouvelles entreprises s’accélère. Dans le secteur automobile, la productivité de l’usine de Bursa de Renault est l’une des plus fortes des pays émergents (et le taux de turnover proche de zéro alors qu’il est très élevé dans l’usine de Russie). Enfin, la part du PIB consacrée à la recherche est supérieure à celle de la Pologne, de la Roumanie, de la Bulgarie ou de la Lettonie – 6 Tania SOLLOGOUB [email protected] bien qu’elle soit encore loin des moyennes de l’UE à 27 membres (2,1%). Graphique 12 – Turquie : une croissance plus riche en progrès technique Dépenses en recherche et développement en % du PIB 2009 2,5 Graphique 13 – Turquie : une capacité à gérer des budgets contracycliques 0 290 -10 270 -20 250 2,0 230 -30 1,5 210 -40 1,0 190 -50 0,5 170 févr.-09 juin-09 UE 27 Rép. tchèque Hongrie Lituanie Turquie Lettonie Pologne Roumanie Bulgarie Slovénie 0,0 oct.-09 févr.-10 juin-10 -60 oct.-10 févr.-11 Revenus budgétaires (cumulé sur un an, mds TRY) Dépenses budgétaires (cumulé sur un an, mds TRY) Solde budgétaire (cumulé sur un an, mds TRY) (dr.) Sources : Eurostat, Crédit Agricole S.A. Sources : CBRT, Crédit Agricole S.A. La transition des institutions : vers quel modèle ? Finalement, la progression du pays dans les ratings est le résultat d’un environnement institutionnel public de meilleure qualité. Ce changement est visible dans les notations de la Banque mondiale, désormais intégrées dans la plupart des ratings souverains. C’est une tendance structurelle, régulière depuis 10 ans et elle est à contre-courant de ce que l’on a constaté dans de nombreux pays, développés ou non. La maîtrise de la sphère monétaire et le ciblage d’inflation ont eu un effet d’assainissement sur la sphère institutionnelle. Aujourd’hui, l’Etat est plus efficace et la corruption est globalement contenue. Mais il y a une dernière étape sans laquelle la croissance ne peut pas être stable à long terme. C’est la réforme des institutions, économiques ou politiques. Or c’est dans ce domaine, que se sont produits les changements structurels les plus importants de l’économie turque. C’est là que se situe la promesse d’une crédibilité plus forte du management macro et microéconomique. Ces évolutions ont été provoquées à la fois par les échecs des gouvernements successifs avant 2002 face aux enjeux économiques et sociaux, par la crise de 2001 et par l’apparition d’une nouvelle classe d’entrepreneurs. Les années 2000 marquent un changement de stratégie économique, qui se traduit par une évolution du rôle de l’Etat : moins d’intervention directe et plus de transparence dans la consolidation des comptes publics, en particulier grâce à la suppression de nombreux fonds extra budgétaires. Néanmoins, on retrouve une difficulté commune à tous les pays du Sud de l’Europe, révélée par la crise actuelle : une faible « gouvernabilité » de la fiscalité. Avec plus de 3 000 gouvernements locaux et une part importante de transferts sociaux, le gouvernement n’a finalement la main que sur 60% de ses recettes et dépenses (cette part n’est que de 30% en Espagne). Les progrès de l’Etat sont réels dans deux domaines : la dynamique de l’endettement public et la qualité des institutions. Sur les critères relatifs à l’environnement des affaires, la Turquie obtient aussi un meilleur classement que les pays de « Peer group ». Par exemple, il ne faut plus que 40 jours pour obtenir aujourd’hui un permis de construire contre presque 60 en 2005 et, à titre de comparaison respectivement 122, 104 et 97 en Pologne, en Russie ou en Algérie. Ou encore, le nombre d’entreprises qui considèrent l’administration fiscale comme une contrainte au développement des affaires est passé de 41% à 8% depuis 2005. Graphique 14 – Turquie et Grèce : deux indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale (KKZ) ; plus d’efficacité de l’État et moins de corruption Efficacité du gouvernement (EG) Corruption (cor) 1,2 1,0 0,8 0,6 0,4 0,2 0,0 -0,2 -0,4 -0,6 -0,8 Un État en retrait dans le domaine économique et plus de transparence des institutions publiques Selon Fitch, la dynamique de l’endettement public est un des éléments très favorables du rating turc : certes, la dette publique globale est légèrement au dessus de la moyenne des pays de même notation (« peer group ») – 42,4% du PIB contre une moyenne de 40,5% – mais la dette rapportée aux revenus est, en revanche, nettement plus faible que la moyenne des pairs. En 2010, le déficit budgétaire né de la crise s’est très vite réduit, ce qui prouve que les institutions publiques turques ont la maturité nécessaire aujourd’hui pour savoir mener des politiques contracycliques – dans beaucoup d’autres pays émergents, les gouvernements sont sortis de la crise avec des niveaux de déficit primaire plus élevés. En février 2011, l’Etat affiche un surplus primaire deux fois plus élevé que celui de février 2010, ce qui laisse penser que le dérapage des dépenses lié aux élections sera contenu et que l’objectif d’un déficit budgétaire limité à 2,7% sur l’année pourrait être respecté. n°10 – avril 2011 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Grèce (EG) Grèce (cor) Turquie (EG) Turquie (cor) Sources : Banque mondiale, Crédit Agricole S.A. 7 Tania SOLLOGOUB [email protected] Les PME et la classe moyenne, moteurs de la transition turque Ces évolutions ont été très favorables au développement des PME. Ce secteur est essentiel à l’équilibre économique mais aussi social et politique de la Turquie : il représente 30% de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière et 60% de l’emploi du secteur9. Il est en pleine transition car la taille des PME augmente et elles ont de plus en plus accès au crédit bancaire10 ; elles contrôlent certains segments du marché intérieur (particulièrement dans l’agroalimentaire) et elles se développent sur les marchés d’exportation de proximité, en Russie et en Asie centrale (dans le secteur des boissons par exemple). Le développement des PME familiales est très ancien en Turquie, encouragé déjà sous Mustafa Kemal, après la crise de 1929. Elles prennent leur essor après les années 1960 et, conjugué à la croissance des revenus, elles ont permis l’apparition d’une classe moyenne. Celle-ci représente aujourd’hui 45% de la population contre 22% pour les classes supérieures11. Elle est bien répartie sur le territoire contrairement aux classes supérieures, concentrées dans quelques quartiers des grandes villes. Cette classe moyenne est cependant moins homogène qu’on ne le croît : elle résulte d’une alliance entre les classes urbaines instruites et les nouveaux entrepreneurs d’Anatolie centrale -« les lions anatoliens »- qu’on a souvent qualifiés de calvinistes, attachés à des valeurs rurales religieuses et conservatrices (on les compare aussi aux entrepreneurs d’Asie du Sud-Est ou bien à la bourgeoisie industrielle anglo-saxonne du XIXe siècle). rôle important dans l’affirmation politique et économique de la classe moyenne, que ce soit grâce à leur capacité à mobiliser des électorats nouveaux mais aussi en tant qu’ascenseur social, grâce à leurs activités éducatives. Ces groupes sont la base d’un tissu associatif important et même d’activités industrielles, commerciales ou de communication14. Encadré 2 - La « Réformation Bourgeoise »15 La classe moyenne a conduit l’AKP au pouvoir en 2002 (34,4% des suffrages aux législatives) et l’y maintient depuis dix ans. C’est une force politique structurante dont les acteurs semblent avoir compris que le développement d’un jeu constitutionnel sans intervention de l’armée est propice au développement des affaires. Cette nouvelle classe politique est conservatrice dans le domaine religieux mais néanmoins plus attachée à l’Europe que les élites traditionnelles. Selon H. Yilmaz, quatre événements critiques expliquent cette évolution profonde du corps électoral : 1. les réformes économiques sous la direction de T. Ozal. 2. l’échec des partis traditionnels face à la crise économique, à la question kurde ou à des débats sociaux comme la revendication de l’autorisation du port du foulard à l’université. 3. la chute de l’URSS qui permet aux hommes d’affaires de s’appuyer sur les rhétoriques de l’héritage ottoman ou de la solidarité musulmane pour développer des flux d’affaires en CEI. 4. La décrédibilisation de la gauche kémaliste lors du dernier coup d’Etat. Enfin, cette évolution politique a été accompagnée par l’émergence de la société civile, symbolisée par les progrès accomplis sur trois dossiers : la question des femmes, la reconnaissance des Kurdes et le traitement officiel de la question arménienne. Comme dans tous les pays émergents, cette structuration de la société civile a bénéficié de l’explosion du nombre d’utilisateurs d’internet passés entre 1990 et 2010 de 3,3% de la population à 34,5%. Graphique 15 – Composition de la population active turque : une part importante de créateurs d’entreprises salariés auto entrepreneurs travailleurs familiaux Sources : Human Development report 2008 – Youth in Turkey – PNUD, Crédit Agricole S.A.. Enfin, les groupes de sociabilité musulmans traditionnels, en particulier les Tarikaat12 et les Cemaat13, ont joué un 9 « L’économie turque entre néo-libéralisme et pesanteur étatique » - B. Gûltekin, dans « La Turquie aujourd’hui », Universalis, 2005. 10 La croissance du crédit aux PME était de 35% avant la crise et de 25% en 2010 mais l’accumulation des créances douteuses est plus rapide sur ce segment que sur les grandes entreprises. 11 Institut du Bosphore : « La réformation bourgeoise en Turquie : opportunités et menaces », Dc. H. Yilmaz. 12 Tarikat : confréries traditionnelles caractérisées par des pratiques mystiques communes. 13 Cemaat : nouvelles communautés islamiques, nées dans la e seconde moitié du XX siècle, qui dominent la mouvance religieuse turque mais qui n’ont pas de pratique mystique n°10 – avril 2011 La reprise en 2010 et ensuite ? À la recherche d’un modèle de croissance L’amélioration de la productivité turque, l’assainissement monétaire, la stabilisation politique et la réforme de l’Etat sont les acquis des années 2000-2008. En 2009, les autorités monétaires ont prouvé qu’elles pouvaient gérer le cycle en baissant rapidement les taux pour stimuler la relance, et l’Etat a su gérer son budget. La maturité de la politique économique est donc là et les institutions sont plus crédibles. Néanmoins, certains déséquilibres structurels ne sont pas résolus et l’insertion dans la globalisation financière crée de nouveaux risques. Au final, ce pays est en transition, mais il est encore à la recherche d’un modèle de croissance. 2.1 - Le développement d’une économie à deux vitesses La photographie favorable des évolutions structurelles turques masque des divergences sectorielles : les gains de productivité sont plus importants dans les secteurs à haute technologie (chimie, équipement électrique, automobile) que dans les secteurs à forte intensité du travail qui ont peiné à officielle. Elles sont très actives dans le domaine de l’éducation (Massicard, 2004). 14 Elise Massicard – « L’islam en Turquie, pays musulman et laïc » dans « La Turquie aujourd’hui », Universalis, 2005. 15 Institut du Bosphore : « La réformation bourgeoise en Turquie : opportunités et menaces », Dc. H. Yilmaz. 8 Tania SOLLOGOUB [email protected] se restructurer jusqu’en 2005 (textile ou bois) et qui perdent des parts de marché à partir de cette date (ils souffrent particulièrement lors des phases d’appréciation de la devise). Cette divergence a été renforcée par une flexibilité du marché du travail plus importante dans les secteurs à fort contenu technologique que dans les secteurs à forte intensité du travail, impactés par le maintien de salaires minimum élevés et par l’absence de législation sur le travail intérimaire. La croissance turque n’a donc pas résorbé les écarts de productivité entre les secteurs avec investissements directs étrangers et les autres. Au contraire, ces écarts se sont accrus. C’est le cas dans beaucoup d’autres pays émergents où les effets de concentration l’emportent désormais sur les effets de diffusion : la croissance produit des économies à deux vitesses. Ce « néo-dualisme » impacte particulièrement les exportations et il contraint aussi le marché du travail. Il participe sans doute au paradoxe de la Turquie des années 2000, enfermée dans un modèle de croissance sans emplois. Et il explique la persistance du déficit courant, talon d’Achille de la croissance turque. Les exportations : une forte sensibilité au cycle européen Marquée par la vision protectionniste d’Atatürk, la Turquie n’est pas un pays très ouvert commercialement : les exportations cumulées aux importations ne représentent que 25,5% du PIB contre 40% en Roumanie par exemple. Mais la structure des comptes extérieurs a un impact important sur l’économie à travers le déficit commercial structurel qu’elle génère. Le contenu des exportations en haute technologie a pourtant augmenté plus vite que celui des importations depuis dix ans (ce qui est favorable aux termes de l’échange). La Turquie a progressé vers des activités à plus forte valeur ajoutée et elle est devenue le premier fabricant européen de téléviseurs et de bus et le troisième d’acier et de fer. Depuis 2004, le secteur des biens d’équipements supplante celui des textiles et ce dernier perd même des parts de marché. (report vers la Turquie des voyages prévus dans les pays d’Afrique du Nord16). La Turquie serait-elle capable de compenser une stagnation durable des marchés européens? Probablement pas. Selon le FMI, avant la crise, elle ne gagnait plus de parts de marché dans les pays développés. Quant à sa position dans les pays émergents, elle devenait fragile : après avoir connu une forte accélération à partir de 2005, la progression des ventes était moins forte, confrontée à de nouvelles concurrences. C’est l’une des faiblesses du scénario de diversification commerciale (et diplomatique) prôné par le gouvernement : la complémentarité commerciale avec l’Europe reste forte et l’on voit mal la croissance turque s’éloigner très longtemps des tendances européennes. L’automobile Graphique 16 – L’automobile dynamise les ventes turques en Europe Part dans les exportations totales en % 40 35 30 25 20 15 10 5 0 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Agroalimentaire Textiles Equipements de transport Sources : Economist Intelligence Unit, Crédit Agricole S.A. Graphique 17 – L’Allemagne, toujours premier partenaire commercial de la Turquie, mais une contraction relative des flux en % du total des flux 30 25 20 15 10 5 2007 2003 1999 1995 1991 1987 1983 1979 1975 1971 1967 0 1963 Cela positionne donc favorablement le pays par rapport à la concurrence des pays à bas salaires, mais les Turcs sont aussi en première ligne face au ralentissement de la croissance européenne. La zone euro absorbe 32% des exportations, dont 15% pour l’Allemagne à elle toute seule. Les ventes vers l’UE sont concentrées sur le textile, l’acier et le secteur automobile, mais ce dernier est le plus sensible au cycle européen – la zone euro absorbe 63% des exportations automobiles. part dans les exportations totales turques part dans les importations totales turques Sources : Statistical handbook 2010 – Turkstat, Crédit Agricole S.A. Le gouvernement turc compte sur une diversification pays pour atténuer cette dépendance externe, mais celle-ci porte sur des produits à contenu technologique moins élevé, qui sont soumis à une forte élasticité prix. En janvier 2011, les Emirats Arabes Unis ont néanmoins été le marché qui a connu la plus forte croissance en rythme annuel (+119% soit le 7e marché d’exportation), suivi par la Russie (66%), l’Azerbaïdjan (64%) et l’Irak (59%). L’Egypte, la Lybie et la Tunisie représentent ensemble 3,6% des ventes turques à l’étranger mais la baisse éventuelle des exportations vers ces pays devrait être compensée par l’augmentation des recettes touristiques 16 En janvier 2011, la balance courante turque enregistre une hausse de 10% des recettes touristiques. n°10 – avril 2011 9 Tania SOLLOGOUB [email protected] Graphique 18 – Une diversification des échanges réelle, mais limitée Répartition des exportations turques par pays en % du total 60 50 40 besoins) et dans une moindre mesure, par une intensité énergétique plus élevée que la moyenne des pays de l’UE. Selon le FMI, cette surconsommation a été encouragée par le prix trop faible de la consommation d’électricité et de gaz domestique, longtemps subventionnés. Au final, le spread souverain turc est très influencé, au jour le jour, par les prix du pétrole. Graphique 20 – Une intensité énergétique au-dessus de la moyenne de l’UE 30 20 10 Intensité énergétique de l'économ ie Consom m ation intérieure brute d'énergie divisée par le PIB (kilogramme d'équivalent pétrole par 1000 euro) 1400 0 UE Europe hors UE Afri du Nord 2002 US et Canada Moyen Orient Asie 1200 2010 1000 Sources : FMI, Crédit Agricole S.A. 800 600 400 2.2 - De la globalisation commerciale à la globalisation financière 200 0 Historiquement, depuis 1960, les importations turques ont toujours dépassé les exportations. Mais l’écart restait modeste. Or il s’accroît très rapidement à partir des années 200017, date à laquelle on peut dire que la Turquie s’engage vraiment dans la globalisation financière. A partir de là, elle semble condamnée aux déficits externes d’autant que l’excédent annuel net moyen du poste des services (10 mds USD environ) ne suffit pas à compenser l’accroissement du déficit commercial. Avec l’apparition d’un déficit externe structurel important, se pose d’abord la question de son financement, puis celle du risque de change. Graphique 19 – Turquie : à partir des années 2000, un déficit courant structurel en mns USD 250 200 150 100 50 0 -50 solde courant exportations importations solde commercial 2010 2008 2006 2004 2002 2000 1998 1996 1994 1992 -100 UE 27 Roumanie 1992 1996 Turquie 2000 2004 USA 2008 Sources : Eurostat, Crédit Agricole S.A. La Turquie importe 95% de ses besoins de gaz et de pétrole, principalement de Russie et d’Iran18 et elle a signé un accord gazier avec l’Azerbaïdjan en 2007. A plus long terme, il lui faut à la fois accroître les capacités et améliorer l’efficience de ce secteur. Elle s’est engagée dans un programme nucléaire qui représenterait 5% de la production en 2020 et l’un des plus gros projets de construction de centrale (20 Mds USD) a été attribué sans appel d’offre à la Russie. C’est l’une des preuves les plus évidentes du rapprochement d’Ankara avec un pays qui est devenu son deuxième partenaire commercial. Néanmoins, les relations russo-turques restent très inégales car les exportations russes vers la Turquie représentent 22 mds USD en 2010 alors que les ventes turques en Russie s’élèvent à 4,6 mds19. Certains analystes s’inquiètent d’une dépendance énergétique de plus en plus forte vis-à-vis de Moscou, y compris dans le domaine nucléaire car il faudra importer les technologies et l’uranium enrichi de Russie. Les relations sont plus complexes en ce qui concerne le projet de gazoduc Nabucco (10,8 Mds USD), qui met l’Europe en contact avec les champs de la Caspienne. Ce projet ne va pas dans le sens des intérêts russes, mais il répond aux ambitions de la Turquie qui veut devenir un pays pivot dans la distribution énergétique européenne. Sources : Banque nationale de Turquie, Crédit Agricole S.A. Un déficit courant consanguin à la croissance Sans surprise, le déficit courant se creuse en 2010, à mesure que la reprise s’accélère. Mais il se creuse beaucoup plus vite que prévu (-6,6% du PIB en 2010), et l’inquiétude croît encore avec l’hypothèse d’un prix du pétrole élevé : la dépendance énergétique turque en fait l’un des pays émergents les plus exposés. En effet, le déficit énergétique représente en moyenne 3 à 4% du PIB et reste incompressible. Cette situation s’explique surtout par un niveau d’autosuffisance trop faible (30% des 18 17 En 2010, les ventes ont augmenté de 8% en volume contre 21% pour les achats. n°10 – avril 2011 La Turquie importe de Russie 64% de son gaz, 40% du pétrole et la majorité de son charbon. 19 Les Premiers ministres des deux pays se sont fixés comme objectif d’augmenter ces flux de 26 à 100 mds USD dans les cinq ans. 10 Tania SOLLOGOUB [email protected] Graphique 21 – Turquie : des échanges avec la Russie qui deviennent fortement déficitaires en % du total des flux 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 capitaux courts, de pousser la devise à s’apprécier, et de peser sur les exportations. La politique monétaire était donc coincée entre la stratégie américaine et le risque de surchauffe en interne. En somme, la balance des paiements devait être lue de bas en haut : les flux monétaires avaient pris le pas sur les flux réels et la priorité était de contrôler les capitaux courts. 2008 2005 2002 1999 1996 1993 1990 1987 1984 1981 1978 1975 1972 1969 1966 1963 Une stratégie monétaire atypique part dans les exportations totales turques part dans les importations totales turques Sources : Statistical handbook 2010 – Turkstat, Crédit Agricole S.A. Enfin, d’importants programmes de privatisation des réseaux de distribution d’électricité visent à en améliorer l’efficacité, souvent pointée du doigt comme étant l’une des causes de la mauvaise efficience énergétique du pays. Une configuration de risque de change Ce n’est pas seulement la vitesse d’accroissement du déficit qui inquiète les marchés, c’est aussi son mode de financement : il met la Turquie en configuration de risque de change. La part des capitaux courts dans la partie basse de la balance des paiements est trop élevée, ce qui rappelle la Thaïlande de 1996. En fait, quasi tous les postes de financements à court terme ont augmenté en 2010 tandis que les investissements directs étrangers sont restés à peu près stables –et insuffisants. Selon l’IIF, les banques ont emprunté 27 mds USD à court terme en 201020 et les achats de bons du trésor par les non résidents s’élèvent à 11 mds USD. Les Eurobonds du gouvernement ont représenté 6,7 mds USD. Graphique 22 – Turquie : trop de déficit courant, pas assez d’investissements directs en mds USD Mais pour être efficace, cette stratégie monétaire a besoin de temps (les politiques quantitatives avaient été abandonnées entre autres parce que leur délai d’action est plus long). Or, début 2011, le crédit à l’économie continue à s’accélérer21. Surtout, un autre élément fait irruption dans l’équation déjà difficile à résoudre de la politique monétaire turque : la menace pétrolière. Dans cette situation, l’ouverture financière turque est un handicap, parce que la dépendance aux capitaux courts est trop forte : les anticipations de marché vont beaucoup plus vite que le contrôle quantitatif du crédit, peu adapté aux pays engagés dans la financiarisation. A ce jour, la Turquie n’a pas encore trouvé les outils pour résoudre son problème de déficit externe. Les spreads souverains se tendent début 2011, témoignant de la montée des doutes. Tout tient à la stabilité des anticipations que le contexte politique arabe risque de rendre plus volatiles. Il est clair que la Banque centrale peine à gérer cette situation seule : paradoxalement « le quantitative easing américain » conduit à resserrer le policy mix en utilisant également la politique fiscale pour refroidir la conjoncture intérieure. Ce n’est évidemment pas facile, avec des élections en juin 2011. Solde courant 1,1 1,2 1,3 1,4 1,5 1,6 1,7 1,8 mars- oct06 06 2011 2010 2009 2008 2007 2006 2005 2004 2003 2002 2001 2000 1999 Graphique 23 – Turquie : éviter l’appréciation, la vraie bataille contre le « quantitative easing » américain 1998 30 20 10 0 -10 -20 -30 -40 -50 -60 C’est ce qu’a fait la Banque centrale, fin 2010, en baissant ses taux à deux reprises, au moment même où le marché anticipait une hausse. C’était une politique dangereuse en termes de crédibilité, mais la brève dépréciation de la devise qui s’enclenche au moment de cette baisse de taux semble donner raison aux autorités monétaires. En même temps, la Banque centrale s’efforçait de contrôler l’explosion du crédit interne en augmentant les réserves obligatoires des banques, particulièrement sur les maturités les plus courtes. Il s’agit en même temps d’encourager les flux à long terme et d’éviter que la lire ne s’écarte des fondamentaux de l’économie. IDE nets Sources : Economist Intelligence Unit, Crédit Agricole S.A. Dans une telle situation, le message de l’orthodoxie monétaire était simple : il faudrait augmenter les taux d’intérêt. Mais cette option était néanmoins dangereuse dans le contexte de fortes liquidités issues du « quantitative easing » des Etats-Unis. Une hausse des taux au dernier trimestre 2010 risquait d’attirer plus de mai07 déc- juil-08 févr- sept- avr07 09 09 10 nov10 TK NA TIONA L CURRENCY UNIT TO US $ - M A RKET RA TE (A VG) Sources : Turkstat, Crédit Agricole S.A. 20 Mais les banques n’empruntent que 0,7 md USD en janvier 2011 contre 4,2 mds USD en décembre 2010, ce qui laisse espérer un renversement de tendance, lié aux premiers effets de la politique monétaire de la Banque centrale. n°10 – avril 2011 21 35,5% en rythme annuel en janvier alors que la Banque centrale déclare vouloir limiter cette progression à 20/25%, seuil au-delà duquel la menace de surchauffe se confirmera très vite. 11 Tania SOLLOGOUB [email protected] Encadré 3- Un scénario de stress : le risque de change peut- il conduire à un risque de liquidité ? Le rating turc reste contraint par un déficit courant structurel, consanguin à la croissance. Celui-ci s’est accru très vite en 2010 et il n’est pas évident qu’il puisse se réduire en 2011. Si la confiance des marchés commence à vaciller, si le prix du pétrole s’envole, si les liquidités internationales se contractent… alors la Turquie peut connaître un ajustement du change. En cas de retournement des anticipations et de difficulté de financement des comptes externes, les entreprises seraient exposées à un risque de change et de liquidité. L’Etat n’est pas très sensible au change mais il reste fragile sur sa liquidité. Le secteur bancaire était solide jusqu’en 2010 et il y a peu de risque systémique, d’autant que les ménages et les entreprises disposent de dépôts en devises à l’extérieur du pays. Le tableau global de l’endettement extérieur turc n’est pas très bon et place le pays au-dessus des pays « peer group » (en termes de notation souveraine—référence fitch). La dette extérieure est à 40,5 % du PIB mais à 180% des exportations (comme une moyenne pour les pairs de 100%). La dette à court terme atteindrait 21% du total de l’endettement (ce qui est un niveau intermédiaire) mais surtout, le service de la dette serait de 30%, ce qui, en revanche, est beaucoup trop élevé—d’autant que les réserves ne dépassent pas 5 mois d’importations. Le tableau global montre donc un pays qui n’est pas foncièrement surendetté mais dont la liquidité est trop courte. Le secteur bancaire n’est pas exposé à un risque de currency mismatch —décalage qui est un élément important de transmission de la crise de change à la crise de liquidité. 27% des prêts sont faits en devises (vers les corporates) mais l’exposition finale au risque de change du secteur bancaire serait quasi nulle car les dépôts en devises représentent 99% des engagements (ciblés sur des entreprises exportatrices). En revanche, l’allongement de la maturité des prêts creuse un début de maturity mismatch dans les comptes des banques, qui restent pour la plupart dépendantes de dépôts à court terme (mais les émissions bancaires d’Eurobonds devraient se multiplier). Du côté de l’Etat, le risque de change semble limité : 30% de la dette publique est libellée en devises contre une médiane de 64% pour les pays « Peer group » – et 12% seulement de la dette domestique est détenue par des non résidents. Cette proportion est en train d’augmenter. En revanche, la situation est plus fragile au niveau de la liquidité. Selon Fitch, la maturité moyenne de la dette publique est trop courte (10 mois) ce qui expose le gouvernement à un risque de marché (toujours selon l’agence, si l’on ajoute le financement du déficit plus les dettes arrivant à maturité, cela pourrait représenter près de 10% du PIB en 2011). Néanmoins, le dernier rapport monétaire de la Banque centrale indique que le gouvernement aurait commencé à allonger la maturité de ses émissions depuis l’été et que celle-ci serait d’ores et déjà de 19 mois (et sur le segment dette à long terme, on est passé d’une moyenne d’émission à 8 ans en 2009 à une moyenne de 17 ans pour cette année). En ce qui concerne les ménages, leur taux d’endettement reste contenu à 14% du PIB fin 2009 ce qui est en dessous de la moyenne EU (53%). Quant à l’exposition au risque de change, elle serait nulle car leur position extérieure nette est positive (plus d’actifs que de dette). Surtout, l’accumulation de dette en devises a été stoppée par une loi de 2009 qui a interdit l’utilisation de prêts aux ménages en devises (ou indexés sur une devise). Finalement, c’est le chômage quii est le principal risque sur les ménages, car il limite leurs capacités de remboursement. Enfin, pour les entreprises, la situation mi-2010 n’était pas bonne. La part de la dette à court terme sur le total de l’endettement était de 62% à la fin du premier trimestre 2010 et le ratio dette totale sur equity était de 100% (la moyenne européenne était à 89,5% en 2008). Egalement, la part de la dette en devises sur la dette totale était de 52% à fin 2009. Bien que tous les rapports signalent une nette amélioration de la profitabilité et de la trésorerie des entreprises en 2010, il est probable que celles-ci soient encore exposées au risque de change. Néanmoins, elles possèdent des dépôts en devises qui devraient leur permettre d’amortir un choc de change (mais il est difficile de les mesurer exactement). n°10 – avril 2011 L’insoluble déséquilibre l’investissement entre l’épargne et A long terme, où sont les faiblesses de l’équilibre macroéconomique turc ? Probablement dans l’insuffisance du taux d’épargne, qui explique mécaniquement l’existence de déficits externes. Graphique 24 – Les déficits externes turcs viennent d’une insuffisance d’épargne privée Taux d'épargne nationale en % du PIB - 2009 35 30 25 20 15 10 5 0 Grèce Turquie Brésil zone euro Pologne Indonésie Sources : Moodys 2009, Crédit Agricole S.A. Or, comme l’explique l’OCDE22, ce déséquilibre épargne/investissement fait écho au déficit structurel du marché du travail. Celui-ci n’absorbe pas la main-d’œuvre nouvelle liée à l’augmentation de la population (l’exode rural semblerait néanmoins freiné grâce à une politique active de subventionnement de l’agriculture). Le taux d’emploi reste le plus faible de l’OCDE (40%) et il est de 20% seulement pour les femmes. Toujours selon l’organisation internationale, le marché du travail serait contraint par quatre facteurs : 1) un salaire minimum trop élevé (60% du salaire moyen) ; 2) une absence de législation sur le travail temporaire ; 3) des taux de contribution sociale élevés ; 4) une protection globalement forte des employés qui ne correspond pas aux besoins d’une conjoncture volatile. 2.3 - Un secteur éducatif qui ne suit pas la montée en gamme de l’industrie En fait, malgré les progrès de l’éducation primaire, le secteur éducatif n’a pas suivi la montée en gamme technologique d’une partie de l’industrie. La Turquie souffre aujourd’hui d’un « skill mismatch ». On peut distinguer trois types de modèles en ce qui concerne la répartition des compétences de la population active. Le premier est représenté par les Etats-Unis avec une forte présence de personnes ayant suivi une éducation tertiaire dans la population active. Le second modèle renvoie à des pays à forte production industrielle, soit par tradition historique (Allemagne), soit parce que cela correspond à un moment de leur trajectoire de développement (Pologne). La population active y a majoritairement suivi une éducation secondaire. Enfin, le troisième modèle correspond à la Turquie (et aussi au Portugal…) où la population active est majoritairement constituée de personnes n’ayant suivi qu’une éducation primaire. 22 OCDE economic survey, sept 2010, country report. 12 Tania SOLLOGOUB [email protected] Toutes les statistiques d’Eurostat confirment cette analyse. Par exemple, alors que l’UE à 27 membres compte 14,4% de jeunes en moyenne qui ont quitté prématurément l’école, ce chiffre grimpe à 44,3% en Turquie (contre respectivement 16,6% et 14,7% en Roumanie et en Bulgarie). Le décalage est encore plus impressionnant avec les femmes, pour lesquelles ce taux atteint même 50% (et 66% dans les années 2000). Dans l’agriculture, le manque de compétence de la maind’œuvre semble être l’un des blocages les plus importants au développement du secteur23. Les structures de production restent familiales et les agriculteurs ont peu de pouvoir face aux intermédiaires qui se multiplient : ceux-ci sont au maximum 3 dans les pays développés mais ils sont 5 ou 6 en Turquie, situation propice à la spéculation. Cela participe à l’instabilité des prix agricoles. Graphique 25 – Une répartition de la population active turque qui reflète les disparités industrielles 80 70 60 50 40 30 20 10 0 En ce qui concerne les femmes, elles sont au cœur du « modèle turc ». Ou plutôt justement, elles en sont exclues. Une femme adulte sur cinq est illettrée. Une fille sur dix ne va pas à l’école primaire et trois sur dix ne vont pas à l’école secondaire. Il n’y a que 50 femmes sur 500 députés au parlement (alors qu’elles votent depuis 1935 !). Au final, l’Unesco souligne que le degré très élevé d’inégalités de genre est exceptionnel pour ce niveau de revenu (le seul autre pays concerné est la Guinée équatoriale) ce qui rapproche la Turquie, dans ce domaine, d’un pays à faible développement (par exemple, sur un classement de 177 pays en 2005, la Turquie est au 138e rang pour la participation des femmes à l’école secondaire). Cette situation a conduit à la fois au dualisme du marché du travail – un secteur protégé très réglementé et un secteur informel – et au développement de l’économie parallèle. Celle-ci reste l’une des particularités de l’économie turque tant par son importance (35%) que par sa pérennité : jusqu’à présent, la croissance n’a pas réduit la taille du secteur informel, signe de contraintes structurelles qui perdurent. USA France Allemagne Pologne Mexique Portugal Turquie 2.4 - Le secteur informel, témoin des contraintes structurelles Pop. active avec éducation primaire (% tot) Pop. active avec éducation secondaire (% tot) Pop. active avec éducation tertiaire (% tot) Sources : World Bank Development Indicators, Crédit Agricole S.A. Tableau 1 – Turquie : part de la population, en % des 15-25 ans, ayant suivi une éducation primaire, secondaire ou tertiaire total hom m es fem m es éducation prim aire 89,8 92,3 87,2 éducation secondaire 56,6 61,1 51,2 éducation tertiaire 18,8 20,2 17,4 Sources : Turkstat, Crédit Agricole S.A. Une éducation à deux vitesses En fait, les structures éducatives turques ont perpétué la segmentation du marché du travail. Les femmes, les jeunes et les plus pauvres ont payé le prix d’une croissance sans emploi. Les jeunes forment 18,5% de la population active mais ils connaissent un taux de chômage de 35%. Les conditions de placement à la sortie des écoles sont très inégales – ce qui explique, selon l’OCDE, que la Turquie soit le pays qui enregistre la plus forte divergence de niveau entre étudiants et entre écoles dans les études PISA24. Cette divergence a été renforcée par le développement des écoles privées (nombre multiplié par dix depuis 1984) et des écoles confessionnelles (dont le taux de placement est particulièrement faible mais dans lesquelles les études sont souvent moins chères). 23 Orman, C., Öğünç, F., Saygılı, Ş. and G. Yılmaz (2010), "Structural Factors Causing Volatility in Unprocessed Food Prices", CBRT Economic Notes No. 10/16. 24 Program for international student assessment – OCDE. n°10 – avril 2011 Le diagnostic du FMI ne fournit pas nécessairement une bonne grille d’analyse, selon laquelle le secteur informel serait lié en général à une trop forte pression fiscale. En Turquie, le développement de l’économie parallèle est surtout lié à une forme locale de capitalisme familial qui s’est construit autour des secteurs traditionnels du type construction ou textile. Egalement, l’instabilité historique de la croissance a joué un rôle en poussant les Turcs à rechercher des mécanismes « amortisseurs » (développement d’importants réseaux sociaux). Enfin, des liens commerciaux se tissent depuis dix ans avec les Balkans, la Russie, le Caucase et l’Asie centrale, produisant un commerce de valise dont la Turquie est l’aboutissement géographique naturel. Le gonflement brutal du poste erreurs et omissions de la balance des paiements en janvier 2011 vient du même genre de phénomène, lié à une sousestimation de la valeur des flux d’exportation vers les pays du Golfe. L’économie parallèle a néanmoins eu plusieurs avantages : elle explique le peu de mouvements sociaux dans ce pays, y compris dans les périodes de crise, et surtout, elle a incubé un tissu d’entrepreneurs et de petites entreprises qui sont désormais au seuil de l’économie formelle (qui doivent donc passer d’un autofinancement à un financement bancaire). En revanche, la productivité de l’économie grise est beaucoup plus faible que celle du secteur formel (80% plus faible dans le secteur informel, et 40% dans le secteur semiformel) et elle freine la croissance potentielle. De même, elle réduit le taux d’épargne national et la base fiscale. Elle génère donc une partie des déficits externes. Les effets positifs des économies grises sont généralement plus importants pour des économies en dessous de 10 000 USD par habitant mais les effets négatifs l’emportent à mesure que les revenus augmentent. La Turquie se trouve à cette croisée des chemins : elle doit résoudre ses déséquilibres structurels pour pouvoir passer à la question de la convergence des revenus. Finalement le taux d’épargne ne bougera qu’avec l’augmentation des revenus. C’est bel et bien un enjeu de répartition sociale : l’équilibre des comptes externes renvoie à celui des revenus. 13 Tania SOLLOGOUB [email protected] Graphique 26 – Un chômage structurel turc élevé mais des taux en baisse en pt en % 17 100 90 80 15 13 70 60 50 40 11 9 Confiance des ménages déc-10 oct-10 août-10 juin-10 avr-10 févr-10 déc-09 oct-09 juin-09 août-09 avr-09 févr-09 déc-08 7 d’une économie « trop ouverte » financièrement, et les difficultés de gestion du quantitative easing américain renvoient exactement au même genre de questionnement. On sait bien, depuis la crise asiatique, que la globalisation financière crée pour ce genre de pays, des situations de sur-financement qui entretiennent les bulles de crédit interne parce que les institutions et les régulations locales n’ont pas la maturité suffisante pour les gérer. L’interrogation sur le modèle de croissance turc renvoie donc au niveau optimal d’intégration financière et commerciale pour un pays à ce niveau de développement… ce qui pose évidemment la question du rôle de l’Etat dans les prochaines années. Taux de chômage (dte) Sources : Turkstat, OCDE, Crédit agricole S.A. Malgré les améliorations institutionnelles des dix dernières années, la Turquie a donc abordé la crise mondiale avec des problèmes structurels difficiles à résoudre. Le taux d’investissement reste insuffisant (il n’excède pas 20% du PIB depuis 2003 alors que la Banque mondiale estime qu’il faudrait un taux d’au moins 30% pour assurer une croissance du PIB de 6%). Mais surtout, plusieurs années de croissance n’ont pas suffi à résorber un chômage structurel élevé. Ceci explique d’ailleurs l’importance du secteur agricole qui, malgré l’urbanisation accélérée, reste un secteur refuge en tant de crise. Aujourd’hui l’agriculture représente 8% du PIB mais 13% des emplois des hommes et semblerait-il, près de 45% de ceux des femmes. La structure de production a peu évolué, composée de petites fermes familiales souvent confrontées à un déficit d’irrigation. Les subventions publiques ont diminué mais les protections douanières restent assez élevées. 2.5 - Le développement est-il freiné par la financiarisation ? La transition turque vers un niveau de développement plus élevé est en cours, mais loin d’être achevée. Surtout, se pose à présent la question du modèle de croissance et du taux optimal d’ouverture financière pour un pays à revenu intermédiaire 25. Le modèle de croissance : plus ou moins d’État ? 65% des ménages dont le revenu est inférieur à 500 euros ont voté « oui » au référendum de novembre 2010, alors que plus le revenu augmente, plus le nombre de « oui » est faible. Ces 65% expriment le désir que les réformes continuent et que le dialogue institutionnel se poursuive. Ce résultat illustre aussi le problème de positionnement du parti de gauche (le CHP avait milité pour le « non ») qui semble avoir perdu une partie de sa base électorale. Le rétrécissement est encore plus net pour le parti nationaliste MHP qui perd, lors de ce référendum, le soutien de ses bastions historiques en Anatolie centrale et orientale, de plus en plus séduits par le discours identitaire de l’AKP. Enfin, ce référendum a cassé les ressorts d’une campagne électorale pour l’instant atone, au cours de laquelle la plupart des sondages donnent le pouvoir en place gagnant. Tout cela forme une situation assez propice pour faire évoluer la constitution vers un régime présidentiel en 2011 ou 2012. Certains observateurs analysent cette consolidation du pouvoir comme le signe d’une évolution profonde du régime vers un modèle d’islamisme « à la Malaisienne ». D’autres parlent de l’agenda caché de l’AKP et d’un risque de durcissement du régime. Quoi qu’il en soit, les « printemps arabes » sont en train de donner à la Turquie, une réelle dimension de modèle. On constate en premier lieu que loin d’avoir résorbé les inégalités de développement, l’intégration turque dans la globalisation financière et commerciale les a entretenues : investissements concentrés dans certaines régions, peu d’effet de diffusion des gains de productivité, segmentation durable du marché du travail, etc. Au final, l’espace turc reste inégalitaire, au détriment des régions d’Anatolie du Sud-Est et de l’Ouest, ainsi que de quelques régions à l’Est de la Mer Noire. La différence de PIB par habitant – si l’on prend une référence de 100 pour la moyenne turque – va de 34 dans les régions de Kars, d’Ardahan ou d’Igdir, à 191 pour Yalova, 143 pour Istanbul26. On parle depuis les années 1990 de « nouveaux pauvres », constitués de familles migrantes, issues de la campagne, incapables de se loger dans des villes où la densité a explosé, de même que le prix des terres urbaines. Par ailleurs, la crise de 2009 en Turquie a été la crise 25 “The Turkish Economy after the crisis”, Dani Rodrik, Harvard Kennedy School, November 27, 2009. World Development Report 2008. 26 n°10 – avril 2011 14 Tania SOLLOGOUB [email protected] Encadré 4 - L’empire laïc : le modèle turc ? La Turquie a été pionnière d’un certain nombre de débats dont on entend les échos, aujourd’hui, dans les pays arabes en révolution. Quels sont les éléments de son modèle institutionnel qui ont le plus impacté sa trajectoire économique ? 1 - Malgré les efforts d’homogénéisation menés depuis Ataturk, l’affirmation de l’Islam politique ne s’est pas traduite par une montée du traditionalisme mais au contraire, à mesure de l’embourgeoisement des cadres, par des sensibilités islamiques plus variées. Beaucoup de ces mouvances ont en commun une position favorable vis-à-vis de la modernité et de la technique (ce qui se traduit d’ailleurs par le développement d’une économie et d’un secteur bancaire islamique), voire même certains cultivent l’idée que l’accord entre islam et sciences peut contribuer à l’harmonie universelle (les Nurcus par exemple). Le développement de la classe moyenne d’entrepreneurs a bénéficié de cette orientation turque de l’Islam. Et « pour l’islam politique, il ne s’agit pas de remettre en cause l’ordre socio-économique ni de détruire un Etat, mais de le conquérir »27 2 - La position turque sur la laïcité permet également de mieux séparer les sphères d’actions entre religieux et économique, sans pour autant couper les liens avec l’islam. Dotée en 1928 d’un code civil inspiré du code suisse, la Turquie a posé très tôt les jalons d’un système très éloigné de la Charia dans l’organisation des rapports matrimoniaux ou sociaux, et même qui y fait rempart (c’était la volonté d’Ataturk).28 La laïcité a été inscrite dans la constitution en 1937 et fait partie des six principes (« les flèches ») définis par Mustafa Kemal comme devant être les piliers du développement turc29. Néanmoins, la définition de la laïcité turque est assez éloignée de la conception française30 car la religion n’est pas séparée de l’Etat : elle est mise sous sa tutelle. Celui-ci finance aujourd’hui 72 000 imams fonctionnaires et les prêches sont écrits par le ministère en charge de la religion. Reste que cette laïcité a été imposée à une population préalablement islamisée (migration des Juifs, fuite des Grecs, échange de population avec ces derniers et massacres des Arméniens) qui conduit Mustafa Kemal à résumer ainsi la situation : « puisque Dieu merci, nous sommes tous Turcs, donc tous musulmans, nous pourrons et devrons être tous laïques »31. Cette forme de laïcité a conduit à la généralisation de la confession sunnite haléfite32 et à la définition d’une citoyenneté ethno-confessionnelle dans les faits. 3 - Des éléments du modèle sont également à rechercher dans l’histoire constitutionnelle turque, en particulier dans l’affirmation progressive d’une indépendance du parlement face à l’armée (mais les dépenses qui lui sont consacrées représentaient encore 3% du PIB en 2008). Aujourd’hui, l’AKP n’a pas une majorité suffisamment stable pour parler de contrôle des institutions. La maturité croissante de la vie politique fait écho à une influence déclinante de l’armée (quoi que le dernier projet de coup d’État ait eu lieu en 2004). le parti militaire semble de plus en plus divisé et la visibilité internationale croissante de la Turquie est également un contrepoids important : l’armée décline à mesure que s’affirme la diplomatie. 4 – Enfin, un consensus en matière de politique extérieure a émergé dans les vingt dernières années, qui fait rupture avec l’héritage Kémaliste et qui revendique l’ouverture de la Turquie à des puissances autres qu’occidentales33. Ce consensus est très inspiré par le courant « néo-ottoman » formé autour de T. Özal, appuyé sur l’idée d’un « soft power » à la Turque (contrairement au pan-turquisme, plus autoritaire et nationaliste), développé dans un espace post-impérial. Les Turcs veulent devenir un Etat pivot, « un Etat qui développe logiquement des relations particulières avec les régions dont l’histoire rejoint la sienne »34. Cette nouvelle position internationale a participé au développement économique dans le Caucase, en Asie centrale ou en Asie mineure. 27 Elise Massicard – « l’islam en Turquie, pays musulman et laïc » dans « La Turquie aujourd’hui », Universalis, 2005. Le code criminel est inspiré du droit français, le code pénal de l’italien et le code commercial de celui de l’Allemagne. 29 Les six principes sont : Le nationalisme, la laïcité, le républicanisme, le populisme, l’Etatisme, et le révolutionarisme, conçu comme un processus d’accès à la civilisation occidentale – voir « Histoire de la Turquie contemporaine » point repère, H. Bozarslan. 30 Qui est l’une des plus rigoureuse d’Europe, fondée sur le principe de séparation de l’Eglise et d’un Etat, qui doit néanmoins être garant de la liberté de culte. Notons quelques exceptions à ce principe en Alsace Lorraine par exemple, toujours sous le principe du Concordat ou dans le territoire de Mayotte où la loi islamique (charia) s’applique selon un recueil de jurisprudence spécifique. 31 Voir « Histoire de la Turquie contemporaine », Point repère, H. Bozarslan, page 35. 32 Les Kurdes, sont sunnites chaféistes. Les Alevis se réfèrent à des traditions soufies et représenteraient 15 à 20% de la population. 33 G. Dorronsoro, « Que veut la Turquie », collection Autrement, 2009. 34 Ismaïl Cem « Turkey in the new century », journal of international affairs 54, 2000. 28 n°10 – avril 2011 15 Tania SOLLOGOUB [email protected] Tableau 2 – La Turquie en chiffres Données Macroéconomiques 1998-2002 2003-2007 2008 2009 2010p 2011p Population (millions) 65,6 69,6 71,9 72,6 73,3 74,0 PIB (USD milliards) 242,8 471,2 730,3 614,6 722,4 753,3 PIB/habitant (USD) 3 705 6 742 10 159 8 464 9 850 10 180 PIB/habitant (USD, PPA) 7 936 10 722 12 720 12 110 13 140 13 930 7,9 10,4 11,0 14,1 12,0 11,8 19,0 20,4 19,9 16,9 19,3 20,8 PIB (en volume, variation) 1,2 6,9 0,7 -4,7 8,0 5,5 Production industrielle (croissance, %) -0,7 8,8 -1,3 -8,4 8,5 5,0 Inflation (IPC, %) 60,8 12,1 10,4 6,3 6,5 5,9 Taux de chômage Taux d'investissement (% PIB) Solde budgétaire (% PIB) -8,4 -3,5 -1,8 -5,5 -3,6 -2,9 Recettes budgétaires (% PIB) 20,0 21,7 22,1 22,6 23,4 23,3 Solde courant (% PIB) -0,3 -4,5 -5,7 -2,3 -6,7 -5,5 IDE nets (% PIB) 0,4 2,2 2,2 1,1 1,0 1,4 Dette externe (% PIB) 46,9 40,3 38,0 43,6 40,5 40,2 Réserves en devises (USD milliards) 22,3 50,9 70,4 70,9 80,7 80,2 Sources : EIU, Crédit agricole S.A. Directeur de la publication : Jean-Paul Betbèze Rédaction en chef : Jean-Louis Martin Réalisation et secrétariat de rédaction : Véronique Champion-Faure Crédit Agricole S.A. – Études Économiques Groupe 75710 PARIS cedex 15 – Fax : +33 1 43 23 24 68 Copyright Crédit Agricole S.A. – ISSN 1248 - 2188 Contact : [email protected] Internet : http://www.credit-agricole.com - Etudes Economiques Abonnez-vous gratuitement à nos publications électroniques Cette publication reflète l’opinion de Crédit Agricole S.A. à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeurs extérieurs). Cette opinion est susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification. Elle est réalisée à titre purement informatif. Ni l’information contenue, ni les analyses qui y sont exprimées ne constituent en aucune façon une offre de vente ou une sollicitation commerciale et ne sauraient engager la responsabilité du Crédit Agricole S.A. ou de l’une de ses filiales ou d’une Caisse Régionale. 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