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32 // GESTION D'ACTIFS
Mardi 20 septembre 2016 Les Echos
ALLOCATION // Les gérants doivent composer avec un environnement de taux bas qui rend le portage
peu intéressant et des corrélations devenues extrêmement instables.
La gestionpatrimonialedoittrouver
denouvellessourcesde performance
es stratégies des fonds patrimoniaux sont-elles tenables ? La question se pose car,
dans un monde de taux durablement bas, la logique des premiers
fonds patrimoniaux ne tient plus.
« Auparavant, la part obligataire des
portefeuilles non seulement apportait du rendement, mais permettait
danslesphasesderalentissementéconomique de profiter de la baisse des
taux et donc d’amortir un recul du
marché actions », rappelle Cyril
Lureau, associé d’Eraam. Avec les
taux bas, le « portage » – c’est-à-dire
le rendement apporté par le coupon–desobligationsd’Etattangente
le niveau zéro. En outre, les corrélations habituelles sont devenues
extrêmement instables. « On l’a vu
en 2015 lorsque les taux allemands
sont remontés brutalement ou lors
des craintes sur la Chine, rappelle
Arnaud Puiseux, cogérant de Gefip
Patrimonial. Le dollar n’a alors pas
joué son rôle de décorrélation. »
L
Diversification maximale
Dans cet environnement de marché
de plus en plus complexe, les
gérants ont été obligés de mettre en
place plusieurs types de stratégies.
Tout d’abord, le principe de flexibilitédel’allocations’est généralisé.La
part actions du fonds La Française
Patrimoine Flexible a ainsi varié au
cours de la vie du fonds entre 20 et
65 % et pourrait être ramenée à zéro
au besoin. Ensuite, les allocations
sont sans doute travaillées plus finement qu’avant et pas seulement par
une répartition entre grandes classes d’actifs. « Nous recherchons la
diversification maximale au travers
d’investissements dans des niches de
marché : la dette subordonnée financière, les foncières résidentielles allemandes ou un peu de mines d’or »,
détaille Arnaud Puiseux. Autre
solution : prendre des paris non
directionnels, c’est-à-dire neutralisant l’effet de marché. « Les actions
américaines nous semblent chères,
mais nous aimons les valeurs bancaires, qui vont bénéficier de la future
haussedestaux,etlestechnologiques,
explique Brice Anger, le patron du
bureau de M&G en France. Nous
achetons donc deux paniers de
valeurs correspondant à ces secteurs
et vendons l’indice pour nous prémunir contre un recul du marché. »
La part actions
du fonds La Française
Patrimoine Flexible
a varié au cours
de la vie du fonds
entre 20 et 65 %.
Elle pourrait être
ramenée à zéro
au besoin.
Les grands acteurs très internationalisésdelagestiond’actifsontun
avantage : ils ont à leur disposition
une palette variée d’expertises de
gestion qu’ils peuvent mettre en
musique au sein d’une gestion à
vocation patrimoniale. D’autres
fonds patrimoniaux pratiquent
l’architecture ouverte, comme La
Française : lorsqu’une compétence
nécessaire à l’allocation qu’ils souhaitent n’est pas présente au sein du
groupe, ils vont la chercher chez un
autre gestionnaire, suivant la logique de la multigestion. Une taille un
peu plus modeste n’est pas toujours
un handicap, comme le rappelle le
responsable de Gefip Patrimonial
qui gère quelque 260 millions
d’euros. « Lorsque nous traitons des
lignes de quelques millions d’euros
sur le marché obligataire, nous
n’avons pas de souci à trouver la liquidité », signale Arnaud Puiseux.
Reste un problème : pour générer
un rendement à peu près stable, les
fonds patrimoniaux se sont largement aventurés sur les obligations
privées, voire les actions connues
pour verser des dividendes réguliers. Mais ces actifs ont un pouvoir
diversifiant bien plus limité que les
obligations d’Etat et leur sensibilité
accrue aux actifs à risque pourrait
bien finir par les fragiliser. — E. Sch.
Dans un environnement de marché de plus en plus complexe, les gérants ont été obligés de mettre en place plusieurs types de stratégies,
dont le principe de flexibilité de l’allocation qui s’est généralisé. Photo Shutterstock
Des produits nouvelle génération
promettent rendement et volatilité limitée
Des stratégies long/short
à la gestion factorielle,
les alternatives aux fonds
patrimoniaux classiques
se multiplient.
Au lieu de miser sur une diversification incertaine, certains fonds abordent la logique patrimoniale via une
classe d’actifs unique qu’ils maîtrisent parfaitement. Ainsi, EDR Bond
Allocation (Edmond de Rothschild
AM) se présente comme «un fonds
flexible qui entend participer à la
hausse du marché obligataire mais
en protégeant la performance quand
celui-ci n’est pas porteur», explique
Guillaume Rigeade, cogérant du
fonds. Grâce à l’usage de dérivés, la
sensibilité aux taux peut être positive ou négative, comme actuelle-
ment sur les Etats-Unis. Autrement
dit, compte tenu de ce positionnement, le fonds peut profiter d’une
hausse des taux, là où un fonds obligataire classique la subirait. Autres
moteurs de performance : la grande
diversité des segments obligataires
dans lesquels le fonds peut investir
et le choix des titres eux-mêmes.
Plusieurs alternatives
Exane AM a, pour sa part, une spécialité reconnue : la gestion de
fonds actions sectoriels long/short,
qui mise sur l’évolution relative de
titres d’un même secteur. Avec le
fonds Zephyr lancé fin 2015, Exane
marche clairement sur les platesbandes des fonds patrimoniaux.
« En moyenne, 70 % de l’actif est géré
de manière neutre vis-à-vis du mar-
LesFrançaissont les plusgros
consommateursde ce typede fonds
Chiffres clefs
Sophie Rolland
@Sorolland
DES ENCOURS
des portefeuilles des CGP de
type « modéré » sont constitués par des fonds flexibles
ou patrimoniaux.
Ils s’appellent Carmignac Patrimoine, Amundi Patrimoine, Keren
Patrimoine, CPR Croissance Reactive ou Défensive, DNCA Eurose ou
Fidelity Patrimoine et ils sont extrêmement prisés des conseillers en
gestion de patrimoine (CGP) français. Ce que l’on sait moins, c’est que
l’appétitpourcetypedefondsatteint
ici un niveau inégalé en Europe. Le
dernier baromètre des portefeuilles
des CGP publié par le Portfolio
Research & Consulting Group de
Natixis Global Asset Management
(NGAM) montre que les fonds patrimoniaux représentent entre 21 % et
31 % des portefeuilles des CGP selon
leur profil – les portefeuilles qui se
disent à risque « modéré » leur
réservant en moyenne près d’un
tiers de leur allocation.
« C’est considérable. Au RoyaumeUni, la proportion de fonds flexibles
dans les portefeuilles des conseillers
n’est que de 8,6 % et pour les deux plus
gros utilisateurs de ce type de fonds
après la France, à savoir l’Italie et
l’Amérique latine, cette part plafonne
à 20 % », commente Julien Dauchez,
31 %
0,9 %
DE PERFORMANCE
annualisée depuis le début de
l’année pour la médiane des
neuf fonds analysés par NGAM,
contre –2 % pour le CAC 40.
responsable de l’équipe de consultants dédiés à la recherche et l’analyse de portefeuille chez NGAM.
« Les Français sont les plus gros consommateurs, mais aussi les plus gros
producteurs de ce type de fonds »,
constate-t-il. Dans l’ensemble, les
CGP ont tendance à favoriser toujourslesmêmesfonds.« Nousn’identifions pas beaucoup de nouveaux
entrants dans les portefeuilles. »
Cetintérêts’expliqueparlaprédominance de l’assurance-vie. Les particuliers sont habitués à percevoir
des rendements réguliers via leurs
contrats en euros. Le tout, avec un
« Les fonds flexiblesprésentent
unréel intérêtpour les institutionnels »
risque extrêmement limité. Les rendements de ces contrats constituent
doncuneréférence.« Aujourd’hui,le
minimum de rendement exigé est de 2
à 2,5 % et l’objectif pour un CGP est de
sélectionnerdesfondsavecdesperformances ajustées du risque supérieures », explique Julien Dauchez.
pour capter la performance des
marchés sans subir des revers
trop importants lorsqu’ils se
retournent.
INTERVIEW
JEAN EYRAUD
président de l’Af2i
« Les fonds
patrimoniaux peuvent
apporter des solutions
pour contribuer
à l’équilibre des
comptes de résultat. »
Forte corrélation
L’analyse de neuf fonds patrimoniaux* sélectionnés par les consultants de Natixis pour « Les Echos »
montre une corrélation relativement importante de ces produits
avec les marchés actions. Quatre
d’entre eux sont en effet corrélés au
CAC 40 à plus de 80 % (deux à plus
de 90 %) et trois affichent une corrélation supérieure à 70 %. Conformémentàleurpromesse,ilsfontmieux
que les indices boursiers pendant
lesannéesdifficilesoumédiocres(le
rendement du CAC 40 a atteint
1,73 % en 2014 contre de 4,2 à 14,7 %
pour ces fonds, hormis un fonds à
1,66 %). L’année dernière, à l’inverse,
leurrendementaétébieninférieurà
celuiduCAC40(entre0et6,7 %contre10,92 %pourl’indice).Et,surtrois
ans, ils affichent des performances
annualisées de 2 % à 7 % contre
6,6 % pour le CAC 40.
* NGAM n’indique pas leur nom dans
son étude, mais signale qu’il s’agit de
fonds patrimoniaux « très populaires
auprès de la communauté des CGPI ».
Premia. Un exemple : l’anomalie de
faible volatilité. Les actions les
moins volatiles en Bourse ont de
meilleures performances sur longue période, contrairement à la
théorie financière classique. Au
total,lefondsexploite23facteursde
performance dans quatre classes
d’actifs différentes via un portefeuille de quelque 4.000 titres.
« Cette diversification extrême est
aujourd’hui permise par l’évolution
de la puissance de calcul des ordinateurs et la baisse des coûts de transaction », explique Cyril Lureau. Cette
stratégie a intéressé la Financière
de l’Echiquier, qui a pris une participation dans Eraam et s’apprête à la
proposer à une clientèle privée
Echiquier Prime, réplique de celle
d’Eraam. — E. Sch.
af2i
Dans l’ensemble,
les conseillers en gestion
de patrimoine ont tendance
à favoriser toujours
les mêmes fonds.
ché, dans une philosophie de préservation du capital », explique Eric
Lauri, gérant chez Exane AM. Cette
poche vise une performance régulière et se positionne comme une
forme d’alternative au marché obligataire. Le reste de l’encours reste
exposé au marché actions. Dans
l’absolu, la performance de 1,3 %
depuis début 2016 est modeste,
mais au moins le fonds a résisté à la
baisse des actions européennes.
Mais le vrai changement dans
l’univers des fonds patrimoniaux
viendra peut-être de la gestion dite
factorielle. « Notre stratégie est de
traquer de manière systématique
dans toutes les classes d’actifs des facteurs de performance identifiés de
longue date », explique Cyril
Lureau, cogérant du fonds Eraam
Comment expliquer que
les investisseurs institutionnels s’intéressent aux fonds
patrimoniaux, à l’origine
plutôt destinés à une clientèle
de particuliers ?
Lesfondspatrimoniaux,etpluslargement les fonds à gestion flexible
ou encore modélisée, présentent
un véritable intérêt pour les investisseurs institutionnels car ceux-ci
doiventpouvoiradapterleurportefeuille à un environnement de taux
inédit et à des cycles de hausse ou
de baisse des marchés de taux ou
d’actions plus ou moins prévisibles. Un autre objectif peut être
d’obtenir un objectif de rendement
fixe, ou encore de réduire la volatilité des actifs les plus versatiles.
Quelle part de leurs actifs
peuvent-ils y allouer ?
Bon nombre d’institutionnels
peuvent répartir leurs actifs en
trois strates : les actifs détenus à
long terme, par exemple des obligations pour leur traitement
réglementaire et comptable favorable ou des actions, qui dégagent
des revenus récurrents. Une
deuxième couche permet aux institutionnels de mettre en œuvre
leur allocation à moyen terme
(entre six et douze mois). Enfin, la
troisième strate est celle où les
investisseurs peuvent se montrer
très réactifs, par des expositions
rapides ou par des couvertures.
Les fonds patrimoniaux constituent alors une solution possible
Quels investisseurs
s’intéressent le plus aux fonds
patrimoniaux ?
Ce type de support répond notamment aux besoins des caisses de
retraite. En plus du système de
répartition géré de façon extrêmement prudente, celles-ci détiennent des réserves longues qu’elles
peuvent investir dans différentes
classes d’actifs – actions, obligations,crédit,prêtsauxentreprises,
immobilier… Les fonds patrimoniaux, qui visent un objectif de distribution stable de revenus, via les
coupons obligataires, les dividendes ou plus-values, peuvent
apporter des solutions pour contribuer à l’équilibre des comptes
de résultat.
– Propos recueillis par S. Ro.