Par Marie-Hélène Sarrasin David Le Breton, Éloge de la marche

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Par Marie-Hélène Sarrasin David Le Breton, Éloge de la marche
Par Marie-Hélène Sarrasin
David Le Breton, Éloge de la marche, Paris, Métailié, coll. « essais », 2000, 176 p.
Résumé
Pour l'écrivain en quête d'une expérience géopoétique, un principe est fondamental : la
disponibilité aux lieux. Dans Éloge de la marche, David Le Breton, sans parler à
proprement dit de géopoétique, met l'accent sur l'importance de la marche comme
manière nomade d'éprouver le monde avec son corps, de prendre conscience du corps
sensible. Cette épreuve de la consistance rapproche l'être de la connaissance des choses.
Ainsi, le marcheur prend conscience de sa présence au monde. Il n'est pas au-dessus, audelà ou à côté du monde, mais en lui, avec lui, dans la « redécouverte de l'épaisseur
sensible du monde » (p. 34). Cette rencontre propose chez l'écrivain déambulateur un
sentiment de modestie. Reprenant ici la pensée surréaliste, il avoue sa dette envers la
ville, envers le monde. Son écriture procède de l'échange et du don, davantage de la
découverte que d'une création hermétique de l'esprit. Le marcheur évolue donc dans une
dynamique de l'échange, du don.
Compris dans une optique du voyage, l'essai de Le Breton suggère comme point de
départ au voyage un point qui ne soit pas identifiable sur une carte géographique. Il n'est
pas un lieu, il n'est pas la ville de laquelle on part. Ou si peu. C'est plutôt un espace
imaginaire, une demeure à l'intérieur de laquelle entre le monde à venir à coup d'images
et de rêves. Le voyage est l'ouverture des portes et fenêtres de cette demeure à la lumière
du jour. Avec la lumière réelle entrent les espaces pratiqués, l'expérience qui vient
s'ajouter aux rêves. Par cette ouverture, le voyageur se propulse au dehors, hors de lui et
vers l'autre. Ce dessaisissement de soi se produit dans une volonté de rencontre, d'épreuve
du monde, du connu et de l'inconnu.
Une des conditions de cette rencontre, c'est l'approche du silence, ce dernier étant vu
davantage comme un état d'être et une manière d'entrer en relation avec l'autre qu'un fait
tangible et observable. Le Breton parle du silence comme d'une qualité d'écoute. En effet,
faire silence, c'est élaguer les voix qui nous animent pour être pleinement disponible aux
lieux. De cette épuration ne reste que deux voix : celle du marcheur et du lieu. Dans ce
dialogue est enfin possible un échange complice entre le monde et soi. Et le marcheur
n'en sort pas indemne ; chaque pas transforme l'être et le monde.
Citations choisies
« Le corps est un reste contre quoi se heurte la modernité. Il se fait d’autant plus pénible
à assumer que se restreint la part de ses activités propres sur l’environnement. Cet
effacement entame la vision du monde de l’homme, limite son champ d’action sur le réel,
diminue le sentiment de consistance du moi, affaiblit sa connaissance des choses. » (p.
13)
« La marche est une méthode tranquille de réenchantement de la durée et de l’espace.
Elle est un dessaisissement provisoire par l’atteinte d’un gisement intérieur qui tient
seulement dans le frisson de l’instant. Elle implique un état d’esprit, une humilité
heureuse devant le monde, une indifférence à la technique et aux moyens modernes de
déplacement ou, du moins, un sens de la relativité des choses. » (p. 19)
« Si le marcheur parcourt infiniment l’espace, il accomplit un périple égal à travers son
corps qui prend la proportion d’un continent dont la connaissance est toujours en
chantier. Il participe de toute sa chair aux pulsations du monde […] » (p. 31)
« Ce n’est pas la disparition des sons qui fait le silence, mais la qualité de l’écoute, la
pulsation légère d’existence qui anime l’espace. » (p. 52)
« La marche offre une belle image de l’existence, toujours dans l’inachevé car elle se
joue sans cesse du déséquilibre. Pour ne pas tomber le marcheur doit aussitôt renouer
avec un mouvement qui contredit le précédent dans un rythme régulier. » (p. 62)
« La marche est une ouverture au monde qui invite à l’humilité et à la saisie avide de
l’instant. » (p. 62)
« La relation au paysage est toujours une affectivité à l’œuvre avant d’être un regard.
Chaque lieu manifeste ainsi un feuilletage de sentiments différents selon les individus qui
s’en approchent et l’humeur du moment. Chaque espace contient en puissance des
révélations multiples, c’est pourquoi aucune exploration n’épuise jamais un paysage ou
une ville. » (p. 74)
« La marche est une ouverture à la jouissance du monde car elle autorise la halte,
l’apaisement intérieur, elle ne cesse d’être un corps à corps avec le milieu, et donc de se
donner sans mesure et sans obstacle à la sensorialité des lieux. » (p. 78)
« Le marcheur est un homme de l’obliquité, même s’il chemine le jour, il ressemble
symboliquement à une créature de la nuit, invisible, silencieux, en lui toute clarté
s’efface. Prendre les lieux communs en diagonale, fuir les sentiers battus pour inventer le
chemin de ses pas implique une clandestinité sociale. Le marcheur est un homme de
l’interstice, de l’entre-deux, son emprunt des chemins de traverse le situe dans
l’ambivalence d’être à la fois dehors et dedans, ici et là. » (p. 90)
« La promenade invente l’exotisme du familier, elle dépayse le regard en le rendant
sensible aux variations de détails. » (p. 94)
« Cette trame sensorielle donne au cheminement au fil des rues une tonalité plaisante ou
désagréable selon les circonstances. L’expérience de la marche urbaine sollicite le corps
en son entier, elle est une mise en jeu constante du sens et des sens. La ville n’est pas
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hors de l’homme, elle est en lui, elle imprègne son regard, son ouïe, et ses autres sens, il
se l’approprie et agit sur elle selon les significations qu’il lui confère. » (p. 121-122)
« La marche est une voie de déconditionnement du regard, elle fraie un chemin non
seulement dans l’espace, mais en soi, elle mène à parcourir les sinuosités du monde et les
siennes propres dans un état de réceptivité, d’alliance. » (p. 162)
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