Esprit olympique es-tu encore là ?
Transcription
Esprit olympique es-tu encore là ?
Débats Ripostes ● Les Jeux de Sotchi sont les Jeux d’hiver les plus chers de l’histoire : près de 37 milliards d’euros. ● La récupération politique de l’événement orchestrée par Moscou est dénoncée. Que reste-t-il de la dimension sportive de l’événement ? ● Esprit olympique es-tu encore là ? Le concours de gymnastique masculine par équipe lors des Jeux olympiques de Stockholm en 1912. Recto Depuis leur création en 1896 (1924 pour les Jeux d’hiver), les Jeux olympiques ont beaucoup évolué. Ils sont toujours plus grands et toujours plus chers. Quel regard portez-vous sur ces évolutions ? Aujourd’hui, tout est beaucoup plus professionnel qu’avant. Lors de mes premiers Jeux, en 1988, il y avait encore de nombreuses disciplines où la participation des sportifs professionnels n’était pas autorisée. Dans certaines disciplines, c’étaient les meilleurs qui s’affrontaient, dans d’autres pas. Aujourd’hui, ce sont pratiquement les meilleurs dans chaque discipline, à quelques exceptions près comme le football ou la boxe, qui s’affrontent. C’est une évolution positive. Il y a aussi une progression très marquée en termes de marketing, de droits de télévision, etc. Je peux comprendre que cette évolution-là fasse de plus en plus peur à certains. Existe-t-il un esprit particulier entre les athlètes pendant les Jeux et qui ne se retrouve pas dans les autres compétitions ? Il y a des moments et des endroits de communion. Chaque cérémonie d’ouverture et de clôture est un moment très fort. Il faut voir l’excitation dans le comportement et le regard des athlètes qui vont défiler lors de la cérémonie d’ouverture ou le soulagement une fois la cérémonie de clôture terminée. Ce sont de beaux moments parce que ce sont des centaines ou des milliers d’athlètes qui ont fait des efforts incroyables pour arriver jusqu’aux Jeux. C’est le but ultime. Il y a aussi les rencontres avec les autres athlètes de tous les pays dans les lieux d’activités récréatives et sociales des différents villages olympiques. Ces rencontres se font pendant les temps libres, mais le plus souvent après les compétitions. Avant, chacun est concentré sur son objectif. La pression est énorme pendant les Jeux. C’est l’aboutissement de quatre ans de préparation, voire de toute une vie ! Avez-vous pris en considération la situation politique ou des droits de l’homme avant de vous rendre dans un pays accueillant les Jeux ? Il faut surtout faire attention de ne pas prendre en otage les sportifs dans de telles situations. Je me souviens du buzz que ces questions ont fait lors des Jeux de Pékin voici quatre ans. Le mouvement sportif doit rester en de- 52 PHILIPPE CROCHET/PHOTONEWS ■ Tout le monde rêve des Jeux olympiques, les athlètes comme les spectateurs. Ce n’est pas aux athlètes de se préoccuper des récupérations politiques dont fait l’objet l’événement. Je crois très fort dans l’olympisme parce que les Jeux ont un rôle social qui dépasse de loin les seules prestations des sportifs. JEAN-MICHEL SAIVE Champion de Belgique de tennis de table en titre (24 titres individuels) Record belge des participations au Jeux olympiques (1988, 1992, 1996, 2000, 2004, 2008 et 2012) “Si certains pays posent des problèmes, c’est à ceux qui choisissent les pays hôtes qu’il faut renvoyer la balle.” hors de ces considérations. Les Jeux olympiques, c’est surtout une manière de mettre le sport en avant et de faire une trêve. Le mouvement olympique tente de l’instaurer dans tous les pays pour que la guerre cesse au moins pendant la durée des Jeux. C’est surtout cela qu’il faut retenir. Si certains pays posent des problèmes, c’est à ceux qui choisissent les pays hôtes qu’il faut renvoyer la balle. C’est à ce moment-là qu’il faut se poser les bonnes questions. Ceci dit, quand on voit la puissance économique que représente la Chine ou la Russie, ce serait tout de même particulier de dire qu’on n’y organisera pas les Jeux. La récupération politique constatée à l’occasion des Jeux ne vous gêne pas ? Je suis là pour faire mon sport, ma passion. Prenons l’exemple de la Chine. J’y ai été 35 ou 36 fois en dehors des Jeux sans qu’on ne me pose jamais la question des droits de l’homme, etc. Je ne vois pas pourquoi j’ai pu y aller sans que ça pose problème et, parce que ce sont les Jeux, je ne devrais pas y aller parce qu’il y aurait une récupération politique dans un sens ou dans un autre. Il ne faut cependant pas nier les problèmes existants dans certains endroits. Tant mieux si l’organisation des Jeux peut éclairer cela et éventuellement y apporter des améliorations. Faut-il mettre fin aux Jeux olympiques parce qu’ils ont perdu leurs valeurs et qu’ils sont aujourd’hui vendus au plus offrant comme on l’entend parfois ? Bien sûr que non ! C’est la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui qui veut que les choses soient ainsi. Je crois très fort dans l’olympisme. Les Jeux ont un rôle social qui dépasse de loin le simple fait d’y participer et d’obtenir des résultats. Au sommet de la pyramide, il y a bien sûr les meilleurs athlètes, mais en dessous, il y a tout le reste. C’est le rêve pour le gamin qui voit cela à la télévision, dans un endroit paumé, et qui se dit qu’il va lui aussi se dépasser pour un jour devenir quelqu’un de grand dans son sport, dans son pays, dans sa région, où que ce soit. Ça n’a pas de prix, ça ! Entretien : Charles Van Dievort La Libre Belgique - vendredi 7 février 2014 © S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit. SCANPIX/REPORTERS Verso L’esprit olympique, celui qui animait les Grecs de l’Antiquité ou le baron Pierre de Coubertin, existe-t-il toujours aujourd’hui ? Les Jeux ont une dimension politique depuis le début. Dans l’Antiquité grecque, il s’agissait déjà d’un mariage plus ou moins réussi entre le sport et la politique. Quant aux premiers Jeux de 1896, ils ont été boycottés par la Turquie. En 1900, Pierre de Coubertin y a aussi fait participer une délégation de la Bohême qui n’était à l’époque ni un Etat ni une nation. Ça a rendu fou furieux l’empire austro-hongrois. Dès le début, Pierre de Coubertin a essayé d’accueillir des pays et des territoires, il n’y avait pas que le sport. Il faisait de la géopolitique et c’est le secret de sa réussite. Les tentatives précédemment esquissées ont échoué parce qu’elles avaient toujours une dimension nationale. C’était le cas des Jeux internationaux. Si on nie la dimension politique des Jeux, ce sont des Jeux angéliques. Mais si on ne privilégie que cette dimension politique, ce sont des Jeux cyniques parce qu’on instrumentalise alors complètement l’événement. Doit-on comprendre que cette dimension politique est totalement intégrée à l’esprit olympique ? Les Jeux sont d’abord des jeux pour les athlètes. La charte olympique ne définit que le droit pour participer aux compétitions. Elle dit les droits des sportifs et uniquement cela. Elle ne dit pas un traître mot des organisateurs des Jeux, ni à l’époque de Coubertin ni aujourd’hui. Or, le droit sportif, ce n’est pas une morale universelle. Il vaut sur le terrain et dans le cadre d’une compétition. Il ne dit pas comment la société s’organise. Pierre de Coubertin et d’autres à sa suite ont tenté de faire des Jeux olympiques une sorte de contre-société où existait l’égalité, la démocratie, etc. Mais cet objectif n’est écrit nulle part. Avant de juger, il faut donc bien cerner l’objet Jeux olympiques. Incontestablement, ce sont des jeux sportifs dans lesquels il y a une dimension politique et celle-ci est à comprendre au sens large. Les Jeux de 1996 à Atlanta n’avaient pas le même sens politique que celui attribué aujourd’hui à Vladimir Poutine. C’était des jeux organisés par le privé et il n’y a pas eu de contrôles antidopage. Où était l’esprit olympique ? D.R. ■ Dès le départ, les Jeux olympiques ont eu une dimension politique et économique. Les nier, c’est tomber dans l’angélisme. L’olympisme s’adapte au fil du temps et c’est sa grande force. La professionnalisation initiée au début des années quatre-vingts a permis aux Jeux de rebondir et de retrouver une existence planétaire après la chute du Mur de Berlin. ALAIN ARVIN-BEROD Philosophe et historien de l’olympisme Administrateur du think tank européen Sport et Citoyenneté. “Coubertin faisait de la géopolitique et c’est le secret de sa réussite.” La dimension économique des Jeux n’a-t-elle pas, aujourd’hui, supplanté les dimensions sportives et politiques de l’événement ? L’enjeu économique est clairement le plus visible et le plus dominant. C’est devenu le vecteur principal du développement du sport professionnel. Le changement est intervenu en 1980 avec l’élection de Juan Antonio Samaranch à la présidence du Comité international olympique (CIO). En 1980 et en 1984, il n’y avait que deux villes candidates pour accueillir les Jeux : Moscou et Los Angeles. Seulement deux villes ! Les Jeux étaient alors interdits aux professionnels. Samaranch a eu l’intelligence de les ouvrir aux professionnels, en tout cas pour l’athlétisme, afin de conserver à l’événement son côté spectaculaire. C’est donc à partir de 1980 que les Jeux vont rebondir et ils ont retrouvé une existence sur l’ensemble de la planète après l’effondrement du bloc de l’Est. En ouvrant les Jeux aux professionnels, n’a-t-on pas perdu une partie de l’esprit olympique ? Est-ce qu’un peintre de renom international a moins de talent et de passion pour l’esthétique qu’un peintre du dimanche ? Quand vous voyez jouer une équipe de basket hyperprofessionnelle comme en NBA ou les Diables rouges, est-ce que la beauté du geste n’est pas au rendez-vous ? La professionnalisation est une évolution tout à fait normale. La force de l’olympisme, c’est qu’il parvient à s’adapter. En faisant référence au budget des Jeux de Sotchi, faut-il s’attendre à ce que les Jeux soient toujours plus grands et toujours plus chers ? C’est une impasse. Le CIO est confronté à ce défi du gigantisme et à tout ce qu’il entraîne, en ce compris la corruption. En créant les Jeux olympiques de la jeunesse, il a totalement changé ses critères : budgets minimalistes et équipements existants sont de mise. Le CIO essaye d’inverser la tendance. Il est clair qu’il faut aujourd’hui réguler ce “plus vite, plus haut, plus fort” au profit de l’empreinte durable. Entretien : Charles Van Dievort vendredi 7 février 2014 - La Libre Belgique 53 © S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.