Actualité juridique - Norton Rose Fulbright

Transcription

Actualité juridique - Norton Rose Fulbright
Actualité juridique
La Cour suprême des États-Unis se prononce sur la présomption de
fraude sur le marché
Juin 2014
Financement des sociétés et valeurs mobilières
Litiges
Recours collectifs
Dans une décision attendue depuis longtemps qui aurait pu marquer la fin des recours collectifs fondés sur la baisse
du cours de l’action en vertu de la Rule 10b-5 fédérale, la Cour suprême des États-Unis a rejeté cette semaine la
1
demande de la société Halliburton visant l’abandon de la présomption de « fraude sur le marché » . Cette présomption
permet aux demandeurs, en cas de fraude sur les valeurs mobilières, d’établir que tous les membres du groupe se
sont fiés collectivement à l’information disponible en présumant que le cours de l’action négociée sur un marché
2
efficace reflète tous les renseignements importants, y compris les déclarations fausses ou trompeuses importantes . Si
la présomption avait été invalidée, ces demandeurs auraient vraisemblablement eu l’obligation d’établir pour chacun
des membres du groupe le fait qu’il s’était fié individuellement à l’information disponible, ce qui aurait rendu
l’autorisation du recours collectif pratiquement impossible.
Néanmoins, la Cour suprême a offert aux défendeurs une échappatoire avant le procès en leur permettant de
présenter, à l’étape de l’autorisation du recours collectif, des éléments de preuve selon lesquels la déclaration fausse
3
ou trompeuse alléguée n’avait pas eu d’incidence réelle sur le cours de l’action (incidence sur le cours) . En
démontrant l’absence d’incidence sur le cours, le défendeur pourrait réfuter la présomption de fraude sur le marché et
obtenir le rejet du recours collectif. Bien que cette décision de la Cour suprême n’ait pas une portée aussi grande que
l’auraient souhaité les défendeurs dans le cadre des recours collectifs en valeurs mobilières, la possibilité de contester
l’incidence sur le cours à l’étape de l’autorisation du recours collectif est un outil important qui devrait permettre à
certains défendeurs de se soustraire à la pression en vue d’un règlement qu’exerce sur eux l’autorisation d’un recours
collectif.
La présomption établie dans la décision Basic
En 1988, la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Basic a marqué un tournant pour les
autorisations de recours collectifs en valeurs mobilières. En effet, la Cour a éliminé l’obligation pour les demandeurs de
démontrer qu’ils s’étaient fiés individuellement à des déclarations fausses ou trompeuses alléguées dans le cadre des
recours collectifs exercés en vertu du paragraphe 10(b) de la Securities Exchange Act of 1934 et de la Rule 10b-5 de
la SEC. Désormais, la confiance accordée à des déclarations fausses ou trompeuses alléguées peut être présumée.
Cette présomption se fonde sur la théorie selon laquelle, sur un marché efficace, le cours de l’action d’une société
reflète toute l’information publique disponible sur celle-ci, y compris les déclarations fausses ou trompeuses alléguées.
Par conséquent, lorsque des investisseurs achètent ou vendent des actions au cours du marché, on peut présumer
qu’ils le font en se fiant aux déclarations fausses ou trompeuses alléguées.
Pour invoquer la présomption établie dans la décision Basic, le demandeur doit démontrer : 1) que les déclarations
fausses ou trompeuses alléguées étaient connues du public, 2) que celles-ci étaient importantes, 3) que l’action était
négociée sur un marché efficace et 4) que le demandeur a négocié l’action entre le moment où les déclarations
4
fausses ou trompeuses ont été faites et celui où la vérité a été révélée .
PAGE 2
Au cours des décennies qui ont suivi la décision Basic, de nombreux économistes ont critiqué la présomption de
fraude sur le marché en soutenant qu’elle surestimait l’efficacité du marché, ne tenait pas compte de la vitesse variable
à laquelle l’information publique se répercute sur le cours de l’action et présumait à tort que les investisseurs se fiaient
à la justesse des cours des actions, alors qu’en fait, de nombreux investisseurs achètent et vendent des actions parce
qu’ils estiment que leur cours ne reflète pas fidèlement toute l’information importante, c.-à-d. que la société est sous5
évaluée ou surévaluée . Les observateurs ont également déploré la prolifération des recours collectifs « frivoles »
exercés par des demandeurs se servant de la menace de l’autorisation d’un recours collectif pour augmenter les
6
possibilités de règlement à l’égard de réclamations injustifiées .
L’affaire Halliburton (prise un)
Plus de 10 ans se sont écoulés depuis que la poursuite Halliburton a été déposée dans le district nord du Texas. Dans
le cadre de celle-ci, il était allégué que Halliburton avait communiqué aux investisseurs de l’information fausse ou
trompeuse concernant des faits importants au cours des exercices 1999 à 2001, et ce, en sous-évaluant sa
responsabilité prévue à l’égard de réclamations relatives à l’amiante, en surévaluant ses revenus faute de radier des
créances douteuses et en exagérant les économies découlant de sa fusion avec Dresser Industries. En 2010, la cour
d’appel du Fifth Circuit a confirmé le refus d’autoriser le recours collectif et soutenu que le demandeur n’avait pas
prouvé la causalité de la perte, à savoir que le cours de l’action avait chuté par suite de la correction des déclarations
7
fausses ou trompeuses alléguées, et qu’il ne pouvait donc pas établir la présomption de fraude sur le marché .
Toutefois, en 2011, la Cour suprême a infirmé la décision de la cour d’appel du Fifth Circuit et déclaré que les
demandeurs n’avaient pas l’obligation, en vertu de la Rule 10b-5, de prouver la causalité de la perte pour obtenir
8
l’autorisation d’un recours collectif . Étant donné que la causalité de la perte n’était pas nécessaire à l’établissement de
la présomption de fraude sur le marché, la question de savoir si les questions individuelles prévalaient sur les
questions communes n’était pas pertinente aux fins de l’analyse aux termes de la Rule 23.
L’affaire Halliburton (prise deux)
À la suite du renvoi, le district nord du Texas a autorisé le recours collectif et refusé de permettre à Halliburton de
démontrer l’absence d’incidence sur le cours, concluant qu’il s’agissait essentiellement d’une question de causalité de
9
10
la perte désignée différemment , conclusion confirmée par la cour d’appel du Fifth Circuit . Bien que cette dernière ait
convenu que l’incidence sur le cours pouvait être contestée au procès, elle a conclu qu’il serait inapproprié d’examiner
cette question à l’étape de l’autorisation du recours collectif, étant donné qu’elle ne concernait pas la prédominance
des questions individuelles ou des questions communes, puisque l’absence d’incidence sur le cours entraînerait le
11
rejet des réclamations de tous les membres du groupe . La Cour suprême a accordé le « certiorari » pour déterminer
à la fois si l’incidence sur le cours pouvait être débattue à l’étape de l’autorisation du recours collectif et si la décision
Basic elle-même devait être annulée ou modifiée.
L’opinion publiée cette semaine
Dans une opinion majoritaire de six juges rédigée par le juge en chef John Roberts, la Cour suprême a adopté une
position intermédiaire. Elle a refusé d’annuler la décision Basic, jugeant que la décision faisait jurisprudence et que
Halliburton n’avait pas réussi à démontrer la « justification spéciale »* requise pour « annuler un précédent établi de
12
longue date » . La majorité a indiqué que la décision Basic reposait sur « le principe assez modéré selon lequel “les
professionnels du marché [tenaient] généralement compte de la plupart des déclarations publiques importantes au
sujet des sociétés, ayant ainsi une incidence sur le cours des valeurs” », et que « [m]ême les critiques les plus
éminents de l’hypothèse des marchés financiers efficaces reconnaiss[ai]ent que l’information publique a[vait]
13
généralement une incidence sur le cours des actions » . Bien qu’un investisseur axé sur la valeur puisse juger que le
cours d’une action est sous-évalué par rapport à la valeur actuelle d’une société, la majorité a conclu qu’un
investisseur axé sur la valeur accordait quand même une certaine confiance à l’intégrité du cours de l’action, ce qui lui
14
permettait de déterminer dans quelle mesure celui-ci était alors sous-évalué .
Cette opinion a également rejeté l’argument de Halliburton selon lequel la décision Basic élargissait illégitimement ce
qui aurait dû être un droit d’action implicite « restreint » aux termes de la Rule 10b-5 et allait à l’encontre de la récente
décision de la Cour suprême en matière d’autorisation de recours collectifs dans les affaires Wal-Mart Stores, Inc. v
15
Dukes et Comcast Corp. v Behrend . Bien que la Cour ait fait mention des préoccupations de Halliburton concernant
la prolifération des recours collectifs en valeurs mobilières, elle a conclu que celles-ci « s’adress[ai]ent plus
16
pertinemment au Congrès […] » .
La Cour suprême a aussi rejeté l’argument de Halliburton selon lequel les demandeurs devraient avoir le fardeau de
17
prouver l’incidence sur le cours directement à l’étape de l’autorisation du recours collectif . La Cour a relevé que la
décision Basic comportait dans les faits deux présomptions : i) la première voulant que la déclaration fausse ou
PAGE 3
trompeuse ait une incidence sur le cours de l’action lorsqu’elle était publique et importante et que le marché était
efficace et ii) la deuxième voulant qu’un demandeur qui a acheté l’action au cours du marché pendant la période visée
18
par le recours collectif se soit fié à la déclaration fausse ou trompeuse du défendeur . De l’avis des juges majoritaires,
l’obligation de démontrer directement l’incidence sur le cours aurait signifié l’abandon de la première présomption
établie dans la décision Basic, ce que la Cour n’était pas prête à imposer pour les raisons mêmes qui justifiaient son
19
refus d’annuler la décision Basic dans son ensemble .
Toutefois, les juges majoritaires ont convenu que les défendeurs devraient « avoir la possibilité de réfuter la
présomption [de fraude sur le marché] à l’étape de l’autorisation du recours collectif en démontrant que la déclaration
20
fausse ou trompeuse n’avait pas, dans les faits, eu d’incidence sur le cours » . Dans la décision Basic, il est
effectivement soutenu que « [t]oute démonstration qui rompt le lien entre la déclaration fausse ou trompeuse alléguée
et […] le prix reçu (ou payé) par le demandeur […] suffira pour réfuter la présomption de confiance », étant donné que
21
« le fondement permettant de conclure que la fraude a été reflétée dans le cours du marché disparaîtrait » . La
majorité n’a pas indiqué le type ou la quantité d’éléments de preuve qui seraient nécessaires pour que le défendeur
puisse réfuter la présomption, laissant le soin aux tribunaux de district et d’appel de préciser ces questions au cours
des prochaines années.
La Cour suprême a également fait une distinction par rapport à sa décision dans l’affaire Amgen l’an dernier, selon
laquelle l’importance d’une déclaration fausse ou trompeuse alléguée ne pouvait être débattue à l’étape de
l’autorisation du recours collectif, même si la question de l’importance, comme l’incidence sur le cours, est aussi une
22
exigence pour faire valoir à bon droit la présomption établie dans la décision Basic . Les juges majoritaires ont
également établi une distinction entre l’importance et l’incidence sur le cours en soutenant que l’enquête relative à
l’autorisation du recours collectif exigeait déjà la démonstration de l’efficacité du marché et de la publicité, que la Cour
23
décrivait comme une « preuve indirecte » de l’incidence sur le cours . La Cour a estimé qu’il n’y avait « aucune raison
24
de limiter artificiellement l’enquête à l’étape de l’autorisation à la preuve indirecte d’incidence sur le cours » . Par
conséquent, les défendeurs « peuvent tenter de réfuter la présomption établie dans la décision Basic à l’étape [de
25
l’autorisation] au moyen d’une preuve directe, autant qu’indirecte, d’incidence sur le cours » .
Dans une opinion concordante à laquelle ont souscrit trois des six juges de la majorité, la juge Ruth Bader Ginsburg a
26
souligné « qu’il incomb[ait] au défendeur de démontrer l’absence d’incidence sur le cours » . Selon l’opinion
concordante de ces juges, « le jugement de la Cour devrait, par conséquent, ne pas imposer de lourd fardeau aux
27
demandeurs ayant des réclamations défendables en matière de fraude touchant les valeurs mobilières » .
Dans une opinion concordante distincte à laquelle se sont ralliés les juges Antonin Scalia et Samuel Alito, le juge
28
Clarence Thomas a soutenu que la décision Basic devrait être annulée . Le juge Thomas a déclaré que la
décision Basic s’appuyait sur « des intuitions erronées sur le comportement de l’investisseur » et s’opposait aux
décisions Comcast et Dukes, qui exigent que les demandeurs « démontrent positivement » le respect des exigences
29
de la Rule 23 . À son avis, la Cour suprême devrait exiger une preuve de confiance réelle, « plutôt que la présomption
30
fictive de fraude sur le marché » .
Incidence
Même si la décision rendue cette semaine ne porte pas le coup fatal aux recours collectifs en valeurs mobilières que
de nombreux défendeurs espéraient, elle leur fournit un moyen important de faire échouer de tels recours à l’étape de
l’autorisation lorsqu’il peut être démontré que la déclaration fausse ou trompeuse alléguée n’a pas eu d’incidence sur
le cours de l’action. La décision devrait faciliter l’obtention, par Halliburton, du rejet de l’autorisation du recours collectif
lorsque les tribunaux inférieurs réexamineront la question au cours de la prochaine année. Les décisions dans le cadre
de ces procédures et d’autres opinions formulées par les tribunaux de district et d’appel au cours de la prochaine
année clarifieront le degré de preuve que les défendeurs doivent présenter pour réussir à réfuter la présomption établie
dans la décision Basic.
Gerard G. Pecht
Peter A. Stokes
* Toutes les citations sont traduites par nous.
Notes
1.
Halliburton Co. v Erica P. John Fund, Inc., _ S. Ct. _, 2014 WL 2807181 (23 juin 2014).
2.
Id. à *1, 4 (citant Basic, Inc. v Levinson, 485 U.S. 224 (1988)).
PAGE 4
3.
Id. à *1.
4.
Halliburton, 2014 WL 2807181, à *13.
5.
Id. à *9-10.
6.
Id. à *12.
7.
Voir Archdiocese of Milwaukee Supporting Fund, Inc. v Halliburton Co., 597 F.3d 330, 344 (5th Cir. 2010).
8.
Voir Erica P. John Fund, Inc. v Halliburton Co., 131 S. Ct. 2179, 2184 (2011).
9.
Halliburton, 2014 WL 2807181, à *5.
10. Erica P. John Fund, Inc. v Halliburton Co., 718 F.3d 423 (5th Cir. 2013).
11. Id. à 435.
12. Halliburton, 2014 WL 2807181, à *6.
13. Id. à *9 (citant Basic, 485 U.S. à 247 n.24).
14. Id. à *10.
15. Id. *12.
16. Id. *12-13.
17. Id. à *14.
18. Id.
19. Id.
20. Id.
21. Basic, 485 U.S. à 248.
22. Amgen Inc. v Connecticut Retirement Plans and Trust Funds, 133 S. Ct. 1184 (2013).
23. Halliburton, 2014 WL 2807181, à *16-17 (« La décision Basic permet aux demandeurs d’établir l’incidence sur le cours indirectement,
en montrant qu’une action a été négociée sur un marché efficace et que les déclarations fausses ou trompeuses d’un défendeur
étaient publiques et importantes »).
24. Id. à *17.
25. Id.
26. Id. à *18 (juge Ginsburg, en accord).
27. Id.
28. Id. à *18 (juge Thomas, en accord).
29. Id. à *20-21.
30. Id. à *26.
Pour plus de renseignements sur le sujet abordé dans ce bulletin, veuillez communiquer avec l’un des avocats mentionnés ci-dessous :
> Gerard G. Pecht
Houston
+1 713.651.5243
[email protected]
> Peter A. Stokes
Austin
+1 512.536.5287
[email protected]
Norton Rose Fulbright LLP, Norton Rose Fulbright Australia, Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l., Norton Rose Fulbright South Africa (constituée sous le nom de Deneys Reitz Inc.) et
Fulbright & Jaworski LLP, chacune étant une entité juridique distincte, sont membres du Verein Norton Rose Fulbright, un Verein suisse (« membres de Norton Rose Fulbright »). Le Verein Norton
Rose Fulbright aide à coordonner les activités des membres de Norton Rose Fulbright, mais il ne fournit aucun service juridique aux clients.
Les mentions de « Norton Rose Fulbright », du « cabinet », du « cabinet d’avocats » et de la « pratique juridique » renvoient à un ou à plusieurs membres de Norton Rose Fulbright ou à une de leurs
sociétés affiliées respectives (collectivement, « entité/entités Norton Rose Fulbright »). Aucune personne qui est un membre, un associé, un actionnaire, un administrateur, un employé ou un
consultant d’une entité Norton Rose Fulbright (que cette personne soit décrite ou non comme un « associé ») n’accepte ni n’assume de responsabilité ni n’a d’obligation envers qui que ce soit
relativement à cette communication. Toute mention d’un associé ou d’un administrateur comprend un membre, un employé ou un consultant ayant un statut et des qualifications équivalents de
l’entité Norton Rose Fulbright pertinente.
Cette communication est un instrument d’information et de vulgarisation juridiques. Son contenu ne saurait en aucune façon être interprété comme un exposé complet du droit ni comme un avis
juridique de toute entité Norton Rose Fulbright sur les points de droit qui y sont discutés. Vous devez obtenir des conseils juridiques particuliers sur tout point précis vous concernant. Pour tout
conseil ou pour de plus amples renseignements, veuillez vous adresser à votre responsable habituel au sein de Norton Rose Fulbright.
© Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2014