illustration pour enfants et arts visuels

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illustration pour enfants et arts visuels
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L’ÉCOLE ET LES LIVRES
ILLUSTRATION POUR
ENFANTS ET ARTS VISUELS
En tant qu’enseignante d’arts visuels auprès de jeunes de 10 à 16 ans, je me réfère souvent, à diverses fins, au
monde de l’illustration pour enfants et m’y ressource avec plaisir. Dans un métier où beaucoup se joue sur l’intuition du moment, dans l’improvisation indispensable face aux situations imprévisibles des relations humaines, je
ressens la nécessité d’asseoir ma pratique professionnelle autant sur un savoir-faire appris que sur les mouvances
de ma subjectivité. PAR GABRIELA ZÉREGA
Souvenirs personnels
Le souvenir de mes premières fascinations enfantines face à
l’image me sert également d’ancrage et de guide subjectif à
mes choix pédagogiques. Certaines illustrations ou œuvres
I L LU S T R AT I O N D E M A R I O N B ATA I L L E , L I V R E D E L ET T R E S, T H I E R R Y M AG N I E R
avec un récit, elles devenaient l’icône de certaines de mes émotions, le support à mes interrogations et à mes découvertes, le
paysage psychique dans lequel je me déplaçais. Plaisirs et
déplaisirs se côtoyaient dans cette éducation sentimentale
visuelle solitaire. La saveur d’une couleur, la beauté ou la laideur d’un visage, les relations supposées entre les êtres représentés, leur histoire recréée par le truchement de la projection
de mes propres émotions et sensations sur elles, l’agressivité
ou l’étrangeté d’une représentation ou, au contraire, sa douceur
et sa grâce, le foisonnement des détails et l’attrait des miniatures, l’espace fictif d’un paysage restent, par exemple, des souvenirs
vivaces.
Toutes
les
images
me
semblaient-elles
captivantes ? Non. Celles du Larousse illustré me paraissaient
fades, et je ne prêtais aucune attention à la photographie,
Par cette mise en page, les résonances et les associations sonores, chromatiques
qu’elle soit artistique ou documentaire. Je n’éprouvais pas d’at-
et formelles poussent le regard au mouvement et l’imaginaire au récit.
trait pour la confirmation du réel, du visible, même esthétisé et
fortement mis en scène. Mon répertoire iconographique devait
Bien plus que des ouvrages théoriques de pédagogie, la fré-
soit rassembler des éléments épars d’un récit, lu ou imaginé,
quentation d’auteurs pour la jeunesse renouvelle mon regard
soit proposer un voyage.
sur l’enfant, l’enrichit et le développe en le confrontant avec
celui d’autres adultes qui côtoient des jeunes et s’adressent à
Stratégie pédagogique
eux. La recherche de solutions face aux problèmes et de nou-
Face à mes élèves, même grands, je remarque à chaque fois
veaux biais de communication me fait régulièrement découvrir
combien un support narratif les aide à créer une image. Un
d’autres idées. Elle me permet de contourner la lassitude due à
sujet proposé doit être explicité par son thème, ses contraintes
la répétition des contenus d’enseignement, de réveiller ce qui
techniques, ses critères d’évaluation. Mais une induction à
s’endort et s’ankylose dans des habitudes professionnelles. De
l’imaginaire est encore nécessaire pour partir d’un bon pied :
surcroît, comme la création d’autrui, aboutie, stimule la créati-
une formule lapidaire ou paradoxale, une longue description de
vité et l’imaginaire du spectateur ou du lecteur, je trouve sou-
mondes possibles, une remarque humoristique, un récit ou une
vent dans le travail des illustrateurs, si variés dans leurs styles,
anecdote feront l’affaire. La façon de le dire, la tonalité, le jeu
leurs techniques, leurs contenus et leurs intentions, une source
corporel jouent également un rôle. Il y a une sorte de mini-
d’inspiration où puiser de nouvelles approches pédagogiques et
théâtralisation du sujet. Dans cette présence des mots avant
des références diversifiées pour les élèves.
l’image, je n’incite pas les élèves à illustrer un texte (à moins
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d’art me troublaient profondément. Seules ou en résonance
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L’ÉCOLE ET LES LIVRES
POUSSINBALE, ILLUSTRATION DE PHILIPPE POIRIER, Z I N Z ’ I M AG I E R , NATHAN
Un exemple de mot-valise peint par un illustrateur.
Le coconote, peinture d’un élève de 11 ans.
que la visée de l’exercice soit telle), mais plutôt à mettre en
blèmes d’image personnelle. L’éléphant Elmer, par exemple, vient
branle leur propre récit interne, lequel leur servira de moteur
souvent à mon secours lorsque je contre les représentations
secret et de fil rouge à leur travail. Il est très rare que je
réalistes stéréotypées d’un enfant qui s’entête à vouloir que le
connaisse ce récit personnel. J’en entends parfois des bribes
ciel soit uniformément bleu, les troncs d’arbre brun chocolat et
lorsque les élèves communiquent entre eux au sujet de leurs
les feuillages vert épinard.
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dessins. À ce moment, un imaginaire de groupe se met en place
Les albums composés quasi exclusivement d’images sont les
et dynamise le cours. Les élèves créent une complicité à
plus faciles à utiliser. Zoom (d’Istvan Banyai, Circonflexe, 1995)
niveaux multiples, semi-consciente. Ils se passent des trucs, des
qui propose, par un effet cinématographique, le parcours visuel
idées, et poursuivent bien souvent, pour leur compte, le récit
de différents mondes emboîtés comme des poupées russes,
d’un camarade.
fascine à chaque fois les élèves et permet d’amorcer un travail
Dans la présentation d’un thème, un certain nombre d’images
personnel similaire. De même, parmi les approches théma-
entrent également en jeu : les travaux exemplaires de camarades
tiques, les vingt-six Labyrinthes (de Philippe Mignon, Nathan,
de leur âge, les illustrations d’adultes pour jeunes, la bande des-
2000) apportent de multiples idées et références à des jeunes qui
sinée, parfois, et les reproductions d’œuvres d’art. La diversifi-
aiment soigner les détails et inventer des jeux visuels avec des
cation des sources me semble importante. Ne rien forcer en
formes géométriques, des règles de perspective. Ou Mon imagier
matière de goût ou de normes esthétiques l’est également. Je
chinois (de Catherine Louis, Picquier Jeunesse, 2004), par la qualité
cite l’origine des documents, signale ce qui appartient à l’histoire
et la richesse des cent linogravures sur papier Japon marouflé,
de l’art, évoque la hiérarchisation culturelle de ces images, mais
est une référence précieuse lors d’une initiation à la gravure.
laisse à l’élève la liberté de faire ses choix esthétiques du
Dans le domaine animalier, auquel les enfants de dix, douze
moment. Mon rôle consiste, à cette étape du processus, à sug-
ans sont sensibles, il y a les incontournables cadavres exquis et
gérer de nouvelles pistes, à le rassurer dans sa démarche, bien
les mots-valises. Le Zinz’imagier (Nathan, 1999) rassemble des
plus qu’à imposer un point de vue. Cette stratégie pédagogique
illustrations d’un très grand nombre de dessinateurs sur ce
doit cependant être revue pour chaque élève, pour chaque
thème et offre à l’élève récalcitrant quelques idées. Pour initier
classe. Certains enfants, mal structurés et très peu autonomes,
les enfants à l’invention d’un bestiaire pseudo-scientifique,
craignent la nouveauté et l’exploration de leur imaginaire.
éventuellement accompagné de fiches signalétiques, poétiques
Ils rejetteront les images qui ne peuvent être directement imi-
ou descriptives, le Carnet naturaliste imaginaire (de Frédéric
tées, s’affoleront si on ne limite pas leurs explorations à des
Jacquet, Album Nathan, 1998), plus naïf dans ses représen-
territoires prédéfinis. D’autres, au contraire, se réjouissent des
tations, et les Petites chimères et monstres biscornus (de Thierry
découvertes et recherchent la diversité.
Lefèvre, illustré par Dominique Thibault et Philippe Mignon,
Actes Sud Junior, 2001), comprenant des dessins minutieux aux
Quelques exemples
crayons de couleur, enrichiront leurs visions. Quand les person-
Parmi la multiplicité des illustrations détournées à cet usage
nifications anthropomorphiques les captent, je me réfère
scolaire, il m’importe de trouver celles qui capteront l’enfant au
volontiers à Zoozoo (de Philippe Bertrand, Seuil, 2002) qui ras-
moment où il en a besoin, et de choisir des ouvrages dont la
semble soixante portraits humoristiques parus dans le journal
virtuosité du dessinateur ne puisse le décourager. Je ne crains
Le Monde : professions et caractères sont brocardés au travers de
cependant pas d’utiliser des livres destinés aux petits avec des
peintures animalières cocasses, grotesques ou absurdes. En
plus grands, pour autant que ces derniers n’aient pas de pro-
revanche, on trouvera un regard sobre et réaliste dans le livre
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L’ E X E C U T I V E WO M A N , I L LU S T R AT I O N D E P H I L I P P E B E R T R A N D , Z O O Z O O , S E U I L
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Le dessin simplifié, la facture et l’harmonie des couleurs sans sophistication
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permettent aux élèves de s’inspirer sans crainte de ces caricatures.
Peintures de collégiens de 10 ans inspirées de l’ouvrage de Balthasar Burkhard « Clic ! », dit l’appareil de photos, éditions Lars Müller.
d’artiste pour enfants « Clic ! », dit l’appareil de photos de Balthasar
(de Delphine Durand, éditions du Rouergue, 2000), par exemple,
Burkhard, éditions Lars Müller, 1997 : ce photographe de renom-
la multiplicité des détails et l’humour délirant de sa narration
mée internationale reprend un travail personnel de très grand
fragmentée, entrelacée aux images, inspirent souvent les jeunes
format sur les animaux : chaque bête pose, sagement, de profil,
adolescents. Un imagier récent, L’Explorateur (de Gianpaolo Pagni,
devant une bâche. Le parti esthétique clair de ces splendides
Seuil Jeunesse, 2005), épatera par la force de ses peintures
images noir blanc, leur mise en page rigoureuse, offrent des
animalières bichromes simplifiées à l’extrême. Jouant sur le
documents de choix pour observer et inventer d’autres images.
cadrage, l’auteur glisse, habilement, de la figuration à l’abstrac-
Lorsqu’il s’agit d’expliquer la problématique d’une mise en
tion. De même, dans un style d’imageries un peu rétro aux cou-
page graphique, ainsi que l’usage des couleurs complémentaires,
leurs sourdes et mates, on consultera avec plaisir la très belle
le petit Livre de lettres (de Marion Bataille, éditions Thierry
nouvelle anthologie de Poèmes de Maurice Carême (proposée par
Magnier, 1999) fait mes délices. Ce répertoire d’images accroche
Benoit Marchon, illustrée par Jean-François Martin, Bayard
l’œil par la violence audacieuse et crue des contrastes, modifie
Jeunesse, 2005) où l’inventivité surréaliste et polysémique du
la représentation réaliste des objets photographiés ou dessinés
graphisme prolonge à merveille les métaphores textuelles.
par leur remaniement chromatique informatisé. De même, les
Mais quels ouvrages ne pourraient être cités ? Il appartient au
recherches graphiques et les diverses techniques abordées dans
plaisir de chacun, enfant comme adulte, élève ou maître, de se
la plupart des albums du Rouergue font d’eux des ouvrages à
nourrir de leur richesse et de leur originalité. Je laisse donc au
consulter avec profit. Les mises en page originales de Ma Maison
lecteur le plaisir de compléter, à sa guise, cette liste subjective !