Les servitudes de passage le long ou vers le littoral doivent
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Les servitudes de passage le long ou vers le littoral doivent
CONTENTIEUX DE L’URBANISME Les servitudes de passage le long ou vers le littoral doivent-elles être notifiées au propriétaire ? Règles de procédure contentieuse spéciales n Introduction de l’instance n Point de départ du délai de recours n Arrêté instituant ou modifiant une servitude transversale de passage sur le littoral (art. L. 160-6 et L. 160-6-1 du code de l’urbanisme) n Défaut de notification au propriétaire concerné n Obstacle au déclenchement du délai de recours n Existence : oui n Obstacle à l’opposabilité n Existence n Non. Résumé ➥➥Dès lors que l’article R. 160-22 du code de l’urbanisme, qui régit les diverses modalités de publicité de l’arrêté par lequel est instituée ou modifiée la servitude de passage des piétons sur le littoral ne le prévoit pas, il n’y a pas lieu de notifier l’arrêté au propriétaire concerné. Si le défaut de notification fait obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux, il est sans effet sur l’opposabilité de la servitude. CE (10/9 SSR) 4 février 2015, Commune de Sarzeau, req. n° 366861 – M. Paris, Rapp. – Mme Bretonneau, Rapp. public – SCP Lévis et SCP de Chaisemartin, Courjon, Av. Décision qui sera mentionnée aux tables du Recueil Lebon. Conclusions Aurélie Bretonneau, rapporteur public La commune de Sarzeau, située sur la presqu’île de Rhuys dans le Morbihan, est de celles qui arborent, avec 65 km de côtes, l’un des plus longs littoraux de France. Or, qui dit littoral dit, notamment, servitudes de passage des piétons. C’est l’une de ces nombreuses servitudes dont la commune est grevée qui la conduit devant vous aujourd’hui. Le tribunal administratif de Rennes a en effet annulé l’opposition du maire à une déclaration de travaux en vue de l’édification d’une clôture sur le terrain d’une propriété situé à moins de trois mètres du littoral. Le tribunal a estimé que la servitude de passage des piétons dont est grevé ce terrain n’est pas opposable aux propriétaires, faute de leur avoir été notifiée. Vous devrez donc, pour résoudre ce litige qui relève de la cassation directe, décider si l’opposabilité aux propriétaires d’un terrain de la servitude qui le grève est subordonnée à sa notification à ces derniers. La réponse affirmative qu’a apportée le tribunal administratif à cette question est le décalque d’une solution adoptée par la cour administrative de Nantes dans une 128 décision Époux Reinton 1, qui juge que : « L’arrêté [préfectoral modifiant une servitude de passage des piétons] n’est opposable aux propriétaires des terrains concernés par le tracé modifié de la servitude et n’a, ainsi, pour effet de faire courir le délai du recours contentieux à l’encontre de ceux-ci, qu’à compter de la date à laquelle il leur est notifié. » Cette solution a fait des émules dans le présent litige puisque le tribunal de grande instance de Rennes l’a reprise mots pour mots pour relaxer le propriétaire du terrain en cause du chef de poursuite de modification de l’état des lieux d’un terrain affecté par une servitude de nature à faire obstacle au passage des piétons. Publicité de la servitude C’est fâcheux, car nous estimons pour notre part que cette solution est entachée d’erreur de droit. 1 CAA Nantes 30 décembre 1996 : aux Tables. bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 2/2015 CONTENTIEUX DE L’URBANISME Les servitudes de passage des piétons sur la bande des trois mètres visent à garantir le principe de l’usage libre et gratuit du littoral par le public, consacré par la jurisprudence dès le xixe siècle 2 et codifié, dans sa formulation issue de la loi Littoral, à l’article L. 321-9 du code de l’environnement 3,4. Ces servitudes sont aujourd’hui régies par les articles L. 160-6 et suivants du code de l’urbanisme 5. Le code distingue les servitudes longitudinales, qui sont des servitudes légales instaurées de plein droit, mais dont le tracé peut être modifié pour contourner des obstacles, et les servitudes transversales, qui peuvent être instaurées au cas par cas dans le but de permettre aux piétons de rejoindre les servitudes longitudinales, et suivent pour l’essentiel le même régime que ces dernières. L’article R. 16022 du même code prévoit que la décision approuvant les servitudes ou la modification de leur tracé fait l’objet d’une publication, lorsqu’il s’agit d’un décret, au Journal officiel de la République française, et lorsqu’il s’agit comme en l’espèce d’un arrêté préfectoral, au Recueil des actes administratifs. Une copie de l’acte est également déposée à la mairie des communes concernées, et avis de ce dépôt est donné par affichage en mairie pendant un mois. Une mention de l’acte est insérée dans deux journaux régionaux ou locaux. Enfin, l’acte fait l’objet de la publication prévue au 2° de l’article 36 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, c’est-àdire au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles. Et comme si toutes ces mesures de publicité ponctuelles ne suffisaient pas, l’article R. 126-1 du code de l’urbanisme fait figurer les servitudes de passage sur le littoral au nombre des servitudes d’utilité publique qui doivent, en vertu de l’article L. 126-1, être annexées au plan local d’urbanisme (PLU) ou, depuis 2014, à la carte communale. compter, soit de l’approbation du plan […] soit, s’il s’agit d’une servitude nouvelle, de son institution, seules les servitudes annexées au plan […] peuvent être opposées aux demandes d’autorisation d’occupation du sol. » Il s’agit donc bien d’une condition d’opposabilité 6. Pour ce qui est de la publication au service chargé de la publicité foncière, vous avez jugé, par une décision Ministre de l’Équipement c/ Mlle de Taisne 7, qu’elle avait pour seul objet l’information des usagers et n’était pas une condition d’opposabilité de la servitude. Vous en avez déduit, par ce qui nous semble être un raccourci logique, qu’elle était sans incidence sur le déclenchement du délai de recours contentieux à l’encontre des propriétaires. Pour ce qui est des autres mesures de publicité, il se déduit de la logique et des motifs de votre décision Ministre de l’Équipement c/ Mlle de Taisne qu’elles conditionnent bien, pour leur part, l’opposabilité de la servitude à l’égard des tiers – cette opposabilité devenant en quelque sorte caduque pour ce qui est des demandes d’occupation du sol en l’absence, par ailleurs, de mention annexée au PLU dans un délai d’un an 8. C’est d’ailleurs logique, dès lors que vous avez jugé, par une décision Époux Burguin 9, inédite et curieusement introuvable sur Ariane, que les arrêtés définissant le tracé des servitudes légales de passage des piétons étaient des décisions d’espèce 10,11. Or les décisions d’espèce suivent, s’agissant de leur opposabilité, le même régime que les décisions réglementaires, c’est-à-dire qu’elle est effective dès lors que sont satisfaites les formalités de publication. Ces mesures de publicité sont également, en l’état de votre jurisprudence, de nature à déclencher le délai de recours contentieux à l’encontre des servitudes de passage des piétons, y compris à l’égard des propriétaires 12. Opposabilité des servitudes Encore faut-il préciser l’objet de ces nombreuses mesures de publicité et les effets qui s’attachent à leur non-réalisation. Pour ce qui est de la mise en annexe du PLU, la loi ellemême prévoit qu’« après l’expiration d’un délai d’un an à CE 19 mai 1858, Vernes : Rec., p. 399. « L’accès des piétons aux plages est libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité, de défense nationale ou de protection de l’environnement nécessitent des dispositions particulières. / L’usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages au même titre que leur affectation aux activités de pêche et de cultures marines. […]. » 4 Voir l’article du président Genevois, « La servitude de passage des piétons sur le littoral », AJDA 1978, p. 628. 5 Elles ont été initialement instaurées par la loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 portant réforme de l’urbanisme. 2 3 bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 2/2015 6 Voir aussi CE 3 novembre 1982, Syndicat des propriétaires de PortDun : Rec., T., p. 776 sur un autre point ; CE 9 mars 1990, Stockhausen et Trudelle : Rec., T., p. 1034. 7 CE 29 janvier 1988, req. n° 65688 : aux Tables. 8 En ce sens : CE 19 novembre 2010, Ministre d’État, ministre de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat c/ M. et Mme Herpe, req. n° 331640, inédite et rendue au surplus en cassation de référé ainsi que les conclusions du président Massot sur CE 14 janvier 1987, Syndicat intercommunal de Honfleur et de sa région, req. n° 45214 : aux Tables. 9 CE 30 octobre 1992, req. n° 95979. 10 La décision affirme, d’une part, qu’il ne s’agit pas de décisions réglementaires, et d’autre part, que la publication suffit à déclencher le délai de recours contentieux, ce qui implique nécessairement qu’il ne s’agisse pas d’une décision individuelle. 11 Voir également, pour le même caractère reconnu à un arrêté ministériel modifiant un POS en ce qui concerne l’emprise d’une servitude non aedificandi, CE 22 juillet 1977, Ligen, req. n° 97341 : aux Tables. 12 Ministre de l’Équipement c/ Mlle de Taisne, préc., qui juge que l’absence d’affichage en mairie a empêché le délai de courir à l’égard des propriétaires. 129 CONTENTIEUX DE L’URBANISME Situation du propriétaire Reste à savoir s’il faut aller plus loin, s’agissant des seuls propriétaires du terrain grevé de la servitude et inventer, pour eux, une exigence de notification qui ne figure pas dans les textes, pourtant déjà bien fournis. Plaide en ce sens le caractère assez lourdement asservissant, comme son nom l’indique, de la servitude de passage des piétons. Cette dernière, qu’on range généralement dans la catégorie des servitudes dites in patiendo ou passives, impose au propriétaire, en vertu de l’article R. 160-25 du code de l’urbanisme, trois obligations : obligation de laisser aux piétons le droit de passage (a), obligation de n’apporter à l’état des lieux aucune modification de nature à faire, même provisoirement, obstacle à ce libre passage, sauf autorisation préalable accordée par le préfet, pour une durée de six mois au maximum (b) et obligation de laisser l’administration établir la signalisation et effectuer les travaux nécessaires (c). En l’espèce, c’est la deuxième obligation qu’a enfreinte le propriétaire en prenant l’initiative, alors que l’achat de nouvelles parcelles faisait que la servitude tombait désormais au milieu de sa propriété, d’édifier une clôture autour de cette dernière pour faire obstacle au passage des piétons. La violation des obligations mises à la charge du propriétaire est constitutive, en vertu de l’article R. 160-33 du même code, d’une contravention de 5e classe, ce qui explique l’instance ouverte contre notre propriétaire devant le tribunal de grande instance. La servitude emporte donc, pour le propriétaire, un double inconvénient : d’une part, elle limite la jouissance qu’il a de son bien et, de ce fait, porte atteinte à son droit de propriété ; d’autre part, elle l’expose, en cas de méconnaissance, à des sanctions pénales. Dans ces conditions, nous admettons qu’il puisse y avoir quelque chose de choquant à admettre que la servitude emporte tous ses effets à l’encontre du propriétaire alors même qu’il n’est pas personnellement informé soit de sa modification, soit même de son institution, dans le cas d’une servitude transversale. La solution de la cour administrative de Nantes, reprise par le tribunal administratif en l’espèce, procède vraisemblablement de telles considérations. Absence de notification Toutefois, de nombreuses considérations nous semblent plaider pour ne pas soumettre l’opposabilité aux propriétaires à une formalité de notification non prévue par les textes. D’une part, une telle façon de faire ferait désordre dans le régime général d’opposabilité des décisions d’espèce, 130 dont nous avons vu qu’il s’alignait normalement sur celui des décisions réglementaires. Une telle considération, d’ordre quasiment esthétique, ne saurait à elle seule vous retenir, mais peut vous inciter à la circonspection. D’autre part, elle créerait une asymétrie, en termes d’opposabilité des servitudes, entre les propriétaires d’une part et, d’autre part, l’ensemble des autres personnes, pour lesquelles l’infraction à l’article R. 160-26 du code de l’urbanisme (« La servitude entraîne, pour toute personne qui emprunte le passage, l’obligation de n’utiliser celui-ci que conformément aux fins définies par [la loi] ») constitue une contravention de 5e classe également. Là encore, l’argument n’est pas dirimant, puisque pour ces tiers, l’atteinte au droit de propriété n’est en revanche pas constituée. Plus gênant, il existe bien des cas où des décisions d’urbanisme affectent le droit de propriété sans qu’une notification à ses titulaires soit exigée. C’est le cas par exemple lorsqu’un PLU classe un terrain en zone inconstructible, sans qu’une notification au propriétaire soit nécessaire pour le lui rendre opposable. Il est vrai que les inconvénients de l’absence de publicité ciblée sur les propriétaires est compensée par l’information qu’ils reçoivent dans le cadre de la procédure d’élaboration du PLU. Mais on voit alors mal pourquoi les servitudes de passage, dont l’institution (s’agissant des servitudes transversales) et les modifications sont soumises à enquête publique permettant aux propriétaires de faire valoir leurs observations (ce qui est d’ailleurs une condition de leur constitutionnalité : Cons. const. 14 octobre 2011, Tarassi, décision n° 2011-182 QPC), entraîneraient à cet égard un régime particulier, et l’on est pris de vertige à l’idée d’une généralisation de l’exigence de notification. Dans un autre ordre d’idée, le statut des servitudes et leur finalité même n’incitent pas à fragiliser outre mesure leur portée. Nous l’avons dit, les servitudes de passage des piétons visent à garantir le principe de l’usage libre et gratuit du littoral par le public. Ce motif d’intérêt général, qui justifie que des limitations, sans dépossession, au droit de propriété soient apportées par le législateur, explique que les servitudes longitudinales ont un caractère d’ordre public et existent sans procédure préalable du fait même de la loi. La Cour de cassation a d’ailleurs également précisé que les servitudes imposées par l’autorité administrative dans un but d’intérêt général ont un caractère d’ordre public 13. Elles ne constituent donc pas une cible évidente pour une dérogation aux règles habituelles d’opposabilité. Cass civ. (3e ch.) 26 avril 1978, n° 76-14-254 : Bull. civ. III, n° 163 ; Cass civ. (3e ch.) 3 février 1982, n° 80-14.632 : Bull. civ. III n° 36 ; cités au point 10 de l’étude servitudes administratives du Elnet construction et urbanisme. 13 bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 2/2015 CONTENTIEUX DE L’URBANISME Surtout, le législateur a prévu, s’agissant au moins des demandes d’autorisation d’occupation du sol sollicitées plus d’un an avant le fait générateur de l’obligation d’annexion au PLU, les conditions d’opposabilité des servitudes sans distinguer le cas particulier des propriétaires. Ce faisant, il nous semble avoir épuisé le sujet et il nous est difficile d’admettre qu’on puisse, au moins dans le champ de l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme, instaurer par voie prétorienne un verrou à l’opposabilité sans heurter la volonté du législateur. 14. Quant à la possibilité de juger que l’article L. 126-1 ne régit intégralement les conditions d’opposabilité des servitudes que s’agissant des demandes d’autorisation d’occupation du sol et qu’il faudrait, pour le reste, estimer que la servitude n’est opposable aux autres comportements du propriétaire qu’à condition de notification préalable, elle nous semble théoriquement envisageable, mais difficile à manier en pratique. Nous sommes donc d’avis que le tribunal administratif a, en subordonnant l’opposabilité aux propriétaires à la notification, commis une erreur de droit, ce qui revient à infirmer la jurisprudence Époux Reinton de la cour administrative d’appel de Nantes. Délai de recours Nous serions en revanche favorable, afin d’assurer l’équilibre du dispositif au regard notamment du droit de propriété, d’estimer, contrairement à ce que juge votre décision Ministre de l’Équipement c/ Mlle de Taisne précitée, que seule une notification au propriétaire des décisions instaurant ou modifiant une servitude grevant son terrain fait courir à son encontre le délai de recours contre cette servitude. Nous l’avons vu, les servitudes constituent une limitation au droit de propriété, et sont justiciables à ce titre de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elles relèvent également du second alinéa de l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales 15. Or les jurisprudences constitutionnelle et européenne imposent qu’une personne dont le droit de propriété est affecté dispose d’une voie de 14 C’est plutôt la position que semble avoir retenue la Cour de cassation en jugeant que les juges d’appel ne pouvaient opposer aux propriétaires d’un terrain une servitude qui le grève sans rechercher si elle était annexée au POS [Cass civ. (3e ch.) 17 février 1993, n° 90-19.364, n° 307 P ; cités au point 9 de l’étude servitudes administratives du Elnet construction et urbanisme]. 15 Tandis que le contrôle de l’atteinte à la substance du droit de propriété est opéré sur le fondement de la première phrase du premier alinéa. bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 2/2015 recours effective. C’est à ce titre que la Cour européenne des droits de l’homme a condamné, par un arrêt Geouffre de la Pradelle c/ France, la solution de forclusion opposée au recours d’un propriétaire contre une déclaration d’utilité publique (DUP) qui ne lui avait pas été individuellement notifiée 16. À cet égard, ce qui nous inquiète s’agissant des servitudes de passage n’est pas tant la question du délai de recours direct du propriétaire à compter de la publication que la combinaison de la brièveté de ce délai avec l’impossibilité qui en découle, s’agissant d’actes dépourvus de caractère réglementaire, d’exciper de l’illégalité de la servitude après son expiration. Cet inconvénient n’existe pas pour les DUP, car même si nous avons confirmé, après l’arrêt Geouffre de la Pradelle, que la simple publication d’une DUP déclenche le délai de recours pour les propriétaires intéressés, nous n’avons pas manqué de relever, pour juger ce dispositif conforme à l’article 6º1 de la Convention européenne des droits de l’homme, « que la déclaration peut être contestée via un arrêté de cessibilité » qui doit, aux termes du code de l’expropriation, « être notifié individuellement à chaque propriétaire » 17,18. Et quel que soit le délai de notification de l’arrêté de cessibilité, l’exception d’illégalité de la DUP fonctionne toujours, puisqu’elle forme avec l’arrêté de cessibilité une opération complexe. Dans le même registre, le nouvel article R. 223-3 du code de l’expropriation, dans sa version issue du décret n° 2014-1635 du 26 décembre 2014, prévoit que le délai pour faire valoir qu’une ordonnance d’expropriation est dépourvue de base légale pour cause d’annulation de la DUP ou de l’arrêté de cessibilité ne court qu’à compter de la notification au propriétaire de cette annulation. Aucune cession de rattrapage de ce type n’existe en revanche pour les servitudes, au demeurant incommensurablement plus facile à notifier au propriétaire du terrain qu’une DUP à l’ensemble des propriétaires intéressés. C’est pourquoi, même si la solution que nous envisageons n’est pas usuelle en matière de décisions qui ne sont ni individuelles ni réglementaires 19 et alors qu’elle aurait vocation à s’étendre à l’ensemble des servitudes dont un terrain privé peut être grevé, elle nous semble nécessaire à l’équilibre du dispositif au regard du droit au recours effectif. 16 CEDH 16 décembre 1992, Geouffre de la Pradelle : AJDA 1993, p. 110 note Flauss ; Dalloz-Sirey 1993, p. 561, note F. Benoit- Rohmer ; JCP 93, n° 3670, p. 171, note E. Picard ; LPA 25 juin 1993, n° 76-25, note G. Gonzalez. 17 Voir aussi, pour une interprétation souple du délai ouvert au propriétaire pour demander une indemnité réparant un dommage causé par la servitude de passage des piétons, CE 30 septembre 2011, Mme Lenoël, req. n° 336664 : aux Tables. 18 CE 9 février 2000, Chevaliers et autres, req. n° 198413. 19 Voir l’abondante jurisprudence mobilisée par le président Martin Laprade dans ses conclusions sur la décision Chevaliers et autres citée infra. 131 CONTENTIEUX DE L’URBANISME Que vous estimiez ou non opportun de trancher ce point, qui n’est pas strictement nécessaire à la solution du litige, il vous faut censurer l’erreur de droit du tribunal sur les conditions d’opposabilité de la servitude. Nous vous invitons donc à annuler son jugement et à lui renvoyer l’affaire. Dès lors qu’il ressort des pièces du dossier que la servitude en cause était bien annexée au PLU, cette question devrait s’y résoudre sur le fondement de l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme, la déclaration de travaux semblant devoir se lire comme une demande d’autorisation d’occupation du sol au sens particulier de cet article 20. Nous vous invitons également à mettre la somme de 3 000 € que demande la commune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative à la charge du défendeur, et à rejeter les conclusions présentées par ce dernier sur le même fondement. Si vous ne nous suiviez pas, vous écarteriez sans difficulté les trois autres moyens du pourvoi. Le premier traite également de clôture, mais de l’instruction, dont le report, refusé, aurait été nécessaire à la commune pour répondre à un mémoire du 8 décembre 2012 contenant des moyens nouveaux : mais le délai de six jours francs laissé a été suffisant. Le deuxième moyen invoque une méconnaissance du principe du caractère contradictoire de la procédure, au motif que le rapporteur public n’a pas abordé dans ses conclusions l’un des deux moyens nouveaux, mais le prononcé des conclusions n’est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure, qui ne peut donc être utilement invoqué 21. Le troisième moyen est tiré du défaut de visa des deux moyens nouveaux, mais il manque en fait. 20 Voir, mutatis mutandis, CE 5 avril 2006, Gaillard, n° 264269 : aux Tables, et surtout la logique de l’article L. 126-1. 21 CE S. 21 juin 2013, Communauté d’agglomération du pays de Martigues, req. n° 352427 : Rec., p. 167. Par ces motifs, nous concluons : –– à la cassation, –– au renvoi au tribunal administratif de Rennes, –– 3 000 € à la charge de M. Le Couviour, –– au rejet des conclusions L. 761-1 de ce dernier. n Décision […] Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 mars 2013 et 17 juin 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour la commune de Sarzeau, représentée par son maire ; la commune de Sarzeau demande au Conseil d’État : 1°) d’annuler le jugement n° 1002813 du 15 janvier 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé pour excès de pouvoir l’arrêté du 2 juin 2010 par lequel le maire de Sarzeau s’est opposé à la déclaration préalable de M. Philippe Le Couviour ; 2°) de mettre à la charge de M. Le Couviour la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; […] 1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Le Couviour, propriétaire sur la commune de Sarzeau (Morbihan), a déposé une déclaration préalable en vue de régulariser l’édification d’une clôture en limite de sa propriété ; que, par un arrêté du 2 juin 2010, la commune s’est opposée à ce projet au motif qu’il méconnaissait la servitude de passage des piétons approuvé par l’arrêté préfectoral du 19 février 2001, pris sur le fondement des articles L. 160-6 à L. 160-8 du code de l’urbanisme ; que la commune de Sarzeau se pourvoit en cassation contre le jugement du 15 janvier 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a fait droit à la 132 requête de M. Le Couviour tendant à obtenir l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 2 juin 2010 ; 2. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 160-6 du code de l’urbanisme : « Les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d’une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons. » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 160-6-1 du même code : « Une servitude de passage des piétons, transversale au rivage peut être instituée sur les voies et chemins privés d’usage collectif existants, à l’exception de ceux réservés à un usage professionnel selon la procédure prévue au deuxième alinéa de l’article L. 160-6. » ; que l’autorité administrative peut, par décision motivée prise après avis du ou des conseils municipaux intéressés et au vu du résultat d’une enquête publique, modifier le tracé de la servitude prévue à l’article L. 160-6 du code précité ou la suspendre et instituer ou modifier la servitude prévue à l’article L. 160-6-1 de ce code ; qu’en l’absence d’opposition des communes intéressées, cette décision revêt la forme d’un arrêté du préfet ; que l’article R. 160-22 du code de l’urbanisme prévoit que l’acte d’approbation du tracé et des caractéristiques d’une servitude : « […] fait l’objet / : […] b) d’une publication au recueil des actes administratifs de la ou des préfectures intéressées, s’il s’agit d’un arrêté préfectoral. / Une copie de cet acte est déposée à la mairie de chacune des communes concernées. Avis de ce dépôt est donné par affichage à la mairie pendant un mois. Mention de cet acte est bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 2/2015 CONTENTIEUX DE L’URBANISME insérée en caractères apparents dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans le ou les départements concernés » ; que si ce même article précise, dans son dernier alinéa, que « cet acte fait en outre l’objet de la publicité prévue au 2° de l’article 36 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 », cette obligation faite à l’administration, dans l’intérêt de l’information des usagers, de publier au service chargé de la publicité foncière les décisions relatives à une servitude de passage n’est pas une condition de l’opposabilité de ces décisions, qui est subordonnée au seul respect des autres mesures de publicité qu’il prescrit ; que, dès lors qu’aucune autre disposition, ni aucun principe n’impose à l’autorité administrative de notifier au propriétaire concerné l’arrêté par lequel elle institue ou modifie une des servitudes prévues aux articles L. 160-6 et L. 160-6-1 du code de l’urbanisme, le défaut de notification individuelle d’un tel arrêté, s’il est de nature à faire obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux à l’égard de ce propriétaire, est sans effet sur son opposabilité ; qu’il suit de là que le tribunal administratif de Rennes qui, contrairement à ce qui est soutenu, n’était pas lié, sur ce point, par le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Vannes le 15 janvier 2013 sur les poursuites engagées contre M. le Couviour pour n’avoir pas respecté les règle applicables en matière de servitudes, a entaché son jugement d’erreur de droit en estimant que l’arrêté préfectoral du 19 février 2001 ne pouvait servir de fondement à l’arrêté du 2 juin 2010 dès lors qu’il n’était pas opposable à M. Le Couviour, en l’absence de notification individuelle et alors même qu’il n’était pas contesté qu’il avait fait l’objet des mesures de publicité prévues par l’article R. 160-22 précité ; 3. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, la commune de Sarzeau est fondée à demander l’annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes ; 4. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. Le Couviour le versement de la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu’en revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée au même titre par M. Le Couviour ; DÉCIDE : Article 1er : Le jugement du 15 janvier 2013 du tribunal administratif de Rennes est annulé. Article 2 : L’affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Rennes. Article 3 : M. Le Couviour versera à la commune de Sarzeau la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Les conclusions de M. Le Couviour au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. […] n Observations L’institution d’une servitude de passage le long ou vers le littoral (art. L. 160-6 et L. 160-6-1 du code de l’urbanisme) constitue une limite particulièrement sensible à l’exercice du droit de propriété. C’est pourquoi elle est entourée des conditions légales qui permettent de la rendre compatible avec ce droit, notamment l’obligation d’une enquête publique lorsque le tracé de la servitude de passage le long du domaine public est modifié, ou lorsqu’est établie une servitude transversale au littoral. cessairement la notification de la servitude au propriétaire, mais ce point se déduit assez aisément du dispositif légal mis en place, et notamment de l’intervention de l’enquête publique, obligatoire pour les servitudes transversales et la modification du tracé des servitudes longitudinales. En revanche, ni ces dispositions législatives ni les dispositions réglementaires prises pour leur application ne prévoient la notification aux propriétaires concernés, en plus des diverses voies de publicité. Mais la décision, suivant la proposition du rapporteur public, innove en jugeant que le défaut de notification individuelle de l’arrêté instituant la servitude fait obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux à l’égard du propriétaire. C’est une solution originale s’agissant d’une décision ni individuelle ni réglementaire, dont le statut contentieux suit généralement celui des décisions réglementaires. De prime abord, ce dispositif peut paraître un peu brutal. Mais on ne peut être que sensible à l’idée de ménager le droit au recours du propriétaire. n C’est pourquoi la décision commentée retient un parti original qui paraît équilibré. X. D. L. Elle en reste strictement au texte, s’agissant de l’opposabilité de la servitude. Cela revient à considérer que le droit de propriété n’impose pas nébulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme – 2/2015 133